la hiérarchie des tendances de pierre janet et sa confrontation a

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la hiérarchie des tendances de pierre janet et sa confrontation a
LA HIÉRARCHIE DES TENDANCES DE PIERRE
JANET ET SA CONFRONTATION A QUELQUES
EXPÉRIMENTATIONS CONTEMPORAINES
Isabelle Saillot
Institut Pierre Janet
23 rue de La Rochefoucauld
75009 Paris, France
[email protected]
Domaine : Psychologie Cognitive, Psychologie Sociale, Psychologie Dynamique.
RÉSUMÉ
La hiérarchie de Pierre Janet est une échelle des compétences cognitives (perception, motricité, attention,
raisonnement) distribuées sur des degrés de « synthèse » qui sont aussi des niveaux « dynamiques » de fatigue/force.
Son évolutionnisme biologique, périmé, a été judicieusement critiqué. Dégagée de ces reliquats, la hiérarchie
redevient un outil efficace pour compléter l’interprétation de certaines expérimentations contemporaines. Les sujets
de Zuckerman (1975) et de Darley & Batson (1973) pourraient avoir subi une psycholepsie, ou chute sur la
hiérarchie janétienne, ceux de Otto & al. (2005) et Dalbert (2002) pourraient en illustrer deux degrés : les
hypothèses de ces expérimentations concernant la croyance en un monde juste (BJW) ou la dissonance cognitive
trouvent de prometteurs prolongements dans cette « psychologie dynamique » intégrant le facteur fatigue, dont un
panorama introductif vient d’être présenté par Hatron (2006). Cette intégration expérimentale serait facilitée par
l’utilisation d’échelles de fatigue, dont Dittner & al. (2004) font récemment une évaluation comparée.
MOTS-CLES
Psychologie dynamique, fatigue, hiérarchie, BJW, dissonance
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LA HIÉRARCHIE DE PIERRE JANET, QUELQUES RAPPELS
1.1 Une première hiérarchie cognitive
L’introspection historico-philosophique avait conduit à donner la primauté à différents phénomènes
psychologiques sur les autres : c’était la raison pour les rationalistes (à la suite de Descartes,
Malebranche, Spinoza ou Leibniz), l’effort pour Maine de Biran, et pour les empiristes (Locke, Hume)
c’était la sensibilité, ce qui inspirera le sensualisme de Condillac, lequel à son tour influencera l’école
spiritualiste française dans laquelle grandit le jeune Janet. Contemporain et ami intime de Pierre Janet,
pour Bergson le facteur psychologique premier est la conscience, ce qui donnera lieu à d’intéressants
dialogues – par ouvrages interposés – entre les deux auteurs (Fedi, 2005 ; Matsuura, 2006). Or, selon
Pierre Janet, l’observation des sujets en laboratoire ne justifie pas la place éminente que les
philosophes ont accordée à ces phénomènes variés. Janet établit que la principale faculté est celle du
mouvement, de l’action, tout acte ayant sa contrepartie en idée. En effet, « Bien des philosophes, et
Condillac surtout, se sont demandé ce qui arrive quand on introduit une sensation isolée dans une
statue vide de pensées (…) mais (…) ils ne nous ont pas dit qu'à chaque sensation nouvelle la statue
allait se remuer ». (Janet, 1889, p. 55). D’où il conclut, « Il n'y a pas, disions-nous, deux facultés, l'une
celle de la pensée, l'autre celle de l'activité, il n'y a à chaque moment qu'un seul et même phénomène
se manifestant toujours de deux manières différentes » (préface de la 2nde édition, p. 58).
L’idée et le mouvement étant « deux choses identiques, ou mieux, la même chose considérée à des
points de vue différents » (Janet, 1889, p. 477), l’activité psychologique est déterminée par le nombre
et la nature de ces idées-mouvements susceptibles de rester simultanément à l’esprit du sujet : les
phénomènes psychologiques deviennent ordonnés selon les degrés de puissance de la « synthèse
psychologique », qui assure cette simultanéité au sein du champ de conscience. La première hiérarchie
janétienne, dont le critère d’organisation est l’étendue du champ de conscience, est cognitive.
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1.2 La psychologie dynamique vient compléter la hiérarchie cognitive
La hiérarchie par synthèse va recevoir d’importants compléments, portant sur une accentuation de son
caractère dynamique, à savoir l’angle de la facilité des actions, de la force qu’elles nécessitent. Dès
l'Automatisme, Pierre Janet expose que pour un individu donné, les différences d'étendues du champ
de conscience peuvent être dues à des affaiblissements, des « faiblesse(s) physique et morale », des
« fatigues », des faiblesses de la « perception personnelle » (la liaison de la perception à l'idée du moi,
ou de personnalité), une « faiblesse de la faculté de synthèse ». En 1901 au Collège de France (Janet,
1901-1934), Pierre Janet en commentant Ribot aborde une hiérarchie où les actes se différentient les
uns des autres par leur facilité de réalisation en rapport à la fatigue : « l’étude expérimentale et
comparée de la fatigue physique et de la fatigue morale a permis d’établir une hiérarchie (…) en
montrant les fonctions qui sont les premières atteintes par la fatigue ». Il développe cette notion dans
Les Obsessions (Janet, 1903). En 1909-1910 (Janet, 1901-1934), ses cours commencent à exposer le
système des tendances, qui recevra à son tour d’importantes précisions dans Les Médications (Janet,
1919) où les tendances se voient attribuer une charge propre en force, biographique. Perception,
motricité et raisonnement/conscience, sont maintenant des actions sous-tendues par des tendances et
s'organisent par degrés de force. Ces degrés dynamiques contraignent les phénomènes cognitifs
(synthèse et étendue du champ de conscience). Les oscillations entre la force et la fatigue rendent
compte du passage des individus d’un degré à l’autre de leur hiérarchie des conduites. L’approche
dynamique était le plan descriptif qui manquait à la psychologie expérimentale (chez Wundt ou
Fechner par exemple) pour accéder enfin aux phénomènes de la vie quotidienne, telle qu’exprimée
dans les témoignages des sujets eux-mêmes. En effet, les oscillations de force et de fatigue sont
prédictives sur la quantité d’idées présentes à l’esprit : les idées sont la forme que prend une action
arrêtée par une fatigue, les états et flux de force règlent donc directement la proportion entre les « actes
des membres » et la rumination. Les oscillations de force et de fatigue sont aussi prédictives sur la
qualité des idées présentes à l’esprit : une action entravée donne des idées sombres et pessimistes, des
sentiments d’incomplétude et de dévalorisation de la réalité, qui sont des « dérivations » en agitations
mentales (les agitations pouvant aussi être somatiques). Une action achevée donne des idées de joie et
d’optimisme, le sentiment du triomphe, par « gaspillage » des forces démobilisées, libérées à tout
l’organisme dans le phénomène de l’« irradiation ».
On ne saurait confronter directement à l’expérimentation contemporaine la hiérarchie de Pierre Janet
sans répondre au préalable à des critiques qu’elle a reçues au sein de la recherche.
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DEUX CRITIQUES DE LA HIÉRARCHIE ET LEURS RÉPONSES
Deux critiques de la hiérarchie janétienne revêtent de l’importance en préalable de faire dialoguer
Pierre Janet avec la recherche contemporaine en psychologie. Premièrement, qu’en est-il aujourd’hui
de cette désuète conception par « facultés de l’âme » ? Deuxièmement, des psychologies dynamiques
(au sens de la nature de leur objet d’étude, et non plus étymologique) contemporaines de celle de
Pierre Janet ont été attaquées sur l’argument que la biologie évolutionniste qui les soutenait est
devenue périmée au sein de la recherche.
2.1 La conception par « facultés »
Pierre Janet s’en est lui-même expliqué : de la philosophie, il rejette certes la méthode
(l’introspection), mais pas les interrogations. Or pour lui, le mot de « facultés » résume au mieux ces
types de questionnements, et mérite donc d’être conservé, au prix d’un élagage conceptuel. Dans son
Manuel de Philosophie, p. 21 (Janet, 1896), il propose d’envisager une faculté, à la suite de Hume,
comme un « groupe de phénomènes psychologiques du même genre ». Ce faisant, de tels groupes
« devraient, autant que possible, dépendre les uns des autres », et pourraient même constituer
« l’expression de lois psychologiques ». Pour Pierre Janet, les « facultés » désignent donc des
phénomènes psychologiques observables aux vertus essentiellement pratiques dans le cadre de la
recherche expérimentale (et de l’enseignement).
L’avis de Pierre Janet étant pris, sa vue de la question reste-t-elle compatible de nos jours avec la
recherche en psychologie ? J.F. Richard, répond à son tour précisément à la même question (Richard,
1990). D’après lui, le découpage par facultés ne présente que très peu de différence avec les divisions
actuelles de la psychologie cognitive : perception, sensori-motricité, attention, mémoire, intelligence.
Richard rappelle que cette étroite parenté avec les anciennes facultés s’explique par héritage, et plus
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intéressant encore, qu’elle n’est pas sans avantage : ce « découpage de la psychologie en secteurs (…)
correspond à une conception selon laquelle l’individu est une somme de compétences cognitives.
Héritée de la psychologie des facultés, cette conception (…) permet d’analyser localement le
fonctionnement cognitif, dans le cadre de paradigmes expérimentaux bien définis » (p. 7). Un siècle
après Pierre Janet, J.-F. Richard a donc la même réponse à cette invariable question : qu’on utilise les
mots de « secteurs », de « compétences » ou de « facultés », ces divisions pratiques de la recherche
expérimentale n’ont d’autre raison d’être que de faciliter l’expérimentation en circonscrivant son objet.
La critique de la hiérarchie de Pierre Janet ne pourra donc porter sur son approche par facultés.
2.2 Le biologisme spencéro-haeckélien de la hiérarchie janétienne
L'évolutionnisme biologique de la hiérarchie de Pierre Janet a été brièvement mentionné au détours
d’autres études janétiennes (Prévost, 1973 ; Ellenberger, 1974 ; Braunstein & al., 1999), mais peu
d’auteurs y ont consacré un travail spécifique (Van der Weer, 2006 ; Saillot, 2004b). Comme le
rappelle J. Duvernay-Bolens (Duvernay-Bolens, 2001), la critique d’une psychologie fondée sur le
biologisme évolutionniste de la fin du 19ème siècle au début du 20ème a été magistralement effectuée par
Sulloway (Sulloway, 1979), dont les travaux ont porté sur les erreurs de Freud en biologie. C’est cette
étude de Sulloway que Gould (Gould, 1977) reprend en détail dans la partie de son ouvrage consacrée
aux dérives que ces théories biologiques erronées ont entraînées à l’extérieur de leur domaine
d’origine. Les caractéristiques de ces vues fausses ou mal comprises par les psychologues de l’époque
– Pierre Janet compris – nous permettront ici de reconstituer ce que Pierre Janet entendait par
« évolution », en suivant les propriétés dégagées par Sulloway et Gould, et considérant leurs critiques
comme directement adressées à Pierre Janet.
1. Pierre Janet est lamarckien. Pour Lamarck, l’utilisation ou la négligence d’un organe le développe
ou le fait dépérir, ces changements étant héréditaires. En 1909 Janet écrit : « Chaque homme évolue
continuellement de deux manières : en premier lieu il doit accomplir à chaque instant de sa vie (…) un
développement individuel qui, de la naissance à la mort, transforme incessamment son activité, en
second lieu il participe sans cesse à l'évolution de la race » (Janet, 1909).
2. Pierre Janet est spencérien : l'évolution de Herbert Spencer (1820-1903) était un principe de progrès
du simple au complexe. Ces idées, librement extrapolées de Lamarck, de Darwin et de Von Baer,
influencèrent la plupart des auteurs de son temps. Janet écrit : « L'évolutionnisme, c'est tout
simplement l'usage de la notion de progrès et d'invention » (Janet, 1928).
3. Pierre Janet est haeckélien. En déformant les idées initiales de Von Baer, Haeckel statue que les
embryons récapitulent les adultes inférieurs. Dès 1909, on peut lire : « Les phénomènes de la volonté,
ou du moins une partie d'entre eux, la perception de la réalité changeante, la formation des croyances
ne sont comparables qu'à des phénomènes de développement organique » (Janet, 1909).
4. Pierre Janet est récapitulationniste. Gould explique : « l'argument classique de la récapitulation
invoque un triple parallélisme de la paléontologie, de l'anatomie comparée, et de l'ontogenèse ». Janet
adhère au triple parallélisme. En 1889, il rapproche « les enfants et les malades », et « l'enfant et (de)
l'idiot » (Janet, 1889). En 1926, il compare « les individus de divers niveaux, les animaux, les enfants,
les primitifs et surtout (…) les malades » (Janet, 1926-28).
5. Pierre Janet soutient la théorie des arrêts de développement. Comme le rappelle Gould, le triple
parallélisme récapitulationniste est rapidement complété par l'explication phylétique des anomalies en
tant qu'arrêts de développement. La théorie des arrêts de développement renforce encore le prestige de
la récapitulation. En 1909, Janet écrit « Les névroses [résultent] des modifications de certains organes
dont dépendent des arrêts de développements » (p. 390), ou : « les malades (…) nous présentent par
les arrêts de développement et les régressions toutes les formes et tous les degrés de ces évolutions
psychologiques » (Janet, 1926-28).
Qu’est-il advenu de l’évolutionnisme de la hiérarchie janétienne ? En 1900, H. de Vries redécouvre les
principes de Mendel. En 1915, T. Morgan infirme la transmission héréditaire des caractères acquis. En
biologie, le lamarckisme est mort. Dès les années 20, la récapitulation est invalidée par la réfutation de
ses deux lois principales (addition terminale et condensation), les arrêts de développement tombant du
même coup. Le fondement évolutionniste de la hiérarchie janétienne, inscrit par chacun de ses aspects
dans une biologie en tous points périmée dans la recherche, ne résiste donc pas à ces critiques de fond,
initialement adressées à Freud par Sulloway et Gould. Pierre Janet est tombé dans le même piège que
les naturaliste du 18ème siècle : amalgamer une classification et une phylogénie. Au 18ème siècle, les
« classifications naturelles » se heurtent au transformisme et se confondent alors avec les premières
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« généalogies ». Comme le rappelle P. Tassy (Tassy, 1998), à l’époque, par le principe de la « série
continue », tout groupe contemporain est considéré soit ancêtre soit descendant d’un autre groupe
contemporain : c’est bien l’idée que se fait Pierre Janet des phénomènes psychologiques, tous actuels,
et néanmoins tous en rapport de filiation. La taxinomie moderne n’a pas donné raison à cette vision
des choses, mais cette difficulté, au moins, n’est reconnue que depuis peu : O’Hara écrit que « nous ne
faisons que commencer à réaliser (…) que l’analogie entre systématique et classification est une
erreur » (O’Hara, 1992). Le fondement biologique erroné que Pierre Janet a cherché à ses travaux ne
doit pas faire oublier que la hiérarchie et toute sa psychologie dynamique restent néanmoins
autonomes et ne sont pas affectés par le changement de paradigme biologique. Ses citations
biologisantes, en revanche, doivent inciter les non biologistes à la plus grande prudence.
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LA HIÉRARCHIE DANS LA RECHERCHE CONTEMPORAINE : TROIS EXEMPLES
La hiérarchie de Pierre Janet recèle un intéressant potentiel à compléter quelques interprétations
d’expérimentations actuelles de psychologie cognitive ou sociale : deux exemples sont tirés
d’expérimentations rappelées par Manuel Tostain (Tostain, 1999), celle de Zuckerman (1975) et celle
de Darley et Batson (1973). De récentes investigations de Otto & al. (2005) et Dalbert (2002) vont à
mon avis dans le même sens, et introduiront la question.
3.1 Expérimentations de Otto & al. (2005) et Dalbert (2002)
Le programme expérimental de la Just World Theory (JWT), issu des travaux de MJ. Lerner (Lerner,
1965 ; Lerner & al., 1966), a donné lieu à de fécondes recherches internationales en psychologie
cognitive et sociale, présentées en France par exemple par Jean-Pierre Deconchy (Deconchy, 1984)
dans le livre de Moscovici, ou par Laurent Bègue (Bègue & al., 2005). Ces travaux partent de l’idée
que certains sujets sont plus enclins que d’autres à penser que les gens méritent ce qu’ils obtiennent
(ou ce qui leur arrive), et obtiennent ce qu’ils méritent : ils ont une plus forte « croyance en un monde
juste » (Belief in a Just World, ou BJW).
Introduite par Lerner comme un « biais cognitif », une « illusion positive » ou une stratégie de
« coping », un début de consensus considère la croyance en un monde juste comme un élément stable
de la personnalité. Dans ce cadre, une forte BJW qualifie des sujets « optimistes », les autres étant dits
plus « pessimistes », parfois « réalistes–pessimistes », et plusieurs échelles permettent des évaluations
graduées. Ces travaux entretiennent une étroite parenté avec la structure de la hiérarchie janétienne,
car chez Pierre Janet, l’optimise et le pessimisme sont liés à des degrés de l’action ou à des transitions
entre degrés. Pour lui, les entraves à l’action, c’est à dire des fatigues, donnent des sentiments
d’incomplétude (pessimisme, tristesse). Inversement, des sentiments d’incomplétude sont
nécessairement le signe d’actions entravées, donc de fatigues particulières. Les actions achevées
donnent des sentiments de joie (« triomphe ») et inversement, les personnalités globalement optimistes
sont entreprenantes dans leurs actions : « les inactifs moroses ne sont ni des inventeurs, ni des
réformateurs, ils laissent ce rôle aux courageux et aux joyeux » (Janet, 1926-28). Selon les vues
janétiennes, la croyance en un monde juste départagerait assez efficacement les sujets plutôt optimistes
des sujets plutôt pessimistes : les sujets pessimistes seraient vraisemblablement à un degré moins
complexe de l’action sur leur hiérarchie janétienne. Quelques résultats expérimentaux d’Otto et de
Dalbert préciseront brièvement cette convergence entre la BJW et le degré hiérarchique d’activité
janétien. Sauf mention contraire, c’est la BJW « personnelle » qui est considérée ici (les sujets croient
le monde juste surtout pour eux-mêmes), étant plus prédictive que la BJW « générale » (les sujets
croient le monde juste en général).
Otto et ses collègues (2005) étudient l’impact psychologique d’une grave inondation sur des sujets
dont la croyance en un monde juste est mesurée, entre autre, sur l’échelle Personal Belief in a Just
World Scale de Dalbert (1999). Les effets de l’inondation sont mesurés sur plusieurs échelles de
symptômes post-traumatiques ou de dépression et anxiété. Les principaux résultats établissent qu’une
valeur (relative) élevée de croyance en un monde juste est corrélée significativement :
- positivement avec la santé mentale, la satisfaction de la vie, l’humeur et les sentiments positifs
- négativement avec les symptômes post-traumatiques de détresse, d’angoisse, et de dépression, avec
le sentiment d’insécurité sociale, d’hostilité et les pensées « paranoïdes ».
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Dalbert (2002) corrèle la mesure de BJW avec celle de la colère, en tant que « sentiment typiquement
associé à des appréciations d’injustice ». Ses résultats s’étendent à plusieurs pans des conduites
sociales, ce qui est fort intéressant du point de vue janétien puisque pour Janet, les conduites sociales
jouissent d’un statut très particulier : elles sont – statistiquement – les plus difficiles, les plus coûteuses
en force, et occupent donc l’extrémité de complexité sur la hiérarchie. Les principaux résultats
établissent qu’une valeur (relative) élevée de croyance en un monde juste est corrélée
significativement :
- positivement avec la confiance en autrui, l’idée qu’autrui nous fait confiance (« dyadic confidence »),
le bien-être, l’estime de soi, les initiatives d’action (« action orientation »),
- négativement avec le cynisme sur le comportement des autres, les « ruminations auto-centrées »,
l’isolation sociale.
Ces expérimentations mentionnent plusieurs facteurs tenus par Pierre Janet comme caractéristiques de
certains degrés de sa hiérarchie, ou de transitions entre degrés. Outre les sentiments ou idées
globalement positives rappelés en introduction, on relèvera particulièrement la corrélation de la BJW
avec le taux de recours à l’action, l’isolation sociale et la rumination. De ce point de vue, la croyance
en un monde juste peut être considérée, avant de nouvelles expérimentations, comme un indice
potentiel du degré janétien d’action des sujets. Il serait intéressant que des travaux expérimentaux
mettent à l’épreuve cette notoire « ressemblance » entre les degrés de la BJW et ceux de la hiérarchie
de l’action : en effet, si l’analogie a quelque fondement, elle permettrait d’ouvrir les interprétations
cognitives et sociales de la JWT à des facteurs de psychologie dynamique (variations force / fatigue)
intrinsèques à la hiérarchie, à ma connaissance peu invoqués pour l’instant, et, comme nous allons le
voir plus bas, non dénués de potentiel. C’est cette ouverture que les deux expérimentations suivantes
nous permettront de suggérer.
3.2 Expérimentation de Zuckerman (1975)
L’auteur évalue le degré de croyance en « un monde juste » d'étudiants bénévoles au sein d'une
association caritative. Ils sont ensuite sollicités par leur association, soit dans l’année soit en pleine
période d’examens. Les résultats sont inattendus : ceux qui croient peu en « un monde juste »
répondent dans l’année, les autres répondent en pleine période d’examens (tous les étudiants se
présentant aux examens), se surchargeant donc de travail spécifiquement pendant cette période
délicate. Les interprétations retenues restent pour partie en deçà des espérances. Des hypothèses
attribuent aux sujets des motifs relativement simplistes : les étudiants qui croient peu en un monde
juste seraient « pragmatiques », puisqu'effectivement il semble rationnel de participer à la vie
associative en dehors des examens. Les autres seraient superstitieux : « si je ne fais pas cette bonne
action, peut-être que ça me retombera dessus aux examens » (Tostain p. 268). Ces interprétations
pourraient être enrichies par ce que J.-F. Richard recommande pour la recherche expérimentale, c’est à
dire une vision de l’individu comme un tout : la différence initiale entre des étudiants qui croient plus
ou moins en « un monde juste » n’est pas une simple nuance en pensées impersonnelles qui se valent
toutes. Comme le suggèrent les travaux (postérieurs) d’Otto et de Dalbert, il se pourrait qu’elles
départagent deux personnalités distinctes : en termes janétiens, de capacité à l’action, donc de degré de
force sur la hiérarchie (l’entretien clinique janétien fait ici défaut). Comment le modèle janétien se
comporte-t-il quand les étudiants reçoivent la demande de leur association caritative ?
En dehors des examens, les optimistes, assez actifs, cultivent déjà des occupations quand ils reçoivent
la demande. Occupés, peu enclins à ce moment aux idées noires et à se pencher sur le malheur d'autrui
ni le leur, peu sensibles aux injustices, la demande les laisse indifférents ou les dérange, ils l'oublient
ou la remettent à plus tard. Les pessimistes, eux, sont émus par la demande, qui entre en résonance
avec leurs ruminations, leur sentiment d’injustice et d’incomplétude. Ils y répondent immédiatement :
ceux qui croient peu en « un monde juste » répondent dans l’année, pas les autres. Les examens
arrivent, qu'ont-ils pour effet ? Selon Janet, de fatiguer les deux populations d'étudiants, c'est à dire –
en termes dynamiques – de rabaisser d’un degré leur niveau sur la hiérarchie des conduites. De ce fait,
les anciens optimistes acquièrent le tableau clinique défini « pessimiste », tandis que les anciens
pessimistes s’enfoncent dans une psychasthénie plus franche. Les anciens optimistes répondent alors à
la demande pour les mêmes raisons que les pessimistes précédents, tandis que les anciens pessimistes,
en crise de psychasthénie, n'ont temporairement plus assez de force (d'action, de volonté) pour se
dévouer aux malheurs d'autrui : ceux qui croient en « un monde juste » répondent en pleine période
d'examens, pas les autres.
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Le modèle de psycholepsie induite par la fatigue des examens, en faisant descendre les sujets sur leur
hiérarchie, permettrait donc probablement de contribuer à l’interprétation des résultats sous un angle
original, où le degré d’action (ou de « force ») rend compte à la fois des représentations cognitives et
des modifications de la conduite.
3.3 Expérimentation de Darley & Batson (1973)
Une expérience de Darley et Batson (1973), rappelée par Tostain pp. 247-248, montre que dans
certaines conditions d'inquiétude (ici, on presse les sujets, leur disant qu’ils sont en retard), des
séminaristes délaissent sur leur passage un malade gémissant alors même qu'ils viennent de prêcher le
« dévouement » en conférence. Mais une fois établie l'influence de cette inquiétude horaire, il est
difficile d’interpréter en quoi elle conduit les sujets à violer leurs propres recommandations morales.
Quand on interroge ces sujets à propos de la différence entre leurs actes et leurs paroles, certains
tentent de la minimiser par diverses « stratégies de légitimation ou de désengagement moral » (p. 245),
dont la moins célèbre n'est pas la « réduction de la dissonance cognitive » de Festinger en 1957. Donc
les modèles permettent déjà d'établir – un peu timidement ? –, qu'inquiétudes et contrariétés altèrent
nos capacités à agir pour le mieux, et que nos conduites sont parfois sous « l'influence du contexte »
(p. 247). Janet disait déjà, en 1909, que dans certaines circonstances, l'individu se retrouve « au
dessous de lui-même ». Mais l’ingéniosité de ces expérimentations ne donne-t-elle pas envie d'en
apprendre un peu plus sur toutes leurs interprétations possibles ? Autour des années 1900,
l'incohérence entre le discours et les actions, mise en évidence par expérimentation médicopsychologique, était étudiée en psychologie dynamique, dans la recherche, et s'appelait le « langage
inconsistant » sous la plume et dans le laboratoire de Pierre Janet (entre autres). Un rapprochement des
plus passionnants reste à faire entre ce « langage inconsistant » et la dissonance.
Pour Pierre Janet, les idées ou paroles sont souvent le résidu peu efficace et assez « facile » de ce que
l’action efficace (« action des membres »), plus difficile, n’a pas pu réaliser concrètement dans la
réalité : on pense plus à nos actions inachevées qu’à celles qui sont très faciles ou déjà terminées. Une
fatigue peut être à l’origine de l’incomplétude des actions, inversement, cet inachèvement produisant
des efforts ou des ruminations, fatigue le sujet en retour. La fatigue, c’est à dire une chute sur la
hiérarchie, génère non seulement un surplus de pensées, mais du fait même qu’elles concernent des
actions inachevées (voire impossibles), ces pensées et paroles s’émancipent des actes concrètement
réalisés, souvent même de tout acte possible, et le sujet disjoint, voire met en contradiction, ses actes
et ses paroles : c’est le « langage inconsistant ». Ne pourrait-on pas alors établir un parallèle
inspirateur entre ces anciens résultats, et l'interprétation de l'expérience de Darley & Batson : les
séminaristes soumis à la contrainte horaire subissent comme les étudiants de Zuckermann une fatigue,
qui abaisse leur degré d’action ordinaire sur la hiérarchie. Alors qu’ils sont naturellement enclins à des
actions de sollicitude, certains sujets de ce groupe n’ont plus la force nécessaire à agir envers le
malade. Cette retenue de l’action émancipe le langage (les idées) des actes : les sujets produisent une
dissonance entre leurs convictions morales et leur action réelle d’aide à autrui. D'après l’hypothèse
janétienne, l’effet de la contrainte d'autorité sur la dissonance, outre ses déterminants cognitifs,
dépendrait donc également de facteurs « dynamiques » (force/fatigue), qu’il serait intéressant de
mettre aujourd’hui à l’épreuve expérimentale.
Ce rapprochement du langage inconsistant et de la dissonance poserait en outre à la recherche actuelle
quelques questions plus générales : pour Janet, une incohérence, plus ou moins étendue, entre la parole
ordinaire et les actions réellement effectuées par le sujet, est le cas le plus répandu de la conduite et de
la cognition normales, pour la raison que généralement les paroles sont toujours plus faciles que les
actes correspondants. C'est le cas inverse (paroles et actes qui se correspondent) qui serait rare : en
effet dans la plupart des conversations, les « bavardages de salon » comme dit Janet, le lien avec des
actions possibles, effectuées ou à faire est soit inexistant (météo, politique), soit erroné (« je vais le
frapper », « je vais faire un régime »). La généralité de cette dissonance s’explique du fait qu’elle n'est
pas perçue par le sujet (ni ses interlocuteurs, du même échantillon statistique) : il n'en souffre donc
pas, ne cherche nullement à la réduire, et perpétue indéfiniment son langage inconsistant. Selon les
vues de Pierre Janet, la réduction de la dissonance cognitive pourrait bien ne pas être un cas très
courant, la plupart des dissonances restant sans réduction. Ces hypothèses janétiennes sont à
rapprocher, par exemple, des travaux de Steele (1988), selon lesquels la réduction n’intervient pas
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systématiquement, mais seulement si l’estime de soi est menacée. Or, il serait intéressant de se
demander dans quelle mesure l’estime de soi est vraiment menacée dans les contextes les plus
courants de la psychologie normale : la majorité des conversations ordinaires (une part majeure de la
cognition), n'a-t-elle pas lieu entre sujets qui se fréquentent régulièrement (famille, amis, collègues) ?
La prévalence du langage inconsistant / dissonance s'expliquerait alors par une habitude des sujets, qui
augmenterait leur seuil de tolérance à l’auto-contradiction entre paroles et entre actions et paroles,
comme d’ailleurs d’autres seuils de vigilance (on pense par exemple aux cas expérimentaux de la
conduite automobile ou de l’opération de machines d’atelier).
3.4 Réponse à une objection et ouverture conclusive
Compléter les interprétations après le travail expérimental des psychologues cognitifs et sociaux est
une première étape préliminaire, mais reste très en deçà de ce que permettent la hiérarchie et la
psychologie dynamique de Pierre Janet au cœur de la recherche actuelle en laboratoire. La hiérarchie
de Pierre Janet peut s’inscrire plus profondément dans les travaux, en proposant d’elle-même de
nouvelles expérimentations au laboratoire. Or, on a objecté que la difficulté d’expérimentations
mettant à l’épreuve les concepts psychologiques janétiens serait difficilement surmontable dans le
cadre des paradigmes expérimentaux actuels, nécessitant leur totale refonte. Je crois au contraire que
la divergence de procédés entre l’entretien clinique janétien et les protocoles cognitifs et sociaux n’est
pas aussi rédhibitoire qu’elle n’y paraît. En effet, d’un point de vue janétien qui n’a pas été assez
abordé au sein du programme JWT ou de celui de la dissonance, une des questions cruciales n’est
autre que celle de la modification des conduites sous l’effet de la fatigue.
La complexité de la prise en compte du facteur fatigue ne doit pas être surestimée. La fatigue est de
mieux en mieux étudiée en psychiatrie, sous l’impulsion entre autres de la médecine généraliste, qui
depuis peu s’est attelée à la prévalence du SFC, « Syndrome de Fatigue Chronique ». Un manuel
d’introduction récent (Hatron, 2006) démontre l’essor de l’intérêt pour cette question tout en déplorant
une trop fréquente stigmatisation des origines psychogènes de la fatigue, par les médecins. Mais la
psychologie elle-même pourrait certainement elle aussi développer ses investigations de ce vaste
champ dont Pierre Janet encourageait déjà l’expansion. La fatigue est bien appréhendée par de
nombreuses échelles, dont Dittner & al. (2004) font récemment une évaluation comparée. En se
penchant par exemple sur l’une des plus utilisées de ces trois échelles, Medical Outcomes Survey
Short-Form (SF-36), Multidimensional Fatigue Inventory (MFI) ou Chalder Fatigue Scale, les
psychologues pourraient procéder à quelques expérimentations préliminaires de psychologie sociale,
confrontant de façon inédite les variables cognitives à celles de ces échelles. Un écueil de cette
démarche est que les sujets doivent être testés avant et après l’événement « fatiguant », ce qui était
possible pour les étudiants de Zukermann et les séminaristes de Darley, mais pas pour les sinistrés de
Dalbert : elle en fait d’ailleurs la remarque (« we could not control the psychopathological symptoms
and justice beliefs before the flood had happened »).
La chute janétienne des conduites des sujets pourrait donc commencer à être évaluée
expérimentalement sans bouleversement majeur des pratiques expérimentales en cours, mettant à
l’épreuve la hiérarchie de Pierre Janet, et avec elle, toute sa psychologie dynamique, une psychologie
centrée sur les oscillations de la force, ce couple activité – fatigue qui n’attend que d’être à nouveau
testé et critiqué au sein de la recherche.
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