Ibid - Notes du mont Royal
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Notes du mont Royal www.notesdumontroyal.com 쐰 Ceci est une œuvre tombée dans le domaine public, et hébergée sur « Notes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DES IMAGES Google Livres OEUVRES COMPLETES D'HOMERE. T O M E IV. OEUVRES COMPLETES D'HOMERE, TRADUCTION NOUVELLE, D É D I É E AU R O I ; Avec des notes littérales, historiques et géographiques ; suivies des imitations des poètes anciens et modernes. PAR CONSEILLER TOME M. AU GIN, GRAND-CONSEIL. QUATRIEME. ï*' - •• S:"' "-V... . ./••\-.r/i '-:'-'M A PARIS, DE L ' I M P R I M E R I E DE D I D O T M, DCC. LXXXVIII. L'AÎNÉ. 3DSLI3Tr1' ê L'ILIADE. C H A N T XIX. ARGUMENT. T H é T i s apporte à Achille les armes forgées par Vulcain. Lefilsde Pelée assemble les Grecs, et met un terme à son courroux. Il accepte les dons d'Agamemnon : mais il ne peut être persuadé de prendre de la nourriture, qu'il n'ait tiré vengeance de la mort de Patrocle. Il sfarme, et guide l'armée au combat. Xanthus f F un de ses coursiers, lui prédit la mort qui le menace, Achille n'en est pas effrayé. JT- loi 'Xar: • • & I I H H I O C J n u i f x i x m?^m^:. -:- •• •••• • • ' •:., --iri^-a^s^ias^^^^ -ë /////• m^re-, ///A- /T£/Y/ /// /./ d^ntu*-- tuf arnmr muym htm/ns- n 'en- mf /mvit? tir- JVmM-^/^r : -m 1 il». H". L'ILIADE. C H A N T XIX. Achille appaise son courroux, et se prépare à secourir les Grecs. au voile pourpré, s'élevant des profondeurs de l'océan, apportoit la lumière aux dieux et aux hommes, quand Thétis arriva aux vaisseaux des Grecs, chargée des superbes présents de Vulcain. La déesse voit Achille, ce fils si cher à son cœur, étendu sur le corps de Patrocle, versant des larmes ameres ; ses nombreux compagnons pleurent autour de lui. Thétis s'approche, colle ses lèvres sur les mains de son fils, et lui parle ainsi: Ta douleur est juste, ô mon fils : je la partage avec toi. Patrocle est tombé sous les coups d'un dieu; il a subi sa destinée. Songeons à le venger. Reçois les belles armes que je t'apporte, ouvrage de Vulcain; aucun mortel n'en vêtit de semblables. Ainsi parle la déesse, et elle place les armes devant Achille : le bruit des métaux retentit au loin ; .L'AURORE 8 L'ILIADE, les Thessaliens tremblent ; leurs yeux éblouis ne peuvent soutenir l'éclat de la brillante armure du fils de Pelée; ils reculent effrayés. Le désir de la vengeance augmente dans Pâme d'Achille; ses yeux brillent comme des lampes ardentes, sous ses noirs sourcils ; la joie a accès dans son ame, à la vue de l'armure que Vulcain a forgée pour lui ; le fils de Pelée la manie, la considère avec admiration, Adressant la parole à sa mère : Ma mère, lui dit-il, un dieu m'a donné ces armes ; aucun homme n'en eût forgé de semblables, car les ouvrages des hommes ne peuvent être comparés à ceux des immortels : je me hâte de vêtir cette éclatante armure. Mais un autre soin m'agite et m'inquiète ; je crains que, pendant mon absence, les mouches ne s'introduisent dans lés blessures de Patrocle , qu'elles n'engendrent des vers, que le long temps qui s'est écoulé depuis que l'airain a frappé mon fidèle compagnon, ne livre ses chairs à une indigne flétrissure, qui souille sa dépouille mortelle. O mon fils , lui répond Thétis, que ce soin ne porte pas le trouble dans ton ame : j'écarterai les profanes essaims qui s'attachent aux restes des héros tombés sous les coups de l'homicide Mars. Patrocle dût-il demeurer dans ta tente pendant un CHANT XIX. 9 an entier , je rendrois sa chair incorruptible, tu la retrouverois plus pure qu'elle n'étoit. Empressetoi , ô mon fils, d'assembler les enfants de la Grèce, de leur annoncer que la haine que tu portois à Agamemnon , le pasteur des peuples , est appaisée ; revêts les armes immortelles que je t'apporte; rappelle ta force première. Ainsi parle la fille du vieuxNérée, et elle souffle dans l'ame d'Achille un intrépide courage. Emplissant les narines de Patrocle d'un mélange de nectar rouge et d'ambrosie, elle rend sa chair incorruptible. Achille, marchant à grands pas sur le rivage de la mer, appelle à haute voix les héros de la Grèce. A la vue du fils de Pelée, qui, absent des combats depuis long-temps, se réveille de ce long sommeil, les pilotes, ceux qui tiennent dans leurs mains le gouvernail des navires,les intendants des vivres, tous ceux à qui d'antiques usages donnent le droit de siéger dans le conseil de la nation, accourent en foule. Deux serviteurs de Mars arrivent en boitant, s'appuyant sur leurs javelots, le fils de Tydée et le divin Ulysse ; car la blessure qu'ils ont reçue n'est point encore guérie : assis au premier rang, ils occupent une place distinguée dans le conseil. Le roi des hommes, Agamemnon, arrive le dernier; car il ressent des douleurs cruelles de 4, 2 io L'ILIADE, la blessure que lui fit la pointe aiguë du javelot de Coon, fils d'An ténor. Quand tous les Grecs sont réunis, le léger Achille se levé : adressant la parole à Agamemnon : Fils d'Atrée,lui dit-il, il eût été plus avantageux pour toi et pour moi, que, le jour auquel j'enlevai Briséis dans le sac de la ville de Lyrnesse, Artémise eût percé de ses flèches cette belle captive , objet des haines qui nous divisent depuis si long-temps, qui coûtèrent la vie à tant de héros, lorsque je conservois un courroux utile à Hector et aux Troyens, dont les enfants de la Grèce garderont un long souvenir. Mais oublions le passé, quelque douloureux qu'il soit à nos cœurs; une impérieuse nécessité nous y contraint. Je mets un terme à ma haine ; elle ne devoit pas être éternelle. Ordonne aux Grecs de prendre les armes, de se préparer au combat; éprouvons si, me voyant marcher contre eux, les Troyens demeureront nuit et jour sous la pouppe de nos navires. Nous verrons bientôt leurs genoux fléchir; heureux celui qui échappera par la fuite aux coups de mon javelot ! Il dit ; l'ame des Grecs est réjouie, apprenant que l'invincible fils de Pelée a mis un terme à son courroux. Le roi des hommes, Agamemnon, leur adresse la parole, sans quitter le trône sur lequel il CHANT XIX. 11 est assis ; car la blessure qu'il a reçue ne lui permet pas de se tenir debout, au milieu de l'assemblée. Héros de la Grèce, serviteurs de Mars, si chers à mon cœur, dit-il, faites cesser ce tumulte; l'homme le plus éloquent auroit peine à se faire entendre parmi les éclats de cette joie bruyante. Prêtez-moi une oreille attentive. C'est au fils de Pelée que j'adresse la parole : mais je vous prends tous à témoins, enfants de la Grèce; car chacun de vous connoît la vérité de ce que je vais dire. Plusieurs fois vous me fîtes de durs reproches ; plusieurs fois vous vous élevâtes contre moi, m'accusant d'être le premier auteur de vos maux. Je n'en fus pas la cause première ; mais Jupiter, mais le Destin, et la plus terrible des Furies, l'Injure, qui eut accès dans mon ame, le jour de cette fatale assemblée, source de nos cruelles divisions , après laquelle je ravis la captive que les Grecs avoient donnée à Achille, juste récompense de ses travaux. Pouvois-je résister à la fille aînée de Jupiter, à la détestable Injure, qui blesse tous les hommes ? Ses pieds ne touchent pas à terre , elle marche sur les têtes des mortels , frappe de tous côtés, choisit au moins une victime entre ceux qu'elle entraîne dans ses filets. Elle osa attenter sur Jupiter même, le père des dieux et jdes hommes. Son épouse, Junon, le fit tomber 12 L'ILIADE,' dans le piège qu'elle lui avoit tendu, quand Aiemené mit au m o n d e , dans la puissante ville de T h e b e s , le grand Hercule. Fier d'annoncer aux immortels les hautes destinées de son iils, Jupiter leur parle ainsi : a Dieux et déesses, écoutez ce a que mon esprit me suggère de vous dire. Aujour« d'hui Ilithye , qui préside aux accouchements, «c montrera à la terre un enfant de ma race, né « de mon sang ; il régnera sur tous ses voisins. » —ce N o n , tu n'accompliras pas une telle promesse, ce lui répond Junon méditant ses ruses. Dieu de ce l'Olympe, j u r e , par ce serment qui ne trompe ce jamais, que le premier enfant de ta race, né de ce ton sang, qui naîtra en ce jour, régnera sur tous ce ses voisins ». Elle dit. Jupiter, ne prévoyant pas le piège qui lui est tendu, prononce le redoutable serment. Il en fut la première victime. S'élancant du sommet de l'Olympe, Junon arrive dans Argos, la ville des Achéens. Instruite que la généreuse épouse de Sthénélus , iils de Persée , est enceinte de sept mois, elle hâte ses couches, suspend celles d'Alcmene, appaise ses douleurs, repousse les Ilithyes, et remonte sur l'Olympe, pour annoncer cet événement au fils de Saturne : ce O toi qui lances <c la foudre, lui dit-elle, accomplis ta promesse : u n «enfant est né, Eurysthée, fils de Sthénélus qui CHANT XIX. i3 « eut Persée pour père : il est de ton sang ; il ré«c gnera dans Argos ». Elle dit : le cœur de Jupiter est brisé par la douleur. Saisissant l'implacable Furie par la vaste chevelure qui couvre sa tête altiere, il prononce l'irrévocable serment, que jamais la cruelle Injure, qui blesse et les hommes et les dieux, ne rentrera dans le céleste palais, qu'elle n'habitera plus sur l'Olympe. Il dit, et la précipite sur la terre, où elle infecte de son souffle impur les actions des hommes. Jupiter en gémit le premier, voyant Hercule, ce fils cher à son cœur, soumis à Eurysthée , qui l'épuisa par d'indignes travaux. Ainsi, lorsque le grand Hector donnoit la mort à tant de héros sous les pouppes de nos navires, je rappellois dans mon esprit le triste souvenir de la faute où m'entraîna l'implacable Furie que je recueillis dans mon sein. Elle fut grande; Jupiter égara ma raison : mais je réparerai mes torts ; je rachèterai mon crime par une immense rançon. Marche au combat, ô Achille : que ton exemple enflamme le courage des Grecs ; je te donnerai tout ce qu'Ulysse te promit hier par mes ordres. Si tu doutes de l'exécution de mes promesses, suspends ton ardeur martiale ; attends que mes esclaves portent dans ta tente ces dons, que tu les voies de tes yeux. 14 L'ILIADE, Fils d'Atrée, roi des hommes, Agamemnon, lui répond Achille, ces dons sont une juste satisfaction que tu me dois, et toutefois il est en ton pouvoir de les retenir. Ne songeons en ce moment qu'à combatre ; ménageons un temps précieux : le grand ouvrage que j'entreprends n'est pas même commencé. Le fils de Priam verra Achille, à la tête des Grecs , disperser les phalanges troyennes sous les coups de son javelot ; que chacun de vous combatte avec la même ardeur l'ennemi qui lui sera opposé. Le prudent Ulysse, prenant la parole : Divin Achille, lui dit-il, quelle que soit ton impatience , ne contrains pas les enfants de la Grèce de marcher à l'ennemi en ce moment. Je prévois un combat long et sanglant, lorsque les phalanges seront confondues, qu'un dieu soufflera dans tous les cœurs la fureur du carnage. Ordonne aux enfants de la Grèce de se retirer dans leurs tentes, de réparer , par les dons de Cérès et de Bacchus, leurs forces abattues; la force de l'homme en est plus grande, son courage plus intrépide. Quelle que soit la constance du héros, quelque ardeur qui l'enflamme, il n'est pas au pouvoir des mortels de combattre à jeun depuis le lever de l'aurore jusqu'au coucher du soleil; la faim, la soif, Jes épuisent, appesanT CHANT XIX. i5 tissent leurs membres, font fléchir leurs genoux: la nourriture rétablit le ressort, le vin soutient le courage ; échauffé par les dons de Bacchus, se confiant en lui-même, le héros tient ferme, et n'éprouve la fatigue d'une pénible journée que lorsqu'il a rompu et mis en fuite les phalanges ennemies. Que les Grecs rentrent dans leurs tentes, qu'ils préparent le repas du matin, tandis que le roi des hommes, Agamemnon, fera apporter, à la vue de tous, les présents qu'il te destine, qu'ils porteront la joie dans ton ame. Debout, à la face des Grecs, Agamemnon attestera, avec serment, que jamais il n'abusa de sa puissance pour contraindre ta captive de consentir à ses désirs , que jamais la fille de Brisés ne fut reçue dans son lit. Appaise ton courroux, ô Achille. Fils d'Atréè, que ton orgueil fléchisse ; invite Achille à un festin solemnel dans ta tente ; qu'aucune trace des dissensions passées ne subsiste entre vous. Sois plus juste une autre fois, ô Agamemnon : la puissance royale fléchit sans honte devant celui dont elle a provoqué le courroux. Fils de Laërte, répond le roi des hommes, Agamemnon, ta franchise me plaît; tes conseils sont sages. Ce que tu as dit, je le confirmerai par la religion du serment ; je prendrai Jupiter à témoin, \6 L'ILIADE, et ne serai point parjure. Qu'Achille modère son ardeur impatiente de combattre : attendez tous dans ma tente l'arrivée des présents; soyez témoins de la paix cimentée entre nous par le sang des victimes. Exécute mes ordres , 6 Ulysse ; ordonne à l'élite de notre jeunesse d'aller promptement à mon vaisseau,d'amener les femmes captives, d'apporter ici les dons que nous promîmes hier au iils de Pelée : que Talthybius invite l'armée à un festin solemnel; qu'un porc engraissé soit immolé par mes mains à Jupiter et au Soleil. Illustre fils d'Atrée, roi des hommes, Agamemnon, répond le divin iils de Pelée, remets à d'autres temps, et tes dons, et ces sacrifices; attends que je sois vengé, que ma douleur ait reçu quelque soulagement. Ceux qu'Hector immola à sa fureur, privés de sépulture, sont maintenant étendus sur la poussière ; le iils de Priam s'enorgueillit de notre défaite; Jupiter lui donna la victoire : et vous me proposez de goûter les douceurs du festin ! Que ni la fatigue ni les besoins de la nature ne nous arrêtent; marchons à jeun au combat : vainqueurs, au soleil couchant, ayant lavé notre honte dans le sang de l'ennemi, nous réparerons nos forces abatr tues.Patrocle est mort percé de l'airain étincelantj il est étendu à l'entrée de ma tente : mes compa-r CHANT XIX. i7 gnons pleurent autour de son lit funèbre. Je ne boirai ni ne mangerai qu'il ne soit vengé. Le meurtre, le sang, les longs gémissements, sont les objets dont mon ame est occupée; aucun autre soin ne peut m'en distraire. O Achille fils de Pelée, le plus redoutable des Grecs, répond Ulysse, tu l'emportes sur moi dans les combats; ta force est supérieure à la mienne: mais la prudence est mon partage;l'âge m'a donné sur toi l'avantage d'une longue expérience; suis mes conseils. Les hommes les plus intrépides sont bientôt rassasiés de sang et de carnage. Quand Jupiter, l'arbitre des combats, incline la fatale balance, ils tombent comme les épis au temps de la moisson; à peine quelques tiges éparses échappent à la faux du moissonneur. Ce n'est point par des jeûnes que l'affliction des enfants de la Grèce doit se manifester : grand nombre de nos compagnons tombent tous les jours sous les traits de l'ennemi. S'il en étoit ainsi, qui pourroit obtenir quelque soulagement à ses travaux? Pleurons Patrocle pendant un jour entier; rendons-lui les honneurs funèbres : mais ne nous laissons pas abattre par la douleur. Que tous ceux qui ont survécu à cette guerre affreuse, réparent maintenant par la nourriture leurs forces abattues, et combattent ensuite 4. 3 18 L'ILIADE, sans relâche, couverts de l'airain étincelant; que tous prennent les armes, sans attendre de nouveaux ordres; que la honte soit le partage du lâche qui restera dans sa tente; que nos phalanges serrées accablent les Troyens : renouvelions un sanglant combat. Il dit, et choisit d'illustres compagnons, les deux iils de Nestor, Mégès fils de Phylée, Thoas, Mérion, Lycomede fils de Créon, et Mélanippe, et marche avec eux vers la tente du iils d'Atrée ; Ulysse ordonne, et est obéi. On apporte les présents que le roi des rois promit au iils de Pelée : sept trépieds, vingt vases d'airain, douze coursiers, sept captives d'une grande beauté, instruites dans tous les arts de leur sexe : Briséis les suit, et l'emporte sur toutes en grâces, en majesté. Ulysse précède les députés; une balance est dans ses mains : il pesé à la vue de tous les dix talents d'or. De jeunes héros l'accompagnent, portant les présents/ ils les déposent au milieu de l'assemblée. Agamemnon se levé : Talthybius, dont la voix sonore égale celle des immortels, amené au pasteur des peuples un porc engraissé; le iils d'Atrée saisit un glaive pur, qu'il porte suspendu à son baudrier près de son épée, détache des poils de la tête de la victime; élevant les mains et les yeux au ciel, il CHANT XIX. 19 invoque le dieu qui lance le tonnerre, et lui consacre ces prémices; les Grecs attentifs l'écoutent en silence. O Jupiter, dit-il, le plus grand, le meilleur des immortels, et vous, Terre, Soleil, divinités infernales, Furies vengeresses des parjures, je vous prends à témoins que jamais je ne portai une main téméraire sur la fille de Brisés, pour la contraindre de céder à mes désirs, que jamais je ne lui lis injure, qu'elle fut honorée dans ma tente comme l'épouse d'un héros. Que tous les maux dont les dieux punissent les parjures, fondent sur ma tête, si mes paroles ne sont conformes à la vérité ! Il dit ; et enfonçant le couteau sacré dans le 7 A flanc de la victime, il la livreàTalthybius, qui la jette dans les profonds abymes de la mer pour être la pâture des poissons. Achille se levé : adressant la parole aux Grecs : O Jupiter, dit-il, de quels fléaux tu accables les mortels ! jamais le fils d'Atrée n'eût excité ma vengeance , jamais il ne m'eût ravi ma captive, si tes éternels décrets n'eussent résolu la mort d'un grand nombre de Grecs. Goûtez maintenant les douceurs du festin ; livrons-nous ensuite aux fureurs de Mars, Il dit, et rompt l'assemblée : les Grecs se dispersent. Les Thessaliens transportent les magni- 2o L'ILIADE, iiques présents dans le vaisseau et la tente du fils de Pelée : les belles captives sont conduites par eux dans le logement qui leur est destiné; les esclaves renferment les coursiers dans les vastes écuries d'Achille. A la vue du corps de Patrocle , que l'airain homicide a précipité dans le tombeau , la iille de Brisés, dont la beauté égale celle de Vénus r embrasse cette chère dépouille, pousse des cris perçants, flétrit ses appas, meurtrit ses joues, et son sein d'albâtre : versant des larmes ameres, elle s'écrie : Chef d'un grand peuple, Patrocle, si cher à mon cœur, je te laissai vivant quand je sortis de cette tente, et je te trouve, à mon retour, étendu sur ce lit funèbre! Que je suis malheureuse ! les maux s'enchaînent l'un l'autre sur ma tête. Mon père, ma respectable mère , me donnèrent à un homme courageux ; je le vis percé par le javelot homicide, sous les murs de ma patrie. J'eus trois frères : un même sein nous conçut; liés l'un à l'autre par les nœuds de l'amitié la plus tendre , tous sont morts le même jour qui vit tomber mon époux sous les coups de l'invincible fils de Pelée, lorsqu'il dévasta la grande cité du divin Mynétès. Toi seul, ô Patrocle , par ton inexprimable douceur sus calmer mes ennuis: tu me fis entrevoir l'espérance de devenir l'épouse d'Achille, d'être conduite par CHANT XIX. 21 lui dans Phthie, sa terre natale, où mes noces seroient célébrées aux yeux de l'assemblée nombreuse des Thessaliens. Tels furent tes bienfaits, telles furent tes promesses : elles sont évanouies avec ta vie; il ne me reste qu'un deuil affreux. Elle parle ainsi, versant des larmes ameres. Les autres captives confondent leurs sanglots avec les siens ; elles feignent de pleurer Patrocle : mais elles s'afïligent de leurs propres infortunes. Cependant les chefs de la nation environnent le fils de Pelée, ils l'invitent à prendre quelque nourriture. Tout entier à sa douleur, Achille les refuse avec persévérance. Cessez, leur dit-il, cessez, ô mes chers compagnons, de me fatiguer par d'inutiles instances. Quelque besoin que j'aie de réparer mes forces affaissées sous le poids de la douleur, je supporterai avec constance la faim et la soif jusqu'au coucher du soleil. Il dit : les rois se retirent en silence. Les deux fils d'Atrée, le divin Ulysse , Nestor, Idoménée, le vieux Phénix , demeurent seuls dans la tente d'Achille, font effort pour calmer sa tristesse profonde : il rejette toute consolation, ne respire que meurtres et combats. Au seul nom de Patrocle ; de longs sanglots s'exhalent de son cœur accablé : O mon infortuné compagnon, dit-il, avec quel 22 L'ILIADE, soin , avec quelle activité tu pourvoyois à tous mes besoins! avec quel zèle tu préparois le festin , quand les Grecs se disposoient à livrer aux Troyens un sanglant combat! maintenant tu n'es plus. Ma constance sera inébranlable; je ne boirai ni ne mangerai que tu ne sois vengé. Ni l'affreuse nouvelle de la mort de mon père, que ses larmes consument en l'absence d'un fils, l'objet de ses plus tendres affections, engagé dans cette guerre, loin de sa patrie, par le crime de l'odieuse Hélène, ni la mort de mon fils Néoptoleme, ce fils cher à mon cœur, qu'on forme maintenant aux vertus dans Scyros, ne me seroient plus sensibles. Hélas! peut-être il n'est plus, ce fils dont la beauté égaloit celle des immortels. J'avois espéré, ô Patrocle, que, succombant seul à ma destinée, sous les murs de Troie, loin de la fertile Argos, tu irois à Scyros avec mes vaisseaux, que tu ramenerois mon fils dans Phthie, que tu remettrois en ses mains et mes belles captives, et les immenses trésors que j'ai acquis par mes travaux, que tu l'éta-* blirois dans mon palais ; car sans doute Pelée est mort, ou succombera dans peu sous le poids des ans et de l'affliction qui l'accable, attendant tous les jours la nouvelle de mon trépas que les dieux lui ont prédit. Tels sont ses cris douloureux, qu'interrompent CHANT XIX. a3 de profonds soupirs. Des larmes abondantes coulent des yeux des héros qui l'environnent : ils rappellent à leurs esprits les objets les plus chers que chacun d'eux laissa dans son palais en partant pour cette guerre afFreuse. Le fils de Saturne voit ce deuil : il en a compassion. Adressant la parole à Minerve : Ô ma fille, lui dit-il, as-tu oublié un héros que tu protégeois autrefois? Achille ne teparoît-il plus digne de tes soins? Assis à la pouppe de son vaisseau, la mort de son fidèle compagnon lui fait verser des larmes ameres. Les enfants de la Grèce réparent leurs forces abattues, pour se préparer au combat : le seul Achille refuse toute nourriture, toute consolation.Voleàson aide,ô ma fille; verse dans son sein le nectar et l'ambrosie; empêche que la faim ne le consume. Il dit : docile à des ordres si chers à son cœur, Minerve parcourt les vastes plaines de l'air avec la rapidité et les sifflements aigus de l'épervier, dont elle a pris la ressemblance. Cependant les Grecs s'arment en diligence. Minerve, dans la crainte que la faim n'épuise les forces d'Achille, verse dans son sein le nectar et l'ambrosie, etremon te dans le brillan t palais de son père. Les Grecs se hâtent de sortir de leurs vaisseaux. Aussi nombreux que les neiges que l'impétueux Borée pré-* 24 L'ILIADE; cipite sur la terre, dont la blanche lumière s'élève jusqu'à la voûte éthérée, tels reluisent dans leurs mains et sur leurs larges épaules leurs casques étincelants, leurs cuirasses, leurs javelots armés d'airain, dont les éclairs percent la nue; la terre résonne sous leurs pas. Achille au milieu d'eux revêt sa brillante armure. La douleur est dans son ame; ses dents claquent; ses yeux brillent comme des lampes ardentes. Il endosse les présents du dieu des arts, les armes divines que Vulcain forgea pour lui : des agrafFes d'argent lient à ses jambes, à ses cuisses, les brodequins flexibles; il revêt sa brillante cuirasse, suspend à son épaule sa redoutable épée, prend en main son vaste et épais bouclier, dont l'éclat égale la splendeur de la lune. Semblable à ces feux qui s'allument aux sommets déserts des montagnes, qui brillent pendant l'obscurité de la nuit sur la surface de l'onde écumeuse, égarent le pilote qui s'y confie, et l'entraînent loin de ces amis, loin de sa terre natale, sur le vaste des mers, le livrant aux fureurs de l'humide élément; tel reluit le bouclier d'Achille. Un casque pesant, que surmonte un superbe panache de çjins de cheval, couvre son front auguste. Les mobiles aigrettes d'or dont le divin artiste orna ce casque, brillent dans l'air comme une comète menaçante. Le fils de Pelée essaie soji éclatante armure; il l'agite, la CHANT XIX. 25 manie, dans la crainte qu'elle ne retarde ses mouvements : semblable à des ailes, elle le porte dans les combats. Il tire de l'arche qui le renferme, le long, le pesant, le formidable javelot que lui donna Pelée, que seul entre tous les Grecs il sait et manier et lancer. Chiron coupa pour Pelée, au sommet ombragé du Pélion, le bois épais dont il forma cette arme terrible, funeste à tant de héros. Automédon et Alcime attellent à son char les immortels coursiers : de superbes courroies les unissent; le mors blanchit dans leurs bouches écumantes ; les guides ajustées avec art les dirigent. Automédon s'élance sur le char, tenant en main un fouet léger, souple, brillant. Couvert de l'armure divine, qui brille comme le soleil, le fils de Pelée prend place derrière son fidèle écuyer. Adressant la parole aux immortels coursiers que lui donna Pelée son père : Xanthus et Balius, leur dit-il, illustres enfants de Podargé, nous marchons au combat. Quand votre maître et votre guide se seront rassasiés de carnage, songez à les dérober à la fureur des Troyens. Craignez de les laisser étendus sur l'arene, comme vous y avez laissé Patrocle qui a succombé sous les coups de l'ennemi. Le rapide Xanthus, entendant ces paroles, in- 4- 4 2.6 L'ILIADE, C H A N T XIX. cline sa tête altiere, développe sa vaste crinière qui couvre le joug, et s'étend jusqu'à terre; Junon lui communique le don de la parole : Valeureux fils de Pelée, dit-il, nous sauverons en ce jour et toi et ton écuyer : mais le glaive de la mort est suspendu sur ta tête; ne nous impute point ton trépas, mais à Jupiter, à l'inexorable destinée. Ni le courage, ni la légèreté ne nous manquèrent, quand les Troyens ravirent à Patrocle ton armure. Le zéphyr, qu'on dit le plus léger des vents, n'égale pas la rapidité de notre course. Mais un dieu plus puissant, le fils de Latone, Apollon , à la blonde chevelure, perça Patrocle qui combattoit hors des rangs, parmi les héros de la Grèce, et en attribua la gloire à Hector. Ainsi un dieu et un mortel réunis l'emporteront sur toi. Tel est l'ordre du destin. Il dit, et les Furies étouffent sa voix. Pourquoi me prédire le trépas, ô Xanthus? répond le fils de Pelée, poussant un profond soupir. Dévoué à la mort, loin de mon père, loin de ma mère, loin de ma terre natale, le Destin a marqué, dans les plaines de Troie, le terme de ma vie : je le sais; et cependant je ne cesserai, jusqu'à mon dernier soupir, de poursuivre les Troyens. Il dit; et appellaat ses compagnons, il marche au combat. L'I L I A D E. C H A N T XX. ARGUMENT. permet aux immortels de se confondre dans la mêlée ; Junon f Minerve » Neptune, Vulcaîn et Mercure, secourent les Grecs; Vénus, Apollon, Diane, Latone, Mars, le Scamandre, protègent les Troyens. Énée entreprend de combattre Achille : Neptune l'enveloppe d'un nuage épais, pour le dérober à la fureur du fils de Pelée. Apollon protège la fuite dfHector. AcMUe poursuit ksTroyens jusques sous leurs mursJUPITER r L'ILIADE. CH A N T X X. Dispute entre les immortels. Jupiter protège les Grecs: 1 ANDIS que les Grecs, insatiables de combats, se préparent à marcher sous tes ordres, ô Achille; que d'autre part les Troyens rangent leur armée en bataille au-dessus d'une éminence : assis sur la cime la plus élevée de l'Olympe au double sommet , Jupiter ordonne à Thémis d'assembler les immortels. Parcourant l'univers d'un vol rapide, la déesse de la justice ordonne à tous les dieux de se rendre dans le palais du fils de Saturne. Toutes les divinités de la mer, toutes les nymphes des fleuves, des fon taines et des bois, se réunissen t dans l'enceinte sacrée. Le seul Océan garde ses retraites profondes. Parvenus dans le palais éclatant du dieu qui assemble les nuées, les dieux et les déesses prennent place sous les vastes portiques que Vulcain construisit suivant le modèle qu'il conçut dans sa tête savante; ils emplissent cette enceinte immense. Docile à la voix de Thémis, Neptune lui-même abandonne ses humides demeurés, pour 3o L'ILIADE, venir occuper, dans l'assemblée des dieux, le trône qui lui appartient, au centre du sacré palais. Adressant la parole à Jupiter : O toi, dit-il, dont la main puissante est armée de la foudre, qui effraies les mortels par les éclats de ton tonnerre, quel motif te détermine à convoquer l'assemblée des dieux? Un sanglant combat est prêt à s'engager entre les Troyens et les Grecs ; as-tu dessein de nous dévoiler tes éternels décrets? Tu prévois mes conseils , ô Neptune, lui répond Jupiter ; tel est le sujet de cette assemblée. Les hommes sont l'objet de mes plus tendres soins, même lorsqu'ils touchent à leur heure dernière. Assis sur le sommet le plus élevé de l'Olympe, je demeurerai spectateur du combat. Vous tous, dieux et déesses, descendez sur le champ de bataille : que chacun , suivant les mouvements de son cœur, porte secours aux Troyens ou aux Grecs ; car le seul Achille, combattant contre les Troyens, sufiiroit pour dissiper leur armée. Ses seuls regards ont imprimé la terreur dans leurs âmes : je craindrois qu'impatient de venger la mort de son iidele compagnon, il ne détruisît dès ce jour, contre l'ordre du Destin, les murs sacrés d'Ilion/ C H A N T X X. 3i Ainsi parle le fils de Saturne, et il semé la discorde parmi les habitants de l'Olympe. Les dieux se partagent pour marcher au combat. Junon, Minerve, Neptune qui ébranle la terre et l'enveloppe de ses ondes, le dieu du commerce, l'utile Mercure , descendent dans le camp des Grecs. Le boiteux Vulcain les suit de loin ; ses genoux fléchissent sous le poids de son corps, ses yeux farouches roulent sous ses noirs sourcils. L'homicide Mars, Apollon dont le front brille d'une éternelle jeunesse, la chasseresse Diane , Latone , le Xanthe, et Vénus la déesse des jeux et des ris, se dispersent dans l'armée des Troyens. Avant que les dieux se confondissent parmi les mortels, une joie superbe éclatoit dans les yeux des enfants de la Grèce; car Achille, long-temps absent des combats, s'étoit montré. A la vue du terrible fils de Pelée couvert de sa brillante armure, semblable à l'homicide Mars, les Troyens frémissent,leurs membres sont agités : mais quand les habitants de l'Olympe se sont dispersés dans le camp des Grecs et dans l'armée des Troyens, un terrible combat s'engage. Ce fut le salut des Troyens. Du sommet de la haute muraille, du revers du fossé qui la borde, des rives sonores de la plaine liquide, Minerve appelle les Grecs. D'autre 32 L'ILIADE, part, semblable à l'obscure tempête, du haut de la citadelle d'Ilion, et des rives fleuries du Simoïs, l'homicide Mars donne ses ordres aux Troyens : la voix puissante du dieu de la guerre retentit sur les riants coteaux qui bordent cette vaste plaine. Les dieux marchent contre les dieux, et soutiennent le courage des leurs. La Discorde, versant ses poisons, parcourt d'un vol rapide le champ de bataille. Le père des dieux et des hommes, Jupiter, donne par un coup de tonnerre le signal du carnage. Neptune frappe la terre de son trident; l'horrible secousse s'étend du fond des abymes jusqu'aux cimes les plus élevées des montagnes : l'Ida est ébranlé dans ses fondements ; ses sommets sourcilleux sont agités, ses sources nombreuses troublées; la ville de Troie, la vaste plaine que couvrent les vaisseaux des Grecs, tremblent. Le roi des ombres effrayé s'élance de son trône, jette un cri perçant : il craint que la terre n'écroule sous les coups du dieu de la mer, que l'abyme entr'ouvert ne découvre aux dieux et aux hommes ces vastes et lugubres demeures que redoutent les immortels eux-mêmes; tant est grand le fracas, signal de ce combat ! Armé de ses flèches invincibles, Apollon marche contre Neptune, Minerve contre Mars, Junon contre la chasseresse Artémise, sœui' CHANT XX. 33 du dieu qui lance au loin ses inévitables traits , l'utile Mercure contre Latone; le fleuve profond que les dieux nomment le Xanthe, les mortels le Scamandre, est aux prises avec le boiteuxVulcain. Les dieux provoquent les dieux au combat : mais Achille cherche Hector dans la foule des Troyens ; c'est du sang d'Hector qu'il brûle de rassasier l'homicide Mars. Apollon, le sauveur des peuples, suscite contre l'intrépide iils de Pelée le courage moins impétueux du iils d'Anchise. Ayant pris là ressemblance et la voix de Lycaon iils de Priam, il adresse la parole à Énée : Conseil des Troyens, sage Énée, lui dit-il, que sont devenues ces promesses que tu fis, au milieu des festins sacrés, à Priam et à ses iils, de combattre seul le fils de Pelée? Lycaon, répond Énée, pourquoi me contraindre à provoquer au combat l'invincible Achille? Commis à la garde de nos bœufs qui paissoient sur l'Ida, ce héros fondit sur mes troupeaux. J'osai marcher contre lui; une fuite précipitée put àpeine me dérober à ses coups. Achille me chassa de l'Ida, s'empara de mes bœufs, dévasta Lyrnesse et Pédasus.Pour me soustraire à l'impétuosité de son javelot, Jupiter accrut la souplesse de mes jarrets. Sans le puissant secours du maître des dieux, 4. 5 34 L'ILIADE, j'eusse succombé sous les coups d'Achille et de Minerve, qui marchoit devant lui, qui éclairoit son courage, qui lui ordonnoit de précipiter dans les sombres demeures et Léleges et Troyens. Il n'est pas au pouvoir des mortels de résister à l'invincible Achille. Toujours quelque divinité détourne les coups qu'on essaie de lui porter, et dirige son arme meurtrière. Si Jupiter n'inclinoit en sa faveur ces éternelles balances qui décident du sort des mortels, malgré cette armure divine dont il se glorifie, Achille ne remporteroit pas sur moi une facile victoire. Fils d'Anchise et de Vénus, lui répond Apollon, souviens-toi de ton illustre origine. La mère d'Achille est fille d'un dieu marin, du vieux Nérée : le pur sang du dieu qui lance le tonnerre coule dans tes veines. Adresse tes vœux aux immortels, et lance ton javelot sur le fils de Pelée; que d'impuissantes menaces ne t'effraient point. Il dit, et souffle l'ardeur du combat dans l'ame du pasteur des peuples. Couvert de l'airain étincelant, Énée sort des rangs, provoque Achille au combat. Junon, qui ne perd point de vue le fils de Pelée, appelle à grands cris les dieux protecteurs des enfants de la Grèce. O Neptune, ô Minerve, délibérons sur le parti. CHANT XX. 35 le plus convenable dans les circonstances présentes. Je vois Ënée, couvert de l'airain étincelant, marcher contre Achille. Apollon l'envoie. Forçons le fils d'Anchise de se confondre dans la foule des siens; que quelqu'un de nous protège Achille dans ce périlleux combat, et accroisse sa vigueur; qu'Achille sache que les plus puissantes divinités veillent sur ses jours, que de vains fantômes ont fait jusqu'ici et font encore d'inutiles efforts pour éloigner d'Ilion la guerre et le carnage. N'est-ce pas pour défendre Achille contre les efforts des Troyens, qu'abandonnant l'Olympe, nous sommes descendus sur ces rives? Demain il subira le sort que les Parques lui ont filé au moment de sa naissance, quand sa mère le mit au monde : mais s'il n'apprenoit, de la bouche même des immortels, que nous veillons sur ses jours, son courage pourroit être ébranlé, lorsque l'une des divinités protectrices de Troie viendroit se montrer à lui dans le combat; car les hommes ont peine à soutenir l'éclat de la majesté divine, quand elle se manifeste à leurs yeux dans toute sa splendeur. Dissipe ces vaines alarmes, ô Junon, répond le dieu qui ébranle la terre : il n'est ni nécessaire, ni convenable, que nous engagions les dieux protecteurs de Troie dans un combat trop inégal. Placés 36 L'ILIADE, sur un lieu élevé, près de la route battue, laissons les hommes vuider leurs querelles : si Mars ou Apollon nous provoquent, s'ils s'opposent à l'impétuosité du fils de Pelée, s'ils détournent les coups de son javelot, nous combattrons pour lui; nous contraindrons les divinités protectrices des Troyens de remonter sur l'Olympe, de se confondre dans la foule des autres immortels. Ainsi parle Neptune à la verte chevelure, et il conduit Junon sur le tertre d'Hercule, ce tertre que les Troyens élevèrent par le conseil de Minerve, pour soustraire le fils de Jupiter à la fureur du monstre marin qui le poursuivoit dans la plaine. Environnés d'une nue impénétrable aux regards des mortels, Neptune, Junon, et les autres divinités protectrices des enfants de la Grèce, prennent place sur ce rempart. Les dieux protecteurs des Troyens, assis sur les riants coteaux qui bordent le Simoïs, tiennent conseil avec Apollon et Mars, le destructeur des cités. Tous évitent de s'engager dans un périlleux combat; mais Jupiter l'ordonne du haut des nues. Cependant la plaine est couverte de guerriers : l'airain brille, la terre tremble sous les pas des hommes et des coursiers. Deux héros, supérieurs en force et en courage à tous les autres , Enée fils CHANT XX. 3/ d'Anchise, et le divin Achille, s'avancent l'un contre l'autre dans l'espace qui sépare les deux armées. Le panache d'Énée flotte sur son casque pesant; couvert de son vaste bouclier, agitant son javelot,, il menace le fils de Pelée qui marche à sa rencontre , semblable à un lion que provoque un peuple dechasseurs. Le roi des forêts s'avance à pas lents, et semble mépriser l'ennemi : mais à peine un javelot lancé par un bras nerveux l'a-t-il atteint dans le flanc, qu'il s'agite avec d'affreux rugissements ; l'écume découle de ses mâchoires; son œil s'enflamme; il bat ses flancs, s'excite au combat, impatient de donner la mort ou de tomber sous les coups de la troupe nombreuse qui l'environne. Telle l'intrépide valeur d'Achille s'enflamme à la vue du grand Enée qui marche à sa rencontre. Parvenu à la portée du trait, il adresse le premier la parole au fils d'Anchise : O Enée, lui dit-il, qui t'engage à sortir des rangs pour m'exciter à combattre contre toi? Esperes-tu, si tu me donnes la mort, régner sur les Troyens, occuper le trône de Priam? Ce roi sage, constant dans ses desseins, ne paieroit pas ta victoire d'un tel prix; le sceptre appartient à ses enfants. Les Troyens t'ont-ils promis une terre grasse, fertile en bleds, fertile en vins? Un tel succès sera diffi- 38 L'ILIADE, cile à obtenir. Qu'il te souvienne que nous mesurâmes nos forces dans les vallées de l'Ida, quand tu veillois à la garde de tes bœufs. Tu ne trouvas de salut que dans la fuite : tremblant, n'osant te retourner, tu courus cacher ta honte dans Lyrnesse. Aidé de Minerve et de Jupiter, je dévastai cette grande cité, j'emmenai ses femmes captives, les dieux seuls te dérobèrent à mes coups. Ton audace téméraire se flatte aujourd'hui de la même protection; tu ne l'obtiendras point. Cesse de provoquer ma vengeance; recule, confonds-toi dans la foule des tiens : celui-là est insensé qui ne sait prévoir le malheur avant qu'il arrive. Fils de Pelée, lui répond le fils d'Anchise, n'espère pas m'in tim ider par de vaines menaces, comme un enfant. Il me seroit facile de te rendre injure pour injure. Tu n'as point vu ceuxqui m'ont donné l'être, je n'ai vu ni ton père ni ta mère, et cependant nous nous connoissons l'un l'autre; car les actions des dieux et celles des héros sont célèbres par toute la terre. On te dit fils de l'irréprochable Pelée et de Thétis, l'une des nymphes de la mer: je me glorifie d'être fils d'Anchise et de Vénus, Aujourd'hui Thétis ou Vénus, Pelée ou Anchise, pleureront leur fils; car ce combat ne se réduira pas à de vaines menaces comme des jeux d'enfants, CHANT XX. 3o Si tu desires connoître les auteurs de ma race, les faits que je vais te citer sont célèbres par toute la terre. Dardanus fut fils du dieu qui assemble les nuées. .Ce héros fonda l'antique Dardanie, avant que la sainte cité d'Ilion fut habitée par les mortels. Dans ces temps reculés, Dardanus et son peuple occupoient les vallées de l'Ida au double sommet. Il eut un fils, le roi Erichthon, qui devint le plus riche des mortels : trois mille cavales et leurs poulains cueilloient pour lui l'herbe tendre des vallées de l'Ida. Borée devint amoureux de plusieurs ; il les saillit sous la forme d'un superbe étalon à crinière flottante : douze poulines en naquirent, si légères, que, volant dans la plaine, leurs pieds s'élevoient au-dessus de l'extrémité la plus déliée des épis sans les courber, que s'élançant sur le dos de la mer écumeuse, à peine elles effleuroient la surface de l'onde. Tros, qui régna sur les Troyens, et qui leur donna son nom, fut fils d'Erichthon. Il eut trois enfants illustres, llus, Assaracus, et le divin Ganymede, le plus beau des mortels. Les dieux enlevèrent Ganymede, à cause de sa beauté; il assiste maintenant aux festins sacrés, et verse le nectar dans la coupe de Jupiter. Ilus eut un fils, le grandLaomédon. De Laomédon sont issus Tithonus, Priam, Lampus, Clytius, et 4o L'ILIADE, Hicétaon, rejeton de Mars. D'Assaracus naquit Capys; Anchise, fils de Capys, est mon père : de Priam naquit le divin Hector. Tel est mon sang, telle est la tige illustre de ma race. Jupiter accroît ou diminue à son gré la force des mortels ; il leur donne ou leur refuse la victoire; car sa puissance est sans bornes. Mais terminons ces vains propos, marchons au combat. Il est facile de repousser les injures par des injures : la volubilité de la langue égale la légèreté d'un vaisseau de cent rameurs ; les discours sont interminables. Ce que l'un dit, il l'entend de son ennemi. Les combats de parole ne sontpas faits pour nous : c'est ainsi que les femmes exhalent leur colère dans la place publique; le vrai, le faux, les servent également. Tu t'efforces en vain de me dissuader de mesurer nos forces; le javelot décidera notre querelle. Croisons nos armes; attaquons-nous , repoussons avec vigueur les coups que nous nous porterons l'un à l'autre. Il dit, et lance son javelot dans le bouclier d'Achille , qui rend un son éclatant; la pointe aiguë est émoussée : cependant la violence du coup est telle que le fils de Pelée ébranlé fait effort pour éloigner de lui son bouclier, dans la crain te que le javelot d'Enée ne l'ait pénétré. Insensé ! il oublie que les ^présents des dieux sont à l'abri des CHANT XX. 41 atteintes des mortels. L'adroit boiteux forma cet impénétrable bouclier de cinq lames de métal, deux d'airain, une d'or au centre, deux d'étain en dedans ; la lame d'or repousse l'arme meurtrière. Achille lance son long, son pesant javelot : le frêne du Pélion atteint et pénètre le bouclier du iils d'Anchise, dans le cercle extérieur où l'airain est moins épais, les cuirs moins solides ; il le brise avec fracas. Les genoux d'Enée fléchissent; il se courbe,' s'assied sur la terre pour parer le coup mortel ; le javelot d'Achille rase son dos et s'enfonce dans l'arene. La terreur s'empare de l'ame du descendant de Dardanus, un nuage épais de douleur s'étend sur ses yeux : Achille, tirant sa redoutable épée,' fond sur lui avec de grands cris. Le hls d'Anchise se relevé, saisit une pierre énorme que deux hommes, tels qu'ils sont aujourd'hui, souleveroient avec peine : seul il la manie et la lance avec facilité. Vaine tentative! aucune force humaine ne peut rompre ni le casque pesant ni le solide bouclier d'Achille. Le fils de Pelée s'élançant de nouveau eût précipité son ennemi dans les sombres demeures, si Neptune, le voyant en ce pressant danger, n'eût adressé la parole aux immortels. Habitants de l'Olympe , leur dit-il, mon ame e$t émue du péril dans lequel les conseils du dieu 4' $ 42 L'ILIADE, qui lance au loin ses flèches ont engagé le grand Enée. Insensé! il a provoqué Achille au combat, et maintenant il touche aux portes de la mort. Apollon ne lui sera d'aucun secours : l'innocent périt pour le coupable ; le pieux Enée , qui offrit tant de victimes aux immortels, souffre des douleurs aiguës. Volons à son aide ; repoussons loin de lui le trépas : car je craindrois que la mort de ce héros, s'il succomboit sous les coups d'Achille, n'excitât le courroux du fils de Saturne ; l'ordre du Destin n'est pasqu'Enée périsse dans cette guerre cruelle, que la race de Dardanus, que Jupiter aima par-dessus tous les autres enfants qu'il eut des filles des hommes , soit anéantie, que son nom soit effacé de dessus la terre. Les enfants de Priam ont attiré sur eux la haine du dieu qui lance le tonnerre ; il transporte à la branche d'Enée le sceptre d'Ilion : le fils d'Anchise et sa postérité régneront sur les Troyens dans les siècles à venir. O Neptune qui enveloppes la terre de tes ondes, lui répond l'inflexible Junon, prends le parti qui te paroî traie plus digne de ta sagesse; tire Enée de ce pressant danger, ou souffre qu'il périsse par les mains d'Achille : ni Pallas, ni moi, ne volerons à son aide ; car nous avons juré plusieurs fois, à la face de tous les immortels, de ne repous- CHANT XX. 43 ser dans aucun temps la mort de dessus la tête des Troyens, pas même lorsque leur cité aura été réduite en cendres par les enfants de la Grèce. Instruit des conseils de Junon, Neptune s'élance sur le champ de bataille au milieu des javelots , au milieu du tumulte des armes : parvenu sur la sanglante arène où Achille et le fils d'Anchise se disputent la victoire, il étend un nuage épais sur les yeux d'Achille, arrache le pesant javelot du bouclier d'Énée , le dépose aux pieds d'Achille, saisit d'un bras nerveux le /ils d'Anchise, l'élevé au-dessus des bandes armées, au-dessus des coursiers , au-dessus des chars, fend avec lui le vague de l'air, le transporte à l'extrémité de cette plaine sanglante, au lieu où les braves Cauconiens s'arment pour marcher au combat. Se manifestant à ses yeux, il lui parle ainsi : Fils d'Anchise , quelle divinité t'a engagé dans ce téméraire combat contre Achille, plus fort que toi, plus chéri des immortels? Recule devant ce héros; ne t'expose plus à son ardeur indomtable, si tu ne veux descendre avant le temps, contre l'ordre du Destin, dans les sombres demeures. Attends, pour combattre hors des rangs, qu'Achille ait subi son destin, que la Parque ait tranché le fil de ses jours. Prends confiance alors : aucun autre des Grecs ne fe donnera la mort. 44 L'ILIADE, Ayant ainsi dévoilé au fils d'Anchise sa destinée, Neptune l'abandonne , dissipe le nuage qu'il a répandu sur les yeux d'Achille. Le fils de Pelée, promenant autour de lui ses regards étonnés, pousse un profond soupir : O dieux! se dit-il à lui-même, un grand prodige s'offre à ma vue : mon javelot est à mes pieds ; et mes yeux ne peuvent découvrir le mortel que je brûlois de précipiter dans le tombeau. Je pensois qu'Énée s'attribuoit une vaine gloire, quand il se van toit de la protection des dieux ; elle est manifeste. Qu'il fuie, qu'il échappe au trépas ; sans doute il ne tentera plus de me provoquer au combat ; je cours soutenir l'ardeur des Grecs : assez d'autres victimes parmi les Troyens s'offriront à mes coups. Il dit ; et volant de rang en rang , il adresse la parole à chacun des Grecs : Divins enfants de la Grèce, serrez de près l'ennemi, que chacun de vous mesure ses forces contre le Troyen qu'il verra devant lui. Quel que soit mon courage, quelle que soit ma constance, seul je ne pourrois et combattre, et poursuivre cette multitude d'ennemis. Quoiqu'immortels, Mars et Minerve auroient peine à suffire à tant de travaux. K e craignez pas toutefois que mon ardeur se r&~ CHANT XX. 45 lentisse; j'emploierai toute ma force, toute mon intrépidité, toute ma légèreté, pour enfoncer les bandes troyennes : malheur à quiconque tentera de me résister ! Achille exhorte ainsi les siens. De son côté; Hector appelle les Troyens; il leur déclare qu'il marche contre le fils de Pelée : Valeureux Troyens, leur dit-il, qu'Achille ne vous effraie point. Je pourrois, à son exemple, défier les immortels eux-mêmes : cependant je n'essaierois pas de lutter contre les dieux; car leur force l'emporte sur celle des hommes. Achille n'exécute pas tout ce qu'il projette; il met à fin une entreprise, en abandonne une autre, et la laisse imparfaite. Je cours le provoquer au combat : sa force, son ardeur égalassent-elles l'impétuosité de la flamme, fût-il d'acier, je ne le craindrois point. Hector enflamme ainsi le courage des siens. Les Troyens marchent contre les Grecs; les phalanges se confondent : l'air retentit des cris des deux armées. Apollon, s'approchantdu fils de Priam : Hector, lui dit-il, ne hasarde pas de combattre le fils de Pelée. Demeure confondu dans la foule ne t'offre pas à la vue perçante d'Achille; crains les coups de son javelot, crains sa redoutable épée. Ainsi parle le dieu. Hector frémit, recule jus» 46 L'ILIADE, qu'au centre de la phalange. Cependant Achille fond sur les Troyens avec de grands cris. Le brave Iphition, fils d'Otryntès, chef d'un grand peuple, tombe le premier sous ses coups. Ce héros naquit dans la puissante ville d'Ida, au pied du mont Tmolus couvert de neiges; il fut le fruit du commerce secret d'Otryntès avec une nymphe des eaux. Iphition est prêt à-s'élancer sur le fils de Pelée; Achille le prévient, décharge sur sa tête son pesant javelot : les os du crâne sont brisés, la tête partagée en deux portions égales; il tombe avec fracas. Achille triomphe : Fils d'Otryntès, dit-il, le plus lier des mortels, qui naquis dans les marais Gygée, au centre des riches possessions de ton père, près du poissonneux Hyllus et de l'ombragé Hermus, tombe et meurs aux champs troyens. Il dit; et les ombres de la mort s'étendent sur les yeuxd'Iphition : les coursiers des Grecs le foulent aux pieds, les roues de leurs chars broient ses os. Le valeureux fils d'Anténor, Démoléon, s'avance pour le venger : sa témérité est punie; le javelot du fils de Pelée l'atteint dans la tempe, la pointe aiguë perce le casque d'airain trop foible pour le défendre; l'os est brisé, la surface intérieure du casque souillée. Non loin de ce héros, Hipp'oda-» CHANT XX. 47 mas s'élance de son char, et fuit devant Achille ; le javelot du fils de Pelée l'atteint : il expire poussant des cris aussi affreux que les mugissements d'un taureau que de jeunes hommes entraînent à l'autel du dieu qu'on adore dans Hélice; Neptune se plaît à contempler sa victime : aussi effrayants sont les cris d'Hippodamas expirant; son ame s'exhale dans les airs. Près de lui, Polydore tombe sous le javelot d'Achille, Polydore le plus jeune, le plus tendrement aimé des fils du vieux Priam, qui l'emporte sur tous ses frères par la légèreté de sa course. Les ordres de son père le tinrent jusqu'à ce jour éloigné de la sanglante arène : le feu de la jeunesse, une ardeur téméraire, le désir de montrer sa force et sa légèreté, l'entraînèrent dans la mêlée; il combat jusqu'à la mort parmi les plus intrépides. Achille le voit poursuivre les Grecs avec ardeur : plus léger que lui, il s'élance, le frappe par derrière, à l'endroit que défendent les anneaux d'or du baudrier, où la cuirasse est double ; la pointe aiguë pénètre et sort par le nombril; il tombe sur ses genoux, poussant de profonds soupirs ; les ombres de la mortl'environnen t; ses mains défaillantes s'efforcent en vain de retenir ses entrailles. A la vue de son frère étendu sur la poussière, dont les mains glacées soutiennent ses en- 48 L'ILIADE, trailles fumantes, un nuage épais de douleur s'étend sur les yeux du vaillant Hector; il ne peut demeurer plus long-temps confondu dans la foule : agitant son javelot, il s'élance sur Achille avec la rapidité de la flamme. Le fils de Pelée le voit; joyeux, il s'écrie : Celui que j'attendois avec impatience, le meurtrier de mon cher compagnon, qui porta à mon cœur le coup le plus sensible, marche contre moir nous ne nous fatiguerons plus, lui à fuir, moi à le poursuivre dans les sentiersraboteuxde cette plaine sanglante. 11 dit, et lançant sur Hector un regard furieux : Approche, lui dit-il ; crue ta mort satisfasse ma vengeance. Fils de Pelée, lui répond l'intrépide Hector, n'espère pas m'effrayer par de vaines menaces comme un enfant. Je pourrois repousser tes injures par des injures : mais je rends justice à ton courage, et me reconnois inférieur à toi; cependant le sort des combats repose dans le secret des dieux. Quoique plus foible, je peux te percer de mon javelot; il est armé comme le tien d'une pointe aiguë. Il dit; et imprimant à son javelot, par des se* pousses réitérées, un mouvement rapide, il l& CHANT XX. 49 lance sur Achille. Le souffle de Minerve le détourne , le repousse sur le héros qui l'a lancé ; l'arme meurtrière tombe aux pieds du divin Hector. Achille s'élance, fait effort pour le percer : mais Apollon, étendant sur ses yeux une nue épaisse, dérobe Hector à ses coups. Effet de la puissance divine! Trois fois le léger Achille s'élance sur le fils de Priam ; trois fois son javelot ne perce qu'un vain nuage : furieux, il redouble; ses efforts sont inutiles; son courroux s'exhale en ces terribles menaces ; Fuis maintenant, échappe à la faux de la mort, Apollon, que tu invoques avant le combat, te soustrait à ma vengeance; une autre fois si quelque divinité daigne me secourir, tu ne me provoqueras pas impunément : je marche contre les tiens qui fuient devant moi; malheur à celui que je rencontrerai ! Il dit, et lance son javelot sur Dryops, l'atteint au sommet de l'échiné , le renverse à ses pieds , l'abandonne, court réprimer l'impétuosité de Démuchus , fils de Philétor, valeureux combattant, d'une taille gigantesque : la pointe aiguë s'enfonce dans son genou ; Achille le perce de sa redoutable épée ; son ame s'exhale dans les airs. Laogonus et 4- 7. 5o L'ILIADE, Dardanus, deux fils de Bias, fuient, précipités de leurs chars : le javelot d'Achille atteint l'un au loin, tandis que l'autre tombe à ses pieds sous les coups de son glaive. Le fils d'Alastor embrasse ses genoux ; il le conjure de lui laisser la vie : Je suis, lui dit-il, du même âge que toi; renvoie-moi vivant à ceux qui m'ont donné l'être. Insensé ! il ne connoît pas l'inflexibilité du iils de Pelée : en vain il fait effort pour l'émouvoir, en vain il serre de ses mains tremblantes les mains victorieuses d'Achille ; le fils de Pelée les retire avec effort, enfonce le glaive dans son cœur : le sang emplit la vaste cavité de sa poitrine, les ombres de la mort s'étendent sur ses yeux, son ame s'exhale dans les airs. Armé du javelot, Achille s'élance sur Mulius ; la pointe aiguë pénètre l'une et l'autre oreille. De sa lourde épée il fend le crâne d'Echéclus, fils d'Agenor ; un sang noir fume sur le glaive. Echéclus subit sa destinée, ses yeux se ferment à la lumière. Le javelot du fils de Pelée atteint au coude Deucalion, à l'endroit où les muscles et les tendons se réunissent; l'arme meurtrière pénètre jusqu'à la main : immobile , la main pendante, l'infortuné Deucalion attend le coup mortel. Achille élevé son glaive, fait voler sur la poussière cette tête enne- CHANT XX. 5i mie et le casque qui la couvre ; la moelle jaillit à gros bouillons des vertèbres, le tronc sans vie demeure étendu sur l'arène. Le fils de Pelée l'abandonne , marche contre Rhigmus, vaillant fils de Pirée, nouvellement arrivé de la Thrace sa patrie; le javelot d'Achille l'atteint dans le flanc, le renverse de son char. Son écuyer Aréithoûs détourne ses coursiers : le fils de Pelée redouble, l'écuyer tombe, les coursiers fuient effrayés. Tel un vaste incendie allumé dans une immense forêt, poussé par les souffles impétueux des vents, s'étend du sommet desséché des montagnes dans la vallée qu'il couvre de tourbillons de flamme, et des flots d'une épaisse fumée qui s'élèvent jusqu'aux nues: ainsi Achille, semblable à un dieu, armé du redoutable javelot, parcourt cette plaine sanglante, poursuivant les Troyens , portant de tous côtés le carnage et la mort. Avec autant de célérité que les graines sont réduites en poudre par la meule pesante, qu'entraînent dans une aire spacieuse deux vigoureux taureaux attelés au même joug : ainsi les cadavres sanglants, les casques, les boïicliers, les javelots, sont brisés par les coursiers d'Achille. L'aissieu de son char est teint de sang; Je sang jaillit de dessous les pas de ses coursiers ; 52 L'ILIADE, C H A N T XX. l'orbite des roues de son char, le siège, les parties les plus élevées en sont couvertes. La sueur découle de tous ses membres, le sang souille ses invincibles mains : la soif de la gloire vit au fond de son cœur. L'ILIADE, C H A N T XXI. ARGUMENT, Lis Troyens poursuivis par Achille se partagent en deux bandes t Tune fuit vers la ville , l'autre se cache dans les rochers qui bordent le Scamandre. Douze captifs sont destinés par Achille à être immolés sur le bûcher de Patrocle. Mort de Lycaon et d'Astéropéef débordement dufleuvef incendie des forêts voisines ; le dieu du feu contraint ce fleuve orgueilleux de se renfermer dans sesrives; combat entre les dieux, Apollon, sous la forme d'Agenor qu'Achille poursuit avec ardeur, égare le vainqueur ; les Troyens profitent de fér loignement d'Achille pour rentrer dans la ville. / • I , L'ILIADE. CHANT XXI. Combat d'Achille près des rives dujleuve. JtiEPOussÉs sur les rives du grand fleuve, du Xanthe tortueux, né de Jupiter, les Troyens se partagent. Le fils de Pelée poursuit les uns jusqu'aux murs de la grande cité. Tremblants, en désordre , ils fuient par ce même chemin qui, le jour précédent, fut le théâtre des fureurs d'Hector. Pour les livrer au fils de Pelée, et les empêcher de trouver un asyle dans leurs murs, Junon étend sur eux une nue obscure. D'autres sont précipités avec fracas dans le fleuve qui roule ses flots argentés sur un sable mobile : les gouffres profonds, les rives sonores du Scamandre retentissent du bruit de leur chute , de leurs cris douloureux, de leurs longs gémissements. Ils nagent çà et là emportés par les courants, semblables à des sauterelles qui parcourent le vague de l'air, dispersées par les feux allumés dans la plaine ; le tonnerre gronde, la foudre éclate , elles tombent englouties dans le fleuve : 56 L' I L I A D E , ainsi, sous les coups d'Achille, les hommes et les chevaux arrêtent les courants du profond, du rapide, du tortueux Xanthe; ses rives retentissent des cris des mourants. Déposant son javelot sous des bruyères, l'épée à la main, semblable à un dieu, le fils de Pelée s'élance dans le fleuve, frappe de toutes parts ; de longs gémissements se font enT tendre, l'onde est teinte de sang. Tels les poissons fuient devant le dauphin ; tremblants ils se cachent dans les humides retraites de la plaine liquide; le monstre les poursuit dans cet asyle ténébreux, dévore tous ceux qu'il peut atteindre : ainsi les Troyens, entraînés par les courants, emplissentles antres escarpés des roches voisines du Xanthe. Las enfin de carnage, le fils de Pelée choisit douze jeunes hommes de race illustre, dont le sang doit couler sur le bûcher du fils de Mené dus, pour appaiser les mânes de son fidèle compagnon. Tremr blants comme des faons timides, Achille les saisit, se sert de leurs riches baudriers pour leur lier les mains derrière le dos, les entraîne par les plis de leurs tuniques, les livre à ses compagnons qui les conduisent aux vaisseaux : furieux il s'élance de nouveau, recommence le carnage. Le Dardanien Lycaon, fils de Priam, fuit en nageant dans le fleuve; il s'offre le premier à sa vue. Il fut naguère CHANT XXI. 5j son prisonnier. Achille ayant pénétré, pendant la nuit, dans un enclos du vieux Priam, l'y trouva occupé à couper les branches d'un figuier sauvage qu'il destinoit à former les jantes des roues de son char ; il l'emmena captif, l'embarqua >ur ses vaisseaux, le transporta à Lemnos, le vendit au iîls de Jason. L'Imbrien Éétion, lié par les nœuds de l'hospitalité avec Priam, paya sa rançon, l'envoya à Arisbé : échappé furtivement, il est rentré dans le palais de son père. Depuis onze jours il célébroit avec ses amis dans les jeux, dans les fêtes, dans les festins, sa sortie de Lemnos; le douzième il tombe entre les mains d'Achille, qui le précipitera dans les sombres demeures. Il est sans casque, sans bouclier, sans javelot, ayant quitté ses armes pour fuir avec plus de rapidité à travers le fleuve. Le iîls de Pelée le reconnoît, malgré la sueur qui découle de tous ses membres, malgré la fatigue qui l'épuise ; Achille furieux s'écrie : ô dieux! un grand prodige s'offre à ma vue. Sans doute les Troyens ont le privilège de renaître après leur mort, d'échapper à la nuit du tombeau. Cet homme fut vendu par moi dans Lemnos : l'espace immense des mers, barrière insurmontable aux efforts des mortels, n'a pu l'arrêter. Il tombera sous les coups de mon javelot : essayons s'il par4. S 58 L'ILIADE, viendra à se délivrer des portes de l'enfer, si la terre, qui arrête l'impétuosité de tous les mortels, pourra le fixer. Tandis qu'il s'occupe de ces pensées, Lycaon tremblant approche; il le conjure de lui conserver la vie. Déjà Achille levé le terrible javelot. Profondément incliné, le triste Lycaon d'une main eirn brasse ses genoux, arrête de l'autre l'arme meurtrière, dont la pointe demeure enfoncée dans la terre. Divin Achille, lui dit-il, je t'aborde en suppliant; respecte mon infortune. Le jour que tu me fis ton captif dans le domaine de mon père, je partageai avec toi les dons de Cérès. Tu m'entraînas dans Lemnos, loin de ma terre natale, et me vendis le prix de cent bœufs. Tu en obtiendras trois fois au* tant si tu me conserves la vie. La douzième aurore luit à peine depuis mon arrivée dans Troie, ayant beaucoup souffert. Objet de la haine de Jupiter, ma cruelle destinée me remet en tes mains. Sans doute ma mère Laothée, fille du vieux Altée, qui règne dans la haute cité de Pédasus, près des rives du Satnios, sur les Léleges savants dans la marine, me donna une vie de courte durée. Priam choisit Laothée entre les filles de ce roi; il l'épousa, en eut deux fils, destinés à tomber l'un et l'autre sous CHANT XXI. 59 tes coups. Le divin Polydore mon frère, combattant à pied hors des rangs, fut précipité par toi dans les sombres demeures. Le même sort m'est réservé, puisque le Destin me livre en tes mains pour la seconde fois; ta pitié seule peut me préserver du trépas. Ecoute ce que je vais dire; grave-le dans ta mémoire. Accorde-moi la vie; je n'eus pas la même mère qu'Hector qui te ravit ton fidèle compagnon, dont la bonté égaloit l'intrépide valeur. Le fils de Priam implore ainsi la clémence d'Achille. Il en reçoit cette terrible réponse : Insensé ! ne me parle plus de rançon ; mets fin à d'inutiles harangues. Avant que Patrocle succombât à sa cruelle destinée, je me plaisois à épargner les Troyens. Réduits en captivité par les loix de la guerre, je les vendois, et leur permettois de se racheter. Maintenant aucun d'eux, sur-tout aucun des fils de Priam qu'un dieu livrera entre mes mains sous les murs dllion, n'échappera au trépas : cesse de me fatiguer par tes larmes. Celui que j'aimois, Patrocle est mort, Patrocle qui valoit beaucoup mieux que toi. Tu vois quel je suis; tu connois la gloire de mon père; une déesse me conçut dans son sein; mon courage, la majesté qui m'environne, se manifestent à tes yeux : et cependant 6o L'ILIADE, le glaive de la mort est suspendu sur ma tête. Demain, ce soir, peut-être en ce moment, un Troyen me percera de son javelot,.un traître décochera sur moi une flèche meurtrière. 11 dit. Les genoux de Lycaon ne peuvent le soutenir; son cœur est abattu : le javelot du fds de Pelée échappe de sa main, il tombe les bras élevés vers le ciel. Achille, tirant sa redoutable épée, le irappe dans la gorge au-dessus de la clavicule, retend sur la terre couvert d'une profonde poussière qu'il imbibe de son sang. Le prenant par les pieds, Achille l'élevé, le précipite dans le fleuve,, insulte à son malheur: Que l'humide élément, séjour des poissons, soit ton tombeau, dit-il. Ils boiront ton sang : ta mère ne te placera point sur le lit funèbre; ta cendre ne sera point arrosée de ses larmes. Le Scamandre, roulant ton corps dans ses flots tortueux, te portera au sein des mers; les- poissons, déchirant tes membres délicats, bondiront à la surface de l'onde. En vain, ô Troyens, vous essayez m'échapper par une fuite honteuse : je vole sur vos pas ; vous tomberez sous les coups de mon javelot : la terre sera imbibée de votre sang, jusqu'à ce que nous ayons réduit en cendres la grande cité d'Ilion. Ni la largeur de votre fleuve, ni ses circuits tortueux, ni la? CHANT XXL 6i profondeur de son onde argentée, ni les taureaux que vous immolez sur ses rives, ni les coursiers que vous précipitez vivants dans ses ondes, ne vous déroberont à ma haine ; vous périrez tous. Ainsi sera vengée la mort de Patrocle, et celle de tant de héros dont vous avez versé le sang soûs lespouppes de nos vaisseaux, tandis que mon fatal courroux me tenoit éloigné de ces combats meurtriers. 11 dit. Le dieu du fleuve, irrité , médite en luimême par quels moyens il pourra écarter de ses rives le divin iîls de Pelée, et porter secours aux Troyens. Armé du redoutable javelot, Achille s'élance sur Astéropée fils de Pélégonus, que le grand fleuve Axius eut d'un commerce secret avec Péribée, l'aînée des filles d'Acessamene. Achille a vu ce héros s'élancer hors du fleuve; il le poursuit dans la plaine. Astéropée s'arrête ; deux javelots sont dans ses mains. Indigné de cette multitude de Troyens que l'implacable vengeance du fils de Pelée précipite dans ses ondes, le dieu du Xanthe souffle le courage dans l'ame du fils de Pélégonus. Le javelot tendu, l'œil en feu, les deux héros s'avancent l'un sur l'autre. Adressant le premier la parole à son ennemi : Ù toi dont la témérité me provoque au combat, 62 L'ILIADE, s'écrie Achille, qui es-tu? Quelle est ton origine? Malheureux sont les pères dont les iils affrontent mon courroux! Achille, répond Astéropée, que t'importe de connoître mon origine? Je naquis loin de ces rives dans la riche Péonie; je commande aux valeureux Péoniens : les flambeaux de l'aurore ont éclairé onze fois la terre, depuis que je suis arrivé au se^ cours d'Ilion. Le vas te Axius, qui surpasse tous les fleuves par la limpidité de ses ondes, est mon aïeul, Pélégonus son fils me donna le jour. Combattons maintenant, illustre fils de Pelée. Irrité de son orgueil, Achille élevé l'arme meuiv trière. Astéropée lance dans le môme instant ses deux javelots; car il se servoit également des deux mains. L'un atteint le bouclier d'Achille, présent des dieux, et s'arrête dans la lame d'or de ce solide bouclier; la pointe aiguë est émoussée : l'autre effleure la main droite du fils de Pelée; un sang noir coule de la plaie; l'arme meurtrière vole et s'enfonce dans la terre. Impatient de frapper, Achille lance le pesant javelot; il s'égare, s'enfonce profondément dans la rive escarpée. Le fils de Pélé^ gonus fait effort pour s'en saisir; trois fois il l'agite puissamment et ne peut le détacher. Tandis qu'il fente un quatrième effort, Achille plonge son glaive CHANT XXI. 63 dans le flanc de son ennemi. Les entrailles déchirées tombent à terre, les ombres de la mort s'étendent sur ses yeux, son ame s'exhale dans les airs. Le fils de Pelée s'empare de ses armes, et triomphe: Meurs, lui dit-il; apprends qu'il est dangereux aux enfants des fleuves de se mesurer contre les descendants du fils de Saturne. Tu te vantes d'être issu d'un grand fleuve : je me glorifie d'être de la race de Jupiter; Eacus mon aïeul, le pur sang de Jupiter, régna sur les nombreux Thessaliens ; il donna le jour à Pelée mon père. Autant Jupiter l'emporte sur les divinités des fleuves dont les ondes se perdent dans le vaste des mers, autant la race du fils de Saturne l'emporte sur celle des descendants des fleuves. Que le Xanthe, sur les rives duquel tu as combattu, essaie de te venger; ou plutôt qu'il redoute de s'engager dans un périlleux combat contre le fils de Saturne. Quand le tonnerre gronde, que la foudre éclate, le roi des fleuves, l'Achéloùs lui-même frémit, l'Océan tremble, l'Océan dont tous les fleuves, dont toutes les sources, dont tous les lacs tirent leur origine. 11 dit; et arrachant sans peine son javelot enfoncé dans la berge, il laisse le corps sanglant d'Astéropée étendu sur le sable : l'onde baigne sa plaie; les poissons nagent alentour; ils s'abreuvent de 64 L'ILIADE, son sang, se nourrissent de sa chair. Le fils de Pelée s'élance sur les valeureux Péoniens. Ils ont vu tomber leur roi; effrayés, ils parcourent dans leur fuite précipitée les bords tortueux du Xanthe. Achille les poursuit; Thersiloque, Mydon, Astypyle, Mnésus, Thrasius, Anius et Ophéleste, tombent sous ses coups. Grand nombre d'autres eussent mordu la poussière, si la voix du Xanthe irrité ne se fût fait entendre de ses profonds abymes : Cruel Achille! tu abuses de taforce, tu abuses de la protection des dieux. Si le iils de Saturne t'a livré tous les Troyens, si aucun d'eux ne doit échapper à ta fureur, repousse-les dans la plaine; épargne à mes yeux cet horrible spectacle. Mon onde paisible, mes bords riants sont couverts de cadavres : cette digue affreuse arrête le cours de mes flots et m'empêche de porter à la mer le tribut de mes ondes. Fils de Pelée, insatiable de sang, aucun n'échappe à ta vengeance; je ne peux te regarder sans horreur. Roi d'un grand peuple, mets un terme à ton courroux. Divin Scamandre, lui répond Achille, un jour viendra que tes désirs seront satisfaits. En ce moment je ne cesserai de répandre le sang, que je n'aie repoussé les Troyens dans leurs murs, que je n'aie mesuré mes forces contre Hector, qu'il n'ait versé CHANT XXI. 65 tmon sang ou que je ne l'aie abattu à mes pieds. Il dit; et, semblable à un dieu, il s'élance sur les Troyens. Le fleuve profond adressant la parole à • Apollon: O toi, dit-il, que ton arc d'argent distingue entre tous les immortels, fils de Jupiter, est-ce ainsi que tu exécutes les ordres de ton père? Le fils de Saturne te chargea de porter secours aux Troyens, jusqu'à ce que le soleil plongeât dans l'Océan, que la nuit étendît ses voiles sur la terre. . Il parloit encore, quand, du sommet de la rive, Achille, agitant son pesant javelot, se précipite dans les flots. A cette vue le Xanthese trouble : ses ondes amoncelées repoussent sur leurs rives cette foule de morts que le fils de Pelée a immolés à sa vengeance. Mugissant comme un taureau en fureur, le fleuye s'empresse de cacher les Troyens dans les antres qui environnent ses gouffres tortueux ; il en dérobe un grand nombre au trépas. L'onde écumeuse enveloppe Achille, se brise contre son bouclier, s'amoncelle, retombe, l'ébranlé. Un peuplier élevoit sa tête altiere au-dessus des rives du fleuve ; Achille s'en saisit, s'attache à ses branches, l'entraîne avec ses racines et la berge sur laquelle il a crû : son épais feuillage, son tronc, sa tige «levée, son vaste branchage arrêtent l'im4. 9 66 L'ILIADE, pétuosité du Xanthe ; le iils de Pelée s'en serE comme d'un pont pour traverser, non sans effroi, l'onde écumeuse. Le rapide Xanthe le poursuit; il s'élance de ses gouffres profonds, se précipite du sommet des montagnes pour protéger les Troyens. L'impétueux Achille franchit d'un saut léger autant d'espace qu'en parcourt un javelot lancé par un bras nerveux; ses yeux sont aussi perçants, son vol aussi rapide que celui de l'aigle, le plus léger, le plus fort des oiseaux de proie ; l'airain résonne sur son corps. Il combat contre le fleuve qui l'entraîne, fait effort pour gagner la plaine; le Xanthe le poursuit avec un horrible fracas : ainsi l'on voit dans les jardins l'eau d'un étang qu'une pente hardie favorise surmonter les obstacles que les sillons lui opposent, et prévenir l'actif cultivateur qui, la bonde à la main, dirige son cours pour abreuver les fleurs et les fruits que l'ardeur du soleil a desséchés ; les cailloux agités murmurent : telle l'onde écumeuse poursuit et atteint le léger Achille ; car les dieux sont plus forts que les mortels. Quand le fils de Pelée tente de résister à l'impétuosité des torrents, afin d'éprouver si quelque divinité ne viendra point à son aide, si tous les habitants du vaste Olympe ont résolu son trépas, les flots écumeux du fleuve issu de Jupiter s'amoncellent sur CHANT XXI. 67 ses épaules. Lorsqu'épuisé de fatigue il rassemble «es forces pour s'élever à la surface de l'onde , le fond lui manque, le fleuve lui oppose un.obstacle qu'il ne peut surmonter. Elevant les yeux au ciel, poussant de profonds soupirs : Ô Jupiter, dit-il, aucun des immortels ne prendra-t-il pitié de moi, ne me protégera-t-il contre ce fleuve irrité ? Je me soumets à tous les travaux que les dieux voudront m'imposer. Aucun des immortels ne me trompa aussi cruellement que ma mère : «Ta vie sera courte, me disoitThétis; <c Apollon te percera de ses flèches sous les murs « de Troie ». Que n'ai-je succombé sous les coups d'Hector, le plus courageux des Troyens! Un héros m'eût précipité dans les sombres demeures, un héros eût recueilli ma dépouille mortelle. Maintenant, englouti sous les ondes du Scamandre, je péris sans gloire comme un vil pâtre, en traîné dans la saison des pluies par un torrent qu'il ne peut franchir. Il dit. Sous la forme de deux mortels, Neptune et Minerve s'approchent, le soulèvent dans leurs bras, raniment son courage. Le dieu qui ébranle la terre, Neptune, lui adressant la parole : Fils de Pelée, lui dit-il, que l'impétuosité de ce fleuve ne porte pas le trouble dans ton ame : deux 68 L'ILIADE, divinités volent à ton aide; Jupiter approuve nos projets. Prends confiance : je suis Neptune; Minerve m'accompagne. Ce n'est pas dans les ondes du Xanthe que le Destin a fixé le terme de ta vie : tu ne tarderas pas à voir la fureur de ce fleuve se calmer, ses eaux s'écouler. Grave mes conseils dans ta mémoire. Ne cesse de poursuivre l'ennemi que tu n'aies versé le sang d'Hector, et forcé ceux des Troyens qui échapperont au trépas de chercher un asyle dans leurs murs : ne retourne aux vaisseaux que couvert de la gloire immortelle dont nous aurons comblé tes vœux. Ainsi parlent Neptune et Minerve, et ils disparoissentpour se confondre parmi les dieux protecteurs des Grecs. Affermi par cet oracle favorable, le fils de Pelée s'élève au-dessus de la surface de l'onde, et s'élance dans la plaine. Le Scamandre débordé, roulant dans ses flots les armes, les corps sanglants des Troyens, le couvre de ses ondes : ni la rapidité, ni l'énorme largeur de ce fleuve, ne peuvent l'arrêter; Minerve accroît ses forces. La résistance ajoute à la fureur du Xanthe; ses flots s'amoncellent rélevant la voix, il appelle le Simoïs: O mon frère, lui dit-il r réunissons nos forces pour contenir ce héros audacieux, le fléau des Troyens trop foibles pour lui résister : bientôt il C H A N T ' XXL 69 réduiroit en cendres la ville de Priam. "Viens à mon aide, ô mon frère! Que les eaux de toutes les sources qui nous apportent leurs tributs se confon-" dent : rompons leurs digues, épuisons les ruisseaux, tarissons les fontaines; qu'elles emplissent nos vastes canaux, que nos flots accumulés débordent avec un horrible fracas ; déracinons les arbres j entraînons etleurs troncs et les rochers; réprimons l'orgueil de ce mortel qui marche contre Troie avec la fierté d'un dieu. Ni sa beauté, ni sa force invincible, ni sa brillante armure, ne le déroberont à l'impétuosité de nos ondes réunies; je le couvrirai de mes sables; les Grecs ne pourront rassembler ses os surchargés de mon épais limon. Tel esE le trophée que je lui prépare, au lieu du superbe monument que les enfants de la Grèce lui eussent élevé. Il dit. Les ondes écumeuses et sanglantes, roulant les cadavres dans leurs flots azurés, fondent sur Achille avec un bruit affreux, s'élèvent audessus de sa tête, le couvrent en entier. Junon frémit dans la crainte que la rapidité du fleuve ne l'entraîne; la déesse jette un cri perçant. Adressant la parole à son fils Vulcain : Boiteux Vulcain, mon cher fils, dit-elle, levétoi : réprime la fureur du, tortueux Xanthe ; que des 7o L'ILIADE, torrents de flamme sèchent ses flots. J'exciterai une violente tempête: à ma voix le vent d'est, l'impétueux vent du midi, accourant du sein des mers, porteront les feux sur la tête des Troyens, consumeront leurs corps et leurs armes. Qu'un vaste incendie s'étende dans les forêts voisines des rives de ce fleuve ; ne te laisse fléchir ni par prières ni par douces paroles, que tu n'aies rappelle dans leur lit les flots tumultueux: attends, pour éteindre tes feux, les ordres que je te donnerai du sommet des montagnes. Elle dit. Vulcain allume un vaste incendie : des tourbillons de flammes fondent dans la vallée, et consument cette foule deTroyens qu'Achille a précipités dans la nuit du tombeau. La plaine est desséchée; les ondes du fleuve, rappellées dans leur lit, reprennent leur limpidité. Tel, dans la saison de l'automne, le souffle impétueux de Borée dessèche un fertile verger que les orages avoien t inondé, et porte la joie dans l'ame du cultivateur: telle est cette vaste plaine que couvroient les eaux du Xanthe. Vulcain, lançant ses feux sur la surface de l'onde, consume les ormes, les saules, les bruyères, les lotos, les cyprès, les joncs marécageux qui bordent les rives fleuries du Xanthe; les poissons, les folâtres anguilles, qui bondissoient à la surface de CHANT XXL j\ l'onde, dans les replis de ce fleuve tortueux, languissent et meurent. Épuisé par la flamme dévorante de Vulcain, le dieu du fleuve s'écrie : O Vulcain, aucun des immortels ne résiste à ta puissance. Je ne combattrai pas contre tes feux; appaise ton courroux : que le divin Achille chasse dès ce jour les Troyens de leur puissante cité, je cesse de les défendre ; j'abandonne un combat trop inégal. Ainsi parle ce fleuve consumé par les feux de Vulcain. Ses ondes bouillonnent comme la graisse d'un porc enfermée dans un vase d'airain qu'enveloppe la flamme d'un brasier entretenu par une immense quantité de bois sec ; telles brûlent les rives du Xanthe, telle son onde frémit et bouillonne. Son cours est ralenti : pénétrées par la force indomtable du feu, ses eaux s'exhalent en vapeurs. Il adresse à Junon cette humble prière : O Junon, quel forfait m'a attiré la haine de ton fils? qui l'engage à suspendre le cours de mes ondes ? Mon crime est-il plus grand que celui des autres divinités protectrices des Troyens? Je les abandonne puisque tu l'exiges : que Vulcain cesse de me poursuivre ; je te promets avec serment que mes utiles secours ne déroberont plus les Troyens au trépas, lors même que les enfants de la Grèce 72 L'ILIADE, réduiront en cendres la puissante cité d'Ilion. Il dit. Se confiant aux promesses du dieu du fleuve, Junon aux mains d'albâtre, adresse la parole à son fils : O Vulcain, généreux enfant auquel j'ai donné le jour, arrête : un dieu ne doit pas être tourmenté ainsi pour des mortels. Elle dit. Vulcain éteint ses feux : le fleuve resserré dans son lit parcourt en paix ses rives brillantes. Junon, ayant domté l'impétuosité du Xanthe, cimente, malgré la haine qu'elle porte aux Troyens, un heureux accord entre ce dieu et son fils Vulcain. Cependant l'affreuse Discorde règne parmi les habitants de l'Olympe. Les deux bandes des divinités protectrices des Grecs, protectrices des Troyens, se lèvent avec précipitation, marchent l'une contre l'autre : la terre gémit sous leurs pas ; le son éclatant de la trompette retentit sur la voûte éthérée. Assis au sommet de l'Olympe, Jupiter entend ce bruit affreux ; la division qui règne entre les immortels porte la joie dans son ame. Un court espace sépare les deux partis. Mars, dont le bras d'airain brise les boucliers, donne le premier le signal du combat. Le javelot tendu, il s'élance sur Minerve, adressant à la déesse ces reproches amers ; CHANT XXI. 73 Audacieuse divinité, qui semés ladiscorde parmi les dieux, est-ce par de tels exploits que tu prétends signaler ton courage? Qu'il te souvienne des conseils impies que tu donnas à Diomede iils de Tydée. Ton bras dirigea le javelot qu'il lança sur moi. J'ai cette confiance que tu porteras en ce moment la peine due à tes forfaits. Il dit, et s'efforce de percer la terrible égide qu'environnent des franges innombrables, que la foudre même de Jupiter ne peut pénétrer. La déesse ébranlée recule, saisit d'un bras nerveux une roche noire, raboteuse, d'un poids énorme, enfoncée profondément dans la terre, borne antique des héritages ; lançant ce roc avec force, elle atteint dans l'échiné le dieu de la guerre : il tombe renversé; son corps couvre sept arpents, sa vaste, chevelure est souillée, l'horrible fracas de ses armes retentit au loin. Minerve triomphe : Insensé, dit-elle, reconnois enfin la supériorité de mes forces. Telle est la peine que t'imposent les furies vengeresses que ta mère invoqua dans sa colère, le jour qu'abandonnant le parti des Grecs, tu secourus les perfides Troyens, Elle dit, et détourne ses yeux étincelants de fureur, Vénus, la fille de Jupiter, s'approche de l'homicide Mars qui a peine à respirer : lui tendant 4. 10 74 L'ILIADE, la main, elle rappelle ses esprits, le relevé, l'emmené. Junon les voit fuir; adressant la parole à Minerve : Fille du dieu qui lance le tonnerre, lui dit-elle, l'adultère Vénus soustrait l'homicide Mars au tumulte des armes; poursuis-les, ô ma fille ! Elle dit: la joie éclate dans les yeux de la déesse de la sagesse; elle vole sur les pas de Vénus et de Mars, comprime de sa main puissante le sein de la déesse de la beauté : les genoux de Vénus fléchissent, elle tombe évanouie, et Mars à ses côtés, étendus l'un et l'autre sur la terre nourrice des mortels. Que tous les dieux protecteurs des Troyens, qui combattent contre les magnanimes enfants de la Grèce, s'écrie la superbe Minerve, ne sont-ils aussi courageux, aussi patients qu'Aphrodite, qui, bravant mon courroux, est accourue au secours de Mars ! Depuis long-temps nous eussions ravagé la grande cité d'Ilion et mis fin à cette guerre. Elle dit : la déesse aux bras d'albâtre, Junon, sourit. Neptune qui ébranle la terre, adressant la parole à Apollon : Apollon, lui dit-il, demeurerons-nous spectateurs oisifs de ces combats? Il seroit honteux pour nous de remonter dans le palais d'airain de Jupiter, C H A N T XXI. 75 sans y avoir pris part. Commence ; car tu es le plus jeune. Ayant sur toi l'avantage d'une longue expérience, la victoire seroit peu glorieuse, si je lançois le premier mon javelot. Insensé ! ne te souvient-il plus des maux que seuls entre tous les immortels nous souffrîmes dans cette cité perfide ? Exilés de l'Olympe par l'ordre de Jupiter, nous fûmes contraints de louer nos services pour une année à l'injuste Laomédon. Nous convînmes de prix avec lui. Soumis aux ordres de ce mortel, je lui bâtis la ville qu'il fondoit, j'élevai ses remparts, mes mains construisirent la haute muraille qui l'environne, je la rendis inexpugnable, tandis que, sous l'habit d'un vil pâtre, tu veillois à la garde de ses bœufs dans les profondes vallées et les vastes forêts de l'Ida. Quand les saisons, les mois, les heures furent révolues, que l'époque de notre paiement fut arrivée, le perfide Laomédon nous refusa le salaire qui nous étoit dû, nous chassa de sa présence, osa te menacer de resserrer tes pieds et tes mains en d'indignes fers, de te vendre comme un vil esclave dans une terre étrangère, de nous mutiler ignominieusement l'un et l'autre. Enflammés d'un juste courroux, privés du salaire qui nous fut promis, une fuite honteuse fut notre récompense ; et maintenant tu protèges ce 76 L'ILIADE, peuple, et refuses de te joindre à nous pour exterminer les perfides Troyens, leurs femmes, leurs enfants! ô Neptune, répond le dieu qui lance au loin ses invincibles traits, je ne serois pas sage à tes yeux, si l'intérêt de vils mortels, qui, semblables aux feuilles des arbres, brillent d'un éclat passager, se nourrissent un jour des dons de Cérès, se flétrissent le lendemain et disparoissent de dessus la terre, m'engageoit dans un périlleux combat contre toi : terminons ces débats, souffrons que les hommes se détruisent sans nous mêler de leurs querelles. Il dit, et reprend le siège qu'il a quitté; car il craint de lutter contre son oncle Neptune. Sa sœur là chasseresse Artémise lui adresse ces reproches amers : Tu fuis, ô Apollon, abandonnant à Neptune une trop facile victoire ! le dieu de la mer triomphe de toi sans combat ! Lâche ! quitte cet arc, brise ces flèches inutiles dans tes mains ; cesse de te vanter, comme tu faisois autrefois dans le palais de notre père, en présence de tous les immortels, de combattre seul le dieu de la mer, de réprimer ses fureurs. Elle dit. Apollon fuit sans lui répondre. La* C H A N T XXI. j7s respectable épouse de Jupiter, que ce discours irrite, adresse à la chasseresse Artémise ces dures paroles: Audacieuse déesse, qui oses lever contre moi • l'étendard de la révolte, ni ton arc ni tes flèches ne. pourront te soustraire à ma vengeance. Si Jupiter, te donna la force du lion, poursuis au sommet des montagnes les cerfs, les daims timides; précipite les mortels dans les sombres demeures ; telles sont les limites de ton pouvoir: mais n'entreprends pas de disputer la victoire à des divinités plus puissantes que toi. Que dis-je? ose l'essayer, ose mesurer tes forces contre les miennes. Elle dit ; et saisissant d'une seule main les deux mains de la déesse, de la droite elle la contient, de la gauphe elle détache son carquois, meurtrit ses joues, l'outrage avec un rire moqueur. Les flèches de Diane tombent éparses sur la terre ; elle fuit versant des larmes ameres : telle une timide colombe fuit à l'aspect de l'épervier, heureuse de trouver, quand son heure fatale n'est point arrivée, un asyle dans l'antre obscur d'une roche profonde ; ainsi fuit Artémise éplorée, abandonnant son arc et ses flèches. Témoin de ce combat, le messager des dieux, Mercure, adresse la parole à Latone: 7% L'ILIADE, Latone, lui dit-il, je n'essaierai pas de lutter contre toi ; il est dangereux de disputer la victoire aux épouses du dieu qui assemble les nues. De retour sur l'Olympe, vante-toi, si tu veux, à la face des immortels, que ton bras a triomphé de mon courage. : Il dit. Latone, rassemblant dans la poussière les flèches de sa fille que le vent a dispersées, les replace dans le carquois, suit sa fille sur l'Olympe dans le palais d'airain de Jupiter. Honteuse, désespérée , Artémise embrasse les genoux de son père : des larmes ameres coulent de ses yeux ; ses fréquents soupirs agitent le voile immortel qui la couvre. Son père, le fils de Saturne, la serrant dans ses bras, l'interroge avec un doux sourire: Ma chère fille, lui dit-il, lequel des habitants de l'Olympe a osé t'outrager, comme si tu avois commis quelque éclatant forfait? Ton épouse, ô Jupiter, lui répond la chasseresse Artémise, Junon aux mains d'albâtre, qui semé la discorde entre les dieux. Tels sont leurs entretiens dans le palais de Jupiter. Cependant Apollon pénètre dans Ilion ; car il craint que dès ce jour, contre l'ordre du Destin, les Grecs ne renversent la haute muraille de Troie. Les autres divinités remontent sur l'Olympe : les CHANT XXI. 79 unes irritées et confuses, les autres triomphantes; toutes prennent place autour du trône du dieu qui lance le tonnerre. Mais Achille poursuit les Troyens dans la plaine : hommes et chevaux tombent sous ses coups. Semblables aux tourbillons de fumée qui s'élèvent dans le vague de l'air, de l'incendie d'une grande cité, effet terrible du courroux des dieux; tels, sous les bras d'Achille, les travaux, les douleurs accablent les Troyens. Du sommet de la haute tour d'Ilion, le vieux Priam voit l'indomtable fils de Pelée qui poursuit les siens dans la plaine : aucune force humaine ne peut le repousser. Effrayés, ils se précipitent en foule sur les portes, cherchant un asyle dans leurs murs. Priam, poussant de profonds soupirs , se hâte de descendre de la tour pour donner ses ordres aux gardes des portes. Tenez, leur dit-il, les portes ouvertes, jusqu'à ce que l'armée que le fils de Pelée resserre sous nos remparts, soit à l'abri de nos murailles ; car je prévois un affreux carnage. Quand les Troyens égarés, poursuivis par Achille, commenceront à respirer, fermez les portes, abaissez les leviers ; ajoutez à leur solidité, dans la crainte que ce terrible ennemi ne les brise. Il dit. Les gardes relâchent les leviers, les portes 8a L'ILIADE, s'ouvrent. Ce fut le salut des Troyens. Apollon vole à leur aide. Accablés de poussière, essoufflés, haletants, dévorés d'une soif ardente, ils fuient: Achille les poursuit le javelot tendu, la fureur dans l'ame. Dès ce jour les Grecs se fussent emparés de la ville de Priam, si le dieu qui lance au loin ses flèches invincibles n'eût suscité contre eux le fils d'An ténor, le vaillant Agénor. Appuyé contre le grand chêne, couvert d'une nuée épaisse, Apollon souffle dans l'ame de ce héros un intrépide courage ; il est à ses côtés, repousse les coups que les mains pesantes d'Achille s'efforcent de lui porter. A la vue du fils de Pelée, le destructeur des cités, le fils d'Anténor s'arrête : diverses pensées semblables aux flots de la mer se combattent dans son esprit ; il soupire : Malheureux! se dit-il à lui-même, si je m'efforce de fuir par cette route que couvre un peuple immense de Troyens effrayés, le fils de Pelée m'atteindra ; il me percera de son javelot sans éprouver de résistance; ma mort sera honteuse. Si, me séparant de la foule, j'abandonne les murailles de Troie, traversant la plaine d'une course rapide , cherchant un asyle dans nossomr^e^vallées, dans les sentiers tortueux de l'Ida, j'étancherai ma soif dans le fleuve, et rentrerai dans la ville quand la «r CHANT XXI. 81 nuit couvrira le ciel de son ombre. De quelles pensées s'occupe mon esprit ! Achille me verroit fuir; il fondroit sur moi, m'atteindroit par la rapidité de sa course : je ne pourrais échapper au trépas ; car il est le plus léger, le plus fort des mortels. Qu'armé du pesant javelot, j'ose marcher contre lui sous les murs de ma patrie, je pourrai le prévenir. En ce moment Jupiter lui donne la victoire : mais il n'a qu'une vie ; on dit qu'il est mortel comme nous. Il dit; et 6e retournant, il attend Achille de pied ferme. Soncourage s'enflamme : combattre Achille, vaincre ou mourir, est l'objet de ses vœux. Telle, au fond d'un bois épais, une panthère furieuse, intrépide, s'élance sur une troupe de chasseurs ; les flèches, les longs épieux, les pesants javelots, fondent sur elle ; ses blessures accroissent sa fureur ; de toutes parts elle présente aux ennemis et des ongles crochus et une gueule enflammée, jusqu'à ce qu'enveloppée elle tombe sous leurs coups:ainsi le valeureux iîls d'Anténor, le javelot tendu, couvert de son vaste bouclier, tient ferme, impatient de combattre Achille. Élevant la voix, il l'appelle : O Achille, lui dit-il, tu te flattes du vain espoir de dévaster en ce jour la puissante cité des Troyens. Insensé ! des maux que tu ne prévois pas t'attendent dans ces murs; des peuples nombreux, 4- 11 82 L'ILIADE, C H A N T XXI. de vaillants guerriers combattront sous les yeux de leurs femmes, de leurs enfants, dont le désespoir accroîtra la fureur : malgré ton intrépidité, tu trouveras la mort sous nos remparts. Il dit; et lançant le pesant javelot, il atteint Achille à la jambe au-dessous du genou; la pointe aiguë heurte avec fracas l'étain solide des immortels brodequins: mais les présents des dieux lui résistent. Achille fond sur le divin Agénor. Apollon ne souffre pas qu'il remporte la victoire ; enveloppant d'un nuage épaisle fils d'Anténor, il le dépose dans un asyle sûr, loin des fureurs de la guerre, et écarte, par un adroit stratagème, le fils de Pelée des murs de Troie. Prenant la forme, la taille, les traits, la ressemblance d'Agénor, le dieu qui lance au loin ses flèches fuit à travers la plaine : Achille poursuit l'image trompeuse de son ennemi. Apollon hâte ou ralentit sa course, suivant qu'il le juge convenable pour fortifier l'espoir du fils de Pelée, accroître son ardeur, le fatiguer dans les contours du tortueux Scamandre. Cependant les Troyens effrayés se précipitent en foule dans la ville ; la terreur ne leur permet ni de s'attendre, ni de se reconnoître : tous ceux que la fuite a dérobés au trépas, saisissent avec transport la voie de salut qui leur est offerte ; ils se répandent dans la grande cité d'Ilion. L" I L I A D E. C H A N T XXII. ARGUMENT. L i seul Hector demeure hors des murs de Troie. Priam et Hécube font de vains efforts pour lui persuader de rentrer dans la ville. Il attend Achille de pied ferme : mais bientôt mis en fuite par le fils de Pelée, il est contraint de parcourir jusqu'à trois fois toute l'enceinte extérieure des murailles de sa patrie. Jupiter suspend ses éternelles balances ; le destin d'Hector se précipite : le dieu qui règne sur l'Olympe ordonne à Apollon dfabandonner la sanglante arcne. Minerve t sous la forme de Déiphobus, frère d'Hector, lui persuade de provoquer Achille au combat ; et aussitôt la déesse l'abandonne pour secourir Achille* Mort d'Hector : Achille le traîne autour des murs d e Troie, et de là dans le camp des Grecs. Deuil affireux dans Troie* ^^§^^^^^^^^^^^^^^^^^m^ J ; Jlimle i.Mint XXIf >„ >. ••' )-> i> "y > (me {jJi>tj\* t/wwfc//** ftatir tiff thiwttrw , /<> </uw £}<\*â>j* -tirl /omh-*; Jhfkf /iar rcmptr •y-.;-,. •KJ.-5 1 *Mr->- :*} >;#*»i- ~ • » î 353 L'ILIADE. CHANT XXIL Hector poursuivi par Achille fait trois fois le tour des murs de Troie, et tombe sous les coups du fis de Pelée. . • I à N D I S que les Troyens fuient comme des faons timides ; que, resserrés dans leurs murs, défendus par leurs remparts, ils étanchent leur sueur, appaisent leur soif ardente : les Grecs, portant leur?! boucliers sur leurs épaules, marchent à grands pas» contre Troie ; déjà ils sont aux pieds des remparts* Hector seul, enchaîné par son funeste destin, demeure hors des muFS, devant là porte Scée. En ce& instant Apollon se découvre à Achille. Fils de Pelée, lui dit-il, quelle aveugle confiance dans la rapidité de ta course t'attache sur mes pas? Je suis un dieu : f ai dérobé ma divinité à ta vue mortelle pour donner le change à ta fureur* Les Troyens, qui fuyoient devant toi, sont maintenant en sûreté dans leurs murailles. Cesse de te 86 L'ILIADE, flatter d'un vain espoir : la mort n'a point de prise sur moi. Divinité cruelle entre tous les immortels, répond le léger Achille poussant un profond soupir, ô Apollon qui lances au loin tes invincibles traits, si cette fatale erreur ne m'eût écarté des remparts, grand nombre de Troyens eussent mordu la poussière avant de se renfermer dans leurs murs. Tu m'enlèves une gloire immortelle ; à l'abri du danger , tu remportes sur moi une facile victoire : je me vengerois s'il étoit en mon pouvoir. Il dit ; et méditant de grands projets, il vole contre Troie avec autant de rapidité qu'un coursier vigoureux, vainqueur dans les combats du cirque, s'élance sous le char qu'il entraîne : tel Achille développe avec souplesse et légèreté ses jarrets nerveux. Le vieux Priam l'apperçoit le premier dans la plaine. L'éclat qui l'environne le fait aisément reconnoître : ainsi brille sur la voûte éthérée, pendant les nuits d'automne, l'astre brûlant qu'on nomme le chien d'Orion ; les rayons qu'il darde effacent la splendeur des étoiles, sinistre présage des feux de l'été, des fléaux prêts à fondre sur les malheureux mortels : tel l'airain dont le fils de Pelée est couvert brille pendant cette course rapide. A cette vue le vieux Priam meurtrit ses joues, CHANT XXIÏ. Z7 pousse de profonds soupirs, élevé ses mains au ciel, appelle son fils, le vaillant Hector, qui, impatient de se mesurer contre Achille, se tient devant la porte Scée. Étendant vers Hector ses bras défaillants, Priam lui parle ainsi : Hector, mon cher fils, n'entreprends pas seul, séparé des tiens, de combattre Achille. La mort seroit la peine de ta témérité ; car le fils de Pelée est plus fort que toi. Si les dieux conspiroient avec ma haine, bientôt nous le verrions, étendu sur l'arène, devenir la proie des vautours : mon cœur seroit soulagé du poids énorme qui l'accable. Le cruel ! il me ravit tous mes valeureux enfants, versa le sang des uns, vendit les autres dans une terre étrangère. En ce moment mes regards ne peuvent découvrir parmi les Troyens errants dans cette vaste cité deux de mes fils,Lycaon et Polydore, que j'eus de Laothée, la plus belle des femmes. S'ils existent captifs dans le camp des Grecs, je n'épargnerai ni l'or ni l'airain pour les racheter ; car les immenses trésors que l'illustre Altée donna à sa fille sont renfermés dans mon palais. S'ils habitent les sombres demeures, leur mort sera pour moi, pour leur tendre mère, une source éternelle de larmes, moins funeste toutefois, moins douloureuse aux Troyens que la tienne, ô mon £d$ 88 L'ILIADE, Hector, si tu tombois sous le javelot d'Achille : Rentre dans nos murs ; défends les Troyens et leurs chastes épouses ; redoute le terrible javelot du fils de Pelée, ne souffre pas qu'il remporte une telle victoire. Prends pitié de ton malheureux père courbé sous le poids des ans, que le fils de Saturne précipitera bientôt dans la nuit du tombeau. Dans peu la Parque cruelle tranchera le fil de mes jours ; épargne à mes yeux l'affreux spectacle de la mort de mes fils, de la captivité de mes filles, de nos lits profanés, des fils de mes enfants écrasés contre la pierre dans ce carnage affreux, des épouses de mes fils réduites à l'esclavage, entraînées avec violence par les enfants de la Grèce ; tandis que , percé d'un javelot ou d'une flèche homicide, expirant dans l'enceinte de mon palais, les chiens, que je nourris de ma table, qui veillent à l'entrée de l'auguste demeure des rois, dont la soif assouvie de mon sang accroîtra la rage, rassasiés de mes membres qu'ils auront déchirés , dormiront en paix aux portes de mon palais. La mort est glorieuse pour un jeune héros qui balance la victoire dans un sanglant combat, et succombe sous le javelot de l'ennemi. Que lui importe que sa dépouille mortelle demeure sur le champ de bataille? tout est honorable pour lui. Mais un vieillard in- CHANT XXII. 89 fortuné, à qui il reste à peine quelques cheveux blanchis par les ans, dont le menton porte des marques trop sensibles de l'injure du temps, tombant sans défense sous l'airain meurtrier, traîné sur la poussière, déchiré par les chiens qu'il a nourris, est un spectacle affreux, horrible image des maux les plus cruels qui accablent les humains. . Il dit, arrache ses cheveux épars, et ne peut ébranler l'intrépide Hector. Sa mère déchire ses vêtements, verse des larmes abondantes, lui montre le sein qui l'a nourri. Hector, mon cher fils, lui dit-elle, que cet affreux et trop véritable tableau des maux prêts à fondre sur nos têtes fasse impression sur ton esprit. Prends pitié de moi qui te nourris de mon lait, qui éloignai la douleur de ton berceau. Reconnoissant des soins que je pris de ton enfance, rentre dans nos murs,protège nos remparts;n'entreprends pas seul, sans secours, de provoquer au combat ce redoutable ennemi. Cruel Hector ! si Achille te donne la mort, ni ta mère qui te conçut dans son sein, ni ta tendre épouse qui t'apporta une riche dot, n'arroseront de leurs larmes ton lit fiinebre. Loin de nos murs, dans les vaisseaux des 4. 12 9o L'ILIADE, Grecs, ton corps sera la proie des chiens et des vautours. Ainsi Hécube sa mère, ainsi le vieux Priam, versent des larmes ameres, le conjurant de rentrer dans Troie. Leurs efforts sont inutiles ; ils ne peuvent le fléchir. Seul devant la porte Scée, il attend l'invincible fils de Pelée, qui déjà est près de lui. Tel, à l'entrée de son antre, un énorme dragon, repu des plantes vénéneuses, lançant de terribles regards, étale les contours tortueux de sa queue immense aux yeux du laboureur qui se dispose à le percer; tel Hector, couvert de son vaste et éclatant bouclier, intrépide, impatient de combattre, appuyé contre la haute tour d'Hion, tient ferme, attend le fils de Pelée. Poussant de profonds gémissements, il se dit à lui-même: O dieux! quelles affreuses alternatives s'offrent à ma pensée ! Si, rentrant dans la ville, je me mets à l'abri de nos remparts, je crains les justes reproches de Polydamas, qui me conseilla de profiter, pour ramener les Troyens dans leur ville, des ombres de cette nuit affreuse pendant laquelle le divin Achille s'est réveillé. Je fus sourd aux conseils de Polydamas ; mon imprudence fut la cause du carnage des Troyens; ils me feront des reproches , hélas! trop mérités. Je redoute les larmes de CHANT XXII. 91 tant de veuves désolées. Le plus vil des Troyens s'élèvera contre moi, insultera à ma témérité : « Hector, dira-t-il, se confiant dans ses forces, a <c causé la ruine d'un grand peuple. » Ils parleront ainsi. Combattre Achille, mourir avec gloire de la main de ce héros, défendant ma patrie, ou rentrer vainqueur dans nos murs, ayant délivré la grande cité de Troie , ce parti est sans doute préférable. Suspendant mon inutile bouclier, déposant ce casque pesant, ayant appuyé mon javelot contre la muraille, irai-je au-devant d'Achille lui promettre de rendre au fils d'Atrée Hélène et les trésors que les vaisseaux de Paris apportèrent dans Troie, première cause de cette guerre cruelle ? m'engagerai-je à partager avec les Grecs toutes les richesses renfermées dans les murs de cette grande cité? contraindrai-je nos vieillards d'assurer avec serment qu'aucune portion de ce riche butin n'a été détournée? Mais pourquoi m'occuper de ces vaines pensées? Hector aborder Achille en suppliant! Le mépris que je lui inspirerois étouiferoit la pitié dans son ame. Sans attendre que je me couvrisse de mes armes, il me perce roi t de son javelot comme une femme craintive. Ce n'est plus le temps de parler de paix, de s'entretenir sous le chêne ou sur la pierre, comme un jeune berger et 92 L'ILIADE, sa timide compagne: marchons au combat; éprouvons auquel des deux le dieu qui règne sur l'Olympe accordera la victoire. Tandis que ces pensées se succèdent dans son esprit, Achille approche, semblable à l'homicide Mars, agitant le terrible javelot du Pélion : son vaste bouclier brille autour de lui comme un feu ardent, ou comme les rayons du soleil levant. À la vue du fils de Pelée, la terreur s'empare de l'âme d'Hector; il n'ose demeurer dans le poste qu'il a choisi, près des portes de la grande cité : effrayé , il fuit. Achille se confiant dans sa légèreté, dans la souplesse de ses jarrets, le poursuit avec ardeur. Tel, au sommet des montagnes, l'épervier, le plus vite des oiseaux, se précipite sur une foible colombe ; avec une égale rapidité Achille poursuivant Hector parcourt toute la vaste enceinte des murailles de Troie. S'élançant dans la route frayée parles chars, au-dessous de la colline couverte de figuiers sauvages qui joint les murs d'Ilion, lieu propre à une embuscade, les deux héros parviennent au tertre qui domine sur la ville, au grand chêne ] au superbe aqueduc qui porte les eaux du fleuve dans cette grande cité. où deux rameaux émanés du Scamandre tortueux emplissent deux fontaines : l'une d'eau chaude ; une noire fumée CHANT XXII. 93 l'environne, semblable à celle qui s'élève à gros bouillons d'une fournaise ardente : une onde aussi limpide, aussi froide que la grêle, la neige ou la glace, s'écoule par l'autre source. De vastes et superbes bassins de marbre reçoivent ces eaux : les filles, les épouses des Troyens y lavoient dans le temps de la paix, avant l'arrivée des Grecs, les superbes vêtements de leurs pères, de leurs époux. Achille poursuivant Hector, qui fuit devant lui d'une course rapide, parvient en ce lieu : un héros fuit devant un héros plus léger, plus intrépide. Ce n'est point à de vils trophées qu'ils aspirent ; une victime destinée aux sacrifices, une ample peau de bœuf, prix ordinaire des courses dans les combats du cirque, ne sont pas les objets de leur vaine ambition : le fils de Friam défend sa vie contre l'impétueux fils de Pelée. De même que, dans ces luttes célèbres par lesquelles on honore les funérailles des héros, de vigoureux coursiers, vainqueurs dans un grand nombre de combats, parcourent avec rapidité la carrière tracée ; un trépied d'or, une belle captive attendent dans l'arène l'écuyer le plus adroit, le coureur le plus léger; de même Achille et Hector font trois fois, avec une incroyable rapidité, le tour de la vaste enceinte dllion. Assis au sommet de l'Olympe, les immortels contemplent 94 L'ILIADE, cette lutte dangereuse. Le père des dieux et des hommes leur adresse la parole : Divinités qui assistez à mes conseils, dit-il, je vois fuir un héros cher à mon cœur. Je plains le malheur d'Hector qui brûla sur mes autels les cuisses de tant de victimes, tantôt au sommet escarpé de l'Ida, tantôt dans l'enceinte de ce temple qui m'est consacré dans la citadelle d'Ilion. Le divin Achille le poursuit; il parcourt avec lui les murs de la ville de Priam. Dieux de l'Olympe , aidez-moi de vos conseils : lui prêterai-je le secours de mon bras pour qu'il échappe à la mort ? souffrirai-je que son intrépidité soit domtée par Achille ? O mon père, qui manies la foudre et assembles les nues, quelle parole est sortie de ta bouche ! répond Minerve : tu sauverois du trépas un mortel dévoué à la mort depuis long- temps, dont l'heure fatale est arrivée ! Que tes volontés suprêmes aient leur exécution : mais n'espère pas faire approuver tes projets par les autres immortels ! Rassure-toi, ô Minerve, fille chère à mon cœur, lui répond Jupiter : telle n'est pas ma pensée ; te complaire est mon seul désir : hâte-toi d'exécuter ce que ton esprit te suggère. 11 dit, et accroît l'impatience de la déesse qui C H A N T XXII. o5 se précipite du sommet de l'Olympe. Cependant Achille poursuit Hector ; il le presse ; il est près de l'atteindre. Tel, au sommet des montagnes, un limier vigoureux poursuit dans la profondeur de la vallée, dans les défilés tortueux d'une vaste forêt, un faon timide qu'il a lancé, qui s'efforce en vain de se cacher dans un épais taillis ; le limier furieux suit ses voies, le contraint d'abandonner l'asyle où il s'est réfugié : aussi vains sont les efforts d'Hector pour échapper à la poursuite du fils de Pelée. Autant de fois que, protégé par les flèches et les javelots que les Troyens lancent du sommet de leurs tours, le fils de Priam essaie d'approcher des portes d'ilion, autant de fois Achille, bordant les remparts, l'éloigné des murs de sa patrie, le repousse dans la plaine. Telles fuient devant nous ces images trompeuses que les songes offrent à notre pensée pendant le silence de la nuit ; en vain nous faisons effort pour les saisir, elles s'en volent: ainsi Hector fuit devant Achille ; lefilsde Pelée ne peut l'atteindre; et cependant il n'eût pas échappé long- temps au trépas, si Apollon ne fût venu à son aide pour la dernière fois. Ce dieu ne quitte point Hector : pour précipiter sa fuite et accroître le ressort de ses jarrets, tantôt il le précède et tantôt il le suit. A la vue de cette course rapide, 96 L'ILIADE, l'armée des Grecs n'ose lancer sur Hector ni flèches ni javelots. Jaloux de porter les premiers coups, le divin fils de Pelée les contient par ses regards. Trois fois les deux héros ont parcouru la vaste enceinte des murs d'Ilion ; ils atteignent de nouveau l'aqueduc et les fontaines. En ce moment le père des dieux et des hommes suspend ces balances d'or qui décident de la vie ou de la mort des humains. Soutenant dans un parfait équilibre le fléau de l'éternelle balance, il place dans l'un des bassins la destinée d'Achille, dans l'autre la destinée du vaillant Hector ; le destin d'Achille s'élève jusqu'aux nues, celui d'Hector se précipite dans les enfers. Apollon l'abandonne. Minerve s'approchant d'Achille lui parle ainsi : Fils de Pelée, chéri de Jupiter, conçois un juste espoir de retourner triomphant dans les vaisseaux des Grecs, ayant vaincu cet Hector qui ne pouvoit se rassasier de combats. En vain Apollon se prosterne aux pieds du dieu qui porte l'égide, Hector n'échappera pas à nos coups. Suspends , pour prendre haleine, ta course rapide : je m'approcherai d'Hector ; je lui inspirerai la téméraire pensée de te provoquer au combat. Ainsi parle Minerve : Achille obéit. Joyeux de CHANT XXII. 97 se mesurer contre Hector, il s'arrête appuyé sur sa lancePrenant la forme et la voix de Déiphobus, la déesse s'approche du iils de Priam : Mon respectable frère, lui dit-elle, le léger Achille a épuisé ses forces à te poursuivre autour de nos remparts : osons le combattre ; nous nous soutiendrons l'un l'autre, Déiphobus, répond le grand Hector, de tous mes frères, enfants d'Hécube et de Priam, tu fus dans tous les temps le plus cher à mon cœur: maintenant je conçois pour toi une nouvelle estime. Tandis que les autres, renfermés dans nos murs , m'abandonnent, tu vois le péril, et oses sortir de nos remparts pour voler à mon aide. 0 mon cher frère ! répond Minerve, mon père, ma respectable mère, mes compagnons, embrassoient mes genoux, s'efforçant de me retenir; car tous frémissent à la vue du fils de Pelée : mais, éloigné de toi, mon ame étoit accablée de douleur. Marchons à l'ennemi ; combattons ensemble , que nos javelots fondent sur Achille ; éprouvons si, nous donnant la mort à l'un et à l'autre, il emportera dans ses vaisseaux nos dépouilles sanglantes, ou s'il tombera lui-même sous tes coups. 4. i3 98 L'ILIADE, Ainsi parle Minerve ; et pour l'entraîner plus sûrement dans le piège qu'elle lui tend, elle marche contre Achille. Adressant la parole au iîls de Pelée : Achille, lui dit Hector, trois fois tu m'as vu parcourir la vaste enceinte de la ville de Priam ; mon dessein est changé : ce n'est point dans la fuite que je cherche mon salut; combattons ; que l'un de nous deux périsse. Mais prenons les dieux à témoins de notre traité ; ils veillent sur nos actions et punissent les parjures. Si Jupiter m'accorde la victoire, si je te donne la mort, je m'abstiendrai de mutiler ton corps ; je m'emparerai de tes armes, et rendrai ta dépouille mortelle aux enfants de la Grèce : promets d'en agir de même envers moi. Achille le regardant avec iîerté : Hector, lui dit-il, il n'est plus temps de rappeller nos anciens traités. Les lions n'en font point avec les hommes y les loups avec les agneaux; furieux, ils s'élancent sur eux et les déchirent : ainsi point d'accord , point de traité entre nous ; que l'homicide Mars se rassasie du sang du vaincu. Rappelle ton ancienne valeur; c'est en ce moment que tu dois te montrer un héros : déploie toute la vigueur de ton bras ; il n'est plus pour toi de salut dans la CHANT XXII. 99 fuite. Puisse Minerve diriger les coups de mon javelot ! puisses-tu subir enfin la peine due à tes forfaits ! Ainsi seront vengés tant de valeureux compagnons que tu m'as ravis, dont la perte afflige mon cœur. Il dit, et imprimant à son javelot un mouvement rapide, il le lance : le grand Hector prévoit le coup, se courbe et l'évite ; la pointe aiguë, volant au-dessus de sa tête, s'enfonce dans la terre. Invisible au fils de Priam, Minerve arrache le javelot, le remet aux mains d'Achille. Hector lui adressant la parole : Divin Achille, lui dit-il, ton javelot s'est égaré : Jupiter ne t'avoit pas dévoilé ma destinée. Quand ta bouche m'annonçoit le trépas, c'étoit un piège adroit : tu avois dessein de m'efFrayer par de vaines menaces pour me faire oublier mes forces et me percer par derrière. N'espère pas me voir fuir devant toi. Frappe-moi dans la poitrine, si un dieu dirige ton javelot : mais pare d'abord le coup que je vais te porter. Fléau de ma patrie, puisse mon arme s'enfoncer dans ton cœur ! Ta mort allégeroit pour les Troyens le pesant fardeau de cette guerre. Il dit ; et agitant son javelot, il le lance avec force. L'arme meurtrière vole sans s'égarer,atteint IOO L'ILIADE, le centre du bouclier d'Achille ; mais repoussée par l'immortel bouclier, elle recule d'un espace proportionné au mouvement qui lui est imprimé. Furieux de l'inutilité du coup qu'il a porté, confus , les yeux baissés, Hector s'arrête : il n'a point d'autre javelot. Appellant Déiphobus : 0 mon frère, lui dit-il, donne-moi ton javelot. Mais le faux Déiphobus a disparu. Reconnoissant le piège dans lequel il est enveloppé, il s'écrie : O Dieux, c'est maintenant qu'il est manifeste que vous m'abandonnez , que vous m'appeliez, dans les sombres demeures. Déiphobus, que j« croyois près de moi, est enfermé dans nos murs: Minerve m'a induit en erreur. La mort est à mes cotés, je ne peux l'éviter : ainsi l'ordonnèrent, dans les temps les plus reculés, Jupiter et Apollon aux flèches légères, à qui je fus cher autrefois „ qui voloient d'eux-mêmes à mon aide, qui écartaient la faux de la mort suspendue sur ma tête. Maintenant le Destin me poursuit ; mon heure fatale est arrivée ; je le sais : mais je ne périrai pas sans gloire ; je ferai en mourant de grandes choses ; la Renommée les transmettra aux races futures. 11 dit, eE tirant la longue et pesante épée qu'il porte suspendue à son baudrier, il s'élance sur CHANT XXII. 10.1 Achille : tel un aigle fond, du sein d'une nue obscure , sur un foible agneau ou sur un lièvre timide qu'il emporte dans ses serres crochues ; ainsi Hector, armé du glaive étincelant, fond sur Achille. Furieux, la rage dans le cœur, le fils de Pelée recule , se couvre de son impénétrable bouclier, ouvrage de Vulcain : son casque d'airain, à quatre pans, agité par les mouvements alternatifs de sa tête, répand au loin une éclatante lumière; le superbe panache qui le surmonte, les aigrettes d'or dont le divin artiste l'a orné, flottent au gré des vents. Balancée par ses mains nerveuses, la pointe aiguë répand au loin une lumière aussi vive que celle de l'étoile du soir, le plus éclatant des astres qui brillent sur l'horizon pendant le calme de la nuit. Méditant la mort de son ennemi , Achille parcourt d'un œil avide de sang toute l'étendue du corps d'Hector, cherchant un foible intervalle où l'arme meurtrière puisse pénétrer ; car la solide armure qu'Hector a ravie au fils de Mené dus le couvre en entier. Appercevant un foible vuide, à l'endroit où le casque s'unit à la cuirasse, au-dessus de la clavicule, où la blessure est plus dangereuse, la mort plus prompte, furieux, il s'élance, frappe Hector en cet endroit. La pointe aiguë pénètre ; et cependant le canal io2 L'ILIADE, de la voix n'est pas intercepté. Le fils de Pria m tombe étendu sur la poussière. Achille triomphe et s'écrie: A O Hector, mon fatal courroux t'a induit en erreur: tu te flattois que Patrocle n'auroit point de vengeur. Insensé ! il étoit dans les vaisseaux des Grecs un bras plus puissant que le tien, sous les coups duquel tu succombes maintenant. Les Grecs feront aux mânes de mon compagnon de superbes obsèques ; ton corps sera la proie des chiens et des vautours. Je levé vers toi mes mains défaillantes, lui répond d'une voix foible , entrecoupée , le vaillant Hector; je te conjure, par ton ame généreuse , par ton père, par la déesse ta mère, de ne pas permettre que mon corps soit, dans les vaisseaux des Grecs, livré aux chiens et aux vautours. Recois l'or, l'airain, immense rançon dont mon père et ma respectable mère rachèteront ma dépouille mortelle ; rends-leur ce corps sanglant ; ne m'envie pas les honneurs que me rendront les Troyens et leurs chastes épouses. Jetant sur lui un regard furieux : Perfide, lui répond Achille, n'espère pas m'émouvoir par de vaines prières ; en vain tu rappelles à mon esprit le souvenir de ceux qui me sont les plus chers î CHANT XXII. io3 puisse-je, pour te punir des maux que tu m'as faits, pour assouvir ma vengeance, dévorer moimême tes entrailles ! N'espère pas qu'une main secourable écarte les animaux carnassiers qui déchireront tes membres. Quand ceux à qui tu dois le jour m'oiFriroient dix et vingt rançons, quand ils me promettroient d'immenses trésors, tout l'or du Dardanien Priam ne sufïiroit pas pour te racheter. Jamais ta tendre mère n'arrosera de ses larmes ton lit funèbre : les chiens et les vautours se partageront ta dépouille mortelle. Je te connois, ô Achille, lui répond Hector mourant, et ne m'étois pas flatté du succès de mes vœux, car ton cœur est d'acier : mais crains d'attirer sur toi le courroux des dieux. Un jour viendra qu'une flèche meurtrière, décochée par Paris, dirigée par Apollon, te perçant sous la porte Scée, réprimera ta fougue impétueuse. Ayant ainsi parlé, les ombres de la mort s'étenden t sur ses yeux ; son ame, abandonnan t ses membres , pénètre dans le royaume dePluton, murmurant contre l'ordre du Destin qui la sépare d'un héros, dans la force de l'âge, brillant de toutl'éclat de la jeunesse. Meurs, s'écrie le divin Achille témoin de son dernier soupir, meurs ; et que la Parque tranche le io4 L'ILIADE, fil de mes jours, quand Jupiter et les autres divinités l'ordonneront : je me soumets sans regret à leurs éternels décrets. Il dit ; et arrachant son javelot, il entraîne le corps d'Hector vers l'armée des Grecs, et il détache l'armure sanglante qui couvre les épaules du fils de Priam. Les Grecs accourent en foule, admirant la beauté, l'air martial empreint sur le front d'Hector ; il n'est aucun d'eux qui ne lui fasse quelque blessure. O mes amis, se disent-ils l'un à l'autre, nous abordons maintenant avec moins de. danger cet Hector qui porta la flamme dans nos vaisseaux. Ils parlent ainsi, et enfoncent leurs javelots dans son corps. Le léger, le divin Achille reprend l'immortelle armure. Debout au milieu des bandes nombreuses des enfants de la Grèce, il s'écrie: O mes amis, chefs et conseils de la nation des Grecs, puisque les dieux ont livré en nos mains ce héros, qui seul accabla les Grecs de plus de maux que tous les Troyens ensemble, couverts de nos armes, donnons dès ce moment l'assaut à la ville de Priam ; essayons si les Troyens oseront nous résister, ou si, n'ayant plus Hector à leur tête , ils abandonneront leurs remparts. Mais de quelles pensées s'occupe mon esprit? Étendu C H A N T XXII. io5 dans ma tente, un héros est privé de la sépulture. Patrocle, dont l'image vivra dans mon cœur tant que j'existerai parmi les mortels, tant que mon ame régira mes organes, Patrocle dont le souvenir m'accompagnera dans les sombres demeures, n'a point encore reçu le tribut de nos larmes. Empressonsnous de rendre à mon fidèle compagnon les honneurs qui lui sont dûs. Enfants de la Grèce, chantez ma victoire, retournons à nos vaisseaux, reportant au camp le corps d'Hector : oc Une gloire « immortelle nous est assurée ; le divin Hector <c est tombé sous nos coups , Hector, à qui les « Troyens adressoient leurs vœux comme à un « dieu.» Il dit ; et exerçant sur le fils de Priam une indigne vengeance, il lui fait une large et profonde plaie, qui s'étend depuis la cheville jusqu'au talon, sépare les nerfs et les tendons, y introduit de solides courroies, à l'aide desquelles il le suspend à l'aissieu de son char. La tête d'Hector est imprégnée de poussière. Achille s'élance sur son char ; d'une main il soutient et élevé la brillante armure, de l'autre il anime ses coursiers avec le fouet : dociles à la main qui les guide, ils traînent le corps d'Hector autour des remparts de Troie. Sa tête roule sur la terre, sa noire chevelure est éparse : l 44 io6 L'ILIADE, ce front, autrefois plein de grâces et de majesté, est couvert de poussière ; Jupiter l'a livré à ses ennemis pour qu'il éprouvât cet indigne traitement dans sa terre natale : ses joues sont meurtries, sa tête est empreinte dans la fange. Témoin de ces outrages, la mère d'Hector t Hécube, arrache ses cheveux ; jetant des cris perçants, elle repousse loin d'elle le voile éclatant qui la couvre. Priam désolé fait entendre au loin ses sanglots lamentables. Les peuples accourent en foule, versant des larmes ameres ; leurs cris douloureux retentissent dans la grande cité d'Ilion, comme si un vaste incendie, allumé dans la citadelle de Troie, réduisoit en cendre cette grande ville. Les peuples s'empressent autour du vieux Priam, font effort pour contenir les mouvements impétueux de sa douleur. Il veut sortir pour implorer la pitié d'Achille ; il se roule dans la poussière, adressant d'humbles prières à chacun de ceux qui s'opposent à son passage : Arrêtez, ô mes amis, leur dit-il ; cessez de m'objecter ce que je dois à ma gloire, ce que je dois à ma sûreté. Souffrez que je pénètre seul dans le camp des Grecs, que j'essaie d'émouvoir ce terrible vainqueur : peut-être il respectera mes cheveux blancs ; peut-être aura-1-il compassion de ma vieillesse» C H A N T XXII. 107 Achille a un père. Le vieux Pelée prit soin de son enfance ; il 1 éleva pour le malheur des Troyens, et sur-tout pour le mien. Le cruel ! il a comblé la mesure de mes maux. Il m'a ravi mes fils ; tous, à à la fleur de l'âge, sont tombés sous ses coupa. Mais la douleur que me cause la perte de tous les autres n'égale pas l'affliction dont m'accable la mort du seul Hector ; elle me suivra jusques dans les demeures de Pluton. Que n'a-t-il succombé entre nos bras ! nous eussions arrosé de nos larmes sa dépouille mortelle ; nous nous fussions rassasiés de nos pleurs, sa mère et moi, sa mère qui le mit au monde pour le malheur. Il parle ainsi, versant des larmes ameres. Les Troyens pleurent autour de lui ; les échos répètent leurs longs gémissements. Hécube, environnée des femmes troyennes, ouvre un deuil affreux : Quel est l'excès de mon malheur, dit-elle. Ô mon cher fils, que me sert la vie après t'avoir perdu? Hector, que je me glorifiois nuit et jour d'avoir mis au monde ; Hector, le rempart de Troie, le puissant protecteur des Troyens et des Troyennes , qui t'honoroient comme un dieu quand ils te voyoient revenir du combat ; Hector, la gloire de ton pays, tu succombes sous ta cruelle destinée! io8 L'ILIADE, Elle parle ainsi, versant un torrent de larmes. L'affreuse nouvelle n'est point encore parvenue aux oreilles de la veuve d'Hector : aucun n'est entré dans son palais pour lui faire un récit, hélas! trop véritable ; elle ignore que l'intrépide courage de son époux l'a retenu hors des portes de la ville. Retirée au fond de sa demeure, occupée à tresser un grand voile dont elle nuance avec art les couleurs} la triste Andromaque ordonne en ce moment aux femmes captives de placer sur le feu un grand trépied, de préparer un bain chaud pour Hector, quand il reviendra du combat. Infortunée ! elle ne prévoit pas l'inutilité de ses soins; elle ne sait pas que Minerve a percé son époux par les mains d'Achille. Les cris des Troyens, le tumulte qui règne sur la tour, parviennent enfin à ses oreilles : ses genoux* fléchissent, les fuseaux tombent de ses mains ; elle appelle ses femmes : O mes compagnes, leur dit-elle, que deux d'entre vous me suivent : je cours découvrir la cause de cet affreux tumulte. La voix de ma respectable belle-mère est parvenue jusqu'à moi; mon cœur en a tressailli ; mes genoux ont fléchi : sans doute quelque nouvelle calamité accable les fils de Priam. Dieux, détournez ce funeste présage ! je tremble qu'Achille, interceptant à l'inr CHANT XXII. 109 trépide Hector le chemin de la ville, ne l'ait poursuivi hors de nos murs, qu'il ne l'ait atteint, qu'Hector ne se soit engagé dans un périlleux combat contre le fils de Pelée, que la fougue impétueuse de mon époux n'ait été réprimée : car Hector ne fut jamais confondu dans la foule ; il s'élancoit hors des rangs ; aucun ne pouvoit lui être comparé. Elle dit, et furieuse, palpitante, elle se hâte de sortir du palais ; ses femmes la suivent. Elle perce la foule, monte sur la haute tour d'Ilion : plongeant sur la plaine, elle voit Hector que les coursiers d'Achille entraînent aux vaisseaux des Grecs, l'ayant roulé dans la poussière autour des remparts de Troie. A cette vue un épais nuage de douleur s'étend sur ses yeux; elle tombe renversée, expirante. Les réseaux, les bandelettes qui parent son front, cette tresse brillante qui noue sa chevelure, ce voile éclatant que lui donna Vénus, le jour que, vainqueur de ses rivaux, Hector l'emmena du palais de son père, comblée de riches présents, sont emportés loin d'elle ; ses compagnes,, ses sœurs, les filles, les épouses des fils de Priam l'environnent, la soutiennent dans leurs bras : la mort est l'objet de ses vœux. Rappellant uo L'ILIADE, enfin ses esprits, un foible souffle s'exhale de ses lèvres par sanglots entrecoupés : Hector, dit-elle, malheureuse ! une même destinée présida à notre naissance : à la tienne dans Troie, dans le palais de Priam ; à la mienne dans Thebes, dans l'ombragée Hypoplacie, dans le palais d'Éétion qui éleva mon enfance. Père infortuné d'une fille plus malheureuse, falloit-il me donner le jour ! O mon cher Hector ! dévoués l'un et l'autre à l'infortune, tu descends dans les sombres demeures, et me laisses veuve dans ce palais et un fils au berceau, unique fruit de notre hymen. Hector est mort ; il ne sera plus ton défenseur, ô mon fils ! Quand tu échapperois à la cruauté des Grecs, à l'affreux carnage de cette guerre, source de tant de larmes, tu ne seras point l'appui de la vieillesse de ton père. Les travaux, les douleurs t'attendent; d'injustes ravisseurs s'empareront de tes biens ; tel est le sort d'un malheureux orphelin. Ses compagnons , ses égaux le méprisent: baissant les yeux, les joues baignées de larmes, il aborde en tremblant les amis, les compagnons de son père ; tire l'un par le manteau, l'autre par la tunique. Celui-ci, touché d'une stérile pitié, approche la coupe de ses lèvres, verse dans sa CHANT XXII. m bouche une goutte de liqueur qui les baigne, sans arroser son palais. Celui-là, fier de l'appui des auteurs de ses jours, le repousse avec mépris, le meurtrit de coups, l'accable d'injures : « Retirées toi, lui dit-il, ton père ne partage plus nos Ees« tins». Ce malheureux enfant se retire en silence ; versant des larmes, il se jette dans les bras de sa mère, veuve d'un héros. O Astyanax ! assis sur les genoux de ton père, tu te nourrissois de la moelle la plus pure ; tu te rassasiois de la graisse des agneaux. Lorsque, fatigué de tes jeux enfantins, le sommeil fermoit tes paupières, tu reposois sur un duvet moelleux, dans les bras de ta nourrice; ton cœur nageoit dans la joie : maintenant, privé de ton invincible père, les douleurs seront ton partage. Astyanax ! les Troyens te donnèrent ce nom ; car le seul Hector repoussoit l'ennemi de cette grande cité. O mon cher Hector î une affreuse nudité est maintenant tout ce qui te reste dans les vaisseaux des Grecs, loin de ton père, loin de ta respectable mère. Quand les chiens et les vautours se seront rassasiés de ton corps sanglant, tes membres épars seront la pâture des vers, tandis que de belles tuniques, de superbes vêtements, de somptueux tapis, ouvrage des femmes, t'attendoient lia L'ILIADE, CHANT X X I I . dans ton palais. Inutiles maintenant, puisqu'ils ne serviront pas à te délasser de tes travaux, je les livrerai aux flammes, à la vue des Troyens et des Troyennes ; ils orneront le vain simulacre de ta pompe funèbre. Elle parle ainsi, versant des larmes ameres : ses femmes pleurent autour d'elle. L I L I A D E. CHANT XXIII. i5 ARGUMENT. fait à Patrocle de superbes obsèques. Il immole sur le bûcher les douze jeunes hommes qufil a dévoués aux mânes de son compagnon } il y joint des chevaux, des chiens, de nombreuses victimes. Les obsèques achevées f il ouvre les jeux funèbres. Diomede est vainqueur dans la course des chars f Ulysse à la course légère, d'autres héros en divers genres d'escrime. Ayant rempli avec exactitude les rits accoutumés, il dissout rassemblée. ACHILLE ^ag^s^màgfeys^^ ^ ^ jiiiHlo Chut x x i u . ^ ^ = ^ ^ — , % () nu m / ,// (l,vonii'li t'A Y- ^~~<itroe/c -J'.' Luit <v att>' /<" t<- f>rtn>u,> .Il L'ILIADE. CHANT XXIII. Funérailles de Patrocle, terminées par les combats du cirque. Prix distribués aux vainqueurs par Achille, G E deuil affreux règne dans Troie : cependant l'armée des Grecs approche du camp et des rives de l'Hellespont ; les enfants de la Grèce se répandent dans leurs tentes et dans leurs vaisseaux. Mais Achille ne souffre pas que les Thessaliens se dispersent: adressant la parole à ses compagnons: Valeureux Thessaliens, mes chers compagnons, leur dit-il, ne détachons pas nos coursiers ; qu'attelés à nos chars, ils ornent la pompe funèbre de Patrocle ; car telle est la gloire des morts. Nous étant acquittés de ce triste devoir, nous goûterons tous les douceurs du festin. Il dit. Les Thessaliens arrivent en foule, poussant de profonds gémissements : Achille préside à la pompe funèbre. Montés sur leurs chars, ils font iiô* L'ILIADE, trois fois le tour de la tente du fils de Pelée où repose le corps de Patrocle : Thétis, au milieu d'eux r les anime par ses lugubres accents ; des larmesabondantes coulent de leurs yeux ; le sable en est imbibé, leurs armes en sont inondées ; ils pleurent le grand Patrocle, artisan de terreur. Étendant ses mains victorieuses sur le corps de son fidèle compagnon, le fils de Pelée lui adresse le premier ces plaintives paroles : O mon cher Patrocle, j'ai accompli tout ce que je te promis ; que ton ame en ressente quelque consolation dans les sombres demeures. Je traîne à tes pieds le corps d'Hector destiné à repaître les: chiens et les vautours : douze enfants des Troyens que j'ai fait mes captifs, dévoués à la mort pour venger ton trépas, seront immolés par mes mains sur ton bûcher. Il dit ; et méditant les affronts qu'il prépare à la: dépouille mortelle du grand Hector, il le laisse étendu sur la poussière, au pied du lit funèbre de son fidèle compagnon. Les nombreux Thessaliens. dépouillent leurs brillantes armures d'airain, détellent leurs coursiers : assis à l'entrée de la tente et du vaisseau du léger descendant d'Eacus, ils préparent le repas funèbre. Des bœufs d'une éclatante blancheur Eombent en mugissant sous le fer CHANT XXIII. 117 meurtrier : des moutons bêlants, des chèvres plaintives, des porcs engraissés, sont offerts aux mânes de Patrocle ; les soies des porcs craquent sous la flamme deVulcain; le sang ruisselle autour du lit funèbre. Cependant les rois, chefs de l'armée des Grecs, environnent Achille, l'entraînent à la tente d'Agamemnon \ malgré la tristesse qui l'accable. Le roi des hommes, Agamemnon, ordonne aux hérauts de placer sur le feu un immense trépied et son vase : tous s'efforcent d'engager Achille à laver dans le bain le sang desséché qui souille son corps, ses armes, ses vêtements ; il les refuse avec constance, et joint à ce refus la religion du serment; Que Jupiter, dit-il, le plus grand, le meilleur des dieux , soit témoin de mes promesses. Je n'accepterai point en ce moment vos soins officieux, je ne me permettrai pas de purifier mon corps par le bain, que je n'aie placé sur le bûcher la dépouille de Patrocle, que je n'aie élevé un monument à sa gloire, que coupant mes cheveux, je ne les aie consacrés aux mânes de mon fidèle compagnon : car jamais, tant que j'existerai sur la terre, une égale douleur ne percera mon cœur de ses pointes aiguës. Réparons maintenant par la nourriture nos forces abattues ; préparons le repas du n8 L'ILIADE, soir : que demain, au lever de l'aurore, le roi des hommes, Agamemnon, ordonne à l'armée d'aller dans la forêt couper et transporter au camp le bois nécessaire au bûcher qui consumera les déplorables restes de Patrocle, et le précipitant loin de nos yeux dans l'éternelle nuit, lui ouvrira le séjour des ombres. Acquittés de ce triste devoir, les peuples reprendront leurs travaux accoutumés. Il dit. Tous obéissent; ils s'empressent de réparer par la nourriture leurs forces abattues : la concorde, la douce égalité règne dans ce festin. Quand le besoin du boire et du manger est appaisé, ils se séparent pour se renfermer dans leurs tentes. Le fils de Pelée, poussant de profonds gémissements, demeure étendu sur le rivage de la mer, à l'endroit où le sable est lavé par les flots. Une troupe nombreuse de Thessaliens l'environne. Épuisé par la course rapide qu'il a faite en poursuivant Hector autour des murs de Troie, le doux sommeil, qui calme les douleurs de tous les mortels, vient enfin fermer ses paupières. En ce moment l'ombre de l'infortuné Patrocle s'offre à sa vue : ce sont ses yeux, sa taille, le son de sa voix, sa tunique, les vêtements qu'il portoit pendant sa vie. S'arrêtant sur la tête d'Achille, l'image de Patrocle lui parle ainsi : C H A N T XXIII. 119 Tu dors, fils de Pelée, et m'oublies î tu me prodiguois tes soins quand j'existois parmi les mortels , tu me négliges après mon trépas. Hâte - toi d'enfermer mon corps dans la tombe pour me donner accès dans le palais de Pluton ; car des spectres affreux, de pâles ombres, me repoussent des rives du Styx, ne souffrant pas que je traverse avec elles le fleuve des enfers. Donne-moi ta main, que je l'arrose de mes larmes. Quand la flamme aura consumé ce qui reste de mortel en moi, il ne me sera plus permis de sortir du séjour des morts. Assis sur un tendre gazon ou dans l'intérieur de ta tente, nous ne tiendrons plus ces conseils secrets dans lesquels, hors de la présence de nos chers compagnons, nous jouissions d'une mutuelle confiance. Le cruel destin qui présida à ma naissance m'accable maintenant. La même destinée t'attend , ô Achille ; tu mourras comme moi sous les murs de Troie. Mais écoute ce que je vais dire ; satisfais le vœu le plus cher à mon cœur : que mes os ne soient pas séparés des tiens. Ensemble nous fumes élevés dans ton palais ; nous ne nous quittâmes point depuis le jour que Ménétius m'amena à Phthie, dans ma tendre jeunesse, fuyant Opunte, ma patrie, à cause du meurtre involontaire du fils d'Amphidamas, que je commis dans i2o L'ILIADE, les jeux de l'enfance. Pelée me reçut avec bonté, m'éleva avec soin, m'attacha à ton service. Qu'une même urne renferme et nos cendres et nos os , cette urne d'or que te donna ta respectable mère. Qu'étoitil besoin, ô mon cher compagnon, lui répond le valeureux fils de Pelée, qu'abandonnant le séjour des morts, tu vinsses m'apporter ces ordres ? ils seront pleinement exécutés : repose-toi sur ma vigilance. Mais arrête quelques instants ; prends place à côté de moi, ne te dérobe pas à mes embrassements : goûtons la triste consolation de confondre nos larmes. Il dit, et s'efforce de le serrer dans ses bras : mais il ne peut le saisir ; semblable à la fumée, l'ombre s'échappe et rentre dans la terre avec des sifflements affreux. Achille effrayé se levé avec précipitation : frappant des mains, versant des larmes ameres, il s'écrie : O mes amis ! ainsi donc , quand l'esprit de l'homme est réuni à l'éternelle substance, son ame survit au trépas : de vaines images des mor-r tels habitent le palais de Plu ton. L'ombre plain-» tive du malheureux Patrocle s'est offerte à mes yeux, pendant le silence de la nuit: je l'ai vu tel qu'il fut pendant sa vie ; il m'a donné ses ordres ; je me hâte de les exécuter, CHANT XXIII. 121 Il dit. Les larmes coulent de leurs yeux en abondance : leurs cris, leurs sanglots retentissent au loin. Ils pleuroient encore le malheureux Patrocle, quand l'Aurore aux doigts de rose se montra sur l'horizon. Cependant le roi des hommes, Agamemnon, parcourt les tentes des Grecs, presse le départ des mules et de leurs conducteurs, ordonne d'aller à la forêt, d'abattre, de transporter les arbres nécessaires à la construction du bûcher. Un héros est à leur tête, Mérion, l'écuyer du magnanime Idoménée. Ils partent, armés de cognées tranchantes, propres à abattre et à fendre le bois, pourvus de forts cordages artistementployés. Les mules les précèdent, marchant d'un pas ferme et lent, grimpant, descendant, gravissant les sentiers raboteux de la forêt. Parvenus au sommet de l'Ida, les cimes élevées des chênes tombent sous les coups des haches ; la terre retentit de leur chiite pesante : dispersés dans la forêt, ils lient sur le dos des mules et les branches et la tige épaisse des chênes. Chargées de ce lourd fardeau, les mules font effort pour percer les buissons, et affermir leurs pas dans ces routes escarpées; les travailleurs portent les souches : ainsi l'ordonne Mérion, l'écuyer du magnanime Idoménée. Rangés par ordre sur le rivage de la mer, au lieu qu'Achille 4. \6 122 L'ILIADE, a destiné au superbe monument qui doit renfermer les cendres de Patrocle et les siennes, ils déchargent les mules , entassent le bois et s'éloignent , serrant les files. Achille ordonne à ses Thessaliens d'atteler leurs coursiers, de vêtir l'airain étincelant. Obéissants aux ordres du fils de Pelée, les Thessaliens s'empressent de se couvrir de leurs armures, de se ranger en ordre de bataille. Montés sur leurs chars, les héros et leurs écuyers précèdent la pompe funèbre ; une nuée de guerriers les suit à pied. Au centre de l'épaisse phalange, les compagnons d'Achille transportent le corps de Patrocle. Détachant les tresses nombreuses de leurs cheveux, ils en couvrent la dépouille mortelle du fils de Ménétius. Le divin Achille marche après eux, soutenant de ses mains victorieuses la tête de son compagnon. Arrivés au lieu qu'Achille a choisi, ils y déposent le corps de Patrocle. L'immense quantité de bois que les mules et les travailleurs ont apportée est entassée par leurs mains. Mais Achille s'occupe «d'autres pensées : debout devant le corps de son cher compagnon, il coupe cette brillante chevelure que son père dévoua autrefois au fleuve Sperchius. Poussant de profonds soupirs, portant de tristes regards sur la plaine liquide : O Sperchius, CHANT XXIII. 123 dit-il, en un autre temps Pelée mon père te consacra mes cheveux. Il te promit, à mon retour dans ma patrie, de les couper en ton honneur. Une sainte hécatombe t'étoit destinée ; cinquante moutons, l'élite de nos troupeaux, auroient été immolés par ses mains aux nymphes des fontaines, sur ces autels qui fument en ton honneur d'un encens éternel. Tels furent les vœux du vieux Pelée : tu ne les as point exaucés. Puisque l'ordre du Destin ne permet pas que je revoie ma terre natale, je livre ma chevelure à Patrocle , mon fidèle compagnon ; qu'il l'emporte dans le palais de Plu ton. Il dit, et couvre de ses cheveux les mains glacées de son compagnon. Un deuil ai&eux s'étend sur toute l'armée ; ils pleurent, ils gémissent, leurs cris douloureux retentissent dans l'air : le soleil eût achevé sa carrière avant que leurs larmes eussent tari, si Achille, s'approchant d'Agamemnon, ne lui eût parlé ainsi : Fils d'Atrée, tous les Grecs t'obéissent : assez nous nous sommes rassasiés de nos larmes. Ordonne aux tiens de s'éloigner du bûcher, de préparer le repas du matin ; que les chefs demeurent seuls près de toi : achevons les obsèques d'un héros si cher à nos cœurs. 124 L'ILIADE, Le roi des hommes, Agamemnon, ayant entendu ces paroles, donne l'ordre aux troupes de se séparer. Versant des larmes ameres, les ministres des funérailles enlèvent le corps de Patrocle, le déposent sur le lit funèbre, arrangent le bois, en forment un vaste bûcher de cent pieds en quarré , immolent de nombreux troupeaux de moutons et de bœufs noirs aux cornes menaçantes, les dépouillent, les préparent : Achille assemble leur graisse, en couvre le corps de Patrocle depuis les pieds jusqu'à la tête. Les corps des animaux immolés, dépouillés de leurs cuirs, sont placés par ses mains à l'extrémité du bûcher: s'inclinant avec respect, il verse l'huile et le miel enfermés en de grandes urnes ; son cœur pousse de profonds gémissements. Il immole et place sur le bûcher quatre coursiers agiles à crinière flottante. De neuf chiens qu'il chérissoit par-dessus tous les autres, qu'il nourrissoit de sa table, il en prend deux, les immole, les dépouille, jette leurs corps palpitants sur le bûcher de son fidèle compagnon. Furieux, respirant le carnage, poussant de longs gémissements , appellant à grands cris son fidèle compagnon, il s'élance sur les douze valeureux enfants des plus illustres d'entre les Troyens qu'il a dévoués à Patrocle ; il les perce CHANT XXIII. 125 de son glaive, place leurs corps sur le bûcher, livre aux flammes et la dépouille mortelle du iils de Ménétius, et tous les dons qu'il lui a consacrés : Reçois mes adieux, ô mon cher Patrocle, ditil, et conserve jusques dans l'empire des morts un long souvenir de ton ami. J'ai accompli tout ce que je te promis. La flamme qui consumera ta dépouille mortelle, dévorera les corps sanglants de douze illustres enfants des magnanimes Troyens : mais le corps de l'homicide Hector ne sera pas livré aux flammes ; il sera la proie des chiens et des vautours. Son courroux s'exhale en ces vaines menaces. Cependant les chiens ne souillent point le corps d'Hector. La fille de Jupiter, Vénus , veille nuit et jour autour de cette précieuse dépouille ; une huile de rose et d'ambrosie, répandue par les mains de la déesse sur le corps du fils de Priam , le défend des outrages qu'Achille lui prépare. Du sommet de la voûte éthérée, une nue épaisse et humide, envoyée par Apollon, couvre tout le champ sur lequel repose le corps d'Hector, amortit l'activité des rayons du soleil, empêche qu'il ne se dessèche. Le bûcher de Patrocle tarde à s'enflammer. 126 L'ILIADE, Debout devant l'immense forêt qu'il a entassée, Achille, levant les yeux au ciel, appelle à haute voix le vent d'ouest et rimpétueux Borée : une coupe d'or est dans ses mains ; il verse à grands flots les libations, promettant aux deux vents de pompeux sacriiices, si, précipitant leurs rapides haleines, ils pénètrent l'immense bûcher et excitent une flamme ardente qui consume promptement le corps de son cher compagnon. La légère Iris l'entend; elle se hâte de descendre de la voûte azurée, pour porter aux deux vents les vœux du iils de Pelée. Les enfants d'Eole goûtoient, dans l'antre du zéphyr, les douceurs d'un festin solemnel: Iris s'arrête sur le seuil de marbre du palais des vents ; tous se lèvent à son aspect ; ils l'abordent, l'invitent à prendre part au festin. La déesse les refuse : Je ne peux m'arrêter, dit-elle ; je m'empresse de parvenir aux confins de l'Océan, au pays des Éthiopiens qui offrent en ce moment de saintes hécatombes aux immortels ; j'ai promis de participer à leurs fêtes. Vent d'ouest, vent du nord, Achille vous appelle à grands cris ; il vous promet de pompeux sacriiices, si vos souffles bienfaisants enflamment le bûcher de son fidèle compagnon, Patro* cle, que tous les Grecs pleurent amèrement, CHANT XXIIL 127 Ainsi parle la déesse, et elle disparoît. Se levant avec un bruit affreux , chassant devant eux les nues qu'ils assemblent par leur choc, les deux vents s'étendent sur la plaine liquide, la bouleversent de leurs souffles impétueux. Parvenus aux champs Troyens , ils pénètrent le bûcher, développent la flamme qui éclate avec fracas. Le léger vent d'ouest, le rapide Borée ne cessent de souffler, pendant toute cette nuit, autour du bûcher du fils de Ménétius : les tourbillons de flamme et de fumée s'élèvent dans l'air à replis ondoyants ; d'horribles sifflements se font entendre. Debout près du bûcher de Patrocle, Achille puise sans cesse le vin dans une coupe d'or à deux fonds ; il le verse à grands flots sur le bûcher, appellant à haute voix son malheureux compagnon: la terre est imbibée de ses fréquentes libations. Sa tristesse est aussi profonde que celle d'un père qui place sur le bûcher le corps d'un fils cher à son cœur, nouvel époux, que le fer de l'ennemi a moissonné, objet des tendres regrets de ceux qui lui ont donné l'être ; aussi abondantes sont les larmes qui inondent, pendant toute cette nuit r l'auguste visage du fils de Pelée. Poussant de profonds gémissements, se roulant sur la terre, errant autour du bûcher de son fidèle compagnon, 128 L'ILIADE, il attend que l'étoile du matin, courriere du jour, se montre sur l'horizon, que la divine Aurore étende son voile de pourpre sur la terre. En ce moment le feu languit, la flamme s'éteint, les vents fuient dans leurs antres profonds, bouleversant sur leur passage la mer de Thrace. Epuisé de fatigue, Achille s'éloigne tristement du bûcher. Séparé de la foule, il se couche sur la terre, le sommeil commençoit à fermer ses paupières , quand la marche bruyante et les mouvements rapides des Grecs qui s'assemblent autour de la tente d'Agamemnon, l'éveillent. Assis sur la glèbe, il adresse ces paroles aux rois, aux chefs de la nation : Fils d'Atrée, et vous héros de la Grèce, versez du vin sur ces cendres brûlantes, éteignez les restes du feu qui a consumé la dépouille mortelle de Patrocle ; séparons ses os de ceux des victimes. Il vous sera facile de les distinguer, car le corps de mon compagnon fut placé au centre du bûcher ; les hommes et les chevaux furent jetés pêlemêle aux extrémités. Enfermons dans une urne d'or les précieux restes du iils de Ménétius ; couvrons-les d'une double surface de graisse ; qu'ils demeurent en cet état, jusqu'à ce que je rejoigne mon fidèle compagnon dans le séjour des ombres; CHANT XXII L 129 bornez-vous maintenant à marquer le lieu de notre tombeau. Un jour viendra, ô Grecs, qu'ayant élevé à notre gloire un superbe monument, vous remonterez sur vos vaisseaux, laissant sur ces rives nos cendres réunies. Il dit. Tous accompagnent le fils de Pelée. Ils éteignent avec le vin les cendres fumantes, qui s'affaissent n'étant plus soutenues par la flamme. Blanchis par le feu, les os du compagnon d'Achille, qui fut pendant sa vie un modèle de bonté, sont recueillis dans une urne d'or. Versant des larmes ameres,ils étendent par-dessus une double surface de graisse ; l'urne funèbre , couverte d'un voile de lin d'une éclatante blancheur, est déposée par leurs mains dans la tente d'Achille. Ils amoncellent les terres, décrivent un cercle, posent les fondements d'un magnifique tombeau dans le lieu où fut élevé le bûcher de Patrocle, et se disposent à se séparer. Achille les arrête ; il ordonne d'assembler l'armée, d'annoncer les jeux et les combats. Apportés de ses vaisseaux, les prix sont exposés à la vue de tous, des vases d'airain , des trépieds , des chevaux, des mules, des bœufs aux cornes élevées, de l'acier poli, de belles c a p tives. 4. \J i3o L'ILIADE; Les premiers, les plus distingués, sont destinés pour la course des chars. Une superbe captive instruite dans tous les arts de son sexe, un trépied, un vase d'airain à deux anses, de vingt mesures, seront la récompense du vainqueur; celui qui l'approchera de plus près, obtiendra une cavale indomtée de six ans qui porte dans ses flancs un mulet de race illustre ; le troisième, un vase de quatre mesures que la flamme n'a point encore atteint; le quatrième, deux talents d'or; le cinquième , une large coupe d'argent battu à froid. Debout au milieu de l'assemblée, Achille adressant la parole à Agamemnon : Fils d'Atrée, dit-il, et vous, valeureux enfants de la Grèce, j'ai exposé dans l'arène les prix que je destine à ceux qui s'exercent dans l'art de soumettre au frein des coursiers indomtés. Si mon cher Patrocle n'étoit l'objet de ces jeux, j'entrerois en lice, et j'ai cette confiance que j'emporterois le premier prix ; car la légèreté , la souplesse et la force de mes immortels coursiers vous sont connues : Neptune en fit don à Pelée mon père ; Pelée me les donna. Mais ni moi ni mes coursiers ne concourront. Ils ont perdu leur vaillant conducteur qui les traitoit avec douceur, qui les lavoit dans l'onde pure des fleuves , dont la main CHANT XXIII. i3i répandoit une huile brillante sur leurs vastes cri nieres. Immobiles maintenant, la tête baissée, ils pleurent ce héros ; leurs crins flottent dans la poussière. Que ceux d'entre les Grecs qui se confient dans la solidité de leurs chars, dans la légèreté de leurs coursiers, disputent les prix que je propose. Ainsi parle le fils de Pelée. Les légers athlètes s'assemblent. Le roi des hommes, Eumélus, fils d'Admete, célèbre dans l'art de manier de vigoureux coursiers, se présente avant tous les autres. Le fils de Tydée, Diomede, amené les coursiers de Tros attelés à un même joug, ces coursiers qu'il ravit à Énée, quand Apollon déroba le fils d'Anchise aux coups qu'il lui portoit. Ménélas, fils d'Atrée, attelle à son char l'Agamemnonienne Éthée, et Podargès qui lui appartient. Le fils d'Anchise , Échépolus, donna Ethée à Agamemnon pour s'exempter de le suivre à la guerre ; il obtint à ce prix de jouir en paix des richesses immenses que Jupiter lui avoit données dans la vaste Sicyone qu'il habitoit. Telle est la cavale vigoureuse, impatiente de montrer sa légèreté et sa force dans les combats du cirque, que Ménélas attelle au même joug que Podargès. Le descendant de N é ' lée, le vaillant fils du grand Nestor, Antiloque, i3a L'ILIADE, attelle à son char d'agiles coursiers pyliens d'une grande beauté. Pour l'aider de ses sages conseils, son père Nestor s'avance vers lui : Antiloque, lui dit-il, dès tes plus jeunes ans, Jupiter et Neptune t'aimèrent par-dessus tous les autres mortels ; ils prirent soin de te former euxmêmes dans l'art de soumettre au frein des coursiers indociles : ainsi mes conseils sont superflus ; nul ne maniera ses chevaux avec plus de dextérité ; tu sais d'une main légère et sûre ployer rapidement autour de la borne qui termine la carrière. Mais tes coursiers sont moins agiles que ceux de tes rivaux ; c'est le sujet de mes craintes. Suis mes conseils, 6 mon fils ; rappelle dans ton esprit les leçons de tes maîtres immortels, afin que le prix ne puisse t'échapper. L'habile artiste asservit le chêne, moins par sa force que par son adresse ; c'est l'art qui dirige un vaisseau sur le vague des mers, au sein des tempêtes excitées par les terribles combats des vents : ainsi l'habile écuyer l'emporte sur ses rivaux. Celui-ci, se confiant dans la légèreté de ses coursiers, les laisse vaguer imprudemment dans l'arène; celui-là, avec des chevaux moins vîtes, les yeux fixés sur la borne, tourne avec justesse et rapidité, hâte, ralentit, dirige , assouplit les mouvements de ses coursiers, CHANT XXIII. i33 et laisse loin derrière lui son rival. Je t'indiquerai le but si clairement, qu'il te sera impossible de le méconnoître. A l'endroit où tu vois deux routes se croiser, s'élève, à la hauteur d'une coudée, au-dessus de la surface de la terre, le tronc d'un vieux chêne desséché, vainqueur des saisons, des frimas et des tempêtes : deux pierres blanches le soutiennent, un espace vuide l'environne, tom^ beau de quelques uns des anciens héros, ou monument érigé par les premiers hommes pour leurs courses et leurs jeux ; tel est le but qu'Achille a choisi. Parvenu à l'extrémité de la carrière, debout sur ton char, maniant tes coursiers avec dextérité, tourne rapidement, rasant la borne. Souviens-toi de soutenir le coursier placé sous la rêne droite, de le contenir de la voix et du fouet, ployant l'autre avec souplesse : rends la main ; dirige tes mouvements avec tant de justesse, que le moyeu de la roue rase la borne sans la toucher, dans la crainte que ton char brisé, tes chevaux blessés n'excitent le rire des spectateurs et ne t'attirent une défaite honteuse. Prends ces précautions, ô mon fils ; tourne autour de la borne avec rapidité , l'évitant avec adresse : c'est ainsi que tu devanceras tes rivaux ; aucun n'atteindra la barrière avant toi, quand même l'agile Arion, le léger 134 L'ILIADE, coursier d'Adraste , dont la race est divine, voleroit sur tes pas, quand ton rival manieroit les vigoureux coursiers élevés sur ces rives dans les haras de Laomédon. Ainsi parle Nestor ; et il reprend le trône qu'il a quitté. Mérion paroît le cinquième, attelant ses généreux coursiers. Les athlètes montent sur leurs chars, tirent les rangs au sort : Achille agite les billets dans un casque. Le nom d'Antiloque, iils de Nestor, sort le premier ; après lui le nom d'Eumélus ; Ménélas , iils d'Atrée , est le troisième ; Mérion, le quatrième : le sort n'assigne que la dernière place au iils de Tydée, le plus valeureux, le plus savant dans l'art de guider de légers coursiers. Ainsi rangés , Achille leur montre la carrière et la borne, à l'extrémité d'une plaine vaste et unie. Témoin irréprochable de leur légèreté et de leur adresse, chargé de lui faire un iidele rapport, le vieux Phénix, l'écuyer de son père, est placé par ses ordres à l'extrémité de la carrière. Tous les fouets sont levés, tous abaissés au même instant. Animant leurs coursiers et du fouet et de la voix, ils abandonnent les vaisseaux, traversent la plaine avec rapidité : une poussière semblable au nuage épais qu'élevé une violente tempête, souille les larges poitrails de leurs che- CHANT XXIII. i35 vaux ; leurs crinières flottent au gré des vents : tantôt ils rasent la terre avec les chars ; tantôt ils s'élancent et franchissent un long espace, sans ébranler leurs hardis conducteurs dont l'ame flotte entre l'espérance et la crainte. Appellant leurs coursiers par leurs noms pour accroître leur ardeur, ils volent, couverts de l'immense poussière qui s'élève de dessous leurs pas. Déjà ils se reploient sur le rivage de la mer écumeuse : leurs traits sont tendus, leur course précipitée, les intervalles plus marqués. Les légers coursiers du roi de Phérès devancent tous les autres. Les agiles coursiers de Tros, que dirige le fils de Tyd é e , semblent s'élancer sur le char d'Eumélus. Le souffle brûlant qui s'exhale de leurs narines échauffe les larges épaules des coursiers du roi de Phérès ; leurs têtes posent sur la croupe des coursiers d'Eumélus : le fils de Tydée eût devancé son rival, ou laissé la victoire incertaine, si Apollon irrité n'eût ânaché le fouet de sa main. Une vive douleur s'empare de l'ame du vaillant Diomede à la vue du char de son rival qui s'élance d'un vol rapide, sans qu'il puisse hâter ses légers coursiers ; des larmes coulent de ses yeux. Mais la ruse d'Apollon n'échappe pas aux regards de Minerve ; volant avec une incroyable rapidité au i35 L'ILIADE, secours du pasteur des peuples , elle remet le fouet aux mains de Diomede , accroît de son souffle divin l'ardeur de ses coursiers, brise dans sa fureur le joug qui attache au char les chevaux du fils d'Admete. Egarés, ils bondissent dans la plaine ; le timon brisé tombe à terre ; renversé sous les roues de son char, son bras, son coude, sa bouche, ses narines sont meurtris ; une longue plaie s'étend depuis son front jusqu'à ses épais sourcils ; ses yeux s'emplissent de pleurs ; à peine un foible soupir s'exhale de sa poitrine oppressée. Les agiles coursiers du fils de Tydée précèdent tous les autres ; car Minerve leur destine le prix. La déesse soutient et accroît leur ardeur. Ménélas le suit de près, fait effort pour l'atteindre. Antiloque adressant la parole aux coursiers de soq père : Volez, leur dit-il, développez vos jarrets ; dis~ putez la victoire, non aux coursiers du fils de Tydée, car Minerve, qui leur destine le premier prix, accroît leur légèreté ; mais à ceux du fils d'Atrée : hâtez-vous de les devancer. Quelle honte pour vous, si la cavale Ethée vous surpassoit ! Qui vous retient? Si, par votre lâcheté, je n'obtiens que le seul prix qu'on accorde à la pitié pour le vaincu, je vous prédis le sort qui vous attend ; h CHANT XXIII. i37 pasteur des peuples, Nestor, ne prendra plus soin de vous ; il vous percera de son glaive. Élancezvous dans la carrière ; la ruse suppléera à la force dans ce défilé étroit. Il dit. Redoutant la colère de leur maître, les chevaux de Nestor courent avec rapidité. Le valeureux Antiloque voit Ménélas engagé dans une route difficile, profonde ravine que les eaux de l'hiver ont creusée. Agité de la crainte de heurter Contre le char de son rival, le iils d'Atrée retient ses coursiers. Le iils de Nestor, ployant avec adresse, incline sur la berge, fait effort pour le devancer. ô Antiloque, s'écrie Ménélas effrayé, je ne reconnois pas ta prudence. Ralentis - ta course rapide ; échappé à ce défilé dangereux, nous nous • disputerons la victoire. 11 dit : mais sourd à ses cris, le fils de Nestor, maniant le fouet avec dextérité, appuie ses coursiers ; ils franchissent d'un seul saut tout l'espace que parcourt un disque lancé par un bras nerveux qui essaie ses forces. Les agiles coursiers du iils d'Atrée reculent ; Ménélas n'ose les appuyer, dans la crainte qu'ils ne s'abattent dans le choc des chars, qu'essayant de l'emporter sur son 4- 18 i38 L'ILIADE, concurrent, ils ne tombent l'un et l'autre dans la poussière. Fils de Nestor, lui dit-il, le plus dangereux des rivaux, tu transgresses les loix du cirque, et démens la réputation que ta vertu t'avoit acquise : hâte ta course rapide ; mais n'espère pas obtenir le prix sans un parjure. Adressant la parole à ses légers coursiers : Volez, leur dit-il; que ce foible avantage, remporté par un perfide rival, ne ralentisse pas votre ardeur: bientôt, essoufflés, abattus, les vieux chevaux de Nestor seront contraints de vous céder la victoire. A la voix de leur maître, les rapides coursiers s'élancent sur le char d'Antiloque. Cependant, les yeux fixés sur l'arène, les Grecs, assis à la barrière, s'efforcent de percer l'épais nuage de poussière qui enveloppe les coursiers et les chars. Le roi des Cretois, Idoménée, est assis hors de l'enceinte sur une éminence d'où la vue s'étend au loin. La voix de celui des athlètes qui est le plus proche parvient à ses oreilles. L'un des coursiers du vainqueur est remarquable par la couleur de son poil : bai par tout le corps, il porte sur le front une marque blanche, aussi ronde que la CHANT XXIII. i39 lune en son plein. Le iils de DeuCalion se levé du trône où il est assis ; adressant la parole aux Grecs : O mes amis , chefs et conseils de la nation des Grecs, dit-il, jugez vous-mêmes si ma vue m'induit en erreur. La face de la lice me semble changée. De quelque côté que je promené mes regards sur la vaste plaine des Troyens, mes yeux ne découvrent ni le char, ni les coursiers, ni l'athlète qui m'avoit paru jusqu'ici l'emporter sur tous les autres. Quelque accident a sans doute ralenti le vol rapide de cet athlète. J'ai vu ses coursiers 6'élancer sur la borne. Peut-être les guides ontelles échappé de ses mains ; peut-être, tournant la borne, n'a-t-il pu modérer l'ardeur de ses coursiers , les manier avec assez d'adresse ; il sera tombé, son char aura été brisé : ses légers coursiers bondissent en ce moment dans la plaine ; d'autres les remplacent. Efforcez-vous de les distinguer ; car Us me sont inconnus : mais leur conducteur ressemble à ce valeureux Etolien que ses exploits ont rendu célèbre entre tous les Grecs, à ce Diomede, fils de Tydée, savant dans l'art d'assouplir des coursiers indomtés. A ces mots, un violent courroux s'empare de l'ame du léger fils d'Oïlée. Idoménée, ton juge- i4o L'ILIADE, ment est précipité , dit-il. L'arène fuit sous les pas de ces coursiers aussi vîtes que les vents ; ils s'avancent vers nous avec rapidité. Tu n'es pas le plus jeune des Grecs, ta vue commence à foiblir ; et cependant tu te plais à discourir au hasard. Que servent ces vaines disputes? Bientôt de meilleurs juges décideront notre querelle. Ces chevaux sont ceux d'Eumélus. Je vois le iils d'Admete sur son char, tenant les guides dans ses mains. Fils d'Oïlée, lui répond le roi des Cretois irrité, tu n'es pas le plus redoutable des Grecs dans les combats : mais tu aimes la dispute ; ton esprit est intraitable. Gageons un trépied et son vase d'airain. Prenons pour arbitre Agamemnon, fils d'Atrée. Il dit. Emu d'une violente colère, le léger Ajax se levé avec précipitation : l'injure est sur ses lèvres. O Ajax, ô Idoménée, s'écrie Achille, cessez de vous provoquer par de dures paroles : ces vaines disputes sont peu convenables; vous les blâmeriez dans tout autre. Reprenez les trônes que vous avez quittés ; portez vos regards sur l'arène. Rivaux de gloire, ces athlètes s'avancent vers nous d'une course rapide. Quand ils auront atteint la barrière, il nous sera facile de décider quels cour- CttANt X.XÏII. t4t sïers ont été les plus légers, à qui le premier prix est dû, à qui le second. II dit ; et déjà le fil» de Tydée touche la barrière. Ses coursiers bondissent sous les coups redoublés du fouet qui retentit sur leurs larges épaules ; leurs sauts légers font jaillir la poussière sur l'athlète qui les dirige ; l'or, Tétain , pompeux ornements du char de Diomede, en sont ternis : ils volent avec une telle rapidité, que la trace des roues est à peine imprimée sur le sable. Parvenu à l'extrémité de'la carrière, le iils de Tydée les arrête : la sueur inonde leurs poitrails, imbibe leurs vastes encolures. S'eïançant du char éclatant, le fils de Tydée incline son fouet sur le joug; le vaillant Sthénélus s'empare du prix, remet la belle captive et le trépied aux mains de ses compagnons, dételle les coursiers. S'efForçant de soutenir f ardeur des vieux chevaux de Nestor, le descendant de Nélée, Antiloque, arrive : sa ruse adroite, non la rapidité de sa course, lui a donné la victoire sur Ménélas. Écarté d'abord de toute la portée d'un jet de disque , le fils d'Atrée ne laisse plus entre lui et son rival que le court espace qui sépare un char en mouvement dont les traits sont tendus, du coursier qui l'entraîne, dont les crins atteignent l'orbite 142 L'ILIADE, des roues, tant l'ardeur de l'Agamemnonienne Éthée croît avec l'espace qui lui reste à parcourir. Si la carrière eût été plus longue, Ménélas eût devancé son rival, et n'eût pas même laissé la victoire incertaine. Moins accoutumé aux combats du cirque , l'écuyer d'Idoménée, Mérion, le suit avec des coursiers plus tardifs. Eumélus, fils d'Admete, arrive le dernier, clias-r sant devant lui ses chevaux qui traînent son char brisé. Sensible à son malheur, debout au milieu du cirque, le divin Achille adressant la parole aux héros de la Grèce : Celui à qui son art, à qui la légèreté de ses cour^ siers sembloient assurer la victoire, est maintenant le dernier, dit-il; récompensons sa vertu comme il convient; qu'il obtienne le second prix, car le premier est dû au fils de Tydée. Il dit; tous applaudissent. Eumélus eût obtenu la cavale indomtée, si le fils du grand Nestor, Antiloque, n'eût réclamé ses droits. O Achille, dit-il, ta proposition blesse ma gloire et m'irrite. Je rends à Eumélus la justice qui lui est due : aucun ne sait mieux que lui guider des coursiers agiles. Mais son char a été brisé, ses che~ CHANT XXIII. 143 Vaux se sont égarés : est-ce une raison pour me priver du prix qui m'appartient? Que le roi de Phérès n'a-t~il, avant de s'élancer dans la carrière, adressé ses vœux aux immortels? nous ne le verrions pas maintenant arriver le dernier, chassant ses chevaux devant lui. Si tu plains son infortune, s'il est cher à ton cœur, une immense quantité d'or, d'airain , de bestiaux , de belles captives , de chevaux vigoureux, sont renfermés dans tes tentes : récompense sa vertu par un don magnifique , plus précieux même que le prix qui m'appartient; les Grecs applaudiront à ta générosité : mais je ne cède à personne la récompense que j'ai acquise. Si quelqu'un entreprend de me la disputer , qu'il se prépare à me la ravir les armes à la main. U dit. Le divin Achille sourit de la fierté du fils de Nestor, car il l'aimoit tendrement. O Antiloque, fils de Nestor, lui dit-il, je suivrai ton conseil. Les prix seront aux vainqueurs : une récompense tirée de mes vaisseaux consolera Eumélus. Je lui donne la cuirasse que j'enlevai à Astéropée ; elle est d'airain , couverte d'un étain brillant, d'un travail exquis. Le roi de Phérès tiendra sa vertu dignement récompensée par un tel don. i44 L'ILIADE, Il dit, et ordonne à Automédon d'apporter la brillante cuirasse. Docile aux ordres de son cher compagnon, Automédon vole à la tente d'Achille, apporte la cuirasse d'Astéropée , la remet aux mains d'Eumélus, qui ressent de la joie du don par lequel le iils de Pelée console son infortune. Courroucé de la victoire que le fils de Nestor a remportée sur lui, Ménélas se levé. Un héraut met le sceptre en ses mains ; il ordonne aux Grecs de faire silence. Semblable à un dieu, adressant la parole à Antiloque : Fils de Nestor, lui dit-il, renommé jusqu'ici par ta sagesse, comment t'es-tu permis une ruse indigne de toi ? Enviant la gloire qui m'étoit due , tu t'es élancé sur mes coursiers avec des chevaux moins agiles, et les as blessés. Chefs et conseils de la nation des Grecs, que le prix demeure en dépôt ; rendez justice à l'un et à l'autre ; que J3. faveur n'ait point de part dans votre jugement ; qu'aucun ne dise : « Ménélas a été injuste envers te Antiloque ; il a employé le mensonge pour le a priver de la récompense qui lui étoit due. Les a coursiers de Ménélas étoient plus légers : mais <c le fils de Nestor est plus adroit, plus vigoureux», Ou plutôt je me juge moi-même, et ne pense pas qu'aucun des enfants de la Grèce rejette mon. CHANT XXIII. 145 jugement; car il est conforme à l'équité. Descendant de Jupiter, valeureux Antiloque, emmené la cavale : mais comparois au milieu de l'arène, comme la justice l'exige. Là, devant ton char, à la tête de tes coursiers, les touchant de ce même fouet avec lequel tu excitois leur ardeur, jure par Neptune qui environne la terre de ses ondes, que tu n'as point employé la ruse pour retarder ma course rapide, et m'empêcher de parvenir avant toi à la barrière. O Ménélas, roi des hommes, répond le vertueux Antiloque, plus âgé, plus sage que moi, tu n'ignores pas ce que peut la passion de la gloire sur un jeune courage : les conseils de la prudence sont tardifs. Modère ton courroux ; que ton cœur pardonne à l'imprudence du moment. Je remets en tes mains la cavale, prix du vainqueur ; j'ajouterai de ce qui est à moi ce que tu exigeras pour compléter la satisfaction qui t'est due : je me soumets à tout, plutôt que de déchoir dans ton esprit de la réputation que je me suis acquise , et me souiller par un parjure. Ainsi parle le magnanime iils de Nestor ; et il remet la cavale aux mains de son rival. Telle qu'une abondante rosée réjouit et humecte la terre couverte de gerbes nombreuses, prémices d'une 4. 19 146 L'ILIADE, riche récolte ; ainsi la joie a accès dans ton ame, 6 Ménélas. Antiloque, dit-il, ma colère est appaisée. Nous avions jusqu'ici admiré ta sagesse ; tu fus imprudent un moment : mais la raison a triomphé de l'impétuosité de l'âge. Il eût été plus sage de ne point employer l'artifice pour me ravir une gloire qui m'étoit due : un autre ne m'appaiseroit pas avec cette facilité ; mais je dois cette récompense à tes travaux, à ceux du sage Nestor, à ceux de ton valeureux frère, pendant tout le cours de cette guerre entreprise pour venger mon injure. J'accepte la satisfaction que tu m'as faite et te rends la cavale, quoiqu'elle soit à moi; afin que tous apprennent que mon cœur n'est ni superbe ni cruel. Il dit, et remet la cavale aux mains de Noémon , l'écuyer d'Antiloque , et prend pour lui le vase d'airain. Mérion eut les deux talents d'or; car son char étoit parvenu le quatrième à la barrière. Il restoit un cinquième prix, la coupe à deux fonds : Achille perce la foule, traverse le cirque pour l'offrir à Nestor : O vieillard, lui dit-il, conserve cette coupe en mémoire des funérailles de Patrocle que tu ne CHANT XXIII. 147 reverras plus parmi les Grecs. Elle fut destinée aux athlètes: mais la vieillesse qui t'accable maintenant ne te permet d'entrer en lice ni dans les combats du ceste, ni dans ceux de la lutté, du javelot, de l'arc ou de la course légère. Il dit, et donne la coupe au fils de Nélée, qui joyeux la reçoit de la main d'Achille. Tu as parlé convenablement, ô mon cher fils, lui dit-il : mes jarrets ont perdu leur légèreté et leur souplesse ; mes mains, mes épaules n'ont plus la même vigueur. Si je revenois au temps de ma jeunesse, si mes forces étoient entières, telles qu'elles éjoient quand les Épéens firent dans Buprasium les funérailles de leur roi Amaryncée !.... Les fils de ce roi ouvrirent une lice brillante. Au~ cun des Épéens, aucun des Argiens, des Pyliens, des magnanimes Étoliens, ne m'égala dans tous les genres d'escrime. Je vainquis dans les combats du ceste Clytomede, fils d'Enopus ; je l'emportai à la lutte sur Ancée de Pleurone ; le léger Iphiclus osa me disputer le prix de la course légère, et m'avoua son vainqueur ; je surpassai Phylée et Polydore dans l'art de lancer le javelot : les deux fils d'Actor me devancèrent seuls dans la course des chars, le dernier des combats, dont les prix étoient magnifiques. Fiers de leur nombre, jaloux 148 L'ILIADE, de ma gloire, ils se réunirent contre moi : l'un tenoit les guides, l'autre hâtoit ses coursiers et du fouet et de la voix. Tel je fus autrefois. Que de plus jeunes athlètes entrent en lice maintenant: cédons à la vieillesse. Continue, ô Achille, d'honorer par le pompeux appareil de ces jeux les obsèques de ton compagnon. J'accepte le don que tu me fais, comme un gage du souvenir que tu conserves de notre ancienne amitié ; utile exemple que tu donnes à l'armée des Grecs, de l'honneur qu'ils doivent à ma vieillesse, à ma longue expérience. Mon ame en est réjouie. Que les dieux te récompensent, et exaucent les vœux les plus chers à ton cœur ! Il dit. Animé par les louanges qu'il a reçues du fils de Nélée, Achille s'avance dans le cirque, expose, aux yeux de tous, les prix qu'il destine aux athlètes dans le périlleux combat du ceste. Une mule de six ans, vigoureuse, infatigable , dii-* iicile à domter, est attachée par son ordre dans l'arène, prix du vainqueur : une coupe à deux fonds consolera le vaincu. Debout au milieu du cirque, le fils de Pelée adressant la parole aux Grecs : Fils d'Atrée, leur dit-il, et vous tous, valeureux enfants de la Grèce, que deux athlètes courageux CHANT XXIIL HCf se disputent la victoire dans le périlleux combat du ceste. Celui dont la constance triomphera, au jugement des Grecs, emmènera dans sa tente cette mule infatigable : le vaincu obtiendra la coupe à deux fonds. Il dit. Un homme nerveux, d'une haute taille, savant dans les combats du ceste, Épéus, fils de Panope, se levé. Saisissant la mule infatigable : Que celui qui désire la coupe à deux fonds se montre, dit-il. Quant à la mule, je ne pense pas qu'un autre que moi l'obtienne ; aucun ne l'emportera sur moi dans ce périlleux exercice. Ne vous suffit-il pas, enfants de la Grèce, que je vous cède la gloire qu'on acquiert dans les autres combats? Etre savant dans tous les arts, propre à tous les travaux, est un effort au-dessus de l'humanité. Voici ce que je prédis à celui qui osera me disputer la victoire : je meurtrirai sa chair ; je briserai ses os : que ceux qui s'intéressent à son sort s'empressent autour de lui ; ils ne tarderont pas à l'emporter couvert de blessures. Il dit. Tous gardent le silence : le seul Euryale, mortel égal aux dieux, se levé, Euryale, fils de Mécistéa, l'illustre descendant du roi Talaïon, qui combattit autrefois dans Thebes aux funérailles d'OEdipe, et vainquit tous les Cadméens. Le va- i5o L'ILIADE, leureux fils de Tydée prend un vif intérêt à sa gloire : il s'empresse autour de lui, l'encourage par ses paroles, le ceint de ses propres mains, lui donne de solides gantelets de plusieurs bandes de cuirs de taureau sauvage étroitement enlacées. Les deux athlètes, ceints de larges courroies, s'avancent dans l'arène, élèvent leurs bras nerveux, fondent l'un sur l'autre : leurs mains se confondent, tant les coups qu'ils se portent sont serrés, Le bruit de leurs dents brisées, de leurs mâchoires fracassées, retentit au loin ; la sueur découle de tous leurs membres. Le divin Epéus saisit l'instant auquel Euryale, prêt à frapper, jette de tous côtés des regards inquiets ; il lui porte dans la mâchoire un coup si rude, que ses genoux fléchissent : il tombe. Avec autant de rapidité que le timide poisson , couvert de l'onde noire, est poussé par le flot sur la rive argilleuse , quand le souffle de Borée ride la surface de la plaine liquide ; ainsi le malheureux Euryale est abattu sous les coups du fils de Panope. Son rival magnanime, le prenant par les deux mains, le relevé : ses chers compagnons accourent en foule, l'environnent, l'entraînent hors de l'espace mesuré; s*s jambes ne peuvent le porter, un sang noir et épais coule de sa bouche, sa tête chancelle sur ses épaules, CHANT XXIIÏ. i5t son esprit est égaré. Ayant reçu la coupe des mains d'Achille, ses compagnons le transportent avec peine dans sa tente, le font asseoir sur un trône au milieu d'eux. Ces combats terminés, Achille propose le pénible exercice de la lutte. Les prix sont exposés dans l'arène ; le fils de Pelée les montre aux Grecs, Le vainqueur obtiendra un grand trépied que la flamme n'a point noirci, estimé le prix de douze bœufs ; le vaincu une belle captive, savante dans tous les arts de son sexe, de la valeur de quatre bœufs. Debout au milieu de l'assemblée, Achille parle ainsi : Paroissez, vous, qu'une noble ardeur engage à faire l'épreuve de vos forces dans ce pénible exercice. Il dit. Ajax fils de Télamon et l'industrieux Ulysse se lèvent, se ceignent, marchent l'un contre l'autre, se serrent de leurs bras nerveux; leurs muscles s'emboîtent aussi étroitement que les poutres d'un palais qu'un habile artiste affermit contre les vents et les tempêtes ; leurs vertèbres craquent sous leurs doigts, des ruisseaux de sueur découlent de leurs vastes échines ; les gouttes de sang qui s'exhalent de tous leurs pores, teignent de pourpre et leurs muscles et leurs épaules : ils i52 L'ILIADE, se disputent, dans une lutte égale, le superbe tré~ pied. Ni Ulysse ne peut renverser Ajax, ni Ajax le courageux fils de Laërte ; leurs efforts impuissants fatiguent les Grecs. Divin fils de Laërte, industrieux Ulysse, s'écrie le fils deTélamon; enleve-moi ou je t'enlèverai; que Jupiter soit l'arbitre du combat. Il dit; et saisissant son rival, il l'enlevé. Fidèle à ses ruses, Ulysse se courbe, lui porte un coup si rude sur le jarret, qu'il l'oblige de ployer : Ajax est renversé ; Ulysse tombe sur lui, comprimant sa poitrine du poids énorme de son corps ; l'armée frémit. Le patient, le divin Ulysse se relevé; il ébranle son rival, mais ne peut l'enlever : Ajax lui serre le genou si étroitement, qu'il le renverse et tombe à ses côtés. Souillés de poussière l'un et l'autre, ils eussent lutté une troisième fois, si Achille, se levant avec précipitation, ne les eût séparés. Cessez, leur dit-il, cette lutte dangereuse ; que de vains travaux n'épuisent pas vos forces. Tous deux vous avez remporté la victoire ; recevez des prix égaux, abandonnez l'arène à d'autres combattants. Il dit. Les deux héros secouent la poussière qui les couvre, et reprennent leurs tuniques, CHANT XXIII. i5* Achille propose les prix qu'il destine aux athlètes dans la course légère. Une urne d'argent de six mesures, célèbre par sa beauté par toute la terre, l'ouvrage des industrieux Sidoniens : des Phéniciens, traversant les mers, l'apportèrent à Lemnos, en firent don à Thoas qui les avoit reçus dans ses ports ; Eunéus, fils de Jason , la donna à Patrocle pour la rançon de Lycaon, fils de Priam. Dans ces jeux qu'Achille célèbre pour honorer les obsèques de son compagnon, elle sera la récompense de l'athlète qui devancera ses rivaux dans la course légère; un taureau engraissé, d'une haute taille, est le second prix ; le troisième un demi-talent d'or. Debout au milieu du cirque : Levez-vous , dit le fils de Pelée, éprouvez vos forces dans ce noble exercice. Il dit. Le léger Ajax fils d'Oïlée, l'industrieux Ulysse, et Antiloque fils de Nestor, qui l'emporte sur tous ceux de son âge par la rapidité et la souplesse de ses mouvements, se lèvent. Rangés sur une même ligne, ils attendent le signal. Le fils de Pelée leur ouvre la carrière, leur en montre les limites : tous s'élancent en même temps. Le léger fils d'Oïlée l'emporte sur ses rivaux. Ulysse le suit de près : la navette qu'une femme industrieuse fait voler sur la trame ne serre pas plus étroitement les laines qu'elle parcourt .4- *° 154 L'ILIADE, pour les lustrer ; les vastes poitrines des deux héros se touchent ; les pas d'Ulysse s'impriment sur les pas d'Ajax ; un même tourbillon de poussière les couvre : l'haleine du fils de Laërte est imprégnée sur la tête du fils d'Oïlée; tant ils courent avec rapidité. Les applaudissements des Grecs excitent en eux une noble émulation. Déjà ils touchent la barrière. Ulysse adresse dans son cœur à Minerve cette humble prière : Déesse, ma puissante protectrice, exauce mes vœux ; vole à mon aide. Il dit. Minerve l'entend, accroît la vigueur de ses jarrets, rend ses membres plus souples; frappant le fils d'Oïlée, elle lui enlevé une victoire qu'il regardoit comme assurée. A l'instant qu'il touche la barrière, que s'élançant sur le prix, il fait effort pour s'affermir sur un sol que le sang et la lien te des bœufs immolés par Achille sur le bûcher de Patrocle , a rendu glissant, il tombe ; le sang et la poussière emplissent sa bouche et ses narines. Le fils de Laërte le prévient, s'empare de l'urne ; le fier taureau sera la récompense du fils d'Oïlée. Repoussant la fange de sa bouche, il conv prime les cornes du bœuf sauvage, et s'écrie : O mes amis, la déesse qui protège Ulysse, comme une mère tendre veille sur un fils, objet C H A N T XXIII. i55 de ses soins empressés, Minerve m'a ravi la victoire. U dit. Le sang et la fange qui le défigurent excitent le rire des Grecs. Antiloque atteint le dernier la barrière. Adressant, avec un rire moqueur, la parole aux enfants de la Grèce : On voit, dit-il, par cet exemple, que les immortels favorisent les vieillards. Ajax est de peu mon aîné : mais Ulysse seroit mon père ; il égale en force , en légèreté les anciens héros ; le seul Achille pourrait lui disputer la victoire. Il parle ainsi, relevant la gloire.du léger fils de Pelée. Antiloque, lui répond Achille, tu seras récompensé de ta louange adroite : j'ajoute un demitalent à celui qui t'est dû. Il dit, et remet le prix aux mains du fils de Nestor qui le reçoit avec joie. Plaçant dans l'arène le long javelot, le bouclier, le casque que Patrocle enleva à Sarpédon, Achille propose aux plus valeureux guerriers de se couvrir de l'airain étincelant, de s'armer du javelot, de montrer leur adresse dans les combats. Celui qui tirera une goutte de sang du corps de son adversaire , je lui donnerai le glaive de Thrace orné de clous d'argent que j'enlevai à Astéropée ; les armes \56 L'ILIADE, de Sarpédon seront partagées entre les deux athlètes ; je célébrerai leur gloire dans ma tente par un festin solemnel. Il dit. Le grand Ajax iîls de Télamon, et l'intrépide fils de Tydée, sortent des rangs, revêtent leurs armures, s'avancent dans l'arène ; impatients de se disputer la victoire, ils se provoquent par de terribles menaces : les Grecs frémissent. Parvenus à la portée du javelot, trois fois ils s'élancent, trois fois ils reculent. Ajax lance le premier son javelot, perce le bouclier du fils de Tydée : mais la pesante cuirasse de Diomede repousse l'arme meurtrière ; sa peau rr est pas même effleurée. Appuyant son javelot au-dessus du vaste bouclier d'Ajax, le fils de Tydée lui porte dans la gorge des coups redoublés , fait effort pour percer l'armure qui le couvre. Alarmés du péril auquel la vie du grand Ajax est exposée, les Grecs adjugent aux deux champions des prix égaux, leur ordonnant de se séparer : mais le fils de Télamon fait don à son rival du glaive superbe, du fourreau, du baudrier, prix du vainqueur. Achille place lui-même au milieu du cirque une lourde masse de fer brut, disque énorme, que lançoit l'indomtable Eétion, quand le fils de CHANT XXIII. \5? Pelée le précipita dans les sombres demeures. Possesseur des trésors de ce roi, Achille transporta ce disque dans ses vaisseaux avec les autres dépouilles du vaincu. Debout, au milieu de l'arène, il adresse la parole aux enfants de la Grèce : Faites encore essai de vos forces dans ce genre d'escrime, dit-il. Ce disque sera la récompense de l'athlète qui le lancera le plus loin. Celui qui l'obtiendra sera pourvu abondamment de fer pendant cinq années; cultivât-il des champs immenses, à une grande distance des cités, ni ses laboureurs, ni ses pâtres, ne seront obligés d'aller acheter du fer à la ville. Il dit. L'invincible Polype tes, le robuste Léonl é e , Ajax fils de Télamon, et Epéus, se lèvent, s'approchent de la barrière , se rangent sur une même ligne. Epéus levé le disque, lui imprime un mouvement rapide par les cercles qu'il lui fait décrire, le lancé avec force ; les Grecs poussent des cris de joie. Léontée, rejeton de Mars, le lance après lui. Ajax fils de Télamon le relevé, le lance d'un bras nerveux, passe tous les signes. L'invincible Polypétès s'en empare le dernier. Autant la houlette qu'un pasteur jette à ses bœufs pour les arrêter, parcourt, en tournant dans l'air, d'espace au-dessus de la tête du troupeau, autant l'énorme i58 L'ILIADE, disque en parcourt au-delà des signes de tous ses rivaux. Les Grecs poussent des cris d'admiration : les compagnons de Polypétès transportent le disque dans leurs vaisseaux, trophée de la victoire de leur roi. L'acier poli sera la récompense des athlètes savants dans l'art de décocher la flèche légère. Achille ouvre la lice. Dix haches à deux tranchants , dix demi-haches sont placées dans l'arène. On dresse un mât au milieu du cirque, à une grande distance, sur le sable qui couvre les rives de la mer : un foible lien resserre le pied d'une timide colombe attachée au sommet de ce mât : tel est le but proposé par Achille. Celui dont la flèche percera la colombe, emportera dans sa tente toutes les haches. Celui qui n'atteindra que le lien, emportera les demi-haches; car il n'est pas aussi adroit archer. Il dit. Le valeureux Teucer et Mérion, l'écuyer d'Idoménée, se présentent. Deux billets sont jetés dans un casque : le nom de Teucer sort le premier. Mais il oublie de promettre à Apollon un sacrifice des premiers nés de ses agneaux : le dieu qui lance au loin ses invincibles traits lui envie la victoire ; la flèche s'égare, n'atteint que le lien, qu'elle sépare du mât y l'oiseau fendant l'air d'un vol CHANT XXIIL i59 rapide, s'élève jusqu'aux nues, emportant la moitié du lien; l'autre moitié incline vers la terre. Les Grecs poussent des cris de joie. Mérion voit fuir la colombe ; il arrache l'arc de la main de Teucer, voue les prémices de ses agneaux au dieu qui lance au loin ses invincibles traits, place sur le nerf une flèche qu'il tient depuis long-temps, vise l'oiseau dans la nue, l'atteint dans l'aile au moment qu'il commence à planer : la flèche se précipite aux pieds du vainqueur : la colombe s'abat sur le mât, fait effort pour se soutenir, étend le cou, étend les ailes, tombe loin de la main qui l'a frappée. L'écuyer d'Idoménée emporte les dix haches aux yeux des spectateurs étonnés de son adresse ; Teucer n'obtient que le second prix. Le fils de Pelée dépose dans l'arène un long javelot et un vase d'airain orné de fleurs, artistement ciselées, du prix d'un bœuf; la flamme n'a point noirci ce vase. Le fils de Pelée le destine aux athlètes adroits à lancer le javelot. Le roi des hommes, le puissant Agamemnon, et Mérion , l'écuyer d'Idoménée, se lèvent. Le divin Achille prenant la parole: Fils d'Atrée, dit-il, ta force et ton adresse sont connues; tu l'emportes sur tous : accepte ce vase que ma main te présente, et retourne à tes vais- \6o L'ILIADE, CHANT XXIII. seaux; souffre que nous donnions le javelot à Mérion. Si mon conseil t'agrée, daigne le suivre. Il dit. Le roi des hommes, Agamemnon, se laissé persuader ; il donne à Mérion le javelot armé d'airain, prend pour lui le vase qu'il remet auxjnains du héraut Talthybius, L I L I A D E. CHANT 4- XXIV. ai ARGUMENT. qui prend soin d'Hector,, envoie Thétis à Achille pour lui ordonner de rendre le corps du fils de Priajn. Dans le même temps le maître des dieux députe Iris à Priam pour lui enjoindre d'aller dans le camp des Grecs racheter le corps de son fils : Mercure est son guide. Le vieux Priamfléchitle courroux d'Achille ; il reporte dans Troie le corps d'Hector. Funérailles de ce héros. JUPITEE f X • -• - . ^ — . '•W- .*#••• :«M< r - **"'.' «•?3 -4*, . ' '4- "h- ••'•':."':?% . ,/- : ' ",%;!%fi 'kfV" .v*.:^-- ^hm'- v . ••':{• : L'ILIADK C H A N T XXIVPriam paie à Achille une riche rançon et obtient le corps d'Hector. combats du cirque sont finis; les Grecs, dispersés dans leurs tentes, goûtent les douceurs d'un agréable festin ; le sommeil verse ses pavots sur leurs yeux: mais Achille pleure son cher compagnon. Le sommeil, vainqueur des^mortels, ne soulage point ses ennuis ; il se tourne de tous côtés, rappellant dans son esprit la force indomtable de Patrocle, son généreux courage, les fureurs de Mars qu'il affronta sous ses ordres, ses travaux qu'il partagea, les mers qu'il parcourut avec lui. Ce triste souvenir lui arrache des larmes : tantôt il s'étend sur un côté, tantôt sur l'autre ; quelquefois il s'assied; souvent il s'élance de son lit. Les premiers rayons de l'aurore le surprennent errant sur le rivage que baigne l'onde écumeuse ; il attelle ses rapides coursiers, suspend à son char le corps d'Hector avec de fortes courroies, le JLES 164 L'ILIADE, traîne par trois fois autour du tombeau du fils de Ménétius. Ayant rendu ce triste hommage aux mânes de son iîdele compagnon, il arrête ses coursiers, retourne au camp, délie la dépouille mortelle du fils de Priam, l'abandonne à l'entrée de sa tente, le front collé sur la poussière. Mais, indigné de ces outrages, Apollon ne souffre pas que les traits du grand Hector soient altérés : tout mort qu'il est, son front imprime le respect. Le dieu de la lumière le couvre de son égide d'or pour empêcher qu'il ne soit déchiré par les violentes secousses que le fils de Pelée lui fait essuyer, le traînant tous les jours autour du tombeau de Patrocle. Les heureux immortels, portant leurs regards sur le camp des Grecs, sont émus d'une tendre pitié ; ils s'efforcent d'engager l'adroit meurtrier d'Argus à dérober à la fureur d'Achille les précieux restes du fils de Priam. Ce conseil agrée à tous les dieux, hors à Junon , à Neptune et à Minerve ; car ces trois divinités ont juré une haine implacable à la sainte cité d'ilion, à Priam, à son peuple belliqueux. C'est ainsi qu'elles punissent le mépris que le berger Paris fit de la beauté des deux déesses, le jour qu'elles honorèrent sa cabane de leur présence : c'est ainsi que Junon et Minerve se vengent du jugement que CHANT XXIV. i65 Cythérée obtint du léger Paris, séduit par les charmes de la déesse de la beauté qui l'entraînèrent dans le fatal adultère, source de tant de maux. Déjà la douzième aurore s'élève sur l'horizon, quand Apollon adresse la parole à tous les immortels : Cruelles et ingrates divinités, leur dit-il, avezvous oublié combien Hector vous immola de victimes; de combien de bœufs, de combien de chèvres grasses il fit couler le sang sur vos autels? Il est mort; et vous refusez de soustraire son corps aux outrages que lui fait Achille ! vous refusez à la veuve d'Hector, à sa mère, à son iîls, au vieux Priam son père, la triste consolation d'arroser de leurs larmes, de placer sur le bûcher, de verser des libations sur la dépouille mortelle de ce héros ! vous favorisez les outrages que lui fait Finjuste et cruel iîls de Pelée dont le courroux égare la raison. Tel un lion furieux, se confiant dans ses forces, fier de sa victoire, s'élance sur de timides agneaux qu'il dévore ; tel le fils de Pelée, insensible à la pitié , au respect dû à l'opinion des hommes, présents que les dieux firent aux mortels pour modérer les transports effrénés de leur cœur, se livre tout entier à sa vengeance. Les larmes qu'on répand sur le tombeau des objets les plus chers, d'un père, d'un fils tendrement aimé, \66 L'ILIADE, ont un terme chez tous les autres hommes : le destin leur a donné un cœur patient dans le malheur ; le temps dissipe les chagrins les plus cuisants. Depuis que celui-ci s'est vengé par la mort du divin Hector, il le suspend tous les jours à son char, et l'entraîne autour du tombeau de son fidèle compagnon. Divinités injustes et cruelles ! votre courroux ne s'enflammera-1-il pas à la vue des indignes traitements qu'Achille fait éprouver à la dépouille mortelle d'un homme vertueux, à la vue de cette honteuse et inutile vengeance qu'il exerce sur une terre insensible ? O Apollon à l'arc d'argent, répond Junon irritée, considère les suites de tes pernicieux conseils. Ainsi, dieux de l'Olympe, vous souffririez que le corps d'Hector fils de Priam, qui naquit mortel, qu'une mortelle nourrit de son lait, obtînt les mêmes honneurs qu'on rendra à l'invincible Achille quand il aura subi son destin, à Achille fils d'une déesse qui suça mon lait, dont je pris soin dès ses plus jeunes ans, que j'unis par les nœuds de l'hymen à un mortel, le grand Pelée, chéri de tous les dieux. Toutes les divinités de l'Olympe honorèrent ces noces de leur présence. Ingrat et perfide Apollon ! tu partageois avec ces augustes époux le festin nuptial ; tu pinçois, aux noces de Pelée, l'harmonieuse cithare. CHANT XXIV. 167 Ô Junon, répond le dieu qui assemble les nues, ne suppose pas à tous, les immortels des projets indignes de la majesté suprême. Les mêmes honneurs ne seront pas rendus aux mânes d'Hector et à ceux du fils de Pelée : mais de tous les Troyens Hector fut le plus cher à mon cœur; il fut chéri de tous les dieux qu'il combla d'offrandes. Jamais d'aussi pompeux sacrifices ne fumèrent sur mes autels; jamais d'aussi fréquentes libations ne les arrosèrent, seuls honneurs que de foibles mortels puissent rendre aux heureux habitants de l'Olympe. N'essayons pas d'enlever secrètement à Achille le corps d'Hector : nous le tenterions en vain ; la mère d'Achille veille nuit et jour à la garde de ce trésor. Que l'un de nous ordonne à Thétis de monter au sommet de l'Olympe pour y recevoir mes ordres ; qu'Achille accepte les dons magnifiques que Priam lui offrira pour la rançon du corps de son fils. Il dit. Iris, courriere aussi rapide que la tempête, fendant la nue d'un vol léger, se précipite du sommet de l'Olympe entre Samos et la pierreuse Imbrum ; l'onde mugit sous le poids de la déesse qui plonge dans l'humide élément avec la rapidité du plomb attaché à la ligne du pêcheur, qui cache, sous la corne d'un bœuf sauvage, le 1(58 L'ILIADE, perfide appât, fléau des poissons. Parvenue au palais de Thétis, la messagère des dieux voit la mère d'Achille assise au milieu de ses nymphes, le visage baigné de pleurs, présageant la destinée de son valeureux fils, condamné à périr aux champs troyens, loin de sa terre natale, La légère Iris approche , lui parle ainsi : Levé- toi, 6 Thétis : Jupiter t'appelle, Jupiter dont les conseils sont éternels. Que me veut le maître des dieux, répond la déesse aux pieds d'argent : dans la douleur qui m'accable, suis-je en état d'assister aux festins sacrés ? J'irai cependant ; car les ordres du fils de Saturne ne doivent être ni transgressés ni éludés. Ainsi parle la plus belle des nymphes ; et se couvrant d'un voile noir, immense, dont rien n'égale l'obscurité et le deuil, elle s'élance de l'humide palais. La légère Iris la précède et la guide. Les gouffres profonds de la mer se fendent à l'aspect des deux déesses : elles gravissent la rive escarpée, et parviennent au sommet de l'Olympe, où les immortels, assis sur leurs trônes, environnent le dieu dont la vue perçante s'étend sur la nature entière. Thétis aborde le dieu qui lance le tonnerre, et s'assied près de lui; car Minerve lui CHANT XXIV. 169 céda le trône qu'elle occupoit. Junon s'efforce de calmer par ses paroles les douleurs de la fille du vieux Nérée; une coupe d'or lui est offerte parles mains de la reine des dieux. Thétis la vuide et la rend à l'épouse de Jupiter. Le père des dieux et des hommes prenant la parole : O Thétis, lui dit-il, tu arrives sur l'Olympe, l'ame accablée d'une douleur profonde; des soucis dévorants déchirent ton cœur, je le sais, et m'empresse de te dévoiler le puissant motif pour lequel je t'ai fait appeller. Depuis neuf jours une violente querelle s'est émue parmi les habitants de l'Olympe : Hector, dont la destinée est remplie, et Achille, le destructeur des cités, en sont les objets.Tous les dieux sollicitent l'adroit meurtrier d'Argus d'enlever à Achille les restes du fils de Priam. Mais, fidèle à l'alliance que j'ai contractée avec toi, fidèle à l'amour que tu m'as inspiré, je me suis opposé jusqu'ici à leurs projets ; car la gloire doit être le partage de ton fils. Vole à l'armée des Grecs, porte mes ordres à Achille, dis-lui que les dieux sont irrités, et moi plus que tous les autres, des outrages qu'il fait essuyer dans sa fureur à la dépouille mortelle d'Hector, qu'il retient dans ses vaisseaux, refusant de la rendre aux Troyens. Si la crainte du père des dieux et des liommes est 4. 22 i7o L'ILIADE, dans son cœur, qu'il leur livre les restes d'Hector. J'enverrai Iris ordonner au magnanime Priam d'aller au camp des Grecs racheter le corps de son iils, d'apporter à Achille une immense rançon dont il sera satisfait. Il dit. Docile aux ordres de Jupiter, Thétis se précipite du sommet de l'Olympe, arrive à la tente de son fils. Consterné , immobile, Achille pousse de profonds gémissements , ses fidèles compagnons , empressés autour de lui, s'efforcent de dissiper sa morne tristesse : un mouton engraissé r chargé d'une épaisse toison, vient d'être immolé ; ils préparent le repas du matin. La respectable mère d'Achille s'approche, s'assied près de son fils, lui prodigue de tendres caresses. Ô mon fils, lui dit-elle, mets un terme à ton deuil, chasse les soucis dévorants qui te consument. Tu ne bois ni ne manges ; le sommeil ne ferme point tes paupières ; tu n'es plus sensible aux plaisirs de l'amour, le charme des maux les plus cuisants qu'éprouve la race des mortels : cependant l'heure de ta mort approche. Dans peu la Parque inexorable tranchera le fil de tes jours. Suis mes conseils : Jupiter me députe vers toi. Il dit que tous les dieux sont irrités, et lui plus que tous les autres, des outrages que tu fais essuyer CHANT XXIV. 171 dans ta fureur à la dépouille mortelle d'Hector, que tu retiens dans tes vaisseaux, refusant de la rendre auxTroyens. Rends-leur, ô mon fils, cette précieuse dépouille, objet de leurs vœux; accepte en échange une immense rançon. Qu'on m'apporte cette rançon, répond Achille, que les Troyens enlèvent le corps d'Hector, puisque telle est la volonté du dieu qui règne sur l'Olympe. Ayant ainsi exécuté les ordres du maître des dieux, Thétis se livre aux tendres mouvements de l'amour maternel ; les paroles volent dans leurs mutuels entretiens. Cependant Jupiter députe Iris vers la sainte cité d'Ilion : Légère Iris, lui dit-il, abandonne le céleste palais ; hâte - toi de porter dans Troie mes ordres à Priam. Qu'il pénètre dans le camp des Grecs, pour racheter le corps de son fils, et payer à Achille une immense rançon dont son cœur soit satisfait. Qu'il parte seul, sans autre cortège que le plus vieux de ses hérauts pour conduire son char, diriger ses mules et reporter dans Troie la dépouille mortelle d'Hector précipité dans les sombres demeures par les mains du fils de Pelée. Que la crainte de la mort n'occupe point la pensée du père d'Hector; qu'elle ne l'arrête pas : le puissant meurtrier d'Argus l'escortera jusqu'à la tente i72 L'ILIADE, d'Achille. Le fils de Pelée le traitera avec humanité ; il contiendra tous les autres : car il n'est ni insensé, ni imprudent, ni impie; il respecte les droits de l'hospitalité : Priam trouvera grâce auprès d'Achille; il lui inspirera une tendre pitié. Il dit. Aussi rapide que la tempête, Iris, s'élançant.du sommet de l'Olympe, parvient au palais de Priam. Un deuil affreux règne dans la vaste enceinte de l'auguste demeure des rois ; les pleurs , les sanglots retentissent de toutes parts : les fils de Priam environnent leur père ; leurs vêtements sont mouillés de leurs larmes : au milieu d'eux, le vieux Priam , enveloppé dans son manteau, se roule sur la poussière ; la cendre souille ses cheveux blancs : ses filles, les épouses de ses fils T pleurent à ses côtés, rappellant à leurs pensées tous les héros que les enfants de la Grèce ont précipités dans les sombres demeures. La courriere de Jupiter, Iris, approche; d'une voix afïbiblie par l'effroi que lui cause cet affreux spectacle, elle adresse la parole à Priam : Prends confiance, Dardanien Priam , lui ditelle; que ma présence ne porte point le trouble dans ton ame : je viens soulager tes ennuis, non les accroître. Le dieu qui règne sur l'Olympe, qui, du sommet de la voûte éthérée, veille sur CHANT XXIV. i73 toi, a pris compassion de tes maux : Jupiter t'ordonne de racheter la dépouille mortelle de ton iils, de porter à Achille une riche rançon dont son cœur soit satisfait. Pénètre seul dans le camp des Grecs, sans autre cortège que le plus vieux de tes hérauts, pour conduire ton char, diriger tes mules, et reporter dans Troie le corps d'Hector qu'Achille a précipité dans les sombres demeures. Que la crainte de la mort ne t'arrête pas; qu'elle n'occupe point ta pensée : l'adroit meurtrier d'Argus , Mercure, t'escortera jusqu'à la tente d'Achille. Le fils de Pelée te traitera avec humanité , et contiendra tous les autres : car il n'est ni insensé, ni imprudent, ni impie; il respecte les droits de l'hospitalité. Aborde-le en suppliant; tu trouveras grâce devant lui; il aura compassion de tes infortunes. Ayant ainsi parlé, la légère Iris disparoît. Priai» ordonne d'atteler ses mules à son char, d'y placer un grand coffre. Il dit, et monte dans l'appartement parfumé, de bois de cèdre, dont le toit est d'une grande élévation, où sont renfermés ses trésors les plus précieux. Appellant Hécube sa tendre épouse : ' Mère affligée, lui dit-il, un messager du dieu qui règne sur l'Olympe m'ordonne de pénétrer i74 L'ILIADE, dans le camp des Grecs pour racheter mon iils, pour remettre aux mains d'Achille une riche rançon, dont son cœur soit satisfait. Expliquemoi ta pensée ; quel te paroi t être ce message? J'ai un désir ardent d'obéir, d'aller au camp des Grecs, de racheter les précieux restes d'Hector. Il dit. Des larmes abondantes baignent les joues de sa tendre épouse ; elle s'écrie : Infortuné ! qu'est devenue cette sagesse justement respectée de tes sujets, célèbre autrefois parmi les nations étrangères? Tu conçois le périlleux projet d'aller seul aux vaisseaux des Grecs, d'aborder un homme cruel, le meurtrier de tes valeureux enfants, dont le cœur est d'acier. A peine t'aura-t-il apperçu, qu'il te traitera en captif. Ne te flatte pas que le iils de Pelée, perfide, avide de sang, respecte tes cheveux blancs. Renfermés dans ce palais, loin d'une foule importune, pleurons la mort de mon fils, abandonnant sa dépouille mortelle à la trame affreuse que les Parques lui ont filée à l'instant de sa naissance, quand je le mis au monde : que le corps d'Hector soit, puisqu'il le faut, la pâture des chiens et des vautours, loin des siens, dans la tente de cet homme cruel dont je ne punirois dignement les forfaits qu'en dévorant son cœur, qu'en déchirant ses entrailles. Ainsi seroit vengé CHANT XXIV. i75 mon fils, le grand Hector, qu'il a percé sous les murs de sa patrie, aux yeux des Troyens et des Troyennes défendus par son intrépide valeur. 0 ma chère épouse, répond le vieux Priam dont la majesté égale celle des immortels, n'essaie pas de me détourner de la résolution que j'ai prise: ne porte point l'effroi dans mon palais par de sinistres présages ; tu ne me persuaderois point. Si quelque mortel, soit devin, soit pontife ou sacrificateur, m'eût donné cet ordre, je le croirois menteur et refuserois d'y obéir : mais une divinité est descendue de l'Olympe; je l'ai-vue de mes yeux. Docile aux ordres des immortels, je pars. Puissé-je mourir dans les vaisseaux des Grecs ; qu'Achille me perce de son javelot sur le corps de mon malheureux fils, le serrant dans mes bras , rassasié de mes larmes ! c'est l'objet de mes vœux ! Il dit ; et ouvrant les arches solides qui renferment ses trésors, il en tire douze manteaux d'une grande beauté, douze voiles très fins, autant de tapis, autant de superbes tuniques, dix talents d'or, deux trépieds éclatants, quatre vases d'airain, une coupe d'une grande valeur, présent que lui firent les Tliraces, quand il fut envoyé dans cette contrée, porteur de paroles de paix. Cette i76 L'ILIADE, coupe est d'or, d'un travail exquis. Le vieuxPriam la gardoit avec soin dans son palais. Il la consacre à la rançon de son fils ; car la dépouille d'Hector est d'un prix inestimable à ses yeux. Tous les Troyens s'empressent autour de lui, font effort pour l'arrêter ; il les repousse avec de dures paroles : Lâches, leur dit-il, dignes de toutes sortes d'opprobres, retournez dans vos maisons pleurer les pertes que vous avez faites. Cessez de me fatiguer par de vaines instances; n'ajoutez pas aux maux dont le iils de Saturne m'a accablé, m'ayant ravi le plus courageux de mes iils. Vous sentirez un jour le besoin que vous aviez de son bras. Privés de ce héros, les Grecs triompheront aisément d'une multitude impuissante. Puissé-je descendre dans les sombres demeures, avant de voir cette grande cité dévastée, réduite en cendres par les enfants de la Grèce ! Il dit, et les écarte avec son sceptre. Respectant la douleur du vieux monarque, ils s'éloignent. Neuf de ses iils, les seuls qui lui restent, Hélénus, Paris, le divin Agathon , Pammon, Antiphonus, le valeureux Polytès, Déiphobus, Hippothoûs et le divin Agauus, s'empressent autour de lui. Le vieillard leur adresse ces durs reproches : CHANT XXIV. 177 Enfants pervers, l'opprobre de ma race, hâtezvous d'obéir à mes ordres ; votre vie ne peut me consoler de la perte du seul Hector. Infortuné ! j'eus des enfants valeureux, le divin Mestor, Troïlus qui se plaisoit à combattre de dessus son char, Hector qui sembloit un dieu descendu sur la terre, digne d'être le fils d'un dieu plutôt que d'un mortel. La guerre les a tous moissonnés. Il ne me reste que des fils dont je rougis d'être père, parjures, légers, qui languissent dans une molle oisiveté, qui ne se plaisent que dans les festins, sang-sues de mon peuple, qui dévorent ses agneaux et ses chèvres. Hâtez-vous de préparer mon char, d'y placer cette précieuse rançon pour que j'accomplisse le voyage que les dieux m'ont prescrit. Il dit. Ses fils respectueux, craignant d'irriter un père qu'ils chérissent, s'empressent de préparer le char solide, formé de planches nouvellement assemblées, à quatre roues, propre à être traîné par des mules ; ils y attachent, à l'aide de forts cordages, le coffre destiné à contenir la rançon d'Hector. Le joug de bois, orné de bossettes et d'anneaux, est détaché de la muraille : ils le fixent à l'extrémité du timon. Des rênes de neuf coudées y sont suspendues ; les fils de Priam les passent par trois fois dans l'anneau, les unissent 4. 23 178 L'ILIADE, par un nœud sous l'angle du joug, lesy Hxent avec solidité, apportent la riche rançon, la placent dans le char, attellent les mules vigoureuses, infatigables, superbe présent que les Mysiens firent autrefois à Priam. Des coursiers légers, destinés au char du monarque, sont tirés de ses vastes écuries où il les nourrit avec soin. Occupé de sages pensées, le Dardanien Priam et son héraut les attellent eux-mêmes sous le portique du palais.Tenant dans ses mains une coupe d'or, pleine d'un vin aussi doux que le miel, Hécube désolée approche: elle se place à la tête des coursiers, et ne souffre pas que Priam et son héraut partent avant d'avoir offert aux dieux de saintes libations. Présentant la coupe à son époux : Puisque, malgré mes efforts, lui dit-elle, tu as formé le périlleux projet de pénétrer dans le camp des Grecs, offre avant tout de saintes libations au père des dieux et des hommes, pour qu'il te préserve du javelot de l'ennemi et te ramené dans ton palais. Adresse tes humbles vœux au fils de Saturne, qui, du sommet de l'Ida, veille sur Ilion ; demande-lui d'affermir ton courage par un augure favorable, de faire voler sur la droite cet oiseau qu'il chérit par-dessus tous les autres, le plus léger, le plus fort des habitants de l'air, que tu le voies de tes yeux ; qu'il t'inspire CHANT XXIV. 179 une juste confiance de réussir dans cette périlleuse tentative. Si le dieu dont l'œil perçant embrasse la nature entière, te refuse cet augure favorable, arrête tes coursiers; ne hasarde point, malgré ton impatience, d'approcher du camp des Grecs. Femme, lui répond le divin Priam, je ne me refuserai pas à tes pieuses instances : il est bon d'élever ses mains suppliantes vers le dieu qui lance le tonnerre. Il dit, et ordonne à une adroite captive de verser de l'eau sur ses mains. L'esclave cellériere, portant une aiguière d'or sur un bassin d'argent, répand une onde pure sur les mains du monarque. Prenant la coupe de celles de son épouse, debout au milieu de la vaste enceinte de son palais , les yeux élevés vers le ciel, le vieux Priam fait des libations à Jupiter, lui adresse cette fervente prière : Père des dieux et des hommes, qui domines sur l'Ida, dont la puissance égale la bonté, accorde-moi de pénétrer jusqu'à la tente d'Achille , de trouver grâce devant ce héros, d'émouvoir sa pitié. Affermis mon courage par un augure favorable ; fais voler sur la droite cet oiseau que tu chéris par-dessus les autres, messager rapide de 180 L'ILIADE, tes ordres suprêmes, le plus fort des oiseaux ; que je le voie de mes yeux, qu'il m'inspire une juste confiance de parvenir en sûreté aux vaisseaux des Grecs. Ainsi parle le vieux Priam, et ses vœux sont exaucés. Le dieu qui lance le tonnerre lui envoie le plus certain des augures, cet oiseau de proie dont les plumes sont d'un or foncé, qu'ils nomment le grand aigle ; ses ailes étendues couvrent tout l'espace qu'occupe le portique élevé de la maison d'un homme riche. Il vole sur la droite et parcourt la vaste enceinte de Troie : tous le voient; leurs âmes sont réjouies, leurs espérances ranimées. Priam se hâte de monter sur son char; le portique sonore retentit du bruit du départ; les mules légères précèdent, dirigées par Idée ; elles traînent le char à quatre roues qui renferme la rançon d'Hector. Priam suit, monté sur son char qu'enlèvent de rapides coursiers; le fouet, manié avec art, hâte et ralentit leur marche impétueuse. Suivi de ses enfants, de ses gendres, d'un peuple immense qui l'adore, le vieux Priam traverse la vaste cité de Troie : tous pleurent, tous gémissent, comme s'il alloit à la mort. Parvenus aux portes de la ville, à la route qui conduit au camp des Grecs, ses fils, ses gendres, contraints de CHANT XXIV. 181 l'abandonner, retournent tristement dans leurs palais. Le dieu dont l'œil perçant s'étend sur la nature entière , voit Priam traverser la plaine , précédé de son héraut : ému d'une tendre pitié, il adresse la parole à Mercure son cher fils : O Mercure, lui dit-il, aucun des dieux ne se plaît plus que toi parmi les mortels ; tu protèges celui qui t'est agréable. Vole au secours de Priam qui marche vers le camp des Grecs ; sois son guide, ô mon fils : qu'aucun des enfants de la Grèce ne le reconnoisse, avant qu'il soit parvenu à la tente d'Achille. Il dit. Docile aux ordres de Jupiter, le messager des dieux, l'adroit meurtrier d'Argus, attache ces brillantes talonnieres d'or qui le portent sur la terre et sur l'onde avec la rapidité des vents, prend en main cette verge miraculeuse avec laquelle il ferme, quand il lui plaît, les yeux des mortels, et, quand il lui plaît, les rappelle à la vie. Armé de cette verge puissante, Mercure se précipite du sommet de l'Olympe, vole avec rapidité vers les champs troyens, parvient aux rives de l'Hellespont, sous la forme d'un jeune guerrier dont un léger duvet couvre le menton. Le vieux Priam et son héraut ont passé l'antique tombeau d'Ilus : leur course rapide est suspendue; les coursiers et 182 L'ILIADE, les mules étanchent leur soif dans l'onde limpide du Xanthe; les voiles de la nuit s'étendent sur la terre. Idée apperçoit près de lui un jeune homme dans la fleur de l'âge. Adressant la parole au monarque : Fils de Dardanus, lui dit-il, prends conseil de ta sagesse. Un guerrier est près de nous ; notre perte est certaine. Fuyons, ou embrassons ses genoux; peut-être aura-t-il pitié de notre infortune. Il dit. La terreur s'empare du vieux monarque $ ses cheveux, blanchis parles ans, se dressent sur sa tête ; il tremble de tous ses membres. Mercure approche ; lui prenant la main : O mon père, lui dit-il, où vas-tu avec ces chevaux et ces mules, par une nuit obscure, quand tous les autres mortels sont plongés dans le sommeil? Ne redoutes-tu point le courroux des Grecs? Des ennemis implacables sont près de toi. Si quelqu'un d'eux te voyoit emporter ces trésors, quel seroit ton espoir? Tu n'es plus jeune, et.ton compagnon est vieux; esperes-tu, avec une telle escorte, repousser l'ennemi? Ne redoute aucun mal de ma part : je te défendrai ; car je t'honore à l'égal d'un père. Mon cher fils, lui répond Priam dont la majesté égale celle des dieux , je connois tous les CHANT XXIV. i83 périls qui m'environnent : mais quelque dieu me protège, puisqu'il m'envoie un tel guide. Rencontre fortunée! j'admire ta beauté, la majesté de ton port, la sagesse de te* conseils ; tu es sans doute de la race des heureux habitants de l'Olympe. Ta sagesse, ô vieillard, éclate dans tes paroles, reprend l'adroit meurtrier d'Argus. Mais parlemoi avec sincérité : transportes-tu dans une terre étrangère ces trésors, débris de ta fortune? tous les Troyens, dans la frayeur que les Grecs leur inspirent, ont-ils formé le projet d'abandonner la grande cité d'Ilion, ayant perdu leur valeureux défenseur, ton fils, qui les menoit au combat, qui ne le cédoit à aucun des héros de la Grèce? Ô toi, qui rends justice aux vertus de mon fils et prends part à la douleur qui m'accable, répond le vieux Priam, qui es- tu? quelle est ton origine ? Tu veux m'éprouver, ô vieillard, répond Mercure , pour que je te parle de ton fils, le divin Hector. Je l'ai vu dans les combats, dans les pénibles travaux de la guerre, portant la flamme et le carnage dans les vaisseaux des Grecs. Oisifs alors, nous admirions ses exploits ; car Achille, irrité contre le fils d'Atrée, ne nous permettoit pas de 184 L'ILIADE, combattre. Je suis l'un des Thessaliens ; Achille est mon roi ; un même vaisseau nous apporta aux champs troyens. L'opulent Polyctor mon père , courbé maintenant, comme toi, sous le poids des ans, eut sept enfants; je suis le dernier. Nous agitâmes des billets dans un casque : le sort décida lequel d'entre nous accompagneroit le fils de Pelée aux champs troyens ; le sort tomba sur moi. Je me suis éloigné du camp des Grecs dans le dessein d'épier vos mouvements. Au lever de l'aurore, les enfants de la Grèce, qui s'ennuient de ce long repos, donneront l'assaut à la grande cité d'Ilion ; car les rois ne peuvent contenir leur ardeur. Puisqu'Achille, fils de Pelée, est ton maître, répond le vieux Priam dont la majesté égale celle des dieux, parle-moi avec vérité. Le corps de mon malheureux fils est-il encore dans les vaisseaux des Grecs ? Achille a-t-il livré à ses chiens la dé' pouille mortelle de mon fils? Ni les chiens ni les oiseaux du ciel n'ont déchiré le corps de ton fils, répond l'adroit meurtrier d'Argus. Il repose sans gloire depuis douze jours à l'entrée de la tente d'Achille ; et cependant sa chair n'est point flétrie : les vers, la corruption, qui souillent les victimes de Mars, ont respecté le corps d'Hector. Tous les jours, au lever de CHANT XXIV. i85 l'aurore, Achille l'attache à son char, l'entraîne autour du tombeau de son cher compagnon, et ne lui fait point d'autre outrage. Le voyant, tu admireras sa fraîcheur et sa beauté : ses traits ne sont point altérés ; le sang noir et livide qui le couvroit a été purifié : les plaies nombreuses que lui firent les enfants de la Grèce, le perçant de leurs javelots, sont maintenant fermées; il semble respirer ; tant est grand le soin que les immortels on t pris de ton fils depuis son trépas, car Hector leur fbt cher dans tous les temps. Ce récit adoucit la tristesse mortelle du vieux Priam. Ainsi, dit-il, les dieux se plaisent à récompenser ceux qui leur rendent un culte religieux. Jamais Hector (hélas ! il n'est plus î) n'oublia dans mon palais les heureux habitants de l'Olympe ; ils ne l'oublient point après son trépas, lorsqu'il a succombé à sa destinée. Reçois, ô mon fils, cette belle coupe que ma main te présente; daigne me protéger, daigne guider mes pas afin que je parvienne, avec l'aide des dieux, jusqu'à la tente du fils de Pelée. Tu tends des pièges à ma jeunesse, ô vieillard, lui répond l'adroit messager de Jupiter, me proposant d'accepter tes dons, à l'insu du fils de Pelée. Le respect que je porte à ce héros ne me 4. 24 i8<5 L'ILIADE, permet pas de recevoir une coupe qui lui fut destinée. Achille m'en puniroit. Mais, fallût-il te conduire dans Argos, parcourir avec toi et la terre et la mer, je guiderai tes pas ; avec une telle escorte, ne crains point qu'aucun mortel soit assez téméraire pour te provoquer au combat. Ainsi parle Mercure ; et s'élançant sur le char, il prend en main le fouet et les guides, et accroît l'ardeur des coursiers et des mules. Parvenus au fossé et aux tours qui bordent la haute muraille , ils trouvent les gardes avancées, qui goûtent les douceurs du repas du soir. L'adroit Mercure répand sur leurs paupières les pavots du sommeil ; poussant les leviers, il contraint les portes de s'ouvrir. Les deux chars entrent dans le camp ; ils parviennent ainsi à la tente du iils de Pelée, superbe demeure que les Thessaliens élevèrent à leur roi, de planches de sapin artistement ajustées, que recouvrent des joncs flexibles. Une vaste enceinte, d'immenses parvis la précèdent et l'environnent; une porte les ferme à l'aide d'un seul levier si pesant, que trois hommes ont peine à le mettre en mouvement ; et cependant le fils de Pelée fait seul tourner cette porte sur ses gonds. L'utile Mercure l'ouvre au vieillard, l'introduit dans la tente d'Achille, lui et la riche rançon qu'il C H A N T XXIV. 187 apporte. Descendu du char, il adresse la parole au vieux Priam : Je suis Mercure, lui dit-il, l'un des habitants de l'Olympe. Mon père, le grand Jupiter, m'a ordonné de t'escorter; je remonte dans le céleste palais, car je ne dois pas m'offrir aux yeux d'Achille. La majesté divine seroit blessée, si je m'abaissois jusqu'à implorer un mortel. Pénètre seul dans la tente d'Achille, embrasse ses genoux, adresse-lui tes humbles vœux ; rappelle à son esprit, pour fléchir son courroux, le souvenir de son père, de la déesse sa mère, d'un fils cher à son cœur. Ainsi parle Mercure, et il remonte sur l'Olympe. Priam descend du char, ordonnant à Idée de veiller à la garde des coursiers et des mules. Il pénètre seul dans la tente d'Achille, voit le fils de Pelée assis sur son trône, loin de ses compagnons, plongé dans une affreuse tristesse. Ses fidèles compagnons, respectant sa douleur, n'osent l'approcher. Deux seuls, Automédon et Alcime, rejetons de Mars, sont près de lui pour le servir. Us achèvent le repas du soir; la table est encore dressée. Priam est entré sans être vu : il s'approche d'Achille, embrasse ses genoux, colle ses lèvres sur ces mains homicides qui lui ravirent tant de magnanimes enfants. Le fils de Pelée frémit à* i88- L'ILIADE, cette vue : ses compagnons se regardent l'un I'atrtre, saisis d'une terreurégale à celle qu'inspire ur* meurtrier qui, contraint d'abandonner sa patrie, fuyant la vengeance des parents du mort, pénètre dans la maison d'un homme riche où il cherche un asyle. Rompant enfin ce long silence, le père d'Hector adresse à Achille cette humble prière r O Achille, la vivante image des dieux, souviens-toi de ton père. Courbé comme moi sous le poids des ans, peut-être en ce moment, accablé par des voisins puissants, il cherche un défenseur qui repousse les maux prêts à fondre sur sa tête^ Cependant son ame est en paix, sachant que tu vis, espérant te revoir dans son palais, à ton re-r tour de Troie. Mon malheur ne reçoit aucune consolation. J'eus, dans la grande cité d'ilion, de valeureux enfants ; il me semble que je reste seul, privé de tous. Cinquante iils naquirent dans mon palais. Telle étoit ma nombreuse postérité, quand les enfants de la Grèce abordèrent aux champs troyens. La seule Hécube m'en donna dix-neuf r d'autres épouses un plus grand nombre. Aucun des iils d'Hécube n'existe maintenant ; le cruel dieu de la guerre les a tous précipités dans lessombres demeures. Un seul me restoit, le rempart de Troie, le défenseur de mon peuple, moi* CHANT XXIV. 189 cher Hector ; il vient de tomber sous tes coups, en défendant la cité qui l'a vu naître. Tel est le sujet qui me conduit dans le camp des Grecs, et m'enhardit jusqu'à pénétrer dans ta tente, ô Achille, pour y racheter la dépouille,mortelle de mon fils. J'apporte une immense rançon. Fils de Pelée, respecte les dieux, prends pitié de mon infortune. Souviens-toi de ton père; je suis plus digne de compassion; contraint, par une douleur qui n'eut point d'exemple sur la terre, de coller mes lèvres, d'arroser de mes larmes les mains homicides du héros qui donna la mort à tous les miens. Il dit. Le souvenir de son père excite dans l'ame d'Achille une douleur profonde : il pleure r gémit, verse des larmes ameres, repousse doucement le vieux Priam, qui, prosterné à ses pieds r frémit à la vue du meurtrier de son fils, La piété filiale, le souvenir de Patrocle se combattent dans l'ame d'Achille , et lui arrachent des larmes; leurs sanglots, leurs profonds gémissements retentissent dans la vaste enceinte de la tente du fils d e Pelée. Lorsque le besoin de pleurer est appaisé r qu'Achille s'est rassasié de ses larmes, respectant les cheveux blancs, respectant le menton blanchi par les années du vieux Priam > il se levé du trône IOO L'ILIADE, où il est assis, soulevé doucement le vieillard, lui tendant la main: Infortuné, dit-il, ta constance a été éprouvée par de cruelles douleurs. Assez courageux pour oser seul, sans escorte, pénétrer dans le camp des Grecs, implorer la clémence de celui qui t'a privé du plus grand nombre de tes iils ; ton cœur est d'acier. Prends place sur ce trône. Suspends l'expression de la douleur qui nous accable l'un et l'autre : un deuil éternel ne remédieroit point à nos maux. A l'abri des soins qui nous agitent, les heureux immortels ont fait des douleurs le partage de l'humanité. Passer leurs jours dans la tristesse, c'est le destin des hommes. Deux urnes profondes sont placées dans le palais de Jupiter, l'une des biens, l'autre des maux; la vie de celui sur lequel le dieu qui manie la foudre puise et verse alternativement la liqueur enfermée dans ces urnes, est mélangée de bien et de mal. Celui-là est éternellement malheureux, sur lequel Jupiter puise et verse sans cesse de l'urne des maux : une affreuse indigence le contraint d'errer sur la terre, objet du mépris des dieux et des hommes. Dès ses plus jeunes ans, Pelée fut comblé de biens : roi des Thessaliens, son bonheur, ses richesses, surpassoient celles de tous les autres humains. Quoique CHANT XXIV. 191 mortel, les dieux l'unirent, par les nœuds de l'hymen, à une divinité. Le destin ennemi lui envoya le malheur ; il ne permit pas qu'une nombreuse postérité, élevée dans son palais, consolât sa vieillesse : Thétis n'eut qu'un iils. Détenu loin de ma terre natale, dans les champs troyens, pour ton malheur, ô vieillard ! pour le malheur de tes enfants, privé de la douce consolation de prodiguer mes tendres soins à Pelée mon père, ma vie s'écoulera comme un songe. Et toi, Priam , le bruit de ta félicité parvint jusqu'à nous. Lesbos où régna Macar au midi, la Phrygie à l'orient, les rives de l'Hellespont au nord, furent renfermées dans les limites de ton empire. Possesseur d'immenses trésors, de nombreux enfants fleurissoient dans ton palais, quand les habitants de la voûte éthérée firent fondre le malheur sur ta tête ; des combats sanglants sous les murs de ta ville, des meurtres, des homicides; tel est maintenant ton destin. Supporte tes maux avec patience; qu'une douleur éternelle ne consume pas ta vieillesse : l'affliction dont t'accable la perte de ton fils ne le rendra pas à la vie; crains d'accroître ton infortune. Divin fils de Pelée, lui répond le vieux Priam, tu me proposes de prendre place sur un trône , 192 L* I L I A D E , tandis que la poussière de ta tente souille le corps d'Hector ! Accepte la rançon que je t'apporte ; rends-moi le corps d'Hector, que je le voie de mes yeux. M'ayant ainsi rappelle à la vie, à la lumière du soleil, daigne le ciel, mettant un terme à tes travaux, te ramener dans ta terre natale! Ne m'irrite point, ô vieillard, répond Achille jetant sur lui un regard furieux. J'ai dessein de te rendre Hector : ma mère, la fille du vieux Nérée, est venue m'apporter les ordres de Jupiter. Je n'ignore pas que l'un des habitants de l'Olympe t'a guidé dans le camp des Grecs. Sans ce puissant secours, quel mortel, même dans la force de l'âge, eût surmonté tant d'obstacles, trompé les sentinelles, abaissé les leviers de nos portes, percé une armée entière? Et toutefois n'accrois pas ma douleur ; crains que, malgré les ordres de Jupiter, malgré le respect dû à un suppliant malheureux, je ne te permette pas même d'errer dans ma tente. Il dit. Le vieux Priam sort en tremblant. Suivi du héros Automédon et d'Alcime, ses fidèles compagnons, qu'il honore par-dessus tous les autres depuis la mort de Patrocle, le fils de Pelée semblable à un lion, franchit la vaste enceinte de sa tente. Alcime et Automédon détellent les chevaux et les mules, emmènent Idée, le héraut du CHANT XXIV. io3 vieux Priam, lui ordonnent de veiller sur le char. Cependant ils s'emparent au nom de leur maître de l'immense rançon, ne laissant dans le char que deux voiles et une tunique destinés à couvrir le corps d'Hector, quand le vieux monarque et son héraut le transporteront dans Troie. Achille ordonne aux femmes captives de purifier la dépouille mortelle d'Hector, de l'arroser d'huile parfumée: Faites, leur dit-il, ces apprêts dans un lieu écarté, de peur que Priam, ne pouvant contenir l'expression de sa douleur, à la vue du corps sans vie de son iils, n'excite mon courroux, que je ne lui donne la mort malgré les ordres de Jupiter. A l'instant les femmes captives purifient par le bain la dépouille mortelle d'Hector, versent sur son corps une huile parfumée, le couvrent de la tunique et du voile précieux réservés pour cet usage. Le fils de Pelée s'empare du corps d'Hector, l'élevé, le place lui-même sur le lit funèbre que ses compagnons ont posé sur le char. Adressant la parole aux mânes de Patrocle : G mon fidèle compagnon, dit-il, ne t'irrite pas, quand tu apprendras, dans le séjour des ombres, que j'ai rendu à son père le divin Hector. Priam a racheté d'une rançon digne de nous les précieux 4. 25 i94 L'ILIADE, restes de son iîls. Je l'emploierai à accroître les honneurs dus à tes mânes. Il dit; et rentrant dans sa tente, il reprend le' trône qu'il a quitté, adossé à la muraille opposée au trône sur lequel il a fait asseoir le vieux Priam. Adressant la parole a ce père affligé : Ton fils t'esl rendu, ô vieillard, lui dit-il; il repose en ce moment sur ton char. Demain, au lever de l'aurore f lu le verras et le reporteras dans Troie, Goûte maintenant les douceurs du festin, malgré la douleur qui t'accable. Ainsi la triste Niobé se nourrie d'un pain arrosé de ses larmes, pleurant la morl de douze enfants immolés dans son palais , six filles d'une grande beauté, six héros dans la fleur de l'âge. ApoHon à l'arc d'argent perça les mâlesde ses flèches invincibles ; les filles tombèrent sous les coups de la chasseresse Artémise : car le» deux enfants de Latone se réunirent pour vengea l'injure que l'orgueilleuse Niobé avoit faite à leur inere, osant comparer sa fécondité à celle de la déesse, se vantant que douze enfants étoient sortis* de son sein, tandis que Latone n'en avoit eu que deux. Mais les deux enfants de la déesse donnèrent la mort à tous ceux de la superbe Niobé.. Pendant neuf jours, Apollon et Diane les poursuivirent, et personne ne se trouva pour leur rendre CHANT XXIV. 195 lés honneurs funèbres ; car Jupiter avoit endurci le cœur de ce peuple: le dixième jour, les dieux, habitants de l'Olympe, les ensevelirent. Épuisée par ses larmes, la triste Niobé rétablit, par la nourriture, ses forces abattues. Maintenant encore dans Sipyle, sur des roches escarpées, sur des montagnes désertes, où Ton dit qu'est placé le palais des nymphes dont les chants harmonieux et les danses légères retentissent sur les rives de l'Achéloûs, le roc dans lequel la triste Niobé a: été métamorphosée, s'amollit des pleurs de cette mère désolée. O vieillard, que les douceurs du festin rappellent tes esprits affaissés sous le poids de la douleur. Demain, au lever de l'aurore, tu ramèneras ton fils dans Troie ; il sera honoré de tes larmes : car ta douleur est juste ; la mort d'Hector est un digne sujet de deuil. Il dit ; et s'élançant de son trône, il immole un mouton couvert d'une toison argentée. Ses com« pagnons le dépouillent, le préparent, le coupent en morceaux qu'ils percent avec des broches; ils les placent sur un feu ardent, les assaisonnent convenablement, les retirent du feu. Automédon distribue le pain en de belles corbeilles, Achille partage les chairs ; ils portent leurs mains sur les mets qui leur sont offerts. Quand le désir du boire K>6 L'ILIADE, et du manger est appaisé, le Dardanien Priam admire la force, la beauté, la majesté du fils de Pelée, égale à celle des immortels. Avec non moins de surprise et d'admiration, le fils de Pelée considère le front auguste, plein de bonté, du Dardanien Priam ; les discours remplis de sagesse du vieux monarque s'offrent à sa pensée : leur profonde tristesse reçoit quelque soulagement. Après quelques moments de silence, le vieux Priam prenant la parole: Divin Achille, dit-il, retirons-nous : permets que je goûte quelque repos; car depuis le jour que mon malheureux fils tomba sous tes coups, l'excès de ma douleur, mes éternels sanglots, n'ont pas permis que le sommeil ferma* mes paupières. Renfermé au fond de mon palais, je m e roulois sur la poussière. Aujourd'hui, pour la première fois, les dons de Cérès ont réparé mes forces abattues; pour la première fois le vin a humecté mon palais. 11 dit. Achille ordonne à ses compagnons et aux femmes captives de préparer des lits sous le portique, de les couvrir de surjerbes tapis de pourpre, de fines couvertures, de voiles précieux : ïes femmes esclaves sortent de la tente d'Achirle, tenant dans leurs mains des torches ardentes; elles CHANT XXIV. 197 se hâtent de dresser deux lits sous le portique. AfFectant une fausse terreur, le iils de Pelée adresse !a parole à Priara : Vieillard, que je chéris et révère, lui dit-il, j'ai fait dresser ton lit sous le portique, dans la crainte que quelqu'un des héros de la Grèce, qui viennent sans cesse dans ma tente pour tenir conseil, comme la justice l'exige, ne te reconnût, qu'il n'avertît Agamemnon, le pasteur des peuples ; que ton départ ne fût différé, que tu ne pusses reporter dans Troie le corps de ton fils. Mais parle-moi avec sincérité : combien de jours as-tu dessein d'employer aux funérailles d'Hector? Je m'abstiendrai de combattre pendant tout ce temps, et contiendrai l'impatience des Grecs. O Achille, répond Priam, la trêve que tu m'accordes pour célébrer les funérailles de mon fils adoucit mes ennuis. Tu sais que, renfermés dans nos murs, loin de la forêt, nous sommes contraints de voiturer le bois par des sentiers difficiles, sur des monts escarpés ; tu n'ignores pas que la terreur est répandue parmi les Troyens. Pendant neuf Jours, nous pleurerons Hector dans le palais : le dixième nous le pleurerons sur le bûcher ; le peuple assistera au festin funèbre : le onzième nous lut élèverons un tombeau : quand la douzième aurore i98 L'ILIADE, éclairera l'horizon, nous combattrons, puisque la nécessité nous y contraint. Il en sera comme tu l'ordonnes, ô vieillard, répond Achille; pendant tout ce temps, je suspendrai les hostilités. Il dit; et, pour gage de sa foi, pour dissiper la frayeur dont l'ame du vieux monarque est saisie, il lui présente la main, reçoit la sienne et la serre. Épuisés de fatigue et de douleur, le vieux Priam et son héraut dorment sous le portique : le fils de Pelée repose dans un réduit obscur ; la belle Biïséis est à ses côtés. Le sommeil verse ses pavots sur tous les dieux, sur tous les hommes: mais l'utile Mercure ne dort pas ; il médite en lui-même comment il remenera Priam dans la grande cité de Troie, à travers l'armée des Grecs, trompant les sentinelles qui veillent aux portes de la haute muraille. S'élançant du sommet de l'Olympe, il s'arrête sur la tête du vieux Priam, et lui parle ainsi : Seul, au milieu de tes ennemis, tu dors, ô vieillard , et ne songes pas aux périls qui t'environnent ! T u as fléchi l'ame indom table du iils de Pelée ; il t'a rendu ton iils ; il a reçu la riche rançon dont tu as racheté la dépouille mortelle d'Hector : les enfants qui te restent en donneroient trois fois au- CHANT XXIV. 199 tant, si le fils d'Atrée et les autres Grecs te surprenoient vivant dans le camp, Il dit; le vieillard tremblant éveille son héraut. Mercure attelle lui-même les coursiers et les mules. Ils traversent avec rapidité l'armée des Grecs, sans que personne les reconnoisse. Parvenus au gué du large fleuve, du tortueux Xanthe qui tire sa source de Jupiter, Mercure dispàroît, et remonte sur l'Olympe. En ce moment, l'aurore étend son voile de pourpre sur la terre : Priam et Idée, les yeux baignés de larmes, poussant de profonds gémissements , traversent la plaine sur leurs chars ; les mules légères reportent dans Troie le corps du malheureux Hector. Aucun des Troyens, aucune des Troyennes ne les a encore apperçus : mais Cassandre, dont la beauté égale celle de Vénus t a devancé l'aurore pour monter sur la haute tour d'Ilion ; elle reconnoît son père, que précède le héraut Idée ; elle reconnoît les mules vigoureuse» qui transportent sur un brancard funèbre la dépouille mortelle de son frère Hector; ses cris retentissent dans la vaste cité d'Ilion: Troyens et Troyennes, dit-elle, portez vos regards sur la plaine ; hâtez-vous d'aller au-devant d'Hector qui vous est rendu. Vous, dont le cœur 2oo L'ILIADE, tressailloit, quand il revenoit triomphant de ces combats meurtriers , ayant protégé ses concitoyens, empressez-vous de le recevoir en ce triste appareil. Elle dit. La ville est déserte, tant est grande la désolation. Ils se pressent autour des portes, entourent le char qui renferme les précieux restes d'Hector. Sa tendre épouse, sa respectable mère accourent les premières ; arrachant leurs cheveux, meurtrissant leurs joues, se précipitant sous les roues du char, elles font effort pour toucher cette tête qui leur fut si chère : un peuple immense les environne, versant des larmes ameres. Le soleil eût plongé dans l'Océan, le jour eût fait place à la nuit, avant que leurs larmes se fussent taries, si, du haut de son char, le vieux Priam n'eût contenu ces transports. Cessez de me fermer le passage, leur dit-il, souffrez que les mules reportent au palais les précieux restes d'Hector. C'est en ce lieu que vous lui paierez le tribut de vos larmes. Il dit. Tous s'éloignent. Le char parcourt lentement la route frayée, et parvient au superbe palais de Priam. Les restes d'Hector sont placés sur un lit pompeux ; les chants funèbres commencent. Les larmes, les sanglots les interrompent; les C H A N T XXIV. 201 femmes, les divins chanteurs font retentir le palais de leurs cris douloureux. Andromaque aux bras d'albâtre s'avance la première. Pressant de ses mains la tête d'Hector: O mon époux, dit-elle, tu meurs dans la fleur de l'âge, et me laisses veuve, dans ce palais, et un iîls au berceau, fruit d'un mutuel amour; hélas! trop malheureux. Jamais mon fils ne sera ton vengeur. Dans peu la puissante cité d'Ilion tombera anéantie. Tu veillois sur ses remparts; tu protégeois les épouses des Troyens ; tu défendois leurs tendres enfants, que bientôt les Grecs emmèneront captifs dans leurs vaisseaux, et moi avec eux. Tu nous suivras, ô mon fils, condamné à d'indignes travaux sous un maître cruel, si, avant ce temps, quelqu'un des enfants de la Grèce ne t'arrache de mes bras pour te précipiter du sommet de nos tours, vengeant par ta mort un frère, un père, un fils, tant de héros qui mordirent la poussière sous les coups d'Hector ; car ton père fut terrible dans le combat. Ta mort, ô mon cher Hector, porte la désolation dans cette grande cité, dans l'ame de ton père, dans l'ame de ta respectable mère; mais sur-tout dans l'ame de ta veuve, qua tu laisses en proie à de cruelles douleurs. Hélas ! je n'ai pas eu la triste consolation de te voir tendre 426 202 L'ILIADE, vers moi tes bras défaillants, me donner tes derniers ordres pleins de sagesse, dont le souvenir n'eût sorti de ma mémoire ni le jour ni la nuit, tant que le destin m'eût conservé une vie dévouée maintenant à d'éternelles douleurs. Elle dit, et verse un torrent de larmes; les femmes du palais répondent à ses lugubres accents. O toi, celui de tous mes fils le plus cher à mon cœur, Hector! s'écrie la triste Hécube, les dieux t'aimèrent; ils récompensent ta piété, même dans le palais de Plu ton, où ta cruelle destinée t'a conduit. Captifs entre les mains d'Achille, tous mes autres enfants furent vendus par lui au-delà des mers, dans Samos, dans Imbrun, dans la nébuleuse Lemnos. Pour venger son fidèle compagnon, le cruel Achille a percé ton flanc ; il t'a traîné autour du tombeau de Patrocle. Vain trophée qui n'a pas rappelle à la vie son cher compagnon ! Cependant, vainqueurs du temps, vainqueurs des efforts du fils de Pelée, tes traits, ô mon cher Hector, n'ont point été altérés; tu reposes sur ce lit, semblable à un mortel qu'Apollon a percé de ses flèches bénignes. Elle dit, et inonde de ses larmes le visage de son fils. Les Troyennes lui répondent par de profonds gémissements. CHANT XXIV. 2o3 Hélène ferme la pompe funèbre : 0 Hector! de tous les enfants de Priam le plus cher à mon cœur, dit-elle. O mon frère; puisque les nœuds de l'hymen me lient à Paris, dont la beauté égale celle des immortels. Plût aux dieux que ma mort et la sienne eussent prévenu ce fatal hymenée ! Déjà la vingtième année s'écoule depuis le jour que, ravie à ma terre natale, je fus entraînée sur ces rives. Pendant tout ce temps, je n'entendis sortir de ta bouche ni plainte ni injure. Jamais tu ne m'imputas le malheur de ta patrie. Quand les filles de Priam, quand les épouses de ses fils, quand mes beaux-freres, quand Hécube elle-même, m'accabloient de reproches (car Priam fut toujours pour moi un père tendre), tu les contenois par tes paroles, par ton inépuisable bonté. Éternel objet de mes larmes, je les répands et sur toi et sur moi. Aucun ne me traita avec tant de douceur. Il ne me reste plus d'amis dans la vaste cité d'Ilion ; tous m'ont en horreur. Elle dit, et verse un torrent de larmes : un peuple immense lui répond par ses cris douloureux. Le vieux Priam prenant la parole: Partez, leur dit-il, transportez de la forêt le bois nécessaire au bûcher. Ne redoutez aucune embûche de la part des Grecs ; Achille, me renvoyant, 2o4 L'ILIADE, C H A N T XXIV. m'a promis de suspendre les hostilités jusqu'à la douzième aurore : le fils de Pelée m'en a donné sa foi dans sa tente. Il dit ; les Troyens attellent les bœufs et les mules. Neuf jours sont employés à assembler, devant les portes, le bois nécessaire au bûcher. A peine la dixième aurore a rallumé son flambeau, qu'ils placent, en pleurant, le corps d'Hector sur ce vaste bûcher. La flamme consume la précieuse dépouille d'Hector. Quand la fille de l'air, l'Aurore aux doigts de rose, se montre pour la onzième fois sur l'horizon, ils versent sur les cendres d'abondantes libations de vin pour éteindre les restes de la flamme. Les larmes qui coulent de leurs yeux baignent leurs joues. Les os d'Hector, blanchis par le feu, sont déposés dans une urne d'or. Ils la couvrent de voiles de pourpre d'une finesse extrême , et descendent l'urne funèbre dans la tombe de ses pères, sur laquelle ils élèvent une immense colonne de marbre. Des sentinelles sont placées à l'en tour, pour la défendre des injures des Grecs. Ces travaux achevés, ils se réunissent dans le palais de leur roi, le vieux Priam, nourrisson de Jupiter, et célèbrent le festin funèbre. Ainsi sont achevées les obsèques de l'intrépide Hector. F I N DE L'ILIADE. NOTES DE L' I L I A D E . TOME QUATRIEME. NOTES LITTÉRALES ET HISTORIQUES. ILIADE. CHANT XIX. ( PAGE 9. Emplissant les narines de Patrocle.....; elle rend sa chair Incorruptible.) Thétis représente le sel marin, dont la nature est de préserver les corps de la corruption. Tel est le caractère de la poésie épique : « Là pour nous enchanter tout est mis en usage ; Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage. Boitait. (Page 10. Le léger Achille se levé.) J'ai cm devoir conserver ici l'épithete qu'Homère donne à Achille, jré£aç ôKVç, aux pieds légers, parcequ'elle fait contraste avec la démarche pesante des héros blessés. (Page 11. L'homme le plus éloquent auroit peine à se faire entendre.) M. Bitaubé traduit : ce Amis f héros de la Grèce, enfants de Marst ce vous devriez, me voyant debout, suspendre vos éclats de joîe f et ce ne pas m'interromprez, etc. Ce qui renferme une contradiction avec ce qu'Homère vient de dire, qu'Agamemnon parla sans se 208 HOTES LITTÉRALES lever, à cause de sa blessure ; car les rois mêmes se levoient pour haranguer, soit dans le conseil, soit dans l'assemblée de la nation. J'ai suivi la leçon de madame Dacier, qui corrige f d'après Eustathe, earaoroç, debout, et lit âdfctotàç, tranquillement* (Page 12. La détestable injure, qui blesse tous les hommes, etc.) Le poëte personnifie ici l'Injure 9 comme il Fa fait au neuvième chant, dans le discours de Phénix. (Ibid. Elle osa attenter sur Jupiter même, etc.) Le grec porte : Ele blessa Jupiter même, qu'on dit être le meilleur des dieux et des hommes. (Page i3. Eurysthée, fils de Sthénélus, etc.) Les poètes postérieurs à Homère font Eurysthée fils d'Alcmene et d'Amphitryon, tous deux jumeaux ; Junon retarda f selon eux f la naissance d'Hercule, en sorte que le fils d'Amphitryon précéda le fils de Jupiter, Voyez la note relative à cette fable dans le onzième chant de l'Odyssée. (Ibid. Saisissant l'implacable Furie, etc.) Ce vers est susceptible de deux sens \ car on peut rapporter ces mots ncfaltiç XirtaçortXoKatiOio, à Jupiter, ou à l'Injure; maïs ils semblent mieux convenir à la chevelure de la Discorde qu'à celle de Jupiter, La tradition du démon de la discorde f précipité sur la terre par le maître des dieux, s'était donc con§ervée chez les Grecs. (Page 16. Qu'un porc engraissé soit Immolé, etc.) ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T XIX. 209 Le grec porte, xcbtçov, qui ne signifie pas ici un sanglier, mais un porc, vestige remarquable du sacrifice expiatoire ordonné par la loi de Moïse. Il n'étoit pas permis de manger de la victime destinée à cet usage. La loi de Moïse prescrivoït d'entraîner hors du camp ou de la Yiie sainte, le porc chargé des iniquités du peuple ; ici on le précipite dans la mer, après ravoir immolé. (Page 17. 11 est étendu à Ventrée de ma*tente, etc.) In portam rigides cakes extendii. m 1 étendit , à Feutrée de la porte , ses pieds roides du froid de k mort. • (IMd. Je ne boirai ni ne mangerai, etc.) Ces serments de ne boire ni manger qu'on n'eût lavé son injure; ou vengé sa patrie par le sang de $®s ennemis, étaient fréquents chez les Hébreux : tel fut le serment de Jonatfaas, tel celui de ces jeunes gens qui jurèrent de ne boire ni ne manger t qu'ils n'eussent tué S. Paul (Page 19 Saisit un glaive pur, etc.) Voyei sur cette coutume des rois pontifes la note du chant troisième ci-dessus. (Page 27. Junon lui communique le don de la parole, etc.) Cettefictionsemble avoir été fournie à Homère par l'histoire de Fane de BaJaam, racontée au vingt-deuxième chap. des Nombres, v, a& 4-" • 27, 210 NOTES LITTÉRALES CHANT XX. ( P A G E 3 I . Jupiter ordonne àThémis, etc.) Madame Dacier observe que Mercure et Iris sont les messagers ordinaires de Jupiter, Ici c'est Thémis, la déesse de la justice, qui est chargée de convoquer rassemblée des dieux ; ce qui relevé la majesté de Jupiter et indique l'objet de cette guerre, de punir les Troyens et de venger le rapt d'Hélène. L'Océan et les dieux infernaux ne se trouvent pas à cette assemblée ; FOcéan f parceque le père de tout ce qui existe ne doit point participer à la destruction de son ouvrage ; les dieux infernaux, parcequ*ils régnent également sur toutes les victimes que la mort leur envoie. Jusqu'ici Jupiter f pour donner la victoire aux Troyens, a contenu, par sa puissance f et les dieux protecteurs des Grecs, et les divinités protectrices des Troyens. Achille paroît: ce héros, comme le dit Homère, détruiroit dès ce jour, contre Tordre du Destin, la ville de Troie. Jupiter assemble les immortels au sommet de l'Olympe ; il leur ordonne de prendre part à cette guerre ; non que les divinités protectrices des Grecs ne soient plus puissantes , mais pour contrebalancer, par le secours des dieux protecteurs de Troie, la force du seul Achille, et retarder la mort d'Hector et la ruine de Troie. Quelle majesté ! (Page 32. Junon, Minerve, Neptune, etc.) Junon, la déesse du mariage, est à la tête du parti des Grecs , vengeurs des droits de l'hymen, opposée à la chasseresse Artémise, la déesse du célibat; Minerve, la déesse de la sagesse et de l'intelligence dans les combats, se trouve dans le parti des Grecs contre ET H I S T O R I Q U E S . CHANT XX. 211 Mârt» le dieu de la guerre, de la fureur impétueuse ; Apollon est opposé à Neptune, non seulement parceque le soleil dessèche l'eau qu'il attire t maïs parceque les flèches sont les armes dont les peuples barbares faisoîentun usage plus fréquent que les nations policées; Latone, la déesse du silencef combat Mercure, le dieu du commerce et de l'industrie; Vulcain, le dieu des arts, ennemi naturel de Fadultere Mars* combat contre le Xanthe qui défend sa patîie ; Vénus, la déesse de la volupté, la première cause de cette guerre cruelle, ayant été blessée par Diomede au cinquième chant, se tient éloignée de la sanglante arène. Telle est la sagesse avec laquelle Homère partage les divinités de FOIympe, pour relever la gloire de sa nation et celle de son héros ; telle est la sublimité de ces allégories. . • (Page 32. La Discorde, versant ses poisons, etc.) C'est, selon mon opinion, le sens de Fépïthete Ikaocfcjooç, qui sauve tes peuples, donnée ici par Homère à la Discorde. Cette division entre les immortels sauve en effet les Troyens, puisqu'elle ralentit les progrès d'Achille. Nous avons vu ailleurs la même épithete donnée à Mars dans un sens à-peu-près semblable. (Ibid. Neptune frappe la terre de son trident, etc.) ce Voyez-vous, mon cher Térentiaqus, la terre ouverte jusqu'à" ce son ceptre, Fenfer prêt à paraître, et toute la machine du monde ce sur le point d'être détruite et renversée, pour montrer que, dans ce ce combat, le ciel, les enfers, les choses mortelles et immortelles, ce tout enfin combattoit avec les dieux, et qu'il n'y avoit rien dans cela nature qui ne lût en danger? Mais il faut prendre toutes ces ce pensées dans un sens allégorique -, autrement, elles ont je ne sais 212 NOTES LITTERALES ce quoi d'affreux, d'impie, et de peu convenable à la majesté dm « dieux ». Boileau, trad. du traité du Sublime, chap* 7. (Page 33. Qee sont devenues ces promesses; etc.) Le grec porte : Où sont ces menaces que tu Is aux rois buvant du vin, de combattre seul contre le fils de Pelée? Le nom de roi se donnoit aussi aux enfants des rois. (Ibîd. J'eusse succombé sous les coups d'Achille et de Minerve.) Le grec porte : J'ai été domté par les mains dTAcîiiIle et de Minerve, qui, marchant devant lui, portoit la lumière, et lui donnoiï ses ordres. Madame Dacier conclut de ces vers, qu'Achille attaqua de nuit les troupeaux d'Énée : mais leur sens est général ; Minerve, la déesse de la valeur réfléchie, éclaire le fils de Pelée dans tous les combats» (Page 34. Et Léleges et Troyens.) Les Léleges, anciens peuples de la Troade, qui f chassés de leur pays pendant la guerre de Troie, se réfugièrent, partie dans Ilion, et partie dans la Carie, province que le Méandre sépare de k Lydie. (Page 35. Lorsque l'une des divinités protectrices de Troie viendroit à se montrer à lui, etc.) « Parlez-nous, et nous vous écouterons (disoit à Moïse le peuple juif) ; ce mais que le Seigneur ne nous parle pas-, de peur que nous ce ne mourions». Exod. chap* 20, v. 19» « Nous mourrons (dit le père de Samson, à la vue de Fange qui s'élève de la lamme de l'holocauste), « car nous avons vu Dieu», Juges, chap. i 3 f v. 22. Telle étoit l'opinion des anciens peuples. ET HISTORIQUES- CHANT XX. 21$ (Page 36. Ce tertre que les Troyens éleTerent, etc.) Laomédon, roi de Troie » ayant refusé à Neptune le salaire qu f l lui avoit promis pour la construction des murs de cette ville célèbre, ce dieu irrité envoya un monstre marin qui dévastoit les champs troyens» et faisoit un horrible carnage des peuples. Laomédon fit effort pour appaiser Neptune ; il lui fut répondu que Troie ne serait délivrée du monstre qu'après qu'il auroit exposé sa fille Hésione. Le roi des Troyens obéit; mais Hercule se présenta pour combattre le monstre, et délivrer Hésione. Les Troyens élevèrent un tertre dans la plaine, sous lequel ce hérosf poursuivi par la baleine» se mettoit à couvert; précaution sage» qufHomere dit» par cette raison, leur avoir été inspirée par Minerve. Laomédon trompa Hercule luimême» lui refusant les chevaux qu'il lui avoit promis. Ce héros» contraint de faire le siège de Troie pour punk Laomédon de son infidélité » donna Hésione en mariage à Télamon qui monta le pre-, mier à l'assaut (Page 39. Dardanus et son peuple occepoîent les vallées de l'Ida, etc.) Le grec porte : vitoQtiaq » le penchant, h moyenne région, que madame Dacier distingue de la vallée : car» dit cette savante traductrice , après le déluge f les hommes habitèrent les sommets des montagnes ; ils ne descendirent que par degrés dans les plaines. Ce qu'il est plus important de remarquer » c'est l'existence de cette ancienne Dardanïe dans les vallées» ou sur le déclin de flda; ce qui donne lieu à ces expressions que notre poite met si fréquemment dans la bouche des héros de Troie» Troyens» Dardaoiens,* distinguant les anciens habitants de Dardanie qui suivirent Tros, lors de la fondation de Troie» des nouveaux colons qui peuplèrent cette grande ville. 214 NOTES (Page 3p. Tros. LITTERALES fut fils d'Erlchthon» etc.) Généalogie d'Énée et d'Hectorf selon Homère : • Jupiter. Dardanus. J Tros. Ërichlhon. I , ; Ilus, AssaracuSs Ganymede. Laomédon. Capys. Tithonus, Prlam, Lampus, Clytius, Hicétaon. Anchise. Hector. {Ibid. Énée. une dfor au centre, etc.) On demande comment la lame d'or se trou voit au centre de l'épaisseur du bouclier d'Achille, couverte de deux lames d'airain. La réponse est Sicile, parceque cette lame n'avoit pas pour objet l'ornement de ce bouclier, mais sa solidité, For étant le moins pénétrable des métaux. La surface extérieure étoît ornée de tant de sculptures en relief, d'or^ d'argent, d'étain, qu'il avoît été nécessaire de leur donner une base aussi matte que Fairaîn, pour rendre ces ornements plus saillants. {Ibid. Le frêne du Pélion, etc. Montagne de la Thessalie, sur laquelle le centaure Chiron a?oit coupé le bois qui servit au javelot d'Achille. (Page 42. 11 transporte à la branche d'Enée le sceptre d'Ilion, etc.) E T H I S T O E 1 Q U E S . C H A N T XX. 2l5 Ce morceau est très important pour détruire la chimère du voyage d'Énée en Italie, qui a servi de base à l'Enéide. Toutes les nations ont des fables semblables. C'est ainsi que f suivant l'abbé Trithôme, Astyanax fils d'Hector, qu'il nomme Francus, passa dans les Gaules, après la guerre de Troie, où il fonda une colonie; transmigration dont il nfexiste aucun vestige dans Fantiquité , et dont cependant notre poëte Ronsard a pris le sujet de sa Francïade. Le témoignage d'Horfiere est d'autant plus important contre la chimère des Romains, qu?il nfy a, comme je Fai observé dans l'introduction de FOdyssée, qu'environ 34o ans de distance entre • la naissance d t notre poëte et la prise de Troie, et qu'Homère a composé son Iliade dans ITonie, contrée voisine des côtes de Phrygîe. Il est vrai que Denys d'Halycarnasse f pour flatter les Romains et Auguste sous le règne duquel il écrivoit, explique ce règne dfÉnée sur les Troyens, de la colonie transportée par lui en Italie après la prise de Troie. D'autres ont été plus hardis : ils changent le mot Tgêimt en celui, de ntàvtm&i, comme si Neptune disoit : II régnem sur toutes les nations. Mais Strabon f quoique sous l'empire de Tibère, est plus fidèle; car, dans le livre XIII de sa Géographie, il conclut formellement de ce texte d'Homère f qu'Enée resta à Troie, y régna après l'extinction de la race de Priam, et transmit le sceptre à sa postérité. (Page 43. Les braves Cauconlens...... etc.) Ces peuples ne se trouvent pas compris expressément dans le dénombrement des nations alliées de Troie, à moins qu'on n'ajoute deux vers que Callisthene avoit insérés dans l'exemplaire dfAlexandre, mais retranchés par les éditeurs postérieurs, comme je Fai observé au deuxième chant. ccC'étoit, dit madame Dacïer, comme les Pelages, une nation ce errante et vagabonde; ô'est pourquoi Homère les a joints dans le ce chant deuxième. 11 y en avoit jusques dans le Péloponnèse ». Voyez 2l6 " NOTES LITTERALES la note du deuxième chant cï-dessusf et celle du troisième chant de l'Odyssée. (Page 45. Sa force, son ardeur, etc.) Cette demi-phrase est répétée dans le Grec; répétition que je n'ai pas cru devoir conserver. . (Page 47. Hlppodamas s'élance de son char f etc.) Ainsi Ton a vu, au cinquième chant f Idée s'élancer de son char pour fuir devant Diomede. En effet, un char devoït être embarras» sant.pour se confondre dans la mêlée, et la rapidité de ces héros étoit telle, qu'il leur étoit facile d'approcher assez près des chars pour lancer le javelot, 11 en est de même dans le livre des Juges, chap. 4» v. i5. Sisara s'élance de son char pour fuir devant Barac. Perterruitque Dominus Sisaram eiomnes currus ejus^ unwersamque muliiiudmem, in ore gladii, ad conspecium Barac, in ianium ut Sisara de curm desiliens pedibusfugerei* (Ibid, Polydore le plus jeune...... des fils du vieux Priam, etc.) Suivant Homère, Polydore étoit fils de Priam et de Laothée, comme il sera dit au chant vingt-unième. Euripide, et Virgile après lui, ont suivi une autre tradition : ils font ce prince fils de Priam et d'Hécube, qui survécut à la prise de Troie, et fut tué en trahison par Polymnestorf roi de Thrace, Hune Polydorumf auri quondam cum pondère magnot Infelix Priaraus furtim mandarat alendum Threicio régi, càm jam diffideret arajîs Dardani», cingique urbem obsidione videret. 111e, ut opesfractaeTeucrâm et fortuna récessif, Res agamemnonias victriciaque arma secutus t ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T XX. 21J Fas omne abrampit, Polydorum obtruncatj et auro Vi potitur. Quld non mortalîa pectora cogîs, Auri sacra lames ! AEneid. Mb, 3 , v. 49. te L'infortuné Priam se défiant du succès des armes troyennes , voyant l'en* m nemi autour de ses remparts, envoya secrètement Polydore au roi de Thràce,' « avec d'immenses trésors, le recommandant à l'ancienne amitié de ce roi. ce Les destins étant changés, la puissance de Troie anéantie, ce perfide ami m suivit la fortune d'Agamemnon, s'attacha au char du vainqueur, rompit les te noeuds de FhospitaMté, massacra Polydore, s'empara de ses richesses. A quels .« excès ne portes-tu pas les mortels, infâme soif de l'or ! » (Page 5i. Fuis maintenant» échappe à la faux de la mort. ) Le grec porte : CMen » tu évites maintenant le trépas; mais le mal est près de toi 4- ' 28 2l8 NOTES LITTÉRALES CHANT XXI. ( P A G E 82. Du Xanthe tortueux, né de Jupiter, etc.) Ces qualifications fréquentes qu'Homère donne aux grands Meuves | à qui Jupker donna naissance, sont une suite de l'allégorie qui donne à Jupiter Fempire sur les nues, et de la physique des anciens , qui plaçoient dans les nues la source des grands fleuves f dont toutes les rivières, toutes les fontaines, tous les ruisseaux dérivent. (Ibid. Four les livrer au fils de Pelée, etc.) Littéralement : Junon répand devant eux un air épais pour les arrêter. J'ai cru devoir développer le sens de ces mots, en ajoutant» pour les livrer à Achille, et les empêcher de trouver un asyle sous leurs murs. Madame Dacier traduit: Junon les couvre d'un nuage épais. C'est un contre-sens littéral ; car le verbe èçyné^tv f éçvKetv, signifie arrêter , non précipiter la fuite. Cette savante traductrice oublie que Junon a dit à Neptune, dans le chant précédent, qu'elle a juré* ainsi que Minerve, de ne dérober aucun des Troyens au trépas, pas même après la ruine de Troie. On objecte qu'il étoit naturel qu'Achille! poursuivant les Troyens qui fuyoient dans la plaine, s'efforçât de pénétrer dans les murs de Troie; que Junon, instruite que le destin ne Ivre pas, en ce moment, Ilion au fils de Pelée, craint que cette vaine poursuite ne ralentisse les efforts du héros qufeMe protège, et n'arrête le carnage des Troyens. La réponse est facile: i 0 . Ce n'est pas par de telles explications qu'un traducteur peut être ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I . 210 autorisé à contredire le sens littéral, lorsqu'il est clair, a9. Madame Dacier aurait dû observer que le premier soin d'Achille est de satisfaire les mânes de Patrocle : aussi choisit-il d'abord douze victimes pour les immoler sur le tombeau de son compagnon. Loin de hâter la fuite des Troyens dans la vile, Junon les arrête dans la plaine» pour les livrer aufilsde Pelée après le combat sur les rives du fieuvef qui est le sujet de ce chant. (Ibid. Semblables à des sauterelles.) L'isle de Chypre étant Infestée de sauterelles, les habitants étoient dans Pusage d'allumer de grands feux dans la campagne pour chasser ces animaux et les forcer, par la fatigue, de se précipiter dans les fleuves. Quelques anciens ont conclu de cette comparaison, qu'Homère étoit né dans Pisle de Chypre, puisqu'il en cite les usages : ce qui peut, dit madame Dacier, seulement fortifier la conjecture qu'il étoit Ionien, et f par cette raison, voisin de Pisle de Chypre; car on le volt bien plus attentif à rapporter les usages des Ioniens, que ceux des autres peuples, ( Page 58. Achille....se sert de leurs riches baudriers pour leur lier les mains, etc.) Littéralement : 11 leur lie les mains derrière le dos avec de brillantes courroies. Jfal suivi M. BItaubé qui traduit, avec leurs baudriers. En effet le mot ctrTjyiiyrot0iv ifiàot, avec des courroies bwm coupéesf semble déterminer ce sens. Selon madame Dacier, c'étaient des courroies qufUs portaient sur leurs cuirasses pour lier les prisonniers qu'Us comptaient faire, comme Horace le dit des chaînes que les Romains Imposèrent aux Medes : HorribEIque Medo Nectk catenas. . . . Hor. Od. Kb. i , od. 3o. m Et tu formes les noeuds qui doivent enchaîner les hideux habitants du pays m des Medesu » 220 NOTES LITTERALES (Page 60. Je t'aborde en suppliant, etc.) Le grec porte : J'embrasse tes genoux , ô Achille. Madame Dacier traduit; Je suis en quelque façon votre suppliant « Lycaon étant prisonnier d'Achille, dit cette savante traductrice, ce n'ose pas se qualifier de suppliant du fils de Pelée, pareeque les « titres d'hôtes et de suppliants étoient des titres honorables. » Cette distinction me paroît difficile à faire entendre dans notre langue: au surplus, cette expressionf j'embrasse tes genoux, étoit celle des suppliants , comme on le voit souvent dans l'Odyssée, (Page 61. Tu vols quel je suis^ etc.) Le grec porte : Ne vois-tu pas combien je suis beau f combien je suis grand? Fils d'un père illustre , une déesse est ma mère. (Page 62. NI les coursiers que vous précipitez: vivants dans ses ondes, etc.) C'était une coutume fort ancienne , de précipiter des chevaux vivants clans la mer et dans les fleuves, victimes dévouées à Neptune et aux dieux des fleuves. Madame Dacier cite Aurélius Victor^ qui raconte que le jeune Pompée , se prétendant fils de Neptune, précipita dans la mer des bœufs aux cornes dorées, et des chevaux. (Page 74. Le son éclatant de la trompette, etc.) Il faut observer encore ici le son de la trompette dont il est parlé, ainsi qu'au dix-huitieme chant. Voyez, la note du deuxième chant, (Page j5. Audacieuse divinité, qui semés la discorde parmi les dieux, etc.) Le grec porte : Pourquoi, mouche de chien > engages-tu les dieux dans ce combat, toi dont Fimpudence est extrême? Ton grand cœur f y porte. E T H I S T O R I Q U E S , C H A N T XXI. 22 1 (Page 77. Laomédon....osa te menacer de resserrer tes pieds et tes mains, etc.) Le grec porte : Il te menaça de te lier les pieds et les mains, et de te vendre en des isles éloignées. Il vouloit nous couper les oreilles à l'un et à l'autre. Madame Daclerlit: àjtOKctyéyLtv dvâta xaXxô, de nous percer les oreilles. Cette savante traductrice prétend qu'Homère fait ici allusion à une coutume des Hébreux» dont il est parlé dans l'Ecriture sainte, de percer les oreilles des esclaves, (Page 79. Audacieuse divinité, qui oses lever contre moi l'étendard de la révolte, etc.) Le grec porte : Comment, chienne impudente » as-tu osé t'élever contre moi? etc. ) Madame Dacier observe que ce combat de Junon et de Diane est une allégorie de l'éclipsé de lune. Junon représente la terre interposée entre la lune ( Diane), et le soleil dont elle intercepte lesrayons : la nuit» dont Latone est l'emblème » les rassemble. (Ibid. Si Jupiter te donna la force du lion, etc.) Le grec porte : Puisque Jupiter t'a faite un lion pour les femmes, puisqu'il t'a donné de tuer celles que tu veux. On trouve encore ici l'allégorie des Bêches d'Apollon et de Diane, qui ne sont autres que les maladies contagieuses, effet de la chaleur du soleil et des influences de la lune, selon l'opinion des anciens. Ils supposoient qu'Apollon lançoit ses flèches contre les hommes f Diane contre les femmes. (Page 82. Diverses pensées semblables aux flots de la mer, etc.) C'est le sens que madame Dacier donne ici à l'épithete Kûq^vçé^ prise des/lots azurés de la men 222 NOTES LITTERALES (Ibid. Le fils de Pélée m'atteindra; il me percera de son javelot, etc.) Le grec porte : Il me prendra, comme eux, sans résistance, me coupera la tête. (Page 83. Il n'a qu'une vie, etc.) Le grec porte : Il n'a qu'une ame. (Ibid. Telle....une panthère furieuse, etc.) Dans cette comparaison, qui auroit trop de longueur dans notre langue, j'ai cru devoir m'attacher plus au sens qu'à la lettre. (Page 84. La terreur ne leur permet ni de s'attendre , ni de se reconnoître, etc.) Le grec porte : De reconnoître qui a fui, et qui est mort dans le combat. ET HISTORIQUES. CHANT XXII. 223 MK CHANT XXII. ( P A G E 88. L'astre brûlant qu'on nomme le chien d'Orion, etc.) L'une des étoiles qui composent la constellation d'Orion. L'astronomie est une des sciences auxquelles les hommes se sont appliqués le plus anciennement. Ces groupes d'étoiles qui parsèment la voûte éthérée. furent l'objet des observations des plus anciens peuples ï ils leur attribuèrent dès lors des effets physiques, erreur qui avoit jeté dans l'esprit des hommes des racines si profondes f que la raison et l'expérience ont eu peine à les détruire. Le mot mvçtrè^, dérivé de rtùç , / e n , exprime les chaleurs violentes de l'été , les fièvres et les maladies contagieuses qui en sont la suite ; j'ai réuni ces deux sens. (Page 89. Si les dieux conspïroient avec ma haine, etc.) Le grec porte : Malheureux ! puisse-I-il être aussi chéri des dieux que de moi! bientôt étendu sur la poussière f il seroit la pâture des vautours. (Page 90. Des fils de mes enfants écrasés contre la pierre, etc.) Ainsi Isaïe prédit (chap. i 3 f v. 16. ) aux Babyloniens que leurs enfants seront écrasés sous leurs yeux. Beat m qui tenebit e£ allidei parvulas tuos ad petram! Ps. i36 t v; 9ce Heureux qui tiendra tes enfants et les écrasera contre la pierre I» 224 NOTES LITTERALES (Page 93. Ce n'est plus le temps de parler de 'paix, etc.) C'est le sens que j'ai cru devoir donner à ces vers. Dans ces temps héroïques , les traités les plus importants se concluoient sous les chênes, sur les pierres. Il n'est plus temps de traiter f dit Hector, ou pév vvv CCJTIV. C'est donc un contre-sens de traduire, comme fait madame Dacier dans sa note : ce On ne peut s'en<c tretenir avec lui ni de chênes f ni de pierres » f ce que cette savante traductrice suppose être une sorte de proverbe. Comme ce prétendu proverbe ne lui a pas paru pouvoir entrer dans sa traduction , elle rend ainsi ces vers : ce Achille nfest pas un homme traitacc ble, qui donne le temps de lui faire des propositions » ; style peu digne de la majesté du poëme épique. (Ibid. Comme un jeune berger et sa timide compagne, etc.) Ce demi-vers est répété dans le grec (Page 94. Au dessous de la colline couverte de figuiers sauvages, etc.) C'est cette même colline par laquelle Andromaque dit à Hector , dans le sixième chant, que la muraille est plus abordable. (Ibid. Où deux rameaux émanés du Scamandre tortueux, etc.) Ces deux sources existaient encore du temps de Pline, qui, oubliant ce morceau f reproche à Homère de n'avoir pas fait mention de la source d'eau chaude, liv. 3 i , chap. 6. Elle était perdue dès h temps de Strabon. ET HISTORIQUES. CHANT XXII. 225 (Page 96. Tantôt au sommet escarpé de F Ida, etc.) Observez les sacrifices sur les hauts lieux, dont il est souvent fait mention dans nos livres saints. (Page 98. Le divin fils de Pelée les contient par ses regards, etc.) Le grec porte : Le divin Achille faisoit signe de la tête à Farinée. (Ibid. En ce moment le père des dieux et des hommes suspend ces balances dforf etc.) Je me suis permis d'étendre un peu cette sublime idée, pour approcher f dans notre langue, de la majesté qu'elle a dans le grec. Ainsi, dans Daniel, ch. 5, v. 27 » une main invisible écrit sur hs murailles du palais de Baltasar f ces mots : Appensus §s in situera, ei inventas es minas habens. a Tu as été pesé dans la balance, et trouvé ce trop léger ». Ces images sont fréquentes dans nos livres saints. - (Page 101. Elle recule d'un espace proportionné, • etc.) Le grec porte : Et le javelot tomba loin du bouclier. Le mot mTtmlâfx^n exprime la loi du mouvement, suivant laquelle un corps mu est repoussé par un corps élastique à une distance proportionnelle à la force avec laquelle il a été lancé; (Page 104. Je te conjure par toname généreuse, etc.) Le grec porte : Je te conjure par ton ame, par tes genoux f par ceux qui t'ont donné l'être. (Ibid. Perfide, lui répond Achille, etc.) 4, 29 226 NOTES LITTÉRALES Le grec porte ; Chien, ne me conjure, ni par mes genoux f ni par ceux qui m'ont donné l'être. (Page 107. Dont le souvenir m'accompagnera dans les sombres demeures, etc.) Le grec porte : Quand on oublieroit les morts dans le palais de Plu ton, je m'y souviendrai de mon cher compagnon. {Ibîd. Une gloire immortelle nous est assurée, etc.) ce C'est Ici, dit madame Dacier d'après Eustathe, le chant de vicc< toîre qu'Achille entonne, semblable à ce cantique que nos livres « saints mettent dans la bouche des femmes Israélites après la vk> cc toire remportée par David sur Goliath: Percussit Saùl mille, ei ce David decem millia. ( 1 Rois, chap. 18, v. 7. ) Saùl en a tué mille, ce David dix mille. » (Page 108. Arrêtez, ô mes amis, etc.) • Le grec porte : Arrêtez» mes amis ; laissez-moi sortir seul, quelque inquiétude que je vous cause, (Page 1 io- Elle ignore que l'intrépide courage de son époux, etc.) C'est une chose remarquable que, le même événement qui fit tomber Hector sous le javelot d'Achille, fut lause de la mort de notre Pucelle d'Orléans. L'intrépide courage d'Hector le retient hors des murs de Troie, quand les Troyens, repoussés par Achille, cherchent un asyle sous leurs remparts. En 1430, Jeanne d'Arc, défendant Complegne contre les Anglois, tente une sortie vigoureuse; repoussée par les assiégeants, son courage la retient hors des remparts, jusqu'à ce que tous les François soient à couvert de la poursuite de l'ennemi. Le pont s'abaisse rapidement : retenue hors ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I I . 22J des murs, les Anglois l'enveloppent; victime de la superstition et de la tyrannie, elle est condamnée au supplice par-des prêtres sacrilèges. (Ibid. Elle ne sait pas que Minerve a" percé son époux, etc.) Le grec porte : Loin des baïos. (Page u t . Les réseaux? les bandelettes, etc.) «Ces bandelettes, dit madame Dacierf ressembloient à nos ru« bans ; elles étoieot l'ornement caractéristique des reines et des ce princesses, ainsi que des divinités. » (Page 112. Tu ne seras point l'appui de la vieillesse de ton père, etc.) Le grec porte : 0 Hector ! tu ne lui seras d'aucun secours, puisque tu es mort, ni lui à toi, quand il échapperoit à la fureur des Grecs, dans cette guerre, source de tant de larmes. (Ibid. Tel est le sort d'un malheureux orphelin, etc.) littéralement : Le jour qui le rend orphelin lui ôte tous ses compagnons , tous ceux de son âge. (Page 113. Celui-là, lier de l'appui des auteurs de ses jours, etc.) C'est le sens du mot àu^ IOOCXTK, qui fleurît des deux côtés. (Ibid. Tu te rassasiois de la graisse des agneaux, etc.) Expressions fréquentes dans nos livres saints, pour eiprimer une vie voluptueuse. 228 NOTES LITTÉRALES (Page 114. Inutiles maintenant, etc.) Le grec porte : Ces tapis ne te serviront de rien f puisque tu ne coucheras pas dessus ; mais ils seront ta gloire devant les Troyens et devant les Troyennes* ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I I I . CHANT 22Q XXIII. 19. Que coupant mes cheveux, je ne les aie consacrés aux mânes de mon fidèle compagnon, etc.) (PAGE I C'étoit la marque du plus grand deuil, ceflsse raseront la tête, et ce se couvriront de cilîces », dit Ézéchiel, pour exprimer la désolation qui suivra la ruine de Tyr. Et rodent super le cahkium, et accingenturciliciis* Chap. 27, v. 3i. (Page 120. S'arrêtant sur la tête d'Achille, rimage de Patrocle f etc.) ce Homère, dit .madame Dacierf suit la philosophie des Égyptiens, ce qui fut celle des premiers Grecs, que Pythagore renouvella ence suite. Us concevoient l'homme un composé de trois parties : la ce première et la principale, l'esprit; la seconde, un corps lumineux ce et subtil dont l'entendement étoit, selon eux f revêtu f ce qu'ils ce appelloient Famé ; et la troisième* le corps terrestre et mortel, qui ce étoit l'étui et l'enveloppe de ce corps lumineux, qui se mouloit te sur ce corps terrestre, et qui, par conséquent, avoit la même ce taille et les mêmes traits. ^ Voyez, au dixième chant de FOdyssée, la distinction des mots fçTtv» ou vovç, F esprit pur, l'intelligence; ^v%^ ? *>u èi<?©Xov, Famé, l'image du corps; et dopa , le corps. Ces peuples pensoient que les âmes, ou les images des morts qui n'avoient pas reçu les honneurs du bûcher, erroient sur les bords du Styx ; état douloureux f mais qui les mettoit à portée de revenir à la lumière pour apparoître aux vivants, car toutes leurs parties 23o NOTES LITTÉRALES terrestres n'étoient pas consumées ; origine de l'opinion populaire des revenants. C'est pourquoi, dans le onzième chant de l'Odyssée, l'image d'Elpénor reconnoît Ulysse et lui parle, avant d'avoir bu du sang. Mais lorsque, par un privilège spécial^ les images des morts qui avoient perdu toutes leurs parties terrestres par l'action du feu, apparoissoient aux hommes, elles ne pouvoient ni les reconnoître f ni leur parler, qu'elles n'eussent bu du sang; ce qui leur rendoït quelques unes de ces parties terrestres. Voyez le texte et les notes du onzième chant de l'Odyssée. ( Page 121 • A cause du meurtre involontaire du fils d'Amphidamas, etc.) Le grec porte: Le jour auquel je tuai le fils d'Amphidamas, imprudemment, sans le vouloir, ayant pris querelle en jouant au palet. (Page 122. Ainsi donc, quandFespritdertiomme est réuni à l'éternelle substance, etc.) Le grec porte: ô mes amis, il est donc, dans les demeures de Pluton, des âmes, images des mortels ! mais leurs esprits n'y sont pas. (Page 123. Marchant d'un pas ferme et lent, grimpant, descendant, etc.) Je me suis efforcé de donner une idée de la poésie imïtative d'Homère, notamment dans ce vers qui exprime si bien le pas lourd et tardif des mules qui gravissent les sentiers escarpés de la forêt: IIoAXà tf'avccVTcc, xaraVTa, ^ a ç a w a r e f <?ox^wt T'TJXôOV* (Page 124. Achille ordonne à ses Thessaliens.., de vêtir l'airain étincelant, e t c ) Dixit auiem David ad Joab et ad omnem populum qui erat cum ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I I I . 23 1 eo; Scindiie vesiimenia vestra^ et accingimini saccis , et plangite ante exequias Abner. Porto rex Dand se^uebaiur'Jeretrum. Cùm~ que sepeiissent Abner in Hebron, levant rex David vocem suant f et fitvit super tumulum Abner; fient autem et omnis populos. Plangensque rex et iugens Abner, aii a Rois, ch. 3 , v. 3i. « David dit à Joab et à toute l'armée qui étoit sous ses ordres : ce Déchirez vos vêtements, couvrez-vous de vos armes» préparez« vous pour la pompe funèbre df Abner, David suivoit ceux qui porcc toîent le corps. Lorsqu'ils eurent enfermé Abner dans le sépulcre ce d'Hébron, le roi, élevant la voix, pleura sur le tombeau d1 Abner; ce tout le peuple pleura. Le roi, versant des larmes, dit... •» (lbid. Cette brillante chevelure que son père dévoua autrefois au fleuve Sperchius, etc.) ce Les jeunes gens, dit madame Dacier, nourrissoîent leurs checc veux jusqu'à l'âge de la puberté: alors ils les faisoient couper, et ce les offraient à quelque fleuve du pays, honorant ainsi Peau comme « l'élément qui contribué le plus à la naissance et à la nourriture de c< l'homme; c'est pourquoi les fleuves étoient appelles xot/çfrçô$oi 9 ce nourriciers des jeunes gens. » Les pères consacraient de même aux fleuves la chevelure de leurs enfants. « Avant de passer le Céphise, dit Pausanias dans ses Àttiques, on « trouve le tombeau de Théodore, le plus excellent acteur tragique « de son temps, et sur le bord de ce fleuve deux statues, l'une de ce Mnésimaque, l'autre de son fils, qui s'est coupé les cheveux en » l'honneur du fleuve; car ce fut » de toute ancienneté, la coutume •c des Grecs. » (Page 126. Furieux, respirant le carnage, etc.) Le grec porte : Il médite en son ame des actions mauvaises. Le poëte exprime ainsi l'horreur dont il est pénétré pour ces sacrifices 232 NOTES LITTERALES humains; barbarie dont toutes les nations ont été souillées. C'est avec regret que je me suis trouvé forcé de retrancher ces mots qui eussent, dans notre langue , ralenti le tableau des funérailles de Patrocle. (Page 127.Du sommet delà voûte éthérée, une nue épaisse et humide, etc.) Ainsi Gédéon demande à Dieu qu'une toison qu'il étendra sur une aire pendant la nuit, soit imbibée de vapeurs, tandis que tous les environs demeureront secs; et le lendemain il lui demande que cette toison demeure sèche, tandis que toutes les autres parties de Faire seront humides. Dieu opère ces deux miracles f en signe de la protection qu'il lui accorde. Juges, ch. 6, v. 3j et 3<j. (Page 128. La légère Iris l'entend, etc.) L'arc-en-ciel f effet de la réfraction des rayons du soleil dans les globules de pluie, est un signe de vent. Observez avec quelle exactitude Homère décrit ici la marche des vents f que les poètes supposent habiter les isles éoliennes, aujourd'hui Lipariy dans la mer de Sicile. (Page i3o. Bornez-vous maintenant à marquer le lieu de notre tombeau, etc.) Le grec porte : Je ne vous demande pas de lui élever un superbe tombeau, mais seulement convenable. (Page i33.Le£ls d'Anchise, Ëchépolus, donna Etliée à Agamemnon pour s'exempter de le suivre à la guerre, etc.) Comme roi d'une contrée de la Grèce, Ëchépolus ne pouvoît f sans le consentement d1Agamemnon, se dispenser d'entrer dans la ET HISTORIQUES. CHANT XXIII. 233 ligue générale; mais d'autre part il étoit fils d'Anchïse, de la race des rois troyens. Tel est Le motif du don qu'il lait à AgamemnoEfi pour s'exempter de marcher contre Priam. (Page i35. Quand même l'agile Arion, etc.) Le cheval Arion étoit f selon la fable, fils de Neptune et d'une Furie. Neptune le donna à Coprée, qui en fit don à Hercule ; Adraste, roi d'Argos, le reçut d'Hercule f et s'en servit utilement dans'la guerre de Thebes : Arion lui sauva la vie, (Page i36. Ainsi rangés, etc.) Le grec porte : Se rangent en ordre} ce qui présente deux sens9 ou qu'ils se rangèrent de file, suivant Tordre que le sort leur avoit assigné f comme l'explique Eustathe, ou, comme madame Dacierf qu'ils se rangèrent sur une même ligne , et néanmoins dans l'ordre que le sort leur avoit donné ; car ceux qui étoient placés sur "la gauche, ayant un moindre cercle à parcourir pour raser la borne ,* jouissoient d'un avantage réel sur les autres, mais non aussi immense que si les chars eussent été rangés de file f comme le sup-. pose le célèbre évêque de Thessalonique. (Page i 3 j . Déjà Ils se replolenf sur le rivage de la mer écumeuse, etc.) Le grec porte : Quand les légers coursiers, parvenus au rivage de la mer, commencèrent à retourner f alors la vertu de chacun parut; la carrière s'étendit pour les chevaux. (Ibid. Volant avec une Incroyable rapidité au secours du pasteur des peuples, etc.) ce Homère f dit madame Dacierf fait arriver Minerve au secours « de Diomede , pareeque ce héros avoit eu la prudence de se ce munir de deux fouets ». SU étoit ainsi t pourquoi eût-il été aussi 4. 3o 234 NOTES LITTERALES affligé qu'Homère le représente? Il est donc plus vraisemblable de dire que ce héros, des mains duquel le fouet étoit échappé, parce* que les rayons du soleil dardoient dans ses yeux f fit effort pour ramasser son fouet, et y parvint; ce que j'ai exprimé, d'après Homère, en faisant ramasser le fouet par Minerve, qui le remet aux mains du fils de Tydée. (Page 142.Fils d'Oïléc.tu n'es pas le plus redoutable des Grecs, etc.) Le grec porte : Ajax, le meilleur dans la dispute, diseur d'injuresf inférieur dans tout le reste aux Grecs, ton esprit est intraitable. (Page 147. Il eût été plus sage de ne point employer f artifice, etc.) J'ai suivi la leçon commune, qui porte: BtXreço? auT'àltaoOcxt dueivovaç rirtiQOitzvtiy. «Il eût été mieux d'éviter de tromper ceux qui valent mieux que toi.» Ma-dame Dacier corrige; et lisant, avec Eustathe, êivXéqûv f elfe traduit : «Une autre fois évitez avec soin de déplaire à ceux qui sont ce au-dessus de vous»; conseil qui, dans sa généralité, tient trop de la basse flatterie pour être digne d'Homère» (Page 151. Qui combattit autrefois dans Thebes aux funérailles d'Œdipe, etc.) La tradition adoptée par Sophocle , qui fait mourir Œdipe k Colone, dans le voisinage d'Athènes, est donc postérieure à Homère. {Ibid. Le valeureux fils de Tydée prend un vif intérêt à sa gloire, etc.) Diomede étoit parent de cet athlète par Déipyle sa niere^ fille d'Àdraste, frère de Mécisthée. ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T XXIII. fc35 - (Page i52. Ceints de vastes courroies, etc.) Soit pour affermir leurs reins , ou, comme le prétend madame Dacler f pour couvrir leur nudité ; car les athlètes portèrent d'abord des espèces de tabliers: l'usage nf en] fut aboli que dans la quatorzième olympiade , à l'occasion d'un athlète dont le tablier se détacha ; ce qui occasionna sa défaite. (Page i54* Ébranle son rival, mais ne peut l'enlever, etc.) Le grec porte : Il ne l'enleva point, mais il lui contourna le génôu. C'est ce que les écoliers nomment le croc enjambe. (Page i55. Célèbre par sa beauté par toute la terre, etc.) Le grec porte : Elle l'emporte par sa beauté sur toute la terre. ( Ibid. La navette qu'une femme Industrieuse fait voler sur la trame, etc.) Le nouveau traducteur anonyme de l'Iliade traduit ainsi : ce Tel le « fuseau presse le sein palpitant de la jeune beauté qui f d'une main ce légère , file ou la laine ou la sole ». Ce sens est conforme à celui que madame Dacler donne à ces vers, M. BItaubé traduit: ce Le rapide Ulysse le suit d'aussi près qu'est ce la navette du sein de l'adroite ouvrière, qui la faisant courir d'une ce main à l'autre, en déroule le fil pour l'unir à la trame ; la navette ce touche son sein ». C'est le sens que M. ErnestI donne à ce mot jtiiviov f la trame qu'on couvre de laine, pour la polir et la lustrer ; car les anciens ne faisoient pas usage de la soie. Ainsi la comparaison ne porte pas sur la proximité de la navette, qui, partant du sein de l'ouvrière» s'en éloigne pour courir sur la trame, mais sur la proximité de la laine qu'elle applique et presse contre la trame, pour couvrir et lustrer l'étoffe qu'elle fabrique. 236 NOTES LITTERALES (Page 157. Il égale en force et en légèreté les anciens héros, etc.) Le grec porte : On dit qufil est aussi vieux que les anciens hommes. (Page i5p. Celui qui l'obtiendra sera pourvu abondamment de fer, etc.) Le fer éfoît,dans ces temps reculés, un métal tellement rare dans les pays méridionaux, que les armes mêmes étoient d'alraîn. On a vu aussi dans tout le poëme combien Fétain étoit prisé pai les anciens. ET H I S T O R I Q U E S . CHANT XXIV. CHANT ïlàj XXIV. 166. Le dieu de la lumière le couvre de son égide d'or, etc.) (PAGE Cette égide d'Apollon n'est autre que la nuée brillante dont il a été parlé au vingt-deuxième chant, sous laquelle le dieu de la lumière enveloppe le corps d'Hector* * ( Ibid. C'est ainsi qu'elles punissent le mépris que le berger Paris, etc.) - Cet endroit est le seul où Homère lasse mention du jugement de Paris, origine de la guerre de Troie; raison pour laquelle quelques critiques se permettent de retrancher ces trois vers: car, disent-ils, si cette fable eût été connue du temps d'Homère, il est peu vraisemblable qu'il eût attendu si tard à en parler. Tel est au contraire, au jugement d'Horace, Fart du poète épique : Et in médias res t Haud sems ac notas f auditorem rapït. Horace* Souvent le poète entraîne son lecteur au centre des événements, négligeant ce qui précède f comme s'il étoit connu. Souvent un beau désordre est un effet de l'art. Bolfeân* Mais pourquoi qualifier de désordre cette marche du père de la poésie épique? L'enlèvement d'Hélène est la cause apparente de la guerre de Troye. C'est pour venger cette injure que les Grecs se sont ligués contre les Troyens. Cette cause est développée dans les premiers chants du poëme : mais le jugement de Paris, dont la fille de Tyndare fut la récompense > et la jalousie de Junon et de Minerve, 238 NOTES LITTÉRALES sont une cause de cette guerre fameuse f qui, cachée dans le secret des dieux, ne devoit être montrée que dans le vingt-quatrième chant. (Page 167. Insensible à la pitié, au respect dû à l'opinion des hommes, etc.) Le grec porte : Ainsi Achille a perdu toute pitié; il a perdu cette pudeur qui aiguillonne fortement les hommes et les secourt puis* samment. (Page 168. Les mêmes honneurs ne seront pas rendus aux mânes d'Hector, etc.) Voyez, au vingt-quatrième chant de l'Odyssée, le récit des funé* railles d'Achille, (Page 169. La mère d'Achille veille nuit et jour à la garde de ce trésor, etc.) Le grec porte ; H yàç oi mh Mîimç 7tao^^(6XoK€v wtcTaç te KaYt^dç. M, Bitaubé traduit: « Ce héros seroit bientôt instruit par sa mère, «qui nuit et jour porte ses pas vers ce fils infortuné », rapportant le pronom démonstratif 01 à Achille. Il m'a paru plus naturel de le rapporter à la dépouille d'Hector gardée par Thétis. (Ibid. Qui cache, sous la corne d'un bœuf sau^ vage, etc.) Pour empêcher les poissons de ronger leurs lignes, les anciens les garnîssoient d'une corne qu'ils plaçoient au-dessus de l'appât; c'est pourquoi l'hameçon d'acier et le crin t qu'on a depuis substitués à lu corne f sont appelles mqaq f cornu. (Page 173. Thétis se livre aux tendres mouve-* ments de l'amour maternel, etc.) • ET HISTORIQUES. CKANT XXIV. a3p Le grec porte : Elle le flatta de la main. (Page 174. Car il n'est ni insensé, ni imprudent, ni impie, etc.) Les anciens faisoient remarquer dans ces trois épithetes les trois sources des crimes des hommes. (Ibid. Au milieu d'eux, le vieux Priam , enveloppé dans son manteau, etc.) . On prétend que ces vers d'Homère fournirent au peintre de Sicyone, qui manquoit de couleurs pour exprimer le combat de U douleur, de la honte et du remords dans lame d'Agamemnon présent au sacrifice d'Iphigénie, l'idée de couvrir la tête de ce prince de son manteau. (Page 176. Le grand Hector, qu'il a percé sous les murs de sa patrie, etc.) Le grec porte: Qu'il n'a point tué, lorsqu'il fuyoit lâchementf mais combattant avec courage , sous les yeux des Troyens et des Troyennes, inaccessible à la crainte, incapable d'une fuite honteuse. (Page 177. Ne porte point l'efFroi dans mon palais par de sinistres présages, etc.) Le grec porte: Ne sois pas toi-même un oiseau de mauvais au&ure dans mon palais; tu ne me persuaderais point. (Page 178. Votre vie ne peut me consoler de la perte du seul Hector, etc.) Le grec porte : Plût aux dieux que vous eussiez tous été tués au lieu d'Hector, devant les vaisseaux des Grecs! (Page 182. Qu'ils nomment le grand aigle, etc.) Homère nomme cet aigle JCCOKYOT. J'ai cru devoir lui appliquer 24'0 NOTES LITTÉRALES la dénomination du grand aigle dont parle M. de BufFon ; car Tes-' pece de cet aigle m'a paru suffisamment désignée par sa couleur f d'un orfoncé et ténébreux, ^XOçôVOY , et par l'étendue de ses ailes qui égalent la largeur du portique du palais d'un homme riche. « C'est le plus grand de tous les aigles, dit M. de BufFon ; la fece melle a jusqu'à trois pieds -et demi de longueur, depuis le bout du tt bec jusqu'à l'extrémité des pieds, et plus de huit pieds et demi de ce vol ou d'enverjure ». HisL nul. des Oiseaux, tome L (Ibid. Le fouet, manié avec art, hâte et ralentit, etc.) Le grec porte : Le vieillard les suivant, leur ordonne avec le fouet. C'était plus pour ralentir la marche des coursiers que pour la hâter; car ils étoient obligés de se conformer à la marche pesante des mules qui les précédolent. (Page i83. Il prend en main cette verge miraculeuse, etc.) Voyez f sur la verge de Mercure, que les poètes postérieurs I Homère ont ornée de deux ailes, et nomment caducée, qui n'est autre chose que la verge miraculeuse de Moïse, les notes des chants cinquième et vingt-quatrième de l'Odyssée, {Ibid. Sous la forme d'un jeune guerrier, etc.) , Madame Dacier traduit : ce Ayant pris la figure d'un jeune « prince » ; faisant dériver , avec Eustathe , ce mot aicnwroç * de alerta m ç ô v , observant, gardant la justice , la première vertu de§ rois.Mercure ne se dit point un roi, mais l'un des compagnons d'Achille ; raison qui m'a fait préférer le sentiment du plus grand nombre de scholiastes , qui font dériver ce mot de atûfteiv ou ataetv, s'élancer ^ celui qui sfélance le premier, un chef de bandesj ce qui $'&cçorde avec la réponse du dieu, E T H I S T O E I Q U I S . " C H A N T XXIV. 2*4* (Page 184. Un jeune liomme dans la fleur de l'âge, etc.) Le grec porte » Mercure, c'est-à-dire le jeune guerrier dont Mercure a pris la ressemblance ; car l'effroi d'Idée ne seroit pas fondé f s'il reconnoissoit le dieu envoyé par Jupiter au secours de Priam. (Page 187. Ce récit adoucit la tristesse mortelle du vieux Priam, etc.) Le grec porte : Il dit : le vieillard fut réjoui et lui répondit: ô mon fils * il est bon de faire de justes présents aux immortels. (Page 192. Celui-là est éternellement malheureux, etc.) Deus judex est; hune humiliai, et hune, exaltai; quia calix in manu Dominivini meri plenus misto. Et inclinant ex hoc in hoc; veruntamenfex ejus non esi exinanita; bibent omnes peccaiores terrœ. Ps. 74, v» 8 et 9, «Dieu juge les hommes; il humilie celui-ci f élevé celui-là; car <c une coupe, mêlée de bien et de mal f est dans la main du Seigneur} ce il a puisé dans les deux sources de biens et des maux pour Ternie plir f et la lie n'a point été épuisée ; tous les pécheuri de la terre ce en'boiront» (Page ip3. Les rives de l'Hellespont au nord, etc.) Jfaï ajouté ces mots, au nord, qui ne sont pas dans le grec y pour satisfaire à la clarté qu'exige notre langue. (Ibid. Crains d'accroître ton infortune, etc.) Le grec porte : Tu ne le ressusciteras point ayant que tu souffres quelque autre malheur. Madame Dacïer traduit : c< Vous ne le rapce peilerez point à la vie ; mais vous rirez rejoindre , après avoir* 4. 3l 242 NOTES LITTERALES ce achevé de vuïder ici-bas la coupe de la colère des dieux *> : langage qui n'est pas consolant. 11 m'a paru plus vraisemblable de donnef aux derniers mots de celte phrase le ton d'une menace, que l'extrême affliction ne consume le vieux Priam, ou même qu'il n'excite» par un refus, la colère du fils de Pelée ; ce qui est très conforme à la réponse d'Achille lorsque Priam refuse de prendre place sur un trône , et très analogue à la tournure grecque. Ainsi s'écrioît Da¥Îd, après avoir perdu le fruit de son adultère : Nunc autem quia mortuus ejt^ quare jejunem? numquid potero revocare eum ampliàs ? ego vadam magis ad eum ; ille vero non revertetur ad me. 2 Rois,, chap. 12, v. 23. «11 est mort; pourquoi jeûcc nerois-j.e? mes jeûnes et mes pleurs ne le rappelleront point à la <c vie: j'irai plutôt à lui; il ne reviendra point à moi. » (Page 194. Abaissé les leviers de nos portes, ete.) Ce qui ne se rapporte pas seulement aux portes du camp, mais encore à celles qui fermoient l'enceinte de la tente d'Achille. (Ibid. Crains que y malgré les ordres de Jupiter, etc.) Le grec porte: De peur f ô vieillard, que je ne te souffre pat môme dans ma tente, et que je ne contrevienne aux ordres de Jupiter» (Page 196* Personne ne se trouva pour leur rendre les honneurs funèbres, etc.) Les enfants de Niobé étant morts de la peste, personne n'osa ni les secourir, ni leur rendre les honneurs funèbres» (Page 198. Achille ordonne •.•••de préparer des lits sous le portique, etc.) ET HISTORIQUES. CHANT XXIV.' '243 Voyez la note du quatrième chant de l'Odyssée sur la forme des lits des anciens. (Page 202. Les chants funèbres commencent; etc.) Le grec portje : Ils placent auprès du lit funèbre Ips respectables chefs des pleureurs , qui font entendre leurs douloureux accents: lçs femmes les suivent Coutume reçue chez tous les anciens peuples f dont nous conservons encore des vestiges aux pompes funèbres des grands. Quoniam ibit homo in domum aeternitatàs suae, et circuibuni in platea plangentes. Ecclésiast. chap. 12, wP 5§ ce Parceque l'homme « ira dans son éternelle demeure, et que les pleureurs entoureront « son lit funèbre. » Dans saint M ^ c , chap. 5, vf 38, voyez les pleureurs qui envi** sonnent le lit funèbre de la file du chef de la synagogue. jFIK P I S NjOTIg HISTORIQUES* NOTES GÉOGRAPHIQUES DE M. M E N T E L L E , H I S T O R I O G R A P H E DE M" COMTE D'ARTOIS. ILIADE; CHANT XX. ( P A G E 48. Ida.) Quelques auteurs pensent que c'est l'ancien nom de Sardes; ma» cela n'est pas prouvé. (/foUHyllus.) Le même fleuve que lePhiygias, grand fleuve de F Asie Mineure. I! prend sa source sur les confins de la grande Phrygîe f au sud d'Aricyre , coule à Fouest, et se jette dans l'Hennus, près de Magnésie.- (Ibid. L'ombragé Hermus-. Montagne que Fon conjecture avoir été ainsi nommée, parceque ïe fleuve Hermus y prend sa source. NOTES GÉOGRAPHIQUES. CHANT 2 ^ XXI. (Page 65. Le roi des fleuves, l'Achéloùs.) Homère fait ici allusion à une ancienne tradition, suivant laquelle ee fleuve étoit sorti de terre le premier après le déluge de Deucalion. CHANT XXII. (Page 112. Dans l'ombragée Hypoplacie.) La ville de Thebes en Mysie. Voyez les commentaires d'Etienne de Byzance, tome I, page 416'. CHANT XXIV. (Page 197. Sipyle.) Montagne de l'Asie Mineure f au sud-est de Magnésie* 11 y avolt au même lieu une ville du même nom. FIN D I S NOTES G I O G E A P H Ï Q U 1 S . IMITATIONS D'HOMERE- IMITATIONS D'HOMERE PAR LES P R I N C I P A U X P O E T E S LATINS, ITALIENS, FRANÇOIS ETANGLOIS, AVEC LA TRADUCTION. CHANT XIX. ( PAGE 8. L'aurore au voile pourpré s'élevant des profondeurs de l'océan, etc.) Et jam prima nmro spargebat lumine terras TithonI croceum linquens Aurora cubMe. AEneid.lib. 4 , v. 584. Cependant l'Aurore 9 quittant le Mt safrané du vieux Tîthon, verse ses premiers feux sur la terre. (Ibid. Reçois les belles armes que je t'apporte,' ouYrage de Vulcain, etc.) En perfecla mei promissâ conjugls arte Munera. AEneid* lib. 8, v. 612. O mon fils, lui dit Vénus, Je remplis mes promesses ; reçois ces présents j chef-d'œuvre de Fart de mon époux, . (Page 8. La joie a accès dans son ame, à la vue de l'armure, etc.) 4. 32. 25o IMITATIONS; Talia per clypeum Vulcani, dona pareil tis*" Miratur, rerumque ignarus imagine gaudet, Attollens liumero famamque et fata nepotum. ; AEneid. lib. 8, v. 729; Quoique ces grands événements lui soient inconnus (àÉnée), il en contemple et admire les vivants tableaux que Vulcain a tracés sur son bouclier, magnifique présent de la déesse sa mère. 11 l'élevé, le suspend à son épaule, et porte sur son dos la gloire et les futures destinées de sa postérité, (Page 12. Fier d'annoncer aux Immortels leshautes destinées de son Bis, etc.) Hear, ail ye angels, progeny of Kght, Thrones, dominations, priucedoms, virtues, pow'rs^ Hear my decree, which unrevoK,*d shall stand. Tliîs day I hâve begot whom I déclare My only son, Parad. lost » book 6. 'Anges, premiers nés de la lumière , trônes-, dominations , vous qui cour-* mandez dans le sacré palais, vertus, puissances, soyez attentifs à mon irrévocable décret. En ce jour f ai engendré celui que je déclare mon fils unique.- (Page i3. Saisissant l'Implacable Furie, etc.) ., Thiis measuring thïngs in heav'n by things on earth f At thy request, and that thon may'st beware By what 1s past, to thee I hâve reveal'd What mïght hâve eîse to human race been hid j The discord which befel f and war in heav1 n Among th' angelic pow f rs, and the deep fall Of those too high aspiring, who rebelkd Wilh Satan. Parad. lost, Book 6;- ~ Ainsi, mesurant les choses du ciel par celles de la terre, à ta prière, et pour ^instruire par l'exemple dm passé, je t'ai révélé ce qui eût peut-être été tou* C H I N T XIX, - 2.5 h fours ignoré de l'humaine race, la discorde qui régna dans le ciel, la guerr# qui s'alluma entre les anges, la chute profonde de ceux qui, par une ambition démesurée, se révoltèrent avec Satan. (Ibid. Jupiter en gémit le premier, voyant Hercule, ce fils cher à son cœur, etc.) Ut duros miHe labores Rege sub Eurystheo f fatis Junonis kiquae f Pertuierit ! AEneid. Mb. 6 , v. 291. Combien de fois il se fournit aux durs travaux que 1g tyrannie du roi Euryathée, la haine de Junon et l'ordre du destin lui imposèrent ! (Page 18. Grand nombre de nos compagnons tombent tous les jours, etc.) Mamque nimis multos atque omnï luce carentes Cemimusf ut nemo possit mœrore vacare: Quà magis est asquum tumulis mandare peremptos," Firmo animo, et luetum lacrymis finire diuraïs. Cïc. Tusc. Quaest, 1. 3# Ces vers sont la traduction littérale de ceux d'Homère. (Page 21. Patrocle, si cher à mon cœur, je te laissai vivant, etc.) E in lui Yersô d'inessiccabil vena Lacrime, e, voce di sospïri mista : lu che mîsero punjto or qui mi mena Fortuna! Ah ! che Yeduta amara e trista ï Dopo grau tempo V ti ritrvo appena f Tancredi, e ti riFCggio, e non son fista; ¥ista non son da te benchè présente ; E tro?ando ti perdo eternamente. Ger. Ub« €• 19,"st. io5« 252 I M I T A T I O N S . A la vue de son amant, une source intarissable de larmes coule des jêut (d'Herminie). D'une voix mourante, qu'interrompent ses sanglots, elles écrite» Fortune , en quels moments m'as-tu amenée en ces lieux ! Quel triste spectacle tu offres à mes yeux! O Tancrede, je te cherchai long-temps , et ne pus te rencontrer : je te retrouve, et tu ne me vois point ! Tu ne me vois point bien que présente! je te retrouve, et je te perds pour des siècles éternels! (Ibid. Toi seul, ô Patrocle, par ton inexprimable douceur, etc.) EgH, la sua porgendo alla mia mano, Non aspetto che fJ mïo pregarfinissex Vergine bella, non rîcorri in vano; lo ne sarè tuo difensor, mi disse. Ger. lib. c. igf st. 94.(Tancrede), me présentant la main, interrompt mon humble prière: Belle nymphe, me dit-il, ce n?est pas en vain que tu as recours à moi j je serai ton défenseur, (Page 22. Ô mon infortuné compagnon, etc.) O forte, o caro, o mio fedel compagno, Che qui seï morto f e so-che vivi in cielo t Solo senza te son, ne cosa in terra Senza te posso-aver più, che mi piaccla.. Se teco era in tempesta, e teco in guerra. Perché non anco in ozio t ed in bonaccia? Orl. fur. c. 43 , st. 170 et 171, O mon cher, ô mon brave, ô mon'fidèle compagnon, tu es mort ici bas, et tu vis dans le ciel . • . Privé de toi , Je ne peux rien posséder qui me plaise sur la terre : si je partageai avec toi et les tempêtes et la guerre, pourquoi ne partagerai-je point et le repos et le câline? CHANT XIX. a5S (Page 24. Les Grecs se hâtent de sortir de leurs vaisseaux, etc.) Ut ssepe iogentï bello ciim ïonga coliorte^ Explifiiit legio, et campo stetit agmen aperto f Directaeque acieSs ac latè fluctuât omnïs AEre rentdenti teilus. Georg. Mb. 2 , v. 279. Ainsi, dans les guerres sanglantes, une armée se développe dans la plaine ; la glèbe retentit sous les pas des guerriers alignés ; Féclat de Fairaîn brille dans Pair, Praetef ea magnae legïones cum loca cursu Caniporum complent, belli simulacra cientes', Et circumvolitant équités, mediosque repente Transmïttunt valïdo quatlentes impete campos ; Fulgur ibl ad cœlum se tollit t totaque cîreum AEre renidescit telles, subterque virûm vl Excutilur pedibus soriitus, clamoreque montes Icti rejectant voces ad sidéra uiundi. Lucr. Mb. 2 , v. 323, Quand de grandes légions s'exercent dans une plaine qu'elles couvrent en entier, imitant les combats meurtriers, la cavalerie fait ses évolutions, traverse les champs d'une course rapide ; Féclat de Fairaîn, qui répand sur la terre sa blanchâtre lumière, s'élève jusqu'à la voûte éthérée; la glèbe résonne sous les pas des guerriers , les échos des montagnes portent leurs cris jusqu'aux astres. (Page 26. Adressant la parole aux immortels coursiers que lui donna Pelée son père, etc.) Haud dejectus f equum duel jubeL Hoc decus illî, Hoc solamen erat; bellis hoc victor abibafc Omnibus. Alloquitur mœrentem, et talibus infit: Rbœbe f diù (res si qua dlu mortaMbus ulla est ) f a54 IMITATIONS» Viximus. Aut hodie vietor spolia illa cruetitn Et caput AEneae réfères» Lausique dolorum Ultor eris mecum ; aut f aperit si nulla viam vis f Occumbes pariter: neque eniin, fortissimo, credo Jussa alieoa pati^ et dominos dignabere Teucros. AEneid. Mb, 10, v. 858. 11 ordonne qu'on lui amené ce fier coursier qui sortit avec lui vainqueur de tant de combats, qui s'enorgueillissoit de le porter; ce coursier, sa consolation et sa gloire dans les travaux de la guerre. A la vue de son maître blessé, l'intrépide coursier verse des larmes* Mézence lui adressant la parole : Ilhébé, lui ditil , la gloire des mortels est de courte durée ; nous touchons au terme fatal. Aujourd'hui vainqueur avec moi^ vengeur de la mort de Lausus, tu reporteras au camp et la tête et les dépouilles sanglantes d'Énée; ou nous pé:irons ensemble , si nos forces ne suffisent pas pour de tels exploits : car je ne pense point que tu consentes de subir le joug de l'étranger} tu dédaîgnerois d'avoir pour maîtres les Troyens, — • IM1BMMMWM—I • 1 1 III I f 111 Ml — I Il É M — » ^ CHANT X X. ' ( P A G E 31. Jupiter ordonne à Thémîs d'assembler les Immortels, etc.) Pandltur Intereà domus omnipotentis Olympï, Conciliumque vocat dl?ûm pater atque hominuni rex Sideream In sedero t terras uniearduus omîtes, ' Castraque Dainanidum aspectat, populosque ladrtos.Considunt tectis bipatentibus. Incipit >pse...-* : AEneid.Kbr i o , • . 1; Cependant les porte» de la demeure du tout-puissant qui règne sur l'Olympe , s'ouvrent: le père des dieux et le roi des hommes appelle les immortels au conseil, sur la voète du ciel parsemée d'étoiles, dans ce palais élevé d'où sa vue perçante s'étend sur toutes- les terres, sur la ville des Troyens, sur les peïji* pies du Latium. Les dieux prennent place sur leurs- trônes ; Jupiter leur parle ainsi.. •#. (Page 33. Du sommet de la liante muraille, du revers du fossé qui la borde, etc.) At saeva è speculls tempus dea nacta nocendîf Ardua'tecta petit stabuli, et de culmine summo Pastorale canit sïgnum, comuque recurro Tartaream in tendit vocem » quâ protïnùs omne Contremuit nemus, et sylvm intonuere profond». AEneid, Kb. 7, v. Si t. L'implacable furie quitte la retraite obscure où elle s'est cachée pour épier les mouvements ( des Troyens ) ; eUe s'élance sur les toits, embouche la conque pastorale, donne aux pâtres le signal du ralliement ; les mm râuques de sa voix infernale retentissent dans la profondeur de la forêt» 2*56 IMITATIONS; ( Page 34. Neptune frappe la terre de son trident, etc.) Non seciis ac si quâ partîtes vi terra dehiscens ïiifernas reseret secles f et régna recludat Pallida, dis invisa, superque Inirnane barathrum Cernatur, trepldentque, immissolumine9 mânes..., AEneid. Mb. 8 , v. 243. Comme si la terre, entrouverte par une force inconnue , découvroit les ré~ gîons souterraines de l'infernal royaume , séjour abhorré des dieox mêmes, abymes qu'une pâle lueur a peine à pénétrer, dont l'oeil sonde avec effroi la profondeur ; comme si Ton voyoit les mânes tremblants s'agiter, éblouis par la lu» miere du soleil introduite dans leurs sombres demeures.... Divlllt omne solutn, penetratque In Tartara rirais Lumen, et infernum terret cutn conjuge regein. Ovid. Metam. lib. 2 , v. 260. f La terre s écroule, la lumière pénètre dans le Tartare ; le roi des enfers et sor| épouse sont effrayés. Inde tremlt tellus, et rex pavet îpse silentûm, Ne pateat la toque solum retegatur hiatu, Immissusque dtes trépidantes terreat umbras, Ovid.ibid.lib.5,v. 356.. La terre tremble; le roi des royaumes silencieux craint que le globe ne s'en*tr'ouvre, que la lumière, introduite dans ces gouffres immenses, n'effraie les ombres. L'enfer s'émeut ait bruit de Neptune en furie. Plu ton sort de son trône; Il pâlit, Il s'écrie; Il a peur que ce dieu, dans cet affreux séjour f D'un coup de son trident ne fasse entrer le jourf Et, par le centre ouvert de la terre ébranlée, Ne fasse voir du Styx h rive désolée, Ne découvre aux vivants cet empire odieux f Abhorré des mortels» et craint môme des dieux. Boikfu, Traité du Sublime 9 c h . jlf C H A N T XX* %5j (Page 39. Semblable à un lion que provoque un peuple de chasseurs, etc.) Ul fera, quœ densâ venaotûm septa coronâ Contra tela furit, seseque haud nescia morti Injicit, et saltu supra venabula fertur; Haud aliter juvenis medios morituras in hostes Irruit, et quà tela videt deoslsslma tendit. AEneid. Mb, 9, v. 55i. Environné de farinée des Latins ( Hélénor ) , se dévouant au trépas, fond sur l'ennemi, sans redouter l'épaisse forêt de javelots ; telle une bête féroce qu'entoure une troupe de chasseurs, furieuse, certaine de mourir, affronte les longs épieux; ses sauts hardis l'élevent au-dessus des toiles. Pœnomni qualis in arvîs Saucius ile gravi venantûm vulnere pectus, Tum demum movet arma leo, gaudetque cornantes Excutïens cervice toros f fixumque latronis Impavidusfrangittelum, et frémît ore cruento; Haud secùs ?ccenso gliscit violentia Turno. AEneid. Mb. 12, y. 4-* Tel, au milieu des sables brâlants de la Libye, un Mon, que l'arme meurtrière des chasseurs a atteint dans le poitrail, déploie ses annes, secoue si crinière ; intrépide, rugissant, la gueule teinte de sang, il s'élance f brise le javelot prêt à le percer: aussi forte, aussi vive est l'ardeur de Turaus. \ Sic cùm squalentibus arvis AEstiferae Libyes ¥Îso leo cominùs hoste Subsedit dubius, totam dum colligit îrain ; * Mox ubi se saevae stimulavit verbere c^udae, Erexitque jubam, et ¥asto grave murmur hiatu Infremuit : tum torta levïs si lancea Maurî Haereat, aut latum subeant venabula pectus, Per ferrum tanti securus vulneris exit. Lucan. Pharsal. lib. 1, v. ao5. 4. 33 258 IMITATIONS; Ainsi, dans les plaines de la Libye, un lion s'arrête ; Incertain à la vue ie l'ennemi, il se rassemble, bat ses flancs pour accroître sa fureur, dresse sa crinière , pousse de longs rugissements : qu'en cet instant le javelot d'un Negrc tienne à le frapper , que de longs épieux s'enfoncent dans son poitrail , nul danger ne l'effraie ; il s'élance, se fait jour à travers les traits qui l'environnent. A l'aspect du péril, au combat il s'anime; Et le poil hérissé, les yeux étincelants, De sa queue il se bat les côtés et les flancs. Boileau , Traité du Sublime, ch. i 3 . (Page 40. Fils de Pelée.....n'espère pas m'intimider par de vaines menaces, etc.) Hostis amare, quid increpitas, mortemque iiiinaris? AEneid. lib. 10 , v. 900. Cruel ennemi ( s'écrie Mézence d'une voix mourante ) mets fin à tes injures j la mort dont tu me menaces n'a. rien qui m'effraie. Rispose Mandrïcarclo : Indarno tenta Chi mi vuoF impaurir per minacciarme: Cosi fanciulii, o femmine spaventa, O altri f che non sappia f die sîeno arme ; Me non, cui la battaglia più talenta D'ogni riposo ; e son per adoptarme A piè, a cavallo, armato, e disarmato f Sia a la campagna, o sia ne lo steccato. Orl. sur. c* 24, st. 98. Mandricard lui répond (au roi d'Alger) : C'est en Tain que tu essaies de mfeffrayer par des menaces, comme on effraie des femmes ou des enfants qui ne connoissent pas les armes ; ma réponse est de t'offrir la bataille, soit à pied , soit à cheval, soit armé , ou désarmé, soit en rase campagne, ou ea champ clos. (Page 41. Ce héros fonda l'antique Dardanle, C H A N T XX. 259 avant que la sainte cité d'Ilion fût habitée par les mortels, etc.) Noodum Ilium et arces Pergameœ steterant: habitabant ?alibus imis. AEneid. Mb, 3 , •. 109. Les peuples sur lesquels il régna (Teucer), habitèrent dfabord les profondes •allées de rida. Ilion, la citadelle de Pergame , n existoit point alors. ( Ibîd. Douze poulines en naquirent, si légères, que f volant dans la plaine, etc.) Illa vel intactae segetls per summa volaret Gramina, nec teneras cursu laesisset arîstas ; Vel mare per médium, fluctu suspensa tumenti f Ferret iter, celeres née tingeret aequore plantas. AEneid. Mb. 7, v. 808. Elle Toleroît au-dessus d*une riche moisson, sans en froisser les épîs ; suspendue sur les iots, elle tra?erseroît la plaine liquide sans mouiller la plante légère de sm pieds délicats. Egli sen va sovra un destrier cli* appena Segna nel corso la piu molle arena. Ger. Mb. c. 18, st. 60. (Vafrin) monte un coursier si léger, qu'à peine il imprime sur la molle arène la trace de ses pas. Lungo il fiurae Trajano egli cavalca Su quel destrier, ch'al mondo è senza paref Che tanto leggiermente corre, e valca, Che ne Farena Forma non appare : Lferba non pur, non pur la neve calca ,* Co I piedl asciutti andar potria su 1 marej E si si tende al corso, e si s'affretta, Che passa e Ycnto, e folgore, e saetta. Orland. fur. c. i5, st. 4®* 2ÔO I M I T A T I O N S . " (Astolfe) voyage loin de ces contrées, monté sur ce destrier qui n'a poinl son pareil dans le monde ; il court avec une telle rapidité, que la trace de ses pieds ne demeure point imprimée sur l'arène , que l'herbe n'en est point froissée, que la neige n?est pas amollie : il pourrait traverser la mer à pied sec. 11 se hâte et s'étend avec une telle vitesse, qu'il devance et le vent, et la foudre, et la flèche légère. (Page 42. Il dit, et lance son javelot dans le bouclier d'Achille, etc.) Tu m plus AEneas hastam jacït : illa per orbem AEre cavum triplici, per linea terga, tribuscjue Transiit intextum fanris opus, imaque sedit Inguine ; sed vires liant! pertiillf» AEneid. iib*. 10, v. 783. Lançant sur Mézence son redoutable javelot, le pieux Enée perce et l'airain et les trois cuirs du taureau enlacés qui forment l'épaisse contexture du bouclier du roi des Tyrrhéniens ; il l'atteint au-dessus-de la cuisse, et ne peut l'abattre. (Page 45. Il étend un nuage épais sur les yeux d'Achille, etc.) Pelidae tune ego fbrtï Congressum AEoeam, nec dis, nec viribus aequis f Nube eavâ eripui, cuperem cirai verïere ab imo Structa meïs manibus perjurae inœnia Trojœ. AEneid. lib. 5 , T . 80». Malgré le dcsïr dont j'étois animé de renverser les murs de la perfide Troie y élevés par mes mains, je vis ton- fils engagé dans un combat trop inégal contre un héros que les dieux protégeoient ; {.'étendis une nue obscure pour le dérober aux coups du fils de Pelée* (Page 47. Je cours le provoquer au combat, etc.) Àudeo et AEneadum protnitto oceurrere turmaet CHANT XX. 2.61 Solaque tyrrhenos équités Ire obvia contra. AEneid. Mb. 11, v. 5o3. l e te promets de provoquer au combat les Enéades 5 seule, je marcherai contre la- catalerîe tyrrhénienne ; permets que la première |faffironte les périls de la guerre. (Page 48. Achille le prévient, décharge sur sa tête son pesant javelot, etc.) Sic ait f et sublatum altè consurgit in ensem t Et inediam ferro gcmina inter tempora frontem Dividit f impubesque immani vulnere inalas. AEneid. Mb. 9, v. 749* Il dit ; et élevant son glaive, il le précipite entre les tempes de Pandarus : l'arme meurtrière sépare en deux les lobes et le front, et ces mâchoires que couvre à peine un léger duvet. (Ibid. Fils d , Otryntès....qui naquis.-.au centre des riches possessions de ton père, etc.) Dômes alta sub Ida, Lyrnessi dômes alta; solo laerente sepelcrom. AEneid, lib. 12, v. 5^6\ Un sépulcre dans les champs laurentins remplace, pour toi, ce superbe palais que tu possédoîs dans les vallées de Flda, cette éclatante demeure que tu habitois dans Ljrnesse. (Page 49. 11 expire , poussant des cris aussi affreux que les mugissements d'un taureau, etc.) Clamores sinral horrendos ad sïdera tollit; Quales mégîtes, fugit cùm saecius aram Taures, et incertain excessif cervice securlm. AEneid. lib. 2 , T. 222. Il pousse vers le ciel des cris affreux, semblables aux mugissements d'un taureau blessé qui, ayant secoué la cognée qu'un coup mal assené avoit en*» foncé dans son crâne, fuil 1 aille! où il deyoU être immolé» 2.62 I M I T A T I O N S . (Page 5 i . Quoique plus foible, je peux te percer de mon javelot» etc.) Et nos tek, pater, fermmque haud débile dextrâ Spargimus, et nostro sequitur de vulnere sanguis. AEneid. lib. 12, v. 5o. O mon père , mon bras , ainsi que celui d'Enée , est éprouvé dans les coin» bats ; mon javelot a précipité des héros dans les sombres demeures. {Ibid. Il dit; et Imprimant à son javelot..... un mouvement rapide, etc.) Dixerat; ille rudem nodls et cortîce crudo Intorquet, summis annixus viribus, lias tain. Exceperc aurae vulnus: Saturnia Juno Detorsit venlens, portaeque infigitur hasta. AEneid. lib. 9 , v. 743. 11 dit: Pandarus saisit un lourd épieu que revêt son écorce; il Féleve d'un bras nerveux, lui imprime un mouvement rapide par les cercles qu'il lui fait décrire , le lance sur le roi des Rutules : mais la fille du vieux Saturne détourne le coup mortel; la pointe aiguë s'égare dans le vague de l'air, et s'enfonce dans la porte. (Page 52. Le javelot d'Achille atteint l'un au loin , tandis que l'autre tombe à ses pieds sous les coups de son glaive.) Turnus equo dejectum Amycum, fratremque Dloreni Congressus pecles ; hune venientem cuspide longâ f Hune tnucrone ferit. AEneid. lib. 12, v. 509. Turnus a culbuté de dessus leurs coursiers et Amycus et son frere Diorês; Il sfélance de son char, marche à pied à leur rencontre, perce l'un de son javelot, enfonce son glaive dans la poitrine de l'autre. C H A N T XX. 2Ô3 (Ibîd. Le iîls de Pelée.... enfonce le glaive dans son cœur, etc.) Validum namque exîgit ensem Per médium AEneas juvenem, totumcjue recondït. Transiit et parmain mucro, levïa arma^niinacis, Et tunicam, molli mater quam neverat auro; Implevitque sinum saoguis: tu m vita per auras Concessît mœsta ad mânes, corpusque rellquit AEneîd. lib. 10, v. 8i(î. Le glaive d'Enée brise le bouclier du jeune héros, perce sa cuirasse, déchire cette molle tunique que les mains de sa mère ont filée, où l'or s'allie aux couleurs les plus brillantes , et s'enfonce clans le sein de Lausus;- 1e sang emplit sa poitrine*; son ame affligée fuit dans le séjour des ombres. (Page 53. Achille.... fait voler sur la poussière cette tête ennemie et le casque qui la couvre f etc.) Huic uno dejectum comïnùs ictu Cum galea longé jacuit caput. AEneid. lib. g, v. 770. Turnus le prévient, fait voler sur l'arène et sa tête et le casque qui la couvre; (Ibid. Ainsi Achillef semblable à un dieu...; parcourt cette plaine sanglante, etc.) Multa vïrûm volîtans clat fortîa corpora letho, Semineces volvit multos, aut agmina eurru Proterit^ aut raptas fugientibus ingerit haslas. AEneid. lib. 12, v. 328. 11 (Turnus) parcourt avec rapidité la vaste arène : les guerriers tombent en foule sous ses coups; d'autres expirants se roulent sur la poussière: les phalanges troyennes sont dispersées ; les mêmes javelots qu'il enlevé aux ennemis qu'il a terrassés f il les dirige sur les fuyards. 2(>4 IMITATIONS. ( Page 54. L'aissleu de son char est teint de sang, etc.) Talis equos alacer média inter praelia Tu mus Fomantes suclore quatit, misera bile caesis Hostibus insultans. Spargit rapida ungula rores Saoguineos, inlxtâqiie cruor calcatur arenâ, ATneid. lib. 12, v. 3 3 j . Turnus, monté sur son char, animant ses coursiers agiles , se fait jour à travers les phalanges qu'il disperse: la sueur qui pénètre les membres de ses coursiers , les couvre d'une épaisse fumée. Turnus, insultant aux vaincus, se livre à un affreux carnage 1 le sang jaillit dessous ses pas} la molle arène est imbibée de sang. C H A N T XXL C PAGE 5J* Repoussés sur les rives dp grand fleuve du Xanthe tortueux, etc.) Tellei â l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins f Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante ; Ou tels devant Achille, aux campagnes du Xanthe, Les Troyens se sau¥oient à l'abri de leurs tours. Lutrin, ch. 5. (Page 58. Las enfin de carnage» le fils de Pelée choisit douze jeunes hommes, etc.) Sulmone creatos Quatuor hic juvenes, totidem, quos educat Ufens; Vivantes rapit, inferîas quos immolet umbris, Captivoque rogï perfundat sanguine lammas. AEneid, Mb, 10, v. 5i8. Quatre frères, enfants de Sulmon, s'offrent les premiers à sa vue : Il ( Enée ) les rend ses captifs, ordonne à Ufens de les conduire à la ville, destinés à être immolés aux mânes de Pallas, à airoser de leur sang les Iammes du bâcher dm fils d'Évandre, (Page 60. Profondément incliné, le triste Lycaon, etc.) Inde Mago procul infensain càm tenderet hastam, He astu subit f ac tremebunda superrolat hasta § Et genua amplectens effatur talia supplex: Per patrios mânes, et spem surgentis lulif Te precorf hanc animam ser?es natoque patrîque. Est domus alta: jacent penitùs defossa talenta 4. 34 l66 IMITATIONS. Cselati argenti: sont auri pondéra factl Infectique mihi: non hic Victoria Teucrûm Vertitur, aut anima una dabit discrimina tan ta. Dixerat. AEneas contra cui talia redclit: Àrgenti atque auri memoras quae multa taleota Gnatîs parce tuïs : belli commercia Turnus Sustulitista prior, jam tum Pallante perempto. Hoc patris Anchlsee mânes, hoc sentit Iulus. Sic fatus, galcam laevâ tenet f atque reflexâ Cervice orantis capulo tenus applicat ensem. AEneid. Mb. 10, v. 521. Agitant son javelot, Il s'élance sur Magus. L'adroit Rutule se courbe, se glisse sous l'arme meurtrière , l'évite, embrasse les genoux du fils d'Ancliise: Sauve-moi la vie, lui dit-il ; je t'en conjure par les mânes de ton père Ancluse , par les espérances que te donne ton fils Iule ; conserve des jours précieux à mon père, nécessaires à mon fils. Jfai une maison élevée ; des richesses immenses y sont renfermées, de l'argent ciselé, de For tel qu'on le tire de la mine f de For artistement travaillé. Ma mort ne donnera pas la victoire aux Troyens: la vie d'un seul ne peut être d'une telle importance. 11 dit. Conserve à tes enfants cet or que tu m'offres, lui répond Enée, Pallas est tombé sous les coups de Turnus ; la mort de ce jeune héros a rompu tout commerce entre nos deux nations ; les mânes de mon père Anchise, la douleur de mon fils Iule sollicitent ma vengeance. Il dit ; et soulevant le casque d'airain, il enfonce son glaive jusqu'à 11 gardd dans la gorge du Rutule. (Page 61. Tu vois quel je suis, etc.) Lamina sic oculis etiam bonus Ancu1 reliquit, Qui melior multis» quàm tu, fuit, improbe, rébus* Ipse Epierons obit decurso lutnine vit* f Qui genus humanum ingenïo superavitf et omrues Praestinxit stellas, exortus uti aethereus sol j Tu ver6 dubitabis, et indigpabere obke f C H A N T XXI. Mortua quoi vita est, prope jam vivo atque vîdenti! 267 Lucret, lib. 3 , v. io38. Ancus, ce bon roi, supérieur à toi par tant de vertus, â fermé les yeux â la lumière du soleil. • • • • • • • • ' • • • « . Épîcure est mort, cet Épîcure dont le génie éclipsa celui de tous les autres mortels, comme le soleil éclipse les étoiles ; et tu t'indignerois de subir la loi commune, toi dont la vie entière n'est qu'une mort anticipée! (Page 64. Le fils de Pélégonus fait effort pour s'en saisir ; trois fois il l'agite puissamment, etc.) Incubuit, voluîtquç manu convellere fermm Dardanides, teloque sequi, quem prendere cursu Non poterat AEneid. lib. 12, v. 774. Désespérant d'atteindre Turnus à la course, le héros dardanien lait effort pour arracher son javelot et le lancer sur l'ennemi, (•Page 6jP A cette ¥ue le'Xanthe se trouble; etc.) Au pied du mont Adule, entre mille roseaux. Le Rhin tranquille, et fier du progrès de ses eaux, Appuyé d'une main sur son urne penchante f Dormoit au bruit flatteur de son onde naissante, Lorsqu'un cri tout-à-coup suivi de miËe cris Vient d'un calme si doux retirer ses esprits. Il se trouble, il regarde f et par-tout sur ses rives 11 voit fuir à grands pas ses Naïades craintives f Qui toutes accourant vers leur humide roi t Par un récit affreux redoublent son effroi Il apprend qu'un héros, conduit par la victoire f A de ses bords fameux flétri l'antique gloire. BoOeau* Épu 4*1 268 IMITATIONS; (Page 68. Ainsi l'on voit dans les jardins Veau d'un étang qu une pente hardie favorise, etc.) Quid dicam, jacto qui semlne comimis arva Insequitur, cumulosque ruit malè pinguis arenae* 'Deînde satis fluvium inducit, rlvosque sequentes? Et cùm exu-stus ager morientibus aestuat lierbis, Ecce supercilio clivosi tramitis undam Elicit : illa cadens raucum per levia murmur Saxa clet f scatebrisque arentia tempérât arva. Georg. Mb, 1 , v. 104.' Que dirai-je de Tactif laboureur qui suit de près la semence que sa main a* lancée, dont la lierse abaisse les éminences de la glèbe amoncelée , qui introduit sur le champ fécondé par la semence un fleuve divisé en des-canaux divers^ qui semblent le poursuivre dans leur course rapide; et tandis que les feux de l'été dessèchent et brûlent la verdure naissante, fait Jaillir du sommet d'une roche escarpée une onde limpide dont la pente hardie surmonte les obstaclesqui lui sont opposés, bouillonne, murmure , et tempère l'aridité du sol par lé crystal d'un liquide bienfaisant? . „ L'art du laboureur peut tout après les dieux. Dans ses champs la semence est-elle déposée? Il la couvfe à l'instant sous la glèbe écrasée; Puis d\m fleuve coupé par de nombreux canaux Court dans chaque sillon distribuer les eaux. Si le soleil brûlant flétrit l'herbe mourante, Aussitôt je le vois, par une douce pente f Amener, du sommet d'un rocher sourcilleux, Un docile ruisseau qui suit un lit pierreux r Tombe, écume, et roulant avec un doux murmure, Des champs désaltérés-ranime la verdure. M. l'abbé de Lille; (Page 6g.- Que n'ai-je succombé sous les coups» •d'Hector, le plus courageux des Troyens^ etc.) CHANT XXI. . 26ç ù Danaûm fortissime gentîs Tydide, mené iliacis occumbere campîs Non potuîsse, tuâque animam'hanc effundere dextrâ,Saevus ubi AEacidae telo Jacet Hector, ubi ingens Sarpedon, ubi tôt Simoïs correpta sub undis Scuta virûm, galeasque, et fortia corpora volvit! AEneid. lib. 1, v. $6. Fils de Tydée, le plus intrépide des Grecs, quelles divinités cruelles m'ont dérobé aux coups de ton javelot? Plût aux dieux que les plaines d'Ilion, ou Hector a succombé sous les coups du descendant d'Eacus, où le grand Sarpedon a terminé sa vie, où le Simoïs roule dans ses flots tant de boucliers! tant de casques, tant de cadavres de héros, eussent recueilli ma dépouille mortelle*! (Page 73. Ses ondes bouillonnent, comme la graisse d'un porc enfermée dans un vase d'airain, etc.) Magno veluti cùm flamma sonore Virgea suggeritur costîs undantis ahenï ,Exultantque aestu latices: furit intùs acjuae vis, Fumidus atque altè spumis exuberat amnîsi Nec jam se capït unda ; volât vapor ater ad auras» AEneid, lib. 7, v. tyfa. Telle, enfermée dans un vase d'airain qu'enveloppe une flamme animée par du bois sec, Fonde écumeuse se gonfle, surmonte les bords du vasej un fleuve en sort à gros bouillons et répand au loin une épaisse fumée* (Page 74. Les deux bandes des divinités..•* marchent Fune contre Fautre: la terre gémit sous leurs pas, etc.) Le ciel en retentit, et l'Olympe en trembla. Traité du Sublime, ehap. 7» 2/Û I M I T A T I O N S , (Page 79. Elle dit; et saisissant d'une seule main....Telle une timide colombe, etc.) Transit equum cursu; frenisque adversa prehensis Congredltur, pœnasqoe iniinico a sanguine stmiït: Quàm facile accipiter saxo sacer aies ab alto Consequitur permis sublimem in nube columbam f Comprensamque tenet, pedibusque eviscerat uncis; Tum cmor et vulsae labuntur ab aethere plumae. AEneid. lib. 11, v. 719. Elle dit (Camille ) ; et, plus légère que le vent, elle devance le rapide coursier , se retourne, l'arrête, se venge du perfide ennemi qui Fa trompée, avec la même facilité qu'un oiseau augurai, Fépervier, atteint dans la nue la timide colombe qu'il poursuit f la saisit dans ses ongles croclius et la déchire : son sang coule; ses plumes détachées voltigent et s'aflaisent. ( Page 83- Il n'a qu'une vie ; on dit qu'il est mortel comme nous. ) Mortali urgemur ab hoste Mortales, totidem nobis animaeque manusque, AEneid. lib. 10 ,v, 375. Mortels, nous disputons la victoire à des mortels -, nos ennemis n'ont qu'une fie, que deux bras t comme nous. CHANT XXII. ( P A G E 88. L'éclat qui Fenvironne le fait aisément reconnoître: ainsi brille sur la voûte étliérée, etc.) Ipse agmïne Pallas In medîo, chlamyde et pktis coospectus In armïs. Qualis ubi Oceani perfusus lucïfer unclâ f Quem Venus an te alios astrorum diligit ignés f Extulit os sacrum cœlo, tenebrasque resolvit. AEneid. lib. 8» •. 58/. Pallas est au centre, couvert d'une superbe tunique que relevé sou armure de diverses couleurs d'un éclat merveilleux. Tel brille sur la voûte étliérée l'astre du matin, que Vénus chérit par-dessus tous les feux qui éclairent le firmament , lorsque s'étant lavé dans les Mots de l'Océan, il élevé au-dessus de l'horizon sa tête sacrée, et dissipe les ténèbres. {Ibid. Le vieuxPrlam....appelle son fils, le vaillant Hector...qui...se tient devant la porte Scée.) E cliiusa È poi la porta f e sol Clorinda esclusa. Ger. Mb. c. 12,st. 48. La porte se ferme ; la seule Clorinde reste en-dehors. (Page 90. Prends pitié de ton malheureux père; etc.) Miserere parentis LongaevI f quem nunc mœstum patria Ardea longé " Dividit. AEneid. lib. 12, v. 43. Prends pitié de ton père (Daunus) accablé sous le poids des ans, qui gémit de ta longue absence. 2J2 IMITATIONS. (Page p i . Hector,- mon cher fils....prends pitié de moi, etc.) Turne, per bas ego te lacrymas, per si quis Amatae Tangit honos animum, spes tu nunc una senectae. AEncid. lib. 12, v. 56. Ô T u r n u s , je t'en conjure par mes larmes, par cette Amate qui t'est chère ; Turnus, l'unique espoir de mes vieux ans. (Ibid. Loin de nos mors, dans les vaisseaux des Grecs, ton corps sera la proie des chiens et des vautours.) Heu ! terra îgnotâ, caiiibus data praeda latinîs Alitibusque, jaces ! AEneid. Mb. 9, v. 485. Ton cadavre sanglant ( ô mon cher Euryale! ) repose maintenant sur une terre inconnue, destiné à devenir la proie des chiens et des vautours. N e , morendo f impetrar potrà co' preghi, Che in pasto a' cani le sue membra ï neglii. Ger. lib. c. 7, st. 54. ( Celui qui osera me disputer la victoire, dit Argant, ) ne pourra, en mourant, obtenir par ses prières que je refuse §es membres à mes chiens pour les dévorer, (Page p2. T e l , à l'entrée de son antre, un énorme dragon, repu de plantes vénéneuses, etc,) Qualis ubi in lucem coluber, mala gramina pas tus, Frigida sub terra tumidum quem bruina tegebat, Nunc positis novos exuviis, nitidusque juventâ9 Lubriea convolvit sublato pectore terga Arduus ad solem, et linguis mieat ore trisulcis, AEneid. lib. a , y. 4 7 ' • Tel un serpent repu de plantes vénéneuses, qui, gonflé par l'humidité de la saison pluvieuse, s'étoit tenu renfermé sous la tene pendant les glaces et les frimas, ranimé au printemps , ayant quitté son antique dépouille , rajeuni f C H  H T - XXII» 273 couvert d'écaillés luisantes, se dresse : promenant sur la terre les replis tortueux de sa qpeue immense , il darde avec fureur le triple aiguillon de sa langue fourchue. Quai serpe lier che, ïn nuoYe spoglie awolto, D' orofiammeggi,e incontra il sol si lisce. Ger, Mb. c. 7, st. 71. • Semblable à un fier serpent, revêtu d*une peau nouvelle oà l'or brille dans tout son éclat, qui se lisse et se pare à la face du soleil. Quai tre lingue vibrar sembra il serpente, Che la prestezza d' upa il persuada. Ger. Mb. c. 2,0, st. 55. Ainsi l'ardeur du serpent est si grande, ses coups sont si rapides, qu'il sembla darder une triple langue. • % Sta su la porta il re d1 Algîer, lucente Pi chiaro acciar, che 1 capo gli arma, e 1 Busto Come uscito dl ténèbre serpente, Poï c ha lascïato ognï squallor ¥etusto, Del nuovo scoglio altero, e che si sente Riogïovenlto, e più che mai robuste ; Tre lingue vibra, ed ha negli occhi fbco, Dovunque passa ognf animai dà iocp. Orl. fur. c. 17, st, 11 • Le roî d'Alger, couvert d'une éclatante armure d'un brillant acier, se tient suc le seuil de la porte. Tel un serpent, sorti nouvellement des ténèbres où il s'étoit tenu renfermé, ayant quitté sa dépouille souillée, revêtu d'une peau nouvelle , se sentant rajeuni et ses forces accrues, les yeux enflammés, darde sa triple langue sur tous les animaux qui rapprochent» (Ibid. Je crains les justes reproches de Poljdamas, etc.) Fugge Agramante, ed ha con lui Sobrino, Çon ctii si duol di non gli aver creduto, Quando previde con occhio divino, 4. 35 274 IMITATIONS. E fl mal glî annunziô, ch1 or glï è avvenuto. Orl. fur. c. 4 0 , st. 9. Agramant fuit ; Sobrin est à ses cotés , Sobrin avec lequel il s'entretient amèrement de son imprudence de n'avoir pas suivi ses conseils, lorsqu'il prévit d'un œil divin et lui annonça les malheurs qui sont arrivés. (Page 5*4. S'élançant dans la route frayée par les chars, etc.) Ergè amens cliversa fugâ petit aequora Turnus f Et nunc hue, inde hue incertos implicat orbes. Undicjue enim clensâ Teucri inclusere coronâ ; Atque hinc vasta palus, hinc ardua mœnla cingunt. AEneid. lib. 12, v. 742. Turnus égaré, décrivant des cercles immenses, parcourt tout le champ de bataille : d'un côté l'épaisse couronne de l'année des Troyens, de l'autre un large et profond marais et les hautes murailles de la ville, mettent obstacle à sa fuite. (Page 95. Ce n'est point à de vils trophées qu'ils aspirent, etc.) Neque enïm levia aut ludicra petuntur Praemla ; sed Turni de vita et sanguine certant. AEneid. lib. 12, v. 764Ce ne sont pas aux honneurs qu'on accorde aux athlètes, aux vaines récompenses du cirque, qu'ils aspirent: le sang de Turnus est le prix qu'Énée convoite; c'est sa vie que Turnus défend. (Page ç6. Il dit, et accroît l'impatience de la déesse, etc.) llla YÎam celerans per mille coloribus arcum f Nulli visa, cit6 decurrlt tramite virgo. AEneid. lib, 5 , v. C09. Poussée par les souffles impétueux des vents, décrivant u » aie de mille couleurs | la légère Iris se précipite sur la rive. CHANT XXII. . 2j5, (Page çj. Telles fuient devant nous ces images trompeuses que les songes offrent à notre pensée, etc.) Ac velut in somnis, oculos ubi languïda pressît Nocte cjules » nequicquam avidos exteedere cursus Velle vïdemur, et in mediis conatibus aegri Succidiinus; non lingua valet» non corpore notae SufEdunt Ylres, nec vox nec verba sequuntur. AEneid. lib, î a , v. 908* Ainsi, dans nos songes , quand nos sens sont engourdis par le sommeil, la volonté s'élance pour entreprendre une course rapide: nos efforts sont vains; nos membres fatigués ne répondent point à nos désirs ; nous succombons soua le poids du sommeil ; notre langue appesantie n'a pas la force d'articuler; nos nerfs ont perdu ce ressort que Famé sait diriger ; la parole expire sur nos le?res» Corne vede talor torbidi sogni Nef bre?i sonni sucri V egro o F insanoj Pargli cbf al corso avidamente agogni Stender le membra, e che s1 afFanni invano ; Chè nef maggiori sfbrzi, a1 suoi bîsogni Non corrisponde il piè stanco e la manoj • Scioglîer talor la lingua, e parlar ¥uole, Ma non segue la Yoce , o le parole. Ger. lib. 20, st. io5. Tel un malade , ou un homme en délire, pendant les courts intervalles de sommeil que lui laissent ses douleurs, essaie de courir; il étend ses pieds et ses mains et s'agite en Yain: ses efforts ne répondent point à son ardeur, ses fibres sont relâchées; il veut parler, sa langue appesantie ne peut articuler; ni la voix, ni Fexpressïon, ne correspondent à sa pensée. (Ibid. Jaloux de porter les premiers coups, le divin iils de Pelée les contient par ses regards, etc.) %j6 IMITATIONS, AEneas mortem contra praesensque minatuf Exitium , si quisquam adeat. AEneïd. lib. 12, v. 760; Enée menace de mort quiconque osera sortir des rangs. (Page 100. Combattons ; que l'un de nous deux périsse.) Aut spolils ego jam raptîs laudabor opimîs, Aut letho insigni: sorti pater aequus utrique est: Toile minas. AEneïd. 11b. 10, v. 449* Ma gloire est assurée ( s'écrie Pallas ) : vainqueur, j'obtiendrai des dépouille? opimes ; vaincu , un beau trépas sera ma récompense: mets fin*à tes menaces,» (Ibid,. C'est en ce moment que tu dois te montrer un héros, etc.) Quae nunc deinde mora est? autquid jam, Turne-,-retractas? Non cursu, saevis certanduin est cominùs armis. Verte omnes tête in faciès; et contrahe quicquid Sive anitnis, sive arte vales: opta ardua permis Astra sequi r clausu-mque cavâ te condere terra. AEneid. lib. 12, T. 889. Tu essaies en vain d'échapper par la fuite; sommes-nous clans «a cirque ouïes athktes se disputent le prix de la course? ici il faut combattre corps à corps. Prends toutes les formes, rassemble toutes tes forces, développe toutes tes ruses; aspire à la légèreté des aigles pour percer la voûte éthérée ; que la terre s'entrouvre sous tes pas pour te cacher dans ses abymes. ( Page 101. Invisible au fils de Priam , Minerve arrache le javelot, etc.) Rursùs in aurigae faciem inutata Metisci Procurât, fratrique ensem dea daunia reddiL. AEneid. lib. 12, v. 784. La file de Daunus, la nymphe JuturaC| saisit cet instant pour voler'au $€*• CHANT XXrir ±JJ cours de son frère; sous la forme de Mélîscus, Fécuyer de Tùrnus, qu'eMe se hâte de reprendre, elle remet le glaive aux mains de Turnus.- (Page 102. Appellant Délph obus...... Mais le faux Déiphobus a disparu, etc.) Rutulos aspectat et urbem, Cunctaturqtie metu, telumque Instare tremiscit; Nec quô se copiât, nec quâ vi tendat in hostem f Nec currus usquam videt, aurlgamque sororem. AEneld.Mb. 12, Y. 915. Portant ses regards sur la ville et sur l'armée des Rutules, il essaie de rappel1er ses forces; l'effroi ralentit ses mouvements : il veut lancer le javelot, sa mai» Iremble ; il fait effort pour fondre sur l'ennemi, ses genoux fléchissent ; il veut fuir, et ne voit ni son char, mi cette sœur qui daignoit le diriger. (Ibid. Tel un aigle fond, du sein d'une nue obscure, sur un foible agneau ou sur un Hevre timide, etc.) Qualis ubi aut leporem » aut candenti corpore cycnum f Sustulit alla petens pedlbos Jovis armiger unelsj Quaesltuin aut ma tri multis balatibus agnum Martlus à stabulls rapuit lupus. Undique clamor Tollitur. ÂEnieid. Kb. 9 , v. 563. Ainsi lorsque l'oiseau de Jupiter, l'aigle aux serres crochues, fond sur un' lèvre timide, ou sur un cygne aux plumes argentées, s'en saisit, les éleYe à la Toute élliérée ; ou lorsqu'un loup ayant pénétré dans une étable, ravit à sa mère le tendre agneau qui suce ses mamelles ; les bêlements réitéiés de cette mère affligée sont impuissants contre sa fureur : tels les cris des deux armées percent la nue. (Page 104. Je levé vers toi mes mains défaillantes, etc.) 2/8 I M I T A T I O N S . Unum hoc, per si qua est victîs venia hostibusi oro, Corpus humo patiare tegi: scio acerba meorum Circumstare odia; hune, oro, défende furorem^ Et me consortem nati concède sépulcre AEneid. lib. 10, v. 903. SU est quelque faveur qu'un ennemi puisse obtenir de la générosité de son vainqueur, je ne te demande qu'une seule grâce: dérobe ma dépouille mortelle à la haine des miens ; permets qu'un même sépulcre enferme les cendres de mon fils et les miennes. 111e, humilts sopplexque, oculos dexlramque precantem Protendens: Equidem merui, nec deprecor, inquit; Utere sorte tuâ; miser! te si qua parentis Tangere cura potest, oro (fuit et tibi talis Anchises genitor), Dauni miserere senectae; Et me, seu corpus spoliatum lumine mavis, Redde meis, AEneid» lib. 12, v. ^3Q. Turnus humilié levé vers Énée et ses yeux et ses mains suppliantes t J'ai mérité la mort, lui dit-il; profite des avantages que te donne la fortune: tranche le fil de mes jours. Cependant si la douleur d'un père peut t'émouvoir, prends pitié de la yieillesse de Daunus ; j'ose t'en conjurer. Tel fut Anchise ton père; renvoie-moi aux miens, repds du moins à mon père mon corps sans vie. (Page io5. Jamais ta tendre mère n'arrosera de pes larmes ton lit funèbre, etc.) Istic mine, metuende, jace: non te optïma mater Condet humi, patriove onerabit membra sepulcroî Alitibus linquêre feris, aut gurgite mersum Unda feret f pïseesque itnpasti vulnera lambenL AEneid. lib, 10, v. 55y. Formidable ennemi, demeure en ce lieu : ta tendre mère ne t'enfermera point dans la tombe ; le sépulcre de tes pères ne recueillera point ta dépouilla mortelle ; les vautours déchireront tes membres défigurés ; les torrents les entraîneront dans les abymes ; les poissons lécheront tes plaies. CHANT XXII. 279 (Ibid. Crains d'attirer sur toi le courroux des dieux..•• Meurs, s'écrie le divin Achille, etc.) Ille au te m explransi Non me, qukumque es, inulto, Victor 5 nec longum laetabere : te quoque (ata Prospectant paria, atque eadem mox arva tenebis. Ad quem subrïdens mîxtâ Mezentius ira: Nunc morere: ast de me divûm pater atque hominum rex Viderit. AEneid. lîb. 10, v. 739. Ta joîe, 6 Mézence ( lui dit Orodès d'une voix mourante ), sera de courte durée ; un semblable destin t'est réservé : tu me suivras de près dans les sombres demeures. Meurs, s'écrie Mézence avec un sourire insultant ; le père de* dieux et le roi des hommes disposera de moi à sa volonté. (Page 106. Il n'est aucun d'eux qui ne lui fasse, quelque blessure, etc.) Vulneraque illa gérées quae circum plurima muros Accepit patrios. AEneid. lîb. 2, v, 278. 11 porte sur son corps les cicatrices sanglantes de ces nombreuses blessures qu'il reçut sous les murs de sa patrie. (Ibid. Nous abordons maintenant aYec moins de danger cet Hector qui porta la flamme dans nos Yaisseaux f etc.) Hei mihî! qualls erat, quantum mutatus ab illo Hectore, qui redit exuvïas indutus Achlllis, Vcl Danaûm phrygios jaculatus puppîbus ignés! AEneid. Mb. 2, T. 272; O dieux ! quel il étoit ! combien différent de cet Hector que nous vîntes autrefois revenir triomphant, revêtu des armes d'Achille, ayant lancé tel feux phrygiens dans les vaisseaux des Grecs. ^8o • IMITATIONS. ( Ibid. Couverts de nos armes , donnons dès ce moment l'assaut à la ville de Prîam, etc.) Nunc Iter ad regem nobis murosque latinos. Arma parate animis, et spe praesumite bellum. AEneid, lib. 11, v. 17. La route nous est frayée jusqu'à la ville et au palais du roi des Latins : préparez vos armes; qu'un juste espoir soutienne votre courage. (Page 107. Enfants de la Grèce , chantez ma victoire, etc.) Conclamant socii, laetum paeana secutL AEneid. lib. 10, v. 738. Les compagnons du roi des Tyrrhéniens poussent des cris de joie 1 ils chantent leur victoire. ( Ibid. 11 lui fait une large et profonde plaie, etc.) Raptatus bigis., ut quondam, aterqite crtiento Pulvere, perque pedes trajectus lora tumentes. AEneid. lib. 2 , v. 272. Tel je le vis autrefois traîné autour de nos muraîlles par les coursiers d'A* chille, une poussière sanglante souille sa face auguste. •• (Page 108. Comme si un vaste incendie... ré^ dulsolt en cendres cette grande ville, etc.) Non aliter quàm si Inimlssis ruât hostlbus omnts Cartilage^ aut antiqua Tyros, flammaeque furentps Culmina perque Eoininum volvantur, perque deorum. AEneid. lib. 4? v - 669. La douleur ne seroît pas plus extrême , si l'ennemi avpit pénétré dans C^rtbage ou dans Fantique Tyr, que Tune de ces cités puissantes fût anéantie, que, Ja flamme s'élevât au-dessus des comble§ de$ niaison§ et des temples des jJieujçf CHANT XXII.' 2>Bl Confusamente si bisbîglîa ïntanto Del caso reo nella rinchiusa terra. Poi s1 accerta e divulga : e in ogoi canto Délia clttà smarrita 11 romor erra MIsto di gridi e di femmineo pianto : . Non altramente che se, presa In guerra, Tutta ruini; e 1 foco » e i nemici empj Volino per le case e per li templ. Ger, Mb. c. 12, st. 100. Cependant le brait du malheur de Clorînde se répand dans la ville dont les portes sont fermées, il devient plus certain ; il se divulgue de tous côtés dans cette ville désolée: on n'entend que cris, que pleurs de femmes désespérées» Le deuil ne seroit pas plus grand, si les ennemis s'étoient emparés de cette grande cité, qu'ils l'eussent incendiés ; si le fer et la flamme répandoient la consternation et l'effroi dans toutes les maisons, dans tous les temples. (Ibid. 11 veut sortir pour implorer la pitié d'Achille ; il se roule dans la poussière» etc.) Ma tutti gli occlil Arsete In se rlvolve Miserabil clï gemîto edf aspetto. Ei, corne glï altri, in lagrime non solve Il duol, che troppo è cP indurato aftelto; Ma i bianchi crini suoi d1 immonda polveSi sparge e brutta, e fiede il volto e 1 petto.Ger. Mb. c. 8 , st. 74. Maïs le vieux Arsetès attire sur lui tous les regards : il ne verse point de larmes comme tous les autres ; son deuil est trop grand, sa douleur trop piofonde ; une poussière immonde souille ses cheveux blancs, il meurtrit et ses joues et sa poitrine» (Page 110. Lfaffreuse nouvelle n'est point encore parvenue aux oreilles de la veuve d'Hector, etc.) 4. * 35 282 IMITATIONS, Intereà pavidam volitans pennata per urbem Nuncia fama ruit, matrisque adlabltur aures Euryali : ac subltus miseras calor ossa relîquit 9 Excussi manibus radil, révolu taque pensa. Evolat Infelix, et fœmlneo ululatu,» Scissa comam, muros amens atque agmina cursu Prima petit: non illa vlrûm, non illa peridi, Telorumque memor; cœlum deliuic questibus implet : Hune ego te, Euryale f aspicio?..*. AEneid. Mb. 9, v. 473. L'affreuse nouvelle ne tarde pas à se répandre dans la ville effrayée; la renommée l'y porte d'un vol rapide ; elle parvient aux oreilles de la mère d f Euryale. Froide, inanimée, succombant à sa douleur, les fuseaux échappent de ses mains; le métier sur lequel elle travaille est renversé : désolée, poussant des hurlements affreux, déchirant ses cheveux, elle vole sur la muraille ; ni la foule des guerriers , ni le fracas des armes, ni le pérO f ne l'effraient ; ses cris s'élèvent jusqu'aux nues: Est-ce toi, ô mon cher Euryale? (Page 111. Plongeant sur la plaine, elle voit Hector que les coursiers d'Achille entraînent aux vaisseaux, etc.) Tosto ch1 entraro, e cli1 ella loro II viso Vide dl gaudio in tal vittorîa privo ; Senz'-altro annunzlo $af senz' altro avvlso, Che Brandlmarte suo non è pin vivo, DI cio le resta II cor cosl conquiso f E cosi gll occhi hanno la luce a schlvo, E cosi ogn' altro senso se le ferra f Che, corne morta, andar si lascla In terra. Al tornar de lo spirto, elle a le chlome Caccla le ma ni ; ed a le belle go te, Indarno ripetendo il caro nome f CHANT XXII* 283 Fa danno, ed onta, piii che far lor puote ; Straccla I capelli , e sparge ; e grlda , come Donna talor, che 1 démon rio percuote ; O come sf ode, che già a suon di corno Menade corse, ed aggîrossl intorno. Orl. fur. c. 43 1 st. 157 et i58. A peine sont-ils entrés ( Astolfe et les siens ), que, sans autre nouvelle, sans qu'il soit besoin de lui annoncer son malheur, ( FleurdeBs) Juge à leur tristesse dans une telle victoire, que son Brandimart a perdu la vie. Une douleur profonde s'empare de son cœur, la lumière se dérobe à ses yeux, elle perd le sentiment : inanimée et comme morte, elle tombe à la renverse» A peine at-elle repris ses esprits, que répétant en vain le nom de son amant, elle arrache ses cheveux et meurtrit ses beEes joues ; les tresses nombreuses de sa longue chevelure, détachées par ms maies, couvrent la terre; ses cris sont aussi perçants que ceux d'une femme possédée du démon, ou que les cris des Ménades lorsqu'elles s'empressent autour du cor dont le son a frappé leurs oreiEes* Du héros expirant la jeune et tendre amante» Par la terreur conduitef incertaine, tremblante, Vient d'un pied chancelant sur ces funestes bords: Elle cherche; elle voit dans la foule des morts, Elle voit son époux: elle tombe éperdue; Le voile de la mort se répand sur sa vue : Est-ce toi, cher amant? Ces mots interrompusf* Ces cris demi-formés ne sont point entendus : Elle rouvre les yeux ; sa bouche presse encore f Par ses derniers soupirs, la bouche qu'elle adore % Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglantf Le regarde, soupire,, et meurt en Fembrassant. Henriade, eh. 8. 284 IMITATIONS. CHANT XXIII. 117. Montés sur leurs chars J ils font trois fois le tour de la tente du fils de Pelée, où repose le corps de Patrocle, etc.) (PAGE Ter circum accensos, cinctî fulgentibus arraîs f Decurrêre rogos : ter mœstum funerîs ignem Lustravere in equls, ululatusque ore declere. Spargitur et tellus lacrymis, sparguntur et arma : le cœlo clamorque virûm, clangorque tubarum. AEneid. Mb. 11, v. 188'. Trois fois Tinfariterie couverte d'armes étincelantes, trois fois la cavalerie fait le tour des bûchers enflammés: leurs cris percent la nue; la terre, imbibée de leurs larmes, est couverte d'armes éparses *f les sons lugubres'de la trompettes'unissent aux cris perçants des guerriers- (Paçe 120. En ce moment l'ombre de Finforluné Patrocle s'offre à sa vue, etc.) In soranis ecce ante oculos mœstissimus Hector "Visus adesse mihi , largosque efFund'ere fletus. AEneid. lib. 2 , v. 270.' En ce moment Hector, Famé percée d'une douleur profonde! m'apperçeît en songe ; des larmes ameres coulent de ses yeux. Ed ecco, in sogno, di stellata veste Cinta» gli appar la sospirata arnica: Bella assai piu ; ma lo splendor céleste L'orna, e non toglie la notizia antlca^, E | con dolce atto di pielà,. le meste C H A N T XX 111/ ^85 Luc! par che gll asciughi, e cosï dica : Mira corne son bella e corne Meta f Fedel mio caro, e In me tuo duolo acquefa. Ger. lib. c. 12, st. 91 .Cette tendre amie, pour laquelle il soupire, lui apparoît en songe ; une tunique -étoilée la couvre; sa beauté s'est accrue, mais non au point de l'empêcher de la reconnoître. 11 lui semble qu'émue d'une tendre pitié, elle sèche se» pleurs, et lui parle ainsi : O mon fidèle ami, vois comme je suis belle, comme je suis joyeuse ; que ma félicité serve à calmer les transports de ta douleur. GofFredo, non m' accogll? e non ragione Alfidoamlco? or non conosci Ugone? Ger. lib. c. 14 > st. 5.' Godefroî, tu ne me reconnois pas ? est-il concevable que tu ne reconnoisses pas ton fidèle compagnon? tu ne reconnois pas Ugon? {Ibid. Hâte-toi d'enfermer mon corps dans la tombe, pour me donner accès dans le palais de Plu ton, etc.) Nec ripas datur horrendas, nec rauca fïuenta Transportare prias, quàm sedlbus ossa quîeront. AEneid. lib. 6, v. 327. Le Destin ne permet pas que les morts dont les os ne reposent pas dans le» demeures qui leur sont destinées, traversent les courants sonores de ces rapi*des torrents. Erïpe me hîs, invicte, mails: aut tu mihi terrain Injice, namque pôles, porEusque requlre vellnos: Aut tu f si qua via est, si quam dbl diva creatix Os tendit. • * • • • • « • • • » Da dextram misero, et tecum me toile per undas,' Sedibus ut saltem placidls In morte quiescam* AEneid. lib. 61 •. 365. Invincible Énée, déliYxe*mo£ des tourments que j'endure; rechetche le port 0*86 IMITATIONS. de Véline ; enferme mon corps dans la tombe ; car tu en as le pouvoir : ou si la déesse ta mère t'a fait connaître quelque autre moyen de soulager mes ennuis..* prête-moi une main secourable; donne-moi accès avec toi dans la fatale barque, pour qu'au moins je repose sur l'autre rive dans une mort calme. (Page 121. Qu'une même urne renferme et nos cendres et nos os, etc.) Et nie consortem nati concède sepulcro. AT.neid. lib. i o , v. 906. Permets qu'un même sépulcre enferme les cendres de mon fils et les miennes. (Page 122. Il dit, et s'efforce de le serrer dans ses bras, etc.) Ter conatus ibl collo dare brachla circùm ; Ter frustra comprensa manus effugit imago. AEneid, lib. 1, v. 792. 6, 700» Trois fois je fais effort pour la serrer dans mes bras, trois fois l'image trompeuse échappe à mes embrassements. G1I stendea pol cou dolce amico afFetto Tre Hâte le braccla al collo întorno; E tre fiâte ïnvan cinta Y immago Fuggia, quai levé sogno f od aer vago. Ger. lib, c. 14» st. 6. Trois fois(Godefroi) étend les bras pour lui prodiguer de tendres caresses ; trois fois l'ombre écliappe à ses embrassements, semblable à un songe ou à un air léger. (Page 123. Ils partent, armés de cognées.tranchantes, etc.) Itur in antkjuam sylvam f stabula alta ferarum ; Procumbunt piceae; sonat icta securibus ilex, Fraxineae(|iie trabes : concis etfissilerobur CHANT X X I I t 28^ Sdnditur: advolvunt iogentes raontibus ornos. AEneid. Mb. 6, v. 179. Pénétrant dans la forêt antique f la retraite des bêtes fauves, i s abattent les pins, les bois résineux : l'yeuse et le frêne retentissent des coups de cognée ; les coins, enfoncés par de lourds marteaux, triomphent de la dureté du chêne; les ormes sont roulés du sommet des montagnes. (Page 124. Montés sur leurs chars, les héros et leurs écuyers précèdent la pompe funèbre, etc.) Tum mœsta phalanx Teucrlque sequunturf Tyrrheolque duces f et versis Arcades armis. AEneid. lib. 11 , y. 92. La phalange troyenne versant des larmes ameres, les chefs tyrrhéniens, les Arcadiens en deuil, portant leurs armes renversées, ferment la pompe funèbre. (Page 125. Le soleil eût achevé sa carrière .avant que leurs larmes eussent tari, etc.) Neque avelli possunt, eox humida donec Invertit cœluin stellis fulgentibus aptiim. AEneid. lib. 11 , Y. 201. Ils n en peuvent être séparés, que la nuit ne couvre le ciel de son voile sombre , que les étoiles ne brillent sur la voûte éthérée* f (Page 126. Les ministres des funérailles enlèvent le corps de Patrocle, etc.) Fit gemitus: tum membra toro dëieta reponunt, Purpureasque super Yestes, velamïna nota y Confident. Pars Ingenti sublere feretro, Trîste inînisterïum ; et subjectam more parentum Aversi tenuere facem : congesta cremantur Tàurea doua, dapes, fuso cratères olivo. AEneid. lib. 6, y. 320* ^8S IMITATIONS; De profonds gémissements se font entendre: Payant ainsi pleuré, Sis le placent ( Misenus) sur le lit funèbre , entassent sur son corps de pompeux vêtements , ces voiles qui lui furent connus. Des hommes , chargés de ce triste ministère, portant dans leurs mains des torches enflammées , détournant la vue, selon l'antique usage de nos pères, soulèvent le brancard, le posent sur le bûcher. L'encens, de précieux aromates, l'huile enfermée en de vastes cratères f sont versés sur le bûcher, et consumés par le feu. {Ibid. S'inclinant avec respect, Il verse l'huile et le miel, etc.) Inferimus teplclo spumantia cymbia lacté, Sangiûnis et sacri paieras; amniamque sepulcro Condimus, et magna supremùm voce ciemus. AEneid. lib. 3 , v. 66. Un lait écuniant et le vin contenu en de vastes cratères est versé par nos mains sur la tombe ; appellant Polydore à grands cris , nous enfermons ses mânes dans le sépulcre. Solçumes lum forte dapes, et trislîa dona Ante urbejn , in luco, falsi Simoëntis ad undam, Libabat cineri Andromache, manesque vocabat Hectoreum ad tumulum, viridi queni cespite inanem f Etgemioasj causam lacrymis, sacraverat aras. AEneid. lib. 3 , / 3o . Dans un bois voisin de la ville, près de Fonde d'un faux Si mois , et d'un ecnotaplie de verd gazon que ses mains ont élevé , au pied de deux autels qu'elle arrose de ses larmes, Androinaque fait des libations solcmncllcs aux niâhes d'Hector qu'elle appelle à grands cris. Hîc duo rite mero libans carcliesia baccho Fundit humi, duo lacté novo, duo sanguine sacro ; Purpureosque jaclt flores, AEneid. lib, 5 , v. 77. Deux cratères remplis de vin, deux de lait frais, deux de sang , dont les premières libations ont été épanchées sur la terre, suivant le rit acecutumé , sont posés par ses mains sur le sépulcre d'Ancliisej des fleurs pourprées sont rè[ an» dues sur la tombe, etc. CHANT XXIII. 289 Vïnaque fundebat pateris, anlmamque vocabat Anchisae magni f manesque Acheronte remlssos» AEneid. Mb. 5, v. 98. Le vin contenu dans Furne sacrée est versé sur la terre ; il appelle à grands crîs les mânes df AncMse ; il l'invite à repasser les courants de l'Achéron. (Ibîd. Il s'élance sur les douze valeureux enfants des plus Illustres d'entre les Troyens, etc.) Vmxerat et post terga manus, quos mitteret umbris Inferlas, caeso sparsuros sanguine flammam. AEneid. Mb, 11, v. 81 ; Les huit captifs, dont le sang doit être versé sur le "bâcher de PaUas, les mains liées derrière le dos, suivent la pompe funèbre. (Page 127. Reçois mes adieux, ô mon cher Patrocle, etc.) Salve, sancte parens ; iterùm salvete f recepti Nequicquam clneres, animaeque umbraeque paternae. AEneid. Mb. 5, v. 80. ômon père! reçois mon hommage; cendres d'Anckise, mines de monperej ombre d'Anchise , recevez mon hommage. Salve aelernùpi rolM, maxime Palla, AEteraàmque vale. AEneid, lib. 11, v. 99. Adieu | ô mon cher PaUas; reçois mes étemels adieux. Giunto alla tomba, ove al suo splrto vivo Dolorosa prigione il ciel prescrisse 1 PalMdo, freddo, muto f e quasi privo Di movimento , al marmo gli occhi affisse. AMîn, sgorgando un lagrimoso rlvo, In un languldo oimè prorappe f e disse : O sasso amato ed onorato tanto, Che dentro bai le mie flamme, e fuori il pianto. Ger. Mb. c. 12, st. 96, 4. 37 2pO IMITATIONS. Parvenu à celte tombe, affreuse prison où l'ordre du ciel a renfermé Famé immortelle de son amante, pâle, froid, muet, et comme privé de mouvement, il (Tancrede) fixe ses yeux égarés sur ce marbre insensible ; à la fin un torrent de larmes se fait jour: Malheur à moi ! s'écrie-t-il; marbre cher à mon cœur, à qui je rendrai d'éternels honneurs, tu renfermes l'objet de maflamme*,je no cesserai de t'arroser de mes larmes. ( Page 131. Ils éteignent avec le vin les cendres fumantes, qui s'affaissent, n'étant plus soutenues par la flamme , etc.) Postquàm collapsi cineres, et flamma quievit, Relllquias vino, et bibulam lavere favillam : Ossaque lecta cado texit Chorloaeus aheno. AEneid. lib. 6, v« 226. Quand la flamme est éteinte , que les cendres sont affaissées, ils assemblent les os, et les arrosent de fréquentes libations de ïin : Cliorinée les enferme dans un Yâse d'airain. (Ibid. Apportés de ses vaisseaux, les prix sont exposés à la vue de tous, etc.) Mimera principie anle oculos, circoque locantur In mcdio, sacri tripodes, vlridesque coronœ, Et palmac, pretium victoribus; armaque, et ostro Perfusae vestes, argenti aurique talents. AEneid. lib. 5, •. 109. Les prix sont exposés au milieu de l'arène ; des trépieds sacrés, des couronnes , des palmes destinées aux vainqueur», des armes, des tuniques de pourpre, une immense quantité d'or et d'argent. (Page 186. Tous les fouets sont levés, tous abaissés au même Instant, etc.) Non tam précipites bijogo certamioe campum Corripuere 1 munlque efFusi carcere currus; C H A N T XXIII. 291 Nec sic Immlssls aurïgae undantïa lora Concussere jugis, pronique In verbera pendent AEneid, Mb. 5, v. 144* La molle arene fuit avec moins de rapidité de dessous les pas de deux courfiers agites, attelés à un même char, qui s'élancent dans la carrière, animés par leurs conducteurs inclinés sur leur dos, dont les mains agitent les rênes flottantes , qui tiennent le fouet suspendu sur les larges épaules de leurs coursiers. (Ibid. Tantôt ils s'élancent.*.sans ébranler leurs hardis.conducteurs dont Famé flotte entre l'espérance et la crainte, etc.) Nonne vides, cùm praecipitï certamlrie campum Corripuere, ruuntque efFusï carcere currus? Cum spes arrectae juvenum f exsultantiaque hanrit Corda pavor pulsans? 1111 Instant verberetortof Et proni dant lora; volât vi fervldus axis: ' Jamque humiles t jamque elati sublimé videntur Aëra per vacuum ferri, atque assurgere in auras. Nec mora, nec requies : at fulvae nimbus arenae Tollilur^ bulnesctint spumisflatuquesequentûm. Tantus amor laudum, tantae est Victoria curae! Georg. lib. 3 , v. io3. Porte tes regards sur les combats du cirque ; vois les chars s'élancer dans 1* carrière ; courbés sur les guides qu'ils manient avec adresse, de jeunes héros at* tendent le signal ; leurs cœurs flottent entre Fespérance et la crainte ; tous les fouets sont levés,, tous abaissés au même instant: Faissieu s'enflamme par la rapidité de leur course: tantôt ils rasent la terre ; et bientôt après s'élevant dans l'air, ils semblent voler. Les conducteurs accroissent Fardeur des coursiers; un nuage épais de poussière les environne; leurs bouches écument, leurs flancs sont couverts de sueur ; l'haleine des athlètes qui les suivent est imprégnée sur leurs dos : tant Fardeur de la gloire ks transporte ! tant le désir de la victoire les enflamme ! . Considunt transtris, ktentaque bracliia remis 292 I M I T A T I O N S ; Intenti exspectant slgnum: exsultantlaqûe haurîc Corda pavor pelsans, laudumque arrecta cupido." AEneid. lib. 5 , v. i$6. Les matelots prennent place sur leurs bancs ; courbés sur les rames, les bras» tendus, ils attendent le signal; un violent désir de gloire lese»flamœe; leurs» cœurs flottent entre l'espérance et la crainte. - (Page 137. Une Yive douleur s'empare de Famé du vaillant Diomede, etc.) Tum verè exarsit ju?eni dolor ossibus îngens, Nec lacryruis caruere genae.,.. AEneid. lib. 5 , v. 172; Une vive douleur enflamme l'impétueux Gyas^; les larmes baignent ses joues.-' (Page i38. Volez....disputez la victoire; non aux coursiers du fils de Tydée f etc.) Non j.am prima peto Mnestlieus Y neque vincere certo : Quamquain ô 1..... Sed superent, quibus hoc, Neptune,, dédis ti. Extremos pudeat redîisse : hoc vincite, cives f Et prohlbete nefaâ» AEneïd. lib. 5 , v. ip4Je n'espère pas la victoire. Si cependant!..* Mais que ceux-là vainquent,.à qui tu l'accordes, ô Neptune ; ayons honte d'arriver les derniers: épargnez-moi cet affront, je vous en conjure, ô mes concitoyens! (Page 140.I/un des coursiers du vainqueur est remarquable par la couleur de son poil, etc.) Quem thracitis albis Portât equus bicolor maculis, vestigia primi Alba pedis, frontetaque ostentans arduus albam* . Mneidr lib 5, ?. 5651 CHANT XXII i; 293 Un coursier de Thrace, bai bran, tacheté de blanc, s'enorgueillit du fardeau qu'il portt ; ses pieds sont blancs ; une étoile blanche briEe au milieu de son liront. (Page 143. Le fils d'Àtrée ne laisse plus entre lui et son rival que le court espace, etc.) Quo deinde sub ipso Ëcce volât, calcemcjue terit jam cake Dlores f Incumbens humera: spatia et si plura supersïntf Transeat elapsus prior, ambiguumve relinquat. AEneid. Mb. 5, t . 3824; Élymus court après lui ; Diorès est si près d'Elymus, qu'il semble le porter sur ses épaules; les traces de leurs pas se confondent: si la carrière eût été plus, longue, il l'eût devancé, il eût du moins laissé la victoire incertaine. (Page 148. O vieillard..-, conserve cette coupe en mémoire des funérailles de Patrocle, etc.) Laetum amplexus Acesten Muneribus cumulât magnls, ac talia fatur : Sume, pater; nam te ¥olok rex magnus OlympI Talibus auspklls exsortem ducere honorera, Ipsius Anchlsae' longaevi hoc munus habebîs, Cratera Impressum sîgnis f quem Thracius olim Anchisae genltori In magno munere CIsseus . Ferre sui dederat monlmentum* et pignus amorls. AEneid. Ub. 5 , v. 531. Embrassant le vieil Aeeste* dont le cœur' nage dans la joie, il le comble de riches présents: Ô mon père, lui dit-il, accepte ces dons qui te sont offerts par mes mains: le dieu qui règne sur FOlympe n*a pas permis que tu demeurasse» confondu dans la foule des vulgaires athlètes. C'est Anchise lui-même qui te lait présent de cette coupe que le Thracien Cisséuslui donna autrefois f coma* un gage et n i monumeat de sa tendre amiiiér 294 IMITATIONS. ( Page i5o. Que deux athlètes courageux se disputent la victoire dans le périlleux combat du ceste, etc.) Nunc, si cul virtus » animusque In pectore praesens, • Aclsit, et evinctis attollat bracliia palmis. AEneid. Iib. 5, v. 363, Maintenant, s'il est quelqu'un qui se confie assez clans la force de son bras 9 dans son intrépide Yâleur, pour hasarder le périlleux combat du ceste, qu'il paroisse. (Page 155. Ajax fils de Thélamonet l'industrieux Ulysse... se serrent de leurs bras nerveux, etc») ' Rodomonte pîen <T ira e cil dlspetto, Ruggler nel colio, e ne le spaMe sprende ; Or lo lira, or lo spînge, or sopra il petto Sollevato da terra lo sospende ; Quinci» e quindi lo ruota, e lo tien stretto, E per farlo cader molto contende. Ruggler stà in se raccolto, e mette in opra Seuno, e valor, per rimaner di sopra. Tanto le prese andô mutando E franco f E buon Ruggier, che Rodomonte cinse f Calcogli il petto su '1 sinistro fîanco, E con tutta sua foraa ivi lo strinse f La gamba destra a un tempo innanzi al manco Ginoccliiof e a T altro attra¥ersogli, e spinse; E da la terra in alto solIevoliof E con la testa in glu steso tornoUo; Del capo f e de le chiene Rodomonte t a terra impresse, e tal fu la perc ossa f CHANT X X I I I . a^5 Che de le plaghe sue, corne da fonte9 Lungi andô il sangue a far la terra rossa. Orland. fur. c. 46, st. i33, i34et i35. Ilodomont, plein de haine et d'orgueil, saisit Roger au cou et à l'épaule; il le tire à lui, le serre, le soulevé, comprime sa poitrine , le retourne de l'un et de l'autre côté , s'efforce de l'abattre. Roger se rassemble, emploie et la ruse et la force pour tenir ferme ; changeant de côté f il s'empara de Rodomonft, î | presse, imprime son pied sur le flanc gauche de son rival, fait effort pour l'étouffer : appuyant la jambe droite sur le genou gauche, il Fembrasse, le soulevé, le retourne, le renverse, le fait choir sur la tête. La ckûte est si violente , que l'échiné demeure imprimée sur l'arène ; le sang qui jaillit à gros bouillons de la plaie ouverte dans le front de fennemi terrassé, ruisselle surit tefre. (Page 54. Cessez...cette lutte dangereuse, etc.) Ttim pater AEneas, procedere longîùs iras, Et saevire animis Entelluin hattd passas acerbts: Sed ilnem imposait pugnae... AEneid. Mb. 5, v. 461. Enée ne souffre pas que Darès demeure plus long-temps en butte à la fureuf d'Entellus, il met fin au combat. (IMd. Achille propose les prix qu'il destine aux athlètes dans la course légère, etc.) Hic qui forte velint rapido contendere cursm Invitât pretiis animos, et praemia ponit. AEneid. lib. 5 , v. 291; Arrivez, dit-il, ô vous que l'espoir d'une honorable récompense invite à disputer le prix à la course légère, e£ le reste de ce morceau» (Page i56. Le sang et la poussière emplissent sa bouche et ses narines, etc.) Et simol his dictis, faciem ostentat, et udo" Turpia membra fîmo. JEneid. Mb. 5,r.;&7t 2p6 IMITATIONS. 11 dit, et montre et sa face et ses membres nerveux que défigureut le sang et la boue dont ils sont couverts. (Page 160. L'acîer poli sera la récompense des athlètes savants dans Fart de décocher la flèche légère f etc.) Protinùs AEneas céleri certare sagittâ Invitât qui forte velint, et praeniia ponit. AEneid.lib. 5,v. 485. 'Aussitôt Enée invite les athlètes à se disputer la victoire dans Fart de dé» ICDcher la flèche légère; il expose les prix: et le reste de ce morceau. CHANT XXIV. 166. C'est ainsi qu'elles punissent le mépris que le berger Paris fit de la beauté des deux déesses. ) (PAGE Manet altâ mente repostum Jttdicluip Parldis, spretaeque Injuria formée. AEneid. lib. i , v. 27. Ele garde un profond souvenir du Jugement de Paris, et du mépris de sa beauté. (Page 168. A la YUC de cette honteuse et inutile vengeance qu'il exerce sur une terre insensible, etc.) • O cT Immense dolor Yano confbrto f Incrudelir nelP Insenslbl terra ! Ger. lib. c. 9,st. 89, Vaine consolation d'un deuil immense; exercer une cruelle vengeance sur une terre insensible I (Page 174. Un deuil affreux règne dans la vaste enceinte de l'auguste demeure des rois, etc.) Jam verô In tectis prœdivitis urbe Latini Praecîpuus fragorf et long! pars maxlma luctûs, Hic maires, miseraeque nujrus f hic cara sororum Pectora mœrentûm, puçrique parentibus orbi f Dirum execrantur bellum, Turnlque hymenaeosfAEneid. lib. 11, v. ai3. La désolation et le deuil régnent sur-tout dans le palais et dans Fopulepte cité du roi Latinus ; des mères privées de leurs fils, des veuves désolées, des §œtns pleurant la mort de leurs frères, des enfant$ orphelins murmurent haute* 4. 38 298 IMITATIONS. ment contre cette guerre, source de leurs infortunes, et maudissent le fatal hymen de Turnus. (Page i83. il dit. Docile aux ordres de Jupiter, le messager des dieux, etc.) Ille patris magnî parère parabat ïmperio : et primùm pedibus talaria nectit Aurea ; quae subllmem ails, sive aequora suprà f Seu terram, rapido paiiter cum flamine portant. Tum virgam capit : Me animas ille evocat Orco Pallentes; alias sub tristia Tartara mittit. AEneid. Mb. ^f v. 238. Ces vers sont la traduction littérale de ceux d'Homère, (Page 192. Les heureux immortels ont fait les douleurs le partage de l'humanité, etc.) Mais parmi tant d'honneurs, vous êtes homme enfin ; Tandis que vous vivrez, le sort, qui toujours change 9 Ne vous a point promis un bonheur sans mélange. Racine, Iphïgénie, act. \,sc. 1» (Page 201. En ce moment, l'aurore étend son voile de pourpre sur la terre, etc.) Et jam fama volans, tanti praenuncia luctûs, Evandrum, Evandrique domos, et mœnia complet; Quae modo victorem Latio Pallanta ferebat. Arcades ad portas ruere.... AEneid. 11b, 11, v. i3p. Cetle même renommée qui portoît la joie dans la file d'ÉvancIre par le récit des victoires de Pallas, y répand la consternation et le deuil. Les Arcadieat accourent en foule aux portes de la cité. CHANT XXIV." 2p9 (Page 202. Pressant de ses mains la tête d'Hector, etc.) A questo la mestïssima Isabella Declinando la faccla lacrimosa, E congtungendo la sua bocca a quella Di Zerbin, languidetta corne rosaf Rosa non col ta In sua stagion, si chf ella Impallïdisca In su la sïepe ombrosaj Disse : Non vi pensa te già, mia vita, Far seoza me quest' ultima partita. Orl. fur. c. m4 9 st. 8o.Lu triste Isabelle, inclinant sur le visage de son amant $es joues baignées da larmes, appliquant ses lèvres mourantes sur les lèvres glacées de Zerbïn, languissante comme une rose, comme une rose qu'on a cueillie avant qu'elle fât a épannuie, qui pâlit sous la haie qui Fombrage, sécrie: O mon unique vie, as* lu pensé faire sans moi ce dernier voyage? ( Ibid. Ô mon époux..;tu meurs dans la fleur dé l'âge, etc.) Hune ego te, Euryale, asplcïo? tune illa senectae Sera meae requies? potuisti Mnquere solam, Crudelis? nec te sub tanta perkula mïssum Àfiari extremuin miseras data copia matri? AEneid. Mb. 9, v. 481. Est-ce toi, ô mon cher Euryale, toi, la consolation de mes vient ans? Cruel ! tu m'abandonnes? prêt à affronter de tels dangers, ta mère nfa pu te dire un dernier adieu? FIN BU TOME Q U A T l l E M E . TABLE. XIX. Achille appaise son courroux, et se prépare à secourir les Grecs. Page 7 C H A N T XX. Dispute entre les immortels, Jupiter protège les Grecs. 29C H A N T XXL Combat d'Achille près des rives du fleuve. 55 C H A N T XXII, Hector poursuivi par Achille fait trois fois le tour des murs de Troie, et tombe sous les coups du fils de Pelée. 85 C H A N T XXIIL Funérailles de Patrocle f terminées par les .combats du cirque. Prix distribués aux vainqueurs par Achille. 115 C H A N T XXIV. Priam paye à Achille une riche rançon et obtient le corps d'Hector. * i63^ IJHANT Notes littérales et historiques. 207 Notes géographiques» 244 Imitations d'Homère par les principaux poètes latins, italiens^ fraa* çois et anglois. 249 ERRATA. T O M E AGI P R E M I E R , 6 , ligne 22. Calcas, fils de Nestor, lisez fils de Thestor. 46 , ligne 4. Agamemnon remet en ses mains, lisez aux mains d'Ulysse. 64 , ligne 2i.-Sthelenus, lisez Stenelus. 78 , ligne 9. Lithus , lisez Léthus , ajoutez guident ces pcfuples an combat. 120 , ligne 20. Par ces paroles, lisez par ses paroles. 123, lignes 11 et 12. Qui marchent sous vos pas, lisez su* vos pas. 141 1 % n e 7, Odius f lisez Hodius. # Notes littérales et historiques. 228 , ligne 2. Cenée, lisez Kenée. 2 2 9 , ligne 9. D'assoupir les che?aux, lisez d'assoupir. Notes géographiques» a83 , ligne 2. Situé, lisez située, 3 o 6 , ligne 25. Philïus, lisez Philias. 3 3 2 , ligne 24. Qui porte à présent le nom de Calydon, lisez Calydonïe, 341 f ligne 2. CrapathoSj lisez Carpathos. 3 6 5 , ligne 22, L'Adraste, lisez l*Adrastée# Imitations. 388 , ligne 7. Ajoutez échauffe mon esprit, éclaire mes chants, 393 , ligne 18» Par le vin, lisez du vin. 408 , ligne i 5 . Des restes sacrés d'un festin, lisez sucrés. 442 , ligne 23. Énée se levé, lisez Turnus. ïbid* ligne 24- Tumus. 4 5 7 , ligne 18, Hélas ! je m'en souviens f lisez il m'en souvient, T O M E IL 90 , ligne 23. De ses biens immenses, lisez de Mens immenses, 2Ç0 , ligne 5. Déjà, lisez de là. Ibid. ligne 22, Pour épier leur conseil, Msea leurs conseil»,' TOME PAGi 111. 1 6 , lignes 2^ et 23. L'arrachant avec effort, lisez Farracfjltl 2 6 0 , ligne 22. Une bête de troupeau df Amispdarus, lisez du troupeau. Imitations* 320 , ligne 18. Qu'on rend , lisez qu'on rende. 3 2 2 , ligne 7. Nymphe, lisez O nymphe ! . T O M E * IV. 6 3 , ligne 1. Ses entrailles déchirées, lisez les entrailles. 104, ligne 5. Et il détache, lisez et détache. i 5 3 , ligne 24. La navette qu'une femme industrieuse, etc. Plus littéralement : Telle la navette, partant du sein d'une jeune beauté, parcoure la trame qu'elle tend avec ses mains pour la lustrer, et revient toucher le sein de l'industrieuse ouvrière qui Fa lancée. JV. B. Que les métiers n'étant pas connus , les femmes étoient obligées de tendre la trame d'une main , tandis que de l'autre elles faisoient voler la navette. Notes littérales. *121 , ligne 6, Madame Dacier lit â*»**}^, corrigez, mvûm^i^m Imrm £<A*#f Imitations. a.56 , ligne 12. Dilivit, lisez desilit. 281 , ligne 14. Qu'ils l'eussent incendiés, lisez incendiée. ? 8 8 , ligne 21. Lib. 3 , v. 3o, lisez v. 3o 1,