Ibid - Notes du mont Royal

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Ibid - Notes du mont Royal
Notes du mont Royal
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exposé gratuit sur la littérature.
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OEUVRES
COMPLETES
D'HOMERE.
T O M E IV.
OEUVRES
COMPLETES
D'HOMERE,
TRADUCTION
NOUVELLE,
D É D I É E AU R O I ;
Avec des notes littérales, historiques et géographiques ;
suivies des imitations des poètes anciens et modernes.
PAR
CONSEILLER
TOME
M.
AU
GIN,
GRAND-CONSEIL.
QUATRIEME.
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A PARIS,
DE L ' I M P R I M E R I E DE D I D O T
M, DCC. LXXXVIII.
L'AÎNÉ.
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L'ILIADE.
C H A N T XIX.
ARGUMENT.
T H é T i s apporte à Achille les armes forgées par Vulcain. Lefilsde
Pelée assemble les Grecs, et met un terme à son courroux. Il accepte
les dons d'Agamemnon : mais il ne peut être persuadé de prendre de
la nourriture, qu'il n'ait tiré vengeance de la mort de Patrocle. Il
sfarme, et guide l'armée au combat. Xanthus f F un de ses coursiers,
lui prédit la mort qui le menace, Achille n'en est pas effrayé.
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L'ILIADE.
C H A N T XIX.
Achille appaise son courroux, et se prépare à secourir
les Grecs.
au voile pourpré, s'élevant des profondeurs de l'océan, apportoit la lumière aux dieux
et aux hommes, quand Thétis arriva aux vaisseaux
des Grecs, chargée des superbes présents de Vulcain. La déesse voit Achille, ce fils si cher à son
cœur, étendu sur le corps de Patrocle, versant
des larmes ameres ; ses nombreux compagnons
pleurent autour de lui. Thétis s'approche, colle
ses lèvres sur les mains de son fils, et lui parle
ainsi:
Ta douleur est juste, ô mon fils : je la partage
avec toi. Patrocle est tombé sous les coups d'un
dieu; il a subi sa destinée. Songeons à le venger.
Reçois les belles armes que je t'apporte, ouvrage
de Vulcain; aucun mortel n'en vêtit de semblables.
Ainsi parle la déesse, et elle place les armes devant Achille : le bruit des métaux retentit au loin ;
.L'AURORE
8
L'ILIADE,
les Thessaliens tremblent ; leurs yeux éblouis
ne peuvent soutenir l'éclat de la brillante armure
du fils de Pelée; ils reculent effrayés. Le désir de
la vengeance augmente dans Pâme d'Achille; ses
yeux brillent comme des lampes ardentes, sous ses
noirs sourcils ; la joie a accès dans son ame, à la vue
de l'armure que Vulcain a forgée pour lui ; le fils
de Pelée la manie, la considère avec admiration,
Adressant la parole à sa mère :
Ma mère, lui dit-il, un dieu m'a donné ces armes ;
aucun homme n'en eût forgé de semblables, car
les ouvrages des hommes ne peuvent être comparés à ceux des immortels : je me hâte de vêtir cette
éclatante armure. Mais un autre soin m'agite et
m'inquiète ; je crains que, pendant mon absence,
les mouches ne s'introduisent dans lés blessures
de Patrocle , qu'elles n'engendrent des vers, que
le long temps qui s'est écoulé depuis que l'airain a
frappé mon fidèle compagnon, ne livre ses chairs
à une indigne flétrissure, qui souille sa dépouille
mortelle.
O mon fils , lui répond Thétis, que ce soin ne
porte pas le trouble dans ton ame : j'écarterai les
profanes essaims qui s'attachent aux restes des
héros tombés sous les coups de l'homicide Mars.
Patrocle dût-il demeurer dans ta tente pendant un
CHANT
XIX.
9
an entier , je rendrois sa chair incorruptible, tu la
retrouverois plus pure qu'elle n'étoit. Empressetoi , ô mon fils, d'assembler les enfants de la Grèce,
de leur annoncer que la haine que tu portois à Agamemnon , le pasteur des peuples , est appaisée ;
revêts les armes immortelles que je t'apporte; rappelle ta force première.
Ainsi parle la fille du vieuxNérée, et elle souffle
dans l'ame d'Achille un intrépide courage. Emplissant les narines de Patrocle d'un mélange de
nectar rouge et d'ambrosie, elle rend sa chair incorruptible. Achille, marchant à grands pas sur le
rivage de la mer, appelle à haute voix les héros de
la Grèce. A la vue du fils de Pelée, qui, absent des
combats depuis long-temps, se réveille de ce long
sommeil, les pilotes, ceux qui tiennent dans leurs
mains le gouvernail des navires,les intendants des
vivres, tous ceux à qui d'antiques usages donnent
le droit de siéger dans le conseil de la nation, accourent en foule. Deux serviteurs de Mars arrivent
en boitant, s'appuyant sur leurs javelots, le fils de
Tydée et le divin Ulysse ; car la blessure qu'ils ont
reçue n'est point encore guérie : assis au premier
rang, ils occupent une place distinguée dans le
conseil. Le roi des hommes, Agamemnon, arrive
le dernier; car il ressent des douleurs cruelles de
4,
2
io
L'ILIADE,
la blessure que lui fit la pointe aiguë du javelot de
Coon, fils d'An ténor. Quand tous les Grecs sont
réunis, le léger Achille se levé : adressant la parole
à Agamemnon :
Fils d'Atrée,lui dit-il, il eût été plus avantageux
pour toi et pour moi, que, le jour auquel j'enlevai
Briséis dans le sac de la ville de Lyrnesse, Artémise
eût percé de ses flèches cette belle captive , objet
des haines qui nous divisent depuis si long-temps,
qui coûtèrent la vie à tant de héros, lorsque je conservois un courroux utile à Hector et aux Troyens,
dont les enfants de la Grèce garderont un long
souvenir. Mais oublions le passé, quelque douloureux qu'il soit à nos cœurs; une impérieuse nécessité nous y contraint. Je mets un terme à ma
haine ; elle ne devoit pas être éternelle. Ordonne
aux Grecs de prendre les armes, de se préparer au
combat; éprouvons si, me voyant marcher contre eux, les Troyens demeureront nuit et jour sous
la pouppe de nos navires. Nous verrons bientôt
leurs genoux fléchir; heureux celui qui échappera
par la fuite aux coups de mon javelot !
Il dit ; l'ame des Grecs est réjouie, apprenant
que l'invincible fils de Pelée a mis un terme à son
courroux. Le roi des hommes, Agamemnon, leur
adresse la parole, sans quitter le trône sur lequel il
CHANT
XIX.
11
est assis ; car la blessure qu'il a reçue ne lui permet
pas de se tenir debout, au milieu de l'assemblée.
Héros de la Grèce, serviteurs de Mars, si chers à
mon cœur, dit-il, faites cesser ce tumulte; l'homme
le plus éloquent auroit peine à se faire entendre
parmi les éclats de cette joie bruyante. Prêtez-moi
une oreille attentive. C'est au fils de Pelée que
j'adresse la parole : mais je vous prends tous à témoins, enfants de la Grèce; car chacun de vous
connoît la vérité de ce que je vais dire. Plusieurs
fois vous me fîtes de durs reproches ; plusieurs fois
vous vous élevâtes contre moi, m'accusant d'être le
premier auteur de vos maux. Je n'en fus pas la cause
première ; mais Jupiter, mais le Destin, et la plus
terrible des Furies, l'Injure, qui eut accès dans
mon ame, le jour de cette fatale assemblée, source
de nos cruelles divisions , après laquelle je ravis la
captive que les Grecs avoient donnée à Achille,
juste récompense de ses travaux. Pouvois-je résister à la fille aînée de Jupiter, à la détestable Injure,
qui blesse tous les hommes ? Ses pieds ne touchent
pas à terre , elle marche sur les têtes des mortels ,
frappe de tous côtés, choisit au moins une victime
entre ceux qu'elle entraîne dans ses filets. Elle osa
attenter sur Jupiter même, le père des dieux et
jdes hommes. Son épouse, Junon, le fit tomber
12
L'ILIADE,'
dans le piège qu'elle lui avoit tendu, quand Aiemené mit au m o n d e , dans la puissante ville de
T h e b e s , le grand Hercule. Fier d'annoncer aux
immortels les hautes destinées de son iils, Jupiter
leur parle ainsi : a Dieux et déesses, écoutez ce
a que mon esprit me suggère de vous dire. Aujour« d'hui Ilithye , qui préside aux accouchements,
«c montrera à la terre un enfant de ma race, né
« de mon sang ; il régnera sur tous ses voisins. »
—ce N o n , tu n'accompliras pas une telle promesse,
ce lui répond Junon méditant ses ruses. Dieu de
ce l'Olympe, j u r e , par ce serment qui ne trompe
ce jamais, que le premier enfant de ta race, né de
ce ton sang, qui naîtra en ce jour, régnera sur tous
ce ses voisins ». Elle dit. Jupiter, ne prévoyant pas
le piège qui lui est tendu, prononce le redoutable
serment. Il en fut la première victime. S'élancant
du sommet de l'Olympe, Junon arrive dans Argos,
la ville des Achéens. Instruite que la généreuse
épouse de Sthénélus , iils de Persée , est enceinte
de sept mois, elle hâte ses couches, suspend celles
d'Alcmene, appaise ses douleurs, repousse les Ilithyes, et remonte sur l'Olympe, pour annoncer cet
événement au fils de Saturne : ce O toi qui lances
<c la foudre, lui dit-elle, accomplis ta promesse : u n
«enfant est né, Eurysthée, fils de Sthénélus qui
CHANT
XIX.
i3
« eut Persée pour père : il est de ton sang ; il ré«c gnera dans Argos ». Elle dit : le cœur de Jupiter
est brisé par la douleur. Saisissant l'implacable Furie par la vaste chevelure qui couvre sa tête altiere,
il prononce l'irrévocable serment, que jamais la
cruelle Injure, qui blesse et les hommes et les
dieux, ne rentrera dans le céleste palais, qu'elle
n'habitera plus sur l'Olympe. Il dit, et la précipite
sur la terre, où elle infecte de son souffle impur les
actions des hommes. Jupiter en gémit le premier,
voyant Hercule, ce fils cher à son cœur, soumis
à Eurysthée , qui l'épuisa par d'indignes travaux.
Ainsi, lorsque le grand Hector donnoit la mort à
tant de héros sous les pouppes de nos navires, je
rappellois dans mon esprit le triste souvenir de la
faute où m'entraîna l'implacable Furie que je recueillis dans mon sein. Elle fut grande; Jupiter
égara ma raison : mais je réparerai mes torts ; je rachèterai mon crime par une immense rançon.
Marche au combat, ô Achille : que ton exemple
enflamme le courage des Grecs ; je te donnerai
tout ce qu'Ulysse te promit hier par mes ordres. Si
tu doutes de l'exécution de mes promesses, suspends ton ardeur martiale ; attends que mes esclaves portent dans ta tente ces dons, que tu les
voies de tes yeux.
14
L'ILIADE,
Fils d'Atrée, roi des hommes, Agamemnon, lui
répond Achille, ces dons sont une juste satisfaction que tu me dois, et toutefois il est en ton
pouvoir de les retenir. Ne songeons en ce moment
qu'à combatre ; ménageons un temps précieux : le
grand ouvrage que j'entreprends n'est pas même
commencé. Le fils de Priam verra Achille, à la
tête des Grecs , disperser les phalanges troyennes
sous les coups de son javelot ; que chacun de vous
combatte avec la même ardeur l'ennemi qui lui
sera opposé.
Le prudent Ulysse, prenant la parole : Divin
Achille, lui dit-il, quelle que soit ton impatience ,
ne contrains pas les enfants de la Grèce de marcher
à l'ennemi en ce moment. Je prévois un combat
long et sanglant, lorsque les phalanges seront confondues, qu'un dieu soufflera dans tous les cœurs
la fureur du carnage. Ordonne aux enfants de la
Grèce de se retirer dans leurs tentes, de réparer ,
par les dons de Cérès et de Bacchus, leurs forces
abattues; la force de l'homme en est plus grande,
son courage plus intrépide. Quelle que soit la constance du héros, quelque ardeur qui l'enflamme, il
n'est pas au pouvoir des mortels de combattre à
jeun depuis le lever de l'aurore jusqu'au coucher
du soleil; la faim, la soif, Jes épuisent, appesanT
CHANT
XIX.
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tissent leurs membres, font fléchir leurs genoux:
la nourriture rétablit le ressort, le vin soutient
le courage ; échauffé par les dons de Bacchus, se
confiant en lui-même, le héros tient ferme, et
n'éprouve la fatigue d'une pénible journée que
lorsqu'il a rompu et mis en fuite les phalanges ennemies. Que les Grecs rentrent dans leurs tentes,
qu'ils préparent le repas du matin, tandis que le
roi des hommes, Agamemnon, fera apporter, à la
vue de tous, les présents qu'il te destine, qu'ils porteront la joie dans ton ame. Debout, à la face des
Grecs, Agamemnon attestera, avec serment, que
jamais il n'abusa de sa puissance pour contraindre
ta captive de consentir à ses désirs , que jamais la
fille de Brisés ne fut reçue dans son lit. Appaise ton
courroux, ô Achille. Fils d'Atréè, que ton orgueil
fléchisse ; invite Achille à un festin solemnel dans
ta tente ; qu'aucune trace des dissensions passées
ne subsiste entre vous. Sois plus juste une autre
fois, ô Agamemnon : la puissance royale fléchit
sans honte devant celui dont elle a provoqué le
courroux.
Fils de Laërte, répond le roi des hommes, Agamemnon, ta franchise me plaît; tes conseils sont
sages. Ce que tu as dit, je le confirmerai par la religion du serment ; je prendrai Jupiter à témoin,
\6
L'ILIADE,
et ne serai point parjure. Qu'Achille modère son
ardeur impatiente de combattre : attendez tous
dans ma tente l'arrivée des présents; soyez témoins
de la paix cimentée entre nous par le sang des victimes. Exécute mes ordres , 6 Ulysse ; ordonne à
l'élite de notre jeunesse d'aller promptement à
mon vaisseau,d'amener les femmes captives, d'apporter ici les dons que nous promîmes hier au iils
de Pelée : que Talthybius invite l'armée à un festin solemnel; qu'un porc engraissé soit immolé par
mes mains à Jupiter et au Soleil.
Illustre fils d'Atrée, roi des hommes, Agamemnon, répond le divin iils de Pelée, remets à d'autres temps, et tes dons, et ces sacrifices; attends
que je sois vengé, que ma douleur ait reçu quelque soulagement. Ceux qu'Hector immola à sa
fureur, privés de sépulture, sont maintenant étendus sur la poussière ; le iils de Priam s'enorgueillit
de notre défaite; Jupiter lui donna la victoire : et
vous me proposez de goûter les douceurs du festin !
Que ni la fatigue ni les besoins de la nature ne nous
arrêtent; marchons à jeun au combat : vainqueurs,
au soleil couchant, ayant lavé notre honte dans le
sang de l'ennemi, nous réparerons nos forces abatr
tues.Patrocle est mort percé de l'airain étincelantj
il est étendu à l'entrée de ma tente : mes compa-r
CHANT
XIX.
i7
gnons pleurent autour de son lit funèbre. Je ne
boirai ni ne mangerai qu'il ne soit vengé. Le meurtre, le sang, les longs gémissements, sont les objets
dont mon ame est occupée; aucun autre soin ne
peut m'en distraire.
O Achille fils de Pelée, le plus redoutable des
Grecs, répond Ulysse, tu l'emportes sur moi dans
les combats; ta force est supérieure à la mienne:
mais la prudence est mon partage;l'âge m'a donné
sur toi l'avantage d'une longue expérience; suis
mes conseils. Les hommes les plus intrépides sont
bientôt rassasiés de sang et de carnage. Quand Jupiter, l'arbitre des combats, incline la fatale balance, ils tombent comme les épis au temps de la
moisson; à peine quelques tiges éparses échappent
à la faux du moissonneur. Ce n'est point par des
jeûnes que l'affliction des enfants de la Grèce doit
se manifester : grand nombre de nos compagnons
tombent tous les jours sous les traits de l'ennemi.
S'il en étoit ainsi, qui pourroit obtenir quelque
soulagement à ses travaux? Pleurons Patrocle pendant un jour entier; rendons-lui les honneurs funèbres : mais ne nous laissons pas abattre par la
douleur. Que tous ceux qui ont survécu à cette
guerre affreuse, réparent maintenant par la nourriture leurs forces abattues, et combattent ensuite
4.
3
18
L'ILIADE,
sans relâche, couverts de l'airain étincelant; que
tous prennent les armes, sans attendre de nouveaux ordres; que la honte soit le partage du lâche
qui restera dans sa tente; que nos phalanges serrées accablent les Troyens : renouvelions un sanglant combat.
Il dit, et choisit d'illustres compagnons, les deux
iils de Nestor, Mégès fils de Phylée, Thoas, Mérion, Lycomede fils de Créon, et Mélanippe, et
marche avec eux vers la tente du iils d'Atrée ;
Ulysse ordonne, et est obéi. On apporte les présents que le roi des rois promit au iils de Pelée :
sept trépieds, vingt vases d'airain, douze coursiers,
sept captives d'une grande beauté, instruites dans
tous les arts de leur sexe : Briséis les suit, et l'emporte sur toutes en grâces, en majesté. Ulysse précède les députés; une balance est dans ses mains :
il pesé à la vue de tous les dix talents d'or. De
jeunes héros l'accompagnent, portant les présents/
ils les déposent au milieu de l'assemblée. Agamemnon se levé : Talthybius, dont la voix sonore
égale celle des immortels, amené au pasteur des
peuples un porc engraissé; le iils d'Atrée saisit un
glaive pur, qu'il porte suspendu à son baudrier
près de son épée, détache des poils de la tête de
la victime; élevant les mains et les yeux au ciel, il
CHANT
XIX.
19
invoque le dieu qui lance le tonnerre, et lui consacre ces prémices; les Grecs attentifs l'écoutent
en silence. O Jupiter, dit-il, le plus grand, le meilleur des immortels, et vous, Terre, Soleil, divinités infernales, Furies vengeresses des parjures,
je vous prends à témoins que jamais je ne portai
une main téméraire sur la fille de Brisés, pour la
contraindre de céder à mes désirs, que jamais je
ne lui lis injure, qu'elle fut honorée dans ma tente
comme l'épouse d'un héros. Que tous les maux
dont les dieux punissent les parjures, fondent sur
ma tête, si mes paroles ne sont conformes à la
vérité !
Il dit ; et enfonçant le couteau sacré dans le
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A
flanc de la victime, il la livreàTalthybius, qui la
jette dans les profonds abymes de la mer pour être
la pâture des poissons. Achille se levé : adressant
la parole aux Grecs :
O Jupiter, dit-il, de quels fléaux tu accables les
mortels ! jamais le fils d'Atrée n'eût excité ma vengeance , jamais il ne m'eût ravi ma captive, si tes
éternels décrets n'eussent résolu la mort d'un
grand nombre de Grecs. Goûtez maintenant les
douceurs du festin ; livrons-nous ensuite aux fureurs de Mars,
Il dit, et rompt l'assemblée : les Grecs se dispersent. Les Thessaliens transportent les magni-
2o
L'ILIADE,
iiques présents dans le vaisseau et la tente du fils
de Pelée : les belles captives sont conduites par
eux dans le logement qui leur est destiné; les esclaves renferment les coursiers dans les vastes écuries d'Achille. A la vue du corps de Patrocle , que
l'airain homicide a précipité dans le tombeau , la
iille de Brisés, dont la beauté égale celle de Vénus r
embrasse cette chère dépouille, pousse des cris
perçants, flétrit ses appas, meurtrit ses joues, et
son sein d'albâtre : versant des larmes ameres, elle
s'écrie :
Chef d'un grand peuple, Patrocle, si cher à mon
cœur, je te laissai vivant quand je sortis de cette
tente, et je te trouve, à mon retour, étendu sur ce
lit funèbre! Que je suis malheureuse ! les maux
s'enchaînent l'un l'autre sur ma tête. Mon père,
ma respectable mère , me donnèrent à un homme
courageux ; je le vis percé par le javelot homicide,
sous les murs de ma patrie. J'eus trois frères : un
même sein nous conçut; liés l'un à l'autre par les
nœuds de l'amitié la plus tendre , tous sont morts
le même jour qui vit tomber mon époux sous les
coups de l'invincible fils de Pelée, lorsqu'il dévasta la grande cité du divin Mynétès. Toi seul,
ô Patrocle , par ton inexprimable douceur sus
calmer mes ennuis: tu me fis entrevoir l'espérance
de devenir l'épouse d'Achille, d'être conduite par
CHANT
XIX.
21
lui dans Phthie, sa terre natale, où mes noces
seroient célébrées aux yeux de l'assemblée nombreuse des Thessaliens. Tels furent tes bienfaits,
telles furent tes promesses : elles sont évanouies
avec ta vie; il ne me reste qu'un deuil affreux.
Elle parle ainsi, versant des larmes ameres. Les
autres captives confondent leurs sanglots avec les
siens ; elles feignent de pleurer Patrocle : mais
elles s'afïligent de leurs propres infortunes. Cependant les chefs de la nation environnent le fils de
Pelée, ils l'invitent à prendre quelque nourriture.
Tout entier à sa douleur, Achille les refuse avec
persévérance.
Cessez, leur dit-il, cessez, ô mes chers compagnons, de me fatiguer par d'inutiles instances.
Quelque besoin que j'aie de réparer mes forces affaissées sous le poids de la douleur, je supporterai
avec constance la faim et la soif jusqu'au coucher
du soleil.
Il dit : les rois se retirent en silence. Les deux
fils d'Atrée, le divin Ulysse , Nestor, Idoménée,
le vieux Phénix , demeurent seuls dans la tente
d'Achille, font effort pour calmer sa tristesse profonde : il rejette toute consolation, ne respire que
meurtres et combats. Au seul nom de Patrocle ;
de longs sanglots s'exhalent de son cœur accablé :
O mon infortuné compagnon, dit-il, avec quel
22
L'ILIADE,
soin , avec quelle activité tu pourvoyois à tous
mes besoins! avec quel zèle tu préparois le festin , quand les Grecs se disposoient à livrer aux
Troyens un sanglant combat! maintenant tu n'es
plus. Ma constance sera inébranlable; je ne boirai ni ne mangerai que tu ne sois vengé. Ni l'affreuse nouvelle de la mort de mon père, que ses
larmes consument en l'absence d'un fils, l'objet
de ses plus tendres affections, engagé dans cette
guerre, loin de sa patrie, par le crime de l'odieuse
Hélène, ni la mort de mon fils Néoptoleme, ce fils
cher à mon cœur, qu'on forme maintenant aux
vertus dans Scyros, ne me seroient plus sensibles.
Hélas! peut-être il n'est plus, ce fils dont la beauté
égaloit celle des immortels. J'avois espéré, ô Patrocle, que, succombant seul à ma destinée, sous
les murs de Troie, loin de la fertile Argos, tu irois
à Scyros avec mes vaisseaux, que tu ramenerois
mon fils dans Phthie, que tu remettrois en ses
mains et mes belles captives, et les immenses trésors que j'ai acquis par mes travaux, que tu l'éta-*
blirois dans mon palais ; car sans doute Pelée est
mort, ou succombera dans peu sous le poids des
ans et de l'affliction qui l'accable, attendant tous
les jours la nouvelle de mon trépas que les dieux
lui ont prédit.
Tels sont ses cris douloureux, qu'interrompent
CHANT
XIX.
a3
de profonds soupirs. Des larmes abondantes coulent des yeux des héros qui l'environnent : ils rappellent à leurs esprits les objets les plus chers que
chacun d'eux laissa dans son palais en partant pour
cette guerre afFreuse. Le fils de Saturne voit ce
deuil : il en a compassion. Adressant la parole à
Minerve :
Ô ma fille, lui dit-il, as-tu oublié un héros que
tu protégeois autrefois? Achille ne teparoît-il plus
digne de tes soins? Assis à la pouppe de son vaisseau, la mort de son fidèle compagnon lui fait verser des larmes ameres. Les enfants de la Grèce
réparent leurs forces abattues, pour se préparer
au combat : le seul Achille refuse toute nourriture,
toute consolation.Voleàson aide,ô ma fille; verse
dans son sein le nectar et l'ambrosie; empêche
que la faim ne le consume.
Il dit : docile à des ordres si chers à son cœur,
Minerve parcourt les vastes plaines de l'air avec
la rapidité et les sifflements aigus de l'épervier,
dont elle a pris la ressemblance. Cependant les
Grecs s'arment en diligence. Minerve, dans la
crainte que la faim n'épuise les forces d'Achille,
verse dans son sein le nectar et l'ambrosie, etremon te dans le brillan t palais de son père. Les Grecs
se hâtent de sortir de leurs vaisseaux. Aussi nombreux que les neiges que l'impétueux Borée pré-*
24
L'ILIADE;
cipite sur la terre, dont la blanche lumière s'élève
jusqu'à la voûte éthérée, tels reluisent dans leurs
mains et sur leurs larges épaules leurs casques étincelants, leurs cuirasses, leurs javelots armés d'airain, dont les éclairs percent la nue; la terre résonne sous leurs pas. Achille au milieu d'eux revêt
sa brillante armure. La douleur est dans son ame;
ses dents claquent; ses yeux brillent comme des
lampes ardentes. Il endosse les présents du dieu
des arts, les armes divines que Vulcain forgea pour
lui : des agrafFes d'argent lient à ses jambes, à ses
cuisses, les brodequins flexibles; il revêt sa brillante cuirasse, suspend à son épaule sa redoutable
épée, prend en main son vaste et épais bouclier,
dont l'éclat égale la splendeur de la lune. Semblable à ces feux qui s'allument aux sommets déserts
des montagnes, qui brillent pendant l'obscurité
de la nuit sur la surface de l'onde écumeuse, égarent le pilote qui s'y confie, et l'entraînent loin de
ces amis, loin de sa terre natale, sur le vaste des
mers, le livrant aux fureurs de l'humide élément;
tel reluit le bouclier d'Achille. Un casque pesant,
que surmonte un superbe panache de çjins de cheval, couvre son front auguste. Les mobiles aigrettes
d'or dont le divin artiste orna ce casque, brillent
dans l'air comme une comète menaçante. Le fils
de Pelée essaie soji éclatante armure; il l'agite, la
CHANT
XIX.
25
manie, dans la crainte qu'elle ne retarde ses mouvements : semblable à des ailes, elle le porte dans
les combats. Il tire de l'arche qui le renferme, le
long, le pesant, le formidable javelot que lui donna
Pelée, que seul entre tous les Grecs il sait et manier et lancer. Chiron coupa pour Pelée, au sommet ombragé du Pélion, le bois épais dont il forma
cette arme terrible, funeste à tant de héros. Automédon et Alcime attellent à son char les immortels coursiers : de superbes courroies les unissent;
le mors blanchit dans leurs bouches écumantes ;
les guides ajustées avec art les dirigent. Automédon s'élance sur le char, tenant en main un fouet
léger, souple, brillant. Couvert de l'armure divine, qui brille comme le soleil, le fils de Pelée
prend place derrière son fidèle écuyer. Adressant
la parole aux immortels coursiers que lui donna
Pelée son père :
Xanthus et Balius, leur dit-il, illustres enfants
de Podargé, nous marchons au combat. Quand
votre maître et votre guide se seront rassasiés de
carnage, songez à les dérober à la fureur des
Troyens. Craignez de les laisser étendus sur l'arene, comme vous y avez laissé Patrocle qui a succombé sous les coups de l'ennemi.
Le rapide Xanthus, entendant ces paroles, in-
4-
4
2.6
L'ILIADE, C H A N T
XIX.
cline sa tête altiere, développe sa vaste crinière
qui couvre le joug, et s'étend jusqu'à terre; Junon
lui communique le don de la parole :
Valeureux fils de Pelée, dit-il, nous sauverons
en ce jour et toi et ton écuyer : mais le glaive de la
mort est suspendu sur ta tête; ne nous impute
point ton trépas, mais à Jupiter, à l'inexorable
destinée. Ni le courage, ni la légèreté ne nous
manquèrent, quand les Troyens ravirent à Patrocle ton armure. Le zéphyr, qu'on dit le plus léger
des vents, n'égale pas la rapidité de notre course.
Mais un dieu plus puissant, le fils de Latone, Apollon , à la blonde chevelure, perça Patrocle qui
combattoit hors des rangs, parmi les héros de la
Grèce, et en attribua la gloire à Hector. Ainsi un
dieu et un mortel réunis l'emporteront sur toi. Tel
est l'ordre du destin.
Il dit, et les Furies étouffent sa voix.
Pourquoi me prédire le trépas, ô Xanthus? répond le fils de Pelée, poussant un profond soupir.
Dévoué à la mort, loin de mon père, loin de ma
mère, loin de ma terre natale, le Destin a marqué,
dans les plaines de Troie, le terme de ma vie : je
le sais; et cependant je ne cesserai, jusqu'à mon
dernier soupir, de poursuivre les Troyens.
Il dit; et appellaat ses compagnons, il marche
au combat.
L'I L I A D E.
C H A N T XX.
ARGUMENT.
permet aux immortels de se confondre dans la mêlée ;
Junon f Minerve » Neptune, Vulcaîn et Mercure, secourent les
Grecs; Vénus, Apollon, Diane, Latone, Mars, le Scamandre, protègent les Troyens. Énée entreprend de combattre Achille : Neptune
l'enveloppe d'un nuage épais, pour le dérober à la fureur du fils de
Pelée. Apollon protège la fuite dfHector. AcMUe poursuit ksTroyens
jusques sous leurs mursJUPITER
r
L'ILIADE.
CH A N T
X X.
Dispute entre les immortels. Jupiter protège les Grecs:
1 ANDIS que les Grecs, insatiables de combats,
se préparent à marcher sous tes ordres, ô Achille;
que d'autre part les Troyens rangent leur armée
en bataille au-dessus d'une éminence : assis sur la
cime la plus élevée de l'Olympe au double sommet , Jupiter ordonne à Thémis d'assembler les
immortels. Parcourant l'univers d'un vol rapide,
la déesse de la justice ordonne à tous les dieux de
se rendre dans le palais du fils de Saturne. Toutes
les divinités de la mer, toutes les nymphes des
fleuves, des fon taines et des bois, se réunissen t dans
l'enceinte sacrée. Le seul Océan garde ses retraites
profondes. Parvenus dans le palais éclatant du dieu
qui assemble les nuées, les dieux et les déesses
prennent place sous les vastes portiques que Vulcain construisit suivant le modèle qu'il conçut
dans sa tête savante; ils emplissent cette enceinte
immense. Docile à la voix de Thémis, Neptune
lui-même abandonne ses humides demeurés, pour
3o
L'ILIADE,
venir occuper, dans l'assemblée des dieux, le trône
qui lui appartient, au centre du sacré palais. Adressant la parole à Jupiter :
O toi, dit-il, dont la main puissante est armée
de la foudre, qui effraies les mortels par les éclats
de ton tonnerre, quel motif te détermine à convoquer l'assemblée des dieux? Un sanglant combat
est prêt à s'engager entre les Troyens et les Grecs ;
as-tu dessein de nous dévoiler tes éternels décrets?
Tu prévois mes conseils , ô Neptune, lui répond Jupiter ; tel est le sujet de cette assemblée.
Les hommes sont l'objet de mes plus tendres soins,
même lorsqu'ils touchent à leur heure dernière.
Assis sur le sommet le plus élevé de l'Olympe, je
demeurerai spectateur du combat. Vous tous,
dieux et déesses, descendez sur le champ de bataille : que chacun , suivant les mouvements de
son cœur, porte secours aux Troyens ou aux
Grecs ; car le seul Achille, combattant contre les
Troyens, sufiiroit pour dissiper leur armée. Ses
seuls regards ont imprimé la terreur dans leurs
âmes : je craindrois qu'impatient de venger la
mort de son iidele compagnon, il ne détruisît dès
ce jour, contre l'ordre du Destin, les murs sacrés
d'Ilion/
C H A N T
X X.
3i
Ainsi parle le fils de Saturne, et il semé la discorde parmi les habitants de l'Olympe. Les dieux
se partagent pour marcher au combat. Junon, Minerve, Neptune qui ébranle la terre et l'enveloppe
de ses ondes, le dieu du commerce, l'utile Mercure , descendent dans le camp des Grecs. Le
boiteux Vulcain les suit de loin ; ses genoux fléchissent sous le poids de son corps, ses yeux farouches roulent sous ses noirs sourcils. L'homicide Mars, Apollon dont le front brille d'une éternelle jeunesse, la chasseresse Diane , Latone , le
Xanthe, et Vénus la déesse des jeux et des ris, se
dispersent dans l'armée des Troyens.
Avant que les dieux se confondissent parmi les
mortels, une joie superbe éclatoit dans les yeux
des enfants de la Grèce; car Achille, long-temps
absent des combats, s'étoit montré. A la vue du
terrible fils de Pelée couvert de sa brillante armure, semblable à l'homicide Mars, les Troyens
frémissent,leurs membres sont agités : mais quand
les habitants de l'Olympe se sont dispersés dans
le camp des Grecs et dans l'armée des Troyens,
un terrible combat s'engage. Ce fut le salut des
Troyens. Du sommet de la haute muraille, du revers du fossé qui la borde, des rives sonores de la
plaine liquide, Minerve appelle les Grecs. D'autre
32
L'ILIADE,
part, semblable à l'obscure tempête, du haut de
la citadelle d'Ilion, et des rives fleuries du Simoïs,
l'homicide Mars donne ses ordres aux Troyens : la
voix puissante du dieu de la guerre retentit sur les
riants coteaux qui bordent cette vaste plaine. Les
dieux marchent contre les dieux, et soutiennent
le courage des leurs. La Discorde, versant ses poisons, parcourt d'un vol rapide le champ de bataille. Le père des dieux et des hommes, Jupiter,
donne par un coup de tonnerre le signal du carnage. Neptune frappe la terre de son trident; l'horrible secousse s'étend du fond des abymes jusqu'aux cimes les plus élevées des montagnes : l'Ida
est ébranlé dans ses fondements ; ses sommets
sourcilleux sont agités, ses sources nombreuses
troublées; la ville de Troie, la vaste plaine que
couvrent les vaisseaux des Grecs, tremblent. Le
roi des ombres effrayé s'élance de son trône, jette
un cri perçant : il craint que la terre n'écroule sous
les coups du dieu de la mer, que l'abyme entr'ouvert ne découvre aux dieux et aux hommes ces
vastes et lugubres demeures que redoutent les immortels eux-mêmes; tant est grand le fracas, signal
de ce combat ! Armé de ses flèches invincibles,
Apollon marche contre Neptune, Minerve contre
Mars, Junon contre la chasseresse Artémise, sœui'
CHANT
XX.
33
du dieu qui lance au loin ses inévitables traits ,
l'utile Mercure contre Latone; le fleuve profond
que les dieux nomment le Xanthe, les mortels le
Scamandre, est aux prises avec le boiteuxVulcain.
Les dieux provoquent les dieux au combat : mais
Achille cherche Hector dans la foule des Troyens ;
c'est du sang d'Hector qu'il brûle de rassasier l'homicide Mars. Apollon, le sauveur des peuples,
suscite contre l'intrépide iils de Pelée le courage
moins impétueux du iils d'Anchise. Ayant pris là
ressemblance et la voix de Lycaon iils de Priam, il
adresse la parole à Énée :
Conseil des Troyens, sage Énée, lui dit-il, que
sont devenues ces promesses que tu fis, au milieu
des festins sacrés, à Priam et à ses iils, de combattre seul le fils de Pelée?
Lycaon, répond Énée, pourquoi me contraindre à provoquer au combat l'invincible Achille?
Commis à la garde de nos bœufs qui paissoient sur
l'Ida, ce héros fondit sur mes troupeaux. J'osai
marcher contre lui; une fuite précipitée put àpeine
me dérober à ses coups. Achille me chassa de
l'Ida, s'empara de mes bœufs, dévasta Lyrnesse et
Pédasus.Pour me soustraire à l'impétuosité de son
javelot, Jupiter accrut la souplesse de mes jarrets.
Sans le puissant secours du maître des dieux,
4.
5
34
L'ILIADE,
j'eusse succombé sous les coups d'Achille et de
Minerve, qui marchoit devant lui, qui éclairoit
son courage, qui lui ordonnoit de précipiter dans
les sombres demeures et Léleges et Troyens. Il
n'est pas au pouvoir des mortels de résister à l'invincible Achille. Toujours quelque divinité détourne les coups qu'on essaie de lui porter, et
dirige son arme meurtrière. Si Jupiter n'inclinoit
en sa faveur ces éternelles balances qui décident
du sort des mortels, malgré cette armure divine
dont il se glorifie, Achille ne remporteroit pas sur
moi une facile victoire.
Fils d'Anchise et de Vénus, lui répond Apollon, souviens-toi de ton illustre origine. La mère
d'Achille est fille d'un dieu marin, du vieux Nérée : le pur sang du dieu qui lance le tonnerre
coule dans tes veines. Adresse tes vœux aux immortels, et lance ton javelot sur le fils de Pelée;
que d'impuissantes menaces ne t'effraient point.
Il dit, et souffle l'ardeur du combat dans l'ame
du pasteur des peuples. Couvert de l'airain étincelant, Énée sort des rangs, provoque Achille au
combat. Junon, qui ne perd point de vue le fils de
Pelée, appelle à grands cris les dieux protecteurs
des enfants de la Grèce.
O Neptune, ô Minerve, délibérons sur le parti.
CHANT
XX.
35
le plus convenable dans les circonstances présentes. Je vois Ënée, couvert de l'airain étincelant,
marcher contre Achille. Apollon l'envoie. Forçons
le fils d'Anchise de se confondre dans la foule
des siens; que quelqu'un de nous protège Achille
dans ce périlleux combat, et accroisse sa vigueur;
qu'Achille sache que les plus puissantes divinités
veillent sur ses jours, que de vains fantômes ont
fait jusqu'ici et font encore d'inutiles efforts pour
éloigner d'Ilion la guerre et le carnage. N'est-ce
pas pour défendre Achille contre les efforts des
Troyens, qu'abandonnant l'Olympe, nous sommes
descendus sur ces rives? Demain il subira le sort
que les Parques lui ont filé au moment de sa naissance, quand sa mère le mit au monde : mais s'il
n'apprenoit, de la bouche même des immortels,
que nous veillons sur ses jours, son courage pourroit
être ébranlé, lorsque l'une des divinités protectrices de Troie viendroit se montrer à lui dans le
combat; car les hommes ont peine à soutenir l'éclat de la majesté divine, quand elle se manifeste
à leurs yeux dans toute sa splendeur.
Dissipe ces vaines alarmes, ô Junon, répond le
dieu qui ébranle la terre : il n'est ni nécessaire, ni
convenable, que nous engagions les dieux protecteurs de Troie dans un combat trop inégal. Placés
36
L'ILIADE,
sur un lieu élevé, près de la route battue, laissons
les hommes vuider leurs querelles : si Mars ou
Apollon nous provoquent, s'ils s'opposent à l'impétuosité du fils de Pelée, s'ils détournent les
coups de son javelot, nous combattrons pour lui;
nous contraindrons les divinités protectrices des
Troyens de remonter sur l'Olympe, de se confondre dans la foule des autres immortels.
Ainsi parle Neptune à la verte chevelure, et il
conduit Junon sur le tertre d'Hercule, ce tertre
que les Troyens élevèrent par le conseil de Minerve, pour soustraire le fils de Jupiter à la fureur
du monstre marin qui le poursuivoit dans la plaine.
Environnés d'une nue impénétrable aux regards
des mortels, Neptune, Junon, et les autres divinités protectrices des enfants de la Grèce, prennent place sur ce rempart. Les dieux protecteurs
des Troyens, assis sur les riants coteaux qui bordent le Simoïs, tiennent conseil avec Apollon et
Mars, le destructeur des cités. Tous évitent de
s'engager dans un périlleux combat; mais Jupiter
l'ordonne du haut des nues.
Cependant la plaine est couverte de guerriers :
l'airain brille, la terre tremble sous les pas des
hommes et des coursiers. Deux héros, supérieurs
en force et en courage à tous les autres , Enée fils
CHANT
XX.
3/
d'Anchise, et le divin Achille, s'avancent l'un contre l'autre dans l'espace qui sépare les deux armées.
Le panache d'Énée flotte sur son casque pesant;
couvert de son vaste bouclier, agitant son javelot,,
il menace le fils de Pelée qui marche à sa rencontre , semblable à un lion que provoque un peuple
dechasseurs. Le roi des forêts s'avance à pas lents,
et semble mépriser l'ennemi : mais à peine un javelot lancé par un bras nerveux l'a-t-il atteint dans
le flanc, qu'il s'agite avec d'affreux rugissements ;
l'écume découle de ses mâchoires; son œil s'enflamme; il bat ses flancs, s'excite au combat, impatient de donner la mort ou de tomber sous les
coups de la troupe nombreuse qui l'environne.
Telle l'intrépide valeur d'Achille s'enflamme à la
vue du grand Enée qui marche à sa rencontre. Parvenu à la portée du trait, il adresse le premier la
parole au fils d'Anchise :
O Enée, lui dit-il, qui t'engage à sortir des rangs
pour m'exciter à combattre contre toi? Esperes-tu,
si tu me donnes la mort, régner sur les Troyens,
occuper le trône de Priam? Ce roi sage, constant
dans ses desseins, ne paieroit pas ta victoire d'un
tel prix; le sceptre appartient à ses enfants. Les
Troyens t'ont-ils promis une terre grasse, fertile
en bleds, fertile en vins? Un tel succès sera diffi-
38
L'ILIADE,
cile à obtenir. Qu'il te souvienne que nous mesurâmes nos forces dans les vallées de l'Ida, quand tu
veillois à la garde de tes bœufs. Tu ne trouvas de
salut que dans la fuite : tremblant, n'osant te retourner, tu courus cacher ta honte dans Lyrnesse.
Aidé de Minerve et de Jupiter, je dévastai cette
grande cité, j'emmenai ses femmes captives, les
dieux seuls te dérobèrent à mes coups. Ton audace téméraire se flatte aujourd'hui de la même
protection; tu ne l'obtiendras point. Cesse de provoquer ma vengeance; recule, confonds-toi dans la
foule des tiens : celui-là est insensé qui ne sait
prévoir le malheur avant qu'il arrive.
Fils de Pelée, lui répond le fils d'Anchise, n'espère pas m'in tim ider par de vaines menaces, comme
un enfant. Il me seroit facile de te rendre injure
pour injure. Tu n'as point vu ceuxqui m'ont donné
l'être, je n'ai vu ni ton père ni ta mère, et cependant nous nous connoissons l'un l'autre; car les
actions des dieux et celles des héros sont célèbres
par toute la terre. On te dit fils de l'irréprochable
Pelée et de Thétis, l'une des nymphes de la mer:
je me glorifie d'être fils d'Anchise et de Vénus,
Aujourd'hui Thétis ou Vénus, Pelée ou Anchise,
pleureront leur fils; car ce combat ne se réduira
pas à de vaines menaces comme des jeux d'enfants,
CHANT
XX.
3o
Si tu desires connoître les auteurs de ma race, les
faits que je vais te citer sont célèbres par toute la
terre. Dardanus fut fils du dieu qui assemble les
nuées. .Ce héros fonda l'antique Dardanie, avant
que la sainte cité d'Ilion fut habitée par les mortels. Dans ces temps reculés, Dardanus et son
peuple occupoient les vallées de l'Ida au double
sommet. Il eut un fils, le roi Erichthon, qui devint
le plus riche des mortels : trois mille cavales et leurs
poulains cueilloient pour lui l'herbe tendre des
vallées de l'Ida. Borée devint amoureux de plusieurs ; il les saillit sous la forme d'un superbe
étalon à crinière flottante : douze poulines en naquirent, si légères, que, volant dans la plaine,
leurs pieds s'élevoient au-dessus de l'extrémité la
plus déliée des épis sans les courber, que s'élançant sur le dos de la mer écumeuse, à peine elles
effleuroient la surface de l'onde. Tros, qui régna
sur les Troyens, et qui leur donna son nom, fut
fils d'Erichthon. Il eut trois enfants illustres, llus,
Assaracus, et le divin Ganymede, le plus beau des
mortels. Les dieux enlevèrent Ganymede, à cause
de sa beauté; il assiste maintenant aux festins sacrés, et verse le nectar dans la coupe de Jupiter.
Ilus eut un fils, le grandLaomédon. De Laomédon
sont issus Tithonus, Priam, Lampus, Clytius, et
4o
L'ILIADE,
Hicétaon, rejeton de Mars. D'Assaracus naquit
Capys; Anchise, fils de Capys, est mon père : de
Priam naquit le divin Hector. Tel est mon sang,
telle est la tige illustre de ma race. Jupiter accroît
ou diminue à son gré la force des mortels ; il leur
donne ou leur refuse la victoire; car sa puissance
est sans bornes. Mais terminons ces vains propos,
marchons au combat. Il est facile de repousser les
injures par des injures : la volubilité de la langue
égale la légèreté d'un vaisseau de cent rameurs ; les
discours sont interminables. Ce que l'un dit, il l'entend de son ennemi. Les combats de parole ne
sontpas faits pour nous : c'est ainsi que les femmes
exhalent leur colère dans la place publique; le vrai,
le faux, les servent également. Tu t'efforces en vain
de me dissuader de mesurer nos forces; le javelot
décidera notre querelle. Croisons nos armes; attaquons-nous , repoussons avec vigueur les coups
que nous nous porterons l'un à l'autre.
Il dit, et lance son javelot dans le bouclier d'Achille , qui rend un son éclatant; la pointe aiguë
est émoussée : cependant la violence du coup est
telle que le fils de Pelée ébranlé fait effort pour
éloigner de lui son bouclier, dans la crain te que
le javelot d'Enée ne l'ait pénétré. Insensé ! il oublie que les ^présents des dieux sont à l'abri des
CHANT
XX.
41
atteintes des mortels. L'adroit boiteux forma cet
impénétrable bouclier de cinq lames de métal,
deux d'airain, une d'or au centre, deux d'étain en
dedans ; la lame d'or repousse l'arme meurtrière.
Achille lance son long, son pesant javelot : le frêne
du Pélion atteint et pénètre le bouclier du iils
d'Anchise, dans le cercle extérieur où l'airain est
moins épais, les cuirs moins solides ; il le brise avec
fracas. Les genoux d'Enée fléchissent; il se courbe,'
s'assied sur la terre pour parer le coup mortel ; le
javelot d'Achille rase son dos et s'enfonce dans l'arene. La terreur s'empare de l'ame du descendant
de Dardanus, un nuage épais de douleur s'étend
sur ses yeux : Achille, tirant sa redoutable épée,'
fond sur lui avec de grands cris. Le hls d'Anchise
se relevé, saisit une pierre énorme que deux hommes, tels qu'ils sont aujourd'hui, souleveroient
avec peine : seul il la manie et la lance avec facilité. Vaine tentative! aucune force humaine ne
peut rompre ni le casque pesant ni le solide bouclier d'Achille. Le fils de Pelée s'élançant de nouveau eût précipité son ennemi dans les sombres
demeures, si Neptune, le voyant en ce pressant
danger, n'eût adressé la parole aux immortels.
Habitants de l'Olympe , leur dit-il, mon ame
e$t émue du péril dans lequel les conseils du dieu
4'
$
42
L'ILIADE,
qui lance au loin ses flèches ont engagé le grand
Enée. Insensé! il a provoqué Achille au combat,
et maintenant il touche aux portes de la mort.
Apollon ne lui sera d'aucun secours : l'innocent
périt pour le coupable ; le pieux Enée , qui offrit
tant de victimes aux immortels, souffre des douleurs aiguës. Volons à son aide ; repoussons loin
de lui le trépas : car je craindrois que la mort de
ce héros, s'il succomboit sous les coups d'Achille,
n'excitât le courroux du fils de Saturne ; l'ordre du
Destin n'est pasqu'Enée périsse dans cette guerre
cruelle, que la race de Dardanus, que Jupiter aima
par-dessus tous les autres enfants qu'il eut des filles
des hommes , soit anéantie, que son nom soit effacé de dessus la terre. Les enfants de Priam ont
attiré sur eux la haine du dieu qui lance le tonnerre ; il transporte à la branche d'Enée le sceptre
d'Ilion : le fils d'Anchise et sa postérité régneront
sur les Troyens dans les siècles à venir.
O Neptune qui enveloppes la terre de tes
ondes, lui répond l'inflexible Junon, prends le
parti qui te paroî traie plus digne de ta sagesse; tire
Enée de ce pressant danger, ou souffre qu'il périsse par les mains d'Achille : ni Pallas, ni moi, ne
volerons à son aide ; car nous avons juré plusieurs
fois, à la face de tous les immortels, de ne repous-
CHANT
XX.
43
ser dans aucun temps la mort de dessus la tête
des Troyens, pas même lorsque leur cité aura été
réduite en cendres par les enfants de la Grèce.
Instruit des conseils de Junon, Neptune s'élance sur le champ de bataille au milieu des javelots , au milieu du tumulte des armes : parvenu sur
la sanglante arène où Achille et le fils d'Anchise se
disputent la victoire, il étend un nuage épais sur
les yeux d'Achille, arrache le pesant javelot du
bouclier d'Énée , le dépose aux pieds d'Achille,
saisit d'un bras nerveux le /ils d'Anchise, l'élevé
au-dessus des bandes armées, au-dessus des coursiers , au-dessus des chars, fend avec lui le vague
de l'air, le transporte à l'extrémité de cette plaine
sanglante, au lieu où les braves Cauconiens s'arment pour marcher au combat. Se manifestant à
ses yeux, il lui parle ainsi :
Fils d'Anchise , quelle divinité t'a engagé dans
ce téméraire combat contre Achille, plus fort que
toi, plus chéri des immortels? Recule devant ce
héros; ne t'expose plus à son ardeur indomtable,
si tu ne veux descendre avant le temps, contre
l'ordre du Destin, dans les sombres demeures. Attends, pour combattre hors des rangs, qu'Achille
ait subi son destin, que la Parque ait tranché le fil
de ses jours. Prends confiance alors : aucun autre
des Grecs ne fe donnera la mort.
44
L'ILIADE,
Ayant ainsi dévoilé au fils d'Anchise sa destinée,
Neptune l'abandonne , dissipe le nuage qu'il a
répandu sur les yeux d'Achille. Le fils de Pelée,
promenant autour de lui ses regards étonnés,
pousse un profond soupir :
O dieux! se dit-il à lui-même, un grand prodige
s'offre à ma vue : mon javelot est à mes pieds ; et
mes yeux ne peuvent découvrir le mortel que je
brûlois de précipiter dans le tombeau. Je pensois
qu'Énée s'attribuoit une vaine gloire, quand il se
van toit de la protection des dieux ; elle est manifeste. Qu'il fuie, qu'il échappe au trépas ; sans
doute il ne tentera plus de me provoquer au combat ; je cours soutenir l'ardeur des Grecs : assez
d'autres victimes parmi les Troyens s'offriront à
mes coups.
Il dit ; et volant de rang en rang , il adresse la
parole à chacun des Grecs :
Divins enfants de la Grèce, serrez de près l'ennemi, que chacun de vous mesure ses forces contre le Troyen qu'il verra devant lui. Quel que soit
mon courage, quelle que soit ma constance, seul
je ne pourrois et combattre, et poursuivre cette
multitude d'ennemis. Quoiqu'immortels, Mars et
Minerve auroient peine à suffire à tant de travaux.
K e craignez pas toutefois que mon ardeur se r&~
CHANT
XX.
45
lentisse; j'emploierai toute ma force, toute mon
intrépidité, toute ma légèreté, pour enfoncer les
bandes troyennes : malheur à quiconque tentera
de me résister !
Achille exhorte ainsi les siens. De son côté;
Hector appelle les Troyens; il leur déclare qu'il
marche contre le fils de Pelée :
Valeureux Troyens, leur dit-il, qu'Achille ne
vous effraie point. Je pourrois, à son exemple, défier les immortels eux-mêmes : cependant je n'essaierois pas de lutter contre les dieux; car leur
force l'emporte sur celle des hommes. Achille
n'exécute pas tout ce qu'il projette; il met à fin
une entreprise, en abandonne une autre, et la laisse
imparfaite. Je cours le provoquer au combat : sa
force, son ardeur égalassent-elles l'impétuosité de
la flamme, fût-il d'acier, je ne le craindrois point.
Hector enflamme ainsi le courage des siens. Les
Troyens marchent contre les Grecs; les phalanges
se confondent : l'air retentit des cris des deux armées. Apollon, s'approchantdu fils de Priam :
Hector, lui dit-il, ne hasarde pas de combattre
le fils de Pelée. Demeure confondu dans la foule
ne t'offre pas à la vue perçante d'Achille; crains les
coups de son javelot, crains sa redoutable épée.
Ainsi parle le dieu. Hector frémit, recule jus»
46
L'ILIADE,
qu'au centre de la phalange. Cependant Achille
fond sur les Troyens avec de grands cris. Le brave
Iphition, fils d'Otryntès, chef d'un grand peuple,
tombe le premier sous ses coups. Ce héros naquit
dans la puissante ville d'Ida, au pied du mont
Tmolus couvert de neiges; il fut le fruit du commerce secret d'Otryntès avec une nymphe des
eaux. Iphition est prêt à-s'élancer sur le fils de Pelée; Achille le prévient, décharge sur sa tête son
pesant javelot : les os du crâne sont brisés, la tête
partagée en deux portions égales; il tombe avec
fracas. Achille triomphe :
Fils d'Otryntès, dit-il, le plus lier des mortels,
qui naquis dans les marais Gygée, au centre des
riches possessions de ton père, près du poissonneux Hyllus et de l'ombragé Hermus, tombe et
meurs aux champs troyens.
Il dit; et les ombres de la mort s'étendent sur les
yeuxd'Iphition : les coursiers des Grecs le foulent
aux pieds, les roues de leurs chars broient ses os.
Le valeureux fils d'Anténor, Démoléon, s'avance
pour le venger : sa témérité est punie; le javelot
du fils de Pelée l'atteint dans la tempe, la pointe
aiguë perce le casque d'airain trop foible pour le
défendre; l'os est brisé, la surface intérieure du
casque souillée. Non loin de ce héros, Hipp'oda-»
CHANT
XX.
47
mas s'élance de son char, et fuit devant Achille ;
le javelot du fils de Pelée l'atteint : il expire poussant des cris aussi affreux que les mugissements
d'un taureau que de jeunes hommes entraînent à
l'autel du dieu qu'on adore dans Hélice; Neptune
se plaît à contempler sa victime : aussi effrayants
sont les cris d'Hippodamas expirant; son ame
s'exhale dans les airs. Près de lui, Polydore tombe
sous le javelot d'Achille, Polydore le plus jeune,
le plus tendrement aimé des fils du vieux Priam,
qui l'emporte sur tous ses frères par la légèreté de
sa course. Les ordres de son père le tinrent jusqu'à ce jour éloigné de la sanglante arène : le feu
de la jeunesse, une ardeur téméraire, le désir de
montrer sa force et sa légèreté, l'entraînèrent dans
la mêlée; il combat jusqu'à la mort parmi les plus
intrépides. Achille le voit poursuivre les Grecs
avec ardeur : plus léger que lui, il s'élance, le frappe
par derrière, à l'endroit que défendent les anneaux
d'or du baudrier, où la cuirasse est double ; la
pointe aiguë pénètre et sort par le nombril; il
tombe sur ses genoux, poussant de profonds soupirs ; les ombres de la mortl'environnen t; ses mains
défaillantes s'efforcent en vain de retenir ses entrailles. A la vue de son frère étendu sur la poussière, dont les mains glacées soutiennent ses en-
48
L'ILIADE,
trailles fumantes, un nuage épais de douleur s'étend sur les yeux du vaillant Hector; il ne peut
demeurer plus long-temps confondu dans la foule :
agitant son javelot, il s'élance sur Achille avec la
rapidité de la flamme. Le fils de Pelée le voit;
joyeux, il s'écrie :
Celui que j'attendois avec impatience, le meurtrier de mon cher compagnon, qui porta à mon
cœur le coup le plus sensible, marche contre moir
nous ne nous fatiguerons plus, lui à fuir, moi à le
poursuivre dans les sentiersraboteuxde cette plaine
sanglante.
11 dit, et lançant sur Hector un regard furieux :
Approche, lui dit-il ; crue ta mort satisfasse ma
vengeance.
Fils de Pelée, lui répond l'intrépide Hector,
n'espère pas m'effrayer par de vaines menaces
comme un enfant. Je pourrois repousser tes injures par des injures : mais je rends justice à ton courage, et me reconnois inférieur à toi; cependant
le sort des combats repose dans le secret des dieux.
Quoique plus foible, je peux te percer de mon
javelot; il est armé comme le tien d'une pointe
aiguë.
Il dit; et imprimant à son javelot, par des se*
pousses réitérées, un mouvement rapide, il l&
CHANT
XX.
49
lance sur Achille. Le souffle de Minerve le détourne , le repousse sur le héros qui l'a lancé ; l'arme
meurtrière tombe aux pieds du divin Hector.
Achille s'élance, fait effort pour le percer : mais
Apollon, étendant sur ses yeux une nue épaisse,
dérobe Hector à ses coups. Effet de la puissance
divine! Trois fois le léger Achille s'élance sur le
fils de Priam ; trois fois son javelot ne perce qu'un
vain nuage : furieux, il redouble; ses efforts sont
inutiles; son courroux s'exhale en ces terribles
menaces ;
Fuis maintenant, échappe à la faux de la mort,
Apollon, que tu invoques avant le combat, te soustrait à ma vengeance; une autre fois si quelque divinité daigne me secourir, tu ne me provoqueras
pas impunément : je marche contre les tiens qui
fuient devant moi; malheur à celui que je rencontrerai !
Il dit, et lance son javelot sur Dryops, l'atteint
au sommet de l'échiné , le renverse à ses pieds ,
l'abandonne, court réprimer l'impétuosité de Démuchus , fils de Philétor, valeureux combattant,
d'une taille gigantesque : la pointe aiguë s'enfonce
dans son genou ; Achille le perce de sa redoutable
épée ; son ame s'exhale dans les airs. Laogonus et
4-
7.
5o
L'ILIADE,
Dardanus, deux fils de Bias, fuient, précipités de
leurs chars : le javelot d'Achille atteint l'un au loin,
tandis que l'autre tombe à ses pieds sous les coups
de son glaive. Le fils d'Alastor embrasse ses genoux ; il le conjure de lui laisser la vie : Je suis, lui
dit-il, du même âge que toi; renvoie-moi vivant à
ceux qui m'ont donné l'être. Insensé ! il ne connoît
pas l'inflexibilité du iils de Pelée : en vain il fait effort pour l'émouvoir, en vain il serre de ses mains
tremblantes les mains victorieuses d'Achille ; le
fils de Pelée les retire avec effort, enfonce le glaive
dans son cœur : le sang emplit la vaste cavité de
sa poitrine, les ombres de la mort s'étendent sur
ses yeux, son ame s'exhale dans les airs. Armé
du javelot, Achille s'élance sur Mulius ; la pointe
aiguë pénètre l'une et l'autre oreille. De sa lourde
épée il fend le crâne d'Echéclus, fils d'Agenor ;
un sang noir fume sur le glaive. Echéclus subit sa
destinée, ses yeux se ferment à la lumière. Le javelot du fils de Pelée atteint au coude Deucalion,
à l'endroit où les muscles et les tendons se réunissent; l'arme meurtrière pénètre jusqu'à la main :
immobile , la main pendante, l'infortuné Deucalion attend le coup mortel. Achille élevé son
glaive, fait voler sur la poussière cette tête enne-
CHANT
XX.
5i
mie et le casque qui la couvre ; la moelle jaillit à
gros bouillons des vertèbres, le tronc sans vie demeure étendu sur l'arène. Le fils de Pelée l'abandonne , marche contre Rhigmus, vaillant fils de
Pirée, nouvellement arrivé de la Thrace sa patrie;
le javelot d'Achille l'atteint dans le flanc, le renverse de son char. Son écuyer Aréithoûs détourne
ses coursiers : le fils de Pelée redouble, l'écuyer
tombe, les coursiers fuient effrayés. Tel un vaste
incendie allumé dans une immense forêt, poussé
par les souffles impétueux des vents, s'étend du
sommet desséché des montagnes dans la vallée
qu'il couvre de tourbillons de flamme, et des flots
d'une épaisse fumée qui s'élèvent jusqu'aux nues:
ainsi Achille, semblable à un dieu, armé du redoutable javelot, parcourt cette plaine sanglante,
poursuivant les Troyens , portant de tous côtés le
carnage et la mort. Avec autant de célérité que
les graines sont réduites en poudre par la meule
pesante, qu'entraînent dans une aire spacieuse
deux vigoureux taureaux attelés au même joug :
ainsi les cadavres sanglants, les casques, les boïicliers, les javelots, sont brisés par les coursiers
d'Achille. L'aissieu de son char est teint de sang;
Je sang jaillit de dessous les pas de ses coursiers ;
52
L'ILIADE, C H A N T
XX.
l'orbite des roues de son char, le siège, les parties les plus élevées en sont couvertes. La sueur
découle de tous ses membres, le sang souille ses
invincibles mains : la soif de la gloire vit au fond
de son cœur.
L'ILIADE,
C H A N T XXI.
ARGUMENT,
Lis Troyens poursuivis par Achille se partagent en deux bandes t
Tune fuit vers la ville , l'autre se cache dans les rochers qui bordent
le Scamandre. Douze captifs sont destinés par Achille à être immolés
sur le bûcher de Patrocle. Mort de Lycaon et d'Astéropéef débordement dufleuvef incendie des forêts voisines ; le dieu du feu contraint ce fleuve orgueilleux de se renfermer dans sesrives; combat
entre les dieux, Apollon, sous la forme d'Agenor qu'Achille poursuit avec ardeur, égare le vainqueur ; les Troyens profitent de fér
loignement d'Achille pour rentrer dans la ville.
/
•
I
,
L'ILIADE.
CHANT
XXI.
Combat d'Achille près des rives dujleuve.
JtiEPOussÉs sur les rives du grand fleuve, du
Xanthe tortueux, né de Jupiter, les Troyens se
partagent. Le fils de Pelée poursuit les uns jusqu'aux murs de la grande cité. Tremblants, en désordre , ils fuient par ce même chemin qui, le jour
précédent, fut le théâtre des fureurs d'Hector. Pour
les livrer au fils de Pelée, et les empêcher de trouver un asyle dans leurs murs, Junon étend sur eux
une nue obscure. D'autres sont précipités avec fracas dans le fleuve qui roule ses flots argentés sur un
sable mobile : les gouffres profonds, les rives sonores du Scamandre retentissent du bruit de leur
chute , de leurs cris douloureux, de leurs longs
gémissements. Ils nagent çà et là emportés par
les courants, semblables à des sauterelles qui parcourent le vague de l'air, dispersées par les feux allumés dans la plaine ; le tonnerre gronde, la foudre
éclate , elles tombent englouties dans le fleuve :
56
L' I L I A D E ,
ainsi, sous les coups d'Achille, les hommes et les
chevaux arrêtent les courants du profond, du rapide, du tortueux Xanthe; ses rives retentissent
des cris des mourants. Déposant son javelot sous
des bruyères, l'épée à la main, semblable à un
dieu, le fils de Pelée s'élance dans le fleuve, frappe
de toutes parts ; de longs gémissements se font enT
tendre, l'onde est teinte de sang. Tels les poissons
fuient devant le dauphin ; tremblants ils se cachent
dans les humides retraites de la plaine liquide; le
monstre les poursuit dans cet asyle ténébreux,
dévore tous ceux qu'il peut atteindre : ainsi les
Troyens, entraînés par les courants, emplissentles
antres escarpés des roches voisines du Xanthe.
Las enfin de carnage, le fils de Pelée choisit douze
jeunes hommes de race illustre, dont le sang doit
couler sur le bûcher du fils de Mené dus, pour appaiser les mânes de son fidèle compagnon. Tremr
blants comme des faons timides, Achille les saisit,
se sert de leurs riches baudriers pour leur lier les
mains derrière le dos, les entraîne par les plis
de leurs tuniques, les livre à ses compagnons qui
les conduisent aux vaisseaux : furieux il s'élance
de nouveau, recommence le carnage. Le Dardanien Lycaon, fils de Priam, fuit en nageant dans le
fleuve; il s'offre le premier à sa vue. Il fut naguère
CHANT
XXI.
5j
son prisonnier. Achille ayant pénétré, pendant la
nuit, dans un enclos du vieux Priam, l'y trouva occupé à couper les branches d'un figuier sauvage
qu'il destinoit à former les jantes des roues de son
char ; il l'emmena captif, l'embarqua >ur ses vaisseaux, le transporta à Lemnos, le vendit au iîls de
Jason. L'Imbrien Éétion, lié par les nœuds de
l'hospitalité avec Priam, paya sa rançon, l'envoya
à Arisbé : échappé furtivement, il est rentré dans
le palais de son père. Depuis onze jours il célébroit
avec ses amis dans les jeux, dans les fêtes, dans les
festins, sa sortie de Lemnos; le douzième il tombe
entre les mains d'Achille, qui le précipitera dans
les sombres demeures. Il est sans casque, sans
bouclier, sans javelot, ayant quitté ses armes pour
fuir avec plus de rapidité à travers le fleuve. Le iîls
de Pelée le reconnoît, malgré la sueur qui découle
de tous ses membres, malgré la fatigue qui l'épuise ; Achille furieux s'écrie :
ô dieux! un grand prodige s'offre à ma vue. Sans
doute les Troyens ont le privilège de renaître après
leur mort, d'échapper à la nuit du tombeau. Cet
homme fut vendu par moi dans Lemnos : l'espace
immense des mers, barrière insurmontable aux
efforts des mortels, n'a pu l'arrêter. Il tombera
sous les coups de mon javelot : essayons s'il par4.
S
58
L'ILIADE,
viendra à se délivrer des portes de l'enfer, si la terre,
qui arrête l'impétuosité de tous les mortels, pourra
le fixer.
Tandis qu'il s'occupe de ces pensées, Lycaon
tremblant approche; il le conjure de lui conserver
la vie. Déjà Achille levé le terrible javelot. Profondément incliné, le triste Lycaon d'une main eirn
brasse ses genoux, arrête de l'autre l'arme meurtrière, dont la pointe demeure enfoncée dans la
terre.
Divin Achille, lui dit-il, je t'aborde en suppliant;
respecte mon infortune. Le jour que tu me fis ton
captif dans le domaine de mon père, je partageai
avec toi les dons de Cérès. Tu m'entraînas dans
Lemnos, loin de ma terre natale, et me vendis le
prix de cent bœufs. Tu en obtiendras trois fois au*
tant si tu me conserves la vie. La douzième aurore
luit à peine depuis mon arrivée dans Troie, ayant
beaucoup souffert. Objet de la haine de Jupiter,
ma cruelle destinée me remet en tes mains. Sans
doute ma mère Laothée, fille du vieux Altée, qui
règne dans la haute cité de Pédasus, près des rives
du Satnios, sur les Léleges savants dans la marine,
me donna une vie de courte durée. Priam choisit
Laothée entre les filles de ce roi; il l'épousa, en
eut deux fils, destinés à tomber l'un et l'autre sous
CHANT
XXI.
59
tes coups. Le divin Polydore mon frère, combattant à pied hors des rangs, fut précipité par toi
dans les sombres demeures. Le même sort m'est
réservé, puisque le Destin me livre en tes mains
pour la seconde fois; ta pitié seule peut me préserver du trépas. Ecoute ce que je vais dire; grave-le
dans ta mémoire. Accorde-moi la vie; je n'eus
pas la même mère qu'Hector qui te ravit ton fidèle compagnon, dont la bonté égaloit l'intrépide
valeur.
Le fils de Priam implore ainsi la clémence d'Achille. Il en reçoit cette terrible réponse :
Insensé ! ne me parle plus de rançon ; mets fin à
d'inutiles harangues. Avant que Patrocle succombât à sa cruelle destinée, je me plaisois à épargner
les Troyens. Réduits en captivité par les loix de
la guerre, je les vendois, et leur permettois de se
racheter. Maintenant aucun d'eux, sur-tout aucun
des fils de Priam qu'un dieu livrera entre mes
mains sous les murs dllion, n'échappera au trépas :
cesse de me fatiguer par tes larmes. Celui que j'aimois, Patrocle est mort, Patrocle qui valoit beaucoup mieux que toi. Tu vois quel je suis; tu connois la gloire de mon père; une déesse me conçut
dans son sein; mon courage, la majesté qui m'environne, se manifestent à tes yeux : et cependant
6o
L'ILIADE,
le glaive de la mort est suspendu sur ma tête. Demain, ce soir, peut-être en ce moment, un Troyen
me percera de son javelot,.un traître décochera
sur moi une flèche meurtrière.
11 dit. Les genoux de Lycaon ne peuvent le soutenir; son cœur est abattu : le javelot du fds de Pelée échappe de sa main, il tombe les bras élevés
vers le ciel. Achille, tirant sa redoutable épée, le
irappe dans la gorge au-dessus de la clavicule, retend sur la terre couvert d'une profonde poussière qu'il imbibe de son sang. Le prenant par les
pieds, Achille l'élevé, le précipite dans le fleuve,,
insulte à son malheur:
Que l'humide élément, séjour des poissons, soit
ton tombeau, dit-il. Ils boiront ton sang : ta mère
ne te placera point sur le lit funèbre; ta cendre ne
sera point arrosée de ses larmes. Le Scamandre,
roulant ton corps dans ses flots tortueux, te portera au sein des mers; les- poissons, déchirant tes
membres délicats, bondiront à la surface de l'onde.
En vain, ô Troyens, vous essayez m'échapper par
une fuite honteuse : je vole sur vos pas ; vous tomberez sous les coups de mon javelot : la terre sera
imbibée de votre sang, jusqu'à ce que nous ayons
réduit en cendres la grande cité d'Ilion. Ni la largeur de votre fleuve, ni ses circuits tortueux, ni la?
CHANT XXL
6i
profondeur de son onde argentée, ni les taureaux
que vous immolez sur ses rives, ni les coursiers
que vous précipitez vivants dans ses ondes, ne
vous déroberont à ma haine ; vous périrez tous.
Ainsi sera vengée la mort de Patrocle, et celle de
tant de héros dont vous avez versé le sang soûs lespouppes de nos vaisseaux, tandis que mon fatal
courroux me tenoit éloigné de ces combats meurtriers.
11 dit. Le dieu du fleuve, irrité , médite en luimême par quels moyens il pourra écarter de ses
rives le divin iîls de Pelée, et porter secours aux
Troyens. Armé du redoutable javelot, Achille s'élance sur Astéropée fils de Pélégonus, que le grand
fleuve Axius eut d'un commerce secret avec Péribée, l'aînée des filles d'Acessamene. Achille a vu
ce héros s'élancer hors du fleuve; il le poursuit
dans la plaine. Astéropée s'arrête ; deux javelots
sont dans ses mains. Indigné de cette multitude de
Troyens que l'implacable vengeance du fils de
Pelée précipite dans ses ondes, le dieu du Xanthe
souffle le courage dans l'ame du fils de Pélégonus.
Le javelot tendu, l'œil en feu, les deux héros s'avancent l'un sur l'autre. Adressant le premier la
parole à son ennemi :
Ù toi dont la témérité me provoque au combat,
62
L'ILIADE,
s'écrie Achille, qui es-tu? Quelle est ton origine?
Malheureux sont les pères dont les iils affrontent
mon courroux!
Achille, répond Astéropée, que t'importe de
connoître mon origine? Je naquis loin de ces rives
dans la riche Péonie; je commande aux valeureux
Péoniens : les flambeaux de l'aurore ont éclairé
onze fois la terre, depuis que je suis arrivé au se^
cours d'Ilion. Le vas te Axius, qui surpasse tous les
fleuves par la limpidité de ses ondes, est mon aïeul,
Pélégonus son fils me donna le jour. Combattons
maintenant, illustre fils de Pelée.
Irrité de son orgueil, Achille élevé l'arme meuiv
trière. Astéropée lance dans le môme instant ses
deux javelots; car il se servoit également des deux
mains. L'un atteint le bouclier d'Achille, présent
des dieux, et s'arrête dans la lame d'or de ce solide
bouclier; la pointe aiguë est émoussée : l'autre effleure la main droite du fils de Pelée; un sang noir
coule de la plaie; l'arme meurtrière vole et s'enfonce dans la terre. Impatient de frapper, Achille
lance le pesant javelot; il s'égare, s'enfonce profondément dans la rive escarpée. Le fils de Pélé^
gonus fait effort pour s'en saisir; trois fois il l'agite
puissamment et ne peut le détacher. Tandis qu'il
fente un quatrième effort, Achille plonge son glaive
CHANT
XXI.
63
dans le flanc de son ennemi. Les entrailles déchirées tombent à terre, les ombres de la mort s'étendent sur ses yeux, son ame s'exhale dans les airs. Le
fils de Pelée s'empare de ses armes, et triomphe:
Meurs, lui dit-il; apprends qu'il est dangereux
aux enfants des fleuves de se mesurer contre les
descendants du fils de Saturne. Tu te vantes d'être
issu d'un grand fleuve : je me glorifie d'être de la
race de Jupiter; Eacus mon aïeul, le pur sang de
Jupiter, régna sur les nombreux Thessaliens ; il
donna le jour à Pelée mon père. Autant Jupiter
l'emporte sur les divinités des fleuves dont les
ondes se perdent dans le vaste des mers, autant la
race du fils de Saturne l'emporte sur celle des descendants des fleuves. Que le Xanthe, sur les rives
duquel tu as combattu, essaie de te venger; ou plutôt qu'il redoute de s'engager dans un périlleux
combat contre le fils de Saturne. Quand le tonnerre
gronde, que la foudre éclate, le roi des fleuves,
l'Achéloùs lui-même frémit, l'Océan tremble,
l'Océan dont tous les fleuves, dont toutes les sources, dont tous les lacs tirent leur origine.
11 dit; et arrachant sans peine son javelot enfoncé dans la berge, il laisse le corps sanglant d'Astéropée étendu sur le sable : l'onde baigne sa plaie;
les poissons nagent alentour; ils s'abreuvent de
64
L'ILIADE,
son sang, se nourrissent de sa chair. Le fils de Pelée s'élance sur les valeureux Péoniens. Ils ont vu
tomber leur roi; effrayés, ils parcourent dans leur
fuite précipitée les bords tortueux du Xanthe.
Achille les poursuit; Thersiloque, Mydon, Astypyle, Mnésus, Thrasius, Anius et Ophéleste,
tombent sous ses coups. Grand nombre d'autres
eussent mordu la poussière, si la voix du Xanthe
irrité ne se fût fait entendre de ses profonds abymes : Cruel Achille! tu abuses de taforce, tu abuses
de la protection des dieux. Si le iils de Saturne t'a
livré tous les Troyens, si aucun d'eux ne doit
échapper à ta fureur, repousse-les dans la plaine;
épargne à mes yeux cet horrible spectacle. Mon
onde paisible, mes bords riants sont couverts de
cadavres : cette digue affreuse arrête le cours de
mes flots et m'empêche de porter à la mer le tribut de mes ondes. Fils de Pelée, insatiable de
sang, aucun n'échappe à ta vengeance; je ne peux
te regarder sans horreur. Roi d'un grand peuple,
mets un terme à ton courroux.
Divin Scamandre, lui répond Achille, un jour
viendra que tes désirs seront satisfaits. En ce moment je ne cesserai de répandre le sang, que je n'aie
repoussé les Troyens dans leurs murs, que je n'aie
mesuré mes forces contre Hector, qu'il n'ait versé
CHANT
XXI.
65
tmon sang ou que je ne l'aie abattu à mes pieds.
Il dit; et, semblable à un dieu, il s'élance sur les
Troyens. Le fleuve profond adressant la parole à
• Apollon:
O toi, dit-il, que ton arc d'argent distingue entre
tous les immortels, fils de Jupiter, est-ce ainsi que
tu exécutes les ordres de ton père? Le fils de Saturne te chargea de porter secours aux Troyens,
jusqu'à ce que le soleil plongeât dans l'Océan, que
la nuit étendît ses voiles sur la terre.
. Il parloit encore, quand, du sommet de la rive,
Achille, agitant son pesant javelot, se précipite
dans les flots. A cette vue le Xanthese trouble :
ses ondes amoncelées repoussent sur leurs rives
cette foule de morts que le fils de Pelée a immolés
à sa vengeance. Mugissant comme un taureau en
fureur, le fleuye s'empresse de cacher les Troyens
dans les antres qui environnent ses gouffres tortueux ; il en dérobe un grand nombre au trépas.
L'onde écumeuse enveloppe Achille, se brise contre son bouclier, s'amoncelle, retombe, l'ébranlé.
Un peuplier élevoit sa tête altiere au-dessus des
rives du fleuve ; Achille s'en saisit, s'attache à ses
branches, l'entraîne avec ses racines et la berge
sur laquelle il a crû : son épais feuillage, son tronc,
sa tige «levée, son vaste branchage arrêtent l'im4.
9
66
L'ILIADE,
pétuosité du Xanthe ; le iils de Pelée s'en serE
comme d'un pont pour traverser, non sans effroi,
l'onde écumeuse. Le rapide Xanthe le poursuit;
il s'élance de ses gouffres profonds, se précipite du
sommet des montagnes pour protéger les Troyens.
L'impétueux Achille franchit d'un saut léger autant d'espace qu'en parcourt un javelot lancé par
un bras nerveux; ses yeux sont aussi perçants, son
vol aussi rapide que celui de l'aigle, le plus léger,
le plus fort des oiseaux de proie ; l'airain résonne
sur son corps. Il combat contre le fleuve qui l'entraîne, fait effort pour gagner la plaine; le Xanthe
le poursuit avec un horrible fracas : ainsi l'on voit
dans les jardins l'eau d'un étang qu'une pente hardie favorise surmonter les obstacles que les sillons
lui opposent, et prévenir l'actif cultivateur qui, la
bonde à la main, dirige son cours pour abreuver
les fleurs et les fruits que l'ardeur du soleil a desséchés ; les cailloux agités murmurent : telle l'onde
écumeuse poursuit et atteint le léger Achille ; car
les dieux sont plus forts que les mortels. Quand
le fils de Pelée tente de résister à l'impétuosité des
torrents, afin d'éprouver si quelque divinité ne
viendra point à son aide, si tous les habitants du
vaste Olympe ont résolu son trépas, les flots écumeux du fleuve issu de Jupiter s'amoncellent sur
CHANT
XXI.
67
ses épaules. Lorsqu'épuisé de fatigue il rassemble
«es forces pour s'élever à la surface de l'onde , le
fond lui manque, le fleuve lui oppose un.obstacle qu'il ne peut surmonter. Elevant les yeux au
ciel, poussant de profonds soupirs :
Ô Jupiter, dit-il, aucun des immortels ne prendra-t-il pitié de moi, ne me protégera-t-il contre
ce fleuve irrité ? Je me soumets à tous les travaux
que les dieux voudront m'imposer. Aucun des
immortels ne me trompa aussi cruellement que
ma mère : «Ta vie sera courte, me disoitThétis;
<c Apollon te percera de ses flèches sous les murs
« de Troie ». Que n'ai-je succombé sous les coups
d'Hector, le plus courageux des Troyens! Un héros m'eût précipité dans les sombres demeures,
un héros eût recueilli ma dépouille mortelle. Maintenant, englouti sous les ondes du Scamandre, je
péris sans gloire comme un vil pâtre, en traîné dans
la saison des pluies par un torrent qu'il ne peut
franchir.
Il dit. Sous la forme de deux mortels, Neptune
et Minerve s'approchent, le soulèvent dans leurs
bras, raniment son courage. Le dieu qui ébranle
la terre, Neptune, lui adressant la parole :
Fils de Pelée, lui dit-il, que l'impétuosité de ce
fleuve ne porte pas le trouble dans ton ame : deux
68
L'ILIADE,
divinités volent à ton aide; Jupiter approuve nos
projets. Prends confiance : je suis Neptune; Minerve m'accompagne. Ce n'est pas dans les ondes
du Xanthe que le Destin a fixé le terme de ta vie :
tu ne tarderas pas à voir la fureur de ce fleuve se
calmer, ses eaux s'écouler. Grave mes conseils dans
ta mémoire. Ne cesse de poursuivre l'ennemi que
tu n'aies versé le sang d'Hector, et forcé ceux des
Troyens qui échapperont au trépas de chercher un
asyle dans leurs murs : ne retourne aux vaisseaux
que couvert de la gloire immortelle dont nous aurons comblé tes vœux.
Ainsi parlent Neptune et Minerve, et ils disparoissentpour se confondre parmi les dieux protecteurs des Grecs. Affermi par cet oracle favorable,
le fils de Pelée s'élève au-dessus de la surface de
l'onde, et s'élance dans la plaine. Le Scamandre
débordé, roulant dans ses flots les armes, les corps
sanglants des Troyens, le couvre de ses ondes : ni
la rapidité, ni l'énorme largeur de ce fleuve, ne
peuvent l'arrêter; Minerve accroît ses forces. La
résistance ajoute à la fureur du Xanthe; ses flots
s'amoncellent rélevant la voix, il appelle le Simoïs:
O mon frère, lui dit-il r réunissons nos forces
pour contenir ce héros audacieux, le fléau des
Troyens trop foibles pour lui résister : bientôt il
C H A N T ' XXL
69
réduiroit en cendres la ville de Priam. "Viens à mon
aide, ô mon frère! Que les eaux de toutes les sources qui nous apportent leurs tributs se confon-"
dent : rompons leurs digues, épuisons les ruisseaux, tarissons les fontaines; qu'elles emplissent
nos vastes canaux, que nos flots accumulés débordent avec un horrible fracas ; déracinons les arbres j
entraînons etleurs troncs et les rochers; réprimons
l'orgueil de ce mortel qui marche contre Troie
avec la fierté d'un dieu. Ni sa beauté, ni sa force
invincible, ni sa brillante armure, ne le déroberont
à l'impétuosité de nos ondes réunies; je le couvrirai de mes sables; les Grecs ne pourront rassembler ses os surchargés de mon épais limon. Tel esE
le trophée que je lui prépare, au lieu du superbe
monument que les enfants de la Grèce lui eussent
élevé.
Il dit. Les ondes écumeuses et sanglantes, roulant les cadavres dans leurs flots azurés, fondent
sur Achille avec un bruit affreux, s'élèvent audessus de sa tête, le couvrent en entier. Junon frémit dans la crainte que la rapidité du fleuve ne
l'entraîne; la déesse jette un cri perçant. Adressant
la parole à son fils Vulcain :
Boiteux Vulcain, mon cher fils, dit-elle, levétoi : réprime la fureur du, tortueux Xanthe ; que des
7o
L'ILIADE,
torrents de flamme sèchent ses flots. J'exciterai
une violente tempête: à ma voix le vent d'est, l'impétueux vent du midi, accourant du sein des mers,
porteront les feux sur la tête des Troyens, consumeront leurs corps et leurs armes. Qu'un vaste incendie s'étende dans les forêts voisines des rives
de ce fleuve ; ne te laisse fléchir ni par prières ni
par douces paroles, que tu n'aies rappelle dans leur
lit les flots tumultueux: attends, pour éteindre tes
feux, les ordres que je te donnerai du sommet des
montagnes.
Elle dit. Vulcain allume un vaste incendie : des
tourbillons de flammes fondent dans la vallée, et
consument cette foule deTroyens qu'Achille a précipités dans la nuit du tombeau. La plaine est desséchée; les ondes du fleuve, rappellées dans leur lit,
reprennent leur limpidité. Tel, dans la saison de
l'automne, le souffle impétueux de Borée dessèche un fertile verger que les orages avoien t inondé,
et porte la joie dans l'ame du cultivateur: telle est
cette vaste plaine que couvroient les eaux du
Xanthe. Vulcain, lançant ses feux sur la surface de
l'onde, consume les ormes, les saules, les bruyères,
les lotos, les cyprès, les joncs marécageux qui bordent les rives fleuries du Xanthe; les poissons, les
folâtres anguilles, qui bondissoient à la surface de
CHANT
XXL
j\
l'onde, dans les replis de ce fleuve tortueux, languissent et meurent. Épuisé par la flamme dévorante de Vulcain, le dieu du fleuve s'écrie :
O Vulcain, aucun des immortels ne résiste à ta
puissance. Je ne combattrai pas contre tes feux;
appaise ton courroux : que le divin Achille chasse
dès ce jour les Troyens de leur puissante cité, je
cesse de les défendre ; j'abandonne un combat
trop inégal.
Ainsi parle ce fleuve consumé par les feux de
Vulcain. Ses ondes bouillonnent comme la graisse
d'un porc enfermée dans un vase d'airain qu'enveloppe la flamme d'un brasier entretenu par une
immense quantité de bois sec ; telles brûlent les
rives du Xanthe, telle son onde frémit et bouillonne. Son cours est ralenti : pénétrées par la force
indomtable du feu, ses eaux s'exhalent en vapeurs.
Il adresse à Junon cette humble prière :
O Junon, quel forfait m'a attiré la haine de ton
fils? qui l'engage à suspendre le cours de mes
ondes ? Mon crime est-il plus grand que celui des
autres divinités protectrices des Troyens? Je les
abandonne puisque tu l'exiges : que Vulcain cesse
de me poursuivre ; je te promets avec serment que
mes utiles secours ne déroberont plus les Troyens
au trépas, lors même que les enfants de la Grèce
72
L'ILIADE,
réduiront en cendres la puissante cité d'Ilion.
Il dit. Se confiant aux promesses du dieu du
fleuve, Junon aux mains d'albâtre, adresse la parole
à son fils :
O Vulcain, généreux enfant auquel j'ai donné
le jour, arrête : un dieu ne doit pas être tourmenté
ainsi pour des mortels.
Elle dit. Vulcain éteint ses feux : le fleuve resserré dans son lit parcourt en paix ses rives brillantes. Junon, ayant domté l'impétuosité du Xanthe, cimente, malgré la haine qu'elle porte aux
Troyens, un heureux accord entre ce dieu et son
fils Vulcain.
Cependant l'affreuse Discorde règne parmi les
habitants de l'Olympe. Les deux bandes des divinités protectrices des Grecs, protectrices des
Troyens, se lèvent avec précipitation, marchent
l'une contre l'autre : la terre gémit sous leurs pas ;
le son éclatant de la trompette retentit sur la voûte
éthérée. Assis au sommet de l'Olympe, Jupiter
entend ce bruit affreux ; la division qui règne entre
les immortels porte la joie dans son ame. Un court
espace sépare les deux partis. Mars, dont le bras
d'airain brise les boucliers, donne le premier le
signal du combat. Le javelot tendu, il s'élance
sur Minerve, adressant à la déesse ces reproches
amers ;
CHANT
XXI.
73
Audacieuse divinité, qui semés ladiscorde parmi
les dieux, est-ce par de tels exploits que tu prétends signaler ton courage? Qu'il te souvienne des
conseils impies que tu donnas à Diomede iils de
Tydée. Ton bras dirigea le javelot qu'il lança sur
moi. J'ai cette confiance que tu porteras en ce
moment la peine due à tes forfaits.
Il dit, et s'efforce de percer la terrible égide
qu'environnent des franges innombrables, que la
foudre même de Jupiter ne peut pénétrer. La
déesse ébranlée recule, saisit d'un bras nerveux
une roche noire, raboteuse, d'un poids énorme,
enfoncée profondément dans la terre, borne antique des héritages ; lançant ce roc avec force, elle
atteint dans l'échiné le dieu de la guerre : il tombe
renversé; son corps couvre sept arpents, sa vaste,
chevelure est souillée, l'horrible fracas de ses
armes retentit au loin. Minerve triomphe :
Insensé, dit-elle, reconnois enfin la supériorité
de mes forces. Telle est la peine que t'imposent
les furies vengeresses que ta mère invoqua dans sa
colère, le jour qu'abandonnant le parti des Grecs,
tu secourus les perfides Troyens,
Elle dit, et détourne ses yeux étincelants de
fureur, Vénus, la fille de Jupiter, s'approche de
l'homicide Mars qui a peine à respirer : lui tendant
4.
10
74
L'ILIADE,
la main, elle rappelle ses esprits, le relevé, l'emmené. Junon les voit fuir; adressant la parole à
Minerve :
Fille du dieu qui lance le tonnerre, lui dit-elle,
l'adultère Vénus soustrait l'homicide Mars au tumulte des armes; poursuis-les, ô ma fille !
Elle dit: la joie éclate dans les yeux de la déesse
de la sagesse; elle vole sur les pas de Vénus et de
Mars, comprime de sa main puissante le sein de la
déesse de la beauté : les genoux de Vénus fléchissent, elle tombe évanouie, et Mars à ses côtés,
étendus l'un et l'autre sur la terre nourrice des
mortels.
Que tous les dieux protecteurs des Troyens,
qui combattent contre les magnanimes enfants de
la Grèce, s'écrie la superbe Minerve, ne sont-ils
aussi courageux, aussi patients qu'Aphrodite, qui,
bravant mon courroux, est accourue au secours de
Mars ! Depuis long-temps nous eussions ravagé la
grande cité d'Ilion et mis fin à cette guerre.
Elle dit : la déesse aux bras d'albâtre, Junon,
sourit. Neptune qui ébranle la terre, adressant la
parole à Apollon :
Apollon, lui dit-il, demeurerons-nous spectateurs oisifs de ces combats? Il seroit honteux pour
nous de remonter dans le palais d'airain de Jupiter,
C H A N T XXI.
75
sans y avoir pris part. Commence ; car tu es le
plus jeune. Ayant sur toi l'avantage d'une longue
expérience, la victoire seroit peu glorieuse, si je
lançois le premier mon javelot. Insensé ! ne te
souvient-il plus des maux que seuls entre tous les
immortels nous souffrîmes dans cette cité perfide ? Exilés de l'Olympe par l'ordre de Jupiter,
nous fûmes contraints de louer nos services pour
une année à l'injuste Laomédon. Nous convînmes
de prix avec lui. Soumis aux ordres de ce mortel,
je lui bâtis la ville qu'il fondoit, j'élevai ses remparts, mes mains construisirent la haute muraille
qui l'environne, je la rendis inexpugnable, tandis
que, sous l'habit d'un vil pâtre, tu veillois à la
garde de ses bœufs dans les profondes vallées et
les vastes forêts de l'Ida. Quand les saisons, les
mois, les heures furent révolues, que l'époque
de notre paiement fut arrivée, le perfide Laomédon nous refusa le salaire qui nous étoit dû, nous
chassa de sa présence, osa te menacer de resserrer
tes pieds et tes mains en d'indignes fers, de te
vendre comme un vil esclave dans une terre étrangère, de nous mutiler ignominieusement l'un et
l'autre. Enflammés d'un juste courroux, privés du
salaire qui nous fut promis, une fuite honteuse fut
notre récompense ; et maintenant tu protèges ce
76
L'ILIADE,
peuple, et refuses de te joindre à nous pour exterminer les perfides Troyens, leurs femmes, leurs
enfants!
ô Neptune, répond le dieu qui lance au loin
ses invincibles traits, je ne serois pas sage à tes
yeux, si l'intérêt de vils mortels, qui, semblables
aux feuilles des arbres, brillent d'un éclat passager, se nourrissent un jour des dons de Cérès, se
flétrissent le lendemain et disparoissent de dessus
la terre, m'engageoit dans un périlleux combat
contre toi : terminons ces débats, souffrons que
les hommes se détruisent sans nous mêler de leurs
querelles.
Il dit, et reprend le siège qu'il a quitté; car il
craint de lutter contre son oncle Neptune. Sa sœur
là chasseresse Artémise lui adresse ces reproches
amers :
Tu fuis, ô Apollon, abandonnant à Neptune
une trop facile victoire ! le dieu de la mer triomphe
de toi sans combat ! Lâche ! quitte cet arc, brise
ces flèches inutiles dans tes mains ; cesse de te
vanter, comme tu faisois autrefois dans le palais
de notre père, en présence de tous les immortels,
de combattre seul le dieu de la mer, de réprimer
ses fureurs.
Elle dit. Apollon fuit sans lui répondre. La*
C H A N T XXI.
j7s
respectable épouse de Jupiter, que ce discours
irrite, adresse à la chasseresse Artémise ces dures
paroles:
Audacieuse déesse, qui oses lever contre moi
• l'étendard de la révolte, ni ton arc ni tes flèches ne.
pourront te soustraire à ma vengeance. Si Jupiter,
te donna la force du lion, poursuis au sommet des
montagnes les cerfs, les daims timides; précipite
les mortels dans les sombres demeures ; telles sont
les limites de ton pouvoir: mais n'entreprends pas
de disputer la victoire à des divinités plus puissantes que toi. Que dis-je? ose l'essayer, ose mesurer tes forces contre les miennes.
Elle dit ; et saisissant d'une seule main les deux
mains de la déesse, de la droite elle la contient,
de la gauphe elle détache son carquois, meurtrit
ses joues, l'outrage avec un rire moqueur. Les flèches de Diane tombent éparses sur la terre ; elle
fuit versant des larmes ameres : telle une timide
colombe fuit à l'aspect de l'épervier, heureuse de
trouver, quand son heure fatale n'est point arrivée,
un asyle dans l'antre obscur d'une roche profonde ; ainsi fuit Artémise éplorée, abandonnant
son arc et ses flèches.
Témoin de ce combat, le messager des dieux,
Mercure, adresse la parole à Latone:
7%
L'ILIADE,
Latone, lui dit-il, je n'essaierai pas de lutter
contre toi ; il est dangereux de disputer la victoire
aux épouses du dieu qui assemble les nues. De
retour sur l'Olympe, vante-toi, si tu veux, à la
face des immortels, que ton bras a triomphé de
mon courage.
: Il dit. Latone, rassemblant dans la poussière
les flèches de sa fille que le vent a dispersées, les
replace dans le carquois, suit sa fille sur l'Olympe
dans le palais d'airain de Jupiter. Honteuse, désespérée , Artémise embrasse les genoux de son
père : des larmes ameres coulent de ses yeux ; ses
fréquents soupirs agitent le voile immortel qui la
couvre. Son père, le fils de Saturne, la serrant
dans ses bras, l'interroge avec un doux sourire:
Ma chère fille, lui dit-il, lequel des habitants
de l'Olympe a osé t'outrager, comme si tu avois
commis quelque éclatant forfait?
Ton épouse, ô Jupiter, lui répond la chasseresse
Artémise, Junon aux mains d'albâtre, qui semé la
discorde entre les dieux.
Tels sont leurs entretiens dans le palais de Jupiter. Cependant Apollon pénètre dans Ilion ; car
il craint que dès ce jour, contre l'ordre du Destin,
les Grecs ne renversent la haute muraille de Troie.
Les autres divinités remontent sur l'Olympe : les
CHANT
XXI.
79
unes irritées et confuses, les autres triomphantes;
toutes prennent place autour du trône du dieu qui
lance le tonnerre.
Mais Achille poursuit les Troyens dans la plaine :
hommes et chevaux tombent sous ses coups. Semblables aux tourbillons de fumée qui s'élèvent dans
le vague de l'air, de l'incendie d'une grande cité,
effet terrible du courroux des dieux; tels, sous les
bras d'Achille, les travaux, les douleurs accablent
les Troyens. Du sommet de la haute tour d'Ilion,
le vieux Priam voit l'indomtable fils de Pelée qui
poursuit les siens dans la plaine : aucune force
humaine ne peut le repousser. Effrayés, ils se précipitent en foule sur les portes, cherchant un asyle
dans leurs murs. Priam, poussant de profonds soupirs , se hâte de descendre de la tour pour donner
ses ordres aux gardes des portes.
Tenez, leur dit-il, les portes ouvertes, jusqu'à
ce que l'armée que le fils de Pelée resserre sous
nos remparts, soit à l'abri de nos murailles ; car je
prévois un affreux carnage. Quand les Troyens
égarés, poursuivis par Achille, commenceront à
respirer, fermez les portes, abaissez les leviers ;
ajoutez à leur solidité, dans la crainte que ce terrible ennemi ne les brise.
Il dit. Les gardes relâchent les leviers, les portes
8a
L'ILIADE,
s'ouvrent. Ce fut le salut des Troyens. Apollon
vole à leur aide. Accablés de poussière, essoufflés,
haletants, dévorés d'une soif ardente, ils fuient:
Achille les poursuit le javelot tendu, la fureur dans
l'ame. Dès ce jour les Grecs se fussent emparés de
la ville de Priam, si le dieu qui lance au loin ses
flèches invincibles n'eût suscité contre eux le fils
d'An ténor, le vaillant Agénor. Appuyé contre le
grand chêne, couvert d'une nuée épaisse, Apollon
souffle dans l'ame de ce héros un intrépide courage ; il est à ses côtés, repousse les coups que les
mains pesantes d'Achille s'efforcent de lui porter.
A la vue du fils de Pelée, le destructeur des cités,
le fils d'Anténor s'arrête : diverses pensées semblables aux flots de la mer se combattent dans son
esprit ; il soupire :
Malheureux! se dit-il à lui-même, si je m'efforce
de fuir par cette route que couvre un peuple immense de Troyens effrayés, le fils de Pelée m'atteindra ; il me percera de son javelot sans éprouver
de résistance; ma mort sera honteuse. Si, me séparant de la foule, j'abandonne les murailles de
Troie, traversant la plaine d'une course rapide ,
cherchant un asyle dans nossomr^e^vallées, dans
les sentiers tortueux de l'Ida, j'étancherai ma soif
dans le fleuve, et rentrerai dans la ville quand la
«r
CHANT
XXI.
81
nuit couvrira le ciel de son ombre. De quelles pensées s'occupe mon esprit ! Achille me verroit fuir;
il fondroit sur moi, m'atteindroit par la rapidité de
sa course : je ne pourrais échapper au trépas ; car il
est le plus léger, le plus fort des mortels. Qu'armé
du pesant javelot, j'ose marcher contre lui sous les
murs de ma patrie, je pourrai le prévenir. En ce
moment Jupiter lui donne la victoire : mais il n'a
qu'une vie ; on dit qu'il est mortel comme nous.
Il dit; et 6e retournant, il attend Achille de pied
ferme. Soncourage s'enflamme : combattre Achille,
vaincre ou mourir, est l'objet de ses vœux. Telle,
au fond d'un bois épais, une panthère furieuse,
intrépide, s'élance sur une troupe de chasseurs ; les
flèches, les longs épieux, les pesants javelots, fondent sur elle ; ses blessures accroissent sa fureur ;
de toutes parts elle présente aux ennemis et des
ongles crochus et une gueule enflammée, jusqu'à ce
qu'enveloppée elle tombe sous leurs coups:ainsi le
valeureux iîls d'Anténor, le javelot tendu, couvert
de son vaste bouclier, tient ferme, impatient de
combattre Achille. Élevant la voix, il l'appelle :
O Achille, lui dit-il, tu te flattes du vain espoir de dévaster en ce jour la puissante cité des
Troyens. Insensé ! des maux que tu ne prévois pas
t'attendent dans ces murs; des peuples nombreux,
4-
11
82
L'ILIADE, C H A N T XXI.
de vaillants guerriers combattront sous les yeux de
leurs femmes, de leurs enfants, dont le désespoir
accroîtra la fureur : malgré ton intrépidité, tu
trouveras la mort sous nos remparts.
Il dit; et lançant le pesant javelot, il atteint
Achille à la jambe au-dessous du genou; la pointe
aiguë heurte avec fracas l'étain solide des immortels brodequins: mais les présents des dieux lui résistent. Achille fond sur le divin Agénor. Apollon
ne souffre pas qu'il remporte la victoire ; enveloppant d'un nuage épaisle fils d'Anténor, il le dépose
dans un asyle sûr, loin des fureurs de la guerre, et
écarte, par un adroit stratagème, le fils de Pelée
des murs de Troie. Prenant la forme, la taille, les
traits, la ressemblance d'Agénor, le dieu qui lance
au loin ses flèches fuit à travers la plaine : Achille
poursuit l'image trompeuse de son ennemi. Apollon hâte ou ralentit sa course, suivant qu'il le juge
convenable pour fortifier l'espoir du fils de Pelée,
accroître son ardeur, le fatiguer dans les contours
du tortueux Scamandre. Cependant les Troyens
effrayés se précipitent en foule dans la ville ; la terreur ne leur permet ni de s'attendre, ni de se reconnoître : tous ceux que la fuite a dérobés au trépas, saisissent avec transport la voie de salut qui
leur est offerte ; ils se répandent dans la grande
cité d'Ilion.
L" I L I A D E.
C H A N T XXII.
ARGUMENT.
L i seul Hector demeure hors des murs de Troie. Priam et Hécube
font de vains efforts pour lui persuader de rentrer dans la ville. Il attend Achille de pied ferme : mais bientôt mis en fuite par le fils de
Pelée, il est contraint de parcourir jusqu'à trois fois toute l'enceinte
extérieure des murailles de sa patrie. Jupiter suspend ses éternelles
balances ; le destin d'Hector se précipite : le dieu qui règne sur l'Olympe ordonne à Apollon dfabandonner la sanglante arcne. Minerve t
sous la forme de Déiphobus, frère d'Hector, lui persuade de provoquer Achille au combat ; et aussitôt la déesse l'abandonne pour secourir Achille* Mort d'Hector : Achille le traîne autour des murs d e
Troie, et de là dans le camp des Grecs. Deuil affireux dans Troie*
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353
L'ILIADE.
CHANT
XXIL
Hector poursuivi par Achille fait trois fois le tour des
murs de Troie, et tombe sous les coups du fis de
Pelée. .
•
I à N D I S que les Troyens fuient comme des faons
timides ; que, resserrés dans leurs murs, défendus
par leurs remparts, ils étanchent leur sueur, appaisent leur soif ardente : les Grecs, portant leur?!
boucliers sur leurs épaules, marchent à grands pas»
contre Troie ; déjà ils sont aux pieds des remparts*
Hector seul, enchaîné par son funeste destin, demeure hors des muFS, devant là porte Scée. En ce&
instant Apollon se découvre à Achille.
Fils de Pelée, lui dit-il, quelle aveugle confiance dans la rapidité de ta course t'attache sur
mes pas? Je suis un dieu : f ai dérobé ma divinité à
ta vue mortelle pour donner le change à ta fureur*
Les Troyens, qui fuyoient devant toi, sont maintenant en sûreté dans leurs murailles. Cesse de te
86
L'ILIADE,
flatter d'un vain espoir : la mort n'a point de prise
sur moi.
Divinité cruelle entre tous les immortels, répond le léger Achille poussant un profond soupir,
ô Apollon qui lances au loin tes invincibles traits,
si cette fatale erreur ne m'eût écarté des remparts,
grand nombre de Troyens eussent mordu la poussière avant de se renfermer dans leurs murs. Tu
m'enlèves une gloire immortelle ; à l'abri du danger , tu remportes sur moi une facile victoire : je
me vengerois s'il étoit en mon pouvoir.
Il dit ; et méditant de grands projets, il vole
contre Troie avec autant de rapidité qu'un coursier vigoureux, vainqueur dans les combats du cirque, s'élance sous le char qu'il entraîne : tel Achille
développe avec souplesse et légèreté ses jarrets
nerveux. Le vieux Priam l'apperçoit le premier
dans la plaine. L'éclat qui l'environne le fait aisément reconnoître : ainsi brille sur la voûte éthérée,
pendant les nuits d'automne, l'astre brûlant qu'on
nomme le chien d'Orion ; les rayons qu'il darde
effacent la splendeur des étoiles, sinistre présage
des feux de l'été, des fléaux prêts à fondre sur les
malheureux mortels : tel l'airain dont le fils de
Pelée est couvert brille pendant cette course rapide. A cette vue le vieux Priam meurtrit ses joues,
CHANT
XXIÏ.
Z7
pousse de profonds soupirs, élevé ses mains au
ciel, appelle son fils, le vaillant Hector, qui, impatient de se mesurer contre Achille, se tient devant la porte Scée. Étendant vers Hector ses bras
défaillants, Priam lui parle ainsi :
Hector, mon cher fils, n'entreprends pas seul,
séparé des tiens, de combattre Achille. La mort
seroit la peine de ta témérité ; car le fils de Pelée
est plus fort que toi. Si les dieux conspiroient avec
ma haine, bientôt nous le verrions, étendu sur
l'arène, devenir la proie des vautours : mon cœur
seroit soulagé du poids énorme qui l'accable. Le
cruel ! il me ravit tous mes valeureux enfants, versa
le sang des uns, vendit les autres dans une terre
étrangère. En ce moment mes regards ne peuvent
découvrir parmi les Troyens errants dans cette
vaste cité deux de mes fils,Lycaon et Polydore,
que j'eus de Laothée, la plus belle des femmes.
S'ils existent captifs dans le camp des Grecs, je
n'épargnerai ni l'or ni l'airain pour les racheter ;
car les immenses trésors que l'illustre Altée donna
à sa fille sont renfermés dans mon palais. S'ils habitent les sombres demeures, leur mort sera pour
moi, pour leur tendre mère, une source éternelle
de larmes, moins funeste toutefois, moins douloureuse aux Troyens que la tienne, ô mon £d$
88
L'ILIADE,
Hector, si tu tombois sous le javelot d'Achille :
Rentre dans nos murs ; défends les Troyens et
leurs chastes épouses ; redoute le terrible javelot
du fils de Pelée, ne souffre pas qu'il remporte une
telle victoire. Prends pitié de ton malheureux père
courbé sous le poids des ans, que le fils de Saturne
précipitera bientôt dans la nuit du tombeau. Dans
peu la Parque cruelle tranchera le fil de mes jours ;
épargne à mes yeux l'affreux spectacle de la mort
de mes fils, de la captivité de mes filles, de nos
lits profanés, des fils de mes enfants écrasés contre
la pierre dans ce carnage affreux, des épouses de
mes fils réduites à l'esclavage, entraînées avec violence par les enfants de la Grèce ; tandis que ,
percé d'un javelot ou d'une flèche homicide, expirant dans l'enceinte de mon palais, les chiens,
que je nourris de ma table, qui veillent à l'entrée
de l'auguste demeure des rois, dont la soif assouvie
de mon sang accroîtra la rage, rassasiés de mes
membres qu'ils auront déchirés , dormiront en
paix aux portes de mon palais. La mort est glorieuse pour un jeune héros qui balance la victoire
dans un sanglant combat, et succombe sous le javelot de l'ennemi. Que lui importe que sa dépouille mortelle demeure sur le champ de bataille?
tout est honorable pour lui. Mais un vieillard in-
CHANT
XXII.
89
fortuné, à qui il reste à peine quelques cheveux
blanchis par les ans, dont le menton porte des
marques trop sensibles de l'injure du temps, tombant sans défense sous l'airain meurtrier, traîné
sur la poussière, déchiré par les chiens qu'il a
nourris, est un spectacle affreux, horrible image
des maux les plus cruels qui accablent les humains. .
Il dit, arrache ses cheveux épars, et ne peut
ébranler l'intrépide Hector. Sa mère déchire ses
vêtements, verse des larmes abondantes, lui montre
le sein qui l'a nourri.
Hector, mon cher fils, lui dit-elle, que cet
affreux et trop véritable tableau des maux prêts
à fondre sur nos têtes fasse impression sur ton
esprit. Prends pitié de moi qui te nourris de mon
lait, qui éloignai la douleur de ton berceau. Reconnoissant des soins que je pris de ton enfance,
rentre dans nos murs,protège nos remparts;n'entreprends pas seul, sans secours, de provoquer au
combat ce redoutable ennemi. Cruel Hector ! si
Achille te donne la mort, ni ta mère qui te conçut
dans son sein, ni ta tendre épouse qui t'apporta
une riche dot, n'arroseront de leurs larmes ton lit
fiinebre. Loin de nos murs, dans les vaisseaux des
4.
12
9o
L'ILIADE,
Grecs, ton corps sera la proie des chiens et des
vautours.
Ainsi Hécube sa mère, ainsi le vieux Priam,
versent des larmes ameres, le conjurant de rentrer
dans Troie. Leurs efforts sont inutiles ; ils ne peuvent le fléchir. Seul devant la porte Scée, il attend
l'invincible fils de Pelée, qui déjà est près de lui.
Tel, à l'entrée de son antre, un énorme dragon,
repu des plantes vénéneuses, lançant de terribles
regards, étale les contours tortueux de sa queue
immense aux yeux du laboureur qui se dispose à le
percer; tel Hector, couvert de son vaste et éclatant bouclier, intrépide, impatient de combattre,
appuyé contre la haute tour d'Hion, tient ferme,
attend le fils de Pelée. Poussant de profonds gémissements, il se dit à lui-même:
O dieux! quelles affreuses alternatives s'offrent
à ma pensée ! Si, rentrant dans la ville, je me mets
à l'abri de nos remparts, je crains les justes reproches de Polydamas, qui me conseilla de profiter,
pour ramener les Troyens dans leur ville, des ombres de cette nuit affreuse pendant laquelle le
divin Achille s'est réveillé. Je fus sourd aux conseils de Polydamas ; mon imprudence fut la cause
du carnage des Troyens; ils me feront des reproches , hélas! trop mérités. Je redoute les larmes de
CHANT
XXII.
91
tant de veuves désolées. Le plus vil des Troyens
s'élèvera contre moi, insultera à ma témérité :
« Hector, dira-t-il, se confiant dans ses forces, a
<c causé la ruine d'un grand peuple. » Ils parleront
ainsi. Combattre Achille, mourir avec gloire de la
main de ce héros, défendant ma patrie, ou rentrer
vainqueur dans nos murs, ayant délivré la grande
cité de Troie , ce parti est sans doute préférable.
Suspendant mon inutile bouclier, déposant ce
casque pesant, ayant appuyé mon javelot contre
la muraille, irai-je au-devant d'Achille lui promettre de rendre au fils d'Atrée Hélène et les trésors que les vaisseaux de Paris apportèrent dans
Troie, première cause de cette guerre cruelle ?
m'engagerai-je à partager avec les Grecs toutes les
richesses renfermées dans les murs de cette grande
cité? contraindrai-je nos vieillards d'assurer avec
serment qu'aucune portion de ce riche butin n'a
été détournée? Mais pourquoi m'occuper de ces
vaines pensées? Hector aborder Achille en suppliant! Le mépris que je lui inspirerois étouiferoit
la pitié dans son ame. Sans attendre que je me
couvrisse de mes armes, il me perce roi t de son
javelot comme une femme craintive. Ce n'est plus
le temps de parler de paix, de s'entretenir sous le
chêne ou sur la pierre, comme un jeune berger et
92
L'ILIADE,
sa timide compagne: marchons au combat; éprouvons auquel des deux le dieu qui règne sur l'Olympe
accordera la victoire.
Tandis que ces pensées se succèdent dans son
esprit, Achille approche, semblable à l'homicide
Mars, agitant le terrible javelot du Pélion : son
vaste bouclier brille autour de lui comme un feu
ardent, ou comme les rayons du soleil levant. À la
vue du fils de Pelée, la terreur s'empare de l'âme
d'Hector; il n'ose demeurer dans le poste qu'il a
choisi, près des portes de la grande cité : effrayé ,
il fuit. Achille se confiant dans sa légèreté, dans la
souplesse de ses jarrets, le poursuit avec ardeur.
Tel, au sommet des montagnes, l'épervier, le plus
vite des oiseaux, se précipite sur une foible colombe ; avec une égale rapidité Achille poursuivant Hector parcourt toute la vaste enceinte des
murailles de Troie. S'élançant dans la route frayée
parles chars, au-dessous de la colline couverte de
figuiers sauvages qui joint les murs d'Ilion, lieu
propre à une embuscade, les deux héros parviennent au tertre qui domine sur la ville, au grand
chêne ] au superbe aqueduc qui porte les eaux du
fleuve dans cette grande cité. où deux rameaux
émanés du Scamandre tortueux emplissent deux
fontaines : l'une d'eau chaude ; une noire fumée
CHANT
XXII.
93
l'environne, semblable à celle qui s'élève à gros
bouillons d'une fournaise ardente : une onde aussi
limpide, aussi froide que la grêle, la neige ou la
glace, s'écoule par l'autre source. De vastes et superbes bassins de marbre reçoivent ces eaux : les
filles, les épouses des Troyens y lavoient dans le
temps de la paix, avant l'arrivée des Grecs, les
superbes vêtements de leurs pères, de leurs époux.
Achille poursuivant Hector, qui fuit devant lui
d'une course rapide, parvient en ce lieu : un héros
fuit devant un héros plus léger, plus intrépide. Ce
n'est point à de vils trophées qu'ils aspirent ; une
victime destinée aux sacrifices, une ample peau de
bœuf, prix ordinaire des courses dans les combats
du cirque, ne sont pas les objets de leur vaine ambition : le fils de Friam défend sa vie contre l'impétueux fils de Pelée. De même que, dans ces luttes
célèbres par lesquelles on honore les funérailles
des héros, de vigoureux coursiers, vainqueurs dans
un grand nombre de combats, parcourent avec rapidité la carrière tracée ; un trépied d'or, une belle
captive attendent dans l'arène l'écuyer le plus
adroit, le coureur le plus léger; de même Achille
et Hector font trois fois, avec une incroyable rapidité, le tour de la vaste enceinte dllion. Assis au
sommet de l'Olympe, les immortels contemplent
94
L'ILIADE,
cette lutte dangereuse. Le père des dieux et des
hommes leur adresse la parole :
Divinités qui assistez à mes conseils, dit-il, je
vois fuir un héros cher à mon cœur. Je plains le
malheur d'Hector qui brûla sur mes autels les
cuisses de tant de victimes, tantôt au sommet escarpé de l'Ida, tantôt dans l'enceinte de ce temple
qui m'est consacré dans la citadelle d'Ilion. Le
divin Achille le poursuit; il parcourt avec lui les
murs de la ville de Priam. Dieux de l'Olympe ,
aidez-moi de vos conseils : lui prêterai-je le secours de mon bras pour qu'il échappe à la mort ?
souffrirai-je que son intrépidité soit domtée par
Achille ?
O mon père, qui manies la foudre et assembles
les nues, quelle parole est sortie de ta bouche !
répond Minerve : tu sauverois du trépas un mortel
dévoué à la mort depuis long- temps, dont l'heure
fatale est arrivée ! Que tes volontés suprêmes aient
leur exécution : mais n'espère pas faire approuver
tes projets par les autres immortels !
Rassure-toi, ô Minerve, fille chère à mon cœur,
lui répond Jupiter : telle n'est pas ma pensée ; te
complaire est mon seul désir : hâte-toi d'exécuter
ce que ton esprit te suggère.
11 dit, et accroît l'impatience de la déesse qui
C H A N T XXII.
o5
se précipite du sommet de l'Olympe. Cependant
Achille poursuit Hector ; il le presse ; il est près
de l'atteindre. Tel, au sommet des montagnes, un
limier vigoureux poursuit dans la profondeur de la
vallée, dans les défilés tortueux d'une vaste forêt,
un faon timide qu'il a lancé, qui s'efforce en vain
de se cacher dans un épais taillis ; le limier furieux
suit ses voies, le contraint d'abandonner l'asyle où
il s'est réfugié : aussi vains sont les efforts d'Hector pour échapper à la poursuite du fils de Pelée.
Autant de fois que, protégé par les flèches et les
javelots que les Troyens lancent du sommet de
leurs tours, le fils de Priam essaie d'approcher des
portes d'ilion, autant de fois Achille, bordant les
remparts, l'éloigné des murs de sa patrie, le repousse dans la plaine. Telles fuient devant nous
ces images trompeuses que les songes offrent à
notre pensée pendant le silence de la nuit ; en vain
nous faisons effort pour les saisir, elles s'en volent:
ainsi Hector fuit devant Achille ; lefilsde Pelée ne
peut l'atteindre; et cependant il n'eût pas échappé
long- temps au trépas, si Apollon ne fût venu à
son aide pour la dernière fois. Ce dieu ne quitte
point Hector : pour précipiter sa fuite et accroître
le ressort de ses jarrets, tantôt il le précède et
tantôt il le suit. A la vue de cette course rapide,
96
L'ILIADE,
l'armée des Grecs n'ose lancer sur Hector ni flèches ni javelots. Jaloux de porter les premiers
coups, le divin fils de Pelée les contient par ses
regards. Trois fois les deux héros ont parcouru
la vaste enceinte des murs d'Ilion ; ils atteignent
de nouveau l'aqueduc et les fontaines. En ce moment le père des dieux et des hommes suspend
ces balances d'or qui décident de la vie ou de
la mort des humains. Soutenant dans un parfait
équilibre le fléau de l'éternelle balance, il place
dans l'un des bassins la destinée d'Achille, dans
l'autre la destinée du vaillant Hector ; le destin
d'Achille s'élève jusqu'aux nues, celui d'Hector
se précipite dans les enfers. Apollon l'abandonne.
Minerve s'approchant d'Achille lui parle ainsi :
Fils de Pelée, chéri de Jupiter, conçois un juste
espoir de retourner triomphant dans les vaisseaux
des Grecs, ayant vaincu cet Hector qui ne pouvoit se rassasier de combats. En vain Apollon se
prosterne aux pieds du dieu qui porte l'égide,
Hector n'échappera pas à nos coups. Suspends ,
pour prendre haleine, ta course rapide : je m'approcherai d'Hector ; je lui inspirerai la téméraire
pensée de te provoquer au combat.
Ainsi parle Minerve : Achille obéit. Joyeux de
CHANT
XXII.
97
se mesurer contre Hector, il s'arrête appuyé sur
sa lancePrenant la forme et la voix de Déiphobus, la
déesse s'approche du iils de Priam :
Mon respectable frère, lui dit-elle, le léger
Achille a épuisé ses forces à te poursuivre autour
de nos remparts : osons le combattre ; nous nous
soutiendrons l'un l'autre,
Déiphobus, répond le grand Hector, de tous
mes frères, enfants d'Hécube et de Priam, tu fus
dans tous les temps le plus cher à mon cœur: maintenant je conçois pour toi une nouvelle estime.
Tandis que les autres, renfermés dans nos murs ,
m'abandonnent, tu vois le péril, et oses sortir de
nos remparts pour voler à mon aide.
0 mon cher frère ! répond Minerve, mon père,
ma respectable mère, mes compagnons, embrassoient mes genoux, s'efforçant de me retenir; car
tous frémissent à la vue du fils de Pelée : mais,
éloigné de toi, mon ame étoit accablée de douleur. Marchons à l'ennemi ; combattons ensemble , que nos javelots fondent sur Achille ; éprouvons si, nous donnant la mort à l'un et à l'autre,
il emportera dans ses vaisseaux nos dépouilles
sanglantes, ou s'il tombera lui-même sous tes
coups.
4.
i3
98
L'ILIADE,
Ainsi parle Minerve ; et pour l'entraîner plus
sûrement dans le piège qu'elle lui tend, elle marche contre Achille. Adressant la parole au iîls de
Pelée :
Achille, lui dit Hector, trois fois tu m'as vu
parcourir la vaste enceinte de la ville de Priam ;
mon dessein est changé : ce n'est point dans la
fuite que je cherche mon salut; combattons ; que
l'un de nous deux périsse. Mais prenons les dieux
à témoins de notre traité ; ils veillent sur nos actions et punissent les parjures. Si Jupiter m'accorde la victoire, si je te donne la mort, je m'abstiendrai de mutiler ton corps ; je m'emparerai de
tes armes, et rendrai ta dépouille mortelle aux
enfants de la Grèce : promets d'en agir de même
envers moi.
Achille le regardant avec iîerté : Hector, lui
dit-il, il n'est plus temps de rappeller nos anciens
traités. Les lions n'en font point avec les hommes y
les loups avec les agneaux; furieux, ils s'élancent
sur eux et les déchirent : ainsi point d'accord ,
point de traité entre nous ; que l'homicide Mars
se rassasie du sang du vaincu. Rappelle ton ancienne valeur; c'est en ce moment que tu dois te
montrer un héros : déploie toute la vigueur de
ton bras ; il n'est plus pour toi de salut dans la
CHANT
XXII.
99
fuite. Puisse Minerve diriger les coups de mon
javelot ! puisses-tu subir enfin la peine due à tes
forfaits ! Ainsi seront vengés tant de valeureux
compagnons que tu m'as ravis, dont la perte afflige
mon cœur.
Il dit, et imprimant à son javelot un mouvement rapide, il le lance : le grand Hector prévoit
le coup, se courbe et l'évite ; la pointe aiguë, volant au-dessus de sa tête, s'enfonce dans la terre.
Invisible au fils de Priam, Minerve arrache le javelot, le remet aux mains d'Achille. Hector lui
adressant la parole :
Divin Achille, lui dit-il, ton javelot s'est égaré :
Jupiter ne t'avoit pas dévoilé ma destinée. Quand
ta bouche m'annonçoit le trépas, c'étoit un piège
adroit : tu avois dessein de m'efFrayer par de vaines
menaces pour me faire oublier mes forces et me
percer par derrière. N'espère pas me voir fuir devant toi. Frappe-moi dans la poitrine, si un dieu
dirige ton javelot : mais pare d'abord le coup que
je vais te porter. Fléau de ma patrie, puisse mon
arme s'enfoncer dans ton cœur ! Ta mort allégeroit pour les Troyens le pesant fardeau de cette
guerre.
Il dit ; et agitant son javelot, il le lance avec
force. L'arme meurtrière vole sans s'égarer,atteint
IOO
L'ILIADE,
le centre du bouclier d'Achille ; mais repoussée
par l'immortel bouclier, elle recule d'un espace
proportionné au mouvement qui lui est imprimé.
Furieux de l'inutilité du coup qu'il a porté, confus , les yeux baissés, Hector s'arrête : il n'a point
d'autre javelot. Appellant Déiphobus : 0 mon
frère, lui dit-il, donne-moi ton javelot. Mais le
faux Déiphobus a disparu. Reconnoissant le piège
dans lequel il est enveloppé, il s'écrie :
O Dieux, c'est maintenant qu'il est manifeste
que vous m'abandonnez , que vous m'appeliez,
dans les sombres demeures. Déiphobus, que j«
croyois près de moi, est enfermé dans nos murs:
Minerve m'a induit en erreur. La mort est à mes
cotés, je ne peux l'éviter : ainsi l'ordonnèrent,
dans les temps les plus reculés, Jupiter et Apollon
aux flèches légères, à qui je fus cher autrefois „
qui voloient d'eux-mêmes à mon aide, qui écartaient la faux de la mort suspendue sur ma tête.
Maintenant le Destin me poursuit ; mon heure
fatale est arrivée ; je le sais : mais je ne périrai
pas sans gloire ; je ferai en mourant de grandes
choses ; la Renommée les transmettra aux races
futures.
11 dit, eE tirant la longue et pesante épée qu'il
porte suspendue à son baudrier, il s'élance sur
CHANT
XXII.
10.1
Achille : tel un aigle fond, du sein d'une nue obscure , sur un foible agneau ou sur un lièvre timide
qu'il emporte dans ses serres crochues ; ainsi Hector, armé du glaive étincelant, fond sur Achille.
Furieux, la rage dans le cœur, le fils de Pelée recule , se couvre de son impénétrable bouclier,
ouvrage de Vulcain : son casque d'airain, à quatre
pans, agité par les mouvements alternatifs de sa
tête, répand au loin une éclatante lumière; le
superbe panache qui le surmonte, les aigrettes
d'or dont le divin artiste l'a orné, flottent au gré
des vents. Balancée par ses mains nerveuses, la
pointe aiguë répand au loin une lumière aussi vive
que celle de l'étoile du soir, le plus éclatant des
astres qui brillent sur l'horizon pendant le calme
de la nuit. Méditant la mort de son ennemi ,
Achille parcourt d'un œil avide de sang toute
l'étendue du corps d'Hector, cherchant un foible
intervalle où l'arme meurtrière puisse pénétrer ;
car la solide armure qu'Hector a ravie au fils de
Mené dus le couvre en entier. Appercevant un
foible vuide, à l'endroit où le casque s'unit à la
cuirasse, au-dessus de la clavicule, où la blessure est plus dangereuse, la mort plus prompte,
furieux, il s'élance, frappe Hector en cet endroit.
La pointe aiguë pénètre ; et cependant le canal
io2
L'ILIADE,
de la voix n'est pas intercepté. Le fils de Pria m
tombe étendu sur la poussière. Achille triomphe
et s'écrie:
A
O Hector, mon fatal courroux t'a induit en erreur: tu te flattois que Patrocle n'auroit point de
vengeur. Insensé ! il étoit dans les vaisseaux des
Grecs un bras plus puissant que le tien, sous les
coups duquel tu succombes maintenant. Les Grecs
feront aux mânes de mon compagnon de superbes
obsèques ; ton corps sera la proie des chiens et des
vautours.
Je levé vers toi mes mains défaillantes, lui répond d'une voix foible , entrecoupée , le vaillant
Hector; je te conjure, par ton ame généreuse ,
par ton père, par la déesse ta mère, de ne pas permettre que mon corps soit, dans les vaisseaux des
Grecs, livré aux chiens et aux vautours. Recois
l'or, l'airain, immense rançon dont mon père et
ma respectable mère rachèteront ma dépouille
mortelle ; rends-leur ce corps sanglant ; ne m'envie
pas les honneurs que me rendront les Troyens et
leurs chastes épouses.
Jetant sur lui un regard furieux : Perfide, lui
répond Achille, n'espère pas m'émouvoir par de
vaines prières ; en vain tu rappelles à mon esprit
le souvenir de ceux qui me sont les plus chers î
CHANT
XXII.
io3
puisse-je, pour te punir des maux que tu m'as
faits, pour assouvir ma vengeance, dévorer moimême tes entrailles ! N'espère pas qu'une main
secourable écarte les animaux carnassiers qui déchireront tes membres. Quand ceux à qui tu dois
le jour m'oiFriroient dix et vingt rançons, quand
ils me promettroient d'immenses trésors, tout l'or
du Dardanien Priam ne sufïiroit pas pour te racheter. Jamais ta tendre mère n'arrosera de ses
larmes ton lit funèbre : les chiens et les vautours
se partageront ta dépouille mortelle.
Je te connois, ô Achille, lui répond Hector
mourant, et ne m'étois pas flatté du succès de mes
vœux, car ton cœur est d'acier : mais crains d'attirer sur toi le courroux des dieux. Un jour viendra
qu'une flèche meurtrière, décochée par Paris, dirigée par Apollon, te perçant sous la porte Scée,
réprimera ta fougue impétueuse.
Ayant ainsi parlé, les ombres de la mort s'étenden t sur ses yeux ; son ame, abandonnan t ses membres , pénètre dans le royaume dePluton, murmurant contre l'ordre du Destin qui la sépare d'un
héros, dans la force de l'âge, brillant de toutl'éclat
de la jeunesse.
Meurs, s'écrie le divin Achille témoin de son
dernier soupir, meurs ; et que la Parque tranche le
io4
L'ILIADE,
fil de mes jours, quand Jupiter et les autres divinités l'ordonneront : je me soumets sans regret à
leurs éternels décrets.
Il dit ; et arrachant son javelot, il entraîne le
corps d'Hector vers l'armée des Grecs, et il détache
l'armure sanglante qui couvre les épaules du fils
de Priam. Les Grecs accourent en foule, admirant
la beauté, l'air martial empreint sur le front d'Hector ; il n'est aucun d'eux qui ne lui fasse quelque
blessure.
O mes amis, se disent-ils l'un à l'autre, nous
abordons maintenant avec moins de. danger cet
Hector qui porta la flamme dans nos vaisseaux.
Ils parlent ainsi, et enfoncent leurs javelots dans
son corps. Le léger, le divin Achille reprend l'immortelle armure. Debout au milieu des bandes
nombreuses des enfants de la Grèce, il s'écrie:
O mes amis, chefs et conseils de la nation des
Grecs, puisque les dieux ont livré en nos mains
ce héros, qui seul accabla les Grecs de plus de
maux que tous les Troyens ensemble, couverts de
nos armes, donnons dès ce moment l'assaut à la
ville de Priam ; essayons si les Troyens oseront
nous résister, ou si, n'ayant plus Hector à leur
tête , ils abandonneront leurs remparts. Mais
de quelles pensées s'occupe mon esprit? Étendu
C H A N T XXII.
io5
dans ma tente, un héros est privé de la sépulture.
Patrocle, dont l'image vivra dans mon cœur tant
que j'existerai parmi les mortels, tant que mon ame
régira mes organes, Patrocle dont le souvenir m'accompagnera dans les sombres demeures, n'a point
encore reçu le tribut de nos larmes. Empressonsnous de rendre à mon fidèle compagnon les honneurs qui lui sont dûs. Enfants de la Grèce, chantez ma victoire, retournons à nos vaisseaux, reportant au camp le corps d'Hector : oc Une gloire
« immortelle nous est assurée ; le divin Hector
<c est tombé sous nos coups , Hector, à qui les
« Troyens adressoient leurs vœux comme à un
« dieu.»
Il dit ; et exerçant sur le fils de Priam une indigne vengeance, il lui fait une large et profonde
plaie, qui s'étend depuis la cheville jusqu'au talon,
sépare les nerfs et les tendons, y introduit de solides courroies, à l'aide desquelles il le suspend à
l'aissieu de son char. La tête d'Hector est imprégnée de poussière. Achille s'élance sur son char ;
d'une main il soutient et élevé la brillante armure,
de l'autre il anime ses coursiers avec le fouet : dociles à la main qui les guide, ils traînent le corps
d'Hector autour des remparts de Troie. Sa tête
roule sur la terre, sa noire chevelure est éparse :
l
44
io6
L'ILIADE,
ce front, autrefois plein de grâces et de majesté,
est couvert de poussière ; Jupiter l'a livré à ses ennemis pour qu'il éprouvât cet indigne traitement
dans sa terre natale : ses joues sont meurtries, sa
tête est empreinte dans la fange.
Témoin de ces outrages, la mère d'Hector t
Hécube, arrache ses cheveux ; jetant des cris perçants, elle repousse loin d'elle le voile éclatant
qui la couvre. Priam désolé fait entendre au loin
ses sanglots lamentables. Les peuples accourent
en foule, versant des larmes ameres ; leurs cris
douloureux retentissent dans la grande cité d'Ilion, comme si un vaste incendie, allumé dans
la citadelle de Troie, réduisoit en cendre cette
grande ville. Les peuples s'empressent autour du
vieux Priam, font effort pour contenir les mouvements impétueux de sa douleur. Il veut sortir
pour implorer la pitié d'Achille ; il se roule dans
la poussière, adressant d'humbles prières à chacun
de ceux qui s'opposent à son passage : Arrêtez, ô
mes amis, leur dit-il ; cessez de m'objecter ce que
je dois à ma gloire, ce que je dois à ma sûreté.
Souffrez que je pénètre seul dans le camp des
Grecs, que j'essaie d'émouvoir ce terrible vainqueur : peut-être il respectera mes cheveux blancs ;
peut-être aura-1-il compassion de ma vieillesse»
C H A N T XXII.
107
Achille a un père. Le vieux Pelée prit soin de son
enfance ; il 1 éleva pour le malheur des Troyens,
et sur-tout pour le mien. Le cruel ! il a comblé la
mesure de mes maux. Il m'a ravi mes fils ; tous, à
à la fleur de l'âge, sont tombés sous ses coupa.
Mais la douleur que me cause la perte de tous les
autres n'égale pas l'affliction dont m'accable la
mort du seul Hector ; elle me suivra jusques dans
les demeures de Pluton. Que n'a-t-il succombé
entre nos bras ! nous eussions arrosé de nos larmes
sa dépouille mortelle ; nous nous fussions rassasiés
de nos pleurs, sa mère et moi, sa mère qui le mit
au monde pour le malheur.
Il parle ainsi, versant des larmes ameres. Les
Troyens pleurent autour de lui ; les échos répètent
leurs longs gémissements. Hécube, environnée
des femmes troyennes, ouvre un deuil affreux :
Quel est l'excès de mon malheur, dit-elle.
Ô mon cher fils, que me sert la vie après t'avoir
perdu? Hector, que je me glorifiois nuit et jour
d'avoir mis au monde ; Hector, le rempart de
Troie, le puissant protecteur des Troyens et des
Troyennes , qui t'honoroient comme un dieu
quand ils te voyoient revenir du combat ; Hector,
la gloire de ton pays, tu succombes sous ta cruelle
destinée!
io8
L'ILIADE,
Elle parle ainsi, versant un torrent de larmes.
L'affreuse nouvelle n'est point encore parvenue
aux oreilles de la veuve d'Hector : aucun n'est entré dans son palais pour lui faire un récit, hélas!
trop véritable ; elle ignore que l'intrépide courage
de son époux l'a retenu hors des portes de la ville.
Retirée au fond de sa demeure, occupée à tresser
un grand voile dont elle nuance avec art les couleurs} la triste Andromaque ordonne en ce moment aux femmes captives de placer sur le feu un
grand trépied, de préparer un bain chaud pour
Hector, quand il reviendra du combat. Infortunée ! elle ne prévoit pas l'inutilité de ses soins;
elle ne sait pas que Minerve a percé son époux
par les mains d'Achille. Les cris des Troyens, le
tumulte qui règne sur la tour, parviennent enfin à
ses oreilles : ses genoux* fléchissent, les fuseaux
tombent de ses mains ; elle appelle ses femmes :
O mes compagnes, leur dit-elle, que deux
d'entre vous me suivent : je cours découvrir la
cause de cet affreux tumulte. La voix de ma respectable belle-mère est parvenue jusqu'à moi;
mon cœur en a tressailli ; mes genoux ont fléchi :
sans doute quelque nouvelle calamité accable les
fils de Priam. Dieux, détournez ce funeste présage ! je tremble qu'Achille, interceptant à l'inr
CHANT
XXII.
109
trépide Hector le chemin de la ville, ne l'ait
poursuivi hors de nos murs, qu'il ne l'ait atteint,
qu'Hector ne se soit engagé dans un périlleux
combat contre le fils de Pelée, que la fougue impétueuse de mon époux n'ait été réprimée : car
Hector ne fut jamais confondu dans la foule ; il
s'élancoit hors des rangs ; aucun ne pouvoit lui
être comparé.
Elle dit, et furieuse, palpitante, elle se hâte de
sortir du palais ; ses femmes la suivent. Elle perce
la foule, monte sur la haute tour d'Ilion : plongeant sur la plaine, elle voit Hector que les coursiers d'Achille entraînent aux vaisseaux des Grecs,
l'ayant roulé dans la poussière autour des remparts de Troie. A cette vue un épais nuage de
douleur s'étend sur ses yeux; elle tombe renversée, expirante. Les réseaux, les bandelettes qui
parent son front, cette tresse brillante qui noue sa
chevelure, ce voile éclatant que lui donna Vénus,
le jour que, vainqueur de ses rivaux, Hector l'emmena du palais de son père, comblée de riches
présents, sont emportés loin d'elle ; ses compagnes,, ses sœurs, les filles, les épouses des fils de
Priam l'environnent, la soutiennent dans leurs
bras : la mort est l'objet de ses vœux. Rappellant
uo
L'ILIADE,
enfin ses esprits, un foible souffle s'exhale de ses
lèvres par sanglots entrecoupés :
Hector, dit-elle, malheureuse ! une même destinée présida à notre naissance : à la tienne dans
Troie, dans le palais de Priam ; à la mienne dans
Thebes, dans l'ombragée Hypoplacie, dans le palais d'Éétion qui éleva mon enfance. Père infortuné d'une fille plus malheureuse, falloit-il me
donner le jour ! O mon cher Hector ! dévoués
l'un et l'autre à l'infortune, tu descends dans les
sombres demeures, et me laisses veuve dans ce
palais et un fils au berceau, unique fruit de notre
hymen. Hector est mort ; il ne sera plus ton défenseur, ô mon fils ! Quand tu échapperois à la
cruauté des Grecs, à l'affreux carnage de cette
guerre, source de tant de larmes, tu ne seras point
l'appui de la vieillesse de ton père. Les travaux, les
douleurs t'attendent; d'injustes ravisseurs s'empareront de tes biens ; tel est le sort d'un malheureux
orphelin. Ses compagnons , ses égaux le méprisent: baissant les yeux, les joues baignées de larmes, il aborde en tremblant les amis, les compagnons de son père ; tire l'un par le manteau, l'autre
par la tunique. Celui-ci, touché d'une stérile pitié,
approche la coupe de ses lèvres, verse dans sa
CHANT
XXII.
m
bouche une goutte de liqueur qui les baigne, sans
arroser son palais. Celui-là, fier de l'appui des auteurs de ses jours, le repousse avec mépris, le
meurtrit de coups, l'accable d'injures : « Retirées toi, lui dit-il, ton père ne partage plus nos Ees« tins». Ce malheureux enfant se retire en silence ;
versant des larmes, il se jette dans les bras de sa
mère, veuve d'un héros. O Astyanax ! assis sur les
genoux de ton père, tu te nourrissois de la moelle
la plus pure ; tu te rassasiois de la graisse des
agneaux. Lorsque, fatigué de tes jeux enfantins,
le sommeil fermoit tes paupières, tu reposois sur
un duvet moelleux, dans les bras de ta nourrice;
ton cœur nageoit dans la joie : maintenant, privé
de ton invincible père, les douleurs seront ton
partage. Astyanax ! les Troyens te donnèrent ce
nom ; car le seul Hector repoussoit l'ennemi de
cette grande cité. O mon cher Hector î une affreuse
nudité est maintenant tout ce qui te reste dans les
vaisseaux des Grecs, loin de ton père, loin de ta
respectable mère. Quand les chiens et les vautours
se seront rassasiés de ton corps sanglant, tes membres épars seront la pâture des vers, tandis que de
belles tuniques, de superbes vêtements, de somptueux tapis, ouvrage des femmes, t'attendoient
lia
L'ILIADE, CHANT X X I I .
dans ton palais. Inutiles maintenant, puisqu'ils ne
serviront pas à te délasser de tes travaux, je les
livrerai aux flammes, à la vue des Troyens et des
Troyennes ; ils orneront le vain simulacre de ta
pompe funèbre.
Elle parle ainsi, versant des larmes ameres : ses
femmes pleurent autour d'elle.
L I L I A D E.
CHANT
XXIII.
i5
ARGUMENT.
fait à Patrocle de superbes obsèques. Il immole sur le
bûcher les douze jeunes hommes qufil a dévoués aux mânes de son
compagnon } il y joint des chevaux, des chiens, de nombreuses
victimes. Les obsèques achevées f il ouvre les jeux funèbres. Diomede est vainqueur dans la course des chars f Ulysse à la course
légère, d'autres héros en divers genres d'escrime. Ayant rempli avec
exactitude les rits accoutumés, il dissout rassemblée.
ACHILLE
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L'ILIADE.
CHANT XXIII.
Funérailles de Patrocle, terminées par les combats
du cirque. Prix distribués aux vainqueurs par
Achille,
G E deuil affreux règne dans Troie : cependant
l'armée des Grecs approche du camp et des rives
de l'Hellespont ; les enfants de la Grèce se répandent dans leurs tentes et dans leurs vaisseaux. Mais
Achille ne souffre pas que les Thessaliens se dispersent: adressant la parole à ses compagnons:
Valeureux Thessaliens, mes chers compagnons,
leur dit-il, ne détachons pas nos coursiers ; qu'attelés à nos chars, ils ornent la pompe funèbre de
Patrocle ; car telle est la gloire des morts. Nous
étant acquittés de ce triste devoir, nous goûterons
tous les douceurs du festin.
Il dit. Les Thessaliens arrivent en foule, poussant de profonds gémissements : Achille préside à
la pompe funèbre. Montés sur leurs chars, ils font
iiô*
L'ILIADE,
trois fois le tour de la tente du fils de Pelée où repose le corps de Patrocle : Thétis, au milieu d'eux r
les anime par ses lugubres accents ; des larmesabondantes coulent de leurs yeux ; le sable en est
imbibé, leurs armes en sont inondées ; ils pleurent
le grand Patrocle, artisan de terreur. Étendant ses
mains victorieuses sur le corps de son fidèle compagnon, le fils de Pelée lui adresse le premier ces
plaintives paroles :
O mon cher Patrocle, j'ai accompli tout ce que
je te promis ; que ton ame en ressente quelque
consolation dans les sombres demeures. Je traîne
à tes pieds le corps d'Hector destiné à repaître les:
chiens et les vautours : douze enfants des Troyens
que j'ai fait mes captifs, dévoués à la mort pour
venger ton trépas, seront immolés par mes mains
sur ton bûcher.
Il dit ; et méditant les affronts qu'il prépare à la:
dépouille mortelle du grand Hector, il le laisse
étendu sur la poussière, au pied du lit funèbre de
son fidèle compagnon. Les nombreux Thessaliens.
dépouillent leurs brillantes armures d'airain, détellent leurs coursiers : assis à l'entrée de la tente
et du vaisseau du léger descendant d'Eacus, ils
préparent le repas funèbre. Des bœufs d'une éclatante blancheur Eombent en mugissant sous le fer
CHANT
XXIII.
117
meurtrier : des moutons bêlants, des chèvres plaintives, des porcs engraissés, sont offerts aux mânes
de Patrocle ; les soies des porcs craquent sous la
flamme deVulcain; le sang ruisselle autour du lit
funèbre. Cependant les rois, chefs de l'armée des
Grecs, environnent Achille, l'entraînent à la tente
d'Agamemnon \ malgré la tristesse qui l'accable.
Le roi des hommes, Agamemnon, ordonne aux
hérauts de placer sur le feu un immense trépied
et son vase : tous s'efforcent d'engager Achille à
laver dans le bain le sang desséché qui souille son
corps, ses armes, ses vêtements ; il les refuse avec
constance, et joint à ce refus la religion du serment;
Que Jupiter, dit-il, le plus grand, le meilleur
des dieux , soit témoin de mes promesses. Je n'accepterai point en ce moment vos soins officieux,
je ne me permettrai pas de purifier mon corps
par le bain, que je n'aie placé sur le bûcher la dépouille de Patrocle, que je n'aie élevé un monument à sa gloire, que coupant mes cheveux, je ne
les aie consacrés aux mânes de mon fidèle compagnon : car jamais, tant que j'existerai sur la terre,
une égale douleur ne percera mon cœur de ses
pointes aiguës. Réparons maintenant par la nourriture nos forces abattues ; préparons le repas du
n8
L'ILIADE,
soir : que demain, au lever de l'aurore, le roi des
hommes, Agamemnon, ordonne à l'armée d'aller
dans la forêt couper et transporter au camp le bois
nécessaire au bûcher qui consumera les déplorables restes de Patrocle, et le précipitant loin de
nos yeux dans l'éternelle nuit, lui ouvrira le séjour
des ombres. Acquittés de ce triste devoir, les peuples reprendront leurs travaux accoutumés.
Il dit. Tous obéissent; ils s'empressent de réparer par la nourriture leurs forces abattues : la
concorde, la douce égalité règne dans ce festin.
Quand le besoin du boire et du manger est appaisé, ils se séparent pour se renfermer dans leurs
tentes. Le fils de Pelée, poussant de profonds gémissements, demeure étendu sur le rivage de la
mer, à l'endroit où le sable est lavé par les flots.
Une troupe nombreuse de Thessaliens l'environne. Épuisé par la course rapide qu'il a faite en
poursuivant Hector autour des murs de Troie, le
doux sommeil, qui calme les douleurs de tous les
mortels, vient enfin fermer ses paupières. En ce
moment l'ombre de l'infortuné Patrocle s'offre à
sa vue : ce sont ses yeux, sa taille, le son de sa voix,
sa tunique, les vêtements qu'il portoit pendant sa
vie. S'arrêtant sur la tête d'Achille, l'image de Patrocle lui parle ainsi :
C H A N T XXIII.
119
Tu dors, fils de Pelée, et m'oublies î tu me prodiguois tes soins quand j'existois parmi les mortels , tu me négliges après mon trépas. Hâte - toi
d'enfermer mon corps dans la tombe pour me
donner accès dans le palais de Pluton ; car des
spectres affreux, de pâles ombres, me repoussent
des rives du Styx, ne souffrant pas que je traverse
avec elles le fleuve des enfers. Donne-moi ta main,
que je l'arrose de mes larmes. Quand la flamme
aura consumé ce qui reste de mortel en moi, il ne
me sera plus permis de sortir du séjour des morts.
Assis sur un tendre gazon ou dans l'intérieur de ta
tente, nous ne tiendrons plus ces conseils secrets
dans lesquels, hors de la présence de nos chers
compagnons, nous jouissions d'une mutuelle confiance. Le cruel destin qui présida à ma naissance
m'accable maintenant. La même destinée t'attend , ô Achille ; tu mourras comme moi sous les
murs de Troie. Mais écoute ce que je vais dire ;
satisfais le vœu le plus cher à mon cœur : que
mes os ne soient pas séparés des tiens. Ensemble
nous fumes élevés dans ton palais ; nous ne nous
quittâmes point depuis le jour que Ménétius m'amena à Phthie, dans ma tendre jeunesse, fuyant
Opunte, ma patrie, à cause du meurtre involontaire du fils d'Amphidamas, que je commis dans
i2o
L'ILIADE,
les jeux de l'enfance. Pelée me reçut avec bonté,
m'éleva avec soin, m'attacha à ton service. Qu'une
même urne renferme et nos cendres et nos os ,
cette urne d'or que te donna ta respectable mère.
Qu'étoitil besoin, ô mon cher compagnon, lui
répond le valeureux fils de Pelée, qu'abandonnant
le séjour des morts, tu vinsses m'apporter ces ordres ? ils seront pleinement exécutés : repose-toi
sur ma vigilance. Mais arrête quelques instants ;
prends place à côté de moi, ne te dérobe pas à
mes embrassements : goûtons la triste consolation
de confondre nos larmes.
Il dit, et s'efforce de le serrer dans ses bras :
mais il ne peut le saisir ; semblable à la fumée,
l'ombre s'échappe et rentre dans la terre avec des
sifflements affreux. Achille effrayé se levé avec
précipitation : frappant des mains, versant des
larmes ameres, il s'écrie :
O mes amis ! ainsi donc , quand l'esprit de
l'homme est réuni à l'éternelle substance, son
ame survit au trépas : de vaines images des mor-r
tels habitent le palais de Plu ton. L'ombre plain-»
tive du malheureux Patrocle s'est offerte à mes
yeux, pendant le silence de la nuit: je l'ai vu tel
qu'il fut pendant sa vie ; il m'a donné ses ordres ;
je me hâte de les exécuter,
CHANT
XXIII.
121
Il dit. Les larmes coulent de leurs yeux en
abondance : leurs cris, leurs sanglots retentissent
au loin. Ils pleuroient encore le malheureux Patrocle, quand l'Aurore aux doigts de rose se montra
sur l'horizon. Cependant le roi des hommes, Agamemnon, parcourt les tentes des Grecs, presse le
départ des mules et de leurs conducteurs, ordonne d'aller à la forêt, d'abattre, de transporter
les arbres nécessaires à la construction du bûcher.
Un héros est à leur tête, Mérion, l'écuyer du magnanime Idoménée. Ils partent, armés de cognées
tranchantes, propres à abattre et à fendre le bois,
pourvus de forts cordages artistementployés. Les
mules les précèdent, marchant d'un pas ferme et
lent, grimpant, descendant, gravissant les sentiers
raboteux de la forêt. Parvenus au sommet de l'Ida,
les cimes élevées des chênes tombent sous les
coups des haches ; la terre retentit de leur chiite
pesante : dispersés dans la forêt, ils lient sur le
dos des mules et les branches et la tige épaisse des
chênes. Chargées de ce lourd fardeau, les mules
font effort pour percer les buissons, et affermir
leurs pas dans ces routes escarpées; les travailleurs portent les souches : ainsi l'ordonne Mérion, l'écuyer du magnanime Idoménée. Rangés
par ordre sur le rivage de la mer, au lieu qu'Achille
4.
\6
122
L'ILIADE,
a destiné au superbe monument qui doit renfermer les cendres de Patrocle et les siennes, ils déchargent les mules , entassent le bois et s'éloignent , serrant les files. Achille ordonne à ses
Thessaliens d'atteler leurs coursiers, de vêtir l'airain étincelant. Obéissants aux ordres du fils de
Pelée, les Thessaliens s'empressent de se couvrir
de leurs armures, de se ranger en ordre de bataille. Montés sur leurs chars, les héros et leurs
écuyers précèdent la pompe funèbre ; une nuée
de guerriers les suit à pied. Au centre de l'épaisse
phalange, les compagnons d'Achille transportent
le corps de Patrocle. Détachant les tresses nombreuses de leurs cheveux, ils en couvrent la dépouille mortelle du fils de Ménétius. Le divin
Achille marche après eux, soutenant de ses mains
victorieuses la tête de son compagnon. Arrivés
au lieu qu'Achille a choisi, ils y déposent le corps
de Patrocle. L'immense quantité de bois que les
mules et les travailleurs ont apportée est entassée
par leurs mains. Mais Achille s'occupe «d'autres
pensées : debout devant le corps de son cher
compagnon, il coupe cette brillante chevelure
que son père dévoua autrefois au fleuve Sperchius. Poussant de profonds soupirs, portant de
tristes regards sur la plaine liquide : O Sperchius,
CHANT
XXIII.
123
dit-il, en un autre temps Pelée mon père te consacra mes cheveux. Il te promit, à mon retour
dans ma patrie, de les couper en ton honneur.
Une sainte hécatombe t'étoit destinée ; cinquante
moutons, l'élite de nos troupeaux, auroient été
immolés par ses mains aux nymphes des fontaines,
sur ces autels qui fument en ton honneur d'un
encens éternel. Tels furent les vœux du vieux
Pelée : tu ne les as point exaucés. Puisque l'ordre
du Destin ne permet pas que je revoie ma terre
natale, je livre ma chevelure à Patrocle , mon
fidèle compagnon ; qu'il l'emporte dans le palais
de Plu ton.
Il dit, et couvre de ses cheveux les mains glacées de son compagnon. Un deuil ai&eux s'étend
sur toute l'armée ; ils pleurent, ils gémissent, leurs
cris douloureux retentissent dans l'air : le soleil
eût achevé sa carrière avant que leurs larmes eussent tari, si Achille, s'approchant d'Agamemnon,
ne lui eût parlé ainsi :
Fils d'Atrée, tous les Grecs t'obéissent : assez
nous nous sommes rassasiés de nos larmes. Ordonne aux tiens de s'éloigner du bûcher, de préparer le repas du matin ; que les chefs demeurent
seuls près de toi : achevons les obsèques d'un héros si cher à nos cœurs.
124
L'ILIADE,
Le roi des hommes, Agamemnon, ayant entendu ces paroles, donne l'ordre aux troupes de
se séparer. Versant des larmes ameres, les ministres des funérailles enlèvent le corps de Patrocle,
le déposent sur le lit funèbre, arrangent le bois,
en forment un vaste bûcher de cent pieds en
quarré , immolent de nombreux troupeaux de
moutons et de bœufs noirs aux cornes menaçantes, les dépouillent, les préparent : Achille
assemble leur graisse, en couvre le corps de Patrocle depuis les pieds jusqu'à la tête. Les corps
des animaux immolés, dépouillés de leurs cuirs,
sont placés par ses mains à l'extrémité du bûcher:
s'inclinant avec respect, il verse l'huile et le miel
enfermés en de grandes urnes ; son cœur pousse
de profonds gémissements. Il immole et place sur
le bûcher quatre coursiers agiles à crinière flottante. De neuf chiens qu'il chérissoit par-dessus
tous les autres, qu'il nourrissoit de sa table, il en
prend deux, les immole, les dépouille, jette leurs
corps palpitants sur le bûcher de son fidèle compagnon. Furieux, respirant le carnage, poussant
de longs gémissements , appellant à grands cris
son fidèle compagnon, il s'élance sur les douze
valeureux enfants des plus illustres d'entre les
Troyens qu'il a dévoués à Patrocle ; il les perce
CHANT
XXIII.
125
de son glaive, place leurs corps sur le bûcher,
livre aux flammes et la dépouille mortelle du iils
de Ménétius, et tous les dons qu'il lui a consacrés :
Reçois mes adieux, ô mon cher Patrocle, ditil, et conserve jusques dans l'empire des morts
un long souvenir de ton ami. J'ai accompli tout ce
que je te promis. La flamme qui consumera ta dépouille mortelle, dévorera les corps sanglants de
douze illustres enfants des magnanimes Troyens :
mais le corps de l'homicide Hector ne sera pas
livré aux flammes ; il sera la proie des chiens et
des vautours.
Son courroux s'exhale en ces vaines menaces.
Cependant les chiens ne souillent point le corps
d'Hector. La fille de Jupiter, Vénus , veille nuit
et jour autour de cette précieuse dépouille ; une
huile de rose et d'ambrosie, répandue par les
mains de la déesse sur le corps du fils de Priam ,
le défend des outrages qu'Achille lui prépare. Du
sommet de la voûte éthérée, une nue épaisse et
humide, envoyée par Apollon, couvre tout le
champ sur lequel repose le corps d'Hector, amortit l'activité des rayons du soleil, empêche qu'il
ne se dessèche.
Le bûcher de Patrocle tarde à s'enflammer.
126
L'ILIADE,
Debout devant l'immense forêt qu'il a entassée,
Achille, levant les yeux au ciel, appelle à haute
voix le vent d'ouest et rimpétueux Borée : une
coupe d'or est dans ses mains ; il verse à grands
flots les libations, promettant aux deux vents de
pompeux sacriiices, si, précipitant leurs rapides
haleines, ils pénètrent l'immense bûcher et excitent une flamme ardente qui consume promptement le corps de son cher compagnon. La légère
Iris l'entend; elle se hâte de descendre de la voûte
azurée, pour porter aux deux vents les vœux du
iils de Pelée. Les enfants d'Eole goûtoient, dans
l'antre du zéphyr, les douceurs d'un festin solemnel: Iris s'arrête sur le seuil de marbre du palais
des vents ; tous se lèvent à son aspect ; ils l'abordent, l'invitent à prendre part au festin. La déesse
les refuse :
Je ne peux m'arrêter, dit-elle ; je m'empresse de
parvenir aux confins de l'Océan, au pays des Éthiopiens qui offrent en ce moment de saintes hécatombes aux immortels ; j'ai promis de participer à
leurs fêtes. Vent d'ouest, vent du nord, Achille
vous appelle à grands cris ; il vous promet de pompeux sacriiices, si vos souffles bienfaisants enflamment le bûcher de son fidèle compagnon, Patro*
cle, que tous les Grecs pleurent amèrement,
CHANT
XXIIL
127
Ainsi parle la déesse, et elle disparoît. Se levant
avec un bruit affreux , chassant devant eux les
nues qu'ils assemblent par leur choc, les deux
vents s'étendent sur la plaine liquide, la bouleversent de leurs souffles impétueux. Parvenus aux
champs Troyens , ils pénètrent le bûcher, développent la flamme qui éclate avec fracas. Le léger
vent d'ouest, le rapide Borée ne cessent de souffler, pendant toute cette nuit, autour du bûcher
du fils de Ménétius : les tourbillons de flamme et
de fumée s'élèvent dans l'air à replis ondoyants ;
d'horribles sifflements se font entendre. Debout
près du bûcher de Patrocle, Achille puise sans
cesse le vin dans une coupe d'or à deux fonds ;
il le verse à grands flots sur le bûcher, appellant
à haute voix son malheureux compagnon: la terre
est imbibée de ses fréquentes libations. Sa tristesse est aussi profonde que celle d'un père qui
place sur le bûcher le corps d'un fils cher à son
cœur, nouvel époux, que le fer de l'ennemi a
moissonné, objet des tendres regrets de ceux qui
lui ont donné l'être ; aussi abondantes sont les
larmes qui inondent, pendant toute cette nuit r
l'auguste visage du fils de Pelée. Poussant de profonds gémissements, se roulant sur la terre, errant autour du bûcher de son fidèle compagnon,
128
L'ILIADE,
il attend que l'étoile du matin, courriere du jour,
se montre sur l'horizon, que la divine Aurore
étende son voile de pourpre sur la terre. En ce
moment le feu languit, la flamme s'éteint, les
vents fuient dans leurs antres profonds, bouleversant sur leur passage la mer de Thrace.
Epuisé de fatigue, Achille s'éloigne tristement
du bûcher. Séparé de la foule, il se couche sur la
terre, le sommeil commençoit à fermer ses paupières , quand la marche bruyante et les mouvements rapides des Grecs qui s'assemblent autour
de la tente d'Agamemnon, l'éveillent. Assis sur la
glèbe, il adresse ces paroles aux rois, aux chefs de
la nation :
Fils d'Atrée, et vous héros de la Grèce, versez
du vin sur ces cendres brûlantes, éteignez les
restes du feu qui a consumé la dépouille mortelle
de Patrocle ; séparons ses os de ceux des victimes.
Il vous sera facile de les distinguer, car le corps
de mon compagnon fut placé au centre du bûcher ; les hommes et les chevaux furent jetés pêlemêle aux extrémités. Enfermons dans une urne
d'or les précieux restes du iils de Ménétius ; couvrons-les d'une double surface de graisse ; qu'ils
demeurent en cet état, jusqu'à ce que je rejoigne
mon fidèle compagnon dans le séjour des ombres;
CHANT
XXII L
129
bornez-vous maintenant à marquer le lieu de notre
tombeau. Un jour viendra, ô Grecs, qu'ayant élevé
à notre gloire un superbe monument, vous remonterez sur vos vaisseaux, laissant sur ces rives
nos cendres réunies.
Il dit. Tous accompagnent le fils de Pelée. Ils
éteignent avec le vin les cendres fumantes, qui
s'affaissent n'étant plus soutenues par la flamme.
Blanchis par le feu, les os du compagnon d'Achille, qui fut pendant sa vie un modèle de bonté,
sont recueillis dans une urne d'or. Versant des
larmes ameres,ils étendent par-dessus une double
surface de graisse ; l'urne funèbre , couverte d'un
voile de lin d'une éclatante blancheur, est déposée par leurs mains dans la tente d'Achille. Ils
amoncellent les terres, décrivent un cercle, posent les fondements d'un magnifique tombeau
dans le lieu où fut élevé le bûcher de Patrocle, et
se disposent à se séparer. Achille les arrête ; il ordonne d'assembler l'armée, d'annoncer les jeux
et les combats.
Apportés de ses vaisseaux, les prix sont exposés à la vue de tous, des vases d'airain , des
trépieds , des chevaux, des mules, des bœufs aux
cornes élevées, de l'acier poli, de belles c a p
tives.
4.
\J
i3o
L'ILIADE;
Les premiers, les plus distingués, sont destinés
pour la course des chars. Une superbe captive
instruite dans tous les arts de son sexe, un trépied, un vase d'airain à deux anses, de vingt mesures, seront la récompense du vainqueur; celui
qui l'approchera de plus près, obtiendra une cavale indomtée de six ans qui porte dans ses flancs
un mulet de race illustre ; le troisième, un vase de
quatre mesures que la flamme n'a point encore
atteint; le quatrième, deux talents d'or; le cinquième , une large coupe d'argent battu à froid.
Debout au milieu de l'assemblée, Achille adressant la parole à Agamemnon :
Fils d'Atrée, dit-il, et vous, valeureux enfants
de la Grèce, j'ai exposé dans l'arène les prix que
je destine à ceux qui s'exercent dans l'art de soumettre au frein des coursiers indomtés. Si mon
cher Patrocle n'étoit l'objet de ces jeux, j'entrerois en lice, et j'ai cette confiance que j'emporterois le premier prix ; car la légèreté , la souplesse
et la force de mes immortels coursiers vous sont
connues : Neptune en fit don à Pelée mon père ;
Pelée me les donna. Mais ni moi ni mes coursiers ne concourront. Ils ont perdu leur vaillant
conducteur qui les traitoit avec douceur, qui les
lavoit dans l'onde pure des fleuves , dont la main
CHANT
XXIII.
i3i
répandoit une huile brillante sur leurs vastes cri
nieres. Immobiles maintenant, la tête baissée, ils
pleurent ce héros ; leurs crins flottent dans la
poussière. Que ceux d'entre les Grecs qui se confient dans la solidité de leurs chars, dans la légèreté de leurs coursiers, disputent les prix que je
propose.
Ainsi parle le fils de Pelée. Les légers athlètes
s'assemblent. Le roi des hommes, Eumélus, fils
d'Admete, célèbre dans l'art de manier de vigoureux coursiers, se présente avant tous les autres.
Le fils de Tydée, Diomede, amené les coursiers
de Tros attelés à un même joug, ces coursiers
qu'il ravit à Énée, quand Apollon déroba le fils
d'Anchise aux coups qu'il lui portoit. Ménélas,
fils d'Atrée, attelle à son char l'Agamemnonienne
Éthée, et Podargès qui lui appartient. Le fils d'Anchise , Échépolus, donna Ethée à Agamemnon
pour s'exempter de le suivre à la guerre ; il obtint
à ce prix de jouir en paix des richesses immenses
que Jupiter lui avoit données dans la vaste Sicyone
qu'il habitoit. Telle est la cavale vigoureuse, impatiente de montrer sa légèreté et sa force dans
les combats du cirque, que Ménélas attelle au
même joug que Podargès. Le descendant de N é '
lée, le vaillant fils du grand Nestor, Antiloque,
i3a
L'ILIADE,
attelle à son char d'agiles coursiers pyliens d'une
grande beauté. Pour l'aider de ses sages conseils,
son père Nestor s'avance vers lui :
Antiloque, lui dit-il, dès tes plus jeunes ans,
Jupiter et Neptune t'aimèrent par-dessus tous les
autres mortels ; ils prirent soin de te former euxmêmes dans l'art de soumettre au frein des coursiers indociles : ainsi mes conseils sont superflus ;
nul ne maniera ses chevaux avec plus de dextérité ; tu sais d'une main légère et sûre ployer rapidement autour de la borne qui termine la carrière.
Mais tes coursiers sont moins agiles que ceux de
tes rivaux ; c'est le sujet de mes craintes. Suis mes
conseils, 6 mon fils ; rappelle dans ton esprit les
leçons de tes maîtres immortels, afin que le prix
ne puisse t'échapper. L'habile artiste asservit le
chêne, moins par sa force que par son adresse ;
c'est l'art qui dirige un vaisseau sur le vague des
mers, au sein des tempêtes excitées par les terribles combats des vents : ainsi l'habile écuyer
l'emporte sur ses rivaux. Celui-ci, se confiant
dans la légèreté de ses coursiers, les laisse vaguer
imprudemment dans l'arène; celui-là, avec des
chevaux moins vîtes, les yeux fixés sur la borne,
tourne avec justesse et rapidité, hâte, ralentit, dirige , assouplit les mouvements de ses coursiers,
CHANT
XXIII.
i33
et laisse loin derrière lui son rival. Je t'indiquerai
le but si clairement, qu'il te sera impossible de le
méconnoître. A l'endroit où tu vois deux routes
se croiser, s'élève, à la hauteur d'une coudée,
au-dessus de la surface de la terre, le tronc d'un
vieux chêne desséché, vainqueur des saisons, des
frimas et des tempêtes : deux pierres blanches le
soutiennent, un espace vuide l'environne, tom^
beau de quelques uns des anciens héros, ou monument érigé par les premiers hommes pour leurs
courses et leurs jeux ; tel est le but qu'Achille a
choisi. Parvenu à l'extrémité de la carrière, debout sur ton char, maniant tes coursiers avec dextérité, tourne rapidement, rasant la borne. Souviens-toi de soutenir le coursier placé sous la
rêne droite, de le contenir de la voix et du fouet,
ployant l'autre avec souplesse : rends la main ; dirige tes mouvements avec tant de justesse, que le
moyeu de la roue rase la borne sans la toucher,
dans la crainte que ton char brisé, tes chevaux
blessés n'excitent le rire des spectateurs et ne
t'attirent une défaite honteuse. Prends ces précautions, ô mon fils ; tourne autour de la borne avec
rapidité , l'évitant avec adresse : c'est ainsi que tu
devanceras tes rivaux ; aucun n'atteindra la barrière avant toi, quand même l'agile Arion, le léger
134
L'ILIADE,
coursier d'Adraste , dont la race est divine, voleroit sur tes pas, quand ton rival manieroit les
vigoureux coursiers élevés sur ces rives dans les
haras de Laomédon.
Ainsi parle Nestor ; et il reprend le trône qu'il
a quitté. Mérion paroît le cinquième, attelant ses
généreux coursiers. Les athlètes montent sur leurs
chars, tirent les rangs au sort : Achille agite les
billets dans un casque. Le nom d'Antiloque, iils
de Nestor, sort le premier ; après lui le nom d'Eumélus ; Ménélas , iils d'Atrée , est le troisième ;
Mérion, le quatrième : le sort n'assigne que la
dernière place au iils de Tydée, le plus valeureux, le plus savant dans l'art de guider de légers
coursiers. Ainsi rangés , Achille leur montre la
carrière et la borne, à l'extrémité d'une plaine
vaste et unie. Témoin irréprochable de leur légèreté et de leur adresse, chargé de lui faire un
iidele rapport, le vieux Phénix, l'écuyer de son
père, est placé par ses ordres à l'extrémité de la
carrière. Tous les fouets sont levés, tous abaissés
au même instant. Animant leurs coursiers et du
fouet et de la voix, ils abandonnent les vaisseaux,
traversent la plaine avec rapidité : une poussière
semblable au nuage épais qu'élevé une violente
tempête, souille les larges poitrails de leurs che-
CHANT
XXIII.
i35
vaux ; leurs crinières flottent au gré des vents :
tantôt ils rasent la terre avec les chars ; tantôt ils
s'élancent et franchissent un long espace, sans
ébranler leurs hardis conducteurs dont l'ame
flotte entre l'espérance et la crainte. Appellant
leurs coursiers par leurs noms pour accroître leur
ardeur, ils volent, couverts de l'immense poussière qui s'élève de dessous leurs pas. Déjà ils se
reploient sur le rivage de la mer écumeuse : leurs
traits sont tendus, leur course précipitée, les intervalles plus marqués. Les légers coursiers du
roi de Phérès devancent tous les autres. Les
agiles coursiers de Tros, que dirige le fils de Tyd é e , semblent s'élancer sur le char d'Eumélus.
Le souffle brûlant qui s'exhale de leurs narines
échauffe les larges épaules des coursiers du roi
de Phérès ; leurs têtes posent sur la croupe des
coursiers d'Eumélus : le fils de Tydée eût devancé son rival, ou laissé la victoire incertaine, si
Apollon irrité n'eût ânaché le fouet de sa main.
Une vive douleur s'empare de l'ame du vaillant
Diomede à la vue du char de son rival qui s'élance
d'un vol rapide, sans qu'il puisse hâter ses légers
coursiers ; des larmes coulent de ses yeux. Mais
la ruse d'Apollon n'échappe pas aux regards de
Minerve ; volant avec une incroyable rapidité au
i35
L'ILIADE,
secours du pasteur des peuples , elle remet le
fouet aux mains de Diomede , accroît de son
souffle divin l'ardeur de ses coursiers, brise dans
sa fureur le joug qui attache au char les chevaux
du fils d'Admete. Egarés, ils bondissent dans la
plaine ; le timon brisé tombe à terre ; renversé
sous les roues de son char, son bras, son coude,
sa bouche, ses narines sont meurtris ; une longue
plaie s'étend depuis son front jusqu'à ses épais
sourcils ; ses yeux s'emplissent de pleurs ; à peine
un foible soupir s'exhale de sa poitrine oppressée.
Les agiles coursiers du fils de Tydée précèdent
tous les autres ; car Minerve leur destine le prix.
La déesse soutient et accroît leur ardeur. Ménélas le suit de près, fait effort pour l'atteindre. Antiloque adressant la parole aux coursiers de soq
père :
Volez, leur dit-il, développez vos jarrets ; dis~
putez la victoire, non aux coursiers du fils de
Tydée, car Minerve, qui leur destine le premier
prix, accroît leur légèreté ; mais à ceux du fils
d'Atrée : hâtez-vous de les devancer. Quelle honte
pour vous, si la cavale Ethée vous surpassoit ! Qui
vous retient? Si, par votre lâcheté, je n'obtiens
que le seul prix qu'on accorde à la pitié pour le
vaincu, je vous prédis le sort qui vous attend ; h
CHANT
XXIII.
i37
pasteur des peuples, Nestor, ne prendra plus soin
de vous ; il vous percera de son glaive. Élancezvous dans la carrière ; la ruse suppléera à la force
dans ce défilé étroit.
Il dit. Redoutant la colère de leur maître, les
chevaux de Nestor courent avec rapidité. Le valeureux Antiloque voit Ménélas engagé dans une
route difficile, profonde ravine que les eaux de
l'hiver ont creusée. Agité de la crainte de heurter
Contre le char de son rival, le iils d'Atrée retient
ses coursiers. Le iils de Nestor, ployant avec
adresse, incline sur la berge, fait effort pour le
devancer.
ô Antiloque, s'écrie Ménélas effrayé, je ne reconnois pas ta prudence. Ralentis - ta course rapide ; échappé à ce défilé dangereux, nous nous
• disputerons la victoire.
11 dit : mais sourd à ses cris, le fils de Nestor,
maniant le fouet avec dextérité, appuie ses coursiers ; ils franchissent d'un seul saut tout l'espace
que parcourt un disque lancé par un bras nerveux qui essaie ses forces. Les agiles coursiers
du iils d'Atrée reculent ; Ménélas n'ose les appuyer, dans la crainte qu'ils ne s'abattent dans le
choc des chars, qu'essayant de l'emporter sur son
4-
18
i38
L'ILIADE,
concurrent, ils ne tombent l'un et l'autre dans la
poussière.
Fils de Nestor, lui dit-il, le plus dangereux des
rivaux, tu transgresses les loix du cirque, et démens la réputation que ta vertu t'avoit acquise :
hâte ta course rapide ; mais n'espère pas obtenir
le prix sans un parjure.
Adressant la parole à ses légers coursiers : Volez, leur dit-il; que ce foible avantage, remporté
par un perfide rival, ne ralentisse pas votre ardeur: bientôt, essoufflés, abattus, les vieux chevaux de Nestor seront contraints de vous céder la
victoire.
A la voix de leur maître, les rapides coursiers
s'élancent sur le char d'Antiloque.
Cependant, les yeux fixés sur l'arène, les Grecs,
assis à la barrière, s'efforcent de percer l'épais
nuage de poussière qui enveloppe les coursiers et
les chars.
Le roi des Cretois, Idoménée, est assis hors de
l'enceinte sur une éminence d'où la vue s'étend
au loin. La voix de celui des athlètes qui est le
plus proche parvient à ses oreilles. L'un des coursiers du vainqueur est remarquable par la couleur
de son poil : bai par tout le corps, il porte sur le
front une marque blanche, aussi ronde que la
CHANT
XXIII.
i39
lune en son plein. Le iils de DeuCalion se levé
du trône où il est assis ; adressant la parole aux
Grecs :
O mes amis , chefs et conseils de la nation des
Grecs, dit-il, jugez vous-mêmes si ma vue m'induit en erreur. La face de la lice me semble changée. De quelque côté que je promené mes regards
sur la vaste plaine des Troyens, mes yeux ne découvrent ni le char, ni les coursiers, ni l'athlète
qui m'avoit paru jusqu'ici l'emporter sur tous les
autres. Quelque accident a sans doute ralenti le
vol rapide de cet athlète. J'ai vu ses coursiers
6'élancer sur la borne. Peut-être les guides ontelles échappé de ses mains ; peut-être, tournant la
borne, n'a-t-il pu modérer l'ardeur de ses coursiers , les manier avec assez d'adresse ; il sera
tombé, son char aura été brisé : ses légers coursiers bondissent en ce moment dans la plaine ;
d'autres les remplacent. Efforcez-vous de les distinguer ; car Us me sont inconnus : mais leur conducteur ressemble à ce valeureux Etolien que ses
exploits ont rendu célèbre entre tous les Grecs, à
ce Diomede, fils de Tydée, savant dans l'art d'assouplir des coursiers indomtés.
A ces mots, un violent courroux s'empare de
l'ame du léger fils d'Oïlée. Idoménée, ton juge-
i4o
L'ILIADE,
ment est précipité , dit-il. L'arène fuit sous les
pas de ces coursiers aussi vîtes que les vents ; ils
s'avancent vers nous avec rapidité. Tu n'es pas le
plus jeune des Grecs, ta vue commence à foiblir ;
et cependant tu te plais à discourir au hasard. Que
servent ces vaines disputes? Bientôt de meilleurs
juges décideront notre querelle. Ces chevaux sont
ceux d'Eumélus. Je vois le iils d'Admete sur son
char, tenant les guides dans ses mains.
Fils d'Oïlée, lui répond le roi des Cretois irrité,
tu n'es pas le plus redoutable des Grecs dans les
combats : mais tu aimes la dispute ; ton esprit
est intraitable. Gageons un trépied et son vase
d'airain. Prenons pour arbitre Agamemnon, fils
d'Atrée.
Il dit. Emu d'une violente colère, le léger Ajax
se levé avec précipitation : l'injure est sur ses lèvres.
O Ajax, ô Idoménée, s'écrie Achille, cessez de
vous provoquer par de dures paroles : ces vaines
disputes sont peu convenables; vous les blâmeriez dans tout autre. Reprenez les trônes que vous
avez quittés ; portez vos regards sur l'arène. Rivaux de gloire, ces athlètes s'avancent vers nous
d'une course rapide. Quand ils auront atteint la
barrière, il nous sera facile de décider quels cour-
CttANt
X.XÏII.
t4t
sïers ont été les plus légers, à qui le premier prix
est dû, à qui le second.
II dit ; et déjà le fil» de Tydée touche la barrière. Ses coursiers bondissent sous les coups
redoublés du fouet qui retentit sur leurs larges
épaules ; leurs sauts légers font jaillir la poussière
sur l'athlète qui les dirige ; l'or, Tétain , pompeux
ornements du char de Diomede, en sont ternis :
ils volent avec une telle rapidité, que la trace des
roues est à peine imprimée sur le sable. Parvenu à
l'extrémité de'la carrière, le iils de Tydée les arrête : la sueur inonde leurs poitrails, imbibe leurs
vastes encolures. S'eïançant du char éclatant, le
fils de Tydée incline son fouet sur le joug; le vaillant Sthénélus s'empare du prix, remet la belle
captive et le trépied aux mains de ses compagnons,
dételle les coursiers.
S'efForçant de soutenir f ardeur des vieux chevaux de Nestor, le descendant de Nélée, Antiloque, arrive : sa ruse adroite, non la rapidité de
sa course, lui a donné la victoire sur Ménélas.
Écarté d'abord de toute la portée d'un jet de disque , le fils d'Atrée ne laisse plus entre lui et son
rival que le court espace qui sépare un char en
mouvement dont les traits sont tendus, du coursier qui l'entraîne, dont les crins atteignent l'orbite
142
L'ILIADE,
des roues, tant l'ardeur de l'Agamemnonienne
Éthée croît avec l'espace qui lui reste à parcourir.
Si la carrière eût été plus longue, Ménélas eût devancé son rival, et n'eût pas même laissé la victoire
incertaine.
Moins accoutumé aux combats du cirque ,
l'écuyer d'Idoménée, Mérion, le suit avec des
coursiers plus tardifs.
Eumélus, fils d'Admete, arrive le dernier, clias-r
sant devant lui ses chevaux qui traînent son char
brisé.
Sensible à son malheur, debout au milieu du
cirque, le divin Achille adressant la parole aux
héros de la Grèce :
Celui à qui son art, à qui la légèreté de ses cour^
siers sembloient assurer la victoire, est maintenant
le dernier, dit-il; récompensons sa vertu comme
il convient; qu'il obtienne le second prix, car le
premier est dû au fils de Tydée.
Il dit; tous applaudissent. Eumélus eût obtenu
la cavale indomtée, si le fils du grand Nestor,
Antiloque, n'eût réclamé ses droits.
O Achille, dit-il, ta proposition blesse ma gloire
et m'irrite. Je rends à Eumélus la justice qui lui
est due : aucun ne sait mieux que lui guider des
coursiers agiles. Mais son char a été brisé, ses che~
CHANT
XXIII.
143
Vaux se sont égarés : est-ce une raison pour me
priver du prix qui m'appartient? Que le roi de
Phérès n'a-t~il, avant de s'élancer dans la carrière,
adressé ses vœux aux immortels? nous ne le verrions pas maintenant arriver le dernier, chassant
ses chevaux devant lui. Si tu plains son infortune,
s'il est cher à ton cœur, une immense quantité
d'or, d'airain , de bestiaux , de belles captives ,
de chevaux vigoureux, sont renfermés dans tes
tentes : récompense sa vertu par un don magnifique , plus précieux même que le prix qui m'appartient; les Grecs applaudiront à ta générosité :
mais je ne cède à personne la récompense que j'ai
acquise. Si quelqu'un entreprend de me la disputer , qu'il se prépare à me la ravir les armes à la
main.
U dit. Le divin Achille sourit de la fierté du fils
de Nestor, car il l'aimoit tendrement.
O Antiloque, fils de Nestor, lui dit-il, je suivrai
ton conseil. Les prix seront aux vainqueurs : une
récompense tirée de mes vaisseaux consolera Eumélus. Je lui donne la cuirasse que j'enlevai à
Astéropée ; elle est d'airain , couverte d'un étain
brillant, d'un travail exquis. Le roi de Phérès
tiendra sa vertu dignement récompensée par un
tel don.
i44
L'ILIADE,
Il dit, et ordonne à Automédon d'apporter la
brillante cuirasse. Docile aux ordres de son cher
compagnon, Automédon vole à la tente d'Achille,
apporte la cuirasse d'Astéropée , la remet aux
mains d'Eumélus, qui ressent de la joie du don
par lequel le iils de Pelée console son infortune.
Courroucé de la victoire que le fils de Nestor
a remportée sur lui, Ménélas se levé. Un héraut
met le sceptre en ses mains ; il ordonne aux Grecs
de faire silence. Semblable à un dieu, adressant la
parole à Antiloque :
Fils de Nestor, lui dit-il, renommé jusqu'ici
par ta sagesse, comment t'es-tu permis une ruse
indigne de toi ? Enviant la gloire qui m'étoit due ,
tu t'es élancé sur mes coursiers avec des chevaux
moins agiles, et les as blessés. Chefs et conseils
de la nation des Grecs, que le prix demeure en
dépôt ; rendez justice à l'un et à l'autre ; que J3.
faveur n'ait point de part dans votre jugement ;
qu'aucun ne dise : « Ménélas a été injuste envers
te Antiloque ; il a employé le mensonge pour le
a priver de la récompense qui lui étoit due. Les
a coursiers de Ménélas étoient plus légers : mais
<c le fils de Nestor est plus adroit, plus vigoureux»,
Ou plutôt je me juge moi-même, et ne pense pas
qu'aucun des enfants de la Grèce rejette mon.
CHANT
XXIII.
145
jugement; car il est conforme à l'équité. Descendant de Jupiter, valeureux Antiloque, emmené
la cavale : mais comparois au milieu de l'arène,
comme la justice l'exige. Là, devant ton char, à
la tête de tes coursiers, les touchant de ce même
fouet avec lequel tu excitois leur ardeur, jure par
Neptune qui environne la terre de ses ondes, que
tu n'as point employé la ruse pour retarder ma
course rapide, et m'empêcher de parvenir avant
toi à la barrière.
O Ménélas, roi des hommes, répond le vertueux Antiloque, plus âgé, plus sage que moi, tu
n'ignores pas ce que peut la passion de la gloire
sur un jeune courage : les conseils de la prudence
sont tardifs. Modère ton courroux ; que ton cœur
pardonne à l'imprudence du moment. Je remets
en tes mains la cavale, prix du vainqueur ; j'ajouterai de ce qui est à moi ce que tu exigeras pour
compléter la satisfaction qui t'est due : je me soumets à tout, plutôt que de déchoir dans ton esprit
de la réputation que je me suis acquise , et me
souiller par un parjure.
Ainsi parle le magnanime iils de Nestor ; et
il remet la cavale aux mains de son rival. Telle
qu'une abondante rosée réjouit et humecte la terre
couverte de gerbes nombreuses, prémices d'une
4.
19
146
L'ILIADE,
riche récolte ; ainsi la joie a accès dans ton ame, 6
Ménélas.
Antiloque, dit-il, ma colère est appaisée. Nous
avions jusqu'ici admiré ta sagesse ; tu fus imprudent un moment : mais la raison a triomphé de
l'impétuosité de l'âge. Il eût été plus sage de ne
point employer l'artifice pour me ravir une gloire
qui m'étoit due : un autre ne m'appaiseroit pas
avec cette facilité ; mais je dois cette récompense
à tes travaux, à ceux du sage Nestor, à ceux de
ton valeureux frère, pendant tout le cours de
cette guerre entreprise pour venger mon injure.
J'accepte la satisfaction que tu m'as faite et te
rends la cavale, quoiqu'elle soit à moi; afin que
tous apprennent que mon cœur n'est ni superbe
ni cruel.
Il dit, et remet la cavale aux mains de Noémon , l'écuyer d'Antiloque , et prend pour lui le
vase d'airain. Mérion eut les deux talents d'or;
car son char étoit parvenu le quatrième à la barrière.
Il restoit un cinquième prix, la coupe à deux
fonds : Achille perce la foule, traverse le cirque
pour l'offrir à Nestor :
O vieillard, lui dit-il, conserve cette coupe en
mémoire des funérailles de Patrocle que tu ne
CHANT
XXIII.
147
reverras plus parmi les Grecs. Elle fut destinée aux
athlètes: mais la vieillesse qui t'accable maintenant
ne te permet d'entrer en lice ni dans les combats
du ceste, ni dans ceux de la lutté, du javelot, de
l'arc ou de la course légère.
Il dit, et donne la coupe au fils de Nélée, qui
joyeux la reçoit de la main d'Achille.
Tu as parlé convenablement, ô mon cher fils,
lui dit-il : mes jarrets ont perdu leur légèreté et
leur souplesse ; mes mains, mes épaules n'ont plus
la même vigueur. Si je revenois au temps de ma
jeunesse, si mes forces étoient entières, telles
qu'elles éjoient quand les Épéens firent dans Buprasium les funérailles de leur roi Amaryncée !....
Les fils de ce roi ouvrirent une lice brillante. Au~
cun des Épéens, aucun des Argiens, des Pyliens,
des magnanimes Étoliens, ne m'égala dans tous
les genres d'escrime. Je vainquis dans les combats
du ceste Clytomede, fils d'Enopus ; je l'emportai
à la lutte sur Ancée de Pleurone ; le léger Iphiclus
osa me disputer le prix de la course légère, et
m'avoua son vainqueur ; je surpassai Phylée et
Polydore dans l'art de lancer le javelot : les deux
fils d'Actor me devancèrent seuls dans la course
des chars, le dernier des combats, dont les prix
étoient magnifiques. Fiers de leur nombre, jaloux
148
L'ILIADE,
de ma gloire, ils se réunirent contre moi : l'un
tenoit les guides, l'autre hâtoit ses coursiers et du
fouet et de la voix. Tel je fus autrefois. Que de
plus jeunes athlètes entrent en lice maintenant:
cédons à la vieillesse. Continue, ô Achille, d'honorer par le pompeux appareil de ces jeux les obsèques de ton compagnon. J'accepte le don que
tu me fais, comme un gage du souvenir que tu
conserves de notre ancienne amitié ; utile exemple
que tu donnes à l'armée des Grecs, de l'honneur
qu'ils doivent à ma vieillesse, à ma longue expérience. Mon ame en est réjouie. Que les dieux te
récompensent, et exaucent les vœux les plus chers
à ton cœur !
Il dit. Animé par les louanges qu'il a reçues
du fils de Nélée, Achille s'avance dans le cirque,
expose, aux yeux de tous, les prix qu'il destine
aux athlètes dans le périlleux combat du ceste.
Une mule de six ans, vigoureuse, infatigable , dii-*
iicile à domter, est attachée par son ordre dans
l'arène, prix du vainqueur : une coupe à deux
fonds consolera le vaincu. Debout au milieu du
cirque, le fils de Pelée adressant la parole aux
Grecs :
Fils d'Atrée, leur dit-il, et vous tous, valeureux
enfants de la Grèce, que deux athlètes courageux
CHANT
XXIIL
HCf
se disputent la victoire dans le périlleux combat
du ceste. Celui dont la constance triomphera, au
jugement des Grecs, emmènera dans sa tente cette
mule infatigable : le vaincu obtiendra la coupe à
deux fonds.
Il dit. Un homme nerveux, d'une haute taille,
savant dans les combats du ceste, Épéus, fils de
Panope, se levé. Saisissant la mule infatigable :
Que celui qui désire la coupe à deux fonds se
montre, dit-il. Quant à la mule, je ne pense pas
qu'un autre que moi l'obtienne ; aucun ne l'emportera sur moi dans ce périlleux exercice. Ne
vous suffit-il pas, enfants de la Grèce, que je vous
cède la gloire qu'on acquiert dans les autres combats? Etre savant dans tous les arts, propre à tous
les travaux, est un effort au-dessus de l'humanité.
Voici ce que je prédis à celui qui osera me disputer
la victoire : je meurtrirai sa chair ; je briserai ses
os : que ceux qui s'intéressent à son sort s'empressent autour de lui ; ils ne tarderont pas à l'emporter
couvert de blessures.
Il dit. Tous gardent le silence : le seul Euryale,
mortel égal aux dieux, se levé, Euryale, fils de
Mécistéa, l'illustre descendant du roi Talaïon, qui
combattit autrefois dans Thebes aux funérailles
d'OEdipe, et vainquit tous les Cadméens. Le va-
i5o
L'ILIADE,
leureux fils de Tydée prend un vif intérêt à sa
gloire : il s'empresse autour de lui, l'encourage
par ses paroles, le ceint de ses propres mains, lui
donne de solides gantelets de plusieurs bandes de
cuirs de taureau sauvage étroitement enlacées.
Les deux athlètes, ceints de larges courroies, s'avancent dans l'arène, élèvent leurs bras nerveux,
fondent l'un sur l'autre : leurs mains se confondent, tant les coups qu'ils se portent sont serrés,
Le bruit de leurs dents brisées, de leurs mâchoires
fracassées, retentit au loin ; la sueur découle de
tous leurs membres. Le divin Epéus saisit l'instant auquel Euryale, prêt à frapper, jette de tous
côtés des regards inquiets ; il lui porte dans la
mâchoire un coup si rude, que ses genoux fléchissent : il tombe. Avec autant de rapidité que
le timide poisson , couvert de l'onde noire, est
poussé par le flot sur la rive argilleuse , quand le
souffle de Borée ride la surface de la plaine liquide ;
ainsi le malheureux Euryale est abattu sous les
coups du fils de Panope. Son rival magnanime, le
prenant par les deux mains, le relevé : ses chers
compagnons accourent en foule, l'environnent,
l'entraînent hors de l'espace mesuré; s*s jambes
ne peuvent le porter, un sang noir et épais coule
de sa bouche, sa tête chancelle sur ses épaules,
CHANT
XXIIÏ.
i5t
son esprit est égaré. Ayant reçu la coupe des mains
d'Achille, ses compagnons le transportent avec
peine dans sa tente, le font asseoir sur un trône
au milieu d'eux.
Ces combats terminés, Achille propose le pénible exercice de la lutte. Les prix sont exposés
dans l'arène ; le fils de Pelée les montre aux Grecs,
Le vainqueur obtiendra un grand trépied que la
flamme n'a point noirci, estimé le prix de douze
bœufs ; le vaincu une belle captive, savante dans
tous les arts de son sexe, de la valeur de quatre
bœufs. Debout au milieu de l'assemblée, Achille
parle ainsi :
Paroissez, vous, qu'une noble ardeur engage
à faire l'épreuve de vos forces dans ce pénible
exercice.
Il dit. Ajax fils de Télamon et l'industrieux
Ulysse se lèvent, se ceignent, marchent l'un
contre l'autre, se serrent de leurs bras nerveux;
leurs muscles s'emboîtent aussi étroitement que
les poutres d'un palais qu'un habile artiste affermit
contre les vents et les tempêtes ; leurs vertèbres
craquent sous leurs doigts, des ruisseaux de sueur
découlent de leurs vastes échines ; les gouttes de
sang qui s'exhalent de tous leurs pores, teignent
de pourpre et leurs muscles et leurs épaules : ils
i52
L'ILIADE,
se disputent, dans une lutte égale, le superbe tré~
pied. Ni Ulysse ne peut renverser Ajax, ni Ajax le
courageux fils de Laërte ; leurs efforts impuissants
fatiguent les Grecs.
Divin fils de Laërte, industrieux Ulysse, s'écrie
le fils deTélamon; enleve-moi ou je t'enlèverai;
que Jupiter soit l'arbitre du combat.
Il dit; et saisissant son rival, il l'enlevé. Fidèle
à ses ruses, Ulysse se courbe, lui porte un coup
si rude sur le jarret, qu'il l'oblige de ployer : Ajax
est renversé ; Ulysse tombe sur lui, comprimant
sa poitrine du poids énorme de son corps ; l'armée frémit. Le patient, le divin Ulysse se relevé;
il ébranle son rival, mais ne peut l'enlever : Ajax
lui serre le genou si étroitement, qu'il le renverse
et tombe à ses côtés. Souillés de poussière l'un
et l'autre, ils eussent lutté une troisième fois, si
Achille, se levant avec précipitation, ne les eût
séparés.
Cessez, leur dit-il, cette lutte dangereuse ; que
de vains travaux n'épuisent pas vos forces. Tous
deux vous avez remporté la victoire ; recevez des
prix égaux, abandonnez l'arène à d'autres combattants.
Il dit. Les deux héros secouent la poussière qui
les couvre, et reprennent leurs tuniques,
CHANT
XXIII.
i5*
Achille propose les prix qu'il destine aux athlètes
dans la course légère. Une urne d'argent de six
mesures, célèbre par sa beauté par toute la terre,
l'ouvrage des industrieux Sidoniens : des Phéniciens, traversant les mers, l'apportèrent à Lemnos,
en firent don à Thoas qui les avoit reçus dans ses
ports ; Eunéus, fils de Jason , la donna à Patrocle
pour la rançon de Lycaon, fils de Priam. Dans ces
jeux qu'Achille célèbre pour honorer les obsèques
de son compagnon, elle sera la récompense de
l'athlète qui devancera ses rivaux dans la course
légère; un taureau engraissé, d'une haute taille,
est le second prix ; le troisième un demi-talent
d'or. Debout au milieu du cirque : Levez-vous ,
dit le fils de Pelée, éprouvez vos forces dans ce
noble exercice. Il dit. Le léger Ajax fils d'Oïlée,
l'industrieux Ulysse, et Antiloque fils de Nestor,
qui l'emporte sur tous ceux de son âge par la
rapidité et la souplesse de ses mouvements, se
lèvent. Rangés sur une même ligne, ils attendent
le signal. Le fils de Pelée leur ouvre la carrière,
leur en montre les limites : tous s'élancent en
même temps. Le léger fils d'Oïlée l'emporte sur
ses rivaux. Ulysse le suit de près : la navette qu'une
femme industrieuse fait voler sur la trame ne serre
pas plus étroitement les laines qu'elle parcourt
.4-
*°
154
L'ILIADE,
pour les lustrer ; les vastes poitrines des deux
héros se touchent ; les pas d'Ulysse s'impriment
sur les pas d'Ajax ; un même tourbillon de poussière les couvre : l'haleine du fils de Laërte est
imprégnée sur la tête du fils d'Oïlée; tant ils courent avec rapidité. Les applaudissements des
Grecs excitent en eux une noble émulation. Déjà
ils touchent la barrière. Ulysse adresse dans son
cœur à Minerve cette humble prière : Déesse, ma
puissante protectrice, exauce mes vœux ; vole à
mon aide.
Il dit. Minerve l'entend, accroît la vigueur de
ses jarrets, rend ses membres plus souples; frappant le fils d'Oïlée, elle lui enlevé une victoire
qu'il regardoit comme assurée. A l'instant qu'il
touche la barrière, que s'élançant sur le prix, il fait
effort pour s'affermir sur un sol que le sang et la
lien te des bœufs immolés par Achille sur le bûcher de Patrocle , a rendu glissant, il tombe ; le
sang et la poussière emplissent sa bouche et ses
narines. Le fils de Laërte le prévient, s'empare de
l'urne ; le fier taureau sera la récompense du fils
d'Oïlée. Repoussant la fange de sa bouche, il conv
prime les cornes du bœuf sauvage, et s'écrie :
O mes amis, la déesse qui protège Ulysse,
comme une mère tendre veille sur un fils, objet
C H A N T XXIII.
i55
de ses soins empressés, Minerve m'a ravi la victoire.
U dit. Le sang et la fange qui le défigurent excitent le rire des Grecs. Antiloque atteint le dernier
la barrière. Adressant, avec un rire moqueur, la
parole aux enfants de la Grèce :
On voit, dit-il, par cet exemple, que les immortels favorisent les vieillards. Ajax est de peu
mon aîné : mais Ulysse seroit mon père ; il égale
en force , en légèreté les anciens héros ; le seul
Achille pourrait lui disputer la victoire.
Il parle ainsi, relevant la gloire.du léger fils de
Pelée.
Antiloque, lui répond Achille, tu seras récompensé de ta louange adroite : j'ajoute un demitalent à celui qui t'est dû.
Il dit, et remet le prix aux mains du fils de
Nestor qui le reçoit avec joie.
Plaçant dans l'arène le long javelot, le bouclier,
le casque que Patrocle enleva à Sarpédon, Achille
propose aux plus valeureux guerriers de se couvrir
de l'airain étincelant, de s'armer du javelot, de
montrer leur adresse dans les combats. Celui qui
tirera une goutte de sang du corps de son adversaire , je lui donnerai le glaive de Thrace orné de
clous d'argent que j'enlevai à Astéropée ; les armes
\56
L'ILIADE,
de Sarpédon seront partagées entre les deux athlètes ; je célébrerai leur gloire dans ma tente par un
festin solemnel.
Il dit. Le grand Ajax iîls de Télamon, et l'intrépide fils de Tydée, sortent des rangs, revêtent
leurs armures, s'avancent dans l'arène ; impatients
de se disputer la victoire, ils se provoquent par de
terribles menaces : les Grecs frémissent. Parvenus
à la portée du javelot, trois fois ils s'élancent, trois
fois ils reculent. Ajax lance le premier son javelot,
perce le bouclier du fils de Tydée : mais la pesante cuirasse de Diomede repousse l'arme meurtrière ; sa peau rr est pas même effleurée. Appuyant
son javelot au-dessus du vaste bouclier d'Ajax, le
fils de Tydée lui porte dans la gorge des coups
redoublés , fait effort pour percer l'armure qui le
couvre.
Alarmés du péril auquel la vie du grand Ajax
est exposée, les Grecs adjugent aux deux champions des prix égaux, leur ordonnant de se séparer : mais le fils de Télamon fait don à son rival du
glaive superbe, du fourreau, du baudrier, prix du
vainqueur.
Achille place lui-même au milieu du cirque
une lourde masse de fer brut, disque énorme,
que lançoit l'indomtable Eétion, quand le fils de
CHANT
XXIII.
\5?
Pelée le précipita dans les sombres demeures.
Possesseur des trésors de ce roi, Achille transporta ce disque dans ses vaisseaux avec les autres
dépouilles du vaincu. Debout, au milieu de l'arène,
il adresse la parole aux enfants de la Grèce :
Faites encore essai de vos forces dans ce genre
d'escrime, dit-il. Ce disque sera la récompense de
l'athlète qui le lancera le plus loin. Celui qui l'obtiendra sera pourvu abondamment de fer pendant
cinq années; cultivât-il des champs immenses, à
une grande distance des cités, ni ses laboureurs,
ni ses pâtres, ne seront obligés d'aller acheter du
fer à la ville.
Il dit. L'invincible Polype tes, le robuste Léonl é e , Ajax fils de Télamon, et Epéus, se lèvent,
s'approchent de la barrière , se rangent sur une
même ligne. Epéus levé le disque, lui imprime un
mouvement rapide par les cercles qu'il lui fait décrire, le lancé avec force ; les Grecs poussent des
cris de joie. Léontée, rejeton de Mars, le lance
après lui. Ajax fils de Télamon le relevé, le lance
d'un bras nerveux, passe tous les signes. L'invincible Polypétès s'en empare le dernier. Autant la
houlette qu'un pasteur jette à ses bœufs pour les
arrêter, parcourt, en tournant dans l'air, d'espace
au-dessus de la tête du troupeau, autant l'énorme
i58
L'ILIADE,
disque en parcourt au-delà des signes de tous ses
rivaux. Les Grecs poussent des cris d'admiration :
les compagnons de Polypétès transportent le disque dans leurs vaisseaux, trophée de la victoire de
leur roi.
L'acier poli sera la récompense des athlètes
savants dans l'art de décocher la flèche légère.
Achille ouvre la lice. Dix haches à deux tranchants , dix demi-haches sont placées dans l'arène.
On dresse un mât au milieu du cirque, à une
grande distance, sur le sable qui couvre les rives
de la mer : un foible lien resserre le pied d'une
timide colombe attachée au sommet de ce mât :
tel est le but proposé par Achille. Celui dont la
flèche percera la colombe, emportera dans sa tente
toutes les haches. Celui qui n'atteindra que le lien,
emportera les demi-haches; car il n'est pas aussi
adroit archer.
Il dit. Le valeureux Teucer et Mérion, l'écuyer
d'Idoménée, se présentent. Deux billets sont jetés
dans un casque : le nom de Teucer sort le premier. Mais il oublie de promettre à Apollon un
sacrifice des premiers nés de ses agneaux : le dieu
qui lance au loin ses invincibles traits lui envie
la victoire ; la flèche s'égare, n'atteint que le lien,
qu'elle sépare du mât y l'oiseau fendant l'air d'un vol
CHANT
XXIIL
i59
rapide, s'élève jusqu'aux nues, emportant la moitié du lien; l'autre moitié incline vers la terre. Les
Grecs poussent des cris de joie. Mérion voit fuir
la colombe ; il arrache l'arc de la main de Teucer,
voue les prémices de ses agneaux au dieu qui lance
au loin ses invincibles traits, place sur le nerf une
flèche qu'il tient depuis long-temps, vise l'oiseau
dans la nue, l'atteint dans l'aile au moment qu'il
commence à planer : la flèche se précipite aux
pieds du vainqueur : la colombe s'abat sur le mât,
fait effort pour se soutenir, étend le cou, étend
les ailes, tombe loin de la main qui l'a frappée.
L'écuyer d'Idoménée emporte les dix haches aux
yeux des spectateurs étonnés de son adresse ;
Teucer n'obtient que le second prix.
Le fils de Pelée dépose dans l'arène un long
javelot et un vase d'airain orné de fleurs, artistement ciselées, du prix d'un bœuf; la flamme n'a
point noirci ce vase. Le fils de Pelée le destine
aux athlètes adroits à lancer le javelot. Le roi des
hommes, le puissant Agamemnon, et Mérion ,
l'écuyer d'Idoménée, se lèvent. Le divin Achille
prenant la parole:
Fils d'Atrée, dit-il, ta force et ton adresse sont
connues; tu l'emportes sur tous : accepte ce vase
que ma main te présente, et retourne à tes vais-
\6o
L'ILIADE, CHANT XXIII.
seaux; souffre que nous donnions le javelot à Mérion. Si mon conseil t'agrée, daigne le suivre.
Il dit. Le roi des hommes, Agamemnon, se
laissé persuader ; il donne à Mérion le javelot
armé d'airain, prend pour lui le vase qu'il remet
auxjnains du héraut Talthybius,
L I L I A D E.
CHANT
4-
XXIV.
ai
ARGUMENT.
qui prend soin d'Hector,, envoie Thétis à Achille pour
lui ordonner de rendre le corps du fils de Priajn. Dans le même
temps le maître des dieux députe Iris à Priam pour lui enjoindre
d'aller dans le camp des Grecs racheter le corps de son fils : Mercure
est son guide. Le vieux Priamfléchitle courroux d'Achille ; il reporte
dans Troie le corps d'Hector. Funérailles de ce héros.
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L'ILIADK
C H A N T XXIVPriam paie à Achille une riche rançon et obtient le
corps d'Hector.
combats du cirque sont finis; les Grecs,
dispersés dans leurs tentes, goûtent les douceurs
d'un agréable festin ; le sommeil verse ses pavots
sur leurs yeux: mais Achille pleure son cher compagnon. Le sommeil, vainqueur des^mortels, ne
soulage point ses ennuis ; il se tourne de tous
côtés, rappellant dans son esprit la force indomtable de Patrocle, son généreux courage, les fureurs de Mars qu'il affronta sous ses ordres, ses
travaux qu'il partagea, les mers qu'il parcourut
avec lui. Ce triste souvenir lui arrache des larmes :
tantôt il s'étend sur un côté, tantôt sur l'autre ;
quelquefois il s'assied; souvent il s'élance de son
lit. Les premiers rayons de l'aurore le surprennent
errant sur le rivage que baigne l'onde écumeuse ;
il attelle ses rapides coursiers, suspend à son char
le corps d'Hector avec de fortes courroies, le
JLES
164
L'ILIADE,
traîne par trois fois autour du tombeau du fils de
Ménétius. Ayant rendu ce triste hommage aux
mânes de son iîdele compagnon, il arrête ses coursiers, retourne au camp, délie la dépouille mortelle du fils de Priam, l'abandonne à l'entrée de
sa tente, le front collé sur la poussière. Mais, indigné de ces outrages, Apollon ne souffre pas que
les traits du grand Hector soient altérés : tout
mort qu'il est, son front imprime le respect. Le
dieu de la lumière le couvre de son égide d'or
pour empêcher qu'il ne soit déchiré par les violentes secousses que le fils de Pelée lui fait essuyer, le traînant tous les jours autour du tombeau de Patrocle. Les heureux immortels, portant leurs regards sur le camp des Grecs, sont
émus d'une tendre pitié ; ils s'efforcent d'engager
l'adroit meurtrier d'Argus à dérober à la fureur
d'Achille les précieux restes du fils de Priam. Ce
conseil agrée à tous les dieux, hors à Junon , à
Neptune et à Minerve ; car ces trois divinités ont
juré une haine implacable à la sainte cité d'ilion, à
Priam, à son peuple belliqueux. C'est ainsi qu'elles
punissent le mépris que le berger Paris fit de la
beauté des deux déesses, le jour qu'elles honorèrent sa cabane de leur présence : c'est ainsi que
Junon et Minerve se vengent du jugement que
CHANT
XXIV.
i65
Cythérée obtint du léger Paris, séduit par les charmes de la déesse de la beauté qui l'entraînèrent
dans le fatal adultère, source de tant de maux. Déjà
la douzième aurore s'élève sur l'horizon, quand
Apollon adresse la parole à tous les immortels :
Cruelles et ingrates divinités, leur dit-il, avezvous oublié combien Hector vous immola de victimes; de combien de bœufs, de combien de chèvres grasses il fit couler le sang sur vos autels? Il
est mort; et vous refusez de soustraire son corps
aux outrages que lui fait Achille ! vous refusez à la
veuve d'Hector, à sa mère, à son iîls, au vieux
Priam son père, la triste consolation d'arroser de
leurs larmes, de placer sur le bûcher, de verser
des libations sur la dépouille mortelle de ce
héros ! vous favorisez les outrages que lui fait Finjuste et cruel iîls de Pelée dont le courroux égare
la raison. Tel un lion furieux, se confiant dans ses
forces, fier de sa victoire, s'élance sur de timides
agneaux qu'il dévore ; tel le fils de Pelée, insensible à la pitié , au respect dû à l'opinion des
hommes, présents que les dieux firent aux mortels pour modérer les transports effrénés de leur
cœur, se livre tout entier à sa vengeance. Les
larmes qu'on répand sur le tombeau des objets les
plus chers, d'un père, d'un fils tendrement aimé,
\66
L'ILIADE,
ont un terme chez tous les autres hommes : le
destin leur a donné un cœur patient dans le malheur ; le temps dissipe les chagrins les plus cuisants. Depuis que celui-ci s'est vengé par la mort
du divin Hector, il le suspend tous les jours à son
char, et l'entraîne autour du tombeau de son fidèle
compagnon. Divinités injustes et cruelles ! votre
courroux ne s'enflammera-1-il pas à la vue des indignes traitements qu'Achille fait éprouver à la
dépouille mortelle d'un homme vertueux, à la
vue de cette honteuse et inutile vengeance qu'il
exerce sur une terre insensible ?
O Apollon à l'arc d'argent, répond Junon irritée, considère les suites de tes pernicieux conseils.
Ainsi, dieux de l'Olympe, vous souffririez que le
corps d'Hector fils de Priam, qui naquit mortel,
qu'une mortelle nourrit de son lait, obtînt les mêmes honneurs qu'on rendra à l'invincible Achille
quand il aura subi son destin, à Achille fils d'une
déesse qui suça mon lait, dont je pris soin dès ses
plus jeunes ans, que j'unis par les nœuds de l'hymen à un mortel, le grand Pelée, chéri de tous
les dieux. Toutes les divinités de l'Olympe honorèrent ces noces de leur présence. Ingrat et perfide
Apollon ! tu partageois avec ces augustes époux
le festin nuptial ; tu pinçois, aux noces de Pelée,
l'harmonieuse cithare.
CHANT
XXIV.
167
Ô Junon, répond le dieu qui assemble les nues,
ne suppose pas à tous, les immortels des projets
indignes de la majesté suprême. Les mêmes honneurs ne seront pas rendus aux mânes d'Hector
et à ceux du fils de Pelée : mais de tous les Troyens
Hector fut le plus cher à mon cœur; il fut chéri
de tous les dieux qu'il combla d'offrandes. Jamais
d'aussi pompeux sacrifices ne fumèrent sur mes
autels; jamais d'aussi fréquentes libations ne les
arrosèrent, seuls honneurs que de foibles mortels puissent rendre aux heureux habitants de
l'Olympe. N'essayons pas d'enlever secrètement
à Achille le corps d'Hector : nous le tenterions en
vain ; la mère d'Achille veille nuit et jour à la
garde de ce trésor. Que l'un de nous ordonne à
Thétis de monter au sommet de l'Olympe pour y
recevoir mes ordres ; qu'Achille accepte les dons
magnifiques que Priam lui offrira pour la rançon
du corps de son fils.
Il dit. Iris, courriere aussi rapide que la tempête, fendant la nue d'un vol léger, se précipite
du sommet de l'Olympe entre Samos et la pierreuse Imbrum ; l'onde mugit sous le poids de la
déesse qui plonge dans l'humide élément avec la
rapidité du plomb attaché à la ligne du pêcheur,
qui cache, sous la corne d'un bœuf sauvage, le
1(58
L'ILIADE,
perfide appât, fléau des poissons. Parvenue au
palais de Thétis, la messagère des dieux voit la
mère d'Achille assise au milieu de ses nymphes,
le visage baigné de pleurs, présageant la destinée
de son valeureux fils, condamné à périr aux champs
troyens, loin de sa terre natale, La légère Iris approche , lui parle ainsi :
Levé- toi, 6 Thétis : Jupiter t'appelle, Jupiter
dont les conseils sont éternels.
Que me veut le maître des dieux, répond la
déesse aux pieds d'argent : dans la douleur qui
m'accable, suis-je en état d'assister aux festins
sacrés ? J'irai cependant ; car les ordres du fils
de Saturne ne doivent être ni transgressés ni
éludés.
Ainsi parle la plus belle des nymphes ; et se
couvrant d'un voile noir, immense, dont rien
n'égale l'obscurité et le deuil, elle s'élance de l'humide palais. La légère Iris la précède et la guide.
Les gouffres profonds de la mer se fendent à l'aspect des deux déesses : elles gravissent la rive escarpée, et parviennent au sommet de l'Olympe,
où les immortels, assis sur leurs trônes, environnent le dieu dont la vue perçante s'étend sur la
nature entière. Thétis aborde le dieu qui lance le
tonnerre, et s'assied près de lui; car Minerve lui
CHANT
XXIV.
169
céda le trône qu'elle occupoit. Junon s'efforce de
calmer par ses paroles les douleurs de la fille du
vieux Nérée; une coupe d'or lui est offerte parles
mains de la reine des dieux. Thétis la vuide et la
rend à l'épouse de Jupiter. Le père des dieux et
des hommes prenant la parole :
O Thétis, lui dit-il, tu arrives sur l'Olympe,
l'ame accablée d'une douleur profonde; des soucis
dévorants déchirent ton cœur, je le sais, et m'empresse de te dévoiler le puissant motif pour lequel
je t'ai fait appeller. Depuis neuf jours une violente querelle s'est émue parmi les habitants de
l'Olympe : Hector, dont la destinée est remplie,
et Achille, le destructeur des cités, en sont les
objets.Tous les dieux sollicitent l'adroit meurtrier
d'Argus d'enlever à Achille les restes du fils de
Priam. Mais, fidèle à l'alliance que j'ai contractée
avec toi, fidèle à l'amour que tu m'as inspiré, je
me suis opposé jusqu'ici à leurs projets ; car la
gloire doit être le partage de ton fils. Vole à l'armée
des Grecs, porte mes ordres à Achille, dis-lui que
les dieux sont irrités, et moi plus que tous les autres, des outrages qu'il fait essuyer dans sa fureur
à la dépouille mortelle d'Hector, qu'il retient dans
ses vaisseaux, refusant de la rendre aux Troyens.
Si la crainte du père des dieux et des liommes est
4.
22
i7o
L'ILIADE,
dans son cœur, qu'il leur livre les restes d'Hector.
J'enverrai Iris ordonner au magnanime Priam
d'aller au camp des Grecs racheter le corps de
son iils, d'apporter à Achille une immense rançon
dont il sera satisfait.
Il dit. Docile aux ordres de Jupiter, Thétis se
précipite du sommet de l'Olympe, arrive à la tente
de son fils. Consterné , immobile, Achille pousse
de profonds gémissements , ses fidèles compagnons , empressés autour de lui, s'efforcent de
dissiper sa morne tristesse : un mouton engraissé r
chargé d'une épaisse toison, vient d'être immolé ;
ils préparent le repas du matin. La respectable
mère d'Achille s'approche, s'assied près de son
fils, lui prodigue de tendres caresses.
Ô mon fils, lui dit-elle, mets un terme à ton
deuil, chasse les soucis dévorants qui te consument. Tu ne bois ni ne manges ; le sommeil ne
ferme point tes paupières ; tu n'es plus sensible
aux plaisirs de l'amour, le charme des maux les
plus cuisants qu'éprouve la race des mortels : cependant l'heure de ta mort approche. Dans peu
la Parque inexorable tranchera le fil de tes jours.
Suis mes conseils : Jupiter me députe vers toi. Il
dit que tous les dieux sont irrités, et lui plus que
tous les autres, des outrages que tu fais essuyer
CHANT
XXIV.
171
dans ta fureur à la dépouille mortelle d'Hector,
que tu retiens dans tes vaisseaux, refusant de la
rendre auxTroyens. Rends-leur, ô mon fils, cette
précieuse dépouille, objet de leurs vœux; accepte
en échange une immense rançon.
Qu'on m'apporte cette rançon, répond Achille,
que les Troyens enlèvent le corps d'Hector, puisque telle est la volonté du dieu qui règne sur
l'Olympe.
Ayant ainsi exécuté les ordres du maître des
dieux, Thétis se livre aux tendres mouvements de
l'amour maternel ; les paroles volent dans leurs
mutuels entretiens. Cependant Jupiter députe Iris
vers la sainte cité d'Ilion : Légère Iris, lui dit-il,
abandonne le céleste palais ; hâte - toi de porter
dans Troie mes ordres à Priam. Qu'il pénètre dans
le camp des Grecs, pour racheter le corps de son fils,
et payer à Achille une immense rançon dont son
cœur soit satisfait. Qu'il parte seul, sans autre cortège que le plus vieux de ses hérauts pour conduire
son char, diriger ses mules et reporter dans Troie
la dépouille mortelle d'Hector précipité dans les
sombres demeures par les mains du fils de Pelée.
Que la crainte de la mort n'occupe point la pensée
du père d'Hector; qu'elle ne l'arrête pas : le puissant meurtrier d'Argus l'escortera jusqu'à la tente
i72
L'ILIADE,
d'Achille. Le fils de Pelée le traitera avec humanité ; il contiendra tous les autres : car il n'est ni
insensé, ni imprudent, ni impie; il respecte les
droits de l'hospitalité : Priam trouvera grâce auprès
d'Achille; il lui inspirera une tendre pitié.
Il dit. Aussi rapide que la tempête, Iris, s'élançant.du sommet de l'Olympe, parvient au palais
de Priam. Un deuil affreux règne dans la vaste enceinte de l'auguste demeure des rois ; les pleurs ,
les sanglots retentissent de toutes parts : les fils
de Priam environnent leur père ; leurs vêtements
sont mouillés de leurs larmes : au milieu d'eux,
le vieux Priam , enveloppé dans son manteau, se
roule sur la poussière ; la cendre souille ses cheveux blancs : ses filles, les épouses de ses fils T
pleurent à ses côtés, rappellant à leurs pensées
tous les héros que les enfants de la Grèce ont précipités dans les sombres demeures. La courriere
de Jupiter, Iris, approche; d'une voix afïbiblie par
l'effroi que lui cause cet affreux spectacle, elle
adresse la parole à Priam :
Prends confiance, Dardanien Priam , lui ditelle; que ma présence ne porte point le trouble
dans ton ame : je viens soulager tes ennuis, non
les accroître. Le dieu qui règne sur l'Olympe,
qui, du sommet de la voûte éthérée, veille sur
CHANT
XXIV.
i73
toi, a pris compassion de tes maux : Jupiter t'ordonne de racheter la dépouille mortelle de ton
iils, de porter à Achille une riche rançon dont
son cœur soit satisfait. Pénètre seul dans le camp
des Grecs, sans autre cortège que le plus vieux de
tes hérauts, pour conduire ton char, diriger tes
mules, et reporter dans Troie le corps d'Hector
qu'Achille a précipité dans les sombres demeures.
Que la crainte de la mort ne t'arrête pas; qu'elle
n'occupe point ta pensée : l'adroit meurtrier d'Argus , Mercure, t'escortera jusqu'à la tente d'Achille. Le fils de Pelée te traitera avec humanité ,
et contiendra tous les autres : car il n'est ni insensé, ni imprudent, ni impie; il respecte les
droits de l'hospitalité. Aborde-le en suppliant; tu
trouveras grâce devant lui; il aura compassion de
tes infortunes.
Ayant ainsi parlé, la légère Iris disparoît. Priai»
ordonne d'atteler ses mules à son char, d'y placer
un grand coffre. Il dit, et monte dans l'appartement parfumé, de bois de cèdre, dont le toit est
d'une grande élévation, où sont renfermés ses trésors les plus précieux. Appellant Hécube sa tendre
épouse : '
Mère affligée, lui dit-il, un messager du dieu
qui règne sur l'Olympe m'ordonne de pénétrer
i74
L'ILIADE,
dans le camp des Grecs pour racheter mon iils,
pour remettre aux mains d'Achille une riche
rançon, dont son cœur soit satisfait. Expliquemoi ta pensée ; quel te paroi t être ce message? J'ai
un désir ardent d'obéir, d'aller au camp des Grecs,
de racheter les précieux restes d'Hector.
Il dit. Des larmes abondantes baignent les
joues de sa tendre épouse ; elle s'écrie : Infortuné !
qu'est devenue cette sagesse justement respectée
de tes sujets, célèbre autrefois parmi les nations
étrangères? Tu conçois le périlleux projet d'aller
seul aux vaisseaux des Grecs, d'aborder un homme
cruel, le meurtrier de tes valeureux enfants, dont
le cœur est d'acier. A peine t'aura-t-il apperçu,
qu'il te traitera en captif. Ne te flatte pas que le
iils de Pelée, perfide, avide de sang, respecte tes
cheveux blancs. Renfermés dans ce palais, loin
d'une foule importune, pleurons la mort de mon
fils, abandonnant sa dépouille mortelle à la trame
affreuse que les Parques lui ont filée à l'instant de
sa naissance, quand je le mis au monde : que le
corps d'Hector soit, puisqu'il le faut, la pâture
des chiens et des vautours, loin des siens, dans
la tente de cet homme cruel dont je ne punirois
dignement les forfaits qu'en dévorant son cœur,
qu'en déchirant ses entrailles. Ainsi seroit vengé
CHANT
XXIV.
i75
mon fils, le grand Hector, qu'il a percé sous les
murs de sa patrie, aux yeux des Troyens et des
Troyennes défendus par son intrépide valeur.
0 ma chère épouse, répond le vieux Priam
dont la majesté égale celle des immortels, n'essaie pas de me détourner de la résolution que j'ai
prise: ne porte point l'effroi dans mon palais par
de sinistres présages ; tu ne me persuaderois point.
Si quelque mortel, soit devin, soit pontife ou sacrificateur, m'eût donné cet ordre, je le croirois
menteur et refuserois d'y obéir : mais une divinité
est descendue de l'Olympe; je l'ai-vue de mes
yeux. Docile aux ordres des immortels, je pars.
Puissé-je mourir dans les vaisseaux des Grecs ;
qu'Achille me perce de son javelot sur le corps
de mon malheureux fils, le serrant dans mes
bras , rassasié de mes larmes ! c'est l'objet de mes
vœux !
Il dit ; et ouvrant les arches solides qui renferment ses trésors, il en tire douze manteaux d'une
grande beauté, douze voiles très fins, autant de
tapis, autant de superbes tuniques, dix talents
d'or, deux trépieds éclatants, quatre vases d'airain, une coupe d'une grande valeur, présent que
lui firent les Tliraces, quand il fut envoyé dans
cette contrée, porteur de paroles de paix. Cette
i76
L'ILIADE,
coupe est d'or, d'un travail exquis. Le vieuxPriam
la gardoit avec soin dans son palais. Il la consacre
à la rançon de son fils ; car la dépouille d'Hector
est d'un prix inestimable à ses yeux. Tous les
Troyens s'empressent autour de lui, font effort
pour l'arrêter ; il les repousse avec de dures paroles :
Lâches, leur dit-il, dignes de toutes sortes d'opprobres, retournez dans vos maisons pleurer les
pertes que vous avez faites. Cessez de me fatiguer
par de vaines instances; n'ajoutez pas aux maux
dont le iils de Saturne m'a accablé, m'ayant ravi
le plus courageux de mes iils. Vous sentirez un
jour le besoin que vous aviez de son bras. Privés
de ce héros, les Grecs triompheront aisément
d'une multitude impuissante. Puissé-je descendre
dans les sombres demeures, avant de voir cette
grande cité dévastée, réduite en cendres par les
enfants de la Grèce !
Il dit, et les écarte avec son sceptre. Respectant la douleur du vieux monarque, ils s'éloignent.
Neuf de ses iils, les seuls qui lui restent, Hélénus,
Paris, le divin Agathon , Pammon, Antiphonus,
le valeureux Polytès, Déiphobus, Hippothoûs et
le divin Agauus, s'empressent autour de lui. Le
vieillard leur adresse ces durs reproches :
CHANT
XXIV.
177
Enfants pervers, l'opprobre de ma race, hâtezvous d'obéir à mes ordres ; votre vie ne peut me
consoler de la perte du seul Hector. Infortuné !
j'eus des enfants valeureux, le divin Mestor,
Troïlus qui se plaisoit à combattre de dessus son
char, Hector qui sembloit un dieu descendu sur
la terre, digne d'être le fils d'un dieu plutôt que
d'un mortel. La guerre les a tous moissonnés. Il
ne me reste que des fils dont je rougis d'être père,
parjures, légers, qui languissent dans une molle
oisiveté, qui ne se plaisent que dans les festins,
sang-sues de mon peuple, qui dévorent ses agneaux
et ses chèvres. Hâtez-vous de préparer mon char,
d'y placer cette précieuse rançon pour que j'accomplisse le voyage que les dieux m'ont prescrit.
Il dit. Ses fils respectueux, craignant d'irriter
un père qu'ils chérissent, s'empressent de préparer le char solide, formé de planches nouvellement assemblées, à quatre roues, propre à être
traîné par des mules ; ils y attachent, à l'aide de
forts cordages, le coffre destiné à contenir la rançon d'Hector. Le joug de bois, orné de bossettes
et d'anneaux, est détaché de la muraille : ils le
fixent à l'extrémité du timon. Des rênes de neuf
coudées y sont suspendues ; les fils de Priam les
passent par trois fois dans l'anneau, les unissent
4.
23
178
L'ILIADE,
par un nœud sous l'angle du joug, lesy Hxent avec
solidité, apportent la riche rançon, la placent dans
le char, attellent les mules vigoureuses, infatigables, superbe présent que les Mysiens firent autrefois à Priam. Des coursiers légers, destinés au
char du monarque, sont tirés de ses vastes écuries
où il les nourrit avec soin. Occupé de sages pensées, le Dardanien Priam et son héraut les attellent eux-mêmes sous le portique du palais.Tenant
dans ses mains une coupe d'or, pleine d'un vin
aussi doux que le miel, Hécube désolée approche:
elle se place à la tête des coursiers, et ne souffre
pas que Priam et son héraut partent avant d'avoir
offert aux dieux de saintes libations. Présentant la
coupe à son époux : Puisque, malgré mes efforts,
lui dit-elle, tu as formé le périlleux projet de pénétrer dans le camp des Grecs, offre avant tout de
saintes libations au père des dieux et des hommes,
pour qu'il te préserve du javelot de l'ennemi et
te ramené dans ton palais. Adresse tes humbles
vœux au fils de Saturne, qui, du sommet de l'Ida,
veille sur Ilion ; demande-lui d'affermir ton courage par un augure favorable, de faire voler sur la
droite cet oiseau qu'il chérit par-dessus tous les
autres, le plus léger, le plus fort des habitants de
l'air, que tu le voies de tes yeux ; qu'il t'inspire
CHANT
XXIV.
179
une juste confiance de réussir dans cette périlleuse tentative. Si le dieu dont l'œil perçant embrasse la nature entière, te refuse cet augure favorable, arrête tes coursiers; ne hasarde point,
malgré ton impatience, d'approcher du camp des
Grecs.
Femme, lui répond le divin Priam, je ne me
refuserai pas à tes pieuses instances : il est bon
d'élever ses mains suppliantes vers le dieu qui
lance le tonnerre.
Il dit, et ordonne à une adroite captive de verser
de l'eau sur ses mains. L'esclave cellériere, portant une aiguière d'or sur un bassin d'argent, répand une onde pure sur les mains du monarque.
Prenant la coupe de celles de son épouse, debout au milieu de la vaste enceinte de son palais ,
les yeux élevés vers le ciel, le vieux Priam fait
des libations à Jupiter, lui adresse cette fervente
prière :
Père des dieux et des hommes, qui domines
sur l'Ida, dont la puissance égale la bonté, accorde-moi de pénétrer jusqu'à la tente d'Achille ,
de trouver grâce devant ce héros, d'émouvoir sa
pitié. Affermis mon courage par un augure favorable ; fais voler sur la droite cet oiseau que tu
chéris par-dessus les autres, messager rapide de
180
L'ILIADE,
tes ordres suprêmes, le plus fort des oiseaux ; que
je le voie de mes yeux, qu'il m'inspire une juste
confiance de parvenir en sûreté aux vaisseaux des
Grecs.
Ainsi parle le vieux Priam, et ses vœux sont
exaucés. Le dieu qui lance le tonnerre lui envoie
le plus certain des augures, cet oiseau de proie
dont les plumes sont d'un or foncé, qu'ils nomment le grand aigle ; ses ailes étendues couvrent
tout l'espace qu'occupe le portique élevé de la
maison d'un homme riche. Il vole sur la droite
et parcourt la vaste enceinte de Troie : tous le
voient; leurs âmes sont réjouies, leurs espérances
ranimées. Priam se hâte de monter sur son char;
le portique sonore retentit du bruit du départ; les
mules légères précèdent, dirigées par Idée ; elles
traînent le char à quatre roues qui renferme la
rançon d'Hector. Priam suit, monté sur son char
qu'enlèvent de rapides coursiers; le fouet, manié
avec art, hâte et ralentit leur marche impétueuse.
Suivi de ses enfants, de ses gendres, d'un peuple
immense qui l'adore, le vieux Priam traverse la
vaste cité de Troie : tous pleurent, tous gémissent, comme s'il alloit à la mort. Parvenus aux
portes de la ville, à la route qui conduit au camp
des Grecs, ses fils, ses gendres, contraints de
CHANT
XXIV.
181
l'abandonner, retournent tristement dans leurs
palais. Le dieu dont l'œil perçant s'étend sur la
nature entière , voit Priam traverser la plaine ,
précédé de son héraut : ému d'une tendre pitié, il
adresse la parole à Mercure son cher fils :
O Mercure, lui dit-il, aucun des dieux ne se
plaît plus que toi parmi les mortels ; tu protèges
celui qui t'est agréable. Vole au secours de Priam
qui marche vers le camp des Grecs ; sois son guide,
ô mon fils : qu'aucun des enfants de la Grèce ne
le reconnoisse, avant qu'il soit parvenu à la tente
d'Achille.
Il dit. Docile aux ordres de Jupiter, le messager
des dieux, l'adroit meurtrier d'Argus, attache ces
brillantes talonnieres d'or qui le portent sur la
terre et sur l'onde avec la rapidité des vents, prend
en main cette verge miraculeuse avec laquelle il
ferme, quand il lui plaît, les yeux des mortels, et,
quand il lui plaît, les rappelle à la vie. Armé de
cette verge puissante, Mercure se précipite du
sommet de l'Olympe, vole avec rapidité vers les
champs troyens, parvient aux rives de l'Hellespont, sous la forme d'un jeune guerrier dont un
léger duvet couvre le menton. Le vieux Priam et
son héraut ont passé l'antique tombeau d'Ilus :
leur course rapide est suspendue; les coursiers et
182
L'ILIADE,
les mules étanchent leur soif dans l'onde limpide
du Xanthe; les voiles de la nuit s'étendent sur la
terre. Idée apperçoit près de lui un jeune homme
dans la fleur de l'âge. Adressant la parole au monarque :
Fils de Dardanus, lui dit-il, prends conseil de
ta sagesse. Un guerrier est près de nous ; notre
perte est certaine. Fuyons, ou embrassons ses genoux; peut-être aura-t-il pitié de notre infortune.
Il dit. La terreur s'empare du vieux monarque $
ses cheveux, blanchis parles ans, se dressent sur
sa tête ; il tremble de tous ses membres. Mercure
approche ; lui prenant la main :
O mon père, lui dit-il, où vas-tu avec ces chevaux et ces mules, par une nuit obscure, quand
tous les autres mortels sont plongés dans le
sommeil? Ne redoutes-tu point le courroux des
Grecs? Des ennemis implacables sont près de toi.
Si quelqu'un d'eux te voyoit emporter ces trésors,
quel seroit ton espoir? Tu n'es plus jeune, et.ton
compagnon est vieux; esperes-tu, avec une telle
escorte, repousser l'ennemi? Ne redoute aucun
mal de ma part : je te défendrai ; car je t'honore à
l'égal d'un père.
Mon cher fils, lui répond Priam dont la majesté égale celle des dieux , je connois tous les
CHANT
XXIV.
i83
périls qui m'environnent : mais quelque dieu me
protège, puisqu'il m'envoie un tel guide. Rencontre fortunée! j'admire ta beauté, la majesté de
ton port, la sagesse de te* conseils ; tu es sans
doute de la race des heureux habitants de l'Olympe.
Ta sagesse, ô vieillard, éclate dans tes paroles,
reprend l'adroit meurtrier d'Argus. Mais parlemoi avec sincérité : transportes-tu dans une terre
étrangère ces trésors, débris de ta fortune? tous
les Troyens, dans la frayeur que les Grecs leur
inspirent, ont-ils formé le projet d'abandonner la
grande cité d'Ilion, ayant perdu leur valeureux défenseur, ton fils, qui les menoit au combat, qui
ne le cédoit à aucun des héros de la Grèce?
Ô toi, qui rends justice aux vertus de mon
fils et prends part à la douleur qui m'accable, répond le vieux Priam, qui es- tu? quelle est ton
origine ?
Tu veux m'éprouver, ô vieillard, répond Mercure , pour que je te parle de ton fils, le divin
Hector. Je l'ai vu dans les combats, dans les pénibles travaux de la guerre, portant la flamme et le
carnage dans les vaisseaux des Grecs. Oisifs alors,
nous admirions ses exploits ; car Achille, irrité
contre le fils d'Atrée, ne nous permettoit pas de
184
L'ILIADE,
combattre. Je suis l'un des Thessaliens ; Achille
est mon roi ; un même vaisseau nous apporta aux
champs troyens. L'opulent Polyctor mon père ,
courbé maintenant, comme toi, sous le poids des
ans, eut sept enfants; je suis le dernier. Nous
agitâmes des billets dans un casque : le sort décida
lequel d'entre nous accompagneroit le fils de Pelée
aux champs troyens ; le sort tomba sur moi. Je me
suis éloigné du camp des Grecs dans le dessein
d'épier vos mouvements. Au lever de l'aurore, les
enfants de la Grèce, qui s'ennuient de ce long
repos, donneront l'assaut à la grande cité d'Ilion ;
car les rois ne peuvent contenir leur ardeur.
Puisqu'Achille, fils de Pelée, est ton maître,
répond le vieux Priam dont la majesté égale celle
des dieux, parle-moi avec vérité. Le corps de mon
malheureux fils est-il encore dans les vaisseaux
des Grecs ? Achille a-t-il livré à ses chiens la dé'
pouille mortelle de mon fils?
Ni les chiens ni les oiseaux du ciel n'ont déchiré le corps de ton fils, répond l'adroit meurtrier d'Argus. Il repose sans gloire depuis douze
jours à l'entrée de la tente d'Achille ; et cependant
sa chair n'est point flétrie : les vers, la corruption,
qui souillent les victimes de Mars, ont respecté
le corps d'Hector. Tous les jours, au lever de
CHANT
XXIV.
i85
l'aurore, Achille l'attache à son char, l'entraîne
autour du tombeau de son cher compagnon, et
ne lui fait point d'autre outrage. Le voyant, tu
admireras sa fraîcheur et sa beauté : ses traits ne
sont point altérés ; le sang noir et livide qui le
couvroit a été purifié : les plaies nombreuses que
lui firent les enfants de la Grèce, le perçant de
leurs javelots, sont maintenant fermées; il semble
respirer ; tant est grand le soin que les immortels
on t pris de ton fils depuis son trépas, car Hector
leur fbt cher dans tous les temps.
Ce récit adoucit la tristesse mortelle du vieux
Priam. Ainsi, dit-il, les dieux se plaisent à récompenser ceux qui leur rendent un culte religieux.
Jamais Hector (hélas ! il n'est plus î) n'oublia dans
mon palais les heureux habitants de l'Olympe ; ils
ne l'oublient point après son trépas, lorsqu'il a
succombé à sa destinée. Reçois, ô mon fils, cette
belle coupe que ma main te présente; daigne me
protéger, daigne guider mes pas afin que je parvienne, avec l'aide des dieux, jusqu'à la tente du
fils de Pelée.
Tu tends des pièges à ma jeunesse, ô vieillard,
lui répond l'adroit messager de Jupiter, me proposant d'accepter tes dons, à l'insu du fils de Pelée. Le respect que je porte à ce héros ne me
4.
24
i8<5
L'ILIADE,
permet pas de recevoir une coupe qui lui fut
destinée. Achille m'en puniroit. Mais, fallût-il te
conduire dans Argos, parcourir avec toi et la terre
et la mer, je guiderai tes pas ; avec une telle escorte, ne crains point qu'aucun mortel soit assez
téméraire pour te provoquer au combat.
Ainsi parle Mercure ; et s'élançant sur le char,
il prend en main le fouet et les guides, et accroît
l'ardeur des coursiers et des mules. Parvenus au
fossé et aux tours qui bordent la haute muraille ,
ils trouvent les gardes avancées, qui goûtent les
douceurs du repas du soir. L'adroit Mercure répand sur leurs paupières les pavots du sommeil ;
poussant les leviers, il contraint les portes de
s'ouvrir. Les deux chars entrent dans le camp ;
ils parviennent ainsi à la tente du iils de Pelée,
superbe demeure que les Thessaliens élevèrent à
leur roi, de planches de sapin artistement ajustées, que recouvrent des joncs flexibles. Une
vaste enceinte, d'immenses parvis la précèdent et
l'environnent; une porte les ferme à l'aide d'un
seul levier si pesant, que trois hommes ont peine
à le mettre en mouvement ; et cependant le fils de
Pelée fait seul tourner cette porte sur ses gonds.
L'utile Mercure l'ouvre au vieillard, l'introduit
dans la tente d'Achille, lui et la riche rançon qu'il
C H A N T XXIV.
187
apporte. Descendu du char, il adresse la parole
au vieux Priam :
Je suis Mercure, lui dit-il, l'un des habitants
de l'Olympe. Mon père, le grand Jupiter, m'a
ordonné de t'escorter; je remonte dans le céleste
palais, car je ne dois pas m'offrir aux yeux d'Achille.
La majesté divine seroit blessée, si je m'abaissois
jusqu'à implorer un mortel. Pénètre seul dans la
tente d'Achille, embrasse ses genoux, adresse-lui
tes humbles vœux ; rappelle à son esprit, pour fléchir son courroux, le souvenir de son père, de la
déesse sa mère, d'un fils cher à son cœur.
Ainsi parle Mercure, et il remonte sur l'Olympe.
Priam descend du char, ordonnant à Idée de
veiller à la garde des coursiers et des mules. Il
pénètre seul dans la tente d'Achille, voit le fils de
Pelée assis sur son trône, loin de ses compagnons,
plongé dans une affreuse tristesse. Ses fidèles
compagnons, respectant sa douleur, n'osent l'approcher. Deux seuls, Automédon et Alcime, rejetons de Mars, sont près de lui pour le servir.
Us achèvent le repas du soir; la table est encore
dressée. Priam est entré sans être vu : il s'approche
d'Achille, embrasse ses genoux, colle ses lèvres
sur ces mains homicides qui lui ravirent tant de
magnanimes enfants. Le fils de Pelée frémit à*
i88-
L'ILIADE,
cette vue : ses compagnons se regardent l'un I'atrtre, saisis d'une terreurégale à celle qu'inspire ur*
meurtrier qui, contraint d'abandonner sa patrie,
fuyant la vengeance des parents du mort, pénètre
dans la maison d'un homme riche où il cherche
un asyle. Rompant enfin ce long silence, le père
d'Hector adresse à Achille cette humble prière r
O Achille, la vivante image des dieux, souviens-toi de ton père. Courbé comme moi sous
le poids des ans, peut-être en ce moment, accablé
par des voisins puissants, il cherche un défenseur
qui repousse les maux prêts à fondre sur sa tête^
Cependant son ame est en paix, sachant que tu
vis, espérant te revoir dans son palais, à ton re-r
tour de Troie. Mon malheur ne reçoit aucune
consolation. J'eus, dans la grande cité d'ilion, de
valeureux enfants ; il me semble que je reste seul,
privé de tous. Cinquante iils naquirent dans mon
palais. Telle étoit ma nombreuse postérité, quand
les enfants de la Grèce abordèrent aux champs
troyens. La seule Hécube m'en donna dix-neuf r
d'autres épouses un plus grand nombre. Aucun
des iils d'Hécube n'existe maintenant ; le cruel
dieu de la guerre les a tous précipités dans lessombres demeures. Un seul me restoit, le rempart de Troie, le défenseur de mon peuple, moi*
CHANT
XXIV.
189
cher Hector ; il vient de tomber sous tes coups,
en défendant la cité qui l'a vu naître. Tel est le
sujet qui me conduit dans le camp des Grecs,
et m'enhardit jusqu'à pénétrer dans ta tente, ô
Achille, pour y racheter la dépouille,mortelle de
mon fils. J'apporte une immense rançon. Fils de
Pelée, respecte les dieux, prends pitié de mon
infortune. Souviens-toi de ton père; je suis plus
digne de compassion; contraint, par une douleur
qui n'eut point d'exemple sur la terre, de coller
mes lèvres, d'arroser de mes larmes les mains
homicides du héros qui donna la mort à tous les
miens.
Il dit. Le souvenir de son père excite dans
l'ame d'Achille une douleur profonde : il pleure r
gémit, verse des larmes ameres, repousse doucement le vieux Priam, qui, prosterné à ses pieds r
frémit à la vue du meurtrier de son fils, La piété
filiale, le souvenir de Patrocle se combattent dans
l'ame d'Achille , et lui arrachent des larmes; leurs
sanglots, leurs profonds gémissements retentissent dans la vaste enceinte de la tente du fils d e
Pelée. Lorsque le besoin de pleurer est appaisé r
qu'Achille s'est rassasié de ses larmes, respectant
les cheveux blancs, respectant le menton blanchi
par les années du vieux Priam > il se levé du trône
IOO
L'ILIADE,
où il est assis, soulevé doucement le vieillard, lui
tendant la main:
Infortuné, dit-il, ta constance a été éprouvée
par de cruelles douleurs. Assez courageux pour
oser seul, sans escorte, pénétrer dans le camp des
Grecs, implorer la clémence de celui qui t'a privé
du plus grand nombre de tes iils ; ton cœur est
d'acier. Prends place sur ce trône. Suspends l'expression de la douleur qui nous accable l'un et
l'autre : un deuil éternel ne remédieroit point à
nos maux. A l'abri des soins qui nous agitent, les
heureux immortels ont fait des douleurs le partage
de l'humanité. Passer leurs jours dans la tristesse,
c'est le destin des hommes. Deux urnes profondes
sont placées dans le palais de Jupiter, l'une des
biens, l'autre des maux; la vie de celui sur lequel
le dieu qui manie la foudre puise et verse alternativement la liqueur enfermée dans ces urnes, est
mélangée de bien et de mal. Celui-là est éternellement malheureux, sur lequel Jupiter puise et
verse sans cesse de l'urne des maux : une affreuse
indigence le contraint d'errer sur la terre, objet
du mépris des dieux et des hommes. Dès ses plus
jeunes ans, Pelée fut comblé de biens : roi des
Thessaliens, son bonheur, ses richesses, surpassoient celles de tous les autres humains. Quoique
CHANT
XXIV.
191
mortel, les dieux l'unirent, par les nœuds de l'hymen, à une divinité. Le destin ennemi lui envoya
le malheur ; il ne permit pas qu'une nombreuse
postérité, élevée dans son palais, consolât sa vieillesse : Thétis n'eut qu'un iils. Détenu loin de ma
terre natale, dans les champs troyens, pour ton
malheur, ô vieillard ! pour le malheur de tes enfants, privé de la douce consolation de prodiguer
mes tendres soins à Pelée mon père, ma vie
s'écoulera comme un songe. Et toi, Priam , le
bruit de ta félicité parvint jusqu'à nous. Lesbos
où régna Macar au midi, la Phrygie à l'orient, les
rives de l'Hellespont au nord, furent renfermées
dans les limites de ton empire. Possesseur d'immenses trésors, de nombreux enfants fleurissoient
dans ton palais, quand les habitants de la voûte
éthérée firent fondre le malheur sur ta tête ; des
combats sanglants sous les murs de ta ville, des
meurtres, des homicides; tel est maintenant ton
destin. Supporte tes maux avec patience; qu'une
douleur éternelle ne consume pas ta vieillesse :
l'affliction dont t'accable la perte de ton fils ne
le rendra pas à la vie; crains d'accroître ton infortune.
Divin fils de Pelée, lui répond le vieux Priam,
tu me proposes de prendre place sur un trône ,
192
L* I L I A D E ,
tandis que la poussière de ta tente souille le corps
d'Hector ! Accepte la rançon que je t'apporte ;
rends-moi le corps d'Hector, que je le voie de mes
yeux. M'ayant ainsi rappelle à la vie, à la lumière
du soleil, daigne le ciel, mettant un terme à tes
travaux, te ramener dans ta terre natale!
Ne m'irrite point, ô vieillard, répond Achille
jetant sur lui un regard furieux. J'ai dessein de te
rendre Hector : ma mère, la fille du vieux Nérée,
est venue m'apporter les ordres de Jupiter. Je
n'ignore pas que l'un des habitants de l'Olympe
t'a guidé dans le camp des Grecs. Sans ce puissant
secours, quel mortel, même dans la force de l'âge,
eût surmonté tant d'obstacles, trompé les sentinelles, abaissé les leviers de nos portes, percé une
armée entière? Et toutefois n'accrois pas ma douleur ; crains que, malgré les ordres de Jupiter,
malgré le respect dû à un suppliant malheureux,
je ne te permette pas même d'errer dans ma tente.
Il dit. Le vieux Priam sort en tremblant. Suivi
du héros Automédon et d'Alcime, ses fidèles
compagnons, qu'il honore par-dessus tous les autres depuis la mort de Patrocle, le fils de Pelée
semblable à un lion, franchit la vaste enceinte de
sa tente. Alcime et Automédon détellent les chevaux et les mules, emmènent Idée, le héraut du
CHANT
XXIV.
io3
vieux Priam, lui ordonnent de veiller sur le char.
Cependant ils s'emparent au nom de leur maître
de l'immense rançon, ne laissant dans le char que
deux voiles et une tunique destinés à couvrir le
corps d'Hector, quand le vieux monarque et son
héraut le transporteront dans Troie. Achille ordonne aux femmes captives de purifier la dépouille
mortelle d'Hector, de l'arroser d'huile parfumée:
Faites, leur dit-il, ces apprêts dans un lieu écarté,
de peur que Priam, ne pouvant contenir l'expression de sa douleur, à la vue du corps sans vie de
son iils, n'excite mon courroux, que je ne lui
donne la mort malgré les ordres de Jupiter.
A l'instant les femmes captives purifient par le
bain la dépouille mortelle d'Hector, versent sur
son corps une huile parfumée, le couvrent de la
tunique et du voile précieux réservés pour cet
usage. Le fils de Pelée s'empare du corps d'Hector, l'élevé, le place lui-même sur le lit funèbre
que ses compagnons ont posé sur le char.
Adressant la parole aux mânes de Patrocle :
G mon fidèle compagnon, dit-il, ne t'irrite pas,
quand tu apprendras, dans le séjour des ombres,
que j'ai rendu à son père le divin Hector. Priam
a racheté d'une rançon digne de nous les précieux
4.
25
i94
L'ILIADE,
restes de son iîls. Je l'emploierai à accroître les
honneurs dus à tes mânes.
Il dit; et rentrant dans sa tente, il reprend le'
trône qu'il a quitté, adossé à la muraille opposée
au trône sur lequel il a fait asseoir le vieux Priam.
Adressant la parole a ce père affligé : Ton fils t'esl
rendu, ô vieillard, lui dit-il; il repose en ce moment sur ton char. Demain, au lever de l'aurore f
lu le verras et le reporteras dans Troie, Goûte
maintenant les douceurs du festin, malgré la douleur qui t'accable. Ainsi la triste Niobé se nourrie
d'un pain arrosé de ses larmes, pleurant la morl
de douze enfants immolés dans son palais , six
filles d'une grande beauté, six héros dans la fleur
de l'âge. ApoHon à l'arc d'argent perça les mâlesde ses flèches invincibles ; les filles tombèrent
sous les coups de la chasseresse Artémise : car le»
deux enfants de Latone se réunirent pour vengea
l'injure que l'orgueilleuse Niobé avoit faite à leur
inere, osant comparer sa fécondité à celle de la
déesse, se vantant que douze enfants étoient sortis*
de son sein, tandis que Latone n'en avoit eu que
deux. Mais les deux enfants de la déesse donnèrent la mort à tous ceux de la superbe Niobé..
Pendant neuf jours, Apollon et Diane les poursuivirent, et personne ne se trouva pour leur rendre
CHANT
XXIV.
195
lés honneurs funèbres ; car Jupiter avoit endurci
le cœur de ce peuple: le dixième jour, les dieux,
habitants de l'Olympe, les ensevelirent. Épuisée
par ses larmes, la triste Niobé rétablit, par la nourriture, ses forces abattues. Maintenant encore
dans Sipyle, sur des roches escarpées, sur des
montagnes désertes, où Ton dit qu'est placé le palais des nymphes dont les chants harmonieux et
les danses légères retentissent sur les rives de
l'Achéloûs, le roc dans lequel la triste Niobé a:
été métamorphosée, s'amollit des pleurs de cette
mère désolée. O vieillard, que les douceurs du
festin rappellent tes esprits affaissés sous le poids
de la douleur. Demain, au lever de l'aurore, tu ramèneras ton fils dans Troie ; il sera honoré de tes
larmes : car ta douleur est juste ; la mort d'Hector
est un digne sujet de deuil.
Il dit ; et s'élançant de son trône, il immole un
mouton couvert d'une toison argentée. Ses com«
pagnons le dépouillent, le préparent, le coupent
en morceaux qu'ils percent avec des broches; ils
les placent sur un feu ardent, les assaisonnent
convenablement, les retirent du feu. Automédon
distribue le pain en de belles corbeilles, Achille
partage les chairs ; ils portent leurs mains sur les
mets qui leur sont offerts. Quand le désir du boire
K>6
L'ILIADE,
et du manger est appaisé, le Dardanien Priam admire la force, la beauté, la majesté du fils de Pelée, égale à celle des immortels. Avec non moins
de surprise et d'admiration, le fils de Pelée considère le front auguste, plein de bonté, du Dardanien Priam ; les discours remplis de sagesse du
vieux monarque s'offrent à sa pensée : leur profonde tristesse reçoit quelque soulagement. Après
quelques moments de silence, le vieux Priam prenant la parole:
Divin Achille, dit-il, retirons-nous : permets
que je goûte quelque repos; car depuis le jour
que mon malheureux fils tomba sous tes coups,
l'excès de ma douleur, mes éternels sanglots,
n'ont pas permis que le sommeil ferma* mes paupières. Renfermé au fond de mon palais, je m e
roulois sur la poussière. Aujourd'hui, pour la première fois, les dons de Cérès ont réparé mes forces
abattues; pour la première fois le vin a humecté
mon palais.
11 dit. Achille ordonne à ses compagnons et
aux femmes captives de préparer des lits sous le
portique, de les couvrir de surjerbes tapis de pourpre, de fines couvertures, de voiles précieux : ïes
femmes esclaves sortent de la tente d'Achirle, tenant dans leurs mains des torches ardentes; elles
CHANT
XXIV.
197
se hâtent de dresser deux lits sous le portique.
AfFectant une fausse terreur, le iils de Pelée adresse
!a parole à Priara :
Vieillard, que je chéris et révère, lui dit-il, j'ai
fait dresser ton lit sous le portique, dans la crainte
que quelqu'un des héros de la Grèce, qui viennent sans cesse dans ma tente pour tenir conseil,
comme la justice l'exige, ne te reconnût, qu'il
n'avertît Agamemnon, le pasteur des peuples ;
que ton départ ne fût différé, que tu ne pusses
reporter dans Troie le corps de ton fils. Mais
parle-moi avec sincérité : combien de jours as-tu
dessein d'employer aux funérailles d'Hector? Je
m'abstiendrai de combattre pendant tout ce temps,
et contiendrai l'impatience des Grecs.
O Achille, répond Priam, la trêve que tu m'accordes pour célébrer les funérailles de mon fils
adoucit mes ennuis. Tu sais que, renfermés dans
nos murs, loin de la forêt, nous sommes contraints
de voiturer le bois par des sentiers difficiles, sur
des monts escarpés ; tu n'ignores pas que la terreur
est répandue parmi les Troyens. Pendant neuf
Jours, nous pleurerons Hector dans le palais : le
dixième nous le pleurerons sur le bûcher ; le peuple assistera au festin funèbre : le onzième nous lut
élèverons un tombeau : quand la douzième aurore
i98
L'ILIADE,
éclairera l'horizon, nous combattrons, puisque la
nécessité nous y contraint.
Il en sera comme tu l'ordonnes, ô vieillard, répond Achille; pendant tout ce temps, je suspendrai les hostilités.
Il dit; et, pour gage de sa foi, pour dissiper la
frayeur dont l'ame du vieux monarque est saisie, il
lui présente la main, reçoit la sienne et la serre.
Épuisés de fatigue et de douleur, le vieux Priam
et son héraut dorment sous le portique : le fils de
Pelée repose dans un réduit obscur ; la belle Biïséis est à ses côtés.
Le sommeil verse ses pavots sur tous les dieux,
sur tous les hommes: mais l'utile Mercure ne dort
pas ; il médite en lui-même comment il remenera
Priam dans la grande cité de Troie, à travers l'armée des Grecs, trompant les sentinelles qui veillent aux portes de la haute muraille. S'élançant du
sommet de l'Olympe, il s'arrête sur la tête du
vieux Priam, et lui parle ainsi :
Seul, au milieu de tes ennemis, tu dors, ô vieillard , et ne songes pas aux périls qui t'environnent !
T u as fléchi l'ame indom table du iils de Pelée ; il
t'a rendu ton iils ; il a reçu la riche rançon dont tu
as racheté la dépouille mortelle d'Hector : les enfants qui te restent en donneroient trois fois au-
CHANT
XXIV.
199
tant, si le fils d'Atrée et les autres Grecs te surprenoient vivant dans le camp,
Il dit; le vieillard tremblant éveille son héraut.
Mercure attelle lui-même les coursiers et les mules. Ils traversent avec rapidité l'armée des Grecs,
sans que personne les reconnoisse. Parvenus au
gué du large fleuve, du tortueux Xanthe qui tire
sa source de Jupiter, Mercure dispàroît, et remonte sur l'Olympe.
En ce moment, l'aurore étend son voile de
pourpre sur la terre : Priam et Idée, les yeux baignés de larmes, poussant de profonds gémissements , traversent la plaine sur leurs chars ; les
mules légères reportent dans Troie le corps du
malheureux Hector. Aucun des Troyens, aucune
des Troyennes ne les a encore apperçus : mais
Cassandre, dont la beauté égale celle de Vénus t
a devancé l'aurore pour monter sur la haute tour
d'Ilion ; elle reconnoît son père, que précède le
héraut Idée ; elle reconnoît les mules vigoureuse»
qui transportent sur un brancard funèbre la dépouille mortelle de son frère Hector; ses cris retentissent dans la vaste cité d'Ilion:
Troyens et Troyennes, dit-elle, portez vos regards sur la plaine ; hâtez-vous d'aller au-devant
d'Hector qui vous est rendu. Vous, dont le cœur
2oo
L'ILIADE,
tressailloit, quand il revenoit triomphant de ces
combats meurtriers , ayant protégé ses concitoyens, empressez-vous de le recevoir en ce triste
appareil.
Elle dit. La ville est déserte, tant est grande la
désolation. Ils se pressent autour des portes, entourent le char qui renferme les précieux restes
d'Hector. Sa tendre épouse, sa respectable mère
accourent les premières ; arrachant leurs cheveux,
meurtrissant leurs joues, se précipitant sous les
roues du char, elles font effort pour toucher cette
tête qui leur fut si chère : un peuple immense les
environne, versant des larmes ameres. Le soleil
eût plongé dans l'Océan, le jour eût fait place à la
nuit, avant que leurs larmes se fussent taries, si,
du haut de son char, le vieux Priam n'eût contenu
ces transports.
Cessez de me fermer le passage, leur dit-il,
souffrez que les mules reportent au palais les précieux restes d'Hector. C'est en ce lieu que vous
lui paierez le tribut de vos larmes.
Il dit. Tous s'éloignent. Le char parcourt lentement la route frayée, et parvient au superbe palais
de Priam. Les restes d'Hector sont placés sur un
lit pompeux ; les chants funèbres commencent.
Les larmes, les sanglots les interrompent; les
C H A N T XXIV.
201
femmes, les divins chanteurs font retentir le palais de leurs cris douloureux.
Andromaque aux bras d'albâtre s'avance la première. Pressant de ses mains la tête d'Hector:
O mon époux, dit-elle, tu meurs dans la fleur
de l'âge, et me laisses veuve, dans ce palais, et un
iîls au berceau, fruit d'un mutuel amour; hélas!
trop malheureux. Jamais mon fils ne sera ton vengeur. Dans peu la puissante cité d'Ilion tombera
anéantie. Tu veillois sur ses remparts; tu protégeois les épouses des Troyens ; tu défendois leurs
tendres enfants, que bientôt les Grecs emmèneront captifs dans leurs vaisseaux, et moi avec eux.
Tu nous suivras, ô mon fils, condamné à d'indignes travaux sous un maître cruel, si, avant ce
temps, quelqu'un des enfants de la Grèce ne t'arrache de mes bras pour te précipiter du sommet
de nos tours, vengeant par ta mort un frère, un
père, un fils, tant de héros qui mordirent la poussière sous les coups d'Hector ; car ton père fut terrible dans le combat. Ta mort, ô mon cher Hector,
porte la désolation dans cette grande cité, dans
l'ame de ton père, dans l'ame de ta respectable
mère; mais sur-tout dans l'ame de ta veuve, qua
tu laisses en proie à de cruelles douleurs. Hélas !
je n'ai pas eu la triste consolation de te voir tendre
426
202
L'ILIADE,
vers moi tes bras défaillants, me donner tes derniers ordres pleins de sagesse, dont le souvenir
n'eût sorti de ma mémoire ni le jour ni la nuit,
tant que le destin m'eût conservé une vie dévouée
maintenant à d'éternelles douleurs.
Elle dit, et verse un torrent de larmes; les femmes du palais répondent à ses lugubres accents.
O toi, celui de tous mes fils le plus cher à mon
cœur, Hector! s'écrie la triste Hécube, les dieux
t'aimèrent; ils récompensent ta piété, même dans
le palais de Plu ton, où ta cruelle destinée t'a conduit. Captifs entre les mains d'Achille, tous mes
autres enfants furent vendus par lui au-delà des
mers, dans Samos, dans Imbrun, dans la nébuleuse Lemnos. Pour venger son fidèle compagnon,
le cruel Achille a percé ton flanc ; il t'a traîné autour du tombeau de Patrocle. Vain trophée qui
n'a pas rappelle à la vie son cher compagnon ! Cependant, vainqueurs du temps, vainqueurs des
efforts du fils de Pelée, tes traits, ô mon cher
Hector, n'ont point été altérés; tu reposes sur ce
lit, semblable à un mortel qu'Apollon a percé de
ses flèches bénignes.
Elle dit, et inonde de ses larmes le visage de
son fils. Les Troyennes lui répondent par de profonds gémissements.
CHANT
XXIV.
2o3
Hélène ferme la pompe funèbre : 0 Hector! de
tous les enfants de Priam le plus cher à mon cœur,
dit-elle. O mon frère; puisque les nœuds de l'hymen me lient à Paris, dont la beauté égale celle
des immortels. Plût aux dieux que ma mort et la
sienne eussent prévenu ce fatal hymenée ! Déjà la
vingtième année s'écoule depuis le jour que, ravie
à ma terre natale, je fus entraînée sur ces rives.
Pendant tout ce temps, je n'entendis sortir de ta
bouche ni plainte ni injure. Jamais tu ne m'imputas le malheur de ta patrie. Quand les filles de
Priam, quand les épouses de ses fils, quand mes
beaux-freres, quand Hécube elle-même, m'accabloient de reproches (car Priam fut toujours pour
moi un père tendre), tu les contenois par tes paroles, par ton inépuisable bonté. Éternel objet de
mes larmes, je les répands et sur toi et sur moi.
Aucun ne me traita avec tant de douceur. Il ne
me reste plus d'amis dans la vaste cité d'Ilion ; tous
m'ont en horreur.
Elle dit, et verse un torrent de larmes : un peuple immense lui répond par ses cris douloureux.
Le vieux Priam prenant la parole:
Partez, leur dit-il, transportez de la forêt le bois
nécessaire au bûcher. Ne redoutez aucune embûche de la part des Grecs ; Achille, me renvoyant,
2o4
L'ILIADE, C H A N T XXIV.
m'a promis de suspendre les hostilités jusqu'à la
douzième aurore : le fils de Pelée m'en a donné sa
foi dans sa tente.
Il dit ; les Troyens attellent les bœufs et les
mules. Neuf jours sont employés à assembler, devant les portes, le bois nécessaire au bûcher. A
peine la dixième aurore a rallumé son flambeau,
qu'ils placent, en pleurant, le corps d'Hector sur
ce vaste bûcher. La flamme consume la précieuse
dépouille d'Hector. Quand la fille de l'air, l'Aurore
aux doigts de rose, se montre pour la onzième fois
sur l'horizon, ils versent sur les cendres d'abondantes libations de vin pour éteindre les restes de
la flamme. Les larmes qui coulent de leurs yeux
baignent leurs joues. Les os d'Hector, blanchis
par le feu, sont déposés dans une urne d'or. Ils la
couvrent de voiles de pourpre d'une finesse extrême , et descendent l'urne funèbre dans la tombe
de ses pères, sur laquelle ils élèvent une immense
colonne de marbre. Des sentinelles sont placées à
l'en tour, pour la défendre des injures des Grecs.
Ces travaux achevés, ils se réunissent dans le palais de leur roi, le vieux Priam, nourrisson de Jupiter, et célèbrent le festin funèbre. Ainsi sont
achevées les obsèques de l'intrépide Hector.
F I N DE
L'ILIADE.
NOTES
DE
L' I L I A D E .
TOME
QUATRIEME.
NOTES
LITTÉRALES ET HISTORIQUES.
ILIADE.
CHANT
XIX.
( PAGE 9. Emplissant les narines de Patrocle.....;
elle rend sa chair Incorruptible.)
Thétis représente le sel marin, dont la nature est de préserver
les corps de la corruption. Tel est le caractère de la poésie épique : «
Là pour nous enchanter tout est mis en usage ;
Tout prend un corps, une ame, un esprit, un visage.
Boitait.
(Page 10. Le léger Achille se levé.)
J'ai cm devoir conserver ici l'épithete qu'Homère donne à Achille,
jré£aç ôKVç, aux pieds légers, parcequ'elle fait contraste avec la
démarche pesante des héros blessés.
(Page 11. L'homme le plus éloquent auroit
peine à se faire entendre.)
M. Bitaubé traduit : ce Amis f héros de la Grèce, enfants de Marst
ce vous devriez, me voyant debout, suspendre vos éclats de joîe f et
ce ne pas m'interromprez, etc. Ce qui renferme une contradiction
avec ce qu'Homère vient de dire, qu'Agamemnon parla sans se
208
HOTES
LITTÉRALES
lever, à cause de sa blessure ; car les rois mêmes se levoient pour
haranguer, soit dans le conseil, soit dans l'assemblée de la nation.
J'ai suivi la leçon de madame Dacier, qui corrige f d'après Eustathe,
earaoroç, debout, et lit âdfctotàç, tranquillement*
(Page 12. La détestable injure, qui blesse tous
les hommes, etc.)
Le poëte personnifie ici l'Injure 9 comme il Fa fait au neuvième
chant, dans le discours de Phénix.
(Ibid. Elle osa attenter sur Jupiter même, etc.)
Le grec porte : Ele blessa Jupiter même, qu'on dit être le meilleur des dieux et des hommes.
(Page i3. Eurysthée, fils de Sthénélus, etc.)
Les poètes postérieurs à Homère font Eurysthée fils d'Alcmene
et d'Amphitryon, tous deux jumeaux ; Junon retarda f selon eux f la
naissance d'Hercule, en sorte que le fils d'Amphitryon précéda le
fils de Jupiter,
Voyez la note relative à cette fable dans le onzième chant de
l'Odyssée.
(Ibid. Saisissant l'implacable Furie, etc.)
Ce vers est susceptible de deux sens \ car on peut rapporter ces
mots ncfaltiç XirtaçortXoKatiOio, à Jupiter, ou à l'Injure; maïs
ils semblent mieux convenir à la chevelure de la Discorde qu'à
celle de Jupiter, La tradition du démon de la discorde f précipité
sur la terre par le maître des dieux, s'était donc con§ervée chez
les Grecs.
(Page 16. Qu'un porc engraissé soit Immolé,
etc.)
ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T XIX.
209
Le grec porte, xcbtçov, qui ne signifie pas ici un sanglier, mais
un porc, vestige remarquable du sacrifice expiatoire ordonné par la
loi de Moïse. Il n'étoit pas permis de manger de la victime destinée
à cet usage. La loi de Moïse prescrivoït d'entraîner hors du camp ou
de la Yiie sainte, le porc chargé des iniquités du peuple ; ici on le
précipite dans la mer, après ravoir immolé.
(Page 17. 11 est étendu à Ventrée de ma*tente,
etc.)
In portam rigides cakes extendii.
m 1 étendit , à Feutrée de la porte , ses pieds roides du froid de k mort. •
(IMd. Je ne boirai ni ne mangerai, etc.)
Ces serments de ne boire ni manger qu'on n'eût lavé son injure;
ou vengé sa patrie par le sang de $®s ennemis, étaient fréquents
chez les Hébreux : tel fut le serment de Jonatfaas, tel celui de ces
jeunes gens qui jurèrent de ne boire ni ne manger t qu'ils n'eussent
tué S. Paul
(Page 19
Saisit un glaive pur, etc.)
Voyei sur cette coutume des rois pontifes la note du chant troisième ci-dessus.
(Page 27. Junon lui communique le don de la
parole, etc.)
Cettefictionsemble avoir été fournie à Homère par l'histoire de
Fane de BaJaam, racontée au vingt-deuxième chap. des Nombres,
v, a&
4-"
•
27,
210
NOTES
LITTÉRALES
CHANT
XX.
( P A G E 3 I . Jupiter ordonne àThémis, etc.)
Madame Dacier observe que Mercure et Iris sont les messagers
ordinaires de Jupiter, Ici c'est Thémis, la déesse de la justice, qui
est chargée de convoquer rassemblée des dieux ; ce qui relevé la
majesté de Jupiter et indique l'objet de cette guerre, de punir les
Troyens et de venger le rapt d'Hélène. L'Océan et les dieux infernaux ne se trouvent pas à cette assemblée ; FOcéan f parceque le
père de tout ce qui existe ne doit point participer à la destruction
de son ouvrage ; les dieux infernaux, parcequ*ils régnent également
sur toutes les victimes que la mort leur envoie. Jusqu'ici Jupiter f
pour donner la victoire aux Troyens, a contenu, par sa puissance f
et les dieux protecteurs des Grecs, et les divinités protectrices des
Troyens. Achille paroît: ce héros, comme le dit Homère, détruiroit dès ce jour, contre Tordre du Destin, la ville de Troie. Jupiter
assemble les immortels au sommet de l'Olympe ; il leur ordonne
de prendre part à cette guerre ; non que les divinités protectrices
des Grecs ne soient plus puissantes , mais pour contrebalancer,
par le secours des dieux protecteurs de Troie, la force du seul
Achille, et retarder la mort d'Hector et la ruine de Troie. Quelle
majesté !
(Page 32. Junon, Minerve, Neptune, etc.)
Junon, la déesse du mariage, est à la tête du parti des Grecs ,
vengeurs des droits de l'hymen, opposée à la chasseresse Artémise,
la déesse du célibat; Minerve, la déesse de la sagesse et de l'intelligence dans les combats, se trouve dans le parti des Grecs contre
ET H I S T O R I Q U E S .
CHANT
XX.
211
Mârt» le dieu de la guerre, de la fureur impétueuse ; Apollon est
opposé à Neptune, non seulement parceque le soleil dessèche l'eau
qu'il attire t maïs parceque les flèches sont les armes dont les peuples barbares faisoîentun usage plus fréquent que les nations policées; Latone, la déesse du silencef combat Mercure, le dieu du
commerce et de l'industrie; Vulcain, le dieu des arts, ennemi naturel de Fadultere Mars* combat contre le Xanthe qui défend sa
patîie ; Vénus, la déesse de la volupté, la première cause de cette
guerre cruelle, ayant été blessée par Diomede au cinquième chant,
se tient éloignée de la sanglante arène. Telle est la sagesse avec
laquelle Homère partage les divinités de FOIympe, pour relever la
gloire de sa nation et celle de son héros ; telle est la sublimité de
ces allégories.
. •
(Page 32. La Discorde, versant ses poisons,
etc.)
C'est, selon mon opinion, le sens de Fépïthete Ikaocfcjooç, qui
sauve tes peuples, donnée ici par Homère à la Discorde. Cette division entre les immortels sauve en effet les Troyens, puisqu'elle
ralentit les progrès d'Achille. Nous avons vu ailleurs la même épithete donnée à Mars dans un sens à-peu-près semblable.
(Ibid. Neptune frappe la terre de son trident,
etc.)
ce Voyez-vous, mon cher Térentiaqus, la terre ouverte jusqu'à"
ce son ceptre, Fenfer prêt à paraître, et toute la machine du monde
ce sur le point d'être détruite et renversée, pour montrer que, dans
ce ce combat, le ciel, les enfers, les choses mortelles et immortelles,
ce tout enfin combattoit avec les dieux, et qu'il n'y avoit rien dans
cela nature qui ne lût en danger? Mais il faut prendre toutes ces
ce pensées dans un sens allégorique -, autrement, elles ont je ne sais
212
NOTES
LITTERALES
ce quoi d'affreux, d'impie, et de peu convenable à la majesté dm
« dieux ». Boileau, trad. du traité du Sublime, chap* 7.
(Page 33. Qee sont devenues ces promesses;
etc.)
Le grec porte : Où sont ces menaces que tu Is aux rois buvant
du vin, de combattre seul contre le fils de Pelée?
Le nom de roi se donnoit aussi aux enfants des rois.
(Ibîd. J'eusse succombé sous les coups d'Achille
et de Minerve.)
Le grec porte : J'ai été domté par les mains dTAcîiiIle et de Minerve, qui, marchant devant lui, portoit la lumière, et lui donnoiï
ses ordres.
Madame Dacier conclut de ces vers, qu'Achille attaqua de nuit
les troupeaux d'Énée : mais leur sens est général ; Minerve, la
déesse de la valeur réfléchie, éclaire le fils de Pelée dans tous les
combats»
(Page 34. Et Léleges et Troyens.)
Les Léleges, anciens peuples de la Troade, qui f chassés de leur
pays pendant la guerre de Troie, se réfugièrent, partie dans Ilion,
et partie dans la Carie, province que le Méandre sépare de k Lydie.
(Page 35. Lorsque l'une des divinités protectrices de Troie viendroit à se montrer à lui, etc.)
« Parlez-nous, et nous vous écouterons (disoit à Moïse le peuple
juif) ; ce mais que le Seigneur ne nous parle pas-, de peur que nous
ce ne mourions». Exod. chap* 20, v. 19» « Nous mourrons (dit le père
de Samson, à la vue de Fange qui s'élève de la lamme de l'holocauste), « car nous avons vu Dieu», Juges, chap. i 3 f v. 22. Telle
étoit l'opinion des anciens peuples.
ET HISTORIQUES- CHANT XX.
21$
(Page 36. Ce tertre que les Troyens éleTerent,
etc.)
Laomédon, roi de Troie » ayant refusé à Neptune le salaire qu f l
lui avoit promis pour la construction des murs de cette ville célèbre,
ce dieu irrité envoya un monstre marin qui dévastoit les champs
troyens» et faisoit un horrible carnage des peuples. Laomédon fit
effort pour appaiser Neptune ; il lui fut répondu que Troie ne serait
délivrée du monstre qu'après qu'il auroit exposé sa fille Hésione.
Le roi des Troyens obéit; mais Hercule se présenta pour combattre
le monstre, et délivrer Hésione. Les Troyens élevèrent un tertre
dans la plaine, sous lequel ce hérosf poursuivi par la baleine» se
mettoit à couvert; précaution sage» qufHomere dit» par cette raison,
leur avoir été inspirée par Minerve. Laomédon trompa Hercule luimême» lui refusant les chevaux qu'il lui avoit promis. Ce héros»
contraint de faire le siège de Troie pour punk Laomédon de son
infidélité » donna Hésione en mariage à Télamon qui monta le pre-,
mier à l'assaut
(Page 39. Dardanus et son peuple occepoîent
les vallées de l'Ida, etc.)
Le grec porte : vitoQtiaq » le penchant, h moyenne région, que
madame Dacier distingue de la vallée : car» dit cette savante traductrice , après le déluge f les hommes habitèrent les sommets des
montagnes ; ils ne descendirent que par degrés dans les plaines.
Ce qu'il est plus important de remarquer » c'est l'existence de
cette ancienne Dardanïe dans les vallées» ou sur le déclin de flda;
ce qui donne lieu à ces expressions que notre poite met si fréquemment dans la bouche des héros de Troie» Troyens» Dardaoiens,*
distinguant les anciens habitants de Dardanie qui suivirent Tros,
lors de la fondation de Troie» des nouveaux colons qui peuplèrent
cette grande ville.
214
NOTES
(Page 3p. Tros.
LITTERALES
fut fils d'Erlchthon» etc.)
Généalogie d'Énée et d'Hectorf selon Homère : •
Jupiter.
Dardanus.
J
Tros.
Ërichlhon.
I
,
;
Ilus, AssaracuSs Ganymede.
Laomédon. Capys.
Tithonus, Prlam, Lampus, Clytius, Hicétaon. Anchise.
Hector.
{Ibid.
Énée.
une dfor au centre, etc.)
On demande comment la lame d'or se trou voit au centre de
l'épaisseur du bouclier d'Achille, couverte de deux lames d'airain.
La réponse est Sicile, parceque cette lame n'avoit pas pour objet
l'ornement de ce bouclier, mais sa solidité, For étant le moins pénétrable des métaux. La surface extérieure étoît ornée de tant de
sculptures en relief, d'or^ d'argent, d'étain, qu'il avoît été nécessaire
de leur donner une base aussi matte que Fairaîn, pour rendre ces
ornements plus saillants.
{Ibid. Le frêne du Pélion, etc.
Montagne de la Thessalie, sur laquelle le centaure Chiron a?oit
coupé le bois qui servit au javelot d'Achille.
(Page 42. 11 transporte à la branche d'Enée le
sceptre d'Ilion, etc.)
E T H I S T O E 1 Q U E S . C H A N T XX.
2l5
Ce morceau est très important pour détruire la chimère du voyage
d'Énée en Italie, qui a servi de base à l'Enéide. Toutes les nations
ont des fables semblables. C'est ainsi que f suivant l'abbé Trithôme,
Astyanax fils d'Hector, qu'il nomme Francus, passa dans les Gaules,
après la guerre de Troie, où il fonda une colonie; transmigration
dont il nfexiste aucun vestige dans Fantiquité , et dont cependant
notre poëte Ronsard a pris le sujet de sa Francïade. Le témoignage
d'Horfiere est d'autant plus important contre la chimère des Romains, qu?il nfy a, comme je Fai observé dans l'introduction de
FOdyssée, qu'environ 34o ans de distance entre • la naissance d t
notre poëte et la prise de Troie, et qu'Homère a composé son
Iliade dans ITonie, contrée voisine des côtes de Phrygîe. Il est vrai
que Denys d'Halycarnasse f pour flatter les Romains et Auguste
sous le règne duquel il écrivoit, explique ce règne dfÉnée sur les
Troyens, de la colonie transportée par lui en Italie après la prise
de Troie. D'autres ont été plus hardis : ils changent le mot Tgêimt
en celui, de ntàvtm&i, comme si Neptune disoit : II régnem sur
toutes les nations. Mais Strabon f quoique sous l'empire de Tibère,
est plus fidèle; car, dans le livre XIII de sa Géographie, il conclut
formellement de ce texte d'Homère f qu'Enée resta à Troie, y régna
après l'extinction de la race de Priam, et transmit le sceptre à sa
postérité.
(Page 43. Les braves Cauconlens...... etc.)
Ces peuples ne se trouvent pas compris expressément dans le
dénombrement des nations alliées de Troie, à moins qu'on n'ajoute
deux vers que Callisthene avoit insérés dans l'exemplaire dfAlexandre, mais retranchés par les éditeurs postérieurs, comme je Fai
observé au deuxième chant.
ccC'étoit, dit madame Dacïer, comme les Pelages, une nation
ce errante et vagabonde; ô'est pourquoi Homère les a joints dans le
ce chant deuxième. 11 y en avoit jusques dans le Péloponnèse ». Voyez
2l6
"
NOTES
LITTERALES
la note du deuxième chant cï-dessusf et celle du troisième chant
de l'Odyssée.
(Page 45. Sa force, son ardeur, etc.)
Cette demi-phrase est répétée dans le Grec; répétition que je
n'ai pas cru devoir conserver.
. (Page 47. Hlppodamas s'élance de son char f
etc.)
Ainsi Ton a vu, au cinquième chant f Idée s'élancer de son char
pour fuir devant Diomede. En effet, un char devoït être embarras»
sant.pour se confondre dans la mêlée, et la rapidité de ces héros
étoit telle, qu'il leur étoit facile d'approcher assez près des chars
pour lancer le javelot, 11 en est de même dans le livre des Juges,
chap. 4» v. i5. Sisara s'élance de son char pour fuir devant Barac.
Perterruitque Dominus Sisaram eiomnes currus ejus^ unwersamque
muliiiudmem, in ore gladii, ad conspecium Barac, in ianium ut
Sisara de curm desiliens pedibusfugerei*
(Ibid, Polydore le plus jeune...... des fils du
vieux Priam, etc.)
Suivant Homère, Polydore étoit fils de Priam et de Laothée,
comme il sera dit au chant vingt-unième. Euripide, et Virgile après
lui, ont suivi une autre tradition : ils font ce prince fils de Priam et
d'Hécube, qui survécut à la prise de Troie, et fut tué en trahison
par Polymnestorf roi de Thrace,
Hune Polydorumf auri quondam cum pondère magnot
Infelix Priaraus furtim mandarat alendum
Threicio régi, càm jam diffideret arajîs
Dardani», cingique urbem obsidione videret.
111e, ut opesfractaeTeucrâm et fortuna récessif,
Res agamemnonias victriciaque arma secutus t
ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T XX.
21J
Fas omne abrampit, Polydorum obtruncatj et auro
Vi potitur. Quld non mortalîa pectora cogîs,
Auri sacra lames !
AEneid. Mb, 3 , v. 49.
te L'infortuné Priam se défiant du succès des armes troyennes , voyant l'en*
m nemi autour de ses remparts, envoya secrètement Polydore au roi de Thràce,'
« avec d'immenses trésors, le recommandant à l'ancienne amitié de ce roi.
ce Les destins étant changés, la puissance de Troie anéantie, ce perfide ami
m suivit la fortune d'Agamemnon, s'attacha au char du vainqueur, rompit les
te noeuds de FhospitaMté, massacra Polydore, s'empara de ses richesses. A quels
.« excès ne portes-tu pas les mortels, infâme soif de l'or ! »
(Page 5i. Fuis maintenant» échappe à la faux
de la mort. )
Le grec porte : CMen » tu évites maintenant le trépas; mais le mal
est près de toi
4-
'
28
2l8
NOTES
LITTÉRALES
CHANT
XXI.
( P A G E 82. Du Xanthe tortueux, né de Jupiter,
etc.)
Ces qualifications fréquentes qu'Homère donne aux grands Meuves | à qui Jupker donna naissance, sont une suite de l'allégorie
qui donne à Jupiter Fempire sur les nues, et de la physique des
anciens , qui plaçoient dans les nues la source des grands fleuves f
dont toutes les rivières, toutes les fontaines, tous les ruisseaux dérivent.
(Ibid. Four les livrer au fils de Pelée, etc.)
Littéralement : Junon répand devant eux un air épais pour les
arrêter. J'ai cru devoir développer le sens de ces mots, en ajoutant»
pour les livrer à Achille, et les empêcher de trouver un asyle sous
leurs murs.
Madame Dacier traduit: Junon les couvre d'un nuage épais. C'est
un contre-sens littéral ; car le verbe èçyné^tv f éçvKetv, signifie
arrêter , non précipiter la fuite. Cette savante traductrice oublie
que Junon a dit à Neptune, dans le chant précédent, qu'elle a juré*
ainsi que Minerve, de ne dérober aucun des Troyens au trépas, pas
même après la ruine de Troie. On objecte qu'il étoit naturel qu'Achille! poursuivant les Troyens qui fuyoient dans la plaine, s'efforçât de pénétrer dans les murs de Troie; que Junon, instruite que le
destin ne Ivre pas, en ce moment, Ilion au fils de Pelée, craint que
cette vaine poursuite ne ralentisse les efforts du héros qufeMe protège, et n'arrête le carnage des Troyens. La réponse est facile: i 0 .
Ce n'est pas par de telles explications qu'un traducteur peut être
ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I .
210
autorisé à contredire le sens littéral, lorsqu'il est clair, a9. Madame
Dacier aurait dû observer que le premier soin d'Achille est de satisfaire les mânes de Patrocle : aussi choisit-il d'abord douze victimes
pour les immoler sur le tombeau de son compagnon. Loin de hâter
la fuite des Troyens dans la vile, Junon les arrête dans la plaine»
pour les livrer aufilsde Pelée après le combat sur les rives du fieuvef
qui est le sujet de ce chant.
(Ibid. Semblables à des sauterelles.)
L'isle de Chypre étant Infestée de sauterelles, les habitants étoient
dans Pusage d'allumer de grands feux dans la campagne pour chasser
ces animaux et les forcer, par la fatigue, de se précipiter dans les
fleuves. Quelques anciens ont conclu de cette comparaison, qu'Homère étoit né dans Pisle de Chypre, puisqu'il en cite les usages : ce
qui peut, dit madame Dacier, seulement fortifier la conjecture qu'il
étoit Ionien, et f par cette raison, voisin de Pisle de Chypre; car on
le volt bien plus attentif à rapporter les usages des Ioniens, que ceux
des autres peuples,
( Page 58. Achille....se sert de leurs riches baudriers pour leur lier les mains, etc.)
Littéralement : 11 leur lie les mains derrière le dos avec de brillantes courroies. Jfal suivi M. BItaubé qui traduit, avec leurs baudriers. En effet le mot ctrTjyiiyrot0iv ifiàot, avec des courroies bwm
coupéesf semble déterminer ce sens. Selon madame Dacier, c'étaient des courroies qufUs portaient sur leurs cuirasses pour lier les
prisonniers qu'Us comptaient faire, comme Horace le dit des chaînes
que les Romains Imposèrent aux Medes :
HorribEIque Medo
Nectk catenas.
. . .
Hor. Od. Kb. i , od. 3o.
m Et tu formes les noeuds qui doivent enchaîner les hideux habitants du pays
m des Medesu »
220
NOTES
LITTERALES
(Page 60. Je t'aborde en suppliant, etc.)
Le grec porte : J'embrasse tes genoux , ô Achille.
Madame Dacier traduit; Je suis en quelque façon votre suppliant
« Lycaon étant prisonnier d'Achille, dit cette savante traductrice,
ce n'ose pas se qualifier de suppliant du fils de Pelée, pareeque les
« titres d'hôtes et de suppliants étoient des titres honorables. »
Cette distinction me paroît difficile à faire entendre dans notre
langue: au surplus, cette expressionf j'embrasse tes genoux, étoit
celle des suppliants , comme on le voit souvent dans l'Odyssée,
(Page 61. Tu vols quel je suis^ etc.)
Le grec porte : Ne vois-tu pas combien je suis beau f combien je
suis grand? Fils d'un père illustre , une déesse est ma mère.
(Page 62. NI les coursiers que vous précipitez:
vivants dans ses ondes, etc.)
C'était une coutume fort ancienne , de précipiter des chevaux
vivants clans la mer et dans les fleuves, victimes dévouées à Neptune et aux dieux des fleuves.
Madame Dacier cite Aurélius Victor^ qui raconte que le jeune
Pompée , se prétendant fils de Neptune, précipita dans la mer des
bœufs aux cornes dorées, et des chevaux.
(Page 74. Le son éclatant de la trompette, etc.)
Il faut observer encore ici le son de la trompette dont il est parlé,
ainsi qu'au dix-huitieme chant. Voyez, la note du deuxième chant,
(Page j5. Audacieuse divinité, qui semés la discorde parmi les dieux, etc.)
Le grec porte : Pourquoi, mouche de chien > engages-tu les dieux
dans ce combat, toi dont Fimpudence est extrême? Ton grand cœur
f y porte.
E T H I S T O R I Q U E S , C H A N T XXI.
22 1
(Page 77. Laomédon....osa te menacer de resserrer tes pieds et tes mains, etc.)
Le grec porte : Il te menaça de te lier les pieds et les mains, et
de te vendre en des isles éloignées. Il vouloit nous couper les oreilles à l'un et à l'autre.
Madame Daclerlit: àjtOKctyéyLtv dvâta xaXxô, de nous percer
les oreilles. Cette savante traductrice prétend qu'Homère fait ici
allusion à une coutume des Hébreux» dont il est parlé dans l'Ecriture sainte, de percer les oreilles des esclaves,
(Page 79. Audacieuse divinité, qui oses lever
contre moi l'étendard de la révolte, etc.)
Le grec porte : Comment, chienne impudente » as-tu osé t'élever
contre moi? etc. )
Madame Dacier observe que ce combat de Junon et de Diane est
une allégorie de l'éclipsé de lune. Junon représente la terre interposée entre la lune ( Diane), et le soleil dont elle intercepte lesrayons : la nuit» dont Latone est l'emblème » les rassemble.
(Ibid. Si Jupiter te donna la force du lion, etc.)
Le grec porte : Puisque Jupiter t'a faite un lion pour les femmes,
puisqu'il t'a donné de tuer celles que tu veux.
On trouve encore ici l'allégorie des Bêches d'Apollon et de Diane,
qui ne sont autres que les maladies contagieuses, effet de la chaleur
du soleil et des influences de la lune, selon l'opinion des anciens.
Ils supposoient qu'Apollon lançoit ses flèches contre les hommes f
Diane contre les femmes.
(Page 82. Diverses pensées semblables aux flots
de la mer, etc.)
C'est le sens que madame Dacier donne ici à l'épithete Kûq^vçé^
prise des/lots azurés de la men
222
NOTES
LITTERALES
(Ibid. Le fils de Pélée m'atteindra; il me percera
de son javelot, etc.)
Le grec porte : Il me prendra, comme eux, sans résistance, me
coupera la tête.
(Page 83. Il n'a qu'une vie, etc.)
Le grec porte : Il n'a qu'une ame.
(Ibid. Telle....une panthère furieuse, etc.)
Dans cette comparaison, qui auroit trop de longueur dans notre
langue, j'ai cru devoir m'attacher plus au sens qu'à la lettre.
(Page 84. La terreur ne leur permet ni de s'attendre , ni de se reconnoître, etc.)
Le grec porte : De reconnoître qui a fui, et qui est mort dans le
combat.
ET HISTORIQUES. CHANT XXII.
223
MK
CHANT
XXII.
( P A G E 88. L'astre brûlant qu'on nomme le chien
d'Orion, etc.)
L'une des étoiles qui composent la constellation d'Orion. L'astronomie est une des sciences auxquelles les hommes se sont appliqués le plus anciennement. Ces groupes d'étoiles qui parsèment
la voûte éthérée. furent l'objet des observations des plus anciens
peuples ï ils leur attribuèrent dès lors des effets physiques, erreur
qui avoit jeté dans l'esprit des hommes des racines si profondes f
que la raison et l'expérience ont eu peine à les détruire.
Le mot mvçtrè^, dérivé de rtùç , / e n , exprime les chaleurs violentes de l'été , les fièvres et les maladies contagieuses qui en sont
la suite ; j'ai réuni ces deux sens.
(Page 89. Si les dieux conspïroient avec ma
haine, etc.)
Le grec porte : Malheureux ! puisse-I-il être aussi chéri des dieux
que de moi! bientôt étendu sur la poussière f il seroit la pâture des
vautours.
(Page 90. Des fils de mes enfants écrasés contre
la pierre, etc.)
Ainsi Isaïe prédit (chap. i 3 f v. 16. ) aux Babyloniens que leurs
enfants seront écrasés sous leurs yeux.
Beat m qui tenebit e£ allidei parvulas tuos ad petram! Ps. i36 t
v;
9ce Heureux qui tiendra tes enfants et les écrasera contre la pierre I»
224
NOTES
LITTERALES
(Page 93. Ce n'est plus le temps de parler de
'paix, etc.)
C'est le sens que j'ai cru devoir donner à ces vers.
Dans ces temps héroïques , les traités les plus importants se concluoient sous les chênes, sur les pierres. Il n'est plus temps de traiter f dit Hector, ou pév vvv CCJTIV. C'est donc un contre-sens de traduire, comme fait madame Dacier dans sa note : ce On ne peut s'en<c tretenir avec lui ni de chênes f ni de pierres » f ce que cette
savante traductrice suppose être une sorte de proverbe. Comme ce
prétendu proverbe ne lui a pas paru pouvoir entrer dans sa traduction , elle rend ainsi ces vers : ce Achille nfest pas un homme traitacc ble, qui donne le temps de lui faire des propositions » ; style peu
digne de la majesté du poëme épique.
(Ibid. Comme un jeune berger et sa timide
compagne, etc.)
Ce demi-vers est répété dans le grec
(Page 94. Au dessous de la colline couverte de
figuiers sauvages, etc.)
C'est cette même colline par laquelle Andromaque dit à Hector ,
dans le sixième chant, que la muraille est plus abordable.
(Ibid. Où deux rameaux émanés du Scamandre
tortueux, etc.)
Ces deux sources existaient encore du temps de Pline, qui, oubliant ce morceau f reproche à Homère de n'avoir pas fait mention
de la source d'eau chaude, liv. 3 i , chap. 6. Elle était perdue dès h
temps de Strabon.
ET HISTORIQUES. CHANT XXII.
225
(Page 96. Tantôt au sommet escarpé de F Ida,
etc.)
Observez les sacrifices sur les hauts lieux, dont il est souvent fait
mention dans nos livres saints.
(Page 98. Le divin fils de Pelée les contient par
ses regards, etc.)
Le grec porte : Le divin Achille faisoit signe de la tête à Farinée.
(Ibid. En ce moment le père des dieux et des
hommes suspend ces balances dforf etc.)
Je me suis permis d'étendre un peu cette sublime idée, pour
approcher f dans notre langue, de la majesté qu'elle a dans le grec.
Ainsi, dans Daniel, ch. 5, v. 27 » une main invisible écrit sur hs
murailles du palais de Baltasar f ces mots : Appensus §s in situera, ei
inventas es minas habens. a Tu as été pesé dans la balance, et trouvé
ce trop léger ». Ces images sont fréquentes dans nos livres saints.
- (Page 101. Elle recule d'un espace proportionné, •
etc.)
Le grec porte : Et le javelot tomba loin du bouclier.
Le mot mTtmlâfx^n exprime la loi du mouvement, suivant laquelle un corps mu est repoussé par un corps élastique à une distance proportionnelle à la force avec laquelle il a été lancé;
(Page 104. Je te conjure par toname généreuse,
etc.)
Le grec porte : Je te conjure par ton ame, par tes genoux f par
ceux qui t'ont donné l'être.
(Ibid. Perfide, lui répond Achille, etc.)
4,
29
226
NOTES
LITTÉRALES
Le grec porte ; Chien, ne me conjure, ni par mes genoux f ni par
ceux qui m'ont donné l'être.
(Page 107. Dont le souvenir m'accompagnera
dans les sombres demeures, etc.)
Le grec porte : Quand on oublieroit les morts dans le palais de
Plu ton, je m'y souviendrai de mon cher compagnon.
{Ibîd. Une gloire immortelle nous est assurée,
etc.)
ce C'est Ici, dit madame Dacier d'après Eustathe, le chant de vicc< toîre qu'Achille entonne, semblable à ce cantique que nos livres
« saints mettent dans la bouche des femmes Israélites après la vk>
cc toire remportée par David sur Goliath: Percussit Saùl mille, ei
ce David decem millia. ( 1 Rois, chap. 18, v. 7. ) Saùl en a tué mille,
ce David dix mille. »
(Page 108. Arrêtez, ô mes amis, etc.) •
Le grec porte : Arrêtez» mes amis ; laissez-moi sortir seul, quelque
inquiétude que je vous cause,
(Page 1 io- Elle ignore que l'intrépide courage
de son époux, etc.)
C'est une chose remarquable que, le même événement qui fit
tomber Hector sous le javelot d'Achille, fut lause de la mort de
notre Pucelle d'Orléans. L'intrépide courage d'Hector le retient
hors des murs de Troie, quand les Troyens, repoussés par Achille,
cherchent un asyle sous leurs remparts. En 1430, Jeanne d'Arc,
défendant Complegne contre les Anglois, tente une sortie vigoureuse; repoussée par les assiégeants, son courage la retient hors des
remparts, jusqu'à ce que tous les François soient à couvert de la
poursuite de l'ennemi. Le pont s'abaisse rapidement : retenue hors
ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I I .
22J
des murs, les Anglois l'enveloppent; victime de la superstition et de
la tyrannie, elle est condamnée au supplice par-des prêtres sacrilèges.
(Ibid. Elle ne sait pas que Minerve a" percé son
époux, etc.)
Le grec porte : Loin des baïos.
(Page u t . Les réseaux? les bandelettes, etc.)
«Ces bandelettes, dit madame Dacierf ressembloient à nos ru« bans ; elles étoieot l'ornement caractéristique des reines et des
ce princesses, ainsi que des divinités. »
(Page 112. Tu ne seras point l'appui de la vieillesse de ton père, etc.)
Le grec porte : 0 Hector ! tu ne lui seras d'aucun secours, puisque tu es mort, ni lui à toi, quand il échapperoit à la fureur des
Grecs, dans cette guerre, source de tant de larmes.
(Ibid. Tel est le sort d'un malheureux orphelin, etc.)
littéralement : Le jour qui le rend orphelin lui ôte tous ses compagnons , tous ceux de son âge.
(Page 113. Celui-là, lier de l'appui des auteurs
de ses jours, etc.)
C'est le sens du mot àu^ IOOCXTK, qui fleurît des deux côtés.
(Ibid. Tu te rassasiois de la graisse des agneaux,
etc.)
Expressions fréquentes dans nos livres saints, pour eiprimer une
vie voluptueuse.
228
NOTES
LITTÉRALES
(Page 114. Inutiles maintenant, etc.)
Le grec porte : Ces tapis ne te serviront de rien f puisque tu ne
coucheras pas dessus ; mais ils seront ta gloire devant les Troyens et
devant les Troyennes*
ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I I I .
CHANT
22Q
XXIII.
19. Que coupant mes cheveux, je ne les
aie consacrés aux mânes de mon fidèle compagnon,
etc.)
(PAGE I
C'étoit la marque du plus grand deuil, ceflsse raseront la tête, et
ce se couvriront de cilîces », dit Ézéchiel, pour exprimer la désolation
qui suivra la ruine de Tyr. Et rodent super le cahkium, et accingenturciliciis* Chap. 27, v. 3i.
(Page 120. S'arrêtant sur la tête d'Achille, rimage de Patrocle f etc.)
ce Homère, dit .madame Dacierf suit la philosophie des Égyptiens,
ce qui fut celle des premiers Grecs, que Pythagore renouvella ence suite. Us concevoient l'homme un composé de trois parties : la
ce première et la principale, l'esprit; la seconde, un corps lumineux
ce et subtil dont l'entendement étoit, selon eux f revêtu f ce qu'ils
ce appelloient Famé ; et la troisième* le corps terrestre et mortel, qui
ce étoit l'étui et l'enveloppe de ce corps lumineux, qui se mouloit
te sur ce corps terrestre, et qui, par conséquent, avoit la même
ce taille et les mêmes traits. ^
Voyez, au dixième chant de FOdyssée, la distinction des mots
fçTtv» ou vovç, F esprit pur, l'intelligence; ^v%^ ? *>u èi<?©Xov,
Famé, l'image du corps; et dopa , le corps.
Ces peuples pensoient que les âmes, ou les images des morts qui
n'avoient pas reçu les honneurs du bûcher, erroient sur les bords
du Styx ; état douloureux f mais qui les mettoit à portée de revenir
à la lumière pour apparoître aux vivants, car toutes leurs parties
23o
NOTES
LITTÉRALES
terrestres n'étoient pas consumées ; origine de l'opinion populaire
des revenants. C'est pourquoi, dans le onzième chant de l'Odyssée,
l'image d'Elpénor reconnoît Ulysse et lui parle, avant d'avoir bu du
sang. Mais lorsque, par un privilège spécial^ les images des morts
qui avoient perdu toutes leurs parties terrestres par l'action du feu,
apparoissoient aux hommes, elles ne pouvoient ni les reconnoître f
ni leur parler, qu'elles n'eussent bu du sang; ce qui leur rendoït
quelques unes de ces parties terrestres. Voyez le texte et les notes
du onzième chant de l'Odyssée.
( Page 121 • A cause du meurtre involontaire du
fils d'Amphidamas, etc.)
Le grec porte: Le jour auquel je tuai le fils d'Amphidamas, imprudemment, sans le vouloir, ayant pris querelle en jouant au palet.
(Page 122. Ainsi donc, quandFespritdertiomme
est réuni à l'éternelle substance, etc.)
Le grec porte: ô mes amis, il est donc, dans les demeures de
Pluton, des âmes, images des mortels ! mais leurs esprits n'y sont
pas.
(Page 123. Marchant d'un pas ferme et lent,
grimpant, descendant, etc.)
Je me suis efforcé de donner une idée de la poésie imïtative
d'Homère, notamment dans ce vers qui exprime si bien le pas lourd
et tardif des mules qui gravissent les sentiers escarpés de la forêt:
IIoAXà tf'avccVTcc, xaraVTa, ^ a ç a w a r e f <?ox^wt
T'TJXôOV*
(Page 124. Achille ordonne à ses Thessaliens..,
de vêtir l'airain étincelant, e t c )
Dixit auiem David ad Joab et ad omnem populum qui erat cum
ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T X X I I I .
23 1
eo; Scindiie vesiimenia vestra^ et accingimini saccis , et plangite
ante exequias Abner. Porto rex Dand se^uebaiur'Jeretrum. Cùm~
que sepeiissent Abner in Hebron, levant rex David vocem suant f
et fitvit super tumulum Abner; fient autem et omnis populos.
Plangensque rex et iugens Abner, aii
a Rois, ch. 3 , v. 3i.
« David dit à Joab et à toute l'armée qui étoit sous ses ordres :
ce Déchirez vos vêtements, couvrez-vous de vos armes» préparez« vous pour la pompe funèbre df Abner, David suivoit ceux qui porcc toîent le corps. Lorsqu'ils eurent enfermé Abner dans le sépulcre
ce d'Hébron, le roi, élevant la voix, pleura sur le tombeau d1 Abner;
ce tout le peuple pleura. Le roi, versant des larmes, dit... •»
(lbid. Cette brillante chevelure que son père
dévoua autrefois au fleuve Sperchius, etc.)
ce Les jeunes gens, dit madame Dacier, nourrissoîent leurs checc veux jusqu'à l'âge de la puberté: alors ils les faisoient couper, et
ce les offraient à quelque fleuve du pays, honorant ainsi Peau comme
« l'élément qui contribué le plus à la naissance et à la nourriture de
c< l'homme; c'est pourquoi les fleuves étoient appelles xot/çfrçô$oi 9
ce nourriciers des jeunes gens. »
Les pères consacraient de même aux fleuves la chevelure de leurs
enfants.
« Avant de passer le Céphise, dit Pausanias dans ses Àttiques, on
« trouve le tombeau de Théodore, le plus excellent acteur tragique
« de son temps, et sur le bord de ce fleuve deux statues, l'une de
ce Mnésimaque, l'autre de son fils, qui s'est coupé les cheveux en
» l'honneur du fleuve; car ce fut » de toute ancienneté, la coutume
•c des Grecs. »
(Page 126. Furieux, respirant le carnage, etc.)
Le grec porte : Il médite en son ame des actions mauvaises. Le
poëte exprime ainsi l'horreur dont il est pénétré pour ces sacrifices
232
NOTES
LITTERALES
humains; barbarie dont toutes les nations ont été souillées. C'est
avec regret que je me suis trouvé forcé de retrancher ces mots qui
eussent, dans notre langue , ralenti le tableau des funérailles de
Patrocle.
(Page 127.Du sommet delà voûte éthérée, une
nue épaisse et humide, etc.)
Ainsi Gédéon demande à Dieu qu'une toison qu'il étendra sur
une aire pendant la nuit, soit imbibée de vapeurs, tandis que tous
les environs demeureront secs; et le lendemain il lui demande que
cette toison demeure sèche, tandis que toutes les autres parties de
Faire seront humides. Dieu opère ces deux miracles f en signe de la
protection qu'il lui accorde. Juges, ch. 6, v. 3j et 3<j.
(Page 128. La légère Iris l'entend, etc.)
L'arc-en-ciel f effet de la réfraction des rayons du soleil dans les
globules de pluie, est un signe de vent.
Observez avec quelle exactitude Homère décrit ici la marche des
vents f que les poètes supposent habiter les isles éoliennes, aujourd'hui Lipariy dans la mer de Sicile.
(Page i3o. Bornez-vous maintenant à marquer
le lieu de notre tombeau, etc.)
Le grec porte : Je ne vous demande pas de lui élever un superbe
tombeau, mais seulement convenable.
(Page i33.Le£ls d'Anchise, Ëchépolus, donna
Etliée à Agamemnon pour s'exempter de le suivre
à la guerre, etc.)
Comme roi d'une contrée de la Grèce, Ëchépolus ne pouvoît f
sans le consentement d1Agamemnon, se dispenser d'entrer dans la
ET HISTORIQUES. CHANT XXIII.
233
ligue générale; mais d'autre part il étoit fils d'Anchïse, de la race
des rois troyens. Tel est Le motif du don qu'il lait à AgamemnoEfi
pour s'exempter de marcher contre Priam.
(Page i35. Quand même l'agile Arion, etc.)
Le cheval Arion étoit f selon la fable, fils de Neptune et d'une
Furie. Neptune le donna à Coprée, qui en fit don à Hercule ;
Adraste, roi d'Argos, le reçut d'Hercule f et s'en servit utilement
dans'la guerre de Thebes : Arion lui sauva la vie,
(Page i36. Ainsi rangés, etc.)
Le grec porte : Se rangent en ordre} ce qui présente deux sens9
ou qu'ils se rangèrent de file, suivant Tordre que le sort leur avoit
assigné f comme l'explique Eustathe, ou, comme madame Dacierf
qu'ils se rangèrent sur une même ligne , et néanmoins dans l'ordre
que le sort leur avoit donné ; car ceux qui étoient placés sur "la
gauche, ayant un moindre cercle à parcourir pour raser la borne ,*
jouissoient d'un avantage réel sur les autres, mais non aussi immense que si les chars eussent été rangés de file f comme le sup-.
pose le célèbre évêque de Thessalonique.
(Page i 3 j . Déjà Ils se replolenf sur le rivage de
la mer écumeuse, etc.)
Le grec porte : Quand les légers coursiers, parvenus au rivage de
la mer, commencèrent à retourner f alors la vertu de chacun parut; la carrière s'étendit pour les chevaux.
(Ibid. Volant avec une Incroyable rapidité au
secours du pasteur des peuples, etc.)
ce Homère f dit madame Dacierf fait arriver Minerve au secours
« de Diomede , pareeque ce héros avoit eu la prudence de se
ce munir de deux fouets ». SU étoit ainsi t pourquoi eût-il été aussi
4.
3o
234
NOTES
LITTERALES
affligé qu'Homère le représente? Il est donc plus vraisemblable de
dire que ce héros, des mains duquel le fouet étoit échappé, parce*
que les rayons du soleil dardoient dans ses yeux f fit effort pour ramasser son fouet, et y parvint; ce que j'ai exprimé, d'après Homère,
en faisant ramasser le fouet par Minerve, qui le remet aux mains du
fils de Tydée.
(Page 142.Fils d'Oïléc.tu n'es pas le plus redoutable des Grecs, etc.)
Le grec porte : Ajax, le meilleur dans la dispute, diseur d'injuresf
inférieur dans tout le reste aux Grecs, ton esprit est intraitable.
(Page 147. Il eût été plus sage de ne point employer f artifice, etc.)
J'ai suivi la leçon commune, qui porte:
BtXreço? auT'àltaoOcxt dueivovaç rirtiQOitzvtiy.
«Il eût été mieux d'éviter de tromper ceux qui valent mieux que toi.»
Ma-dame Dacier corrige; et lisant, avec Eustathe, êivXéqûv f elfe
traduit : «Une autre fois évitez avec soin de déplaire à ceux qui sont
ce au-dessus de vous»; conseil qui, dans sa généralité, tient trop de
la basse flatterie pour être digne d'Homère»
(Page 151. Qui combattit autrefois dans Thebes
aux funérailles d'Œdipe, etc.)
La tradition adoptée par Sophocle , qui fait mourir Œdipe k
Colone, dans le voisinage d'Athènes, est donc postérieure à Homère.
{Ibid. Le valeureux fils de Tydée prend un vif
intérêt à sa gloire, etc.)
Diomede étoit parent de cet athlète par Déipyle sa niere^ fille
d'Àdraste, frère de Mécisthée.
ET H I S T O R I Q U E S . C H A N T XXIII.
fc35
- (Page i52. Ceints de vastes courroies, etc.)
Soit pour affermir leurs reins , ou, comme le prétend madame
Dacler f pour couvrir leur nudité ; car les athlètes portèrent d'abord
des espèces de tabliers: l'usage nf en] fut aboli que dans la quatorzième olympiade , à l'occasion d'un athlète dont le tablier se détacha ; ce qui occasionna sa défaite.
(Page i54* Ébranle son rival, mais ne peut
l'enlever, etc.)
Le grec porte : Il ne l'enleva point, mais il lui contourna le génôu.
C'est ce que les écoliers nomment le croc enjambe.
(Page i55. Célèbre par sa beauté par toute la
terre, etc.)
Le grec porte : Elle l'emporte par sa beauté sur toute la terre.
( Ibid. La navette qu'une femme Industrieuse
fait voler sur la trame, etc.)
Le nouveau traducteur anonyme de l'Iliade traduit ainsi : ce Tel le
« fuseau presse le sein palpitant de la jeune beauté qui f d'une main
ce légère , file ou la laine ou la sole ». Ce sens est conforme à celui
que madame Dacler donne à ces vers,
M. BItaubé traduit: ce Le rapide Ulysse le suit d'aussi près qu'est
ce la navette du sein de l'adroite ouvrière, qui la faisant courir d'une
ce main à l'autre, en déroule le fil pour l'unir à la trame ; la navette
ce touche son sein ». C'est le sens que M. ErnestI donne à ce mot
jtiiviov f la trame qu'on couvre de laine, pour la polir et la lustrer ; car les anciens ne faisoient pas usage de la soie. Ainsi la
comparaison ne porte pas sur la proximité de la navette, qui, partant du sein de l'ouvrière» s'en éloigne pour courir sur la trame,
mais sur la proximité de la laine qu'elle applique et presse contre
la trame, pour couvrir et lustrer l'étoffe qu'elle fabrique.
236
NOTES
LITTERALES
(Page 157. Il égale en force et en légèreté les
anciens héros, etc.)
Le grec porte : On dit qufil est aussi vieux que les anciens hommes.
(Page i5p. Celui qui l'obtiendra sera pourvu
abondamment de fer, etc.)
Le fer éfoît,dans ces temps reculés, un métal tellement rare dans
les pays méridionaux, que les armes mêmes étoient d'alraîn.
On a vu aussi dans tout le poëme combien Fétain étoit prisé pai
les anciens.
ET H I S T O R I Q U E S . CHANT XXIV.
CHANT
ïlàj
XXIV.
166. Le dieu de la lumière le couvre de
son égide d'or, etc.)
(PAGE
Cette égide d'Apollon n'est autre que la nuée brillante dont il a
été parlé au vingt-deuxième chant, sous laquelle le dieu de la lumière enveloppe le corps d'Hector*
* ( Ibid. C'est ainsi qu'elles punissent le mépris
que le berger Paris, etc.)
- Cet endroit est le seul où Homère lasse mention du jugement de
Paris, origine de la guerre de Troie; raison pour laquelle quelques
critiques se permettent de retrancher ces trois vers: car, disent-ils,
si cette fable eût été connue du temps d'Homère, il est peu vraisemblable qu'il eût attendu si tard à en parler. Tel est au contraire,
au jugement d'Horace, Fart du poète épique :
Et in médias res t
Haud sems ac notas f auditorem rapït.
Horace*
Souvent le poète entraîne son lecteur au centre des événements, négligeant ce qui précède f comme s'il étoit connu.
Souvent un beau désordre est un effet de l'art.
Bolfeân*
Mais pourquoi qualifier de désordre cette marche du père de la
poésie épique? L'enlèvement d'Hélène est la cause apparente de la
guerre de Troye. C'est pour venger cette injure que les Grecs se sont
ligués contre les Troyens. Cette cause est développée dans les premiers chants du poëme : mais le jugement de Paris, dont la fille de
Tyndare fut la récompense > et la jalousie de Junon et de Minerve,
238
NOTES
LITTÉRALES
sont une cause de cette guerre fameuse f qui, cachée dans le secret
des dieux, ne devoit être montrée que dans le vingt-quatrième
chant.
(Page 167. Insensible à la pitié, au respect dû à
l'opinion des hommes, etc.)
Le grec porte : Ainsi Achille a perdu toute pitié; il a perdu cette
pudeur qui aiguillonne fortement les hommes et les secourt puis*
samment.
(Page 168. Les mêmes honneurs ne seront pas
rendus aux mânes d'Hector, etc.)
Voyez, au vingt-quatrième chant de l'Odyssée, le récit des funé*
railles d'Achille,
(Page 169. La mère d'Achille veille nuit et jour
à la garde de ce trésor, etc.)
Le grec porte ;
H yàç oi mh
Mîimç 7tao^^(6XoK€v wtcTaç te KaYt^dç.
M, Bitaubé traduit: « Ce héros seroit bientôt instruit par sa mère,
«qui nuit et jour porte ses pas vers ce fils infortuné », rapportant
le pronom démonstratif 01 à Achille. Il m'a paru plus naturel de
le rapporter à la dépouille d'Hector gardée par Thétis.
(Ibid. Qui cache, sous la corne d'un bœuf sau^
vage, etc.)
Pour empêcher les poissons de ronger leurs lignes, les anciens les
garnîssoient d'une corne qu'ils plaçoient au-dessus de l'appât; c'est
pourquoi l'hameçon d'acier et le crin t qu'on a depuis substitués à lu
corne f sont appelles mqaq f cornu.
(Page 173. Thétis se livre aux tendres mouve-*
ments de l'amour maternel, etc.) •
ET HISTORIQUES. CKANT XXIV.
a3p
Le grec porte : Elle le flatta de la main.
(Page 174. Car il n'est ni insensé, ni imprudent, ni impie, etc.)
Les anciens faisoient remarquer dans ces trois épithetes les trois
sources des crimes des hommes.
(Ibid. Au milieu d'eux, le vieux Priam , enveloppé dans son manteau, etc.)
. On prétend que ces vers d'Homère fournirent au peintre de Sicyone, qui manquoit de couleurs pour exprimer le combat de U
douleur, de la honte et du remords dans lame d'Agamemnon présent au sacrifice d'Iphigénie, l'idée de couvrir la tête de ce prince de
son manteau.
(Page 176. Le grand Hector, qu'il a percé sous
les murs de sa patrie, etc.)
Le grec porte: Qu'il n'a point tué, lorsqu'il fuyoit lâchementf
mais combattant avec courage , sous les yeux des Troyens et des
Troyennes, inaccessible à la crainte, incapable d'une fuite honteuse.
(Page 177. Ne porte point l'efFroi dans mon
palais par de sinistres présages, etc.)
Le grec porte: Ne sois pas toi-même un oiseau de mauvais au&ure
dans mon palais; tu ne me persuaderais point.
(Page 178. Votre vie ne peut me consoler de la
perte du seul Hector, etc.)
Le grec porte : Plût aux dieux que vous eussiez tous été tués au
lieu d'Hector, devant les vaisseaux des Grecs!
(Page 182. Qu'ils nomment le grand aigle, etc.)
Homère nomme cet aigle JCCOKYOT. J'ai cru devoir lui appliquer
24'0
NOTES
LITTÉRALES
la dénomination du grand aigle dont parle M. de BufFon ; car Tes-'
pece de cet aigle m'a paru suffisamment désignée par sa couleur f
d'un orfoncé et ténébreux, ^XOçôVOY , et par l'étendue de ses ailes
qui égalent la largeur du portique du palais d'un homme riche.
« C'est le plus grand de tous les aigles, dit M. de BufFon ; la fece melle a jusqu'à trois pieds -et demi de longueur, depuis le bout du
tt bec jusqu'à l'extrémité des pieds, et plus de huit pieds et demi de
ce vol ou d'enverjure ». HisL nul. des Oiseaux, tome L
(Ibid. Le fouet, manié avec art, hâte et ralentit,
etc.)
Le grec porte : Le vieillard les suivant, leur ordonne avec le
fouet. C'était plus pour ralentir la marche des coursiers que pour la
hâter; car ils étoient obligés de se conformer à la marche pesante
des mules qui les précédolent.
(Page i83. Il prend en main cette verge miraculeuse, etc.)
Voyez f sur la verge de Mercure, que les poètes postérieurs I
Homère ont ornée de deux ailes, et nomment caducée, qui n'est
autre chose que la verge miraculeuse de Moïse, les notes des
chants cinquième et vingt-quatrième de l'Odyssée,
{Ibid. Sous la forme d'un jeune guerrier, etc.) ,
Madame Dacier traduit : ce Ayant pris la figure d'un jeune
« prince » ; faisant dériver , avec Eustathe , ce mot aicnwroç * de
alerta m ç ô v , observant, gardant la justice , la première vertu de§
rois.Mercure ne se dit point un roi, mais l'un des compagnons d'Achille ; raison qui m'a fait préférer le sentiment du plus grand nombre de scholiastes , qui font dériver ce mot de atûfteiv ou ataetv,
s'élancer ^ celui qui sfélance le premier, un chef de bandesj ce qui
$'&cçorde avec la réponse du dieu,
E T H I S T O E I Q U I S . " C H A N T XXIV.
2*4*
(Page 184. Un jeune liomme dans la fleur de
l'âge, etc.)
Le grec porte » Mercure, c'est-à-dire le jeune guerrier dont Mercure a pris la ressemblance ; car l'effroi d'Idée ne seroit pas fondé f
s'il reconnoissoit le dieu envoyé par Jupiter au secours de Priam.
(Page 187. Ce récit adoucit la tristesse mortelle
du vieux Priam, etc.)
Le grec porte : Il dit : le vieillard fut réjoui et lui répondit: ô mon
fils * il est bon de faire de justes présents aux immortels.
(Page 192. Celui-là est éternellement malheureux, etc.)
Deus judex est; hune humiliai, et hune, exaltai; quia calix in
manu Dominivini meri plenus misto. Et inclinant ex hoc in hoc;
veruntamenfex ejus non esi exinanita; bibent omnes peccaiores
terrœ. Ps. 74, v» 8 et 9,
«Dieu juge les hommes; il humilie celui-ci f élevé celui-là; car
<c une coupe, mêlée de bien et de mal f est dans la main du Seigneur}
ce il a puisé dans les deux sources de biens et des maux pour Ternie plir f et la lie n'a point été épuisée ; tous les pécheuri de la terre
ce en'boiront»
(Page ip3. Les rives de l'Hellespont au nord,
etc.)
Jfaï ajouté ces mots, au nord, qui ne sont pas dans le grec y pour
satisfaire à la clarté qu'exige notre langue.
(Ibid. Crains d'accroître ton infortune, etc.)
Le grec porte : Tu ne le ressusciteras point ayant que tu souffres
quelque autre malheur. Madame Dacïer traduit : c< Vous ne le rapce peilerez point à la vie ; mais vous rirez rejoindre , après avoir*
4.
3l
242
NOTES
LITTERALES
ce achevé de vuïder ici-bas la coupe de la colère des dieux *> : langage
qui n'est pas consolant. 11 m'a paru plus vraisemblable de donnef
aux derniers mots de celte phrase le ton d'une menace, que l'extrême affliction ne consume le vieux Priam, ou même qu'il n'excite»
par un refus, la colère du fils de Pelée ; ce qui est très conforme à la
réponse d'Achille lorsque Priam refuse de prendre place sur un
trône , et très analogue à la tournure grecque. Ainsi s'écrioît Da¥Îd,
après avoir perdu le fruit de son adultère :
Nunc autem quia mortuus ejt^ quare jejunem? numquid potero
revocare eum ampliàs ? ego vadam magis ad eum ; ille vero non revertetur ad me. 2 Rois,, chap. 12, v. 23. «11 est mort; pourquoi jeûcc nerois-j.e? mes jeûnes et mes pleurs ne le rappelleront point à la
<c vie: j'irai plutôt à lui; il ne reviendra point à moi. »
(Page 194. Abaissé les leviers de nos portes, ete.)
Ce qui ne se rapporte pas seulement aux portes du camp, mais
encore à celles qui fermoient l'enceinte de la tente d'Achille.
(Ibid. Crains que y malgré les ordres de Jupiter,
etc.)
Le grec porte: De peur f ô vieillard, que je ne te souffre pat
môme dans ma tente, et que je ne contrevienne aux ordres de Jupiter»
(Page 196* Personne ne se trouva pour leur rendre les honneurs funèbres, etc.)
Les enfants de Niobé étant morts de la peste, personne n'osa ni
les secourir, ni leur rendre les honneurs funèbres»
(Page 198. Achille ordonne •.•••de préparer des
lits sous le portique, etc.)
ET HISTORIQUES. CHANT XXIV.'
'243
Voyez la note du quatrième chant de l'Odyssée sur la forme des
lits des anciens.
(Page 202. Les chants funèbres commencent;
etc.)
Le grec portje : Ils placent auprès du lit funèbre Ips respectables
chefs des pleureurs , qui font entendre leurs douloureux accents:
lçs femmes les suivent Coutume reçue chez tous les anciens peuples f dont nous conservons encore des vestiges aux pompes funèbres des grands.
Quoniam ibit homo in domum aeternitatàs suae, et circuibuni in
platea plangentes. Ecclésiast. chap. 12, wP 5§ ce Parceque l'homme
« ira dans son éternelle demeure, et que les pleureurs entoureront
« son lit funèbre. »
Dans saint M ^ c , chap. 5, vf 38, voyez les pleureurs qui envi**
sonnent le lit funèbre de la file du chef de la synagogue.
jFIK P I S NjOTIg HISTORIQUES*
NOTES
GÉOGRAPHIQUES
DE M. M E N T E L L E ,
H I S T O R I O G R A P H E DE M" COMTE D'ARTOIS.
ILIADE;
CHANT
XX.
( P A G E 48. Ida.)
Quelques auteurs pensent que c'est l'ancien nom de Sardes; ma»
cela n'est pas prouvé.
(/foUHyllus.)
Le même fleuve que lePhiygias, grand fleuve de F Asie Mineure.
I! prend sa source sur les confins de la grande Phrygîe f au sud d'Aricyre , coule à Fouest, et se jette dans l'Hennus, près de Magnésie.-
(Ibid. L'ombragé Hermus-.
Montagne que Fon conjecture avoir été ainsi nommée, parceque
ïe fleuve Hermus y prend sa source.
NOTES
GÉOGRAPHIQUES.
CHANT
2 ^
XXI.
(Page 65. Le roi des fleuves, l'Achéloùs.)
Homère fait ici allusion à une ancienne tradition, suivant laquelle
ee fleuve étoit sorti de terre le premier après le déluge de Deucalion.
CHANT
XXII.
(Page 112. Dans l'ombragée Hypoplacie.)
La ville de Thebes en Mysie. Voyez les commentaires d'Etienne
de Byzance, tome I, page 416'.
CHANT
XXIV.
(Page 197. Sipyle.)
Montagne de l'Asie Mineure f au sud-est de Magnésie* 11 y avolt
au même lieu une ville du même nom.
FIN D I S NOTES G I O G E A P H Ï Q U 1 S .
IMITATIONS
D'HOMERE-
IMITATIONS
D'HOMERE
PAR LES P R I N C I P A U X P O E T E S
LATINS, ITALIENS, FRANÇOIS
ETANGLOIS,
AVEC
LA
TRADUCTION.
CHANT
XIX.
( PAGE 8. L'aurore au voile pourpré s'élevant des
profondeurs de l'océan, etc.)
Et jam prima nmro spargebat lumine terras
TithonI croceum linquens Aurora cubMe.
AEneid.lib. 4 , v. 584.
Cependant l'Aurore 9 quittant le Mt safrané du vieux Tîthon, verse ses premiers feux sur la terre.
(Ibid. Reçois les belles armes que je t'apporte,'
ouYrage de Vulcain, etc.)
En perfecla mei promissâ conjugls arte
Munera.
AEneid* lib. 8, v. 612.
O mon fils, lui dit Vénus, Je remplis mes promesses ; reçois ces présents j
chef-d'œuvre de Fart de mon époux,
. (Page 8. La joie a accès dans son ame, à la vue
de l'armure, etc.)
4.
32.
25o
IMITATIONS;
Talia per clypeum Vulcani, dona pareil tis*"
Miratur, rerumque ignarus imagine gaudet,
Attollens liumero famamque et fata nepotum.
;
AEneid. lib. 8, v. 729;
Quoique ces grands événements lui soient inconnus (àÉnée), il en contemple et admire les vivants tableaux que Vulcain a tracés sur son bouclier, magnifique présent de la déesse sa mère. 11 l'élevé, le suspend à son épaule, et
porte sur son dos la gloire et les futures destinées de sa postérité,
(Page 12. Fier d'annoncer aux Immortels leshautes destinées de son Bis, etc.)
Hear, ail ye angels, progeny of Kght,
Thrones, dominations, priucedoms, virtues, pow'rs^
Hear my decree, which unrevoK,*d shall stand.
Tliîs day I hâve begot whom I déclare
My only son,
Parad. lost » book 6.
'Anges, premiers nés de la lumière , trônes-, dominations , vous qui cour-*
mandez dans le sacré palais, vertus, puissances, soyez attentifs à mon irrévocable décret. En ce jour f ai engendré celui que je déclare mon fils unique.-
(Page i3. Saisissant l'Implacable Furie, etc.) .,
Thiis measuring thïngs in heav'n by things on earth f
At thy request, and that thon may'st beware
By what 1s past, to thee I hâve reveal'd
What mïght hâve eîse to human race been hid j
The discord which befel f and war in heav1 n
Among th' angelic pow f rs, and the deep fall
Of those too high aspiring, who rebelkd
Wilh Satan.
Parad. lost, Book 6;-
~ Ainsi, mesurant les choses du ciel par celles de la terre, à ta prière, et pour
^instruire par l'exemple dm passé, je t'ai révélé ce qui eût peut-être été tou*
C H I N T XIX, -
2.5 h
fours ignoré de l'humaine race, la discorde qui régna dans le ciel, la guerr#
qui s'alluma entre les anges, la chute profonde de ceux qui, par une ambition
démesurée, se révoltèrent avec Satan.
(Ibid. Jupiter en gémit le premier, voyant Hercule, ce fils cher à son cœur, etc.)
Ut duros miHe labores
Rege sub Eurystheo f fatis Junonis kiquae f
Pertuierit !
AEneid. Mb. 6 , v. 291.
Combien de fois il se fournit aux durs travaux que 1g tyrannie du roi Euryathée, la haine de Junon et l'ordre du destin lui imposèrent !
(Page 18. Grand nombre de nos compagnons
tombent tous les jours, etc.)
Mamque nimis multos atque omnï luce carentes
Cemimusf ut nemo possit mœrore vacare:
Quà magis est asquum tumulis mandare peremptos,"
Firmo animo, et luetum lacrymis finire diuraïs.
Cïc. Tusc. Quaest, 1. 3#
Ces vers sont la traduction littérale de ceux d'Homère.
(Page 21. Patrocle, si cher à mon cœur, je te
laissai vivant, etc.)
E in lui Yersô d'inessiccabil vena
Lacrime, e, voce di sospïri mista :
lu che mîsero punjto or qui mi mena
Fortuna! Ah ! che Yeduta amara e trista ï
Dopo grau tempo V ti ritrvo appena f
Tancredi, e ti riFCggio, e non son fista;
¥ista non son da te benchè présente ;
E tro?ando ti perdo eternamente.
Ger. Ub« €• 19,"st. io5«
252
I M I T A T I O N S .
A la vue de son amant, une source intarissable de larmes coule des jêut
(d'Herminie). D'une voix mourante, qu'interrompent ses sanglots, elles écrite»
Fortune , en quels moments m'as-tu amenée en ces lieux ! Quel triste spectacle
tu offres à mes yeux! O Tancrede, je te cherchai long-temps , et ne pus te rencontrer : je te retrouve, et tu ne me vois point ! Tu ne me vois point bien que
présente! je te retrouve, et je te perds pour des siècles éternels!
(Ibid. Toi seul, ô Patrocle, par ton inexprimable douceur, etc.)
EgH, la sua porgendo alla mia mano,
Non aspetto che fJ mïo pregarfinissex
Vergine bella, non rîcorri in vano;
lo ne sarè tuo difensor, mi disse.
Ger. lib. c. igf st. 94.(Tancrede), me présentant la main, interrompt mon humble prière: Belle
nymphe, me dit-il, ce n?est pas en vain que tu as recours à moi j je serai ton
défenseur,
(Page 22. Ô mon infortuné compagnon, etc.)
O forte, o caro, o mio fedel compagno,
Che qui seï morto f e so-che vivi in cielo t
Solo senza te son, ne cosa in terra
Senza te posso-aver più, che mi piaccla..
Se teco era in tempesta, e teco in guerra.
Perché non anco in ozio t ed in bonaccia?
Orl. fur. c. 43 , st. 170 et 171,
O mon cher, ô mon brave, ô mon'fidèle compagnon, tu es mort ici bas, et
tu vis dans le ciel
. • .
Privé de toi , Je ne peux rien
posséder qui me plaise sur la terre : si je partageai avec toi et les tempêtes et la
guerre, pourquoi ne partagerai-je point et le repos et le câline?
CHANT
XIX.
a5S
(Page 24. Les Grecs se hâtent de sortir de leurs
vaisseaux, etc.)
Ut ssepe iogentï bello ciim ïonga coliorte^
Explifiiit legio, et campo stetit agmen aperto f
Directaeque acieSs ac latè fluctuât omnïs
AEre rentdenti teilus.
Georg. Mb. 2 , v. 279.
Ainsi, dans les guerres sanglantes, une armée se développe dans la plaine ;
la glèbe retentit sous les pas des guerriers alignés ; Féclat de Fairaîn brille dans
Pair,
Praetef ea magnae legïones cum loca cursu
Caniporum complent, belli simulacra cientes',
Et circumvolitant équités, mediosque repente
Transmïttunt valïdo quatlentes impete campos ;
Fulgur ibl ad cœlum se tollit t totaque cîreum
AEre renidescit telles, subterque virûm vl
Excutilur pedibus soriitus, clamoreque montes
Icti rejectant voces ad sidéra uiundi.
Lucr. Mb. 2 , v. 323,
Quand de grandes légions s'exercent dans une plaine qu'elles couvrent en
entier, imitant les combats meurtriers, la cavalerie fait ses évolutions, traverse les champs d'une course rapide ; Féclat de Fairaîn, qui répand sur la terre
sa blanchâtre lumière, s'élève jusqu'à la voûte éthérée; la glèbe résonne sous
les pas des guerriers , les échos des montagnes portent leurs cris jusqu'aux
astres.
(Page 26. Adressant la parole aux immortels
coursiers que lui donna Pelée son père, etc.)
Haud dejectus f equum duel jubeL Hoc decus illî,
Hoc solamen erat; bellis hoc victor abibafc
Omnibus. Alloquitur mœrentem, et talibus infit:
Rbœbe f diù (res si qua dlu mortaMbus ulla est ) f
a54
IMITATIONS»
Viximus. Aut hodie vietor spolia illa cruetitn
Et caput AEneae réfères» Lausique dolorum
Ultor eris mecum ; aut f aperit si nulla viam vis f
Occumbes pariter: neque eniin, fortissimo, credo
Jussa alieoa pati^ et dominos dignabere Teucros.
AEneid. Mb, 10, v. 858.
11 ordonne qu'on lui amené ce fier coursier qui sortit avec lui vainqueur de
tant de combats, qui s'enorgueillissoit de le porter; ce coursier, sa consolation
et sa gloire dans les travaux de la guerre. A la vue de son maître blessé, l'intrépide coursier verse des larmes* Mézence lui adressant la parole : Ilhébé, lui ditil , la gloire des mortels est de courte durée ; nous touchons au terme fatal.
Aujourd'hui vainqueur avec moi^ vengeur de la mort de Lausus, tu reporteras au camp et la tête et les dépouilles sanglantes d'Énée; ou nous pé:irons
ensemble , si nos forces ne suffisent pas pour de tels exploits : car je ne pense
point que tu consentes de subir le joug de l'étranger} tu dédaîgnerois d'avoir
pour maîtres les Troyens,
— • IM1BMMMWM—I • 1 1 III I f 111 Ml — I Il É M — » ^
CHANT
X X. '
( P A G E 31. Jupiter ordonne à Thémîs d'assembler
les Immortels, etc.)
Pandltur Intereà domus omnipotentis Olympï,
Conciliumque vocat dl?ûm pater atque hominuni rex
Sideream In sedero t terras uniearduus omîtes, '
Castraque Dainanidum aspectat, populosque ladrtos.Considunt tectis bipatentibus. Incipit >pse...-*
:
AEneid.Kbr i o , • . 1;
Cependant les porte» de la demeure du tout-puissant qui règne sur l'Olympe , s'ouvrent: le père des dieux et le roi des hommes appelle les immortels au
conseil, sur la voète du ciel parsemée d'étoiles, dans ce palais élevé d'où sa
vue perçante s'étend sur toutes- les terres, sur la ville des Troyens, sur les peïji*
pies du Latium. Les dieux prennent place sur leurs- trônes ; Jupiter leur parle
ainsi.. •#.
(Page 33. Du sommet de la liante muraille, du
revers du fossé qui la borde, etc.)
At saeva è speculls tempus dea nacta nocendîf
Ardua'tecta petit stabuli, et de culmine summo
Pastorale canit sïgnum, comuque recurro
Tartaream in tendit vocem » quâ protïnùs omne
Contremuit nemus, et sylvm intonuere profond».
AEneid, Kb. 7, v. Si t.
L'implacable furie quitte la retraite obscure où elle s'est cachée pour épier
les mouvements ( des Troyens ) ; eUe s'élance sur les toits, embouche la conque pastorale, donne aux pâtres le signal du ralliement ; les mm râuques de sa
voix infernale retentissent dans la profondeur de la forêt»
2*56
IMITATIONS;
( Page 34. Neptune frappe la terre de son trident, etc.)
Non seciis ac si quâ partîtes vi terra dehiscens
ïiifernas reseret secles f et régna recludat
Pallida, dis invisa, superque Inirnane barathrum
Cernatur, trepldentque, immissolumine9 mânes...,
AEneid. Mb. 8 , v. 243.
Comme si la terre, entrouverte par une force inconnue , découvroit les ré~
gîons souterraines de l'infernal royaume , séjour abhorré des dieox mêmes,
abymes qu'une pâle lueur a peine à pénétrer, dont l'oeil sonde avec effroi la profondeur ; comme si Ton voyoit les mânes tremblants s'agiter, éblouis par la lu»
miere du soleil introduite dans leurs sombres demeures....
Divlllt omne solutn, penetratque In Tartara rirais
Lumen, et infernum terret cutn conjuge regein.
Ovid. Metam. lib. 2 , v. 260.
f
La terre s écroule, la lumière pénètre dans le Tartare ; le roi des enfers et sor|
épouse sont effrayés.
Inde tremlt tellus, et rex pavet îpse silentûm,
Ne pateat la toque solum retegatur hiatu,
Immissusque dtes trépidantes terreat umbras,
Ovid.ibid.lib.5,v. 356..
La terre tremble; le roi des royaumes silencieux craint que le globe ne s'en*tr'ouvre, que la lumière, introduite dans ces gouffres immenses, n'effraie les
ombres.
L'enfer s'émeut ait bruit de Neptune en furie.
Plu ton sort de son trône; Il pâlit, Il s'écrie;
Il a peur que ce dieu, dans cet affreux séjour f
D'un coup de son trident ne fasse entrer le jourf
Et, par le centre ouvert de la terre ébranlée,
Ne fasse voir du Styx h rive désolée,
Ne découvre aux vivants cet empire odieux f
Abhorré des mortels» et craint môme des dieux.
Boikfu, Traité du Sublime 9 c h . jlf
C H A N T XX*
%5j
(Page 39. Semblable à un lion que provoque un
peuple de chasseurs, etc.)
Ul fera, quœ densâ venaotûm septa coronâ
Contra tela furit, seseque haud nescia morti
Injicit, et saltu supra venabula fertur;
Haud aliter juvenis medios morituras in hostes
Irruit, et quà tela videt deoslsslma tendit.
AEneid. Mb, 9, v. 55i.
Environné de farinée des Latins ( Hélénor ) , se dévouant au trépas, fond
sur l'ennemi, sans redouter l'épaisse forêt de javelots ; telle une bête féroce
qu'entoure une troupe de chasseurs, furieuse, certaine de mourir, affronte les
longs épieux; ses sauts hardis l'élevent au-dessus des toiles.
Pœnomni qualis in arvîs
Saucius ile gravi venantûm vulnere pectus,
Tum demum movet arma leo, gaudetque cornantes
Excutïens cervice toros f fixumque latronis
Impavidusfrangittelum, et frémît ore cruento;
Haud secùs ?ccenso gliscit violentia Turno.
AEneid. Mb. 12, y. 4-*
Tel, au milieu des sables brâlants de la Libye, un Mon, que l'arme meurtrière des chasseurs a atteint dans le poitrail, déploie ses annes, secoue si crinière ; intrépide, rugissant, la gueule teinte de sang, il s'élance f brise le javelot prêt à le percer: aussi forte, aussi vive est l'ardeur de Turaus.
\
Sic cùm squalentibus arvis
AEstiferae Libyes ¥Îso leo cominùs hoste
Subsedit dubius, totam dum colligit îrain ;
* Mox ubi se saevae stimulavit verbere c^udae,
Erexitque jubam, et ¥asto grave murmur hiatu
Infremuit : tum torta levïs si lancea Maurî
Haereat, aut latum subeant venabula pectus,
Per ferrum tanti securus vulneris exit.
Lucan. Pharsal. lib. 1, v. ao5.
4.
33
258
IMITATIONS;
Ainsi, dans les plaines de la Libye, un lion s'arrête ; Incertain à la vue ie
l'ennemi, il se rassemble, bat ses flancs pour accroître sa fureur, dresse sa crinière , pousse de longs rugissements : qu'en cet instant le javelot d'un Negrc
tienne à le frapper , que de longs épieux s'enfoncent dans son poitrail , nul
danger ne l'effraie ; il s'élance, se fait jour à travers les traits qui l'environnent.
A l'aspect du péril, au combat il s'anime;
Et le poil hérissé, les yeux étincelants,
De sa queue il se bat les côtés et les flancs.
Boileau , Traité du Sublime, ch. i 3 .
(Page 40. Fils de Pelée.....n'espère pas m'intimider par de vaines menaces, etc.)
Hostis amare, quid increpitas, mortemque iiiinaris?
AEneid. lib. 10 , v. 900.
Cruel ennemi ( s'écrie Mézence d'une voix mourante ) mets fin à tes injures j
la mort dont tu me menaces n'a. rien qui m'effraie.
Rispose Mandrïcarclo : Indarno tenta
Chi mi vuoF impaurir per minacciarme:
Cosi fanciulii, o femmine spaventa,
O altri f che non sappia f die sîeno arme ;
Me non, cui la battaglia più talenta
D'ogni riposo ; e son per adoptarme
A piè, a cavallo, armato, e disarmato f
Sia a la campagna, o sia ne lo steccato.
Orl. sur. c* 24, st. 98.
Mandricard lui répond (au roi d'Alger) : C'est en Tain que tu essaies de mfeffrayer par des menaces, comme on effraie des femmes ou des enfants qui ne
connoissent pas les armes ; ma réponse est de t'offrir la bataille, soit à pied ,
soit à cheval, soit armé , ou désarmé, soit en rase campagne, ou ea champ
clos.
(Page 41. Ce héros fonda l'antique Dardanle,
C H A N T XX.
259
avant que la sainte cité d'Ilion fût habitée par les
mortels, etc.)
Noodum Ilium et arces
Pergameœ steterant: habitabant ?alibus imis.
AEneid. Mb, 3 , •. 109.
Les peuples sur lesquels il régna (Teucer), habitèrent dfabord les profondes
•allées de rida. Ilion, la citadelle de Pergame , n existoit point alors.
( Ibîd. Douze poulines en naquirent, si légères,
que f volant dans la plaine, etc.)
Illa vel intactae segetls per summa volaret
Gramina, nec teneras cursu laesisset arîstas ;
Vel mare per médium, fluctu suspensa tumenti f
Ferret iter, celeres née tingeret aequore plantas.
AEneid. Mb. 7, v. 808.
Elle Toleroît au-dessus d*une riche moisson, sans en froisser les épîs ; suspendue sur les iots, elle tra?erseroît la plaine liquide sans mouiller la plante
légère de sm pieds délicats.
Egli sen va sovra un destrier cli* appena
Segna nel corso la piu molle arena.
Ger. Mb. c. 18, st. 60.
(Vafrin) monte un coursier si léger, qu'à peine il imprime sur la molle arène
la trace de ses pas.
Lungo il fiurae Trajano egli cavalca
Su quel destrier, ch'al mondo è senza paref
Che tanto leggiermente corre, e valca,
Che ne Farena Forma non appare :
Lferba non pur, non pur la neve calca ,*
Co I piedl asciutti andar potria su 1 marej
E si si tende al corso, e si s'affretta,
Che passa e Ycnto, e folgore, e saetta.
Orland. fur. c. i5, st. 4®*
2ÔO
I M I T A T I O N S . "
(Astolfe) voyage loin de ces contrées, monté sur ce destrier qui n'a poinl
son pareil dans le monde ; il court avec une telle rapidité, que la trace de ses
pieds ne demeure point imprimée sur l'arène , que l'herbe n'en est point froissée, que la neige n?est pas amollie : il pourrait traverser la mer à pied sec. 11 se
hâte et s'étend avec une telle vitesse, qu'il devance et le vent, et la foudre, et
la flèche légère.
(Page 42. Il dit, et lance son javelot dans le bouclier d'Achille, etc.)
Tu m plus AEneas hastam jacït : illa per orbem
AEre cavum triplici, per linea terga, tribuscjue
Transiit intextum fanris opus, imaque sedit
Inguine ; sed vires liant! pertiillf»
AEneid. iib*. 10, v. 783.
Lançant sur Mézence son redoutable javelot, le pieux Enée perce et l'airain
et les trois cuirs du taureau enlacés qui forment l'épaisse contexture du bouclier
du roi des Tyrrhéniens ; il l'atteint au-dessus-de la cuisse, et ne peut l'abattre.
(Page 45. Il étend un nuage épais sur les yeux
d'Achille, etc.)
Pelidae tune ego fbrtï
Congressum AEoeam, nec dis, nec viribus aequis f
Nube eavâ eripui, cuperem cirai verïere ab imo
Structa meïs manibus perjurae inœnia Trojœ.
AEneid. lib. 5 , T . 80».
Malgré le dcsïr dont j'étois animé de renverser les murs de la perfide Troie y
élevés par mes mains, je vis ton- fils engagé dans un combat trop inégal contre
un héros que les dieux protégeoient ; {.'étendis une nue obscure pour le dérober
aux coups du fils de Pelée*
(Page 47. Je cours le provoquer au combat,
etc.)
Àudeo et AEneadum protnitto oceurrere turmaet
CHANT
XX.
2.61
Solaque tyrrhenos équités Ire obvia contra.
AEneid. Mb. 11, v. 5o3.
l e te promets de provoquer au combat les Enéades 5 seule, je marcherai
contre la- catalerîe tyrrhénienne ; permets que la première |faffironte les périls
de la guerre.
(Page 48. Achille le prévient, décharge sur sa
tête son pesant javelot, etc.)
Sic ait f et sublatum altè consurgit in ensem t
Et inediam ferro gcmina inter tempora frontem
Dividit f impubesque immani vulnere inalas.
AEneid. Mb. 9, v. 749*
Il dit ; et élevant son glaive, il le précipite entre les tempes de Pandarus :
l'arme meurtrière sépare en deux les lobes et le front, et ces mâchoires que
couvre à peine un léger duvet.
(Ibid. Fils d , Otryntès....qui naquis.-.au centre
des riches possessions de ton père, etc.)
Dômes alta sub Ida,
Lyrnessi dômes alta; solo laerente sepelcrom.
AEneid, lib. 12, v. 5^6\
Un sépulcre dans les champs laurentins remplace, pour toi, ce superbe palais que tu possédoîs dans les vallées de Flda, cette éclatante demeure que tu
habitois dans Ljrnesse.
(Page 49. 11 expire , poussant des cris aussi affreux que les mugissements d'un taureau, etc.)
Clamores sinral horrendos ad sïdera tollit;
Quales mégîtes, fugit cùm saecius aram
Taures, et incertain excessif cervice securlm.
AEneid. lib. 2 , T. 222.
Il pousse vers le ciel des cris affreux, semblables aux mugissements d'un
taureau blessé qui, ayant secoué la cognée qu'un coup mal assené avoit en*»
foncé dans son crâne, fuil 1 aille! où il deyoU être immolé»
2.62
I M I T A T I O N S .
(Page 5 i . Quoique plus foible, je peux te percer de mon javelot» etc.)
Et nos tek, pater, fermmque haud débile dextrâ
Spargimus, et nostro sequitur de vulnere sanguis.
AEneid. lib. 12, v. 5o.
O mon père , mon bras , ainsi que celui d'Enée , est éprouvé dans les coin»
bats ; mon javelot a précipité des héros dans les sombres demeures.
{Ibid. Il dit; et Imprimant à son javelot..... un
mouvement rapide, etc.)
Dixerat; ille rudem nodls et cortîce crudo
Intorquet, summis annixus viribus, lias tain.
Exceperc aurae vulnus: Saturnia Juno
Detorsit venlens, portaeque infigitur hasta.
AEneid. lib. 9 , v. 743.
11 dit: Pandarus saisit un lourd épieu que revêt son écorce; il Féleve d'un
bras nerveux, lui imprime un mouvement rapide par les cercles qu'il lui fait
décrire , le lance sur le roi des Rutules : mais la fille du vieux Saturne détourne
le coup mortel; la pointe aiguë s'égare dans le vague de l'air, et s'enfonce dans
la porte.
(Page 52. Le javelot d'Achille atteint l'un au
loin , tandis que l'autre tombe à ses pieds sous les
coups de son glaive.)
Turnus equo dejectum Amycum, fratremque Dloreni
Congressus pecles ; hune venientem cuspide longâ f
Hune tnucrone ferit.
AEneid. lib. 12, v. 509.
Turnus a culbuté de dessus leurs coursiers et Amycus et son frere Diorês;
Il sfélance de son char, marche à pied à leur rencontre, perce l'un de son
javelot, enfonce son glaive dans la poitrine de l'autre.
C H A N T XX.
2Ô3
(Ibîd. Le iîls de Pelée.... enfonce le glaive dans
son cœur, etc.)
Validum namque exîgit ensem
Per médium AEneas juvenem, totumcjue recondït.
Transiit et parmain mucro, levïa arma^niinacis,
Et tunicam, molli mater quam neverat auro;
Implevitque sinum saoguis: tu m vita per auras
Concessît mœsta ad mânes, corpusque rellquit
AEneîd. lib. 10, v. 8i(î.
Le glaive d'Enée brise le bouclier du jeune héros, perce sa cuirasse, déchire
cette molle tunique que les mains de sa mère ont filée, où l'or s'allie aux couleurs les plus brillantes , et s'enfonce clans le sein de Lausus;- 1e sang emplit
sa poitrine*; son ame affligée fuit dans le séjour des ombres.
(Page 53. Achille.... fait voler sur la poussière
cette tête ennemie et le casque qui la couvre f
etc.)
Huic uno dejectum comïnùs ictu
Cum galea longé jacuit caput.
AEneid. lib. g, v. 770.
Turnus le prévient, fait voler sur l'arène et sa tête et le casque qui la couvre;
(Ibid. Ainsi Achillef semblable à un dieu...;
parcourt cette plaine sanglante, etc.)
Multa vïrûm volîtans clat fortîa corpora letho,
Semineces volvit multos, aut agmina eurru
Proterit^ aut raptas fugientibus ingerit haslas. AEneid. lib. 12, v. 328.
11 (Turnus) parcourt avec rapidité la vaste arène : les guerriers tombent en
foule sous ses coups; d'autres expirants se roulent sur la poussière: les phalanges troyennes sont dispersées ; les mêmes javelots qu'il enlevé aux ennemis
qu'il a terrassés f il les dirige sur les fuyards.
2(>4
IMITATIONS.
( Page 54. L'aissleu de son char est teint de
sang, etc.)
Talis equos alacer média inter praelia Tu mus
Fomantes suclore quatit, misera bile caesis
Hostibus insultans. Spargit rapida ungula rores
Saoguineos, inlxtâqiie cruor calcatur arenâ,
ATneid. lib. 12, v. 3 3 j .
Turnus, monté sur son char, animant ses coursiers agiles , se fait jour à
travers les phalanges qu'il disperse: la sueur qui pénètre les membres de ses
coursiers , les couvre d'une épaisse fumée. Turnus, insultant aux vaincus, se
livre à un affreux carnage 1 le sang jaillit dessous ses pas} la molle arène est
imbibée de sang.
C H A N T
XXL
C PAGE 5J* Repoussés sur les rives dp grand fleuve
du Xanthe tortueux, etc.)
Tellei â l'aspect d'un loup, terreur des champs voisins f
Fuit d'agneaux effrayés une troupe bêlante ;
Ou tels devant Achille, aux campagnes du Xanthe,
Les Troyens se sau¥oient à l'abri de leurs tours.
Lutrin, ch. 5.
(Page 58. Las enfin de carnage» le fils de Pelée
choisit douze jeunes hommes, etc.)
Sulmone creatos
Quatuor hic juvenes, totidem, quos educat Ufens;
Vivantes rapit, inferîas quos immolet umbris,
Captivoque rogï perfundat sanguine lammas.
AEneid, Mb, 10, v. 5i8.
Quatre frères, enfants de Sulmon, s'offrent les premiers à sa vue : Il ( Enée )
les rend ses captifs, ordonne à Ufens de les conduire à la ville, destinés à être
immolés aux mânes de Pallas, à airoser de leur sang les Iammes du bâcher dm
fils d'Évandre,
(Page 60. Profondément incliné, le triste Lycaon, etc.)
Inde Mago procul infensain càm tenderet hastam,
He astu subit f ac tremebunda superrolat hasta §
Et genua amplectens effatur talia supplex:
Per patrios mânes, et spem surgentis lulif
Te precorf hanc animam ser?es natoque patrîque.
Est domus alta: jacent penitùs defossa talenta
4.
34
l66
IMITATIONS.
Cselati argenti: sont auri pondéra factl
Infectique mihi: non hic Victoria Teucrûm
Vertitur, aut anima una dabit discrimina tan ta.
Dixerat. AEneas contra cui talia redclit:
Àrgenti atque auri memoras quae multa taleota
Gnatîs parce tuïs : belli commercia Turnus
Sustulitista prior, jam tum Pallante perempto.
Hoc patris Anchlsee mânes, hoc sentit Iulus.
Sic fatus, galcam laevâ tenet f atque reflexâ
Cervice orantis capulo tenus applicat ensem.
AEneid. Mb. 10, v. 521.
Agitant son javelot, Il s'élance sur Magus. L'adroit Rutule se courbe, se
glisse sous l'arme meurtrière , l'évite, embrasse les genoux du fils d'Ancliise:
Sauve-moi la vie, lui dit-il ; je t'en conjure par les mânes de ton père Ancluse , par les espérances que te donne ton fils Iule ; conserve des jours précieux
à mon père, nécessaires à mon fils. Jfai une maison élevée ; des richesses immenses y sont renfermées, de l'argent ciselé, de For tel qu'on le tire de la mine f
de For artistement travaillé. Ma mort ne donnera pas la victoire aux Troyens:
la vie d'un seul ne peut être d'une telle importance.
11 dit. Conserve à tes enfants cet or que tu m'offres, lui répond Enée, Pallas
est tombé sous les coups de Turnus ; la mort de ce jeune héros a rompu tout
commerce entre nos deux nations ; les mânes de mon père Anchise, la douleur
de mon fils Iule sollicitent ma vengeance.
Il dit ; et soulevant le casque d'airain, il enfonce son glaive jusqu'à 11 gardd
dans la gorge du Rutule.
(Page 61. Tu vois quel je suis, etc.)
Lamina sic oculis etiam bonus Ancu1 reliquit,
Qui melior multis» quàm tu, fuit, improbe, rébus*
Ipse Epierons obit decurso lutnine vit* f
Qui genus humanum ingenïo superavitf et omrues
Praestinxit stellas, exortus uti aethereus sol j
Tu ver6 dubitabis, et indigpabere obke f
C H A N T XXI.
Mortua quoi vita est, prope jam vivo atque vîdenti!
267
Lucret, lib. 3 , v. io38.
Ancus, ce bon roi, supérieur à toi par tant de vertus, â fermé les yeux â
la lumière du soleil. • • • • • • • •
' • • • « .
Épîcure est mort, cet Épîcure dont le génie éclipsa celui de tous les autres
mortels, comme le soleil éclipse les étoiles ; et tu t'indignerois de subir la loi
commune, toi dont la vie entière n'est qu'une mort anticipée!
(Page 64. Le fils de Pélégonus fait effort pour
s'en saisir ; trois fois il l'agite puissamment, etc.)
Incubuit, voluîtquç manu convellere fermm
Dardanides, teloque sequi, quem prendere cursu
Non poterat
AEneid. lib. 12, v. 774.
Désespérant d'atteindre Turnus à la course, le héros dardanien lait effort
pour arracher son javelot et le lancer sur l'ennemi,
(•Page 6jP A cette ¥ue le'Xanthe se trouble;
etc.)
Au pied du mont Adule, entre mille roseaux.
Le Rhin tranquille, et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d'une main sur son urne penchante f
Dormoit au bruit flatteur de son onde naissante,
Lorsqu'un cri tout-à-coup suivi de miËe cris
Vient d'un calme si doux retirer ses esprits.
Il se trouble, il regarde f et par-tout sur ses rives
11 voit fuir à grands pas ses Naïades craintives f
Qui toutes accourant vers leur humide roi t
Par un récit affreux redoublent son effroi
Il apprend qu'un héros, conduit par la victoire f
A de ses bords fameux flétri l'antique gloire.
BoOeau* Épu 4*1
268
IMITATIONS;
(Page 68. Ainsi l'on voit dans les jardins Veau
d'un étang qu une pente hardie favorise, etc.)
Quid dicam, jacto qui semlne comimis arva
Insequitur, cumulosque ruit malè pinguis arenae*
'Deînde satis fluvium inducit, rlvosque sequentes?
Et cùm exu-stus ager morientibus aestuat lierbis,
Ecce supercilio clivosi tramitis undam
Elicit : illa cadens raucum per levia murmur
Saxa clet f scatebrisque arentia tempérât arva.
Georg. Mb, 1 , v. 104.'
Que dirai-je de Tactif laboureur qui suit de près la semence que sa main a*
lancée, dont la lierse abaisse les éminences de la glèbe amoncelée , qui introduit sur le champ fécondé par la semence un fleuve divisé en des-canaux divers^
qui semblent le poursuivre dans leur course rapide; et tandis que les feux de
l'été dessèchent et brûlent la verdure naissante, fait Jaillir du sommet d'une
roche escarpée une onde limpide dont la pente hardie surmonte les obstaclesqui lui sont opposés, bouillonne, murmure , et tempère l'aridité du sol par lé
crystal d'un liquide bienfaisant?
. „ L'art du laboureur peut tout après les dieux.
Dans ses champs la semence est-elle déposée?
Il la couvfe à l'instant sous la glèbe écrasée;
Puis d\m fleuve coupé par de nombreux canaux
Court dans chaque sillon distribuer les eaux.
Si le soleil brûlant flétrit l'herbe mourante,
Aussitôt je le vois, par une douce pente f
Amener, du sommet d'un rocher sourcilleux,
Un docile ruisseau qui suit un lit pierreux r
Tombe, écume, et roulant avec un doux murmure,
Des champs désaltérés-ranime la verdure.
M. l'abbé de Lille;
(Page 6g.- Que n'ai-je succombé sous les coups»
•d'Hector, le plus courageux des Troyens^ etc.)
CHANT
XXI.
.
26ç
ù Danaûm fortissime gentîs
Tydide, mené iliacis occumbere campîs
Non potuîsse, tuâque animam'hanc effundere dextrâ,Saevus ubi AEacidae telo Jacet Hector, ubi ingens
Sarpedon, ubi tôt Simoïs correpta sub undis
Scuta virûm, galeasque, et fortia corpora volvit!
AEneid. lib. 1, v. $6.
Fils de Tydée, le plus intrépide des Grecs, quelles divinités cruelles m'ont
dérobé aux coups de ton javelot? Plût aux dieux que les plaines d'Ilion, ou
Hector a succombé sous les coups du descendant d'Eacus, où le grand Sarpedon a terminé sa vie, où le Simoïs roule dans ses flots tant de boucliers! tant
de casques, tant de cadavres de héros, eussent recueilli ma dépouille mortelle*!
(Page 73. Ses ondes bouillonnent, comme la
graisse d'un porc enfermée dans un vase d'airain,
etc.) Magno veluti cùm flamma sonore
Virgea suggeritur costîs undantis ahenï ,Exultantque aestu latices: furit intùs acjuae vis,
Fumidus atque altè spumis exuberat amnîsi
Nec jam se capït unda ; volât vapor ater ad auras»
AEneid, lib. 7, v. tyfa.
Telle, enfermée dans un vase d'airain qu'enveloppe une flamme animée par
du bois sec, Fonde écumeuse se gonfle, surmonte les bords du vasej un fleuve
en sort à gros bouillons et répand au loin une épaisse fumée*
(Page 74. Les deux bandes des divinités..•*
marchent Fune contre Fautre: la terre gémit sous
leurs pas, etc.)
Le ciel en retentit, et l'Olympe en trembla.
Traité du Sublime, ehap. 7»
2/Û
I M I T A T I O N S ,
(Page 79. Elle dit; et saisissant d'une seule
main....Telle une timide colombe, etc.)
Transit equum cursu; frenisque adversa prehensis
Congredltur, pœnasqoe iniinico a sanguine stmiït:
Quàm facile accipiter saxo sacer aies ab alto
Consequitur permis sublimem in nube columbam f
Comprensamque tenet, pedibusque eviscerat uncis;
Tum cmor et vulsae labuntur ab aethere plumae.
AEneid. lib. 11, v. 719.
Elle dit (Camille ) ; et, plus légère que le vent, elle devance le rapide coursier , se retourne, l'arrête, se venge du perfide ennemi qui Fa trompée, avec
la même facilité qu'un oiseau augurai, Fépervier, atteint dans la nue la timide
colombe qu'il poursuit f la saisit dans ses ongles croclius et la déchire : son sang
coule; ses plumes détachées voltigent et s'aflaisent.
( Page 83- Il n'a qu'une vie ; on dit qu'il est
mortel comme nous. )
Mortali urgemur ab hoste
Mortales, totidem nobis animaeque manusque,
AEneid. lib. 10 ,v, 375.
Mortels, nous disputons la victoire à des mortels -, nos ennemis n'ont qu'une
fie, que deux bras t comme nous.
CHANT
XXII.
( P A G E 88. L'éclat qui Fenvironne le fait aisément
reconnoître: ainsi brille sur la voûte étliérée, etc.)
Ipse agmïne Pallas
In medîo, chlamyde et pktis coospectus In armïs.
Qualis ubi Oceani perfusus lucïfer unclâ f
Quem Venus an te alios astrorum diligit ignés f
Extulit os sacrum cœlo, tenebrasque resolvit.
AEneid. lib. 8» •. 58/.
Pallas est au centre, couvert d'une superbe tunique que relevé sou armure
de diverses couleurs d'un éclat merveilleux. Tel brille sur la voûte étliérée l'astre du matin, que Vénus chérit par-dessus tous les feux qui éclairent le firmament , lorsque s'étant lavé dans les Mots de l'Océan, il élevé au-dessus de l'horizon sa tête sacrée, et dissipe les ténèbres.
{Ibid. Le vieuxPrlam....appelle son fils, le vaillant Hector...qui...se tient devant la porte Scée.)
E cliiusa
È poi la porta f e sol Clorinda esclusa.
Ger. Mb. c. 12,st. 48.
La porte se ferme ; la seule Clorinde reste en-dehors.
(Page 90. Prends pitié de ton malheureux père;
etc.)
Miserere parentis
LongaevI f quem nunc mœstum patria Ardea longé
" Dividit.
AEneid. lib. 12, v. 43.
Prends pitié de ton père (Daunus) accablé sous le poids des ans, qui gémit
de ta longue absence.
2J2
IMITATIONS.
(Page p i . Hector,- mon cher fils....prends pitié
de moi, etc.)
Turne, per bas ego te lacrymas, per si quis Amatae
Tangit honos animum, spes tu nunc una senectae.
AEncid. lib. 12, v. 56.
Ô T u r n u s , je t'en conjure par mes larmes, par cette Amate qui t'est chère ;
Turnus, l'unique espoir de mes vieux ans.
(Ibid. Loin de nos mors, dans les vaisseaux des
Grecs, ton corps sera la proie des chiens et des
vautours.)
Heu ! terra îgnotâ, caiiibus data praeda latinîs
Alitibusque, jaces !
AEneid. Mb. 9, v. 485.
Ton cadavre sanglant ( ô mon cher Euryale! ) repose maintenant sur une
terre inconnue, destiné à devenir la proie des chiens et des vautours.
N e , morendo f impetrar potrà co' preghi,
Che in pasto a' cani le sue membra ï neglii.
Ger. lib. c. 7, st. 54.
( Celui qui osera me disputer la victoire, dit Argant, ) ne pourra, en mourant,
obtenir par ses prières que je refuse §es membres à mes chiens pour les dévorer,
(Page p2. T e l , à l'entrée de son antre, un
énorme dragon, repu de plantes vénéneuses, etc,)
Qualis ubi in lucem coluber, mala gramina pas tus,
Frigida sub terra tumidum quem bruina tegebat,
Nunc positis novos exuviis, nitidusque juventâ9
Lubriea convolvit sublato pectore terga
Arduus ad solem, et linguis mieat ore trisulcis,
AEneid. lib. a , y. 4 7 ' •
Tel un serpent repu de plantes vénéneuses, qui, gonflé par l'humidité de la
saison pluvieuse, s'étoit tenu renfermé sous la tene pendant les glaces et les
frimas, ranimé au printemps , ayant quitté son antique dépouille , rajeuni f
C H Â H T - XXII»
273
couvert d'écaillés luisantes, se dresse : promenant sur la terre les replis tortueux
de sa qpeue immense , il darde avec fureur le triple aiguillon de sa langue
fourchue.
Quai serpe lier che, ïn nuoYe spoglie awolto,
D' orofiammeggi,e incontra il sol si lisce.
Ger, Mb. c. 7, st. 71.
• Semblable à un fier serpent, revêtu d*une peau nouvelle oà l'or brille dans
tout son éclat, qui se lisse et se pare à la face du soleil.
Quai tre lingue vibrar sembra il serpente,
Che la prestezza d' upa il persuada.
Ger. Mb. c. 2,0, st. 55.
Ainsi l'ardeur du serpent est si grande, ses coups sont si rapides, qu'il sembla
darder une triple langue.
•
%
Sta su la porta il re d1 Algîer, lucente
Pi chiaro acciar, che 1 capo gli arma, e 1 Busto
Come uscito dl ténèbre serpente,
Poï c ha lascïato ognï squallor ¥etusto,
Del nuovo scoglio altero, e che si sente
Riogïovenlto, e più che mai robuste ;
Tre lingue vibra, ed ha negli occhi fbco,
Dovunque passa ognf animai dà iocp.
Orl. fur. c. 17, st, 11 •
Le roî d'Alger, couvert d'une éclatante armure d'un brillant acier, se tient
suc le seuil de la porte. Tel un serpent, sorti nouvellement des ténèbres où il
s'étoit tenu renfermé, ayant quitté sa dépouille souillée, revêtu d'une peau nouvelle , se sentant rajeuni et ses forces accrues, les yeux enflammés, darde sa
triple langue sur tous les animaux qui rapprochent»
(Ibid. Je crains les justes reproches de Poljdamas, etc.)
Fugge Agramante, ed ha con lui Sobrino,
Çon ctii si duol di non gli aver creduto,
Quando previde con occhio divino,
4.
35
274
IMITATIONS.
E fl mal glî annunziô, ch1 or glï è avvenuto.
Orl. fur. c. 4 0 , st. 9.
Agramant fuit ; Sobrin est à ses cotés , Sobrin avec lequel il s'entretient
amèrement de son imprudence de n'avoir pas suivi ses conseils, lorsqu'il prévit d'un œil divin et lui annonça les malheurs qui sont arrivés.
(Page 5*4. S'élançant dans la route frayée par les
chars, etc.)
Ergè amens cliversa fugâ petit aequora Turnus f
Et nunc hue, inde hue incertos implicat orbes.
Undicjue enim clensâ Teucri inclusere coronâ ;
Atque hinc vasta palus, hinc ardua mœnla cingunt.
AEneid. lib. 12, v. 742.
Turnus égaré, décrivant des cercles immenses, parcourt tout le champ de
bataille : d'un côté l'épaisse couronne de l'année des Troyens, de l'autre un
large et profond marais et les hautes murailles de la ville, mettent obstacle à
sa fuite.
(Page 95. Ce n'est point à de vils trophées qu'ils
aspirent, etc.)
Neque enïm levia aut ludicra petuntur
Praemla ; sed Turni de vita et sanguine certant.
AEneid. lib. 12, v. 764Ce ne sont pas aux honneurs qu'on accorde aux athlètes, aux vaines récompenses du cirque, qu'ils aspirent: le sang de Turnus est le prix qu'Énée convoite; c'est sa vie que Turnus défend.
(Page ç6. Il dit, et accroît l'impatience de la
déesse, etc.)
llla YÎam celerans per mille coloribus arcum f
Nulli visa, cit6 decurrlt tramite virgo.
AEneid. lib, 5 , v. C09.
Poussée par les souffles impétueux des vents, décrivant u » aie de mille couleurs | la légère Iris se précipite sur la rive.
CHANT XXII.
.
2j5,
(Page çj. Telles fuient devant nous ces images
trompeuses que les songes offrent à notre pensée,
etc.)
Ac velut in somnis, oculos ubi languïda pressît
Nocte cjules » nequicquam avidos exteedere cursus
Velle vïdemur, et in mediis conatibus aegri
Succidiinus; non lingua valet» non corpore notae
SufEdunt Ylres, nec vox nec verba sequuntur.
AEneid. lib, î a , v. 908*
Ainsi, dans nos songes , quand nos sens sont engourdis par le sommeil, la
volonté s'élance pour entreprendre une course rapide: nos efforts sont vains;
nos membres fatigués ne répondent point à nos désirs ; nous succombons soua
le poids du sommeil ; notre langue appesantie n'a pas la force d'articuler; nos
nerfs ont perdu ce ressort que Famé sait diriger ; la parole expire sur nos le?res»
Corne vede talor torbidi sogni
Nef bre?i sonni sucri V egro o F insanoj
Pargli cbf al corso avidamente agogni
Stender le membra, e che s1 afFanni invano ;
Chè nef maggiori sfbrzi, a1 suoi bîsogni
Non corrisponde il piè stanco e la manoj
• Scioglîer talor la lingua, e parlar ¥uole,
Ma non segue la Yoce , o le parole.
Ger. lib. 20, st. io5.
Tel un malade , ou un homme en délire, pendant les courts intervalles de
sommeil que lui laissent ses douleurs, essaie de courir; il étend ses pieds et ses
mains et s'agite en Yain: ses efforts ne répondent point à son ardeur, ses fibres
sont relâchées; il veut parler, sa langue appesantie ne peut articuler; ni la
voix, ni Fexpressïon, ne correspondent à sa pensée.
(Ibid. Jaloux de porter les premiers coups, le
divin iils de Pelée les contient par ses regards,
etc.)
%j6
IMITATIONS,
AEneas mortem contra praesensque minatuf
Exitium , si quisquam adeat.
AEneïd. lib. 12, v. 760;
Enée menace de mort quiconque osera sortir des rangs.
(Page 100. Combattons ; que l'un de nous deux
périsse.)
Aut spolils ego jam raptîs laudabor opimîs,
Aut letho insigni: sorti pater aequus utrique est:
Toile minas.
AEneïd. 11b. 10, v. 449*
Ma gloire est assurée ( s'écrie Pallas ) : vainqueur, j'obtiendrai des dépouille?
opimes ; vaincu , un beau trépas sera ma récompense: mets fin*à tes menaces,»
(Ibid,. C'est en ce moment que tu dois te montrer un héros, etc.)
Quae nunc deinde mora est? autquid jam, Turne-,-retractas?
Non cursu, saevis certanduin est cominùs armis.
Verte omnes tête in faciès; et contrahe quicquid
Sive anitnis, sive arte vales: opta ardua permis
Astra sequi r clausu-mque cavâ te condere terra.
AEneid. lib. 12, T. 889.
Tu essaies en vain d'échapper par la fuite; sommes-nous clans «a cirque ouïes athktes se disputent le prix de la course? ici il faut combattre corps à corps.
Prends toutes les formes, rassemble toutes tes forces, développe toutes tes ruses; aspire à la légèreté des aigles pour percer la voûte éthérée ; que la terre
s'entrouvre sous tes pas pour te cacher dans ses abymes.
( Page 101. Invisible au fils de Priam , Minerve
arrache le javelot, etc.)
Rursùs in aurigae faciem inutata Metisci
Procurât, fratrique ensem dea daunia reddiL.
AEneid. lib. 12, v. 784.
La file de Daunus, la nymphe JuturaC| saisit cet instant pour voler'au $€*•
CHANT
XXrir
±JJ
cours de son frère; sous la forme de Mélîscus, Fécuyer de Tùrnus, qu'eMe se
hâte de reprendre, elle remet le glaive aux mains de Turnus.-
(Page 102. Appellant Délph obus...... Mais le
faux Déiphobus a disparu, etc.)
Rutulos aspectat et urbem,
Cunctaturqtie metu, telumque Instare tremiscit;
Nec quô se copiât, nec quâ vi tendat in hostem f
Nec currus usquam videt, aurlgamque sororem.
AEneld.Mb. 12, Y. 915.
Portant ses regards sur la ville et sur l'armée des Rutules, il essaie de rappel1er ses forces; l'effroi ralentit ses mouvements : il veut lancer le javelot, sa mai»
Iremble ; il fait effort pour fondre sur l'ennemi, ses genoux fléchissent ; il veut
fuir, et ne voit ni son char, mi cette sœur qui daignoit le diriger.
(Ibid. Tel un aigle fond, du sein d'une nue
obscure, sur un foible agneau ou sur un Hevre
timide, etc.)
Qualis ubi aut leporem » aut candenti corpore cycnum f
Sustulit alla petens pedlbos Jovis armiger unelsj
Quaesltuin aut ma tri multis balatibus agnum
Martlus à stabulls rapuit lupus. Undique clamor
Tollitur.
ÂEnieid. Kb. 9 , v. 563.
Ainsi lorsque l'oiseau de Jupiter, l'aigle aux serres crochues, fond sur un'
lèvre timide, ou sur un cygne aux plumes argentées, s'en saisit, les éleYe à la
Toute élliérée ; ou lorsqu'un loup ayant pénétré dans une étable, ravit à sa mère
le tendre agneau qui suce ses mamelles ; les bêlements réitéiés de cette mère
affligée sont impuissants contre sa fureur : tels les cris des deux armées percent la nue.
(Page 104. Je levé vers toi mes mains défaillantes, etc.)
2/8
I M I T A T I O N S .
Unum hoc, per si qua est victîs venia hostibusi oro,
Corpus humo patiare tegi: scio acerba meorum
Circumstare odia; hune, oro, défende furorem^
Et me consortem nati concède sépulcre
AEneid. lib. 10, v. 903.
SU est quelque faveur qu'un ennemi puisse obtenir de la générosité de son
vainqueur, je ne te demande qu'une seule grâce: dérobe ma dépouille mortelle
à la haine des miens ; permets qu'un même sépulcre enferme les cendres de
mon fils et les miennes.
111e, humilts sopplexque, oculos dexlramque precantem
Protendens: Equidem merui, nec deprecor, inquit;
Utere sorte tuâ; miser! te si qua parentis
Tangere cura potest, oro (fuit et tibi talis
Anchises genitor), Dauni miserere senectae;
Et me, seu corpus spoliatum lumine mavis,
Redde meis,
AEneid» lib. 12, v. ^3Q.
Turnus humilié levé vers Énée et ses yeux et ses mains suppliantes t J'ai mérité la mort, lui dit-il; profite des avantages que te donne la fortune: tranche
le fil de mes jours. Cependant si la douleur d'un père peut t'émouvoir, prends
pitié de la yieillesse de Daunus ; j'ose t'en conjurer. Tel fut Anchise ton père;
renvoie-moi aux miens, repds du moins à mon père mon corps sans vie.
(Page io5. Jamais ta tendre mère n'arrosera de
pes larmes ton lit funèbre, etc.)
Istic mine, metuende, jace: non te optïma mater
Condet humi, patriove onerabit membra sepulcroî
Alitibus linquêre feris, aut gurgite mersum
Unda feret f pïseesque itnpasti vulnera lambenL
AEneid. lib, 10, v. 55y.
Formidable ennemi, demeure en ce lieu : ta tendre mère ne t'enfermera
point dans la tombe ; le sépulcre de tes pères ne recueillera point ta dépouilla
mortelle ; les vautours déchireront tes membres défigurés ; les torrents les entraîneront dans les abymes ; les poissons lécheront tes plaies.
CHANT XXII.
279
(Ibid. Crains d'attirer sur toi le courroux des
dieux..•• Meurs, s'écrie le divin Achille, etc.)
Ille au te m explransi Non me, qukumque es, inulto,
Victor 5 nec longum laetabere : te quoque (ata
Prospectant paria, atque eadem mox arva tenebis.
Ad quem subrïdens mîxtâ Mezentius ira:
Nunc morere: ast de me divûm pater atque hominum rex Viderit.
AEneid. lîb. 10, v. 739.
Ta joîe, 6 Mézence ( lui dit Orodès d'une voix mourante ), sera de courte
durée ; un semblable destin t'est réservé : tu me suivras de près dans les sombres demeures. Meurs, s'écrie Mézence avec un sourire insultant ; le père de*
dieux et le roi des hommes disposera de moi à sa volonté.
(Page 106. Il n'est aucun d'eux qui ne lui fasse,
quelque blessure, etc.)
Vulneraque illa gérées quae circum plurima muros
Accepit patrios.
AEneid. lîb. 2, v, 278.
11 porte sur son corps les cicatrices sanglantes de ces nombreuses blessures
qu'il reçut sous les murs de sa patrie.
(Ibid. Nous abordons maintenant aYec moins
de danger cet Hector qui porta la flamme dans
nos Yaisseaux f etc.)
Hei mihî! qualls erat, quantum mutatus ab illo
Hectore, qui redit exuvïas indutus Achlllis,
Vcl Danaûm phrygios jaculatus puppîbus ignés!
AEneid. Mb. 2, T. 272;
O dieux ! quel il étoit ! combien différent de cet Hector que nous vîntes
autrefois revenir triomphant, revêtu des armes d'Achille, ayant lancé tel feux
phrygiens dans les vaisseaux des Grecs.
^8o
•
IMITATIONS.
( Ibid. Couverts de nos armes , donnons dès ce
moment l'assaut à la ville de Prîam, etc.)
Nunc Iter ad regem nobis murosque latinos.
Arma parate animis, et spe praesumite bellum.
AEneid, lib. 11, v. 17.
La route nous est frayée jusqu'à la ville et au palais du roi des Latins : préparez vos armes; qu'un juste espoir soutienne votre courage.
(Page 107. Enfants de la Grèce , chantez ma
victoire, etc.)
Conclamant socii, laetum paeana secutL
AEneid. lib. 10, v. 738.
Les compagnons du roi des Tyrrhéniens poussent des cris de joie 1 ils chantent leur victoire.
( Ibid. 11 lui fait une large et profonde plaie,
etc.)
Raptatus bigis., ut quondam, aterqite crtiento
Pulvere, perque pedes trajectus lora tumentes.
AEneid. lib. 2 , v. 272.
Tel je le vis autrefois traîné autour de nos muraîlles par les coursiers d'A*
chille, une poussière sanglante souille sa face auguste.
•• (Page 108. Comme si un vaste incendie... ré^
dulsolt en cendres cette grande ville, etc.)
Non aliter quàm si Inimlssis ruât hostlbus omnts
Cartilage^ aut antiqua Tyros, flammaeque furentps
Culmina perque Eoininum volvantur, perque deorum.
AEneid. lib. 4? v - 669.
La douleur ne seroît pas plus extrême , si l'ennemi avpit pénétré dans C^rtbage ou dans Fantique Tyr, que Tune de ces cités puissantes fût anéantie, que,
Ja flamme s'élevât au-dessus des comble§ de$ niaison§ et des temples des jJieujçf
CHANT
XXII.'
2>Bl
Confusamente si bisbîglîa ïntanto
Del caso reo nella rinchiusa terra.
Poi s1 accerta e divulga : e in ogoi canto
Délia clttà smarrita 11 romor erra
MIsto di gridi e di femmineo pianto :
. Non altramente che se, presa In guerra,
Tutta ruini; e 1 foco » e i nemici empj
Volino per le case e per li templ.
Ger, Mb. c. 12, st. 100.
Cependant le brait du malheur de Clorînde se répand dans la ville dont les
portes sont fermées, il devient plus certain ; il se divulgue de tous côtés dans
cette ville désolée: on n'entend que cris, que pleurs de femmes désespérées»
Le deuil ne seroit pas plus grand, si les ennemis s'étoient emparés de cette
grande cité, qu'ils l'eussent incendiés ; si le fer et la flamme répandoient la
consternation et l'effroi dans toutes les maisons, dans tous les temples.
(Ibid. 11 veut sortir pour implorer la pitié d'Achille ; il se roule dans la poussière» etc.)
Ma tutti gli occlil Arsete In se rlvolve
Miserabil clï gemîto edf aspetto.
Ei, corne glï altri, in lagrime non solve
Il duol, che troppo è cP indurato aftelto;
Ma i bianchi crini suoi d1 immonda polveSi sparge e brutta, e fiede il volto e 1 petto.Ger. Mb. c. 8 , st. 74.
Maïs le vieux Arsetès attire sur lui tous les regards : il ne verse point de
larmes comme tous les autres ; son deuil est trop grand, sa douleur trop piofonde ; une poussière immonde souille ses cheveux blancs, il meurtrit et ses
joues et sa poitrine»
(Page 110. Lfaffreuse nouvelle n'est point encore parvenue aux oreilles de la veuve d'Hector,
etc.)
4.
*
35
282
IMITATIONS,
Intereà pavidam volitans pennata per urbem
Nuncia fama ruit, matrisque adlabltur aures
Euryali : ac subltus miseras calor ossa relîquit 9
Excussi manibus radil, révolu taque pensa.
Evolat Infelix, et fœmlneo ululatu,»
Scissa comam, muros amens atque agmina cursu
Prima petit: non illa vlrûm, non illa peridi,
Telorumque memor; cœlum deliuic questibus implet :
Hune ego te, Euryale f aspicio?..*.
AEneid. Mb. 9, v. 473.
L'affreuse nouvelle ne tarde pas à se répandre dans la ville effrayée; la renommée l'y porte d'un vol rapide ; elle parvient aux oreilles de la mère d f Euryale. Froide, inanimée, succombant à sa douleur, les fuseaux échappent de
ses mains; le métier sur lequel elle travaille est renversé : désolée, poussant des
hurlements affreux, déchirant ses cheveux, elle vole sur la muraille ; ni la foule
des guerriers , ni le fracas des armes, ni le pérO f ne l'effraient ; ses cris s'élèvent jusqu'aux nues: Est-ce toi, ô mon cher Euryale?
(Page 111. Plongeant sur la plaine, elle voit
Hector que les coursiers d'Achille entraînent aux
vaisseaux, etc.)
Tosto ch1 entraro, e cli1 ella loro II viso
Vide dl gaudio in tal vittorîa privo ;
Senz'-altro annunzlo $af senz' altro avvlso,
Che Brandlmarte suo non è pin vivo,
DI cio le resta II cor cosl conquiso f
E cosi gll occhi hanno la luce a schlvo,
E cosi ogn' altro senso se le ferra f
Che, corne morta, andar si lascla In terra.
Al tornar de lo spirto, elle a le chlome
Caccla le ma ni ; ed a le belle go te,
Indarno ripetendo il caro nome f
CHANT
XXII*
283
Fa danno, ed onta, piii che far lor puote ;
Straccla I capelli , e sparge ; e grlda , come
Donna talor, che 1 démon rio percuote ;
O come sf ode, che già a suon di corno
Menade corse, ed aggîrossl intorno.
Orl. fur. c. 43 1 st. 157 et i58.
A peine sont-ils entrés ( Astolfe et les siens ), que, sans autre nouvelle, sans
qu'il soit besoin de lui annoncer son malheur, ( FleurdeBs) Juge à leur tristesse dans une telle victoire, que son Brandimart a perdu la vie. Une douleur
profonde s'empare de son cœur, la lumière se dérobe à ses yeux, elle perd le
sentiment : inanimée et comme morte, elle tombe à la renverse» A peine at-elle repris ses esprits, que répétant en vain le nom de son amant, elle arrache ses cheveux et meurtrit ses beEes joues ; les tresses nombreuses de sa longue chevelure, détachées par ms maies, couvrent la terre; ses cris sont aussi
perçants que ceux d'une femme possédée du démon, ou que les cris des Ménades lorsqu'elles s'empressent autour du cor dont le son a frappé leurs oreiEes*
Du héros expirant la jeune et tendre amante»
Par la terreur conduitef incertaine, tremblante,
Vient d'un pied chancelant sur ces funestes bords:
Elle cherche; elle voit dans la foule des morts,
Elle voit son époux: elle tombe éperdue;
Le voile de la mort se répand sur sa vue :
Est-ce toi, cher amant? Ces mots interrompusf*
Ces cris demi-formés ne sont point entendus :
Elle rouvre les yeux ; sa bouche presse encore f
Par ses derniers soupirs, la bouche qu'elle adore %
Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglantf
Le regarde, soupire,, et meurt en Fembrassant.
Henriade, eh. 8.
284
IMITATIONS.
CHANT
XXIII.
117. Montés sur leurs chars J ils font trois
fois le tour de la tente du fils de Pelée, où repose
le corps de Patrocle, etc.)
(PAGE
Ter circum accensos, cinctî fulgentibus arraîs f
Decurrêre rogos : ter mœstum funerîs ignem
Lustravere in equls, ululatusque ore declere.
Spargitur et tellus lacrymis, sparguntur et arma :
le cœlo clamorque virûm, clangorque tubarum.
AEneid. Mb. 11, v. 188'.
Trois fois Tinfariterie couverte d'armes étincelantes, trois fois la cavalerie
fait le tour des bûchers enflammés: leurs cris percent la nue; la terre, imbibée
de leurs larmes, est couverte d'armes éparses *f les sons lugubres'de la trompettes'unissent aux cris perçants des guerriers-
(Paçe 120. En ce moment l'ombre de Finforluné Patrocle s'offre à sa vue, etc.)
In soranis ecce ante oculos mœstissimus Hector
"Visus adesse mihi , largosque efFund'ere fletus.
AEneid. lib. 2 , v. 270.'
En ce moment Hector, Famé percée d'une douleur profonde! m'apperçeît
en songe ; des larmes ameres coulent de ses yeux.
Ed ecco, in sogno, di stellata veste
Cinta» gli appar la sospirata arnica:
Bella assai piu ; ma lo splendor céleste
L'orna, e non toglie la notizia antlca^,
E | con dolce atto di pielà,. le meste
C H A N T XX 111/
^85
Luc! par che gll asciughi, e cosï dica :
Mira corne son bella e corne Meta f
Fedel mio caro, e In me tuo duolo acquefa.
Ger. lib. c. 12, st. 91 .Cette tendre amie, pour laquelle il soupire, lui apparoît en songe ; une tunique -étoilée la couvre; sa beauté s'est accrue, mais non au point de l'empêcher
de la reconnoître. 11 lui semble qu'émue d'une tendre pitié, elle sèche se»
pleurs, et lui parle ainsi : O mon fidèle ami, vois comme je suis belle, comme
je suis joyeuse ; que ma félicité serve à calmer les transports de ta douleur.
GofFredo, non m' accogll? e non ragione
Alfidoamlco? or non conosci Ugone?
Ger. lib. c. 14 > st. 5.'
Godefroî, tu ne me reconnois pas ? est-il concevable que tu ne reconnoisses
pas ton fidèle compagnon? tu ne reconnois pas Ugon?
{Ibid. Hâte-toi d'enfermer mon corps dans la
tombe, pour me donner accès dans le palais de
Plu ton, etc.)
Nec ripas datur horrendas, nec rauca fïuenta
Transportare prias, quàm sedlbus ossa quîeront.
AEneid. lib. 6, v. 327.
Le Destin ne permet pas que les morts dont les os ne reposent pas dans le»
demeures qui leur sont destinées, traversent les courants sonores de ces rapi*des torrents.
Erïpe me hîs, invicte, mails: aut tu mihi terrain
Injice, namque pôles, porEusque requlre vellnos:
Aut tu f si qua via est, si quam dbl diva creatix
Os tendit.
• * • • • • « • • • »
Da dextram misero, et tecum me toile per undas,'
Sedibus ut saltem placidls In morte quiescam*
AEneid. lib. 61 •. 365.
Invincible Énée, déliYxe*mo£ des tourments que j'endure; rechetche le port
0*86
IMITATIONS.
de Véline ; enferme mon corps dans la tombe ; car tu en as le pouvoir : ou si la
déesse ta mère t'a fait connaître quelque autre moyen de soulager mes ennuis..*
prête-moi une main secourable; donne-moi accès avec toi dans la fatale barque,
pour qu'au moins je repose sur l'autre rive dans une mort calme.
(Page 121. Qu'une même urne renferme et nos
cendres et nos os, etc.)
Et nie consortem nati concède sepulcro.
AT.neid. lib. i o , v. 906.
Permets qu'un même sépulcre enferme les cendres de mon fils et les miennes.
(Page 122. Il dit, et s'efforce de le serrer dans
ses bras, etc.)
Ter conatus ibl collo dare brachla circùm ;
Ter frustra comprensa manus effugit imago.
AEneid, lib. 1, v. 792. 6, 700»
Trois fois je fais effort pour la serrer dans mes bras, trois fois l'image trompeuse échappe à mes embrassements.
G1I stendea pol cou dolce amico afFetto
Tre Hâte le braccla al collo întorno;
E tre fiâte ïnvan cinta Y immago
Fuggia, quai levé sogno f od aer vago.
Ger. lib, c. 14» st. 6.
Trois fois(Godefroi) étend les bras pour lui prodiguer de tendres caresses ;
trois fois l'ombre écliappe à ses embrassements, semblable à un songe ou à un
air léger.
(Page 123. Ils partent, armés de cognées.tranchantes, etc.)
Itur in antkjuam sylvam f stabula alta ferarum ;
Procumbunt piceae; sonat icta securibus ilex,
Fraxineae(|iie trabes : concis etfissilerobur
CHANT X X I I t
28^
Sdnditur: advolvunt iogentes raontibus ornos.
AEneid. Mb. 6, v. 179.
Pénétrant dans la forêt antique f la retraite des bêtes fauves, i s abattent les
pins, les bois résineux : l'yeuse et le frêne retentissent des coups de cognée ; les
coins, enfoncés par de lourds marteaux, triomphent de la dureté du chêne;
les ormes sont roulés du sommet des montagnes.
(Page 124. Montés sur leurs chars, les héros et
leurs écuyers précèdent la pompe funèbre, etc.)
Tum mœsta phalanx Teucrlque sequunturf
Tyrrheolque duces f et versis Arcades armis.
AEneid. lib. 11 , y. 92.
La phalange troyenne versant des larmes ameres, les chefs tyrrhéniens, les
Arcadiens en deuil, portant leurs armes renversées, ferment la pompe funèbre.
(Page 125. Le soleil eût achevé sa carrière
.avant que leurs larmes eussent tari, etc.)
Neque avelli possunt, eox humida donec
Invertit cœluin stellis fulgentibus aptiim.
AEneid. lib. 11 , Y. 201.
Ils n en peuvent être séparés, que la nuit ne couvre le ciel de son voile sombre , que les étoiles ne brillent sur la voûte éthérée*
f
(Page 126. Les ministres des funérailles enlèvent le corps de Patrocle, etc.)
Fit gemitus: tum membra toro dëieta reponunt,
Purpureasque super Yestes, velamïna nota y
Confident. Pars Ingenti sublere feretro,
Trîste inînisterïum ; et subjectam more parentum
Aversi tenuere facem : congesta cremantur
Tàurea doua, dapes, fuso cratères olivo.
AEneid. lib. 6, y. 320*
^8S
IMITATIONS;
De profonds gémissements se font entendre: Payant ainsi pleuré, Sis le placent ( Misenus) sur le lit funèbre , entassent sur son corps de pompeux vêtements , ces voiles qui lui furent connus. Des hommes , chargés de ce triste ministère, portant dans leurs mains des torches enflammées , détournant la vue,
selon l'antique usage de nos pères, soulèvent le brancard, le posent sur le bûcher. L'encens, de précieux aromates, l'huile enfermée en de vastes cratères f
sont versés sur le bûcher, et consumés par le feu.
{Ibid. S'inclinant avec respect, Il verse l'huile
et le miel, etc.)
Inferimus teplclo spumantia cymbia lacté,
Sangiûnis et sacri paieras; amniamque sepulcro
Condimus, et magna supremùm voce ciemus.
AEneid. lib. 3 , v. 66.
Un lait écuniant et le vin contenu en de vastes cratères est versé par nos
mains sur la tombe ; appellant Polydore à grands cris , nous enfermons ses
mânes dans le sépulcre.
Solçumes lum forte dapes, et trislîa dona
Ante urbejn , in luco, falsi Simoëntis ad undam,
Libabat cineri Andromache, manesque vocabat
Hectoreum ad tumulum, viridi queni cespite inanem f
Etgemioasj causam lacrymis, sacraverat aras.
AEneid. lib. 3 , /
3o .
Dans un bois voisin de la ville, près de Fonde d'un faux Si mois , et d'un
ecnotaplie de verd gazon que ses mains ont élevé , au pied de deux autels
qu'elle arrose de ses larmes, Androinaque fait des libations solcmncllcs aux
niâhes d'Hector qu'elle appelle à grands cris.
Hîc duo rite mero libans carcliesia baccho
Fundit humi, duo lacté novo, duo sanguine sacro ;
Purpureosque jaclt flores,
AEneid. lib, 5 , v. 77.
Deux cratères remplis de vin, deux de lait frais, deux de sang , dont les premières libations ont été épanchées sur la terre, suivant le rit acecutumé , sont
posés par ses mains sur le sépulcre d'Ancliisej des fleurs pourprées sont rè[ an»
dues sur la tombe, etc.
CHANT
XXIII.
289
Vïnaque fundebat pateris, anlmamque vocabat
Anchisae magni f manesque Acheronte remlssos»
AEneid. Mb. 5, v. 98.
Le vin contenu dans Furne sacrée est versé sur la terre ; il appelle à grands
crîs les mânes df AncMse ; il l'invite à repasser les courants de l'Achéron.
(Ibîd. Il s'élance sur les douze valeureux enfants
des plus Illustres d'entre les Troyens, etc.)
Vmxerat et post terga manus, quos mitteret umbris
Inferlas, caeso sparsuros sanguine flammam.
AEneid. Mb, 11, v. 81 ;
Les huit captifs, dont le sang doit être versé sur le "bâcher de PaUas, les
mains liées derrière le dos, suivent la pompe funèbre.
(Page 127. Reçois mes adieux, ô mon cher Patrocle, etc.)
Salve, sancte parens ; iterùm salvete f recepti
Nequicquam clneres, animaeque umbraeque paternae.
AEneid. Mb. 5, v. 80.
ômon père! reçois mon hommage; cendres d'Anckise, mines de monperej
ombre d'Anchise , recevez mon hommage.
Salve aelernùpi rolM, maxime Palla,
AEteraàmque vale.
AEneid, lib. 11, v. 99.
Adieu | ô mon cher PaUas; reçois mes étemels adieux.
Giunto alla tomba, ove al suo splrto vivo
Dolorosa prigione il ciel prescrisse 1
PalMdo, freddo, muto f e quasi privo
Di movimento , al marmo gli occhi affisse.
AMîn, sgorgando un lagrimoso rlvo,
In un languldo oimè prorappe f e disse :
O sasso amato ed onorato tanto,
Che dentro bai le mie flamme, e fuori il pianto.
Ger. Mb. c. 12, st. 96,
4.
37
2pO
IMITATIONS.
Parvenu à celte tombe, affreuse prison où l'ordre du ciel a renfermé Famé
immortelle de son amante, pâle, froid, muet, et comme privé de mouvement,
il (Tancrede) fixe ses yeux égarés sur ce marbre insensible ; à la fin un torrent
de larmes se fait jour: Malheur à moi ! s'écrie-t-il; marbre cher à mon cœur, à
qui je rendrai d'éternels honneurs, tu renfermes l'objet de maflamme*,je no
cesserai de t'arroser de mes larmes.
( Page 131. Ils éteignent avec le vin les cendres
fumantes, qui s'affaissent, n'étant plus soutenues
par la flamme , etc.)
Postquàm collapsi cineres, et flamma quievit,
Relllquias vino, et bibulam lavere favillam :
Ossaque lecta cado texit Chorloaeus aheno.
AEneid. lib. 6, v« 226.
Quand la flamme est éteinte , que les cendres sont affaissées, ils assemblent
les os, et les arrosent de fréquentes libations de ïin : Cliorinée les enferme
dans un Yâse d'airain.
(Ibid. Apportés de ses vaisseaux, les prix sont
exposés à la vue de tous, etc.)
Mimera principie anle oculos, circoque locantur
In mcdio, sacri tripodes, vlridesque coronœ,
Et palmac, pretium victoribus; armaque, et ostro
Perfusae vestes, argenti aurique talents.
AEneid. lib. 5, •. 109.
Les prix sont exposés au milieu de l'arène ; des trépieds sacrés, des couronnes , des palmes destinées aux vainqueur», des armes, des tuniques de pourpre,
une immense quantité d'or et d'argent.
(Page 186. Tous les fouets sont levés, tous
abaissés au même Instant, etc.)
Non tam précipites bijogo certamioe campum
Corripuere 1 munlque efFusi carcere currus;
C H A N T
XXIII.
291
Nec sic Immlssls aurïgae undantïa lora
Concussere jugis, pronique In verbera pendent
AEneid, Mb. 5, v. 144*
La molle arene fuit avec moins de rapidité de dessous les pas de deux courfiers agites, attelés à un même char, qui s'élancent dans la carrière, animés par
leurs conducteurs inclinés sur leur dos, dont les mains agitent les rênes flottantes , qui tiennent le fouet suspendu sur les larges épaules de leurs coursiers.
(Ibid. Tantôt ils s'élancent.*.sans ébranler leurs
hardis.conducteurs dont Famé flotte entre l'espérance et la crainte, etc.)
Nonne vides, cùm praecipitï certamlrie campum
Corripuere, ruuntque efFusï carcere currus?
Cum spes arrectae juvenum f exsultantiaque hanrit
Corda pavor pulsans? 1111 Instant verberetortof
Et proni dant lora; volât vi fervldus axis:
' Jamque humiles t jamque elati sublimé videntur
Aëra per vacuum ferri, atque assurgere in auras.
Nec mora, nec requies : at fulvae nimbus arenae
Tollilur^ bulnesctint spumisflatuquesequentûm.
Tantus amor laudum, tantae est Victoria curae!
Georg. lib. 3 , v. io3.
Porte tes regards sur les combats du cirque ; vois les chars s'élancer dans 1*
carrière ; courbés sur les guides qu'ils manient avec adresse, de jeunes héros at*
tendent le signal ; leurs cœurs flottent entre Fespérance et la crainte ; tous les
fouets sont levés,, tous abaissés au même instant: Faissieu s'enflamme par la
rapidité de leur course: tantôt ils rasent la terre ; et bientôt après s'élevant dans
l'air, ils semblent voler. Les conducteurs accroissent Fardeur des coursiers; un
nuage épais de poussière les environne; leurs bouches écument, leurs flancs
sont couverts de sueur ; l'haleine des athlètes qui les suivent est imprégnée sur
leurs dos : tant Fardeur de la gloire ks transporte ! tant le désir de la victoire
les enflamme !
. Considunt transtris, ktentaque bracliia remis
292
I M I T A T I O N S ;
Intenti exspectant slgnum: exsultantlaqûe haurîc
Corda pavor pelsans, laudumque arrecta cupido."
AEneid. lib. 5 , v. i$6.
Les matelots prennent place sur leurs bancs ; courbés sur les rames, les bras»
tendus, ils attendent le signal; un violent désir de gloire lese»flamœe; leurs»
cœurs flottent entre l'espérance et la crainte.
- (Page 137. Une Yive douleur s'empare de Famé
du vaillant Diomede, etc.)
Tum verè exarsit ju?eni dolor ossibus îngens,
Nec lacryruis caruere genae.,..
AEneid. lib. 5 , v. 172;
Une vive douleur enflamme l'impétueux Gyas^; les larmes baignent ses joues.-'
(Page i38. Volez....disputez la victoire; non
aux coursiers du fils de Tydée f etc.)
Non j.am prima peto Mnestlieus Y neque vincere certo :
Quamquain ô 1..... Sed superent, quibus hoc, Neptune,,
dédis ti.
Extremos pudeat redîisse : hoc vincite, cives f
Et prohlbete nefaâ»
AEneïd. lib. 5 , v. ip4Je n'espère pas la victoire. Si cependant!..* Mais que ceux-là vainquent,.à
qui tu l'accordes, ô Neptune ; ayons honte d'arriver les derniers: épargnez-moi
cet affront, je vous en conjure, ô mes concitoyens!
(Page 140.I/un des coursiers du vainqueur est
remarquable par la couleur de son poil, etc.)
Quem thracitis albis
Portât equus bicolor maculis, vestigia primi
Alba pedis, frontetaque ostentans arduus albam*
. Mneidr lib 5, ?. 5651
CHANT XXII i;
293
Un coursier de Thrace, bai bran, tacheté de blanc, s'enorgueillit du fardeau
qu'il portt ; ses pieds sont blancs ; une étoile blanche briEe au milieu de son
liront.
(Page 143. Le fils d'Àtrée ne laisse plus entre
lui et son rival que le court espace, etc.)
Quo deinde sub ipso
Ëcce volât, calcemcjue terit jam cake Dlores f
Incumbens humera: spatia et si plura supersïntf
Transeat elapsus prior, ambiguumve relinquat.
AEneid. Mb. 5, t . 3824;
Élymus court après lui ; Diorès est si près d'Elymus, qu'il semble le porter
sur ses épaules; les traces de leurs pas se confondent: si la carrière eût été plus,
longue, il l'eût devancé, il eût du moins laissé la victoire incertaine.
(Page 148. O vieillard..-, conserve cette coupe
en mémoire des funérailles de Patrocle, etc.)
Laetum amplexus Acesten
Muneribus cumulât magnls, ac talia fatur :
Sume, pater; nam te ¥olok rex magnus OlympI
Talibus auspklls exsortem ducere honorera,
Ipsius Anchlsae' longaevi hoc munus habebîs,
Cratera Impressum sîgnis f quem Thracius olim
Anchisae genltori In magno munere CIsseus
. Ferre sui dederat monlmentum* et pignus amorls.
AEneid. Ub. 5 , v. 531.
Embrassant le vieil Aeeste* dont le cœur' nage dans la joie, il le comble de
riches présents: Ô mon père, lui dit-il, accepte ces dons qui te sont offerts par
mes mains: le dieu qui règne sur FOlympe n*a pas permis que tu demeurasse»
confondu dans la foule des vulgaires athlètes. C'est Anchise lui-même qui te
lait présent de cette coupe que le Thracien Cisséuslui donna autrefois f coma*
un gage et n i monumeat de sa tendre amiiiér
294
IMITATIONS.
( Page i5o. Que deux athlètes courageux se
disputent la victoire dans le périlleux combat du
ceste, etc.)
Nunc, si cul virtus » animusque In pectore praesens, •
Aclsit, et evinctis attollat bracliia palmis.
AEneid. Iib. 5, v. 363,
Maintenant, s'il est quelqu'un qui se confie assez clans la force de son bras 9
dans son intrépide Yâleur, pour hasarder le périlleux combat du ceste, qu'il
paroisse.
(Page 155. Ajax fils de Thélamonet l'industrieux
Ulysse... se serrent de leurs bras nerveux, etc») '
Rodomonte pîen <T ira e cil dlspetto,
Ruggler nel colio, e ne le spaMe sprende ;
Or lo lira, or lo spînge, or sopra il petto
Sollevato da terra lo sospende ;
Quinci» e quindi lo ruota, e lo tien stretto,
E per farlo cader molto contende.
Ruggler stà in se raccolto, e mette in opra
Seuno, e valor, per rimaner di sopra.
Tanto le prese andô mutando E franco f
E buon Ruggier, che Rodomonte cinse f
Calcogli il petto su '1 sinistro fîanco,
E con tutta sua foraa ivi lo strinse f
La gamba destra a un tempo innanzi al manco
Ginoccliiof e a T altro attra¥ersogli, e spinse;
E da la terra in alto solIevoliof
E con la testa in glu steso tornoUo;
Del capo f e de le chiene Rodomonte
t a terra impresse, e tal fu la perc ossa f
CHANT X X I I I .
a^5
Che de le plaghe sue, corne da fonte9
Lungi andô il sangue a far la terra rossa.
Orland. fur. c. 46, st. i33, i34et i35.
Ilodomont, plein de haine et d'orgueil, saisit Roger au cou et à l'épaule; il
le tire à lui, le serre, le soulevé, comprime sa poitrine , le retourne de l'un et
de l'autre côté , s'efforce de l'abattre. Roger se rassemble, emploie et la ruse et
la force pour tenir ferme ; changeant de côté f il s'empara de Rodomonft, î |
presse, imprime son pied sur le flanc gauche de son rival, fait effort pour
l'étouffer : appuyant la jambe droite sur le genou gauche, il Fembrasse, le
soulevé, le retourne, le renverse, le fait choir sur la tête. La ckûte est si violente , que l'échiné demeure imprimée sur l'arène ; le sang qui jaillit à gros bouillons de la plaie ouverte dans le front de fennemi terrassé, ruisselle surit tefre.
(Page 54. Cessez...cette lutte dangereuse, etc.)
Ttim pater AEneas, procedere longîùs iras,
Et saevire animis Entelluin hattd passas acerbts:
Sed ilnem imposait pugnae...
AEneid. Mb. 5, v. 461.
Enée ne souffre pas que Darès demeure plus long-temps en butte à la fureuf
d'Entellus, il met fin au combat.
(IMd. Achille propose les prix qu'il destine aux
athlètes dans la course légère, etc.)
Hic qui forte velint rapido contendere cursm
Invitât pretiis animos, et praemia ponit.
AEneid. lib. 5 , v. 291;
Arrivez, dit-il, ô vous que l'espoir d'une honorable récompense invite à disputer le prix à la course légère, e£ le reste de ce morceau»
(Page i56. Le sang et la poussière emplissent
sa bouche et ses narines, etc.)
Et simol his dictis, faciem ostentat, et udo"
Turpia membra fîmo.
JEneid. Mb. 5,r.;&7t
2p6
IMITATIONS.
11 dit, et montre et sa face et ses membres nerveux que défigureut le sang et
la boue dont ils sont couverts.
(Page 160. L'acîer poli sera la récompense des
athlètes savants dans Fart de décocher la flèche
légère f etc.)
Protinùs AEneas céleri certare sagittâ
Invitât qui forte velint, et praeniia ponit.
AEneid.lib. 5,v. 485.
'Aussitôt Enée invite les athlètes à se disputer la victoire dans Fart de dé»
ICDcher la flèche légère; il expose les prix: et le reste de ce morceau.
CHANT
XXIV.
166. C'est ainsi qu'elles punissent le mépris que le berger Paris fit de la beauté des deux
déesses. )
(PAGE
Manet altâ mente repostum
Jttdicluip Parldis, spretaeque Injuria formée.
AEneid. lib. i , v. 27.
Ele garde un profond souvenir du Jugement de Paris, et du mépris de sa
beauté.
(Page 168. A la YUC de cette honteuse et inutile
vengeance qu'il exerce sur une terre insensible,
etc.)
• O cT Immense dolor Yano confbrto f
Incrudelir nelP Insenslbl terra !
Ger. lib. c. 9,st. 89,
Vaine consolation d'un deuil immense; exercer une cruelle vengeance sur
une terre insensible I
(Page 174. Un deuil affreux règne dans la vaste
enceinte de l'auguste demeure des rois, etc.)
Jam verô In tectis prœdivitis urbe Latini
Praecîpuus fragorf et long! pars maxlma luctûs,
Hic maires, miseraeque nujrus f hic cara sororum
Pectora mœrentûm, puçrique parentibus orbi f
Dirum execrantur bellum, Turnlque hymenaeosfAEneid. lib. 11, v. ai3.
La désolation et le deuil régnent sur-tout dans le palais et dans Fopulepte
cité du roi Latinus ; des mères privées de leurs fils, des veuves désolées, des
§œtns pleurant la mort de leurs frères, des enfant$ orphelins murmurent haute*
4.
38
298
IMITATIONS.
ment contre cette guerre, source de leurs infortunes, et maudissent le fatal
hymen de Turnus.
(Page i83. il dit. Docile aux ordres de Jupiter,
le messager des dieux, etc.)
Ille patris magnî parère parabat
ïmperio : et primùm pedibus talaria nectit
Aurea ; quae subllmem ails, sive aequora suprà f
Seu terram, rapido paiiter cum flamine portant.
Tum virgam capit : Me animas ille evocat Orco
Pallentes; alias sub tristia Tartara mittit.
AEneid. Mb. ^f v. 238.
Ces vers sont la traduction littérale de ceux d'Homère,
(Page 192. Les heureux immortels ont fait les
douleurs le partage de l'humanité, etc.)
Mais parmi tant d'honneurs, vous êtes homme enfin ;
Tandis que vous vivrez, le sort, qui toujours change 9
Ne vous a point promis un bonheur sans mélange.
Racine, Iphïgénie, act. \,sc. 1»
(Page 201. En ce moment, l'aurore étend son
voile de pourpre sur la terre, etc.)
Et jam fama volans, tanti praenuncia luctûs,
Evandrum, Evandrique domos, et mœnia complet;
Quae modo victorem Latio Pallanta ferebat.
Arcades ad portas ruere....
AEneid. 11b, 11, v. i3p.
Cetle même renommée qui portoît la joie dans la file d'ÉvancIre par le récit
des victoires de Pallas, y répand la consternation et le deuil. Les Arcadieat
accourent en foule aux portes de la cité.
CHANT
XXIV."
2p9
(Page 202. Pressant de ses mains la tête d'Hector, etc.)
A questo la mestïssima Isabella
Declinando la faccla lacrimosa,
E congtungendo la sua bocca a quella
Di Zerbin, languidetta corne rosaf
Rosa non col ta In sua stagion, si chf ella
Impallïdisca In su la sïepe ombrosaj
Disse : Non vi pensa te già, mia vita,
Far seoza me quest' ultima partita.
Orl. fur. c. m4 9 st. 8o.Lu triste Isabelle, inclinant sur le visage de son amant $es joues baignées da
larmes, appliquant ses lèvres mourantes sur les lèvres glacées de Zerbïn, languissante comme une rose, comme une rose qu'on a cueillie avant qu'elle fât
a
épannuie, qui pâlit sous la haie qui Fombrage, sécrie: O mon unique vie, as*
lu pensé faire sans moi ce dernier voyage?
( Ibid. Ô mon époux..;tu meurs dans la fleur dé
l'âge, etc.)
Hune ego te, Euryale, asplcïo? tune illa senectae
Sera meae requies? potuisti Mnquere solam,
Crudelis? nec te sub tanta perkula mïssum
Àfiari extremuin miseras data copia matri?
AEneid. Mb. 9, v. 481.
Est-ce toi, ô mon cher Euryale, toi, la consolation de mes vient ans?
Cruel ! tu m'abandonnes? prêt à affronter de tels dangers, ta mère nfa pu te
dire un dernier adieu?
FIN BU TOME Q U A T l l E M E .
TABLE.
XIX. Achille appaise son courroux, et se prépare à secourir les Grecs.
Page 7
C H A N T XX. Dispute entre les immortels, Jupiter protège les
Grecs.
29C H A N T XXL Combat d'Achille près des rives du
fleuve.
55
C H A N T XXII, Hector poursuivi par Achille fait trois fois le tour
des murs de Troie, et tombe sous les coups du fils de Pelée. 85
C H A N T XXIIL Funérailles de Patrocle f terminées par les .combats
du cirque. Prix distribués aux vainqueurs par Achille.
115
C H A N T XXIV. Priam paye à Achille une riche rançon et obtient
le corps d'Hector. *
i63^
IJHANT
Notes littérales et historiques.
207
Notes géographiques»
244
Imitations d'Homère par les principaux poètes latins, italiens^ fraa* çois et anglois.
249
ERRATA.
T O M E
AGI
P R E M I E R ,
6 , ligne 22. Calcas, fils de Nestor, lisez fils de Thestor.
46 , ligne 4. Agamemnon remet en ses mains, lisez aux mains d'Ulysse.
64 , ligne 2i.-Sthelenus, lisez Stenelus.
78 , ligne 9. Lithus , lisez Léthus , ajoutez guident ces pcfuples an
combat.
120 , ligne 20. Par ces paroles, lisez par ses paroles.
123, lignes 11 et 12. Qui marchent sous vos pas, lisez su* vos pas.
141 1 % n e 7, Odius f lisez Hodius.
#
Notes littérales et historiques.
228 , ligne 2. Cenée, lisez Kenée.
2 2 9 , ligne 9. D'assoupir les che?aux, lisez d'assoupir.
Notes géographiques»
a83 , ligne 2. Situé, lisez située,
3 o 6 , ligne 25. Philïus, lisez Philias.
3 3 2 , ligne 24. Qui porte à présent le nom de Calydon, lisez Calydonïe,
341 f ligne 2. CrapathoSj lisez Carpathos.
3 6 5 , ligne 22, L'Adraste, lisez l*Adrastée#
Imitations.
388 , ligne 7. Ajoutez échauffe mon esprit, éclaire mes chants,
393 , ligne 18» Par le vin, lisez du vin.
408 , ligne i 5 . Des restes sacrés d'un festin, lisez sucrés.
442 , ligne 23. Énée se levé, lisez Turnus.
ïbid* ligne 24- Tumus.
4 5 7 , ligne 18, Hélas ! je m'en souviens f lisez il m'en souvient,
T O M E
IL
90 , ligne 23. De ses biens immenses, lisez de Mens immenses,
2Ç0 , ligne 5. Déjà, lisez de là.
Ibid. ligne 22, Pour épier leur conseil, Msea leurs conseil»,'
TOME
PAGi
111.
1 6 , lignes 2^ et 23. L'arrachant avec effort, lisez Farracfjltl
2 6 0 , ligne 22. Une bête de troupeau df Amispdarus, lisez du troupeau.
Imitations*
320 , ligne 18. Qu'on rend , lisez qu'on rende.
3 2 2 , ligne 7. Nymphe, lisez O nymphe !
.
T O M E
*
IV.
6 3 , ligne 1. Ses entrailles déchirées, lisez les entrailles.
104, ligne 5. Et il détache, lisez et détache.
i 5 3 , ligne 24. La navette qu'une femme industrieuse, etc.
Plus littéralement :
Telle la navette, partant du sein d'une jeune beauté, parcoure
la trame qu'elle tend avec ses mains pour la lustrer, et revient
toucher le sein de l'industrieuse ouvrière qui Fa lancée.
JV. B. Que les métiers n'étant pas connus , les femmes étoient
obligées de tendre la trame d'une main , tandis que de l'autre
elles faisoient voler la navette.
Notes
littérales.
*121 , ligne 6, Madame Dacier lit â*»**}^, corrigez, mvûm^i^m Imrm £<A*#f
Imitations.
a.56 , ligne 12. Dilivit, lisez desilit.
281 , ligne 14. Qu'ils l'eussent incendiés, lisez incendiée.
? 8 8 , ligne 21. Lib. 3 , v. 3o, lisez v. 3o 1,