Qu`est-ce que la biologie de synthèse

Transcription

Qu`est-ce que la biologie de synthèse
Qu’est-ce que la biologie de synthèse ?
La confusion permet à Ecover de jouer sur les mots
La biologie de synthèse attire l’attention et des scientifiques et des
organismes de réglementation. Mais il y a peu de terrain d’entente sur ce
dont on parle. Peut-on trouver une sortie de l’impasse dans laquelle se
trouve la définition de la biologie de synthèse ?
Il semblait vraiment perdu. Un éminent scientifique et délégué aux Nations-­‐Unis trébuchait sur la signification d’un terme qui avait été l’objet de récents débats internationaux : « biologie de synthèse ». Souvent appelé « génie génétique extrême », la biologie de synthèse fait habituellement référence aux nouvelles techniques de génie génétique qui permettent aux techniciens un contrôle précis du génome d’un organisme. Mais ce n’est pas si simple. « Cela fait plusieurs années que j’ai débattu et souligné l’importance d’évaluer la biologie de synthèse », explique-­‐t-­‐il lors des négociations scientifiques de la Convention des Nations-­‐Unies sur la biodiversité (SBSTTA18) à Montréal. « Et aujourd’hui, je me retrouve, moi-­‐même, à ne plus être sûr de ce que cela veut même dire ». Le même jour, Ecover, le fabricant « vert » de détergents pour lessive répondait à une campagne lancée par des associations écologistes et de consommateurs, qui demandait à cette entreprise de cesser d’utiliser de l’huile d’algues, produite à partir d’organismes modifiés par biologie de synthèse. Ecover qui, quelques semaines auparavant, avait été signalé par le New York Times comme étant la première marque à utiliser ouvertement des ingrédients obtenus par biologie synthétique, rejette maintenant catégoriquement de telles affirmations. Dans l’article du New York Times et dans de précédents échanges, l’entreprise ne semblait pas être gênée d’utiliser le terme de « biologie de synthèse » pour décrire son nouvel ingrédient. Après des dizaines de milliers de commentaires furieux et de signatures de pétition de la part de citoyens, l’entreprise a changé d’opinion. Mais au lieu de retirer l’ingrédient incriminé, elle a décidé de redéfinir… la définition. Selon la réponse d’Ecover, « La biologie de synthèse est le processus qui permet de créer de l’ADN de toutes pièces ou d’insérer de l’ADN fabriqué par l’Humain dans un organisme ». Une fois cette nouvelle définition étroite posée, Ecover concluait que « les allégations comme quoi nous utilisons la biologie synthétique sont fausses ». Les partisans de la biologie de synthèse dans le monde des affaires furent surpris. Maxx Chatsko du groupe commercial SynBioBeta répliquait « Les huiles [qu’ Ecover] obtient de Solazyme sont très certainement obtenues par biologie de synthèse ». Chatsko prévenait Ecover que la firme ne pouvait gagner sur les deux tableaux : « Cela pourrait se retourner contre eux, si les consommateurs ont l’impression qu’on leur ment ou s’ils demandent pourquoi Ecover jongle avec les définitions ». Ecover brouille les cartes, mais n’a pas créé la confusion dont la firme profite. Une étude récente identifiait 35 définitions différentes de la biologie de synthèse. Les documents préparés pour la Convention sur la Biodiversité le mois dernier repéraient des techniques spécifiques de la biologie de synthèse comme « l’évolution dirigée », le « génie métabolique », alors que d’autres scientifiques indiquaient de nouvelles techniques de manipulation épigénétiques et de l’ARN, qui n’interviennent pas du tout sur l’ADN. Les délégués se référaient à la biologie de synthèse comme à une « corbeille » de techniques variées et évoluant rapidement. Todd Kuiken du Woodrow Wilson Centre faisait remarquer qu’il y a deux ans, de nombreux scientifiques adoptaient l’approche appelée Gibson assembly (une méthode qui permet d’assembler facilement de multiples fragments d’ADN), alors que cette année, l’engouement est grand pour le CRISPR, une méthode d’édition du génome. L’an prochain, ce sera autre chose (La définition d’Ecover inclurait la technique « Gibson assembly » mais exclurait le CRISPR). La voie vers une définition commune de la biologie de synthèse est pavée de querelles. Il y a quatre ans, le président de la commission d’enquête présidentielle faisait remarquer que si vous mettez 5 biologistes autour d’une table, vous obtiendrez 6 définitions. En réponse à ce mot d’esprit, Drew Endy, reconnu pour ses travaux en biologie de synthèse, conseillait à la commission de « ne pas trop s’inquiéter à ce sujet », citant des tentatives précédentes qui s’achevèrent sur un sentiment de frustration. Un groupe de chercheurs, au moins, a décidé de définir la biologie de synthèse de façon pragmatique, comme étant « ce que les biologistes de synthèse font ». Mais à un moment où les produits issus de la biologie de synthèse pénètrent le marché, ni une tautologie, ni l’approche « ne pas s’inquiéter » peut aider les gouvernements qui prennent conscience que la biologie de synthèse doit être règlementée, évaluée et contrôlée. De plus en plus, la stratégie des industriels est de tout simplement en finir avec l’étiquetage de la biologie de synthèse. Lors d’une réunion sur la stratégie de relations publiques à San Francisco en mai, les représentants des entreprises de biologie de synthèse s’accordaient sur le fait que le terme « biologie de synthèse » repousse les consommateurs. Ils décidèrent qu’il valait mieux qualifier leurs productions de « dérivées de fermentation » ou d’« identique au produit naturel ». Solazyme, la firme qui fournit l’huile d’algues à Ecover, me confiait il y a quelques mois qu’ils avaient abandonné dans leur communication, toute référence à la « biologie de synthèse » vers 2009. Auparavant, leur site internet et leurs communiqués de presse déclaraient fièrement qu’ils étaient une « entreprise de biologie de synthèse »1. Avant 2009, Solazyme dévoilait aussi certains détails techniques de sa « plateforme »2, ce qui permettait d’évaluer exactement comment la firme bricolait avec la vie. Aujourd’hui, on ne trouve que des formules alambiquées comme « souches optimisées » ou « travail sur les voies naturelles de production d’huiles ». Dans une déclaration récente, Ecover concédait que son huile d’algues est modifiée génétiquement, mais en même temps affirmait qu’il s’agissait « juste d’une fermentation à l’ancienne ». Solazyme fournit quelques informations aux autorités de réglementation, mais pas au public. Le « Centre for Food Safety » a essayé récemment d’obtenir des informations sur les microbes de Solazyme et n’a reçu qu’un document de 150 pages de texte entièrement noirci, pour des raisons de confidentialité des informations commerciales. Sans une définition de ce qu’est la biologie de synthèse et sans information sur ce que font les entreprises de biologie de synthèse, la biologie de synthèse apparaît être un terme vide pour collecter des fonds, plutôt qu’une technologie. Mais malgré ces difficultés, on peut sortir la définition de l’impasse. Un groupe d’experts de la Commission 1 https://web.archive.org/web/20090209011021/http://solazyme.com/ http://multivu.prnewswire.com/mnr/solazyme/30888/ 2 http://web.archive.org/web/20090414230947/http://solazyme.com/research-­‐methods.shtml européenne vient juste de publier une tentative en 40 pages de « définition opérationnelle » de la biologie de synthèse, ouverte aux commentaires. L’analyse est excellente, mais la définition qui en découle – quoique bien meilleure que celle d’Ecover – est vraisemblablement trop vaste et pas particulièrement « opérationnelle ». On peut y lire : « La biologie de synthèse applique de sciences, technologies et d‘ingénierie et accélère la conception, la fabrication et/ou la modification de matériel génétique dans les organismes vivants, afin de transformer du matériel vivant ou non. » Une opinion minoritaire dans le même rapport avance une proposition plus concrète et raisonnable : la biologie de synthèse présente clairement des caractéristiques marquantes, des concepts et des démarches facile à trouver. En premier lieu : synthèse, conception rationnelle, nature artificielle et modulaire, complexité et nouveauté. Les organismes de réglementation peuvent établir une sorte de liste de contrôle pour évaluer les techniques qui ont fabriqué chaque nouvel organisme. La biologie de synthèse est alors définie comme un processus qui utilise une de ces techniques ou caractéristiques marquantes qui se trouvent sur la liste, liste qui peut être complétée dans le temps. Ce n’est pas la solution la plus élégante, mais c’est probablement la meilleure dans un domaine où les techniques et concepts changent rapidement et en permanence. Une liste de contrôle qui évolue en même temps que le terrain, permettrait aux décideurs internationaux de savoir ce qu’ils règlementent. Cela dissiperait toute confusion dans laquelle des compagnies comme Ecover se trouvent, quant aux moyens qu’elles utilisent pour fabriquer les produits qu’elles vendent. Jim Thomas écrit et mène des recherches pour l’ETC Group – un chien de garde international des technologies. (www.etcgroup.org ) Traduction de l’article paru dans le Guardian : http://www.theguardian.com/science/political-­‐
science/2014/jul/08/what-­‐syn-­‐a-­‐name )