Dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère chez l`enfant
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Dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère chez l`enfant
Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 65–71 Revue de littérature Dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère chez l’enfant : évolution nosologique et affiliation aux pathologies de l’humeur Disruptive mood dysregulation disorder in chidren: Nosologic evolution and relation to affective disorders L. Masi a,∗ , J.-M. Guilé b , C. Mille b a CHU Sainte-Justine, 3175, Chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal, QC H3T 1C5, Canada b Pôle « Femme-Couple-Enfant », CHU d’Amiens, place Victor-Pauchet, 80054 Amiens, France Résumé L’attribution du diagnostic de bipolarité en pédopsychiatrie a particulièrement augmenté ces dernières années, en particulier aux États-Unis pourtant les données épidémiologiques ne montrent pas d’augmentation de sa prévalence. Beaucoup d’enfants en souffrance n’ont pas reçu de diagnostique car ils avaient un trouble qui n’avait pas encore été défini. Le DSM-5 a nommé ce trouble Disruptive Mood Dysregulation Disorder (DMDD). Dans la littérature francophone, on retrouve le terme de dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère (DES). Les critères fondamentaux du DES sont (1) une irritabilité chronique sévère et (2) des crises de rage, celles-ci comprennent des manifestations verbales et comportementales qui sont des réactions disproportionnées en termes de durée et d’intensité par rapport à la situation qui les a provoquées. Ces enfants présentent donc un tableau clinique de troubles disruptifs qui exprime en réalité une pathologie de l’humeur internalisée, marquée par une instabilité thymique associée à une dysphorie. Ces « rages » caractérisent donc un nouveau type spécifique de trouble de l’humeur chez l’enfant. De plus, autant le DES n’est pas une prédisposition pour un trouble bipolaire, autant il l’est pour les troubles dépressifs apparaissant précocement à l’âge adulte. Ainsi, le diagnostic de DES vise à distinguer ces enfants de ceux souffrant de troubles bipolaires et à éviter d’attribuer à tort un diagnostic de troubles des conduites ce qui aurait des conséquences préjudiciables d’un point de vu sociétal et thérapeutique. En effet, les enjeux de la prise de conscience de l’existence du DES sont majeurs pour la prise en charge, notamment médicamenteuse. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère ; DES ; Trouble de l’humeur ; Trouble bipolaire ; Irritabilité chronique ; Colère ; Rage ; Enfant Abstract Attribution of the diagnosis of bipolarity particularly increased these last years; nevertheless, the epidemiological data do not show increase of its prevalence. Many outstanding children passed between the stitches of the diagnostic nets because they had a disorder, which had not been defined. We will describe this disorder that is named finally by The DSM-5: Disruptive Mood Dysregulation Disorder (DMDD), or in French, dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère (DES). First, we will see his definition and second, we will describe why it is part of the affective disorder group. The studies highlighted the early beginning of certain disorders of mood disorder and their continuity developmental with emotional disorders and with behavior disorders. The fundamental criteria of DMDD are severe recurrent temper outbursts manifested verbally and/or behaviorally that is grossly out of proportion in intensity or duration to the situation or provocation. The temper outbursts are inconsistent with developmental level, occur, on average, three or more times a week. The mood between temper outbursts is persistently irritable or angry most of the day, nearly every day, and is observable by others. These symptoms have to be present for 12 or more months. Throughout that time, the individual has not had a period lasting 3 or more consecutive months without all of the symptoms. Criteria are present in at least two or three settings and are severe in at least one of these. The diagnosis should not be made for the first time before age 6 or after age 18 years. Furthermore, children with DMDD present a clinical picture of disruptive disorders, which expresses in reality pathology of affective disorder internalized, marked by mood instability associated with dysphoria. These “rages” characterize a new specific type of affective disorder at the children. Moreover, it is not a predisposition for a bipolar disorder, but it is it for depressive disorders appearing prematurely to adulthood. Diagnosis of DMDD aims to ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Masi). 0222-9617/$ – see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2014.01.013 66 L. Masi et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 65–71 distinguishing these children of those suffering from bipolar disorders, and to avoid attributing wrongly a diagnosis of conducts disorders that would have harmful consequences from societal and therapeutic viewpoint. Indeed, the stakes in the awareness of the existence of DMDD are major for the therapeutic coverage, in particularly for therapeutic drugs. Effectively, the risk is the prescription of treatments with side negative effects and for always younger patients. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Disruptive mood dysregulation disorder; Severe mood dysregulation; Bipolar disorder; Affective disorder; Chronic irritability; Rages; Child 1. Introduction L’attribution du diagnostic de bipolarité en pédopsychiatrie a particulièrement augmenté ces dernières années, pourtant les données épidémiologiques ne montrent pas d’augmentation de la prévalence de cette pathologie [1]. En outre, les patients bipolaires, en plus d’être de plus en plus nombreux, étaient de plus en plus jeunes et les traitements habituellement utilisés ne montraient pas d’efficacité. Le Wall Street Journal [2] a d’ailleurs décrit un cas typique qui illustrait bien cette problématique : un jeune garçon de 11 ans ayant reçu un diagnostic de bipolarité à l’âge de 4 ans n’a finalement jamais pu être traité avec succès pour ses crises de colère. Ainsi, comme ce jeune garçon, beaucoup d’enfants en souffrance n’ont pas reçu de diagnostic car ils avaient un trouble qui n’avait pas encore été défini. Avec le diagnostic de Disruptive Mood Dysregulation Disorder (DMDD), la cinquième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) a donc l’ambition de donner un nom à la souffrance de ces enfants et à assurer la prise en charge dont ils ont besoin. Dans le présent article, nous relaterons l’historique, les caractéristiques et l’évolution nosologique de cette pathologie. Ensuite, nous verrons que ces patients qui semblaient souffrir de troubles des conduites présentent cette pathologie qui s’inscrit en réalité dans un trouble de l’humeur. 2. Description 2.1. Historique et définition 2.1.1. Historique Les premiers travaux consacrés à l’approche développementale des troubles de l’humeur remontent aux années 1960 par la publication d’études rétrospectives et prospectives avec évaluations répétées [3]. Ces études ont mis en évidence le début précoce de certains troubles de l’humeur et leur continuité développementale avec certains troubles affectifs mais aussi avec certains troubles du comportement. Pour la manie de l’enfant, le débat s’est orienté sur la définition plus ou moins « large » de la notion de manie, ce qui a fait varier considérablement les estimations de prévalence du trouble bipolaire en population pédiatrique. En effet, la prévalence du diagnostic de trouble bipolaire chez le sujet jeune sur une année a été multipliée par 40 (25 à 1003 pour 100 000) selon une étude Moreno (2007) [4]. De même, selon Blade et Carlson (2007), le taux d’enfants diagnostiqués bipolaires entre 1996 et 2003 a augmenté de 1,3 à 7,3 pour 10 000 [5]. Cette augmentation correspond à une période qui suit celle caractérisée par le sous-diagnostic de la bipolarité chez l’enfant et à une nécessité de répondre à la souffrance que cela avait engendrée. Aujourd’hui, le DSM-5 précise et améliore les diagnostics en pédopsychiatrie, sachant que le DSM-IV était principalement réalisé à partir de l’observation de la clinique adulte. Devant l’augmentation du diagnostic de bipolarité chez l’enfant, le groupe de travail sur les troubles de l’humeur en pédopsychiatrie du DSM-5 s’est penché sur l’intérêt de réévaluer les limites du diagnostic de bipolarité [6]. Dans le but d’approfondir les distinctions dans les troubles de l’humeur, le groupe de travail des troubles chez l’enfant s’est rapproché du groupe de travail sur les troubles de l’humeur en ayant trois buts précis : • apprendre à distinguer les épisodes d’hypomanie des épisodes de manie ; • savoir si une irritabilité sévère chronique correspond à un état maniaque en processus de maturation chez l’enfant et ; • définir le statut nosologique des épisodes d’hypomanie d’une durée supérieure à quatre jours. À cette époque, la question concernant le lien de cette irritabilité chronique sévère avec un trouble bipolaire en devenir restait un point majeur à régler. Pour ses réflexions, le groupe de travail a utilisé des données scientifiques tout en tenant compte de la nécessité clinique de préciser les troubles de l’humeur en pédopsychiatrie. Il a été ainsi mis en évidence que le phénotype « classique » de bipolarité était finalement rare chez les jeunes enfants. En effet, chez beaucoup d’enfants diagnostiqués bipolaires les types de symptômes différaient des symptômes habituels de bipolarité. La notion de dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère (DES) paraissait alors pertinente pour décrire la symptomatologie de ces enfants. 2.1.2. Évolution de la terminologie E. Leibenluft est à l’origine de la description des critères diagnostiques des DES à partir de 2002, appelé Severe Mood Dysregulation (SMD) pour étudier les relations entre la bipolarité et une irritabilité chronique sévère [7]. Le groupe de travail du DSM-5 a ensuite proposé une autre terminologie, le Temper Dysregulation Disorder with Dysphoria (que l’on peut traduire par « dysrégulation sévère de l’humeur avec dysphorie »). Finalement, c’est l’expression Disruptive Mood Dysregulation Disorder (DMDD) qui a été retenue lors de la sortie du DSM5 en mai 2013. Le tableau clinique (détaillé ci-dessous) est tout à fait semblable à celui décrit par Leibenluft excepté pour l’hypervigilance (hyperarousal, qui peut aussi être traduit par hyperactivité). Pour la terminologie française, on a gardé les L. Masi et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 65–71 termes de DES ou trouble sévère de régulation de l’humeur (TSRH), malgré la transition du SMD vers le DMDD. 2.1.3. La nécessité d’une entité clinique distincte Comme nous l’avons décrit plus haut, l’augmentation des diagnostics de bipolarité durant ces dix dernières années touche certains enfants qui en réalité souffrent de DES. Notons que l’on a aussi souvent attribué à ces enfants le diagnostic de trouble de l’opposition avec provocation (TOP). Pourtant, le DES entraîne des conséquences psychiatriques sévères. De plus, ce diagnostic stimulera la recherche sur cette pathologie encore mal connue [8] et la création d’une entité clinique distincte du trouble bipolaire contribuera significativement à la compréhension des trajectoires développementales des troubles affectifs. 2.1.4. Définition Les critères fondamentaux du DES sont (1) une irritabilité chronique sévère et (2) des crises de rage [9]. Purper-Ouakil résume les caractéristiques de la manière suivante [10] : • une humeur chroniquement anormale et définie par la présence d’une irritabilité, de colère ou de tristesse, présents quasiment en permanence ; • une hyperréactivité aux stimuli négatifs, avec au moins trois crises de colère par semaine ; • une hyperexcitabilité avec au moins trois symptômes parmi les suivants : insomnie, distractibilité, fuite des idées, instabilité/nervosité, débit verbal rapide, comportement intrusif dans les relations interpersonnelles. Ce critère n’est plus présent dans la terminologie finale. Les crises de colère comprennent des manifestations verbales et comportementales et des réactions disproportionnées en termes de durée et d’intensité par rapport à la situation. Le début des troubles apparaît avant 12 ans et la durée d’évolution est d’au moins un an. On note un retentissement personnel dans au moins deux domaines de vie, tels que la sphère scolaire, familiale, sociale, etc. Les recherches en cours indiquent que les enfants avec DES diffèrent de ceux diagnostiqués bipolaires dans leur devenir, dans le sex-ratio, dans les antécédents familiaux et dans la physiopathologie. Les critères diagnostiques du DMDD dans le DSM-5 [11] sont rappelé dans l’Encadré 1. 2.2. Description clinique La définition ci-dessus est semblable à celle proposée par Leibenluft, excepté pour l’hyperactivité et pour une plus grande emphase sur les crises de colères (outbursts) sévères et récurrentes en réponse à des situations de stress communes. Le groupe de travail du DSM-5 a décidé de renommer ce syndrome « DMDD » pour avoir un nom plus descriptif, incluant une notion de sévérité des crises de colère. En outre, si le groupe de travail a éliminé l’hyperactivité comme critère diagnostique, c’est que la présence de l’hyperactivité signifie un trouble de déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH) associé au DES. Les crises émotionnelles aiguës des enfants DES ont une structure qui se rapproche des colères faisant parties du 67 Encadré 1: Critères diagnostiques du DMDD dans le DSM-5 A. Crises de colère sévères et récurrentes avec des manifestations verbales et/ou comportementales, fortement hors de proportion en durée et en intensité par rapport à la situation ou la provocation. B. Les crises de colère ne sont pas en lien avec le niveau de développement. C. Les crises de colère ont lieu, en moyenne, trois fois par semaine ou plus. D. L’humeur entre ces crises est chroniquement irritable ou colérique la plupart de la journée, presque tous les jours, et est observable par l’entourage. E. Les critères A–D sont présents depuis au moins 12 mois. Durant cette période, il n’y a pas eu 3 mois consécutifs ou plus sans que tous les symptômes des critères A–D soient présents. F. Les critères A et D sont présents dans au moins deux ou trois sphères de la vie et sont sévères dans au moins l’une d’elles. G. Le diagnostic ne doit pas être fait pour la première fois avant l’âge de 6 ans ou après l’âge de 18 ans. H. De par l’observation, l’âge d’apparition des symptômes A–E est avant 10 ans. I. Il n’y a jamais eu de période de plus d’une journée durant laquelle tous les symptômes d’un épisode de manie ou d’hypomanie, sauf pour la durée, étaient retrouvés. J. Les symptômes n’apparaissent pas exclusivement pendant des épisodes dépressifs majeurs et ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble psychiatrique. K. Les symptômes ne sont pas attribuables à l’effet d’un toxique ou à toute autre pathologie médicale ou neurologique. développement, mais leur durée est plus longue [12]. Le rappel d’une règle ou d’une consigne émanant d’un adulte et les provocations des autres enfants sont les principaux facteurs de ces crises de colère. La crise apparaît brutalement et disparaît progressivement. Autant la colère s’intensifie rapidement pour ensuite disparaître, autant la détresse est constante durant toute la crise. La détresse émotionnelle s’exprime par des pleurs, un retrait des interactions et un besoin de réassurance. Les crises clastiques se répètent et ont des répercussions sur le plan social, scolaire et familial. On retrouve dans le DES la difficulté à réguler ses émotions négatives en réaction à des signaux sociaux et la prédominance de la qualité négative de l’humeur (irritabilité, dysphorie, tristesse). Ainsi, la qualité négative de l’humeur du DES peut comporter de la tristesse, de la colère et de l’irritabilité, 68 L. Masi et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 65–71 mais c’est bien l’irritabilité chronique qui en constitue la dimension centrale [13]. G. Carlson a étudié la notion de crise de colère, cause fréquente d’hospitalisation et pouvant être davantage associée à un diagnostic de manie [14]. Parmi 130 enfants, âgés de cinq à 12 ans, hospitalisés en pédopsychiatrie, 55 % présentent des crises de colère intenses de moyenne une heure. Ces enfants appartiennent à un groupe diagnostique complexe car plusieurs diagnostics leur sont associés dont des troubles de l’apprentissage et du langage, des TDAH, des TOP et des troubles des conduites. En outre, en comparaison à la population des services de psychiatrie infanto-juvénile, ces enfants sont plus jeunes, ils ont souvent reçu des traitements auparavant (neuroleptiques atypiques principalement) et leur durée d’hospitalisation est plus longue. Les crises de colère se répètent pour 50 % d’entre eux sans qu’il n’y ait une amélioration franche et ces enfants posent de sérieux problèmes diagnostiques et thérapeutiques. Cependant, l’autre moitié s’améliore simplement grâce à l’hospitalisation et ne présente plus de crise de colère durant celle-ci, d’où l’impact du contexte et de l’environnement pour ces jeunes patients. Enfin, alors que plus d’un tiers de ces enfants étaient diagnostiqués bipolaire de type I au début de la prise en charge, seulement cinq d’entre eux ont finalement reçu ce diagnostic après une expertise fiable. Ces crises de rage étaient donc auparavant fortement associées au diagnostic de bipolarité et nous avons vu qu’elles sont à présent un critère phare du DMDD. 2.3. Épidémiologie Les données concernant le DES correspondent à une entité pathologique qui n’est pas encore fixe. Les chiffres présentés cidessous s’inscrivent dans les connaissances actuelles encore en mouvement pour ce nouveau diagnostic. La prévalence retrouvée pour DES est de 3,3 % chez des sujets âgés de 9 à 19 ans, dont 1,8 % ont une forme sévère [8] (population générale américaine). Cette prévalence est plus élevée que celle du syndrome dépressif (2 %) [15] ou de la bipolarité (1,5 %) [16] chez l’enfant. Selon Dickstein, en ce qui concerne le DES, l’âge moyen est de 11,04 ans et on retrouve 78,1 % de garçons [17]. Il y a donc une prédominance masculine chez les jeunes DES [13], alors que les deux sexes sont représentés de manière équivalente chez les jeunes bipolaires [18]. Par ailleurs, on retrouve aussi une prédominance masculine dans le cas des troubles disruptifs avec quatre garçons pour une fille [19]. Dans l’étude The Great Smoky Mountains Study (GSMS) [20], concernant le genre et l’ethnie, on retrouve les résultats figurant dans le Tableau 1. 2.4. Comorbidités Dans une étude de Carlson (2009) basée sur une série de 151 admissions consécutives en service de pédopsychiatrie d’enfants âgés de 4 à 12 ans [14], 54,6 % de ceux-ci ont été admis pour troubles du comportement avec agressivité/crise clastique. Un peu plus d’un tiers de ces enfants ont eu une nouvelle crise au cours de leur hospitalisation. Les diagnostics Tableau 1 Caractéristiques démographiques des enfants DES dans l’étude GSMS. DES (n = 96) Non DES (n = 1324) Valeur de p Genre Masculin Féminin 77,6 % 22,4 % 50,1 % 49,9 % 0,001 Ethnie Caucasien Africain Autochtone 93,3 % 2,8 % 3,9 % 89,3 % 7,0 % 3,7 % Ns Âge moyen 11,7 ± 2,1 13,9 ± 2,9 0,001 DES : dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère ; GSMS : Great Smoky Mountains Study. associés à ces états émotionnels étaient principalement le TDAH ou le retard de langage. Le délai entre la première crise clastique et l’admission était de 6 jours en moyenne. Le fait d’avoir au moins une crise clastique au cours de l’hospitalisation apparaissait comme étant fortement lié à la comorbidité du TDAH avec un autre trouble du comportement type troubles des conduites, TOP ou à l’existence d’un trouble des apprentissages. Dans cette population prépubère, ni la manie, ni les autres troubles n’étaient significativement associées à la probabilité de crise clastique du fait du jeune âge de la population. D’autres facteurs étaient fréquents chez les enfants ayant fait des crises clastiques : une faible efficience intellectuelle, l’exposition à des violences et la qualité négative des affects. Cette étude nous évoque que ces crises clastiques correspondaient aux crises de rage du DES, seul ou comorbide d’une autre pathologie disruptive. D’après une étude de Kessler (2006), les comorbidités avec le DES s’élèvent à plus de 25 % pour le TDAH et le TOP [21]. Lors de ces cas de comorbidité, l’atteinte chez les enfants DES est plus profonde. De plus, les enfants avec DES ont souvent des symptômes s’apparentant à un syndrome dépressif ou à des troubles anxieux ce qui rend leur classification encore plus difficile. En effet, ces enfants DES présentent plus souvent des troubles dépressifs que la moyenne. En effet, pour un syndrome dépressif en pédopsychiatrie jumelé à un DES, l’odds ratio est de 23,5 [22]. Ainsi, devant la prévalence et la sévérité de la symptomatologie, il est important que l’on puisse poser un diagnostic précis pour les jeunes porteurs de ces troubles. Selon une étude de Leibenluft (2006), en population générale, le DES est associé à des comorbidités significatives : 26,9 % de TDAH, 25,9 % de troubles des conduites, 24,5 % de TOP, 14,7 % de troubles anxieux et 13,4 % de troubles dépressifs [23]. En population clinique, les troubles comorbides avec le DES sont particulièrement fréquents : 93,8 % de TDAH, 84,4 % de TOP et 46,9 % de troubles anxieux. Dans l’étude GSMS [20] (Tableau 2), les résultats ne sont pas exactement identiques, mais on observe pareillement une comorbidité élevée avec le TDAH, les troubles des conduites et le syndrome dépressif. De même, selon Brotman et al., les diagnostics de l’axe I les plus communément associés au DES sont les TDAH (26,9 %), les TOP (24,5 %), les troubles anxieux (14,7 %) et les troubles dépressifs (13,7 %) [8]. L. Masi et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 65–71 69 Tableau 2 Comparaison de la prévalence des diagnostics de l’axe I chez les jeunes DES et non DES dans l’étude GSMS. Diagnostics % DES % non DES OR IC Valeur de p Autres diagnostics Troubles de l’humeur Troubles du comportement Troubles anxieux Troubles dépressifs Addictions TDAH Conduites antisociales TOP 38,9 9,8 33,1 4,0 7,8 7,8 21,9 3,8 2,1 24,5 6,1 19,6 4,5 2,2 8,8 0,7 1,0 0,6 1,91 1,73 1,78 0,78 7,21 0,73 0,99 0,92 3,94 0,79–4,57 0,42–7,21 0,69–4,59 0,09–6,59 1,34–38,85 0,15–3,44 0,06–16,94 0,08–9,97 0,2–79,09 0,15 0,45 0,24 0,82 0,02 0,69 0,99 0,95 0,37 OR : odds ratio ; IC : intervalle de confiance ; DES : dysrégulation émotionnelle et comportementale sévère ; GSMS : Great Smoky Mountains Study ; TDAH : trouble de déficit de l’attention/hyperactivité ; TOP : trouble de l’opposition avec provocation. 2.5. Devenir Une des questions principales sur le devenir des enfants DES est de savoir si cette pathologie est en réalité un état prodromique d’un trouble bipolaire. Or, les études ont montré que cette pathologie n’est pas un facteur prédictif d’un trouble bipolaire à l’âge adulte [23]. Les enfants DES n’ont pas plus tendance à développer d’état maniaque ou hypomaniaque que la population générale [24]. En outre, l’irritabilité est devenue un symptôme à part pour ces jeunes. Celle-ci, marquante pour les parents, est un facteur spécifique de prédisposition au syndrome dépressif majeur, à la dysthymie et aux troubles anxieux généralisés à l’âge adulte. Enfin, ces enfants souffrant de cette irritabilité n’atteignent généralement pas un haut niveau d’études [8]. Les enfants souffrant de DES ont un risque élevé de développer un syndrome dépressif à l’âge adulte, soit sept fois plus de risque que la population générale (odds ratio : 7,2). Ce risque élevé ne varie pas en fonction de la présence d’une pathologie de l’axe I [25]. Ces résultats évoquent la possibilité que le DES soit une forme précoce d’un trouble dépressif. 3. Affiliation du DES à une pathologie de l’humeur 3.1. Pathologie de l’humeur selon le DSM Cette pathologie de l’enfant se retrouve dans le DSM5 affiliée aux troubles de l’humeur. Nous allons discuter de la nature des symptômes thymiques et de l’appartenance au spectre des troubles de l’humeur du DES. En effet, la focalisation sur des comportements manifestes et dérangeants ne rend pas compte d’un diagnostic précis lié à une entité clinique et psychopathologique univoque. Il y a bien une réelle nécessité d’associer le DES à des troubles de l’humeur avec le traitement correspondant plutôt qu’à un trouble de conduite de type TOP. 3.2. La nature des symptômes thymiques dans le DES Les enfants DES présentent un tableau clinique de troubles disruptifs qui exprime une pathologie de l’humeur internalisée. Comme nous l’avions évoqué précédement, la dysrégulation sévère de l’humeur est un concept clinique proposé par Leibenluft pour différencier les difficultés émotionnelles chroniques du trouble bipolaire [26]. Selon ce même auteur, ces « rages » caractérisent un nouveau type spécifique de trouble de l’humeur chez le jeune. Ces rages sont aussi appelées « swing mood », signifiant « sautes d’humeur ». Si la qualité négative de l’humeur du DES peut comprendre colère, tristesse et irritabilité, c’est l’irritabilité chronique qui en constitue la dimension centrale [27]. Celle-ci est décrite dans différents troubles dont les troubles bipolaires, les troubles du comportement perturbateur et les troubles dépressifs en population pédiatrique à la place de la tristesse de l’humeur. Elle est aussi une dimension centrale des troubles explosifs de la personnalité, notamment du trouble de la personnalité borderline et du trouble explosif intermittent. Dans le DES, l’irritabilité chronique n’est pas forcément associée à une opposition systématique aux règles comme dans le TOP. En revanche, l’accent est mis sur la qualité négative de l’humeur, non comprise dans les critères de TOP. De plus, les oscillations thymiques chez l’enfant et l’adolescent peuvent s’intégrer dans une psychopathologie bien définie. C’est le cas de certains épisodes dépressifs majeurs ou d’épisodes maniaques qui ont des caractéristiques typiques, très similaires à ceux de l’adulte et qui posent en l’occurrence peu de problèmes diagnostiques. Cependant, plus le sujet est jeune, plus la clinique risque d’être atypique. Devant des symptômes peu spécifiques, il faut éviter le diagnostic par excès comme le manque d’attention envers des symptômes qui ont un retentissement social, scolaire et familial importants. Le diagnostic élargi des troubles bipolaires incluait des tableaux cliniques avec irritabilité importante et comportements explosifs, l’hypothèse étant que ces symptômes avaient pour origine un certain trouble de la régulation de l’humeur [28]. Ainsi, récemment isolé au sein de la nosographie psychiatrique, le DES regroupe des tableaux cliniques de troubles du comportement fréquents chez l’enfant mais jusqu’à présent mal identifiés. Sur le plan de l’humeur, ce trouble est marqué par une instabilité thymique associée à une dysphorie. 3.3. L’appartenance au spectre des troubles de l’humeur Le trouble bipolaire du sujet jeune, le syndrome dépressif majeur et le DES pourraient partager le même spectre 70 L. Masi et al. / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 62 (2014) 65–71 physiopathologique. La présentation clinique inscrirait pourtant ces enfants dans les troubles des conduites, notamment dans les troubles de l’opposition avec provocation (TOP), mais ils diffèrent dans le tableau par la culpabilité liée à leur comportement. En effet, les enfants présentant un TOP ont habituellement une grande difficulté à reconnaître leurs torts. Contrairement aux enfants DES, les crises de colère peuvent être planifiées et répondent rarement aux traitements médicamenteux. Dans le cas des enfants DES, l’expérience, avec le monde extérieur et les autres, est vécue négativement chez ces enfants : leur dévalorisation et leur irritabilité chronique s’apparentent plus au cadre des pathologies dépressives, ce qui est en faveur de l’aspect thymique. D’ailleurs, le risque d’évolution à l’âge adulte en syndrome dépressif confirme cette affiliation. Ainsi, un parallèle peut être fait entre la symptomatologie dépressive chez l’enfant et l’adolescent d’un point de vue développemental et la symptomatologie maniaque ou hypomaniaque selon la même perspective développementale. En particulier, ce parallèle peut être établi devant la stabilité observée de ces troubles de l’humeur à l’âge adulte. Le contexte psychosocial est souvent difficile dans les formes précoces de troubles de l’humeur ; ce n’est qu’à l’adolescence que l’on voit apparaître des tableaux de type psychose maniacodépressive classique. La prévalence des troubles dépressifs augmente à l’adolescence mais les facteurs de risque sont généralement présents dès l’enfance. Des signes prodromiques peuvent également se manifester à des stades du développement précoce. En effet, même si la prévalence des troubles thymiques est faible en population pédiatrique, la proportion de troubles « sub-syndromiques » y est élevée. Leur proportion est importante tant pour les troubles dépressifs que pour les symptômes d’allure maniaque. Comme nous l’avons noté précédemment, l’odds ratio de l’association d’un syndrome dépressif avec un DES s’élève à 23,5, ce qui indique une fréquente association du DES à un syndrome dépressif. En outre, plus l’enfant est jeune, plus l’aspect clinique s’exprime sur un plan psychomoteur, ayant pour conséquence l’apparition d’instabilité psychomotrice que l’on retrouve à la fois dans le DES, les troubles bipolaires et le syndrome dépressif. Enfin, autant le DES n’est pas une prédisposition pour un trouble bipolaire, autant il l’est pour les troubles dépressifs apparaissant précocement à l’âge adulte. 4. Conclusion Le diagnostic de DES vise à distinguer ces enfants de ceux souffrant de troubles bipolaires et à éviter d’attribuer à tort un diagnostic de TOP, ce qui aurait des conséquences préjudiciables d’un point de vu sociétal. Les enjeux de la prise de conscience de l’existence du DES sont majeurs pour la prise en charge thérapeutique, notamment médicamenteuse. Le risque est effectivement celui de prescrire des traitements médicamenteux chez des sujets de plus en plus jeunes, médicaments peu ou pas efficaces et aux effets secondaires potentiellement sévères. Aussi serait-il nécessaire pour ces enfants de développer des traitements efficaces et d’avoir les moyens d’agir de manière préventive. Cela impose l’identification préalable des particularités de cette pathologie, sans se limiter aux catégories nosographiques développées chez l’adulte, ces dernières ne répondant pas toujours aux particularités cliniques de la population pédiatrique. Le NICE recommande que les critères diagnostiques de trouble bipolaire restent rigoureux et qu’ils intègrent l’idée d’épisodes aigus ou de rupture, par opposition à la chronicité des critères sémiologiques du DES. Tout en sachant que les nosographies psychiatriques évoluent en fonction des connaissances nouvelles et des influences culturelles, la description du DES donne à un certain nombre d’enfants la reconnaissance de leur souffrance et leur apporte des réponses spécifiques. Ce diagnostic change aussi le regard porté sur eux, leurs permettant d’évoluer dans un contexte plus apaisé. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Goldstein B, Birmaher B. Does bipolar disorder exist in children? [IACAPAP 2012-20th World congress]. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2012;60:8–11. [2] Travis C. Wall Street Journal [consulté le 27 juillet 2013]. Mis à jour le 18 octobre 2012. Disponible sur : http://online.wsj.com [en ligne]. [3] Christie KA, Burke JD, Regier DA, et al. Epidemiologic evidence for early onset of mental disorders and higher risk drug use in young adults. Am J Psychiatry 1988;14(8):971–5. 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