dimanche 9 octobre - Toulouse Les Orgues
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DIMANCHE 9 OCTOBRE L’ORGUE DU SULTAN - TEXTES > 20 Avril, Zakinthos 3 Mai, Kithira Extraits du journal intime de Thomas Dallam (1599) 4 Mai, Crète Le voyage 6 Mai, Karpathos 10 Mai, Chypre > Février 1599, Londres Sans ami pour me conseiller, voici mes achats de dernière minute avant mon départ pour la Turquie : un habit en toile de jute pour porter en mer ; un deuxième costume de laine ; deux gilets en flanelle ; un chapeau ; une épée ; un coffre ; neufs chemises ; une douzaine et demie de cols ; une douzaine de mouchoirs ; une paire de jarretières ; deux douzaines de lacets, deux paires de bas ; une culotte en lin ; une paire de chaussures fines et une paire de chaussons ; trois paires de chaussures, une ceinture et un porte-épée ; une cape ; un petit clavecin ; une culotte en toile épaisse ; deux rubans de chapeau ; une boîte de verres à boire ; de la liqueur de Rosa Solis et des fruits au sirop ; de l’huile et du vinaigre ; des pruneaux ; des raisins secs ; des clous de girofle, du macis et du poivre ; deux livres de sucre ; des noix de muscade ; des gants ; des couteaux ; trente livres d’aluminium en barre ; une grosse de cuillères ; du gruau d’avoine. Constantinople > 15 aôut, Anthony Holborne (ca. 1545 - 1602) Nous sommes arrivés à Constantinople. Bona Speranza Lundi. Nous nous sommes mis au travail. Hélas, lorsque nous ouvrîmes les coffres nous découvrîmes qu’aucun collage n’avait survécu aux six mois passés dans la cale de notre navire. La chaleur extrême dans la cale, les effets de l’air marin et le climat chaud de ces latitudes avaient fait fondre la colle. En outre, certains de mes tuyaux en métal s’étaient déformés et brisés. Notre ambassadeur et Mr William Aldridge, ainsi que tous les autres gentilshommes, furent très choqués de voir l’état de l’orgue et déclarèrent qu’il ne valait rien. Je tairai ce que je dis à l’ambassadeur et à Mr Aldridge, mais quand Mr Aldridge m’eut entendu, il me dit que si je parvenais à le remettre dans son état d’origine il me donnerait quinze shillings sur ses propres deniers. Je m’appliquai aussitôt à la tâche. The Night Watch Nous arrivâmes dans un port d’Afrique du Nord nommé Alger. Depuis la mer, la ville avait belle apparence. Bordant la côte, elle plonge à pic dans la mer. Les proportions de la ville évoquent la forme d’un hunier [forme de trapèze]. Elle est dotée de solides fortifications composées d’une muraille double et d’un fossé. Les maisons sont faites de pierre et de ciment. Les toits de la plupart des maisons sont plats, et savamment enduits de plâtre de Paris. À partir du toit d’une maison, l’on peut se rendre de toit en toit dans la plupart des quartiers de la ville. Certaines rues sont très étroites et d’un accès malaisé, car la ville est bâtie à même les escarpements rocheux. De nombreux juifs vivent aussi ici, mais les habitants sont turcs en majorité. La bourgade, ou devrais-je dire la ville, est très peuplée, car elle est un centre majeur de commerce. Deux marchés s’y tiennent quotidiennement. Un nombre important de gens descendent des montagnes ou viennent d’autres parties du pays pour y apporter du grain en abondance et toutes sortes de fruits ainsi que des volailles sauvages et domestiques. On y trouve quantité de perdrix et de cailles bon marché – une perdrix pour moins d’un penny, et trois cailles pour le même prix. On y trouve aussi beaucoup de poules et de poulets. Ils en font éclore artificiellement les oeufs dans des fours ou des serres, sans les faire couver par les poules. Pour le moment, je ne saurais décrire précisément comment ils s’y prennent mais peut-être y parviendrai-je, s’il plaît à Dieu. Ils ont aussi de grands troupeaux de chameaux, des ânes grands et petits, des boeufs, des chevaux et des chameaux de selle. On y trouve de nombreux bains et étuves qu’ils nomment bagnios et des rôtisseries qui vendent une viande excellente. Gazi Giray Han II (1554 - 1607) Nihavend Pesrev > 20 août, > 30 mars, Alger Nous avons croisé des Maures, et d’autres personnes qui conduisaient leurs ânes chargés de haricots verts pour les vendre au marché. Avançant dans la rue, ils s’écriaient « balock, balock », ce qui signifie « attention », ou « prenez garde ». Mandra, danse de Chypre Le sérail > 9 septembre Mardi. Nous avons transporté l’instrument par voie maritime jusqu’au sérail, où j’entrepris de le monter dans le plus somptueux de ses pavillons. Partis de Galata, nous avions rejoint le sérail en traversant les Dardanelles, ce chenal issu de la Mer Noire qui divise l’Asie et la Thrace. Près de Galata, un bras de ce chenal s’enfonce sur 6 miles à l’intérieur des terres et divise les deux villes de Galata et Constantinople. Sultan II. Bâyezîd (1447-1512) Nevâ Peşrev Anthony Holborne (ca. 1545 - 1602) The Choise Gazi Giray Han II (1554 - 1607) Pesrev Huseyni Isfahan rûy-i nevâ saz semaisi John Dowland (1563 - 1626) Come Again Les portails sont en fer massif. Deux jeunes janissaires nous les ont ouverts. Mecmûa-i Sâz ü Söz Ey Seh-i melek Cefâ u cevr ile inletme beni 3 À l’intérieur du premier rempart, on ne trouve qu’une unique maison, qui appartient au Capitaine de la Garde. Il a sous ses ordres mille jeunes janissaires qui ont pour seule tâche d’entretenir les jardins. Je crois qu’aucun jardin au monde n’est mieux tenu. À l’intérieur du deuxième rempart on ne trouve aucun jardin, mais des bâtiments grandioses et de nombreuses cours pavées de marbre et de pierres similaires. Chaque alcôve et chaque coin sont garnis d’un ou plusieurs excellents arbres fruitiers. Des raisins de diverses variétés poussent ici en grande abondance. Il est possible d’en cueillir à tout moment de l’année. En novembre, alors que je m’asseyais pour déjeuner, on a cueilli, sous mes yeux et à mon intention, quelques grappes. Je déjeunai pendant un mois au Sérail et tous les jours nous mangeâmes du raisin après le plat principal. DerviS Frenk Mustafa Seha zülfün beni divâne kildisemaisi Mecmûa-i Sâz ü Söz Eger sen kerem idib dirsen muanber kâkülüm vardir 4 Le pavillon : horreur et dévotion Le lieu où l’on m’avait demandé de monter l’instrument ressemblait davantage à une église qu’à une maison. C’était en réalité à la fois un palais pour les divertissements et un lieu de mise à mort. Logé au coeur du bâtiment, on trouvait un petit appartement à la décoration fort recherchée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Jamais je n’en vis d’égale en matière de sculptures, de dorures, de peintures et de vernis. Le Sultan actuel a fait mettre à mort dix-neuf de ses frères dans ce petit appartement. Il l’a fait construire dans le seul objectif de pouvoir les y faire étrangler. > 21 septembre Nous fûmes émerveillés de voir à la nuit tombée un grand nombre de lampes brûlant sur toutes les tours de églises de Constantinople et de Galata. Lorsque nous en demandâmes la raison, on nous répondit que c’était la nuit où leur Messie Mohamed était né. Anthony Holborne (ca. 1545 - 1602) The Funeralls Alfonso Ferrabosco (ca. 1545 - 1602) Hear me, oh Lord > 25 septembre Anonyme (fin XVIe siècle) Kudumun rahmeti zevku safâdır ya resûlallah Présentation de l’orgue > 24 septembre L’ambassadeur me convoqua le soir dans ses chambres, et donna l’instruction que j’allasse le lendemain matin au Sérail afin de perfectionner l’instrument tant que je le pourrai, car il avait été prévu que le Sultan viendrait le voir avant midi, et que lui-même serait reçu à cette occasion pour présenter ses lettres. Après qu’il m’en eut informé, il déclara avoir fait son devoir officiel en m’informant du mien puis me dit : « Vous ne le prendrez pas mal, je le sais, aussi vous dirai-je sincèrement ce qu’il va se passer. Vous êtes venu apporter un cadeau de notre gracieuse Majesté, non pas d’un prince ou d’un roi ordinaire, mais d’une puissante souveraine. Il eût été mieux pour vous qu’il fût envoyé à un prince chrétien – vous eussiez été certain de recevoir une récompense significative à tous vos efforts. Il vous faut hélas vous rappeler que ce n’est pas seulement à un monarque que vous avez apporté ce présent de grande valeur, mais à un infidèle et un grand ennemi de tous les chrétiens. Peu importe ce que nous, ou tout autre chrétien, lui apportons : il pense que cela lui est dû, par déférence ou à cause de la crainte qu’il inspire, ou encore pour solliciter quelque faveur exceptionnelle auprès de lui. Personne ne l’a jamais vu octroyer la moindre récompense à un chrétien quand il en recevait un cadeau, aussi ne devez-vous rien attendre de sa part. Peut-être vous imaginez-vous qu’après un voyage si long et épuisant, effectué au péril de votre vie, vous méritiez qu’il vous accorde un regard. Mais cela non plus, ne l’attendez pas. Il m’a semblé que je devais vous dire tout cela, au cas où vous me le reprochiez plus tard, ou que vous me disiez que je ne vous avais pas prévenu. Que cela n’affecte pas votre travail. Quand vous rentrerez chez vous, nos marchands vous remercieront si le Sultan est satisfait demain. Le surlendemain ne m’importe guère. Si au premier coupd’oeil il n’est pas satisfait, il fera démonter l’orgue et l’écrasera sous ses pieds. Le cas échéant il ne satisfera aucune de nos pétitions : tout le mal que nous nous sommes donné, ainsi que les frais engagés, auront été en pure perte. Anthony Holborne (ca. 1545 - 1602) My Self Je suis allé au Sérail avec mon compagnon Harvey l’ingénieur, Rowland Bucket le peintre, et Michael Watson le charpentier. Une heure ou deux plus tard, l’ambassadeur s’est mis en route pour le Sérail. Son cortège était digne de celui d’un roi, à la différence près qu’il ne portait pas de couronne. Vingt-deux gentilshommes et marchands chevauchaient à ses côtés, vêtus des pieds à la tête d’étoffes lamées d’or. Les gentilshommes étaient Mr Humphrey Conisby, Mr Bailey de Salisbury, Mr Paul Pindar, Mr William Aldridge, Mr Jonas Aldridge et Mr Thomas Glover. Les six autres étaient des marchands. Ils portaient des manteaux lamés d’or. Vingt-huit autres, à pied, suivaient dans des robes bleues de style turc, drapés à l’italienne dans des capes de soie verte. Quant à moi, je portais une belle cape vert pâle. J’avais tout mis en état de marche quand les janissaires qui surveillent la maison virent le Sultan approcher à bord de son caïque doré. Il avait parcouru six miles ce matin-là. De là où je me tenais, je le vis descendre de son embarcation. Les janissaires me dirent de quitter la maison, car le Sultan serait là d’un instant à l’autre. Il y avait presque une mile et demi entre l’eau et la maison, mais le Sultan, impatient de voir le Cadeau, les parcourut rapidement. Mes compagnons et moi-même fûmes escortés hors de la maison, et l’on verrouilla la porte derrière nous. J’entendis une autre porte s’ouvrir, puis le vacarme d’une foule qui entrait. Un instant, il me sembla qu’à l’arrivée du Sultan, la porte que j’avais entendu s’ouvrir laissaient le passage à quatre cents personnes enfermées là en sonabsence. Enfin libérées, elles exprimèrent leur émerveillement devant le Cadeau. Sultan Bâyezîd II (1447 - 1512) Rahatü’l-ervah PeSrev Sultan Murad IV (1612-1640) Gelse nesîm-i subh ile müjde Seh-i bahârdan Le Sultan s’assit sur son grand trône et ordonna le silence. Dès que toutes les voix se furent tues et qu’un silence total s’installa, le Cadeau commença son salut au Sultan. En quittant la pièce, j’avais prévu un délai d’un quart d’heure pour lui laisser le temps d’arriver. L’horloge sonna d’abord vingt-deux coups. Puis un carillon de seize cloches entonna une mélodie à quatre voix. Quand elles s’arrêtèrent, deux figurines postées sur le deuxième étage de l’orgue, tenant des trompettes en argent, les portèrent à leurs lèvres et sonnèrent une fanfare. Puis la musique commença, avec une chanson à cinq voix répétée deux fois. Au sommet de l’orgue, qui faisait seize pieds de haut, était disposé un buisson de houx rempli de merles et de grives qui se mirent à chanter et à battre des ailes quand la musique prit fin. D’autres mouvements variés de la mécanique ne manquèrent pas d’émerveiller le Sultan. Il demanda au Kapi Aga si le divertissement allait se reproduire. Il lui répondit que ce serait le cas une heure plus tard. « Je veux le voir », dit-il. Vous avez été témoin des grands préparatifs que nous avons faits et qui nous occupent toujours depuis votre arrivée, pour le crédit de notre pays, ainsi que pour remettre le Cadeau et mes lettres, ce à quoi nous nous emploierons demain, avec l’aide de Dieu. C’est la cérémonie que nous appelons « baiser la main du Sultan ». Quand j’arriverai aux portails, il me faudra descendre de cheval. Je serai ensuite fouillé puis escorté devant le Sultan par deux hommes tenant mes mains collées à mes côtés. Je devrai embrasser son genou ou sa manche. Une fois mes lettres remises au Kapi Aga, on m’emmènera à reculons au loin jusqu’à ce qu’il ne soit plus en vue. Lui tourner le dos entraînerait la décapitation. N’espérez pas, en conséquence, de le voir. 5 6 Le Kapi Aga, qui était un homme intelligent, n’était pas certain que je l’eusse programmé, sachant que je ne l’avais réglé le mécanisme que pour qu’il se déclenche quatre fois en vingt-quatre heures. Il vint me voir là où je m’étais posté, à côté de la maison pour entendre l’orgue, et me demanda si la musique se répèterait une heure plus tard. Je lui dis que non, car je n’avais pas pensé que le Sultan resterait aussi longtemps, mais que s’il touchait du doigt une petite tige métallique que je lui avais montrée plus tôt, il pourrait quand l’heure sonnerait déclencher le mécanisme à l’envi. Dès que l’heure commença à sonner, le Kapi Aga se posta à côté de l’orgue et quand que le vingt-troisième coup retentit, il toucha la tige, et le spectacle eut à nouveau lieu. Le Sultan déclara que c’était excellent. Il s’assit en face du clavier où l’on se met pour jouer. Il s’étonna de ce que les touches s’enfonçaient sans que quiconque ne les touchât lorsque l’orgue sonnait. Le Kapi Aga lui dit qu’elles permettaient à l’instrument d’être joué à n’importe quel moment. Le Sultan demanda s’il connaissait quelqu’un qui pût en jouer. Il répondit qu’il ne connaissait personne à l’exception de l’homme qui l’avait amené, et qui se tenait dehors. « Faites-le entrer », dit le Sultan, « et qu’il me montre comment il s’y prend. » Kapi Aga ouvrit la porte par laquelle j’étais sorti. Il vint à moi, me prit par la main et me sourit. Je demandai à mon interprète ce qu’on attendait de moi et où l’on voulait que j’allasse. Il me répondit que c’était le bon plaisir du Sultan de m’entendre jouer de l’orgue. Alors je l’accompagnai. Passant la porte, je restais interdit par ce que je vis. J’étais entré à la droite du Sultan, dont je n’étais séparé que d’environ seize pas. Il ne tourna pas la tête pour m’observer. La majesté de son port était des plus royales, mais ce n’était rien en comparaison de sa suite, debout derrière lui : cette vision me fit croire que j’étais transporté dans un autre monde. Le Sultan, assis, observait immobile le Cadeau en face de lui, tandis que je me tenais là, ébloui par les quatre cents personnes derrière lui. Parmi eux, deux cents étaient ses pages principaux, les plus jeunes avaient seize ans, d’autres vingt, et certains trente ans. Ils étaient vêtus de manteaux leur tombant aux mollets, et coiffés de bonnets assortis en tissu lamé d’or. De longues bandes de soie leur ceignaient la taille. Des bottes rouges en cuir de Cordoue leur montaient jusqu’aux genoux. À l’exception d’une mèche de cheveux coincée derrière une oreille, telle une queue d’écureuil, leur crâne était entièrement rasé. En dépit de leurs joues glabres, ils conservaient toutefois une moustache. C’étaient tous des hommes de fort belle apparence, tous chrétiens de naissance. Une centaine d’autres pages étaient sourds-muets. Ils étaient richement vêtus aussi d’étoffes dorées et portaient des bottes cordouanes. Mais leurs bonnets étaient faits d’un velours violet, aux rebords garnis de cinq pointes, et comme surmontés d’une bouteille en cuir. Certains portaient des faucons sur leur poing. Les cents pages restants étaient tous des nains – des hommes au corps puissant mais petit. Chaque nain, vêtu d’or également, portait au côté un cimeterre. Je fus émerveillé par les sourds-muets, car ils communiquaient à l’aide de signes très exactement ce qu’ils avaient vu le Cadeau exécuter. Je regardais ce spectacle grandiose presque un quart d’heure. J’ouis le Sultan s’adresser au Kapi Aga, qui était à côté de lui. Celui-ci vint me voir, m’ôta ma cape et la déposa sur le tapis. Il me dit que je devais jouer l’orgue. Je refusais, cependant, car le Sultan était assis si près de là où je devais me tenir pour jouer que je ne pourrais pas éviter de lui tourner le dos et d’effleurer son genou avec l’étoffe de ma culotte, ce que nul n’avait le droit de faire à l’exception du Kapi Aga, sous peine d’y laisser la vie. Il me sourit et me fit attendre un instant. Puis le Sultan parla à nouveau, et le Kapi Aga, d’un air guilleret, m’enjoignit de prendre mon courage à deux mains et me poussa dans la direction de l’orgue. Quand j’approchai du Sultan, je m’inclinai jusqu’à ses genoux, sans faire tomber mon bonnet, lui tournai le dos et effleurai son genou avec ma culotte. Il était assis sur un trône richement décoré. Son pouce était orné d’un diamant carré d’un demi-pouce, à son flanc pendait un magnifique cimeterre, un arc et un carquois rempli de flèches. Étant assis derrière moi, il ne pouvait pas voir ce que je faisais. Il se leva, et le Kapi Aga déplaça son siège de côté pour qu’il eût le loisir de voir mes mains. Lorsque le Sultan se leva, il ne put éviter de me pousser en avant, car il était assis vraiment très près. Je m’imaginai qu’il était en train de tirer son épée pour me couper la tête. 7 Je me tins là, jouant jusqu’à ce que l’horloge sonnât à nouveau. Je saluai alors aussi bas que possible, et m’éloignai en lui tournant le dos. Alors que je ramassais ma cape, le Kapi Aga s’avança vers moi, et me dit de rester là où j’étais, en laissant ma cape par terre. Après un moment il me demanda d’aller poser le couvercle sur le clavier. Je m’approchai alors à nouveau du Sultan, saluai puis retournai, à reculons cette fois-ci, vers ma cape. À cette vue, tous rirent. Je vis le Sultan tendre une main pleine d’or, que le Kapi Aga prit et me donna. Il y avait là quarante-cinq sequins, soit plus de deux cents livres. Je fus escorté vers la porte où l’on m’avait fait entrer, pas peu fier de mon succès. Le bal > 2 octobre L’ambassadeur a donné un dîner à bord de notre navire, et y a convié l’ambassadeur de Venise, et quelques Turcs. Anthony Holborne (ca. 1545 - 1602) The Fruit of Love The Honey-Suckle Le harem > 12 octobre Vendredi. Je fus invité au Sérail, ainsi que les dimanche et lundi qui suivirent, sans autre raison que d’aller y admirer les chambres privées du Sultan, son or et son argent, et ses trônes. La personne qui m’avait invité m’y fit même m’y asseoir, et tira de son fourreau l’épée avec laquelle il couronne ses rois. Lorsqu’il m’eut montré bien d’autres choses, que j’admirai, nous traversâmes une petite cour carrée pavée de marbre. Il attira mon attention vers une grille encastrée dans un mur, mais me signifia en gesticulant qu’il ne pouvait pas s’en approcher lui-même. Le mur était fort épais et garni de lourdes grilles de fer de part et d’autre. À travers, je vis trente des concubines du Sultan jouer au ballon dans une cour. Je crus tout d’abord que c’étaient de jeunes hommes, mais lorsque je vis leurs cheveux pendre en tresses dans leur dos, ornés de petites perles et d’autres parures, je compris que c’étaient des femmes, et des plus jolies. Elles étaient coiffées de petites toques en tissu lamé d’or. Leurs cous étaient parés de beaux colliers de perles, et de joyaux, et leurs oreilles de boucles en pierres précieuses. Elles portaient des manteaux flottants, comme ceux de soldats, faits de satin rouge ou bleu, fermés par un cordon de couleur contrastée. On voyait la peau de leurs cuisses au travers du pantalon de cotonnade qui s’arrêtait au dessus du mollet : elle était d’une blancheur neigeuse et d’un grain aussi fin que de la mousseline. Certaines d’entre elles portaient des bottes hautes en cuir de Cordoue, d’autres allaient jambes nues, les chevilles ornées d’un bracelet d’or, chaussées de chopines de velours d’une hauteur de quatre ou cinq pouces. Anthony Holborne (ca. 1545 - 1602) Hermoza Muy Linda Sehzâde Korkut (1467 - 1513) Kürdi peşrev John Dowland (1563 - 1626) Can she excuse my wrongs 8 Je restai si longtemps à les regarder que le janissaire qui me faisait visiter les lieux finit par perdre patience. Il semblait en colère, frappant le sol du pied pour me signaler que je devais m’éloigner, ce qu’il me coûta fort de faire, car la scène était ravissante. Nous retournâmes là où j’avais laissé mon interprète et je lui racontai que j’avais vu trente des concubines du Sultan. Il me conseilla de n’en point parler, pour ne pas risquer que l’un des Turcs l’apprenne : l’homme qui me les avait montrées aurait alors risqué d’y perdre la vie. Le janissaire n’aurait pas osé les regarder lui-même. Quoique je les eusse observées longuement, elles n’avaient pas semblé me voir, ni ne s’étaient penchées au dessus des grilles. Si elles m’avaient vu, nul doute qu’elles fussent toutes venues me regarder, et eussent été étonnées tout autant de me voir, que moi elles. (Traduction du texte de Thomas Dallam : Claire Berget) Acemler Hem kamer hem zühre vü hem müşterî der âsüman John Dowland (1563 - 1626) Now, o now, my needs must part L’ORGUE DU SULTAN TEXTES DE ŒUVRES ET TRADUCTIONS Mecmûa-i Sâz ü Söz - Ey Seh-i melek Cefâ u cevr ile inletme beni Ey Şeh-i melek Cefâ u cevr ile inletme beni Ben garîbinim Senin Sen habîbimsin benim Tir-i mujg.nın leşkerine hayli çiğnetme beni Çeşmi tatarım ı fitnebâzım gel ağlatma beni Dâima rah-ı belâda pâyimâl itme beni Oh le plus grand des anges, ne me fait pas gémir par le tourment et l’oppression Moi, je suis Ton misérable, Toi, tu es mon Ami Ne me laisse pas me faire piétiner par les flèches de tes cils Fille aux yeux tatares, celle qui me déroute, viens et ne me fait pas pleurer Ne m’anéantit pas sur ces routes semées d’embûches John Dowland (1563 - 1626) - Come Again Come again, Sweet love doth now invite. Thy graces that refrain, To do me due delight. To see, to hear, to touch, to kiss, to die, With thee again in sweetest sympathy. Come again, That I may cease to mourn. Through thy unkind disdain, For now left and forlorn. I sit, I sigh, I weep, I faint, I die, In deadly pain and endless misery. Gentle love, Draw forth thy wounding dart. Thou canst not pierce her heart, For I that to approve. By sighs, and tears, more hot, than are, thy shafts, Did tempt while she for triumph laughs. 9 Reviens Reviens L’amour exquis invite Les faveurs que tu me refuses À satisfaire le plaisir qui m’est dû À te contempler, te toucher, t’embrasser, et mourir Avec toi dans la plus douce des harmonies. Reviens Que je puisse cesser de porter le deuil Par ton cruel dédain Car à présent abandonné et malheureux Je reste assis à soupirer, à pleurer, je défaille et je meurs Dans de terribles souffrances et dans une détresse infinie. Délicieux amour Décoche ta flèche qui meurtrit Tu ne pourras percer son coeur Car je puis te le prouver Par des soupirs et des larmes plus chaudes que tes dards J’ai essayé, mais elle a ri de son triomphe. 10 Derviş Frenk Mustafa - Seha zülfün beni divâne kildi Compositeur anonyme - Kudumun rahmeti zevku safâdır ya resûlallah Şehâ zulfun Beni divane kıldı Gamın dil mulkumu virâne kıldı Rûhum şem’aya yanıb gîce gunduz Senin aşkın Beni pervâne kıldı Kudumun rahmeti zevku safâdır ya resûlallah Kudumun rahmeti zevku safâdır ya resûlallah Zuhurun derdi uşşakda devadır ya resûlallah Hudaîye şefâat kıl eger zahir eger batın Kapına intisab etmiş gedadır ya resûlallah Ô Maître, ta chevelure m’a rendu fou La peine que tu m’as causée a anéanti l’ensemble de mes biens Ton esprit brûle jour et nuit telle une bougie Ton amour m’a métamorphosé en un papillon de nuit La bénédiction de ton arrivée en ce monde est un plaisir et une réjouissance, Ô Messager de Dieu Ton apparition en ce monde est un remède pour la peine des amoureux, Ô Messager de Dieu Prie Hudayî et demande la miséricorde si tu veux accéder au monde visible et au monde caché Celui qui s’est présenté à Ta porte est un derviche Ô Messager de Dieu Mecmûa-i Sâz ü Söz - Eger sen kerem idib dirsen muanber kâkülüm vardir Eğer sen kerem idib dirsen muanber kâkülüm vardır Menim de dûdı- âhımdan başımda sünbülüm vardır Sen açıldın gül açıldı gülistân cemalin içre Gönül dirler menim de bir nevâkeş bülbülüm vardır Sultan Murad IV (1612 - 1640) - Gelse nesîm-i subh ile müjde Seh-i bahârdan Gelse nesîm-i subh ile mujde Șeh-i bahârdan İtse halâs bulbul-i mihnet-i intizardan İrdi Murâda sâki ya cûş- i hum-i le bu Murad Kurtulamazmı dil dahi Keşmekeş-i humardan Si tu as la bonté de me faire partager l’odeur ambrée de ta frange Je serai brûlé par mon admiration mais la fumée qui enveloppera ma tête aura une belle odeur de jacinthe Quand tu t’es ouverte, une rose a éclot sur ton beau visage telle une roseraie Alfonso Ferrabosco (1575 - 1628) Hear me, O God! A broken heart Is my best part. Use still thy rod, That I may prove Therein thy Love. Écoute-moi, ô Dieu ! Un coeur brisé Est mon meilleur choix. Utilise toujours Ton bâton, Que je puisse Te prouver Mon Amour pour Toi. If thou hadst not Been stern to me, But left me free, I had forgot Myself and thee. Si Tu n’avais pas Été sévère avec moi ET m’avait laissé libre, Je me serais oublié, Moi et Toi. For sin’s so sweet, As minds ill-bent Rarely repent, Until they meet Their punishment. Car le péché est si doux, Et les esprits mal tournés, Rarement repentis, Jusqu’à ce qu’ils rencontrent Leur punition. Si seulement le vent du matin pouvait amener la bonne nouvelle par la grandeur printanière Qu’il sauve le rossignol qui souffre de l’attente Le poète Sultan Murâd est parvenu à ce désir en buvant le vin qui bouillonne dans les jarres Même son coeur ne peut se débarrasser de la confusion de l’ivresse 11 12 John Dowland (1563 - 1626) Can she excuse my wrongs Peux-elle excuser mes maux Can she excuse my wrongs with virtues cloak ? Peut-elle excuser mes maux par le manteau de la vertu? Shall I call her good when she proves unkind Puis-je l’appeler bonne quand elle se montre dure? Are those clear fires which vanish into smoke ? Sont-ce des feux purs qui disparaissent en fumée? Must I praise the leaves where no fruit I find? Dois-je admirer les feuilles, là où je ne trouve aucun fruit? No, no, where shadows do for bodies stand, Thou may’st be abus’d if thy sight be dim Cold love is like two words written on sand, Or two bubbles which on the water swim. Non, non : là où les ombres remplacent les corps, Tu peux être trompé si ta vue est faible L’amour froid est comme des mots écrits sur le sable, Ou deux bulles qui nagent sur l’eau. With thou be thus abused still, Seeing that she will right thee never If thou canst not or come her will, Thy love will be thus fruitless ever. Seras-tu encore trompé plus longtemps Voyant qu’elle ne te rendra jamais justice? Si tu ne peux pas surmonter sa volonté Ton amour sera ainsi stérile à jamais. Was I so base that I might not aspire Unto those high joys which she holds from me, As they are high so high is my desire, If she this denies what granted be. Étais-je si vil, que je ne puisse aspirer À ces joies élevées qu’elle tient éloignées de moi? Car aussi hautes soient-elles, ainsi en est-il de mon désir Si elle refuse ceci, que peut-il être admis? If she will yield to that which reason is, It is reasons will that love should be just, Dear make me happy still by granting this Or cut of delays if that die I must. Si elle cède devant ceci, quelle est la raison même, C’est la volonté de la raison que l’amour fût juste. Chère, rends-moi heureux en m’accordant ceci, Ou supprime toute attente si je dois mourir. Better a thousand times to die Than for to live thus still tormented, Dear but remembered it was I Who for thy fake did die contented. Il vaut mieux en mourir mille fois Plutôt que de vivre ainsi torturé : Chère souviens-toi que c’était moi Par égard pour toi, qui mourus contenté. John Dowland (1563 - 1626) Now, o now, I need must part Now o now I need must part, Parting though I absent mourn, Absence can no joy impart, Joy once fled cannot return. While I live I needs must love, Love lives not when hope is gone, Now at last despair doth prove, Love divided loveth none. Sad despair doth drive me hence, This despair unkindness sends. If that parting be offence, It is she which then offends. Maintenant, ah maintenant, il me faut partir Maintenant, ah maintenant, il me faut partir, Bien que, partant, je déplore cette absence. L’absence ne saurait sonner aucune joie, La joie, une fois envolée, ne peut revenir. Tant que je vis, il me faut aimer. L’amour ne vit point là où l’espoir est parti A présent enfin, le désespoir le prouve: Séparé de son amour, personne ne peut aimer. Le triste désespoir me chasse d’ici, Désespoir amené par l’ingratitude, Si ce départ est une offense, Alors c’est elle qui la commet. Dear if I do not return, Love and I shall die together, For my absence never mourn Whom you might have joined ever : Part we must though now I die, Die I do to part with you, Him despair doth cause to lie, Who both lived and dieth true. Sad despair doth drive me hence, This despair unkindness sends, If that parting be offence, It is she which then offends. Ma bien aimée, si je ne reviens pas, L’amour et moi mourrons ensemble, Ne t’afflige jamais de l’absence De celui que tu aurais pu rendre heureux pour toujours : Nous devons nous séparer, même si à présent je meurs, Je meurs de te quitter, Le désespoir fait mentir Celui qui vécut et meurt fidèle Le triste désespoir me chasse d’ici, Désespoir amené par l’ingratitude, Si ce départ est une offense, Alors c’est elle qui la commet. Acemler - Hem kamer hem zühre vü hem müşterî der âsüman Hem kamer hem zühre vü hem müşteri der asüman Arzu medendi mihahendi sazi bişnevend Nağme-i uzzal-ü şehnaz-ü segâh-ü hem beyat Rast ez nikriz-i ez şayed hicaz-i bişnevend Le ciel rassemble la lune, l’étoile du berger et Jupiter Qui désirent et souhaitent écouter les instruments Qui jouent des mélodies en üzzal şehnaz, segâh, et beyati Ils désirent écouter du nikriz au rast ou du hicaz 13 14