à sperme et à sang

Transcription

à sperme et à sang
Ciccu Sè
à sperme et à sang
Une foi virale
Réalité et fiction :
Lorsque, en 1994, J.S. Grimaldi m’a exposé son idée de roman, elle m’a séduit au point que nous avons travaillé ensemble
presque un an à la rédaction de ce Thriller d’anticipation.
Une fois le roman terminé, nous avons fait le tour des maisons
d’édition et déjà, à l’époque, nous avons été traités de racistes et de
fascistes par la moitié d’entre elles ; l’autre moitié craignaient
d’être accusées de racisme ou de fascisme si nous entrions dans
leurs catalogues. Après le 11 septembre 2001 : nouvelles tentatives
soldées par les identiques réactions des éditeurs.
Au vu des événements de 2015/2016, J.S. Grimaldi m’a appelé pour me dire : « Tu as vu, DAESH me pique mon scénario ! »
J’ai repris alors notre texte en l’époussetant à peine, en y introduisant des termes comme "taharrush gamea", "Califat", "Printemps arabe" ; j’ai pris en compte quelques évolutions
technologiques comme l’apparition des réseaux sociaux, etc. pour
le reste, tout a été écrit il y a plus de deux décennies.
Nous ne tirons aucune gloriole d’avoir vu venir, très en
avance, cette stratégie du viol collectif et de l’envahissement de
l’Europe par de longues colonnes de "migrants/réfugiés" ; au contraire, nous aurions préféré avoir eu tort et correspondre de fait à
ce que pensaient de nous tous les éditeurs qui ont eu la délicatesse
de nous répondre : deux "pauvres fous"…
Ce que vous tenez entre les mains n’est donc plus, à proprement parlé, un roman d’anticipation ; je crains que cela ne soit
devenu du journalisme d’investigation… à peine romancé.
§§§§
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Tout petit déjà
Il y a trois milliards d’années, on baignait littéralement dans la
soupe !
Mais les temps changent :
Vint le début de la faim ;
Celle qui justifie les moyens !
D'où l'alternative : s'adapter ou mourir !
Les adaptés mangent les morts.
Jusqu’à ce que ces réserves-là s’épuisent aussi,
Jusqu’à ce que le vivant se repaisse du vivant.
Tous les coups sont permis dans la Nature !
Pour survivre, il y a deux écoles :
Rester simple et passer entre les mailles,
Ou grandir en se complexifiant de plus en plus !
Moi, le V.I.H., j'ai choisi la première solution,
L’Homme, la seconde.
Deux extrêmes !
Et quand les extrêmes se rejoignent...
S'adapter ou mourir ?
1° Phase – Primo-infection
LA FOI D’AÏDA
Palais de l'imam Khalidi. (Nord-Est du Baï Buru)
L'intrusion de la technologie occidentale dans l'enceinte de
son palais perturbait d’ordinaire son sens de la pureté. Mais là,
Khalidi remercia Allah d’avoir permis qu’un hélicoptère évacue la
majeure partie des siens par les airs.
Le bruit des rotors se répercutait contre le pisé de ses remparts
alors que le souffle des pales ébouriffait déjà les lourdes branches
de la palmeraie nord. La mécanique s'éloignait rapidement ; Khalidi savait qu’Allah ferait revenir l’engin à temps pour le chercher
lui, sa fille et ses fidèles Youdouz, ainsi que le reste de ses biens.
Tout ce que l'imam tenait à sauver du pillage.
Par une meurtrière, Khalidi considéra la foule compacte. Un
mouvement qui convergeait par saccade vers ses contreforts. Le
soleil se levait à peine ; déjà, la chaleur trouble s'évaporait de la
terre ocre en limitant sa vue ; ce qu'il put distinguer dans cette luminosité horizontale de l’aube le rendit nerveux.
« Ma fille, je t'en prie ! », insista-t-il.
La piété d'Aïda nourrissait la fierté de Khalidi. En cette
époque tourmentée où la débauche côtoyait la foi la plus radicale,
où changer les valeurs devenait la règle, l'homme pieux pouvait
s'enorgueillir d'avoir un joyau de pureté au sein de sa demeure ;
c'était sa joie, son bonheur, la récompense d'une vie qu'il avait
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consacrée aux affaires - certes -, mais surtout à la plus grande
gloire du prophète.
« Aïda ! », appela-t-il plus sèchement au travers de la porte de
bois précieux.
Allah avait gâté Khalidi : il avait quatre femmes et neuf enfants ; cela seul aurait suffi à combler son existence d’homme de
bien, de bon musulman, d’imam consciencieux. Mais le plus beau
des cadeaux que la vie lui ait offerts résidait dans la piété sincère
de sa première fille. Aïda se comportait avec une justesse de ton et
d'attitude dont il enviait la simplicité. Cette enfant rayonnait
comme une prière permanente, une extase mystique des plus tranquilles, un bonheur de l'âme... Elle était comme un contact direct
avec l'au-delà.
« Ma fille, ma fille, le temps presse ! »
Une nuée de serviteurs paraient au plus pressé, portait les derniers sacs contenant l'or et les joyaux vers le toit-terrasse où viendrait atterrir l'engin. On allait enfin procéder à cette ultime navette
entre le palais et l'aéroport frontalier. Là-bas, un jet privé attendait
l'imam avec le reste de sa famille déjà installé à bord.
« Aïda ! »
Le ton se fit plus dur encore, plus impératif, plus haut perché.
Il fut confus un instant. Coupable de se sentir confus aussi. Cette
enfant lui en imposait par la ferveur évidente de sa foi. Jamais
Khalidi ne s'en était laissé imposer par quiconque, jamais ! Jusqu'au jour où, sorti vainqueur d'une transaction difficile sur le
manganèse, il s'offrit le luxe de choyer les siens plus que de raison ; il leur demanda de choisir pour chacun d'eux le présent le
plus merveilleux : l'une voulut une rivière de diamants, un de ses
fils désira un train grandeur nature, encore un autre toutes ses vedettes préférées en concert exclusif. Des caprices qu'il se fit un
plaisir de satisfaire. Lorsqu'il posa la question à Aïda, la réponse
vint simplement, sans hésitation, fraîche comme le vent du matin
dans des rideaux de soie :
« Une salle de prière !
– Notre mosquée ne te suffit-elle pas ?
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– Bien sûr père, elle me comblerait toute la vie, mais ne me
demandez-vous pas d'émettre un caprice ?
– Et c'est là ton désir le plus fou ?
– Je n'en vois pas d'autres ! » Avait-elle répondu avec ce ton
enjoué dans lequel semblait naître un petit rire heureux dont seul
aurait pu témoigner son litham.
Elle avait parlé longuement avec l'architecte, le Coran à la
main, lui avait demandé de bâtir sa pièce suivant un axe médian
bien précis afin qu'elle puisse prier naturellement face à la
Mecque ; elle désirait occuper le point central d'un récepteur mystique ! Ce fut là le caprice le plus bouleversant auquel l'imam Khalidi n'ait jamais été confronté !
« Aïda, par le prophète, presse-toi !
– Père, ne vous inquiétez pas, tout va bien ! »
Dans la panique générale qui secouait le palais, d’elle seule
pouvait émaner une telle certitude. Mais c'était justement cela qui,
en cette minute, l'inquiétait plus que tout... Dans ce monde de folie, elle symbolisait la seule pureté, la seule vérité, le seul havre de
cohérence vers lequel il pouvait se tourner avec bonheur. Il savait
que, du centre de sa salle de prière, elle ne pouvait entendre ni la
foule qui se rassemblait dangereusement autour du palais ni le
vrombissement de l'hélicoptère qui, depuis l'aube, vidait l'endroit
de ses habitants.
« Aïda ! Il faut venir ! Ne m'oblige pas à faire casser ta porte ;
je sais que tu m'entends ; obéis à ton père, pour l'amour du prophète ! »
Le centre de sa pièce circulaire : un endroit inquiétant... Lorsqu'il s'en était ouvert à l'architecte, celui-ci lui avait parlé de focalisation, de champs magnétiques résultants, bref, d'un
fait "hasardeux", une conjonction de forces telles qu'on entendait
résonner sa propre voix comme "un écho intérieur" au point précis
où sa fille priait. Un lieu des plus dénudés : aucun décor, rien
qu'une pureté de lignes due aux volumes de la petite pièce. Ceuxci, comme une parabole, concentraient en un endroit particulier
une sensation agréable de "vibration profonde". Aïda avait sim-
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plement souri lorsque son père lui avait fait part d'un étonnement
inquiet.
« Maître, maître ! Ils ont enfoncé la porte de l'écurie ! Ils arrivent ! »
L'imam ne courut pas. Ne regretta pas d'être en djellaba. Le
ralenti que cette tenue imposait à sa démarche lui conférait une
prestance à ses propres yeux dont il ne se serait séparé pour rien au
monde. Malgré sa retenue, c’est en nage qu’il atteignit la première
baie d’où il surplombait la place. Là, il vit une scène qui le laissa
interdit. Comment comprendre ? Tout était trop calme : la foule ne
courait pas, ne paniquait pas ; cela ne ressemblait en rien aux révoltes auxquelles lui et ses pairs étaient rompus depuis des siècles.
La logique de la répression se nourrissait de mouvements de rébellion alternant avec des démonstrations de force. Une régulation de
l'insupportable dont lui et les siens sortaient immanquablement
vainqueurs. Opérer un retrait stratégique dès les premières émeutes
puis revenir en force quand ça se calmait pour reprendre les rênes ;
exécuter les meneurs, laisser suffisamment d'hommes valides pour
redémarrer la machine économique ; tels étaient les principes de
base de l'exploitation de la misère. Au fond, gouverner ces gens lui
semblait n'être qu'une gestion de stock un peu particulière. Mais
cette fois, instinctivement, il sentit que cela n'avait rien à voir avec
ce qu'il avait toujours connu : on entendait bien le crépitement des
Uzi, les rafales courtes des Kalachnikovs, mais il manquait le principal...
Autour de lui, ses fidèles serviteurs, tous de la tribu des Youdouz (animistes comme la plupart des habitants de la région), se
mettaient en position, se déployaient comme à l'exercice, fauchaient la foule à l'arme automatique orchestrant en chœur le prélude d’un massacre classique. Il y avait bien l'odeur de la poudre,
le bruit aigu des balles qui ricochent, la présence aigre de la sudation de ses hommes qui réveillait les insectes dans la chaleur crâne
du matin… Khalidi percevait l’excitation jubilatoire de sa meute
en pleine curée tout en faisant mentalement l’inventaire des ingrédients habituels de ce genre de ballet macabre : morts entassés
dans des postures grotesques, sang rapidement séché par le soleil
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ou bu par la Terre ; nuées de mouches agaçantes ; ordres brefs
aboyés par les chefs ; empressement des soldats dans la poussière...
Alors quoi ?
L'hélicoptère n'était plus qu'un point à l'horizon. « Il devrait
être en vue de l'aéroport à présent ; le temps d'atterrir, de décharger
son fret, disons, quarante minutes, puis le retour... », calculait
l'imam. Sans qu'il ait eu besoin de s'exprimer, Khalidi fut entouré
de sa garde rapprochée. Quatre Youdouz firent écran de leurs
corps puissants en suivant, comme une seconde peau, ses moindres
mouvements. D'un geste brusque il en écarta deux qui l'empêchaient d'observer la cour intérieure. Il fallait qu'il comprenne
pourquoi le tableau n'était pas parfait.
« Maître, maître, il faut dégager par le toit ! Le pria Jaadi, le
chef de sa garde.
– D'abord Aïda ! Va la chercher jusque dans sa retraite !
Casse la porte s'il le faut ! Débrouille-toi pour la faire monter sur la
terrasse ! Fissa ! »
Jaadi prit peur. Voilà un honneur dont il se serait volontiers
passé ! Si la jeune femme refusait de le suivre comment ferait-il
pour obéir à son maître sans la toucher, sans la forcer ? L'incompatibilité entre urgence et interdit le paniquait. Obéissant, il courut
jusqu'à la salle de prière alors que l'imam se penchait par-dessus le
parapet pour mieux comprendre ce qui poussait la foule à affluer
tranquillement vers le lieu du carnage comme une nuée de sauterelles atterrissant sur des récoltes !
Des sauterelles ! ! !
Bien sûr ! ! !
Si les sauterelles représentent un tel fléau, c'est parce que rien
ne fait paniquer l’orthoptère. Ça se pose, ça mange, puis décolle
pour à nouveau manger plus loin. Cet animal ignore la peur, moteur essentiel des groupes humains. Un levier avec lequel on actionne les masses, on les gouverne… La peur, la meilleure alliée
du seigneur ! Or là, justement, cette foule ne paniquait pas devant
les armes.
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« Ces hommes n'ont pas peur de mourir ! » Pensa-t-il tout
haut avec une soudaine angoisse.
De véritables zombis humains affluaient de toutes parts. Ceux
entrés en premier allaient ouvrir les portes barricadées de l'intérieur ; ils s'y rendaient directement, sans se tenir à couvert et, s'ils
étaient fauchés, d'autres arrivaient derrière pour débloquer les issues, permettre à la masse squelettique d’investir l’enceinte. Par
chaque passage, la foule dégoulinait, improbable fluide vomit par
le désert brûlant, écrasant les parterres de fleurs, mêlant les remugles de leurs corps malades aux parfums délicats des plantes
précieuses. Des pieds striés de plaies purulentes bousculaient les
végétaux rares disposés géométriquement autour de beaux bassins
de granit évidé. Ces bassins circulaires qu’agrémentaient des cascades d’eau fraîches furent aussitôt asséchés par la grande,
l’incommensurable soif de leurs gorges arides. Le sang, la cervelle
et les viscères des hommes, des femmes et de ces si nombreux
enfants fauchés par la mitraille, vinrent détruire l’harmonie tant
étudiée des nénuphars. Malgré l’application certaine dont faisaient
preuve les Youdouz dans l’utilisation de leurs matériels guerriers,
dix assaillants semblaient surgir spontanément derrière chaque
mort tombé. De pauvres hères se dirigeaient tous inexorablement
vers la terre battue du centre du palais et là, une fois en place, s'asseyaient simplement, se posaient sur le sol comme pour attendre
l'ouverture d'un marché ou le début d'une cérémonie. Ils restaient
en plein tir croisé d'armes automatiques comme à la pause de midi,
se faisaient tuer comme par inadvertance, sans panique, sans peur,
sans cris.
C'était ça qui manquait : les cris !
Les cris des enfants apeurés, des femmes horrifiées, des
hommes condamnés : les cris humains... Il n'y avait pas de cris
humains ! Des râles d'agonie oui, mais pas de protestations contre
le sort, contre l'injustice, contre l'ennemi ou contre Dieu... Tout
cela devait avoir un sens, mais lequel ?
Tout à coup, l'imam perçut derrière lui le surnom que les paysans lui donnaient : « Titombou’mi ! » Il se retourna, vit au-dessus
de lui un homme maigre qui avait réussi à grimper sur les toits. Le
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pauvre gars était armé d'un revolver ramassé dans la confusion,
l'arme tournée vers sa propre tempe ; souriant, il pressa sur la détente au moment où, à l'unisson, tiraient les Youdouz de la garde.
Tant il était léger, le corps tomba sur une verrière sans même fêler
un carreau puis rebondit dans le patio. En le retournant avec précaution, l'imam Khalidi fut d’un coup terrassé par l’évidence : cet
homme n’avait jamais eu le moindre désir de l’assassiner ! Cet
homme s'était tué avant que les balles de ses gardes ne l'aient atteint ! Un suicide ! C’était l’incohérence de sa démarche qui avait
réussi à déjouer la vigilance des Youdouz ! Ces derniers savaient
repérer les intentions criminelles, mais se trouvaient démunis devant les drames psychologiques… À l’instar de ce nomade, tous
les miséreux de la région venaient se suicider chez lui... Or rien
n'arrête une foule suicidaire, rien ! Elle est comme un fleuve en
furie, une lame de fond, un tsunami d’imprévisibilité !
Il fallait déguerpir en vitesse...
« Aïda ! Où est-elle ? » Cria-t-il aux soldats, au ciel et à luimême au moment où le chef de la garde revenait haletant pour
annoncer que la porte de la petite salle de prière était ouverte, la
jeune femme introuvable ! « Noooon ! Pas elle ! » Supplia le père.
Suivi de ces hommes, il courut du mieux qu’il put, trouva la pièce
vide puis partit dans les couloirs. Des déflagrations ébranlèrent le
lieu ; les Youdouz utilisaient des grenades défensives maintenant ;
la situation s'aggravait, il fallait faire vite ! Mais où donc était
Aïda ?
L'imam envoya bouler ses gardes, les injuria, les frappa à
coups de cravache puis leur ordonna de se séparer pour retrouver,
coûte que coûte, son joyau, sa perle unique, sa précieuse pucelle de
fille. La simple supposition de sa perte le rendait fou furieux. Sa
milice se dispersa dans tous les couloirs, tous les recoins de l'immense demeure. L'imam Khalidi, anxieux, inspectait l'extérieur.
Il se tenait posté derrière un moucharabieh lorsqu’il vit le plus
incroyable, le plus fascinant, abominable et terrifiant spectacle
qu'un seigneur n'ait jamais pu contempler sous la chaleur trouble
du soleil africain : plusieurs paysans plus morts que vifs, maigres à
un point difficilement imaginable, la plupart purulents, constellés
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de furoncles suintants, escaladaient maintenant un poste de garde
tenu par deux soldats armés jusqu'aux dents qui essayaient à coup
de fusil mitrailleur, de revolvers vite déchargés, puis, enfin, à coup
de dagues, de repousser le flot sans cesse grossissant de ces malheureux qui semblaient venir délibérément s'empaler sur les lames.
On aurait dit deux grosses fourmis noires attaquées par une myriade de petites ouvrières teigneuses. Ce qu'exprimait le visage des
Youdouz, jamais l'imam ne l'avait vu : c'était eux les victimes, eux
qui étaient contraints de tuer ! Leur empressement évoquait deux
barmans assaillis par une foule de supporters assoiffés en fin de
match ; mais c’était la mort que cette grappe humaine venait réclamer comme un dû ! Contrairement à ce qu’il eut été normal
d’observer, lorsqu'une main dépassait du groupe pour atteindre les
gardes ce n'était pas pour arracher, pincer, tordre, ce n'était pas
pour agresser comme dans un lynchage, non ! C'était pour exiger
qu'on ne l'oubliât point.
Ce qui se déroulait sous les yeux de l'imam n'avait pas de
sens ! ! !
L'hélicoptère revint enfin de l'aéroport. Khalidi se jura de faire
fouetter le pilote pour avoir tant tardé. Il le ferait dès que possible,
dès que cette folie ne serait plus qu'un mauvais souvenir...
Pour l'heure, le gros engin arrivait dans un vacarme grandissant, quelques minutes et il se poserait là, à quelques mètres. Khalidi savait que plusieurs caisses de grenades avaient été
entreposées dans chacun des postes au-dessus desquels volerait
l'hélicoptère. Qu'allait-il se passer si cette marée humaine s'en
apercevait ? En jetterait-elle vers le cockpit, vers le palais, vers lui
et Aïda ? Comme pour répondre à son angoissante question, il remarqua une femme dont le visage squelettique rendait dérisoires
les vestiges de parures qu'elle portait autour du cou, pendues à ses
oreilles ou ficelées maladroitement au souvenir de sa chevelure ;
elle se pencha lentement vers un enfant qui, à ses pieds, semblait
jouer à la poupée avec un de ces engins de mort. Il y eut quelques
gestes complices entre eux deux puis elle se releva comme étrangère au tumulte qui l'entourait, une grenade dans la main ! Avec
effroi l'imam la vit essayer de tirer sur la goupille sans succès, de-
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mander à son voisin immédiat de l'aider, ce qu'il fit sans se presser ; on aurait pu imaginer un sourire de bienvenue sur son visage
comme s'il s'acquittait là du plus cordial des services de bon voisinage. Ils défirent la goupille puis rendirent l’objet à l’enfant qui
trônait... Sur une caisse...
La déflagration hacha brutalement des dizaines de corps, ouvrit un passage béant dans les remparts, explosa la verrerie de l'aile
sud du palais, envoya dinguer la machine volante comme un dérisoire coléoptère intoxiqué et stoppa net les événements…
Abasourdi – refusant d’admettre que sa vie s’arrêterait là, aujourd’hui, sous l’ironie rose d’un soleil souverain – ce que vit Khalidi au moment où il redressa la tête le bouleversa bien plus que les
horreurs auxquelles il venait d'assister : au travers du nuage de
poussière qui recouvrait choses brisées, chairs broyées et vagues
survivants suffocants, il distingua sa fille ! La sienne ! Sa perle
pure, unique, cristalline, blanche, divine : son Aïda traversait, immaculée, scintillante, la foule sous le choc pour en occuper le
centre...
L'air manqua soudain à Khalidi, il se sentit défaillir pour la
toute première fois de son existence de nanti, se ressaisit tout de
même, puis dévala les marches à la vitesse optimale que sa tenue
traditionnelle lui permettait. Arrivé dans la cour, il voulut fendre la
masse humaine pour rejoindre la plus précieuse de ses richesses,
l'extirper de cette fange putride encore hébétée par la déflagration.
Mais, comme dans un cauchemar, il fut retenu dans sa progression,
dans ses gestes, par des corps fragiles et cassants qu'il peinait à
écarter. Tous étaient tournés vers la jeune femme qu’un caftan de
soie blanche légèrement agrémentée de fil d'or étincelant de soleil
rendait irréelle dans cette enceinte brûlante où les vivants s'étaient
résignés, les morts entassés, la poussière déposée, le temps arrêté.
L'imam habitué à être obéi dès qu'il émettait le moindre ordre
sec resta sans voix lorsqu'il la vit dénouer son litham, le laisser
glisser à terre, puis pivoter lentement sur elle-même en offrant à
chacun le spectacle de son visage d'où émanait une douceur, une
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bonté, un rayonnement de paix et de confiance. Cet acte, si simple
en apparence, était inimaginable : Aïda, jeune vierge musulmane,
ne pouvait retirer son voile que devant son époux le soir de leur
noce. Cet acte symbolisait l'offrande de sa virginité. Elle se donnait à la foule ! Instinctivement, tous saisirent l'extraordinaire et se
courbèrent au pied de la jeune femme. Plus un son se fit entendre,
même les gardes observaient la scène étrange sans ciller. Elle se
tint droite, calme au mitan des miséreux. Lentement elle ouvrit les
bras et, le visage heureux, comme illuminée de bonheur, rayonnante d'humanité, resta ainsi, accueillante, offerte à la horde venue
assiéger le palais.
Une femme se détacha des premiers rangs et osa la toucher de
ses doigts tremblants... « Tu es belle ! » Lui dit-elle. Il n'y avait
aucune haine, aucune jalousie dans cette voix, rien qu'une simple
constatation.
« Tu es belle aussi ! » Répondit Aïda avec une sincérité que
rien ni personne n'aurait pu mettre en doute à cet instant.
« Oh non ! Moi morte ! Moi sida ! répondit la paysanne. Mourir pour toi... Toi Aïda, fille de mon Titombou’mi vénéré : moi
donner ma mort! »
Aïda la regarda intensément, lui sourit encore, puis tourna sur
elle-même avec la lenteur gracile d'une ombre de roseau.
« Oui... dit-elle : vous êtes tous venus mourir ici comme un
dernier hommage à mon père… et à travers lui au père de mon
père à qui vos aïeux vouaient déjà leurs vies ! En mourant ici, vous
les honorez ! »
Khalidi fut subjugué… Elle donnait la réponse à sa question… Elle avait saisi l’inconcevable !
Elle dit encore à haute et intelligible voix :
« En agissant ainsi avec dévotion envers votre seigneur, vous
venez honorer vos morts ! Vous êtes la fierté de vos ancêtres ! »
« Vous êtes des élus de Dieu ! »
Ce dernier mot trouva une résonance sourde contre les arches
de pisé que la chaleur absorbait.
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Le silence brûlant du désert proche reprit ses droits, jusqu’à ce
qu’un homme fourbu, cassé, brisé par la maladie, expose doucement :
« Tu parles haut et bien clair ! Tu es jeune ! Fille de maître !
La vie est devant toi ! Nous, nous n'avons plus que la mort ! Nous
venons mourir ici ! Nous ne demandons rien ! Nous ne sommes
rien !
– Tu te trompes, homme du désert ! Dieu te voit et t'entend !
Tu es sa création ! »
Puis, se tournant vers la foule, elle déclara :
"Vous avez été touchés par Dieu !"
"Vous portez en vous la preuve que le Très-Haut vous a
choisis pour aller le rejoindre... Une mort lente laisse encore
aux indécis ce temps indispensable à la rencontre de la vraie
foi !"
"C'est la chance qui vous est offerte ! En agissant comme
vous le faites, c'est vers Dieu lui-même que vous vous
tournez !"
"Il y a plus de foi dans le plus humble d'entre vous que dans
ce que je ne pourrai jamais atteindre par mes prières..."
Et, sincèrement bouleversée, elle reprit :
"Comme je vous envie ! Comme je vous envie ! ! !"
L'imam fut médusé ! Il était subjugué par la foi, l'immense leçon de foi que sa propre fille lui donnait !
Les assaillants restaient également interdits devant Aïda.
L'état de grâce régnait dans le palais. L'iman se ressaisit. C’était le
moment ou jamais. Il fallait la prendre et l’emmener, maintenant !
Mais... lorsqu’il la vit s’avancer... Saisir un couteau au ceinturon d'un berger... Qu'il la vit se diriger vers la jeune femme et dégager le bras gauche de celle-ci... Quand il la vit entailler
profondément, posément, d'abord sa propre chair puis, avec la
même application, le bras maigre de la mourante... Il resta incrédule... C'est juste au moment où elle colla sa plaie ouverte contre
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celle de la moribonde, bras contre bras, sang contre sang, que
l'imam hurla.
Il hurla sa souffrance !
Mais son cri fut perdu dans la clameur de la foule ranimée.
Cette foule, venue offrir son dernier souffle comme un présent
macabre, cette foule reprenait tout à coup espoir d'une façon insensée en voyant cette jeune femme pure, immaculée, rayonnante de
vie dans la fournaise sans appel qu’un ciel limpide imposait, accueillir en elle cette bannière de leur détresse : le germe de la pire
des morts lentes...
Fin de la première séquence.
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