TD n°23 : Mange-moi de Nathalie Papin

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TD n°23 : Mange-moi de Nathalie Papin
Oral professionnel 2ème partie – Littérature jeunesse
CRPE
TD n°23 :
Mange-moi de Nathalie Papin
Vous pouvez analyser cette pièce de théâtre selon deux axes : un
axe interprétatif, le désir exprimé par l’héroïne, un désir d’amour pour
compenser sa solitude (comment et pourquoi exprime-t-elle ce désir à l’ogre ?).
Le second axe mènera à observer la construction de la pièce de théâtre, sur le
modèle narratif d’un conte, qui peut conduire à des transpositions.
……………………………..
Cette pièce de théâtre évoque, comme L’ogresse en pleurs, le conflit
psychique entre l’amour et la nourriture. L’héroïne, Alia, après un parcours
initiatique, découvre l’amitié et renonce aux gratifications orales (bonbons,
gâteaux, chocolats…) qui l’aidaient à surmonter l’absence de sa mère et sa
solitude. Elle comprend, en rencontrant des personnages qui vont l’aider à sauver
l’ogre mourant (parce qu’il a renoncé à manger des enfants), l’absurdité du désir
qui la pousse à se remplir de nourriture, comme d’autres se remplissent de
souvenirs, de temps, de mots, ou d’êtres humains. C’est ce désir qu’elle interroge
en demandant à l’ogre de la manger, de l’engloutir pour régresser vers le ventre
maternel. Son parcours initiatique va l’aider à grandir. Elle parcourt un cycle, un
tour du monde, avec l’ogre qui dévore la ligne d’horizon. Ce cycle, c’est aussi celui
de la lune qu’elle tient pour s’éclairer et qui décompte le temps qui lui reste avant
la mort de l’ogre anorexique. La dernière scène, intitulée « le retour » clôt cette
boucle sur le changement de l’héroïne, dont les vêtements flottent, et sur le
changement de l’ogre qui a retrouvé un peu de vie.
La construction de la pièce ressemble à celle d’un conte, avec la
résolution de la situation initiale, après une série d’épreuves où l’héroïne va
rencontrer le danger mais aussi des alliés qui vont l’aider à sauver l’ogre : le
mangeur de mémoire qui va laver sa conscience de la culpabilité de son passé, la
dévoreuse de temps qui va lui en donner un peu à manger « pour avoir le temps »,
le bonhomme qui va lui céder le chagrin de ceux que son œil a engloutis, la
dévoreuse de livres qui lui offre un livre vierge immangeable pour qu’il puisse y
écrire son histoire. Le prénom Alia a aussi une connotation particulière, celle de
l’alliance, de l’aide qu’elle va apporter à l’ogre anorexique, mais on peut aussi
penser à « alien » en latin, qui signifie « l’autre », « l’étranger », celui qui se
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caractérise par sa différence, ce qui est le cas pour Alia, puisqu’elle est rejetée
et mise à l’écart par ses camarades de classe. La résolution de la marginalité
d’Alia passe par l’aide qu’elle apporte à l’ogre, qui lui permet de dépasser son
désir de manger et d’être mangée pour retrouver la fusion avec la mère qui lui
manque. C’est ainsi qu’elle découvre la valeur de l’amitié.
1) L’expression du désir :
La couverture du livre est très sobre, et pourtant, le titre exprime un
désir sur le ton d’un ordre, sans point d’exclamation. Nous pouvons rapprocher
cette expression de celle que nous avons déjà rencontrée dans Il faut tuer
Sammy de Madani. Le théâtre a pour fonction l’expression cathartique des
sentiments humains (tragédie, drame, comédie) selon la tradition antique et
classique. Il contient un enseignement « castigat ridendo mores », il moralise en
riant, en prenant du plaisir. La fonction du conte est équivalente puisqu’il
contient une morale. A travers les épreuves du héros, nous nous identifions et
réfléchissons à un problème psychologique (un « nœud »). Nathalie Papin pose la
question du désir de l’autre, qui est aussi celle de la création artistique :
partager ensemble les conflits qui hantent la vie humaine, de manière esthétique
et élaborée. La création permet d’évoquer de manière sublimée la demande
adressée à l’autre qui est l’expression du désir. Pour Alia, cette demande faite à
l’ogre lui permettra de dépasser sa solitude, et le refus qu’il lui oppose, lui
permettra de mûrir et de s’ouvrir aux autres.
L’illustration de couverture est à peine visible, pourtant, si on la regarde
bien, elle reprend la violence exprimée dans le titre : on y voit deux animaux en
train de lutter, l’un dévorant l’autre. Revenons quand même sur l’absence de point
d’exclamation qui atténue la force de l’ordre (il ressemblerait alors plutôt à une
parole murmurée). On retrouve ce titre pour la seconde scène de la pièce, où
Alia, cette fois-ci exprime son désir sous la forme d’un ordre. La dédicace
semble corroborer cette confusion de la dévoration et du désir amoureux « Je
dédie cette histoire à l’ogre que j’aime ».
La liste de personnages contient des « mangeurs » : l’ogre mangeur
d’enfants, le mangeur de mémoire, la dévoreuse de temps et de livres. Cette liste
annonce l’aspect métaphorique de l’acte de manger et la difficulté -ou au
contraire les possibilités- de représentation de cette pièce, dont les didascalies
sont rares. La mise en scène visuelle et sonore permet de grandes libertés (par
exemple, dans la quatrième scène : « Un nouvel horizon s’installe avec une pleine
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lune/ cinquième scène « Alia marche. Bruit de mastication… »), que vous pourrez
exploiter en classe, tous comme les gestes (« L’ogre ouvre ses côtes comme des
fenêtres » dans la troisième scène). La rareté des indications permet ainsi une
représentation universelle, matérialisée par la marche autour du monde, au-delà
de la ligne d’horizon, car le drame de la solitude et de la faim est le drame de
l’humanité.
La description physique de l’héroïne se résume au titre de la première
scène « La grosse ». Le personnage se définit dans ses actions, ce qui est le
propre du théâtre, mais aussi dans le regard des autres, dans leurs moqueries et
leur rejet. Alia est définie par ses camarades comme une personne bizarre. Non
seulement elle est rejetée parce qu’elle est différente mais aussi parce qu’elle a
des préoccupations qui ne sont pas celles des enfants (voir l’interprétation du
prénom Alia, plus haut) : « T’as des jeux bizarres, des jeux de grandes
personnes. T’es bizarre ». En effet, on peut se demander comment les enfants
perçoivent ce personnage alors qu’ils ont tendance à rejeter la différence, ce
qu’un débat interprétatif permettra d’éclairer. Pourtant, ce personnage rejeté
va devenir l’héroïne de l’œuvre.
Alia se définit aussi par ses sensations corporelles, celles de son ventre : « si je
n’ai pas le ventre plein, j’ai l’impression que je vais m’envoler, très haut, très haut
(…) Alors je mange pour être lourde » et par son obsession pour la nourriture
(elle cherche à manger le dictionnaire, elle mange quand elle apprend, elle mange
la connaissance, puisque le premier mot qui retient son attention est le mot
« manger »). Elle rencontre un personnage qui a les mêmes préoccupations qu’elle,
puisqu’il ouvre également le dictionnaire sur le terme « dévorer ». Ce personnage
est son double inversé : il est squelettique alors qu’elle est grosse. C’est un ogre,
mais il n’a aucun désir pour elle, plutôt de la pitié, sachant que les êtres humains
s’entre-dévorent.
La représentation de ce personnage est ambiguë, puisqu’il a une tête d’ogre avec
un corps de squelette « Un squelette approche. Il a une tête d’ogre : gros yeux,
grosses lèvres. » (p.13). Le corps décharné détache ce personnage de la
bestialité auquel il est traditionnellement lié, car la seule partie qui reste
développée est la tête. Les élèves de CM1-CM2 auxquels est destinée cette
pièce doivent faire un effort de représentation de l’ogre qui se distingue de
l’imagerie développée dans les contes. De plus, il est dégoûté par le corps de la
fillette, ce qui attire d’habitude les ogres « ça sent la chair fraîche ! » et il a
renoncé à manger les enfants. Il se refuse à la tentation offerte par Alia. Cette
dernière évoque le ventre de l’ogre comme un ventre maternel, renouant avec
l’ambiguïté sexuelle du personnage : « Je vois, tu as tes secrets. Laisse-moi
deviner !...On est avalé. On n’a pas mal, on disparaît, on est dans un endroit où
personne ne vient vous chercher, on a chaud, on voyage plus vite que les trains. »
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La vitesse du voyage se réfère aux bottes de sept lieux du conte de Perrault :
« Je ne sais pas. Je peux enjamber plusieurs villes à la fois ». (p. 18)
Alia manifeste son désir pour l’ogre en tentant de l’humilier dans sa virilité :
« t’es un ogre ou t’es pas un ogre ? C’est bien ma veine de tomber sur un ogre
peureux, mou, et dégonflé… » (p.19). Elle retourne aussi le refus de ce dernier en
refus d’avoir peur « Je n’ai pas peur du tout » (p.19). C’est après cette
succession de refus qu’une relation va pouvoir se tisser entre ces deux êtres,
puisqu’elle ne tournera plus autour du désir de se dévorer, mais au contraire de
se conserver.
2) Structure de l’œuvre :
Elle est divisée en huit scènes, qui peuvent être lues séparément à chaque
séance en résumant à chaque fois la scène précédente. Nous pouvons observer
les titres : « La grosse », « Mange-moi », « Le dedans », « Sur le fil », « La
mémoire », « Le temps », « Les yeux », « Le retour ». Ces titres scandent la
progression d’Alia de la situation initiale jusqu’à sa résolution en passant par le
ventre de l’ogre où elle régresse. D’une situation initiale de marginalisation, Alia
passe à une situation où elle est aimée dans le ventre de l’ogre qui la protège et
où elle se montre particulièrement avide « c’est magnifique, j’en veux encore
plein ! » (p. 34). L’ogre finit par avaler le monde pour elle, jusqu’à ce qu’ils se
retrouvent seuls et qu’ils risquent de ne rien trouver d’autre que de se manger
eux-mêmes par amour. L’ogre est comparé à un trou noir qui avale l’univers, mais
dont la caractéristique est le vide. L’oiseau savant qui sort de son ventre va jouer
le rôle de donateur pour calmer l’angoisse du vide et réparer les méfaits causés
par la faim sans limites : « Il faut que je parte pour t’aider, que j’aille dans le
monde des dévorants pour trouver le moyen de te nourrir » (p.44).
La structure de la pièce est celle d’un récit initiatique caractérisée par la
réparation du méfait (le désir de dévorer qui vide l’espace) et par le changement
de l’héroïne. Le changement passe par la rencontre avec quatre personnages qui
vont lui donner la clé, lui faire comprendre le sens de la vie : la connaissance du
manque. Les personnages se nourrissent de vide, de mémoire, de temps, de
chagrin, de mots et de désir (comme le bonhomme, dont l’œil est dévorant et qui
prend le risque, en assimilant ses victimes d’en assimiler aussi les sentiments). Le
changement prend du temps, alors que le désir exprimé au début suppose
l’immédiateté. Alia apprend donc à prendre patience, ce qui est l’enseignement de
son périple.
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La fin de la pièce finit par une déclaration d’amour qui fait de la petite
fille une future jeune femme : « Je ne me sens pas pareille. Je me sens toute
jolie/ Ogre : Normalement, c’est à moi de te le dire » Rire (p.79).
Cette structure permet une transposition intéressante de l’histoire en
conte, grâce à la structure développée dans un TD précédent (voir les contes
russes). Cette transposition permettra le passage du discours direct au discours
indirect et le maniement des temps du récit. Les didascalies deviendront des
descriptions et il faudra couper quelques dialogues. Cette transposition suppose
une compréhension fine de la structure et de l’enchaînement des séquences :
situation initiale- manque (la faim)- méfait –départ- épreuves –retour.
Cette pièce peut-être mise en réseau avec d’autres histoires d’ogres (voir
Le géant de Zeralda , Le Petit Poucet et Babayaga) comme J’avale le bébé du
voisin de Nacer Khemir, Esma Khemir, Le Bon gros géant de R.Dahl, Q.Blake.
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