dimanche 9 octobre - Toulouse Les Orgues

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dimanche 9 octobre - Toulouse Les Orgues
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20
ANS !
DIMANCHE
9
OCTOBRE
L’ORGUE DU SULTAN - TEXTES
> 20 Avril, Zakinthos
3 Mai, Kithira
Extraits du journal intime de Thomas Dallam (1599)
4 Mai, Crète
Le voyage
6 Mai, Karpathos
10 Mai, Chypre
> Février 1599, Londres
Sans ami pour me conseiller, voici mes achats de dernière minute avant mon
départ pour la Turquie : un habit en toile de jute pour porter en mer ; un deuxième
costume de laine ; deux gilets en flanelle ; un chapeau ; une épée ; un coffre ;
neufs chemises ; une douzaine et demie de cols ; une douzaine de mouchoirs
; une paire de jarretières ; deux douzaines de lacets, deux paires de bas ; une
culotte en lin ; une paire de chaussures fines et une paire de chaussons ; trois
paires de chaussures, une ceinture et un porte-épée ; une cape ; un petit
clavecin ; une culotte en toile épaisse ; deux rubans de chapeau ; une boîte de
verres à boire ; de la liqueur de Rosa Solis et des fruits au sirop ; de l’huile et du
vinaigre ; des pruneaux ; des raisins secs ; des clous de girofle, du macis et du
poivre ; deux livres de sucre ; des noix de muscade ; des gants ; des couteaux ;
trente livres d’aluminium en barre ; une grosse de cuillères ; du gruau d’avoine.
Constantinople
> 15 aôut,
Anthony Holborne
(ca. 1545 - 1602)
Nous sommes arrivés à Constantinople.
Bona Speranza
Lundi. Nous nous sommes mis au travail. Hélas, lorsque nous ouvrîmes les coffres
nous découvrîmes qu’aucun collage n’avait survécu aux six mois passés dans la
cale de notre navire. La chaleur extrême dans la cale, les effets de l’air marin et
le climat chaud de ces latitudes avaient fait fondre la colle. En outre, certains
de mes tuyaux en métal s’étaient déformés et brisés. Notre ambassadeur et Mr
William Aldridge, ainsi que tous les autres gentilshommes, furent très choqués
de voir l’état de l’orgue et déclarèrent qu’il ne valait rien. Je tairai ce que je dis
à l’ambassadeur et à Mr Aldridge, mais quand Mr Aldridge m’eut entendu, il
me dit que si je parvenais à le remettre dans son état d’origine il me donnerait
quinze shillings sur ses propres deniers. Je m’appliquai aussitôt à la tâche.
The Night Watch
Nous arrivâmes dans un port d’Afrique du Nord nommé Alger. Depuis la mer,
la ville avait belle apparence. Bordant la côte, elle plonge à pic dans la mer. Les
proportions de la ville évoquent la forme d’un hunier [forme de trapèze]. Elle
est dotée de solides fortifications composées d’une muraille double et d’un
fossé. Les maisons sont faites de pierre et de ciment. Les toits de la plupart des
maisons sont plats, et savamment enduits de plâtre de Paris. À partir du toit
d’une maison, l’on peut se rendre de toit en toit dans la plupart des quartiers
de la ville. Certaines rues sont très étroites et d’un accès malaisé, car la ville
est bâtie à même les escarpements rocheux.
De nombreux juifs vivent aussi ici, mais les habitants sont turcs en majorité.
La bourgade, ou devrais-je dire la ville, est très peuplée, car elle est un centre
majeur de commerce. Deux marchés s’y tiennent quotidiennement. Un nombre
important de gens descendent des montagnes ou viennent d’autres parties du
pays pour y apporter du grain en abondance et toutes sortes de fruits ainsi que
des volailles sauvages et domestiques. On y trouve quantité de perdrix et de
cailles bon marché – une perdrix pour moins d’un penny, et trois cailles pour
le même prix. On y trouve aussi beaucoup de poules et de poulets. Ils en font
éclore artificiellement les oeufs dans des fours ou des serres, sans les faire couver
par les poules. Pour le moment, je ne saurais décrire précisément comment
ils s’y prennent mais peut-être y parviendrai-je, s’il plaît à Dieu. Ils ont aussi
de grands troupeaux de chameaux, des ânes grands et petits, des boeufs, des
chevaux et des chameaux de selle. On y trouve de nombreux bains et étuves
qu’ils nomment bagnios et des rôtisseries qui vendent une viande excellente.
Gazi Giray Han II
(1554 - 1607)
Nihavend Pesrev
> 20 août,
> 30 mars, Alger
Nous avons croisé des Maures, et d’autres personnes qui conduisaient leurs ânes
chargés de haricots verts pour les vendre au marché. Avançant dans la rue, ils
s’écriaient « balock, balock », ce qui signifie « attention », ou « prenez garde ».
Mandra, danse de
Chypre
Le sérail
> 9 septembre
Mardi. Nous avons transporté l’instrument par voie maritime jusqu’au sérail,
où j’entrepris de le monter dans le plus somptueux de ses pavillons. Partis de
Galata, nous avions rejoint le sérail en traversant les Dardanelles, ce chenal
issu de la Mer Noire qui divise l’Asie et la Thrace. Près de Galata, un bras de
ce chenal s’enfonce sur 6 miles à l’intérieur des terres et divise les deux villes
de Galata et Constantinople.
Sultan II. Bâyezîd
(1447-1512)
Nevâ Peşrev
Anthony Holborne
(ca. 1545 - 1602)
The Choise
Gazi Giray Han II
(1554 - 1607)
Pesrev Huseyni
Isfahan rûy-i nevâ saz
semaisi
John Dowland
(1563 - 1626)
Come Again
Les portails sont en fer massif. Deux jeunes janissaires nous les ont ouverts.
Mecmûa-i Sâz ü Söz
Ey Seh-i melek Cefâ u
cevr ile inletme beni
3
À l’intérieur du premier rempart, on ne trouve qu’une unique maison, qui appartient au Capitaine de la Garde. Il a sous ses ordres mille jeunes janissaires
qui ont pour seule tâche d’entretenir les jardins. Je crois qu’aucun jardin au
monde n’est mieux tenu. À l’intérieur du deuxième rempart on ne trouve
aucun jardin, mais des bâtiments grandioses et de nombreuses cours pavées
de marbre et de pierres similaires. Chaque alcôve et chaque coin sont garnis
d’un ou plusieurs excellents arbres fruitiers. Des raisins de diverses variétés
poussent ici en grande abondance. Il est possible d’en cueillir à tout moment
de l’année. En novembre, alors que je m’asseyais pour déjeuner, on a cueilli,
sous mes yeux et à mon intention, quelques grappes. Je déjeunai pendant un
mois au Sérail et tous les jours nous mangeâmes du raisin après le plat principal.
DerviS Frenk Mustafa
Seha zülfün beni divâne
kildisemaisi
Mecmûa-i Sâz ü Söz
Eger sen kerem idib
dirsen muanber kâkülüm
vardir
4
Le pavillon : horreur et dévotion
Le lieu où l’on m’avait demandé de monter l’instrument ressemblait davantage à
une église qu’à une maison. C’était en réalité à la fois un palais pour les divertissements et un lieu de mise à mort. Logé au coeur du bâtiment, on trouvait un petit
appartement à la décoration fort recherchée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.
Jamais je n’en vis d’égale en matière de sculptures, de dorures, de peintures et de
vernis. Le Sultan actuel a fait mettre à mort dix-neuf de ses frères dans ce petit
appartement. Il l’a fait construire dans le seul objectif de pouvoir les y faire étrangler.
> 21 septembre
Nous fûmes émerveillés de voir à la nuit tombée un grand nombre de lampes
brûlant sur toutes les tours de églises de Constantinople et de Galata. Lorsque
nous en demandâmes la raison, on nous répondit que c’était la nuit où leur Messie
Mohamed était né.
Anthony Holborne
(ca. 1545 - 1602)
The Funeralls
Alfonso Ferrabosco
(ca. 1545 - 1602)
Hear me, oh Lord
> 25 septembre
Anonyme
(fin XVIe siècle)
Kudumun rahmeti zevku
safâdır ya resûlallah
Présentation de l’orgue
> 24 septembre
L’ambassadeur me convoqua le soir dans ses chambres, et donna l’instruction que
j’allasse le lendemain matin au Sérail afin de perfectionner l’instrument tant que
je le pourrai, car il avait été prévu que le Sultan viendrait le voir avant midi, et que
lui-même serait reçu à cette occasion pour présenter ses lettres. Après qu’il m’en
eut informé, il déclara avoir fait son devoir officiel en m’informant du mien puis
me dit : « Vous ne le prendrez pas mal, je le sais, aussi vous dirai-je sincèrement
ce qu’il va se passer. Vous êtes venu apporter un cadeau de notre gracieuse Majesté, non pas d’un prince ou d’un roi ordinaire, mais d’une puissante souveraine.
Il eût été mieux pour vous qu’il fût envoyé à un prince chrétien – vous eussiez
été certain de recevoir une récompense significative à tous vos efforts. Il vous
faut hélas vous rappeler que ce n’est pas seulement à un monarque que vous avez
apporté ce présent de grande valeur, mais à un infidèle et un grand ennemi de tous
les chrétiens. Peu importe ce que nous, ou tout autre chrétien, lui apportons : il
pense que cela lui est dû, par déférence ou à cause de la crainte qu’il inspire, ou
encore pour solliciter quelque faveur exceptionnelle auprès de lui. Personne ne
l’a jamais vu octroyer la moindre récompense à un chrétien quand il en recevait
un cadeau, aussi ne devez-vous rien attendre de sa part. Peut-être vous imaginez-vous qu’après un voyage si long et épuisant, effectué au péril de votre vie,
vous méritiez qu’il vous accorde un regard. Mais cela non plus, ne l’attendez pas.
Il m’a semblé que je devais vous dire tout cela, au cas où vous me le reprochiez
plus tard, ou que vous me disiez que je ne vous avais pas prévenu. Que cela
n’affecte pas votre travail. Quand vous rentrerez chez vous, nos marchands vous
remercieront si le Sultan est satisfait demain. Le surlendemain ne m’importe
guère. Si au premier coupd’oeil il n’est pas satisfait, il fera démonter l’orgue et
l’écrasera sous ses pieds. Le cas échéant il ne satisfera aucune de nos pétitions
: tout le mal que nous nous sommes donné, ainsi que les frais engagés, auront
été en pure perte.
Anthony Holborne
(ca. 1545 - 1602)
My Self
Je suis allé au Sérail avec mon compagnon Harvey l’ingénieur, Rowland Bucket
le peintre, et Michael Watson le charpentier. Une heure ou deux plus tard,
l’ambassadeur s’est mis en route pour le Sérail. Son cortège était digne de
celui d’un roi, à la différence près qu’il ne portait pas de couronne. Vingt-deux
gentilshommes et marchands chevauchaient à ses côtés, vêtus des pieds à la
tête d’étoffes lamées d’or. Les gentilshommes étaient Mr Humphrey Conisby,
Mr Bailey de Salisbury, Mr Paul Pindar, Mr William Aldridge, Mr Jonas Aldridge
et Mr Thomas Glover. Les six autres étaient des marchands. Ils portaient des
manteaux lamés d’or. Vingt-huit autres, à pied, suivaient dans des robes bleues
de style turc, drapés à l’italienne dans des capes de soie verte. Quant à moi,
je portais une belle cape vert pâle. J’avais tout mis en état de marche quand
les janissaires qui surveillent la maison virent le Sultan approcher à bord de
son caïque doré. Il avait parcouru six miles ce matin-là. De là où je me tenais,
je le vis descendre de son embarcation. Les janissaires me dirent de quitter la
maison, car le Sultan serait là d’un instant à l’autre. Il y avait presque une mile
et demi entre l’eau et la maison, mais le Sultan, impatient de voir le Cadeau,
les parcourut rapidement. Mes compagnons et moi-même fûmes escortés
hors de la maison, et l’on verrouilla la porte derrière nous. J’entendis une autre
porte s’ouvrir, puis le vacarme d’une foule qui entrait. Un instant, il me sembla
qu’à l’arrivée du Sultan, la porte que j’avais entendu s’ouvrir laissaient le passage
à quatre cents personnes enfermées là en sonabsence. Enfin libérées, elles
exprimèrent leur émerveillement devant le Cadeau.
Sultan Bâyezîd II
(1447 - 1512)
Rahatü’l-ervah PeSrev
Sultan Murad IV
(1612-1640)
Gelse nesîm-i subh ile
müjde Seh-i bahârdan
Le Sultan s’assit sur son grand trône et ordonna le silence. Dès que toutes les
voix se furent tues et qu’un silence total s’installa, le Cadeau commença son
salut au Sultan. En quittant la pièce, j’avais prévu un délai d’un quart d’heure
pour lui laisser le temps d’arriver. L’horloge sonna d’abord vingt-deux coups.
Puis un carillon de seize cloches entonna une mélodie à quatre voix. Quand
elles s’arrêtèrent, deux figurines postées sur le deuxième étage de l’orgue,
tenant des trompettes en argent, les portèrent à leurs lèvres et sonnèrent
une fanfare. Puis la musique commença, avec une chanson à cinq voix répétée
deux fois. Au sommet de l’orgue, qui faisait seize pieds de haut, était disposé
un buisson de houx rempli de merles et de grives qui se mirent à chanter et
à battre des ailes quand la musique prit fin. D’autres mouvements variés de
la mécanique ne manquèrent pas d’émerveiller le Sultan. Il demanda au Kapi
Aga si le divertissement allait se reproduire. Il lui répondit que ce serait le cas
une heure plus tard. « Je veux le voir », dit-il.
Vous avez été témoin des grands préparatifs que nous avons faits et qui nous
occupent toujours depuis votre arrivée, pour le crédit de notre pays, ainsi que
pour remettre le Cadeau et mes lettres, ce à quoi nous nous emploierons demain,
avec l’aide de Dieu. C’est la cérémonie que nous appelons « baiser la main du
Sultan ». Quand j’arriverai aux portails, il me faudra descendre de cheval. Je serai
ensuite fouillé puis escorté devant le Sultan par deux hommes tenant mes mains
collées à mes côtés. Je devrai embrasser son genou ou sa manche. Une fois mes
lettres remises au Kapi Aga, on m’emmènera à reculons au loin jusqu’à ce qu’il ne
soit plus en vue. Lui tourner le dos entraînerait la décapitation. N’espérez pas, en
conséquence, de le voir.
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Le Kapi Aga, qui était un homme intelligent, n’était pas certain que je l’eusse programmé, sachant que je ne
l’avais réglé le mécanisme que pour qu’il se déclenche quatre fois en vingt-quatre heures. Il vint me voir là
où je m’étais posté, à côté de la maison pour entendre l’orgue, et me demanda si la musique se répèterait
une heure plus tard. Je lui dis que non, car je n’avais pas pensé que le Sultan resterait aussi longtemps, mais
que s’il touchait du doigt une petite tige métallique que je lui avais montrée plus tôt, il pourrait quand l’heure
sonnerait déclencher le mécanisme à l’envi. Dès que l’heure commença à sonner, le Kapi Aga se posta à côté
de l’orgue et quand que le vingt-troisième coup retentit, il toucha la tige, et le spectacle eut à nouveau lieu.
Le Sultan déclara que c’était excellent. Il s’assit en face du clavier où l’on se met pour jouer. Il s’étonna
de ce que les touches s’enfonçaient sans que quiconque ne les touchât lorsque l’orgue sonnait. Le Kapi
Aga lui dit qu’elles permettaient à l’instrument d’être joué à n’importe quel moment. Le Sultan demanda s’il connaissait quelqu’un qui pût en jouer. Il répondit qu’il ne connaissait personne à l’exception de
l’homme qui l’avait amené, et qui se tenait dehors. « Faites-le entrer », dit le Sultan, « et qu’il me montre
comment il s’y prend. » Kapi Aga ouvrit la porte par laquelle j’étais sorti. Il vint à moi, me prit par la main
et me sourit. Je demandai à mon interprète ce qu’on attendait de moi et où l’on voulait que j’allasse. Il
me répondit que c’était le bon plaisir du Sultan de m’entendre jouer de l’orgue. Alors je l’accompagnai.
Passant la porte, je restais interdit par ce que je vis. J’étais entré à la droite du Sultan, dont je n’étais séparé
que d’environ seize pas. Il ne tourna pas la tête pour m’observer. La majesté de son port était des plus
royales, mais ce n’était rien en comparaison de sa suite, debout derrière lui : cette vision me fit croire que
j’étais transporté dans un autre monde. Le Sultan, assis, observait immobile le Cadeau en face de lui, tandis
que je me tenais là, ébloui par les quatre cents personnes derrière lui. Parmi eux, deux cents étaient ses
pages principaux, les plus jeunes avaient seize ans, d’autres vingt, et certains trente ans. Ils étaient vêtus de
manteaux leur tombant aux mollets, et coiffés de bonnets assortis en tissu lamé d’or. De longues bandes
de soie leur ceignaient la taille. Des bottes rouges en cuir de Cordoue leur montaient jusqu’aux genoux.
À l’exception d’une mèche de cheveux coincée derrière une oreille, telle une queue d’écureuil, leur crâne
était entièrement rasé. En dépit de leurs joues glabres, ils conservaient toutefois une moustache. C’étaient
tous des hommes de fort belle apparence, tous chrétiens de naissance. Une centaine d’autres pages étaient
sourds-muets. Ils étaient richement vêtus aussi d’étoffes dorées et portaient des bottes cordouanes. Mais
leurs bonnets étaient faits d’un velours violet, aux rebords garnis de cinq pointes, et comme surmontés
d’une bouteille en cuir. Certains portaient des faucons sur leur poing. Les cents pages restants étaient
tous des nains – des hommes au corps puissant mais petit. Chaque nain, vêtu d’or également, portait au
côté un cimeterre. Je fus émerveillé par les sourds-muets, car ils communiquaient à l’aide de signes très
exactement ce qu’ils avaient vu le Cadeau exécuter.
Je regardais ce spectacle grandiose presque un quart d’heure. J’ouis le Sultan s’adresser au Kapi Aga, qui
était à côté de lui. Celui-ci vint me voir, m’ôta ma cape et la déposa sur le tapis. Il me dit que je devais jouer
l’orgue. Je refusais, cependant, car le Sultan était assis si près de là où je devais me tenir pour jouer que je
ne pourrais pas éviter de lui tourner le dos et d’effleurer son genou avec l’étoffe de ma culotte, ce que nul
n’avait le droit de faire à l’exception du Kapi Aga, sous peine d’y laisser la vie. Il me sourit et me fit attendre
un instant. Puis le Sultan parla à nouveau, et le Kapi Aga, d’un air guilleret, m’enjoignit de prendre mon
courage à deux mains et me poussa dans la direction de l’orgue. Quand j’approchai du Sultan, je m’inclinai
jusqu’à ses genoux, sans faire tomber mon bonnet, lui tournai le dos et effleurai son genou avec ma culotte.
Il était assis sur un trône richement décoré. Son pouce était orné d’un diamant carré d’un demi-pouce,
à son flanc pendait un magnifique cimeterre, un arc et un carquois rempli de flèches. Étant assis derrière
moi, il ne pouvait pas voir ce que je faisais. Il se leva, et le Kapi Aga déplaça son siège de côté pour qu’il eût
le loisir de voir mes mains. Lorsque le Sultan se leva, il ne put éviter de me pousser en avant, car il était assis
vraiment très près. Je m’imaginai qu’il était en train de tirer son épée pour me couper la tête.
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Je me tins là, jouant jusqu’à ce que l’horloge sonnât à nouveau. Je saluai
alors aussi bas que possible, et m’éloignai en lui tournant le dos. Alors que je
ramassais ma cape, le Kapi Aga s’avança vers moi, et me dit de rester là où
j’étais, en laissant ma cape par terre. Après un moment il me demanda d’aller
poser le couvercle sur le clavier. Je m’approchai alors à nouveau du Sultan,
saluai puis retournai, à reculons cette fois-ci, vers ma cape. À cette vue, tous
rirent. Je vis le Sultan tendre une main pleine d’or, que le Kapi Aga prit et me
donna. Il y avait là quarante-cinq sequins, soit plus de deux cents livres. Je fus
escorté vers la porte où l’on m’avait fait entrer, pas peu fier de mon succès.
Le bal
> 2 octobre
L’ambassadeur a donné un dîner à bord de notre navire, et y a convié l’ambassadeur de Venise, et quelques Turcs.
Anthony Holborne
(ca. 1545 - 1602)
The Fruit of Love
The Honey-Suckle
Le harem
> 12 octobre
Vendredi. Je fus invité au Sérail, ainsi que les dimanche et lundi qui suivirent,
sans autre raison que d’aller y admirer les chambres privées du Sultan, son or
et son argent, et ses trônes. La personne qui m’avait invité m’y fit même m’y
asseoir, et tira de son fourreau l’épée avec laquelle il couronne ses rois. Lorsqu’il
m’eut montré bien d’autres choses, que j’admirai, nous traversâmes une petite
cour carrée pavée de marbre. Il attira mon attention vers une grille encastrée
dans un mur, mais me signifia en gesticulant qu’il ne pouvait pas s’en approcher
lui-même. Le mur était fort épais et garni de lourdes grilles de fer de part et
d’autre. À travers, je vis trente des concubines du Sultan jouer au ballon dans
une cour. Je crus tout d’abord que c’étaient de jeunes hommes, mais lorsque
je vis leurs cheveux pendre en tresses dans leur dos, ornés de petites perles et
d’autres parures, je compris que c’étaient des femmes, et des plus jolies. Elles
étaient coiffées de petites toques en tissu lamé d’or. Leurs cous étaient parés
de beaux colliers de perles, et de joyaux, et leurs oreilles de boucles en pierres
précieuses. Elles portaient des manteaux flottants, comme ceux de soldats, faits
de satin rouge ou bleu, fermés par un cordon de couleur contrastée. On voyait
la peau de leurs cuisses au travers du pantalon de cotonnade qui s’arrêtait au
dessus du mollet : elle était d’une blancheur neigeuse et d’un grain aussi fin que
de la mousseline. Certaines d’entre elles portaient des bottes hautes en cuir de
Cordoue, d’autres allaient jambes nues, les chevilles ornées d’un bracelet d’or,
chaussées de chopines de velours d’une hauteur de quatre ou cinq pouces.
Anthony Holborne
(ca. 1545 - 1602)
Hermoza
Muy Linda
Sehzâde Korkut
(1467 - 1513)
Kürdi peşrev
John Dowland
(1563 - 1626)
Can she excuse my
wrongs
8
Je restai si longtemps à les regarder que le janissaire qui me faisait visiter les
lieux finit par perdre patience. Il semblait en colère, frappant le sol du pied pour
me signaler que je devais m’éloigner, ce qu’il me coûta fort de faire, car la scène
était ravissante. Nous retournâmes là où j’avais laissé mon interprète et je lui
racontai que j’avais vu trente des concubines du Sultan. Il me conseilla de n’en
point parler, pour ne pas risquer que l’un des Turcs l’apprenne : l’homme qui me
les avait montrées aurait alors risqué d’y perdre la vie. Le janissaire n’aurait pas
osé les regarder lui-même. Quoique je les eusse observées longuement, elles
n’avaient pas semblé me voir, ni ne s’étaient penchées au dessus des grilles.
Si elles m’avaient vu, nul doute qu’elles fussent toutes venues me regarder, et
eussent été étonnées tout autant de me voir, que moi elles.
(Traduction du texte de Thomas Dallam : Claire Berget)
Acemler
Hem kamer hem zühre
vü hem müşterî der
âsüman
John Dowland
(1563 - 1626)
Now, o now, my needs
must part
L’ORGUE DU SULTAN TEXTES DE ŒUVRES ET TRADUCTIONS
Mecmûa-i Sâz ü Söz - Ey Seh-i melek Cefâ u cevr ile inletme beni
Ey Şeh-i melek Cefâ u cevr ile inletme beni
Ben garîbinim Senin Sen habîbimsin benim
Tir-i mujg.nın leşkerine hayli çiğnetme beni
Çeşmi tatarım ı fitnebâzım gel ağlatma beni
Dâima rah-ı belâda pâyimâl itme beni
Oh le plus grand des anges, ne me fait pas gémir par le tourment et l’oppression
Moi, je suis Ton misérable, Toi, tu es mon Ami
Ne me laisse pas me faire piétiner par les flèches de tes cils
Fille aux yeux tatares, celle qui me déroute, viens et ne me fait pas pleurer
Ne m’anéantit pas sur ces routes semées d’embûches
John Dowland (1563 - 1626) - Come Again
Come again,
Sweet love doth now invite.
Thy graces that refrain,
To do me due delight.
To see, to hear, to touch, to kiss, to die,
With thee again in sweetest sympathy.
Come again,
That I may cease to mourn.
Through thy unkind disdain,
For now left and forlorn.
I sit, I sigh, I weep, I faint, I die,
In deadly pain and endless misery.
Gentle love,
Draw forth thy wounding dart.
Thou canst not pierce her heart,
For I that to approve.
By sighs, and tears, more hot, than are, thy
shafts,
Did tempt while she for triumph laughs.
9
Reviens
Reviens
L’amour exquis invite
Les faveurs que tu me refuses
À satisfaire le plaisir qui m’est dû
À te contempler, te toucher, t’embrasser, et mourir
Avec toi dans la plus douce des harmonies.
Reviens
Que je puisse cesser de porter le deuil
Par ton cruel dédain
Car à présent abandonné et malheureux
Je reste assis à soupirer, à pleurer, je défaille et je meurs
Dans de terribles souffrances et dans une détresse
infinie.
Délicieux amour
Décoche ta flèche qui meurtrit
Tu ne pourras percer son coeur
Car je puis te le prouver
Par des soupirs et des larmes plus chaudes que tes
dards
J’ai essayé, mais elle a ri de son triomphe.
10
Derviş Frenk Mustafa - Seha zülfün beni divâne kildi
Compositeur anonyme - Kudumun rahmeti zevku safâdır ya resûlallah
Şehâ zulfun Beni divane kıldı
Gamın dil mulkumu virâne kıldı
Rûhum şem’aya yanıb gîce gunduz
Senin aşkın Beni pervâne kıldı
Kudumun rahmeti zevku safâdır ya resûlallah
Kudumun rahmeti zevku safâdır ya resûlallah
Zuhurun derdi uşşakda devadır ya resûlallah
Hudaîye şefâat kıl eger zahir eger batın
Kapına intisab etmiş gedadır ya resûlallah
Ô Maître, ta chevelure m’a rendu fou
La peine que tu m’as causée a anéanti l’ensemble de mes biens
Ton esprit brûle jour et nuit telle une bougie
Ton amour m’a métamorphosé en un papillon de nuit
La bénédiction de ton arrivée en ce monde est un plaisir et une réjouissance, Ô Messager de Dieu
Ton apparition en ce monde est un remède pour la peine des amoureux, Ô Messager de Dieu
Prie Hudayî et demande la miséricorde si tu veux accéder au monde visible et au monde caché
Celui qui s’est présenté à Ta porte est un derviche Ô Messager de Dieu
Mecmûa-i Sâz ü Söz - Eger sen kerem idib dirsen muanber kâkülüm vardir
Eğer sen kerem idib dirsen muanber kâkülüm vardır
Menim de dûdı- âhımdan başımda sünbülüm vardır
Sen açıldın gül açıldı gülistân cemalin içre
Gönül dirler menim de bir nevâkeş bülbülüm vardır
Sultan Murad IV (1612 - 1640) - Gelse nesîm-i subh ile müjde Seh-i bahârdan
Gelse nesîm-i subh ile mujde Șeh-i bahârdan
İtse halâs bulbul-i mihnet-i intizardan
İrdi Murâda sâki ya cûş- i hum-i le bu Murad
Kurtulamazmı dil dahi Keşmekeş-i humardan
Si tu as la bonté de me faire partager l’odeur ambrée de ta frange
Je serai brûlé par mon admiration mais la fumée qui enveloppera
ma tête aura une belle odeur de jacinthe
Quand tu t’es ouverte, une rose a éclot sur ton beau visage telle une roseraie
Alfonso Ferrabosco (1575 - 1628)
Hear me, O God!
A broken heart
Is my best part.
Use still thy rod,
That I may prove
Therein thy Love.
Écoute-moi, ô Dieu !
Un coeur brisé
Est mon meilleur choix.
Utilise toujours Ton bâton,
Que je puisse Te prouver
Mon Amour pour Toi.
If thou hadst not
Been stern to me,
But left me free,
I had forgot
Myself and thee.
Si Tu n’avais pas
Été sévère avec moi
ET m’avait laissé libre,
Je me serais oublié,
Moi et Toi.
For sin’s so sweet,
As minds ill-bent
Rarely repent,
Until they meet
Their punishment.
Car le péché est si doux,
Et les esprits mal tournés,
Rarement repentis,
Jusqu’à ce qu’ils rencontrent
Leur punition.
Si seulement le vent du matin pouvait amener la bonne nouvelle par la grandeur printanière
Qu’il sauve le rossignol qui souffre de l’attente
Le poète Sultan Murâd est parvenu à ce désir en buvant le vin qui bouillonne dans les jarres
Même son coeur ne peut se débarrasser de la confusion de l’ivresse
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John Dowland (1563 - 1626)
Can she excuse my wrongs
Peux-elle excuser mes maux
Can she excuse my wrongs with virtues cloak ? Peut-elle excuser mes maux par le manteau de la vertu?
Shall I call her good when she proves unkind
Puis-je l’appeler bonne quand elle se montre dure?
Are those clear fires which vanish into smoke ? Sont-ce des feux purs qui disparaissent en fumée?
Must I praise the leaves where no fruit I find? Dois-je admirer les feuilles, là où je ne trouve aucun fruit?
No, no, where shadows do for bodies stand,
Thou may’st be abus’d if thy sight be dim
Cold love is like two words written on sand,
Or two bubbles which on the water swim.
Non, non : là où les ombres remplacent les corps,
Tu peux être trompé si ta vue est faible
L’amour froid est comme des mots écrits sur le sable,
Ou deux bulles qui nagent sur l’eau.
With thou be thus abused still,
Seeing that she will right thee never
If thou canst not or come her will,
Thy love will be thus fruitless ever.
Seras-tu encore trompé plus longtemps
Voyant qu’elle ne te rendra jamais justice?
Si tu ne peux pas surmonter sa volonté
Ton amour sera ainsi stérile à jamais.
Was I so base that I might not aspire
Unto those high joys which she holds from me,
As they are high so high is my desire,
If she this denies what granted be.
Étais-je si vil, que je ne puisse aspirer
À ces joies élevées qu’elle tient éloignées de moi?
Car aussi hautes soient-elles, ainsi en est-il de mon désir
Si elle refuse ceci, que peut-il être admis?
If she will yield to that which reason is,
It is reasons will that love should be just,
Dear make me happy still by granting this
Or cut of delays if that die I must.
Si elle cède devant ceci, quelle est la raison même,
C’est la volonté de la raison que l’amour fût juste.
Chère, rends-moi heureux en m’accordant ceci,
Ou supprime toute attente si je dois mourir.
Better a thousand times to die
Than for to live thus still tormented,
Dear but remembered it was I
Who for thy fake did die contented.
Il vaut mieux en mourir mille fois
Plutôt que de vivre ainsi torturé :
Chère souviens-toi que c’était moi
Par égard pour toi, qui mourus contenté.
John Dowland (1563 - 1626)
Now, o now, I need must part
Now o now I need must part,
Parting though I absent mourn,
Absence can no joy impart,
Joy once fled cannot return.
While I live I needs must love,
Love lives not when hope is gone,
Now at last despair doth prove,
Love divided loveth none.
Sad despair doth drive me hence,
This despair unkindness sends.
If that parting be offence,
It is she which then offends.
Maintenant, ah maintenant, il me faut partir
Maintenant, ah maintenant, il me faut partir,
Bien que, partant, je déplore cette absence.
L’absence ne saurait sonner aucune joie,
La joie, une fois envolée, ne peut revenir.
Tant que je vis, il me faut aimer.
L’amour ne vit point là où l’espoir est parti
A présent enfin, le désespoir le prouve:
Séparé de son amour, personne ne peut aimer.
Le triste désespoir me chasse d’ici,
Désespoir amené par l’ingratitude,
Si ce départ est une offense,
Alors c’est elle qui la commet.
Dear if I do not return,
Love and I shall die together,
For my absence never mourn
Whom you might have joined ever :
Part we must though now I die,
Die I do to part with you,
Him despair doth cause to lie,
Who both lived and dieth true.
Sad despair doth drive me hence,
This despair unkindness sends,
If that parting be offence,
It is she which then offends.
Ma bien aimée, si je ne reviens pas,
L’amour et moi mourrons ensemble,
Ne t’afflige jamais de l’absence
De celui que tu aurais pu rendre heureux pour toujours :
Nous devons nous séparer, même si à présent je meurs,
Je meurs de te quitter,
Le désespoir fait mentir
Celui qui vécut et meurt fidèle
Le triste désespoir me chasse d’ici,
Désespoir amené par l’ingratitude,
Si ce départ est une offense,
Alors c’est elle qui la commet.
Acemler - Hem kamer hem zühre vü hem müşterî der âsüman
Hem kamer hem zühre vü hem müşteri der asüman
Arzu medendi mihahendi sazi bişnevend
Nağme-i uzzal-ü şehnaz-ü segâh-ü hem beyat
Rast ez nikriz-i ez şayed hicaz-i bişnevend
Le ciel rassemble la lune, l’étoile du berger et Jupiter
Qui désirent et souhaitent écouter les instruments
Qui jouent des mélodies en üzzal şehnaz, segâh, et beyati
Ils désirent écouter du nikriz au rast ou du hicaz
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