Découper sans se couper
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Découper sans se couper
entreprise agroalimentaire Scies à ruban Découper sans se couper Dans l’agroalimentaire, les scies à ruban sont des machines fréquemment utilisées pour les opérations de découpe, mais particulièrement dangereuses pour les opérateurs. Pour réduire les risques de coupure ou d’amputation, plusieurs entreprises ont cherché des solutions de sécurisation des équipements. Des réflexions menées le plus souvent de façon individuelle, chaque entreprise ayant ses propres spécificités. Des résultats satisfaisants ont ainsi vu le jour. O n s’est sentis bien seuls. » Tel est le discours commun tenu par les différentes entreprises de l’agroalimentaire qui ont cherché à sécuriser leurs scies à ruban. Ces machines, extrêmement utiles pour la découpe de produits trop durs pour être coupés au couteau (viandes avec os, crustacés congelés, etc.), sont particulièrement dangereuses. Le risque est permanent. La moindre inattention peut être lourde de conséquences avec, dans les cas les plus dramatiques, des amputations de plusieurs doigts. Or, les entreprises sont souvent démunies pour réduire les risques sur ces machines. Les quelques fabricants de scies proposent peu de solutions de protection. Les acteurs de prévention n’ont pas forcément les outils ou les solutions adéquats. « Beaucoup d’entreprises hésitent à se lancer, par peur des change ments que cela implique », explique Séverine Demasy, ingénieur assistance conseil en agroalimentaire au département Expertise et conseil 34 Travail & Sécurité – Juin 2010 région sur des scies à ruban, pour un coût direct de plus de 322 000 euros. Selon leur activité, et en fonction des fournisseurs de scies, les entreprises se retrouvent avec des problématiques spécifiques. Néanmoins, plusieurs ont pris l’initiative de sécuriser leurs équipements de découpe, en automatisant le système et/ou en éloignant les opérateurs de la lame. Les principes de sécurisation L a scie peut-elle être supprimée ? C’est la solution la plus efficace pour supprimer le risque. Certains industriels ont fait ce choix, en décidant de ne plus commercialiser des produits dont la fabrication a été estimée trop dangereuse ou en réalisant la coupe plus en amont du process avec des outils plus sécurisés. Si cette suppression n’est pas possible, la scie peut être isolée dans une enceinte sécurisée et couplée à un convoyeur. Il n’y a alors plus besoin d’intervention humaine à proximité de la lame. C’est la solution retenue dans les différentes entreprises présentées ici. Si la présence humaine doit être maintenue, il faut éloigner les mains de l’opérateur de la lame. Exemples de réalisations envisageables : bancs de sciage pour la coupe de pains de poissons congelés, chariots adaptés sur le plateau de la scie, etc. technique à l’INRS. La peur des industriels de « perdre » la certification de la machine en cas de modification de celle-ci est un autre frein aux initiatives. Le secteur de l’agroalimentaire étant très implanté en Bretagne, de nombreuses entreprises de la région se sont trouvées confrontées à cette problématique. Entre 2001 et 2007, une moyenne de 25 accidents par an a été déplorée dans la Avec succès. Voici un petit aperçu des actions menées au sein de trois entreprises. Les Salaisons de Clermont Spécialisée dans la découpe de porcs et la salaison, l’entreprise Les Salaisons de Clermont, à Liffré, en Ille-etVilaine, a réfléchi à la façon d’améliorer l’opération de découpe des pieds de porcs cuits, réalisée jusqu’alors avec une feuille de boucher. Les six opérateurs concernés étaient exposés à des risques de dérapage, donc de coupures, sur la table de découpe, le pied cuit étant souple. Faisant appel à tout le poids de leur corps pour se faciliter la tâche, ils étaient également sujets à des risques de troubles musculo squelettiques au niveau des membres supérieurs, par les efforts physiques qu’ils devaient fournir. « Même s’il n’y a jamais eu d’accident, il y avait un problème de fond à ce poste. Et je savais ce que je vou lais : une scie à ruban sécurisée, où l’opérateur ne serait pas en contact avec la lame. Mais il fallait trouver un fabricant prêt à s’associer avec nous dans l’aventure et à nous proposer une solution adaptée », présente Éric Le Cordier, directeur du site. Une petite entreprise voisine se lance alors aux côtés des Salaisons de Clermont pour mettre sur pied un dispositif. « Nous avons développé un système de convoyeur. Il est ainsi impossible de mettre la main dans l’enceinte sécurisée © Gaël Kerbaol/INRS est concluant. « Il y a moins de problèmes musculaires, moins de manutentions et on a gagné en productivité », conclut Christophe Chemin, responsable du condition nement dans cette entreprise de 180 salariés. GAD L’entreprise GAD SAS, à Lampaul Guimiliau, dans le autour de la lame. Les pieds de porcs cuits ayant différentes tailles, il sont bloqués dans des alvéoles équipées d’un petit ressort, explique Jacques Jouault, gérant de Résolutech conseils. Le système a été spé cialement adapté au pied de porc cuit, mais il serait trans posable à d’autres produits. » Au total, entre le premier contact des entreprises et la livraison du dispositif, il a fallu environ trois mois. « Si c’était à refaire, je recommencerais sans hésitation », résume Éric Le Cordier. Un seul prototype a été nécessaire, avec quelques adaptations réalisées en début d’utilisation. L’investissement s’est monté à 16 000 euros, prix de la scie inclus. « Le gain en termes de rentabilité est énorme, nous avons quasiment doublé notre capacité », poursuit-il. La scie fonctionne tous les jours depuis plus d’un an et le retour d’expériences © Gaël Kerbaol/INRS Aux Salaisons de Clermont, les pieds de porcs cuits sont maintenus dans le convoyeur par un système d’alvéoles, avant d’être sciés. Finistère, a été, elle, confrontée à un accident grave sur des scies à ruban. Réalisant l’abattage, la découpe et la transformation de viande de porc, elle utilise deux scies à ruban pour la découpe de jarrets de porcs. L’une de ces scies a provoqué l’amputation d’un doigt chez un opérateur en juin 2008. « On savait que ces machines étaient dan gereuses », décrit Laurent Kernaleguen, responsable de production des ateliers découpe. Jusqu’alors, l’état d’esprit des utilisateurs était qu’il fallait vivre avec ce risque et qu’il n’existait pas d’alternative. L’accident déploré a profondément marqué les esprits et a été à l’origine de la démarche de sécurisation menée par l’entreprise. Une première demande auprès du constructeur de la scie est restée vaine. Sa proposition était incompatible avec les impératifs de cadence. « Il nous a fallu trouver une solu tion par nos propres moyens », présente Benjamin Castel, directeur des ressources humaines. Le directeur technique de l’époque a réfléchi au concept. En collaboration avec une entreprise locale de construction d’outils en inox, GAD a cherché à mettre au point un système de guidage pour éloigner l’opérateur de la scie. « La solution retenue est simple », explique Laurent Chez GAD, la sécurisation de la lame est jugée satisfaisante en termes de qualité de découpe et de cadence. Travail & Sécurité – Juin 2010 35 entreprise agroalimentaire Découper sans se couper L a norme EN 12 268 Machines pour les produits alimentaires – scies à ruban – Prescriptions relatives à la sécurité et à l’hygiène est en cours de réécriture à l’initiative de la France pour une prochaine révision (1). Cette demande a fait suite à des problèmes d’inadéquation en matière de sécurité avec la directive machines (98/37/CE). La France, via le ministère en charge du Travail, l’INRS et le fabricant Biro Eurokasko, propose un certain nombre de rectifications et l’intégration d’une annexe informative donnant des exemples de dispositifs d’aide à la découpe spécifiques pour des découpes particulières (os, jarrets, etc.). Une réunion plénière du comité technique s’est tenue en octobre 2009. Ce dernier a voté le fait que le projet de révision de la norme fasse l’objet d’une enquête auprès de la Commission européenne pour être soumis au vote des membres de la Commission. 1. Cf. Travail & Sécurité, n° 691, janvier 2009, p.43. À consulter sur www.travail-et-securite.fr. 36 Travail & Sécurité – Juin 2010 Kernaleguen. La scie est dans un capot sécurisé. Un tapis d’amenée en amont achemine le produit vers la scie. Un tapis d’accompagnement parallèle, équipé de petits taquets, guide le produit. L’opérateur qui positionne le produit sur le tapis avec l’aide d’un repère n’a plus, à aucun moment, les mains à proxi- 600 pièces par heure sont découpées sur chaque tapis. Les jarrets sont ensuite évacués dans des goulottes. Une autre scie pour la découpe de palettes a été sécurisée selon le même principe. Le dispositif de protection est très facile à nettoyer. « Ce que l’on a réa lisé est bien, mais arrive trop tard. On garde tous à l’esprit Méloine, à Plougasnou, dans le Finistère, réalisent de la découpe de tourteaux cuits. Cette filiale du groupe Les Mousquetaires emploie un peu moins de 50 personnes. La saison, de début septembre à la mi-novembre, est relativement courte. « Travailler sur la scie à ruban générait beaucoup de stress. Lors de l’ accident de notre collègue », conclut Benjamin Castel. la découpe des tourteaux, les opérateurs avaient les mains à environ 8 cm de la lame. Il n’y avait que deux permanents volontaires pour cette opéra tion. Et en termes de produc tivité, cela restait limité. Pour développer cette activité, il fal lait un autre mode de découpe. Cela passait par l’aména gement et la sécurisation du poste », décrit Erik Vallée, © Gaël Kerbaol/INRS Révision de la norme sur les scies à ruban Entreprise GAD : un tapis d’amenée achemine les jarrets vers la scie, dans une enceinte sécurisée. mité de la lame. « Pour nous, le résultat est satisfaisant en termes de sécurité, de qualité de découpe et de cadence », précise Jérôme Gouffier, animateur de la ligne. Environ Les Viviers de la Méloine Autre activité, autre problématique. Le mareyage est un secteur de l’agroalimentaire qui utilise également des scies à ruban. Les Viviers de la directeur du site. « Nous avons dans un premier temps fait une demande auprès du constructeur de la scie. Mais elle est restée lettre morte, nous n’avons eu aucune pro position satisfaisante, poursuit Soazig Kreidler, chargée de mission QSE. Par ailleurs, on souhaitait un outil polyva lent, qui puisse couper d’autres produits que le tourteau. » L’entreprise a alors créé un groupe de travail: responsable de production, coordinatrice qualité production, chargée de mission QSE et le contrôleur de sécurité de la CRAM de Bretagne, Pierre-Yves Le Gall. Un cahier des charges a été établi après avoir défini les besoins. Pierre-Yves Le Gall les a mis en contact avec la Serma, qui avait préalablement développé un dispositif de sécurisation pour GAD. « Nous sommes partis de ce modèle, en y adaptant deux convoyeurs inclinables », présente Alain Marié, gérant de la Serma. L’outil aménagé a été livré aux Viviers de la Méloine en septembre, pour le début de la saison. Le système consiste en deux convoyeurs inclinables. En fonction de l’angle d’inclinai- Grâce au dispositif sécurisé, davantage de salariés sont prêts à travailler au poste de découpe, alors que, précédemment, il n’y avait que deux permanents volontaires pour cette opération. © Gaël Kerbaol/INRS © Gaël Kerbaol/INRS Le système mis en place aux Viviers de la Méloine est polyvalent : selon l’angle d’inclinaison des deux convoyeurs, il permet la découpe de tourteaux ou de langoustes. son, il permet la découpe de tourteaux ou de langoustes. La scie découpe le produit en deux dans le sens de la longueur et chaque moitié est récupérée à la sortie du tapis. Une opératrice approvisionne la machine et deux autres récupèrent en aval les produits découpés. Une personne de plus travaille sur la ligne par rapport à l’ancien système. Pour une cadence multipliée par cinq. « Avant, on traitait 200 kg de tourteaux par nuit, maintenant, on peut atteindre une tonne », souligne Erik Vallée. Et le risque de coupure étant supprimé, davantage de personnes sont désormais prêtes à y travailler. « Avant, je n’aurais jamais voulu travailler sur cette scie, ça faisait trop peur. Aujourd’hui, il n’y a plus aucun problème », explique Colette, opératrice. Même des intérimaires pourraient travailler à ce poste. Le directeur estime que le dispositif, d’un montant de 20 000 euros, sera rentabilisé en deux à trois saisons. Céline Ravallec Travail & Sécurité – Juin 2010 37