Henri Guaino Député UMP des Yvelines Monsieur Jean

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Henri Guaino Député UMP des Yvelines Monsieur Jean
 Henri Guaino
Député UMP des Yvelines
Paris, le 24 janvier 2014
Monsieur Jean-François COPE
Président de l’UMP
238, rue de Vaugirard
75015 - Paris
Monsieur le Président,
Notre famille politique a traversé dans son histoire bien des épreuves. Aucun d’entre nous n’a
oublié les déchirements de 1992 au moment du référendum sur le Traité de Maastricht, ni
ceux de l’élection présidentielle de 1995, ou ceux provoqués, en 2005, par le référendum sur
la Constitution européenne. Ces déchirements, nous les avons surmontés et nous nous
sommes ouverts à d’autres sensibilités en fédérant les Gaullistes, les Libéraux et une partie du
Centre.
Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP, puis en tant que Président de la République, y a, par sa
capacité à rassembler sur les idées et dans l’action, apporté une contribution décisive.
Chacun peut faire le constat que son départ de la vie politique, après l’élection présidentielle
de 2012, a laissé un grand vide qui, à ce jour, n’a toujours pas été comblé.
Dans ce vide renaissent les ferments de la division. Malgré les efforts de tous, l’UMP ne s’est
pas totalement remise de la crise consécutive à l’élection de son Président en novembre 2012
et aux conditions dans lesquelles elle s’est déroulée. On la pensait néanmoins convalescente et
bientôt guérie. Tout au moins ses militants, ses élus, ses sympathisants, ses électeurs
l’espéraient-ils. L’espérance, vous savez, est « une vertu héroïque ».
Enfin, peut-être, l’opposition allait-elle pouvoir jouer pleinement son rôle face à une majorité,
un Gouvernement, un Président de la République qui, les uns par idéologie, les autres par
clientélisme, ont engagé une entreprise de démolition, sans précédent, de toutes les
institutions et de tous les principes qui dans l’ordre économique, social, politique, moral, nous
permettent de vivre ensemble.
Mais depuis quelques temps, hélas, une succession d’événements, de choix, de
comportements, compromet la capacité de notre famille politique à assumer ce rôle de façon
crédible et fait à nouveau désespérer de l’avenir les plus confiants d’entre nous.
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Vous avez, Monsieur le Président, quelle que soit votre intention réelle, laissé accréditer
l’idée qu’à Pau, l’UMP apporterait son soutien à Monsieur Bayrou qui entre les deux tours de
l’élection présidentielle a appelé à voter pour François Hollande, contre Nicolas Sarkozy, sans
avoir jamais depuis exprimé publiquement le moindre regret. Il est vrai que vous aviez été
précédé dans cette voie par quelques personnalités de notre mouvement. Elle n’en est pas
moins moralement inacceptable à mes yeux comme à ceux de beaucoup d’adhérents et de
sympathisants. Qui peut croire qu’une politique s’affranchissant à ce point de toute exigence
morale puisse susciter la moindre confiance de la part de nos concitoyens ?
La décision de l’UMP d’investir, Monsieur Alain Lamassoure, Député européen sortant, élu
dans le Sud-Ouest, en tête de liste pour les Elections Européennes dans l’Ile-de-France
soulève, elle aussi, une grave difficulté. Celle-ci n’est pas morale mais politique. Monsieur
Lamassoure, dont j’estime la personne et respecte les convictions, est, depuis toujours,
partisan d’une Europe fédérale et un ardent défenseur de l’Union Européenne telle qu’elle se
construit. Il souhaite qu’elle continue à se construire selon la même logique et avec le même
dessein.
Je souhaite, pour ma part, un changement au contraire très profond, convaincu que la
construction européenne ne peut continuer ainsi. Disons-le : cela ne peut plus durer et le
moment est venu de mettre nos partenaires au pied du mur pour que la construction
européenne soit totalement réorientée dans le droit fil des propositions du discours prononcé,
à Villepinte, par Nicolas Sarkozy lors de la campagne de 2012.
Il y a des hommes politiques qui incarnent - comment le leur reprocher ? - des convictions
fortes. C’est le cas d’Alain Lamassoure sur l’Europe. Mais ce qu’il incarne est contraire à ce
que pensent et veulent ceux, très nombreux, qui au sein de l’UMP, comme du peuple français
regardent désormais la construction européenne de façon critique.
Ceux qui, comme moi, ont travaillé avec Nicolas Sarkozy à essayer de réconcilier la France
du oui avec la France du non, se désespèrent de voir rouvrir par cette décision les anciennes
déchirures. C’est une faute et c’est irresponsable. Elle privera la campagne de l’UMP du
soutien de tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans cette ligne et qui sur un sujet aussi
important ne veulent pas renier leurs convictions.
Monsieur Lamassoure n’aurait-il pas pu trouver une place éligible, qui lui revenait
légitimement, ailleurs qu’en tête de liste ? Pourquoi ce choix qui brouille à ce point la ligne
politique de l’UMP ? Faut-il l’imputer elle aussi à des marchandages entre quelques notables
qui nous font de plus en plus ressembler au Parti socialiste ?
Un autre motif fait désespérer un peu plus du fonctionnement de notre mouvement :
le programme de redressement national que vous souhaitez faire adopter, dès demain, par
notre Conseil National. Les propositions qu’il contient sont le fruit de la seule réflexion d’un
Comité d’une dizaine de personnes, baptisé « Comité des sages ». Elles n’ont fait l’objet
d’aucun grand débat dans les fédérations, d’aucun processus de maturation intellectuelle et
politique. D’où vient donc la sagesse infinie de ces « Sages » qui leur donnerait le droit de
décider seuls ?
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Puis-je aussi vous faire remarquer que dans la Ve République, à laquelle vous et moi sommes,
me semble-t-il attachés, c’est au candidat à l’élection présidentielle à définir le programme du
gouvernement et que par ailleurs le calendrier choisi est bien étrange. En effet, 2014 est
l’année des Municipales et des Européennes, non celle des élections présidentielles et
législatives.
Ne croyez-vous pas qu’il vaudrait mieux que nous nous occupions de ces deux échéances à
venir au lieu de tirer des plans que la comète présidentielle qui ne peuvent que nous diviser
inutilement davantage. Enfin, je veux aborder un dernier sujet, celui du renouvellement des
membres élus du Bureau Politique, organe censé jouer un rôle décisif dans la vie de notre
mouvement, comme le prévoient les statuts récemment adoptés par les adhérents.
Ces statuts, dans leur article 23, prévoient que 30 membres de ce bureau sont élus par le
Conseil National dans les conditions définies par le règlement intérieur pour un mandat de
deux ans et demi. Le règlement intérieur, dans son article 21 précise que ces membres sont
élus au scrutin de listes complètes et bloquées de trente candidats. Et que nul ne peut être
candidat sur plusieurs listes. Cette éventualité ne risque pas de se produire lors du
renouvellement que vous avez prévu de faire entériner par le Conseil National du 25 janvier,
puisqu’une seule liste sera présentée, concoctée dans l’entre-soi de quelques-uns, sans que ce
scrutin soit annoncé.
Cette méthode a bien sûr des avantages. Elle simplifie la répartition des sièges à la plus forte
moyenne comme le prévoit le règlement intérieur, puisqu’il n’y aura aucun calcul à faire.
Elle a un autre avantage, sans doute encore plus grand aux yeux de ceux qui ont trempé dans
cette manipulation que l’on peut légitimement qualifier de honteuse au regard des principes
élémentaires de la démocratie et de l’esprit de nos statuts.
Cet avantage, tout le monde l’aura compris, c’est que quelques-uns peuvent, en toute
tranquillité, se partager les places.
J’ai appris cela, comme beaucoup d’autres, trois jours avant la date fixée pour le Conseil
National, trop tard bien sûr pour qu’aucune autre liste puisse être constituée. C’est «Tintin
chez les Soviets ».
Vous me répondrez sans doute que c’était la seule manière d’éviter les tensions inhérentes aux
compétitions électorales. Il y aurait de quoi rire si ce n’était pas si triste.
Je ne peux pas croire un instant que vous pensiez, ni aucun de ceux qui vous accompagnent
dans cette opération, que des petits marchandages aussi misérables entre quelques notables le Général de Gaulle aurait dit « Notoires » - à l’insu de tous, pour verrouiller l’appareil de
notre parti en vue de l’échéance présidentielle, pourrait de quelque manière que ce soit rétablir
entre nous l’indispensable confiance qui a toujours été et qui sera toujours la seule garantie de
notre unité.
Cette manœuvre ruine au contraire la confiance. Elle nous divise. Elle nous fragilise. Elle
nous affaiblit. Elle est indéfendable. Elle est inexcusable.
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Les quelques-uns entre lesquels depuis plusieurs semaines se marchande l’avenir de notre
famille politique ne sont pas propriétaires de celle-ci.
Notre mouvement ne leur appartient pas. Il appartient à ses militants, à ses élus, un peu aussi,
- ne croyez-vous pas ? - à ses sympathisants et à ses électeurs. Nous leur devons un
comportement exemplaire. Nous n’avons à leur égard que des devoirs.
Aussi, je vous demande, Monsieur le Président, lors du Conseil National de demain
- de déclarer solennellement que l’UMP ne soutient Monsieur Bayrou, ni nationalement, ni
localement, tant qu’il n’a pas exprimé publiquement ses regrets pour son attitude entre les eux
tours de l’élection présidentielle de 2012,
- de reporter l’investiture de la tête de liste pour les élections européennes en Ile-de-France,
- de reporter l’adoption des grandes lignes du projet politique de l’UMP,
- de reporter l’élection des membres élus du Bureau Politique.
Ce serait, Monsieur le Président, autant de gestes susceptibles de renforcer notre unité et de
redonner confiance dans notre famille politique à ses militants, ses sympathisants et à
beaucoup de Français qui voudraient pouvoir espérer encore.
En espérant que vous voudrez bien prendre cette lettre pour ce qu’elle est réellement : la
vérité que l’on doit à ses amis quand commence à s’installer un sentiment de malaise, recevez,
Monsieur le Président, Cher Jean-François, l’assurance de mes sentiments les plus amicaux.
Henri Guaino