QUELLES POLITIQUES PUBLIQUES POUR LES JEUNES ?

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QUELLES POLITIQUES PUBLIQUES POUR LES JEUNES ?
QUELLES POLITIQUES PUBLIQUES POUR LES JEUNES ?
Logement, études, emploi : les politiques publiques en direction des jeunes adultes sontelles adaptées aux difficultés qu’ils rencontrent ? Stéphane Carcillo (OCDE, Sciences Po),
Claire Guichet (CESE, Paris II CERSA), Bruno Palier (CNRS et Sciences Po) et Olivier
Thévenon (OCDE et Ined) ont discuté de cette question lors d'une table ronde organisée à
l'Ined le 27 mai dernier, en clôture de la journée scientifique de l'unité Démo Eco,
consacrée à la transition vers l’âge adulte. Résumé des interventions.
 Olivier Thévenon : la France, un modèle conservateur « hésitant »
Le modèle français reste fortement imprégné par l’approche conservatrice, dominante en Europe continentale. Contrairement
à l’approche social-démocrate qui envisage simultanément les différents aspects de la transition vers l’âge adulte (études,
logement emploi…), l’approche conservatrice appréhende la jeunesse comme une succession de séquences de vie distinctes,
avec l’idée que le jeune doit d’abord achever ses études et trouver un travail pour être en mesure de quitter le foyer parental
et fonder une famille. Cette vision confère un rôle primordial à la famille, chargée de soutenir le jeune en attendant qu’il
s’insère dans l’emploi. C’est aussi essentiellement par la famille que passe l’aide de l’Etat. Ce système accorde peu d’autonomie
sociale aux jeunes, qui ne sont pas porteurs de droits propres.
Le modèle français apparaît néanmoins relativement mixte, hésitant entre plusieurs approches. Ainsi, même s’il se caractérise
par une forte « familialisation » des aides, notamment via le système fiscal qui accorde des réductions d’impôts aux familles
comptant de jeunes adultes, il octroie certains droits directs aux jeunes, comme la couverture maladie universelle (CMU) ou
certaines aides au logement. En revanche, les moins de 25 ans ne bénéficient pas d’un revenu minimum d’insertion comme au
Danemark, modèle de l’approche social-démocrate, ou dans des pays d’approche libérale, où l’Etat tend à jouer un rôle de filet
de sécurité et le jeune est très tôt considéré comme un adulte en termes d’aide sociale.
De même, en matière de financement de l’éducation, la France dépense beaucoup plus que les autres pays dits conservateurs,
même si elle reste encore en deça des pays nordiques. Autre similitude avec les politiques d’inspiration social-démocrate, elle
préfère l’octroi de bourses, alors que le modèle libéral privilégie les prêts étudiants pour responsabiliser financièrement le
jeune.
 Claire Guichet : adapter le parc immobilier et diminuer le coût du logement
En France, les jeunes adultes quittent relativement tôt le domicile parental, notamment en raison de l’éloignement des
formations et des lieux d’emploi (un peu plus de 23 ans et demi en moyenne en 2013, contre 26 ans pour la moyenne des
jeunes de l’Union européenne, mais 19 ans et demi en Suède, selon Eurostat).
Les jeunes recherchent généralement des logements plus petits que ceux du reste de la population, dans des positions
géographiques centrales. Or le parc immobilier ne correspond plus à ces besoins. Les politiques de défiscalisation ont plutôt
encouragé la construction de logements assez grands, en zones périurbaines. D’autre part, il se construit peu de petits
logements pour des questions de coût notamment. Les jeunes, qui disposent de faibles ressources et ont un besoin de mobilité
importante, recherchent donc un logement qui n’existe pas ou peu dans le parc immobilier. De leur côté, les bailleurs
souhaitent trouver un locataire stable, si possible en CDI, alors que l’âge moyen du premier contrat à durée indéterminée se
situe aujourd’hui entre 27 et 28 ans. Parallèlement, le logement social ne constitue plus, comme dans les années 1970, un sas
d’accès au logement pour les jeunes : le système s’est grippé. Aujourd’hui, le premier logement est le plus souvent un petit
appartement privé en location, qui coûte très cher.
Pour que ce loyer ne pèse pas trop lourdement sur le budget des jeunes, il existe deux moyens d’action : diminuer son coût ou
solvabiliser le jeune par des aides. En réalité, par un effet mécanique, les Aides personnalisées au logement (APL) ont surtout
servi à financer l’inflation des loyers. Le Conseil économique et social préconise donc l’encadrement des loyers. Enfin, il
recommande d’étendre l’offre des logements dédiés aux étudiants comme les CROUS (Centres régionaux des œuvres
universitaires et scolaires). Outre leur vocation sociale, ces logements contribuent à atténuer la concurrence qui peut s’installer
entre les jeunes salariés et des étudiants aidés par les garanties des parents pour constituer de meilleurs dossiers de location.
 Stéphane Carcillo : des expérimentations intéressantes pour aider les jeunes sans qualification
Il faut insister sur la situation dramatique des jeunes sans qualification, qui connaissent des difficultés non seulement
dans la phase de transition vers l’âge adulte, mais aussi parfois durant de nombreuses années, voire toute leur vie.
Le problème s’est aggravé au cours des 30 dernières années, avec un système qui accorde une prime de plus en
plus importante au diplôme. Le modèle français, très traditionnel et fondé sur l’universalité, avec une école et des
formations qui sont les mêmes pour tous, ne semble pas très adapté pour donner les clés de l’emploi à ces
jeunes. En revanche, les politiques publiques peuvent s’inspirer d’expérimentations, souvent extrêmement
intéressantes, qui se multiplient en France ou à l’étranger.
Institut national d’études démographiques • 133, bd Davout 75 980 Paris cedex 20 • www.ined.fr
Les Etats-Unis offrent ainsi nombre d’exemples de programmes pour les jeunes, donc certains commencent dès l’école. En effet,
plus on intervient tôt, plus il est possible de prévenir l’échec scolaire. Ces interventions sont outre moins coûteuses, car elles
s’appuient sur des infrastructures existantes.
Il faut citer par exemple les « charter schools », des écoles publiques qui peuvent adapter les programmes et méthodes
d’enseignement aux profils des élèves, ou les « career academies », des lycées qui les exposent au travail en entreprise. Des
jeunes souvent issus de milieux défavorisés peuvent ainsi trouver un métier qui les intéresse, mais aussi développer un savoirêtre, une motivation qui leur permettra ensuite de décrocher des entretiens plus facilement.
Pour les décrocheurs, les « drop-outs » en anglais, qui ne sont ni à l’école, ni en emploi ni en formation, les dispositifs les plus
efficaces sont souvent des dispositifs très coûteux, comme les « Job Corps ». Ces établissements dotés d’un internat présentent
des taux d’encadrement très élevés, avec environ un employé pour trois ou quatre jeunes. Les infrastructures appartiennent à
l’Etat fédéral mais le programme est géré par des opérateurs privés, rémunérés sur leur capacité à remettre les jeunes soit dans
un cycle d’études, soit dans l’emploi. La réussite est évaluée à la sortie du programme mais aussi six mois et un an après.
Plusieurs études ont montré que le coût de ce programme, l’un de ceux qui marchent le mieux aux Etats-Unis, était largement
compensé par ses effets positifs à long terme sur l’emploi, mais aussi la criminalité, la santé… En France, des programmes
comme les Ecoles de la deuxième chance s’inspirent déjà de ces programmes.
 Bruno Palier : investir dans le capital humain
Le principe de l’investissement social, exposé dans le rapport du Conseil économique et social, est de considérer que certaines
dépenses sociales ne représentent pas seulement des coûts, mais génèrent un retour sur investissement, à la fois économique
et social, en favorisant la réussite professionnelle, familiale, etc. Il s’agit d’investir dans la création d’un capital humain, de
permettre à chacun de l’exploiter et de l’entretenir tout au long de la vie. Les politiques publiques qui permettent d’y parvenir
sont tournées vers la prévention et la dotation, plutôt que la réparation, et couvrent tout le parcours de vie : développer
l’accueil de la petite enfance, permettre la réussite de tous, apporter un soutien au début de la carrière et de la constitution
d’une famille, favoriser l’emploi des femmes et lutter contre le plafond de verre, anticiper et accompagner les périodes de
chômage ou le vieillissement dans l’emploi.
L’investissement social suppose d’investir dans les jeunes. La France est en train de réaliser que la jeunesse constitue un nouvel
âge de la vie et nous ne sommes pas armés pour y faire face. L’un des problèmes du système français est la familialisation de
nos prestations sociales, qui rend les jeunes dépendants de leur famille et explique une partie de nos mauvais résultats en
termes de chômage (près d’un quart des jeunes actifs de 15-24 ans sont au chômage) ou de pauvreté. En France, la majorité
légale est à 18 ans, mais il faut attendre d’avoir 25 ans pour être majeur socialement et d’avoir droit au RSA (revenu de
solidarité active) ou d’autres prestations. Les pays qui font de l’investissement social essaient au contraire de permettre aux
jeunes d’accéder à l’autonomie avec des prestations individualisées d’autonomie. L’autre problème est le caractère élitiste du
système éducatif français, à l’opposé du système égalitaire finlandais, par exemple, qui prône la réussite de tous. Aujourd’hui,
les systèmes qui présentent les plus fort taux de réussite en termes de bien-être, de réduction de la pauvreté et d’accès à
l’emploi des jeunes sont ceux qui favorisent l’autonomie et la formation pour tous.
Stéphane Carcillo est un économiste spécialisé dans les politiques de marché du travail à l’OCDE, responsable
d’un projet sur les jeunes et l’emploi, professeur affilié au département d’économie de Sciences Po et directeur
exécutif de la Chaire de sécurisation des parcours professionnels. Il a coécrit « La Machine à trier. Comment la
France divise sa jeunesse » (Eyrolles, 2011)
Claire Guichet, doctorante contractuelle en science politique à l’université Paris-II Panthéon-Assas (Cersa-CNRS)
et ancienne présidente de la FAGE, la Fédération des associations générales étudiantes, représente les étudiants
au sein du Conseil économique et social. Elle a réalisé le rapport du CESE sur le logement autonome des jeunes en
2013.
Bruno Palier, docteur en science politique, directeur de recherche du CNRS au Centre d’Etudes européennes à
Sciences Po (Centre d’Etudes Européennes ; CEE), codirige le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des
politiques publiques (LIEPP). Personnalité associée au Conseil économique et social, il a signé en 2014 le rapport
du CESE sur « la stratégie d’investissement social ».
Olivier Thévenon est économiste à l’OCDE et chercheur associé à l’Ined (ancien co-responsable de l’unité de
Démographie économique), spécialiste des politiques familiales.
SOURCE
Table ronde « Quelles politiques publiques pour les jeunes », Journée scientifique de l’unité de Démographie économique, le 27 mai 2015 à
l’Ined
POUR EN SAVOIR + www.ined.fr
Site des journées Démo Eco
Politiques d’aide aux jeunes adultes en Europe, mini-conférence d’Olivier Thévenon (vidéo)
Le passage vers l’âge adulte, conférence en anglais de Francesco Billari de l’université d’Oxford (vidéo)
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