L`INFIRMIER FACE A SES VALEURS
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L`INFIRMIER FACE A SES VALEURS
Institut de Formation de Professions de Santé Formation infirmière 44 Chemin du Sanatorium 25030 Besançon Cedex L'INFIRMIER FACE A SES VALEURS Unités d'Enseignement 5.6 S6 et 6.2 S6 Présenté par : Coulon Eugénie ; Féaud Océane ; Colin Clélia ; Hugonnot Adrien Promotion 2011/2014 Formateur de guidance : Pourchet Virginie Institut de Formation de Professions de Santé Formation infirmière 44 Chemin du Sanatorium 25030 Besançon Cedex L'INFIRMIER FACE A SES VALEURS Unités d'Enseignement 5.6 S6 et 6.2 S6 Présenté par : Coulon Eugénie ; Féaud Océane ; Colin Clélia ; Hugonnot Adrien Promotion 2011/2014 Formateur de guidance : Pourchet Virginie « La vraie valeur d'un homme réside, non dans ce qu'il a, mais dans ce qu'il est » Oscar Wilde REMERCIEMENTS Nous tenons à remercier chaleureusement toutes les personnes qui nous ont aidé, soutenu et conseillé lors de l’élaboration de ce travail de fin d’études Nous remercions tout d’abord Mme Pourchet, notre guidante de mémoire, pour son écoute, sa disponibilité et sa patience ainsi que ses précieux conseils. Nous remercions les infirmières qui ont partagé leurs expériences et ont répondu à nos questions. Merci à tous les formateurs de l’IFPS de Besançon pour tous les savoirs qu’ils ont su nous transmettre durant ces trois années de formation. Merci à Mme Tétu, documentaliste à l'IFPS, pour tous ses conseils lors de la rédaction de ce mémoire. Nous remercions également les collègues de notre promotion pour le soutien et les échanges sur ce travail. Enfin nous souhaitions remercier notre entourage pour leur soutien, les relectures et l’aide précieuse qu’ils nous ont apporté. Sommaire INTRODUCTION ..................................................................................................................... 1 SITUATION D'APPEL ............................................................................................................. 1 CADRE CONCEPTUEL .......................................................................................................... 3 1) LES VALEURS................................................................................................................ 4 1.1) Définition et distinction .......................................................................................... 4 1.2) Valeurs, éthique, morale et déontologie............................................................... 5 1.3) La hiérarchie des valeurs....................................................................................... 5 2) LA PRATIQUE INFIRMIERE........................................................................................... 6 2.1) Définitions et généralités ....................................................................................... 6 2.2) Historique de la pratique infirmière ...................................................................... 6 2.3) L’autonomie de l’infirmière.................................................................................... 7 2.4) Le travail infirmier en EHPAD................................................................................ 7 2.4.1) De la démence à la Maladie d’Alzheimer ........................................................... 8 2.4.2) Compétences et missions de l’infirmière en EHPAD ....................................... 8 3) LES VALEURS DANS LE SOIN ..................................................................................... 9 3.1) L’influence des valeurs personnelles................................................................... 9 3.2) L’équipe et les valeurs partagées ....................................................................... 10 3.3) Les conflits............................................................................................................ 11 3.3.1) Conflits de valeurs............................................................................................. 11 3.3.2) L’équipe face aux conflits de valeurs .............................................................. 12 L’EXPLORATION PRATIQUE .............................................................................................. 12 1) METHODOLOGIE ......................................................................................................... 12 1.1) Choix de l’outil ...................................................................................................... 12 1.2) Choix des lieux ..................................................................................................... 13 1.3) Choix des populations ......................................................................................... 13 2) ANALYSE DES DONNEES .......................................................................................... 13 2.1) Les valeurs ............................................................................................................ 13 2.2) L’influence des valeurs dans le soin .................................................................. 15 PROBLEMATIQUE ............................................................................................................... 16 1 INTRODUCTION D'un individu à l'autre, les valeurs changent, chacun se fait sa propre échelle de valeurs selon son éducation, ses expériences, son propre ressenti. Dans notre société, ces valeurs évoluent, mais prédominent toujours ; nous sommes les héritiers du siècle des Lumières et des droits de l’Homme et du citoyen. Nous avons vu que nos valeurs naissent de la société dans laquelle nous vivons, mais aussi de notre propre expérience. Nous avons tous choisi de devenir soignants parce que des valeurs comme l’humanisme, le respect, la tolérance, l’empathie nous concernent. Dans ce travail de fin d’études, nous sommes partis d’une situation d’appel qui nous a tous interrogés. Nous avons ensuite fait des recherches en regard de la législation, du consentement aux soins, du refus de soins, du droit à l’information (Loi du 4 Mars 2002 relative aux droits des malades). Après un questionnement en groupe et grâce à notre formatrice de guidance, nous avons pu identifier ce qui nous gênait vraiment dans cette situation de départ : l’écart entre la situation observée et la situation recherchée suscitait en nous un conflit de valeurs. Nous avons alors orienté nos recherches selon une nouvelle thématique qui nous a amenés à une question de départ. SITUATION D'APPEL La situation se déroule dans un Établissement d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD), dans une Unité fermée de 35 résidents, spécialisée dans la prise en charge des personnes atteintes de démence. Mme M. est une résidente âgée de 85 ans atteinte de la Maladie d'Alzheimer diagnostiquée depuis 5 ans. Mme M. est admise dans le service en 2011, année durant laquelle elle perd son aidant le plus proche : son mari. Elle a deux filles, de 57 et 59 ans, qui n'ont pas la possibilité de l'accueillir chez elles. La Maladie d'Alzheimer induit des troubles de la mémoire, des troubles du comportement ainsi qu'une désorientation temporo-spatiale qui justifient à terme un placement en institution spécialisée. De fait, l'évolution de sa pathologie amène Mme M. à être de plus en plus opposante vis-à-vis des soins, notamment les soins de nursing, la prise des thérapeutiques et les soins techniques. Cette opposition se manifeste par une attitude de repli (bras croisés, tête baissée, regard fixe) et de l'hétéro-agressivité lorsque nous lui présentons sa médication et lors de l'aide à la toilette (gestes désordonnés, vifs, imprévisibles). Mme M. nous dit qu'elle ne comprend pas ce qu'on lui veut et qu'elle est capable de se débrouiller seule. 2 En dehors de ces temps spécifiques, elle est une résidente agréable et souriante; elle n'est un danger ni pour elle ni pour les autres. Du fait de sa maladie, Mme M. présente une désorientation temporo-spatiale. Elle essaie par exemple, d’ouvrir les portes du service en disant qu’ « il est l’heure d’aller chercher ses filles à l’école ». Pour pallier au refus de soins de Mme M., l'équipe soignante pile son traitement et le mélange à de l'eau gélifiée aromatisée ou à un yaourt. L'organisation du service demande que les thérapeutiques soient distribuées en même temps que le petit déjeuner, en chambre, à partir de 7h30 du matin. La distribution des thérapeutiques revient à l'Infirmier Diplômé d’État (IDE) mais l'aide aux repas se fait en collaboration avec les AidesSoignant(e)s et les Agents de Services Hospitaliers. Ainsi, tous les matins, avant que le plateau de Mme M. lui soit amené, l'Infirmière mélange le traitement pilé à son petit déjeuner. L'équipe soignante a pu constater que Mme M. mange tout ce qu'il y a sur son plateau sans protester lorsque le traitement est dissimulé. Nous constatons que l'IDE, qui a le devoir légal d'informer les patients sur les soins qui leurs sont prodigués, se voit amené à passer outre cette exigence. En effet, la loi n°2002-303 du 4 Mars 2002, dite «loi Kouchner», relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé, oblige à informer le patient sur son état de santé, sur la nature et les conséquences des thérapeutiques. L'Article L1111-2 du Code de la Santé Publique reprend cette obligation. Dans cette situation, c'est dans l’intérêt de la patiente que son traitement est dissimulé. Il apparaît que lorsque ses médicaments lui sont présentés sans être mélangés à un aliment, Mme M. refuse catégoriquement de les prendre. Par contre, la dissimulation permet une parfaite observance du traitement. Il existe un écart entre une situation idéale souhaitée, c'est à dire une complète compréhension et approbation du patient et la situation telle que nous la vivons en service. Nos différentes expériences de stage nous ont permis de constater que cet état de fait ne se rencontre pas uniquement dans les services pour personnes atteintes de démence mais aussi dans des services plus conventionnels. Mme M. prend son traitement sans en avoir conscience. Cependant, ses troubles cognitifs l'empêchent de comprendre pleinement l’intérêt, le «pourquoi», de sa médication. Dans ce cas, est- elle réellement trompée? Il n'y a pas de «mensonge» au sens premier du terme mais de mensonge par omission puisque l'IDE n'aborde pas le sujet du traitement avec la résidente. Il s'agit d'un défaut volontaire d'information pour obtenir l’observance du traitement. Le métier d'IDE est régi par des valeurs professionnelles parmi lesquelles nous pouvons citer la tolérance, l'écoute et la communication, l'empathie, les soins individualisés, l’honnêteté et l'authenticité. Il en existe bien d'autres, il ne s'agit ici que d'exemples. Ces valeurs professionnelles viennent s'ajouter aux valeurs personnelles que chacun développe au long de sa vie grâce à son 3 expérience et son vécu, et qui sont propres à chaque individu. Or il arrive, comme notre situation le montre, que l'IDE soit obligé de transiger avec ses valeurs pour permettre une meilleure prise en soins. Ici, l'honnêteté et l'authenticité ont été pondérées afin que Mme M. prenne ses médicaments. Si ces valeurs sont respectées, nous nous devons d'informer et de respecter le choix du patient, fut-il le refus. L'IDE est un professionnel de la santé mais il est aussi un individu avec des valeurs propres et personnelles. Le soignant, inéluctablement, peut se retrouver un jour ou l'autre confronté à un dilemme moral dans l'exercice de sa fonction. Cette situation nous a interpellés, notamment puisqu'elle est universelle et que chaque soignant a été ou sera un jour amené à négocier entre ses valeurs personnelles et professionnelles. Un certain nombre de questions ont alors émergé : - En n'informant pas cette patiente, en lui donnant ses médicaments à son insu, nous renions son droit à avoir le dernier mot sur sa prise en soin. Comment définir le libre choix d'une personne désorientée? - La loi donne des droits aux patients, notamment celui d'être informé sur sa pathologie et sur la nature du traitement qui lui est prodigué. Que dit-elle pour les cas où le patient ne peut plus appréhender correctement son environnement et les soins? - Peut- on en tant que soignant, adapter son comportement à une situation, même si celle- ci n'est pas en accord avec la loi? - Nos actes et nos comportements sont en partie guidés par notre sens moral, notre vécu et nos convictions. Quel rôle jouent nos valeurs? Comment se définit une valeur? - Quelles sont les valeurs communes à tout le personnel soignant? - Les valeurs personnelles et les valeurs professionnelles s'influencent-elle? Si oui, y a- t-il une dominante? - Quelles sont les spécificités du travail en EHPAD? Quelles compétences et missions sont propres à ce type d’établissement? L'ensemble de ces réflexions nous ont amenées à définir et préciser notre question de recherche : Dans quelle mesure les valeurs personnelles et professionnelles orientent-elles notre pratique soignante en EHPAD auprès des personnes âgées atteintes de démence et quelles sont leurs limites? CADRE CONCEPTUEL Tout d'abord nous nous intéresserons au concept de valeur, «ce par quoi on est digne d'estime sur le plan moral, intellectuel, etc» [1]. Nous verrons, avec l'aide des écrits de chercheurs et de professionnels, ce qui distingue la valeur de l'éthique, de la morale et de la déontologie. Nous nous pencherons également sur les différentes définitions que nous pouvons trouver derrière 4 ce terme de «valeur» et la distinction entre ces définitions afin de clarifier les notions de valeurs professionnelles et personnelles. Nous étudierons également la hiérarchie des valeurs, comment elles évoluent et leur priorisation. Dans un second temps, nous nous pencherons sur la pratique infirmière et nous proposerons une définition du soin. Nous nous poserons la question de l'autonomie de l'IDE en EHPAD qui accueille des résidents atteints de la Maladie d’Alzheimer. Notre troisième thème sera l'influence de nos valeurs dans la prise en soins de la personne. Il s'agira d'étudier l'impact de nos valeurs personnelles sur nos valeurs professionnelles, l'évolution de celles-ci mais aussi les conflits qui peuvent naître chez un individu lorsqu'il doit passer outre, bafouer ses valeurs, pour le bien de la santé du patient. Si les valeurs «ont bien pour origine des subjectivités, elles ne s'imposent à nous qu'une fois qu'elles ont été fixées par les résultats d'échanges collectifs» [2]; nous étudierons donc également le retentissement de nos valeurs personnelles sur l'équipe et les valeurs partagées. 1) LES VALEURS 1.1) Définition et distinction D'un point de vue purement étymologique «valeur» provient du latin «valor» qui signifie «qualité ou mérite». Le Petit Larousse n'en donne pas moins de 12 définitions différentes, de l'économique à la musicale en passant par la mathématique. Celle que nous retiendrons sera celle-ci : «Ce qui est posé comme vrai, beau, bien, selon des critères personnels ou sociaux, et sert de référence, de principe moral». Il y a donc un aspect subjectif dans le concept de «valeur». Ainsi une même valeur peut être partagée par différents individus mais ne pas être appréhendée de la même manière. A titre d'exemple, la notion de «Liberté», qui peut être considérée comme une valeur universelle, n'est pas envisagée par tout le monde de la même façon. Les valeurs influencent notre façon d'être, nos idées et nos actions. Elles divergent d'un individu à un autre et sont propres à chacun. Une valeur c'est une manière d'être ou d'agir qu'une personne ou un groupe de personnes reconnaît comme importante. Pour J-G Boula, les valeurs sont des systèmes de croyances à propos du bien et du mal, du juste et du faux. Les valeurs guident la vie de l'individu comme une boussole interne. [3] De son côté, F. Venaut les considère comme des «normes idéales», «les valeurs sont à la base, le fondement de la structuration des actes» [4]. Pour E. Durkheim, les valeurs sont des normes. Elles sont collectives, s'imposent à l'individu, elles le dépassent et guident ses jugements. Nous retrouvons cet aspect «collectif» des valeurs dans «La création des valeurs» de R. Polin, qui fait une distinction très nette entre valeurs «objectives» et valeurs «subjectives» [5]. Pour lui, sont «objectives» les valeurs qui viennent de 5 l'extérieur; ce sont les valeurs professionnelles, religieuses ou familiales. Sont «subjectives» les valeurs que nous créons nous même. 1.2) Valeurs, éthique, morale et déontologie D'après J. Château, nos valeurs constituent une ligne morale, elles sont «conscientes, intentionnelles […] s'enchaînent et forment des systèmes grâce auxquels nous unifions nos activités» [6, p.22]. Elles émergent petit à petit, au fur et à mesure que l'individu devient indépendant et qu'il peut diriger lui-même sa conduite. Aller à leur encontre génère une souffrance puisque nos valeurs représentent une ligne de conduite, une croyance en quelque-chose qui nous représente, qui nous identifie. Afin d'éviter les amalgames entre différents concepts, il est intéressant de faire la distinction entre les valeurs, l'éthique, la morale et la déontologie. Pour C. Durand, les valeurs sont à la fois constitutives de la morale et l'essence de l'éthique [7]. L'éthique sert de modérateur, de médiateur dans le système des valeurs. Il semblerait donc que ces différents concepts puissent se lier et se définir en fonction les uns des autres : les valeurs influencent la morale, l'éthique intervient dans l'échelle des valeurs. M. Melyani ne dit pas autre chose puisqu'il rapproche ces quatre concepts, mais il introduit la notion d’«ordre» pour la morale, l'éthique et la déontologie : ainsi selon lui l'éthique est «l'ordre du bien», la morale est «l'ordre de l'obligation» et la déontologie est «l'ordre de la conscience professionnelle» [8, p.36]. 1.3) La hiérarchie des valeurs Les IDE sont des professionnels de la santé. Ils utilisent leurs savoirs au profit des patients. Un soignant est une personne qui avait et a toujours des valeurs personnelles, il ne les oublie pas lorsqu'il revêt sa blouse. Il adopte également les valeurs professionnelles inhérentes au métier d'Infirmier. Ces dernières viennent s'ajouter à ses valeurs personnelles, pas les remplacer. C. Durand, dans son article «Le rôle des valeurs dans l'activité de soins», déclare que pour un IDE «agir en respect des valeurs communément admises par la profession, c'est acter son appartenance au groupe professionnel» [7]. Il s'agit donc de faire partie d'une communauté, d'en accepter les codes et les règles afin de mieux s'intégrer. Si le soignant transgresse ces valeurs, il s'expose à un rejet de la part de ses collègues. Pour S. Schwartz, les valeurs sont des concepts ou des croyances qui se rapportent à des fins ou des comportements désirables, elles guident les choix et permettent l'évaluation de comportements envers des personnes et des événements. De plus, il pense qu'elles sont 6 ordonnées selon leur importance relative en tant que principes qui guident la vie de l'individu. Les valeurs répondent à trois besoins : le besoin biologique (le besoin sexuel peut être transformé en intimité ou en amour); le besoin d'une interaction sociale (ce besoin peut s'exprimer par des valeurs d’honnêteté ou d'égalité) et le besoin de survie et de bien-être au sein d'un groupe (qui peut se traduire par des valeurs de patriotisme ou de paix mondiale par exemple). A partir de ce constat, S. Schwartz établit une liste de dix valeurs de base qu'il hiérarchise ainsi (par ordre décroissant d'importance) : bienveillance, universalisme, autonomie, sécurité, conformité, hédonisme, réussite, tradition, stimulation et pouvoir. [9] 2) LA PRATIQUE INFIRMIERE L’évolution de la pratique infirmière n’a cessé d’évoluer au cours des siècles. Aujourd’hui celle-ci est définie par MC. Moisy comme «des connaissances et des compétences qui peuvent se diviser en «savoirs» : le savoir, le savoir être et le savoir-faire. […] Et les soins infirmiers, une relation entre un soignant et un soigné» [10] 2.1) Définitions et généralités Le soin vient du latin «somniare» qui a donné «songer» et «soigner», soin prend le sens de «action de songer à quelqu’un, attention, soin». «Charge, devoir de veiller sur quelqu'un ou quelque chose » [11] Nous pouvons définir les soins infirmiers comme des «Soins donnés aux individus, aux familles et aux collectivités dans le cadre des activités visant à rétablir ou à préserver la santé.» [11] 2.2) Historique de la pratique infirmière Afin de mieux comprendre l’essence du métier d’Infirmier, il est nécessaire de revenir sur son histoire. Au Moyen Age, les soins aux malades étaient prodigués par les religieuses, c’était un acte de charité donc non rémunéré. Ensuite, les infirmières ont été instruites par des prêtres et des médecins qui ont défini leur rôle ainsi que les connaissances nécessaires à leur profession. A la fin du 18ème siècle, les soins infirmiers ont bénéficié d’une formation. La première Ecole d’Infirmière n’a vu le jour qu’en 1907. Mais l’objet de cette formation ainsi que la pratique soignante n’ont été reconnus comme actes de soins infirmiers relevant du rôle propre qu’à partir de 1981. 7 Depuis les années 1920, après avoir suivi une formation et obtenu leur diplôme «d'Infirmière de l'Etat français», elles occupaient tout le secteur sanitaire et social. Entre autre, elles étaient les ambassadrices de l'hygiène publique et sociale pour lutter contre les fléaux sociaux. Leur rôle était de soigner, écouter, donner des conseils d'hygiène, de santé et participer aux campagnes de prévention (tuberculose). En 1972, la réforme du programme des études d'infirmières est une révolution dans la conception de la prise en charge des malades. C'est ainsi qu'apparu le concept novateur de «plan de soins infirmiers» centré sur la santé, la personne humaine et plus uniquement sur la maladie. Ceci répondait au souhait des infirmières de considérer le malade dans sa globalité. Début 1993, une série de lois et décrets viennent parachever le cadre juridique de la profession infirmière. [12] Dans notre situation, l’IDE dissimule le traitement de la patiente dans la nourriture. C. Dardy et C. Frétigné expliquent qu’il y a «un décalage entre l’approche éducative optimale à laquelle les infirmières ont été formées et la réalité de la pratique. La construction de la pratique professionnelle par l’acquisition de compétences et ces dernières voient le jour grâce à l’expérience professionnelle. L’infirmière doit être «capable d’agir avec pertinence dans une situation particulière» ». [13] 2.3) L’autonomie de l’infirmière La loi du 31 mai 1978 définit la profession infirmière et attribue deux rôles à l'infirmière : un rôle sur prescription et un rôle propre, qui modifient les compétences attendues. «Le rôle propre introduit responsabilité, initiative et autonomie et se caractérise par une approche relationnelle des soins» [14]. Ces actes infirmiers sur prescription sont dictés par l’article R. 4311-7 et ceux sur rôle propre par l’article R. 4311-5 [15,pp164-165] «Aujourd'hui, le développement des consultations infirmières est une chance pour optimiser la prise en charge globale des patients. […] Au sein de ces consultations, l'autonomie professionnelle de l'infirmière est au service de l'autonomie du patient». [16] Dans notre situation, l’infirmière de sa propre initiative a choisi de dissimuler le traitement dans l’alimentation dans le but d’obtenir une bonne observance des thérapeutiques. 2.4) Le travail infirmier en EHPAD Il est important d’aborder le travail d’une infirmière en EHPAD pour comprendre et connaitre les missions et les compétences qui lui incombent, mais aussi de donner des éléments de connaissances sur les démences, et plus particulièrement la maladie d’Alzheimer. 8 2.4.1) De la démence à la Maladie d’Alzheimer La démence se définit ainsi «(de : hors de ; mens : esprit) Trouble mental entrainant une désorientation progressive ou permanente des facultés intellectuelles (dont la mémoire, le jugement, et la pensée abstraite) ainsi que des changements de la personnalité » [17]. Il en existe plusieurs notamment la démence de type Alzheimer ou plus communément appelé la Maladie d’Alzheimer. Elle est découverte en 1906 par Alois Alzheimer. C’est «une démence sénile invalidante, c’est-à-dire une maladie qui entraine la perte des capacités de raisonnement et de l’autonomie» [17] qui évolue selon différents stades. On constate une perte de la mémoire récente, dans les premiers temps mais «petit à petit d’autres zones du cerveau sont touchées et mènent à la disparition progressive des capacités d’orientation dans le temps et dans l’espace, de reconnaissance des objets et des personnes, d’utilisation du langage, de raisonnement, de réflexion…» [18] On constate cette évolution avec notre patiente atteinte depuis 5 ans de cette pathologie, et qui présente une désorientation temporo-spatiale mais aussi une opposition vis-à-vis de certains soins. 2.4.2) Compétences et missions de l’infirmière en EHPAD Les EHPAD anciennement appelés «maisons de retraite» sont «des structures médicalisées ayant vocation à accueillir des personnes âgées de plus de 60 ans dépendantes, c’est-à-dire en perte d’autonomie» [19]. Il est nécessaire d’avoir certaines compétences pour la prise en soin holistique de ces personnes. Selon C. Dardy et C. Frétigné «La construction de la pratique professionnelle passe par l’acquisition de compétences et ces dernières voient le jour grâce à l’expérience professionnelle» [13,pp45-64]. En effet, durant sa formation, l’infirmière a pu acquérir des compétences et des aptitudes à prendre en soins des personnes d’âges différents. En EHPAD, l’infirmière a pour principales missions de «réaliser des soins, auprès des personnes âgées, à son initiative ou sur prescription médicale et de nouer une relation de confiance avec chacun des résidents afin de leur apporter un maximum de confort, de bien-être et une écoute de qualité» [20]. Elle doit aussi «faire preuve de patience : négocier, discuter pour un soin, un repas, une prise de médicament» [21]. Elle doit être préparée à pouvoir réagir à toutes situations prévalentes telles que des chutes, des fausses routes, un refus de traitement comme nous avons pu le voir dans la prise en soin de notre patient qui refuse de prendre ses médicaments si ceux-ci ne sont pas dissimulés. Il existe dans certains établissements des formations concernant la prise en soins des patients atteints de la 9 maladie d’Alzheimer. C’est pourquoi «il est important de suivre des formations continues pour améliorer ses connaissances sur la population soignée et de développer certaines compétences» [20]. Pour A. Moraga « le soignant doit sans cesse évaluer sa pratique soignante et tenter de l’améliorer» [22]. 3) LES VALEURS DANS LE SOIN Les valeurs que nous pouvons retrouver en devenant soignant sont la base de notre motivation pour exercer notre futur métier d’infirmier. Lorsque nous avons choisi de nous lancer dans notre formation, nous sommes tous arrivés avec nos valeurs et nos convictions. Comme dit S. Truchon, «Les valeurs sont des références pour l’action humaine. Nous leur accordons un prix, on les estime et on y aspire. Sur le plan individuel, chaque personne privilégie des valeurs qui influencent ses actions et guident ses comportements et ses attitudes dans ses rapports avec autrui.» [23] 3.1) L’influence des valeurs personnelles Les valeurs dans le soin sont régies par des lois, des décrets, des référentiels mais le soignant est un Homme avant tout avec ses idées, ses convictions, son vécu et son expérience. A ce titre, R. Polin aborde le sujet de l’origine des valeurs. Chaque individu a un vécu, il a une famille, des amis, parfois une religion. Il a aussi un métier. A partir de tout ceci, de son expérience, il se crée des valeurs. [5] F. Venaut s’intéresse aux valeurs soignantes : «Les valeurs déterminent notre façon d’aborder la vie au quotidien. Elles conditionnent nos actes et nos pensées. En effet, un soignant lors de l’accomplissement d’une tâche, y accordera plus ou moins d’importance en fonction de sa propre échelle de valeurs […] L’acteur transposé sur son lieu de travail, ne quitte pas ses valeurs «au vestiaire» pour endosser un autre système de valeurs diamétralement opposé.» [4] Nos valeurs influencent directement nos projets, nos actes, nos comportements au quotidien. Ainsi, JG. Boula parle des valeurs comme des «croyances privées, personnelles, individuelles qui sont les plus importantes pour soi. Les valeurs sont des systèmes de croyances à propos du bien et du mal, du juste, du faux. Les valeurs guident également la vie de la personne comme une boussole interne.» [3] La situation qui nous a interpellés, a d’abord bouleversé nos références donc nos valeurs. Elle a bousculé nos valeurs personnelles car nos convictions d’honnêteté, d’authenticité n’étaient 10 plus présentes comme le respect du droit à l’information qui nous est imposé par la loi du 4 Mars 2002 relatives aux droits des malades. En effet, l’infirmière dissimule le traitement de Me M. et lui donne un traitement alors que la patiente pense qu’elle lui donne à manger. D’après C. Durand, les valeurs professionnelles viennent s’ajouter aux valeurs personnelles : «Une valeur professionnelle ne vient pas s’ajouter de façon numéraire à ses valeurs personnelles. L’individu qui entreprend les études n’est pas vierge de toute valeur. […] Le choix de cette profession est souvent sous-tendu par la possibilité de faire vivre, voire d’exalter, dans l’action professionnelle, les valeurs personnelles qu’il veut défendre.» [7] Les valeurs personnelles et celles partagées par les soignants sont intimement imbriquées. 3.2) L’équipe et les valeurs partagées Nous avons vu que les valeurs déterminent notre façon d’aborder la vie au quotidien et cela est encore plus frappant dans une profession comme la nôtre qui touche à l’humain. Ces valeurs sont à la base du travail en équipe. Selon F. Venaut, les valeurs ont un impact sur le travail en équipe. Il évoque la notion de valeurs partagées qui pour lui permettent à l’équipe de se fixer des objectifs communs. [4] Le professeur R. Lafon rappelle l’étymologie du mot équipe : «Equipe viendrait du vieux français «esquif», qui désignait à l’origine une suite de chalands attachés les uns aux autres et tirés par des hommes, est-ce l’image des bateliers tirant sur la même corde ou celle de bateaux attachés ensemble…toujours est-il qu’on a parlé un jour d’équipe de sportifs pour gagner un match. Il y a donc dans ce mot un lien, un but commun, une organisation, un double dynamisme venant aussi bien de la tête que de l’ensemble, une victoire à gagner ensemble.» [24] Pour P. Cauvin, «Le statut de l’équipe connaît tous les degrés de formalisation, à commencer par l’absence de statut, mais elle est le lieu où se développent les solidarités, où se renforcent les actions de chacun par le jeu des échanges, où s’unifie l’activité, où se crée un esprit commun.» [25] L’équipe a ses valeurs, ses codes. Ce qui fait qu’il y a un véritable esprit d’équipe, ce sont des valeurs partagées et le fait que chaque membre de l’équipe puisse s’identifier à un groupe. Nous avons vu plus haut l’influence de nos valeurs personnelles sur notre pratique soignante; cependant un soignant ne doit pas imposer ses valeurs personnelles aux personnes soignées et c’est pour cela qu’il existe autant de lois qui régissent notre profession. La loi devient un «garde-fou». Selon C. Durand, «s’inspirant de valeurs propres à la profession, le Code de déontologie des infirmières et des infirmiers sert de guide à la réflexion. En effet, si un dilemme survient, l’infirmière doit considérer les obligations déontologiques dans l’analyse de la situation.» [7] 11 Avec notre situation d’appel, nous pouvons identifier la notion d’équipe car tous les acteurs présents vont dans le même sens. Il est préférable pour l’équipe que la patiente prenne son traitement même si on le dissimule. Ce sont des valeurs partagées, nous avons une obligation de soins même si dans ce cas, le soignant ne respecte pas le droit à l’information. Comme le souligne C. Durand, «en tout état de cause, pour garantir la personnalisation des soins et leur adaptation à l’état de la personne, la situation de soin est à recréer à chaque nouvelle rencontre avec le sujet de soins. Il est donc quasiment impossible de prédéfinir toutes ces situations de soins pour les encoder dans un référentiel de bonnes conduites» [7] Nous entendons beaucoup parler de burn-out professionnel dans notre métier, nous pouvons nous poser la question des conflits de valeurs ici car l’infirmier doit «réaménager son système de valeurs sous peine de s’exposer à des conflits internes importants lors de son exercice professionnel futur.» [7] 3.3) Les conflits Le site du dictionnaire Larousse définit le conflit comme «une violente opposition de sentiments, d’opinions, d’intérêts» [26]. Dans le cas de la profession infirmière, il n’est pas rare de se retrouver en désaccord avec d’autres professionnels de la santé ou même avec soi lorsqu’il y a un conflit de valeurs dans la prise en soins d’une personne. 3.3.1) Conflits de valeurs Le site du Syndicat National des Professions Infirmières dit que «lors du choix de leur profession, les personnes arrivent avec leurs propres valeurs et convictions personnelles. En adhérant à la profession, ces personnes s’engagent à respecter les valeurs et les règles de conduites du métier» [27]. F. Venaut rappelle cependant que «l’infirmier à des valeurs personnelles qu’il emmène avec lui au travail et qui ne disparaissent pas une fois qu’il a mis sa blouse» [4] ce qui amène parfois l’infirmier à un conflit intérieur important face à des situations qui peuvent le heurter dans ses devoirs professionnels ou le mettre en difficulté par rapport à la prise en soins d’un patient. Selon J. Château « Aller à l’encontre de nos valeurs génère une souffrance car c’est une ligne de conduite, une croyance en quelque-chose qui nous représente, qui nous identifie» [3]. Dans notre situation, c’est ce qu’il se passe puisque l’infirmière est obligée de transiger avec ses valeurs pour permettre une meilleure prise en soin de la patiente. On peut dire qu’il y a eu opposition entre ses valeurs, convictions personnelles et ses valeurs professionnelles au 12 moment de cette prise de traitement. Toutefois, «L’infirmière ne peut en aucun cas imposer ses valeurs personnelles aux personnes qu’elle prend en soin malgré le conflit intérieur qu’elle peut ressentir […] L’infirmière doit faire passer ses convictions au second plan pour ne s’attarder que sur les intérêts du patient et de sa prise en soin optimale» [27]. 3.3.2) L’équipe face aux conflits de valeurs Comme nous l’avons vu auparavant, C. Durand explique que pour un infirmier, «agir en respect des valeurs communément admises par la profession, c’est acter son appartenance au groupe professionnel» [7] c’est faire partie d’une communauté. Mais si le soignant transgresse ces valeurs, il s’expose à se faire rejeter par ses collègues. Selon elle, «l’infirmier doit avoir le sens du défi et ne pas trop communiquer sur ses valeurs car si on constate qu’il ne les respecte pas dans la pratique, il sera disqualifié aux yeux de ses collègues» [7]. On peut dire que l’équipe partage des valeurs professionnelles qui vont permettre d’atteindre un but commun notamment une prise en soin holistique d’une personne. Seulement, F. Venaut met un bémol en expliquant «qu’une même valeur peut ne pas être partagée de la même manière par deux individus différents» [4]. D’où, la naissance d’un conflit possible lorsqu’on retrouve chez deux soignants, une hiérarchisation de leurs valeurs complètement différentes. La parole de chacun est importante et «chacun doit être écouté sur la place et le rôle qu’il attribue à ses valeurs personnelles dans son travail car elles sont constitutives de ses valeurs de soignant» [4]. L’EXPLORATION PRATIQUE 1) METHODOLOGIE 1.1) Choix de l’outil Nous avons mené des entretiens directifs ouverts comprenant 10 questions ouvertes (cf. annexe…) validées par notre formatrice de guidance. Cet outil nous paraissait le plus approprié car il permettait aux personnes interrogées de répondre librement aux questions préparées, et nous donnait la possibilité de poser des questions de relance pour apporter des éléments de compréhension. 13 1.2) Choix des lieux Nous avons décidé de mener nos entretiens dans trois Établissements d’Hébergements pour Personnes Âgées Dépendantes (EHPAD) différents. Nous avons décidé de choisir des EHPAD qui se trouvaient en zone urbaine, en zone péri-urbaine et en zone rurale car il nous semblait que ces différents établissements pouvaient nous apporter des éléments nouveaux pour notre réflexion. En effet, notre situation d’appel se déroule dans un EHPAD et nous avons axé notre travail sur les valeurs soignantes dans ces lieux de vie. Nous avons adressé une demande écrite à la Direction des Soins de chaque établissement pour solliciter un entretien avec un(e) IDE. Nous avons ensuite pris contact par téléphone avec les Cadres de Santé pour les modalités de rencontre. Nous avons ainsi réalisé trois entretiens qui se sont déroulés chacun dans un bureau, au calme, propice à un échange de qualité. 1.3) Choix des populations Concernant le type de professionnel à interviewer, nous avons eu l’opportunité de rencontrer une IDE diplômée depuis 3 ans, une IDE référente douleur et soins palliatifs exerçant en EHPAD depuis 20 ans et une IDE travaillant en zone rurale depuis 7 ans. Nous n’avions pas de critères précis quant à leur âge, leur sexe, l’année d’obtention de leur diplôme ou quant à leur expérience dans le service. Ces entretiens se sont réalisés avec des professionnels qui avaient la possibilité de se détacher de leurs activités pendant environ une heure. Nous avons décidé de recueillir des expériences et des points de vues différents selon le milieu d’exercice de ces professionnelles de santé afin d’analyser les convergences et les divergences de ces témoignages. A chaque entretien réalisé, les IDE nous ont invités à les recontacter en cas de besoin ce qui font d’elles nos personnes ressources pour la suite de notre recherche. 2) ANALYSE DES DONNEES 2.1) Les valeurs Au cours de nos entretiens, nous avons pu constater que pour les IDE 1 et 2 l’une des valeurs fondamentales était le respect de la personne soignée, pour l’IDE 3 c’est le bien-être de la personne qui est une priorité, mais elle cite elle aussi le respect. Pour l’IDE, 1 il n’existe pas de hiérarchie dans les valeurs au contraire des IDE 2 et 3 qui pensent que la hiérarchie peut être revue pour s’adapter à la prise en soins de leurs patients. Nos recherches nous ont montré que la 14 hiérarchie des valeurs dépend du vécu de chaque soignant. De plus, des valeurs professionnelles viennent s’ajouter aux valeurs personnelles. Pour faire partie de la communauté soignante, il s’agit d’accepter les codes et les règles qui régissent le métier d’Infirmier. Lorsque nous avons demandé s’il existait des valeurs communes à l’équipe soignante, l’IDE 1 a cité en priorité le respect (de la personne, de leurs souhaits, de la pudeur), la dignité, l’autonomie et l’écoute du résident. L’IDE 2 souligne aussi le respect (de la personne, des collègues, des lieux, du matériel, du secret professionnel), l’autonomie de la personne, la liberté dans les déplacements, l’écoute, l’entraide, la confiance, la tolérance et l’indulgence. L’IDE 3 met en avant le bien-être des résidents, l’hygiène, le respect, l’aide et l’écoute. Toutes ces valeurs ont été étudiées lors de nos trois années de formation mais les trois IDE soulignent que nous arrivons déjà dans ce métier avec nos valeurs personnelles. Pour elles, les valeurs personnelles sous-tendent forcément les valeurs professionnelles ce qui s’est manifesté lors de nos rendez-vous par des rires de la part des IDE 1 et 3; alors que l’IDE 2 déclare «c’est un métier humain donc forcément il y a des valeurs humaines qui ressortent dans notre profession et (hésitation), et oui forcément nos valeurs professionnelles (hésitation), personnelles ressortent forcément dans le professionnel.» Ainsi, pour l’IDE 1, ce sont nos valeurs personnelles qui nous mènent à choisir ce travail. Les valeurs professionnelles peuvent venir s’ajouter aux valeurs personnelles. Elle pense que quelqu’un qui ne faisait pas très attention au respect est obligé d’y faire plus attention lorsqu’il travaille. Au bout d’un moment, le respect peut devenir une valeur personnelle. L’IDE 3 pense que nos valeurs viennent de «la manière dont on a été éduqué, dont on a été formaté». Les valeurs évoluent avec le temps. Nous devons faire un compromis entre nos valeurs professionnelles et personnelles. Pour l’IDE 2, il n’ y a pas de différences entre valeurs personnelles et professionnelles, elle n’a pas l’impression d’être une personne différente chez elle ou au travail. Ces déclarations rejoignent ce qu’écrit F. Venaut «l’acteur transposé sur son lieu de travail, ne quitte pas ses valeurs «au vestiaire» pour endosser un autre système de valeurs diamétralement opposé» [4] Cependant, les trois IDE que nous avons rencontrées reconnaissent qu’elles ont déjà vécu des situations qui allaient à l’encontre de leurs valeurs. Les IDE 1 et 3 pensent toutes deux que les opinions des IDE ne sont pas toujours bien prises en compte par le corps médical. L’IDE 1 remarque que «les obligations du service vont à l’encontre de ce qu’elles (les IDE) voudraient faire pour le patient». Elle illustre son propos en faisant référence aux heures de lever et aux heures des repas qui sont imposées aux résidents. Pour l’IDE 3, la prise en charge de la fin de vie est quelque chose de difficile, surtout si le résident a exprimé le souhait de mourir. L’IDE 2, quant à elle, fait référence à la contention physique et se demande de quel droit elle peut entraver le mouvement de quelqu’un qui a «toute une vie derrière elle», même si elle est consciente que c’est 15 la sécurité physique du résident qui est mise en jeu. Nous avons pu constater que ce sujet, le conflit entre valeur et prise en soin, était délicat à aborder. D’ailleurs, dans leurs réponses, les trois IDE interrogées ont eu des hésitations marquées. J. Château explique sur ce point qu’ «aller à l’encontre de nos valeurs génère une souffrance car c’est une ligne de conduite, une croyance en quelque chose qui nous représente, qui nous identifie.» [6] Des désaccords liés aux valeurs sont également possibles au sein de l’équipe soignante. Les trois IDE reconnaissent d’ailleurs qu’elles ont déjà été confrontées à cette situation : l’IDE 1 estime que «c’est souvent des désaccords de prise en charge avec le médecin» mais que les désaccords proviennent souvent d’opinions différentes concernant les prises en charge ou de points de vue différents sur certaines situations. L’IDE 2 souligne le manque de personnel et de temps ainsi que la fatigue des équipes, génératrices de conflits. L’IDE 3 pense que les désaccords au sein de l’équipe se créent à cause de la charge de travail supplémentaire due au respect des habitudes des résidents. Pour contrer ce problème, elle mentionne l’existence de réunions d’équipe qui servent à aplanir les différends et à harmoniser la prise en soins. Les trois IDE interrogées reconnaissent toutes l’existence des valeurs et le lien qui existe entre nos valeurs professionnelles et personnelles. Le respect a été cité lors des trois entretiens et l’existence de situations allant à l’encontre de leurs valeurs a été confirmée par les trois infirmières. Nous allons donc nous intéresser à l’influence de nos valeurs dans notre pratique soignante, et plus spécifiquement en EHPAD. 2.2) L’influence des valeurs dans le soin Nous avons abordé le sujet des valeurs soignantes, il nous semblait intéressant de demander aux IDE si, selon elles, il y avait des valeurs propres au travail en EHPAD. Pour les IDE 2 et 3, il y a effectivement des valeurs spécifiques. L’IDE 2 pense que le respect et l’attention sont peut-être plus soutenus en EHPAD puisqu’il s’agit d’un lieu de vie. L’IDE 3 ne dit pas le contraire et souligne le travail fait sur la conservation de l’autonomie, «on est là pour les aider, on est pas là pour faire à leur place». L’IDE 1 ne se prononce pas, elle explique qu’elle n’a jamais travaillé dans des établissements de type CHU. Cependant, un stage avec l’équipe mobile de soins palliatifs lui a quand même permis de constater que la prise en soins était différente. Mais cette expérience lui a apporté «de la frustration» et elle considère que la prise en soins n’était pas optimale. L’EHPAD est un lieu de vie, il est souvent le dernier lieu de résidence des personnes accueillies. De ce fait, des liens se créent entre résidents, familles et soignants. Les trois IDE le soulignent dans leur entretien : «tu es chez eux, ils vivent ici […] alors que à l’hôpital c’est eux qui 16 viennent un peu chez toi» (IDE 2); «c’est surtout ne pas oublier que ces personnes ont un vécu, une histoire, qu’ils sont chez eux» (IDE 3); «par rapport à un service de chirurgie ou de médecine au CHU, ici nous on les connaît mieux, là-bas il y a beaucoup de «turn-over» et tout, au niveau des patients, donc ils s’y attachent moins qu’en maison de retraite. […] Nous c’est pareil les familles on les connaît, c’est souvent des familles qu’on a depuis 5/6 ans, et on a des liens autres» (IDE 1). Lorsque nous commençons notre formation, nous avons des valeurs personnelles auxquelles viennent s’ajouter des valeurs professionnelles au cours de notre apprentissage. L’expérience professionnelle modifie nos valeurs et leur évolution tout au long de notre carrière. L’IDE 3 va dans ce sens, «en sortant de l’école, on était très dans le soin, très dans l’hygiène, très dans le « fallait » être parfaite « fallait », voilà maintenant c’est vrai que j’ai relativisé beaucoup beaucoup de choses.» L’IDE 1 est du même avis, «oui je pense que plus on prend de l’âge, enfin dans la profession, plus on a conscience des valeurs.» L’IDE 2 n’a pas su quoi répondre sur le sujet de la modification de ses valeurs, «je pourrais pas te dire là si ça a changé. (silence) C’est compliqué les valeurs». Nous pouvons faire un parallèle entre la modification des valeurs professionnelles et l’expérience. Il semblerait qu’un certain recul soit nécessaire pour identifier l’évolution de ses valeurs. Les trois IDE s’accordent pour dire qu’il y a une influence de nos valeurs sur la pratique soignante. L’IDE 1 pense que les valeurs influencent la qualité des soins. Elle déclare que les personnes vraiment impliquées dans ce qu’elles font ont une meilleure prise en soins : «on n’a pas assez de personnels qui soient correctement formés à la personne âgée, à la prise en soins», «on voit vraiment la différence de prise en charge avec les gens, ceux à qui ça passe par dessus de la tête et ceux qui sont vraiment impliqués dans ce qu’ils font, qui ont des valeurs». On retrouve cette idée chez l’IDE 3 qui pense que travailler en EHPAD doit être un choix, pas un travail imposé. Pour l’IDE 2 les valeurs contribuent à faire un bon IDE. PROBLEMATIQUE Notre situation d’appel nous avait tous interpellés car la dissimulation d’un traitement allait à l’encontre de ce que nous avions pu voir en théorie notamment les lois relatives aux droits des patients et les concepts en psychosociologie. Lors de nos différents stages, nous avons dû faire face à des situations qui ont pu parfois aller à l’encontre de nos valeurs d’où le choix d’effectuer un travail de recherche sur ce thème. Une question de départ s’est alors imposée à nous : «Dans quelle mesure les valeurs personnelles et professionnelles orientent-elles notre pratique soignante en EHPAD auprès des personnes âgées 17 atteintes de démence?» Au cours de nos recherches et de l’exploration pratique, nous avons pu identifier des idées similaires chez les différents auteurs étudiés et les infirmières interrogées notamment le fait que chaque individu a ses propres valeurs qui influencent directement ses actes et ses comportements au quotidien. Nous pouvons souligner aussi au vu de nos lectures et de nos entretiens que le choix de cette profession donne la possibilité à la personne de faire vivre les valeurs personnelles qu’elle défend mais aussi nécessite de s’approprier les valeurs professionnelles inhérentes au métier. Les IDE interrogées s’accordent toutes sur le fait que les valeurs personnelles soustendent les valeurs professionnelles. Par ailleurs, notre réflexion démontre qu’il existe des valeurs partagées dans une équipe de soins ce qui n’empêche pas que des désaccords liés aux valeurs personnelles de chacun émergent face à certaines situations. Outre les conflits d’équipe, l’IDE peut lui-même être confronté à un conflit de valeurs par rapport à la prise en soins d’un patient. Malgré le fait que nous n’avions pas choisi de critères par rapport à l’expérience des IDE interrogées, il s’avère que nous pouvons émettre l’hypothèse que l’expérience dans la profession apporte une modification et une évolution de nos valeurs. Dans notre cas, la situation qui a interpellé nos valeurs a produit un changement du cours de notre réflexion ce qui nous amène à la problématique suivante : «En quoi l’atténuation de nos valeurs personnelles et professionnelles permet-elle une meilleure prise en soins chez des personnes atteintes de démences en EHPAD?» Nous avons pu constater durant nos trois années de formation qu’il est difficile de prendre en soins des personnes âgées atteintes de démence malgré les compétences et aptitudes acquises. En effet, ces personnes peuvent parfois s’opposer aux soins et mettre l’IDE en difficulté ce qui peut éventuellement l’exposer à un conflit entre ses convictions et l’obligation de soins envers la personne soignée. BIBLIOGRAPHIE 1. 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Question 5 : Pensez-vous que vos valeurs professionnelles se sont modifiées depuis le début de votre carrière ? Question 6 : Avez-vous déjà été confronté à des situations qui engendraient de profonds désaccords et une scission des valeurs ? Question 7 : Avez-vous déjà eu le sentiment d'aller à l'encontre de vos valeurs personnelles durant l'exercice de votre fonction ? Question 8 : Pensez-vous que les valeurs personnelles sous-tendent les valeurs professionnelles ? Question 9 : Selon vous, y a t-il une différence entre valeurs professionnelles et personnelles ? Question 10 : Existe t-il des valeurs spécifiques au travail en EHPAD ? Question 11 : Souhaitez vous ajouter quelque-chose ? Ni le nom de l'IDE ni celui du Service ne seront mentionnés dans notre travail final. Nous vous remercions par avance. Colin Clélia, Coulon Eugénie, Féaud Océane, Hugonnot Adrien. Étudiants en Soins Infirmiers 3°année LA VALEUR DES VALEURS Ce mémoire aborde le sujet des valeurs, professionnelles et personnelles, et plus précisément leur influence dans la prise en soins de patients résidant en EHPAD. Nous avons tous des valeurs, elles nous ont été inculquées par nos parents, notre éducation, nos rencontres. en tant que soignant nous assimilons aussi des valeurs professionnelles telles que l’honnêteté, l'empathie, le respect, pour ne citer qu'elles. Parfois un soignant doit mettre entre parenthèses ses valeurs et son ressenti afin d'offrir la meilleur prise en charge possible au patient. Nous nous sommes intéressés à l'influence des valeurs dans le travail, leur évolution au fil de la carrière d'infirmier, et les valeurs partagées par l'équipe soignante. Nous sommes partis d'une situation qui nous a tous interpellé, nous avons identifié ce qui nous avait questionné et à partir de ces questions nous avons élaboré une question de départ et des axes de recherches. Par la suite nous sommes allés à la rencontre de trois IDE travaillant en EHPAD afin de recueillir l'avis de professionnels de terrain. Au final ce travail nous a permis d'approfondir un des aspects fondamental du travail de soignant : l'impact des valeurs sur la prise en soins. Ce travail peut d'ailleurs s'adresser à tous les professionnels de santé puisqu'il aborde un sujet universel qui n'est pas propre qu'aux infirmiers. Bonne lecture VALUES VALUE This dissertation addresses the theme of professional and personal values, and specifically their influence in the quality of care for patients living in retirement house. We all have values, they have been teached to us by our parents, our education, our meetings. As nurse we also assimilate professional values like honesty, empathy, respect, among others. Sometimes a nurse has to put between parentheses his values and his feelings to provide the best support possible to patients. We have worked on the influence of values in work, their evolution during a nurse's career, and the values shared by the team. We began with a situation that interpellate us, then we have identified the facts that questioned us and, from these questions we have elaborate a research question and some research axis. Thereafter we have met three nurses working in some retirement houses, we wanted to collect their professional opinion. Finally this work allowed us to deepen one of the fondamental aspect of the nurse's job : the impact of values on the care. This dissertation can also apply to all health professionals because it deals with an universal theme, that don't concern nurses only. Good reading