REX sur un contentieux anglo-saxon

Transcription

REX sur un contentieux anglo-saxon
Cahiers Techniques
2013
REX sur un contentieux
anglo-saxon
Gestion de sinistres
et
gigantisme des dossiers de
class action
L’AMRAE tient à remercier les personnes qui ont rendu possible la réalisation de ce
document, tout particulièrement :
Franck
GRIMONPONT
SUEZ ENVIRONNEMENT
Vladimir
ROSTAN d’ANCEZUNE
HMN & PARTNERS
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Table des matières
Table des matières ..................................................................................................................... 3
Avant-propos .............................................................................................................................. 4
I - Typologie des dossiers ........................................................................................................... 5
II - L’importance de l’équipe ...................................................................................................... 7
III - Le gigantisme de la gestion documentaire .......................................................................... 9
IV - Le gigantisme des échanges............................................................................................... 12
V - La place de l’analyse technique .......................................................................................... 13
VI - L’importance des coûts et de leur maîtrise ....................................................................... 16
VII - Complexité du programme d’assurance ........................................................................... 17
VIII - La Médiation .................................................................................................................... 19
IX - Le Trial ................................................................................................................................ 21
X - Points clefs .......................................................................................................................... 22
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Avant-propos
La gestion de sinistres, pour un Risk Manager d’une Société française, dans un univers anglosaxon est toujours une expérience culturelle marquante !
Lorsqu’il doit affronter le gigantisme généré par les dossiers de class action et les contraintes
de la Discovery/Privilege, c’est l’ensemble de l’édifice managérial et assurantiel de
l’entreprise et du Groupe qui est mobilisé.
Partant de l’expérience d’un sinistre majeur survenu dans un pays de culture juridique anglosaxonne, de plus très éloigné de l’Europe, nous avons tenté d’en tirer les enseignements
importants pour la gestion de ce type de dossier.
Ce dossier n’est pas allé jusqu’au Trial et a fait l’objet d’une transaction dans le cadre de la
Médiation judiciaire. Toutefois nous consacrerons quelques paragraphes à cette particularité
de la procédure anglo-saxonne.
Au travers de ce retour d’expérience, nous partagerons avec vous les spécificités qui nous
ont paru les plus marquantes.
F. GRIMONPONT – V. d’ANCEZUNE
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I - Typologie des dossiers
La procédure de class action est celle dans laquelle une partie (souvent un consommateur
ou un riverain) initie seule une instance. Ensuite, pendant un délai plus ou moins long
d’autres parties justifiant avoir été lésé par le même fait peuvent venir s’ajouter à la liste des
demandeurs. Dans le dossier donnant lieu à ce REX, le délai a été de près de 11 mois.
Il faut noter cependant qu’il existe 2 types de class action :
-
« L'Opt Out » (modèle américain) au travers de laquelle l'ensemble des personnes qui
présentent les caractéristiques définies pour en faire partie à l'exception de celles qui
manifestent leur volonté de ne pas faire partie de la class action. A défaut de
manifestation d’une telle volonté, ces personnes, même inconnues, sont réputées
être membre de la class action. Elles seront liées par la solution qui sera trouvée au
litige (amiable ou judiciaire)
-
« L'Opt In » (modèle UK, australien, …) qui impose aux personnes lésées de
manifester leur volonté de faire partie de l'action. Elles devront démontrer qu'elles
répondent aux conditions prédéfinies pour être membre.
Les dossiers potentiellement concernés par ce risque de gigantisme dans la gestion sont des
plus divers. Il peut s’agir aussi bien de dossiers liés à l’environnement, au retrait de produits,
aux produits financiers, à la santé, …
Souvent, ces dossiers sont également complexes sur un plan technique et requièrent un
grand degré de sophistication dans l’analyse.
Résultat du concept même de la class action, le nombre de demandeurs est souvent
vertigineux. Il n’est pas rare que les membres de la class action soient plusieurs centaines,
voire plusieurs milliers.
Du côté des défendeurs, leur nombre n’est pas non plus négligeable. Ces affaires complexes
sont aussi souvent le siège d’une multiplicité d’intervenants, conduisant à autant de
défendeurs dont le nombre peut osciller entre une dizaine ou une vingtaine de défendeurs.
Pour ce qui est des avocats, il faut souligner que ceux qui assistent les membres de la class
action se sont fait une spécialité de ce type de contentieux et sont rémunérés suivant le
principe « no win no fee ». Les règles déontologiques étant différentes dans les pays anglosaxons de celles que l’on connait en France, les avocats communiquent très largement sur ce
« métier » créé autour de la class action. Il est fréquent de découvrir sur le site Internet de
ces Cabinets de premières évaluations de l’intérêt du litige qu’ils utilisent d’ailleurs comme
éléments publicitaires.
Notons à ce propos que le Royaume-Uni a pris conscience de la difficulté résultant de
l’industrialisation de cette activité judiciaire et a modifié le régime des assurances dites After
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The Event ou ATE dont les primes élevées et payées par les demandeurs ne sont plus
récupérables sur les défendeurs qui succombent.
Le Législateur anglais espère ainsi réduire à de plus justes proportions l’appétit des justiciables et des
Cabinets d’Avocats à l’initiative de ces procédures qui en ont fait une véritable industrie.
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II - L’importance de l’équipe
Dans un dossier de class action où les enjeux sont majeurs et cristallisent souvent les
passions, l’équipe devient un élément décisif dans la gestion de sinistres.
Notons d’emblée que tout dossier de class action ne relève pas nécessairement du champ
des garanties. En effet, en l’absence d’événement accidentel, nombre de dossiers n’entrent
pas dans le champ des polices souscrites.
Le rôle déterminant de l’équipe pose tout d’abord la question de sa constitution.
En effet, tant les experts techniques que les avocats doivent être rôdés à ce type de
procédure si particulier et réceptif à l’environnement culturel dans lequel elles s’inscrivent.
Par ailleurs, le gigantisme du travail généré par ces affaires doit amener à s’interroger sur le
« vivre ensemble » des différents membres de l’équipe puisque bien souvent la gestion de
tels dossiers conduira à ce que les acteurs passent de nombreux jours si ce n’est de
nombreuses semaines ensemble.
Tout au long du dossier, il appartiendra à l’assureur Master et au Souscripteur de mettre
l’équipe en musique soit dans la sphère assurantielle, soit dans celle du Groupe soit dans les
2 afin que la gestion locale suive les directives données dans l’intérêt du Groupe et de la
police par les Conseils juridiques et techniques de la Master.
Le rôle déterminant du Risk Manager s’exprimera également dans ses bons offices pour que
la filiale se rallie à la stratégie mise en place par la Master et que l’avocat personnel de
l’assuré local, qui gère souvent le contentieux en local, soit ainsi disposé à suivre les
instructions données par la Master.
Dans la constitution de l’équipe, il faut également souligner le recours nécessaire aux
Directions Juridique et Technique tant au niveau du Groupe que de la filiale locale.
Enfin, dans les dossiers de class action qui relèvent de l’assurance, il est d’une importance
capitale que l’assureur et le Souscripteur jouent pleinement leur rôle de coéquipier.
Concernant l’équipe des « Avocats », le « droit anglo-saxon » connaît deux auxiliaires de
justice différents : le Barrister (plaideur) et le Solicitor.
Alors que le Solicitor représente ses clients et postule pour leur compte, le Barrister est
mandaté par le Solicitor pour plaider pour son client lors des débats oraux devant une
juridiction.
Le Solicitor n'a pas généralement le pouvoir de plaider devant les juridictions d'appel ou de
dernière instance.
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Plus précisément :
-
un Barrister conseille, conduit le procès et défend la cause par la plaidoirie et par
écrit. Il jouit ainsi du monopole de l'assistance et de la plaidoirie, ainsi que de la
rédaction des écritures telles que conclusions, mémoires (pleadings) et consultations.
-
un Solicitor désigne celui qui pratique la postulation, le conseil, la rédaction d'actes
sous seing privé. Il est juriste généraliste et auxiliaire de justice des pays de tradition
de droit anglais.
Dans les cabinets anglo-saxons les Solicitors sont aidés par des Paralegals. Ces derniers sont
le plus souvent des étudiants en droit qui participent aux tâches subalternes comme
l’encodage des documents produits dans le cadre de la discovery et à la première analyse de
ces mêmes documents ainsi que les recherches.
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III - Le gigantisme de la gestion documentaire
La Discovery (US / Australie) ou Disclosure (UK)
La Discovery ou Disclosure est le mode légal de production des éléments de preuve qui
impose aux parties à la procédure de produire l’intégralité des documents en leur possession
qui sont en lien avec le litige.
La production est obligatoire pour les éléments favorables à l’argumentation de la partie
concernée, comme pour les éléments défavorables.
Cette Discovery s’applique sur une période de temps particulièrement vaste puisqu’elle
remonte dans le temps sans aucune restriction et elle se poursuit pendant toute la durée de
la procédure.
La Discovery oblige donc à une gestion particulière de la masse documentaire et à être
prudent dans les échanges internes tant au sein de l’assuré, de l’assureur, du courtier et des
experts qu’au sein également de l’équipe.
A défaut, le risque est de voir produit dans une procédure des échanges qu’on aurait pu
souhaiter rester secret.
Cette production obligatoire de l’intégralité des documents conduit à un gigantisme de la
masse documentaire. Le dossier qui nous a servi de base pour notre présentation a ainsi
connu la production de 500.000 documents. Avec une moyenne de 10 pages par documents,
il est facile d’imaginer les difficultés de gestion qui peuvent en découler.
Les archives de l’entreprise jouent ainsi un rôle central. L’avocat désigné sera alors contraint
d’exercer une mission de policier et produira l’intégralité des documents qu’il aura identifié
comme relevant de la Discovery. En cas de méconnaissance de cette exigence, les sanctions
sont particulièrement lourdes pour l’avocat et la partie qui n’aurait pas produit les
documents. Ce rôle de policier sera exercé tout au long de la procédure.
En ce qui concerne les documents soumis à la Discovery, ceux-ci sont des plus variés. Cela
regroupe à la fois les lettres, courriels, brouillons, SMS (dans certains Etats), liste d’appels,
notes, comptes rendus, polices d’assurance …
Une fois produits ces milliers de documents, tout reste à faire !
Il faut alors :
-
les classer en procédant à une indexation par mots clefs ;
-
les incrémenter en référençant toutes les caractéristiques du document (auteur,
date, destinataire, sujet, …) ;
-
les analyser ;
-
organiser la restitution de l’analyse pour la rendre exploitable ;
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L’internationalisation des activités des entreprises françaises les exposent tôt ou tard à une
procédure de Discovery. La circulation transfrontières des biens et des services a conduit à
une généralisation du risque de Discovery.
Il convient enfin de relever l’utilisation abusive qui est faite par les assurés locaux qui
refusent de communiquer tout document à l’assureur avant d’avoir obtenu l’accord de
garantie. C’est ce qu’on pourrait appeler la « cover before disclosure ». En effet, il n’est pas
rare de voir un assuré soutenir qu’il ne peut communiquer d’éléments à son assureur avant
d’avoir obtenu la garantie car si cette garantie devait lui être refusée, alors les documents
transmis risqueraient de tomber dans la Discovery à l’égard des autres parties.
Le recours au missionnement d’un avocat spécialement désigné par l’assureur Master et/ou
le Souscripteur pour les besoins de la procédure permet d’éviter ce risque de Discovery en
étendant le principe du Privilege.
Le Privilege
Le Privilege, c’est-à-dire la confidentialité dans les systèmes juridiques d’inspiration anglosaxonne, est un tempérament à la force de la Discovery / Disclosure.
Les titulaires de cette confidentialité sont particulièrement restreints.
D’une façon générale, les échanges entre un avocat et son client sont soumis au principe de
la confidentialité.
Tel n’est pas le cas pour le juriste d’entreprise et ses échanges internes.
La Cour de Justice de l’Union européenne a ainsi rendu un arrêt le 14 septembre 2010 dans
une affaire « AKZO » suivant lequel « la protection au titre du principe de la confidentialité ne
s’étend pas aux échanges au sein d’une entreprise ou d’un groupe avec des avocats
internes ». Partant, les échanges internes au sein des entreprises ne relèvent pas des
échanges confidentiels et doivent être produits le cas échéant dans le cadre d’une procédure
judiciaire.
Il en est de même si le juriste interne a le titre d’avocat, ce qui peut se rencontrer dans
certains pays, ou s’il a exercé dans le passé la profession d’avocat. Rappelons en effet que la
Cour de justice de la Communauté Européenne avait retenu dans un arrêt AM&S en date du
18 mai 1982 que « la correspondance entre avocats et clients » est confidentielle « , pour
autant, d'une part, qu'il s'agisse de correspondance échangée dans le cadre et aux fins du
droit de la défense du client et, d'autre part, qu'elle émane d'avocats indépendants, c'est-àdire d'avocats non liés au client par un rapport d'emploi ». L’avocat qui est ainsi salarié par
l’entreprise n’est pas dans un rapport d’indépendance du fait du lien de subordination
résultant du contrat de travail.
Lors d’une procédure ou même en phase précontentieuse, la communication en dehors du
canal de l’avocat est ainsi très risquée et peut conduire à naviguer aux frontières du Privilege
entrainant un risque de Discovery.
Une fois saisis, les avocats joueront un rôle de gendarme pour s’assurer du respect des
règles du Privilege.
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La tendance naturelle à fuir
Le seul chemin à suivre
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IV - Le gigantisme des échanges
Les contentieux anglo-saxons, tant par l’effet de la class action que celui de la Discovery et
de la masse documentaire produite, conduit à une gestion lourde par rapport aux habitudes
hexagonales.
Dans le cas d’espèce qui a conduit à ce REX :
-
le contentieux avait été initié en septembre 2008 ;
-
la période litigieuse s’étendait sur près de 30 ans avec une succession
d’intervenants ;
-
le Trial était fixé en mai 2012 pour une durée de 7 mois à raison de plusieurs journées
d’audience par semaine ;
-
les réclamations ont finalement été transigées en février 2012 évitant ainsi le Trial ;
-
le volume de courriels journaliers était d’environ une trentaine, soit plus de 17.000
courriels sur la période contentieuse.
1. La multiplication des conférences téléphoniques
Afin de mener à bien la gestion de tels dossiers, des conférences téléphoniques régulières
sont bien entendues nécessaires tant avec l’équipe locale, que l’assureur et le Souscripteur,
mais également les réassureurs et coassureurs.
Du fait de la distance géographique, du décalage horaire, de l’inversion des saisons entre
l’hémisphère Nord et l’hémisphère Sud, ces entretiens se déroulent certes en semaine, mais
parfois les week-ends, la nuit et pendant les vacances.
Un décalage horaire important impose parfois de pouvoir donner des instructions
localement sur un courriel reçu dans la nuit avant la fermeture des bureaux en local alors
qu’en France le soleil n’est pas encore levé. La disponibilité permanente de toute l’équipe
devient ainsi un élément essentiel.
2. La multiplication des déplacements
Mais, ces rendez-vous téléphoniques sont bien souvent insuffisants et pour permettre une
gestion efficace, seuls des déplacements sur place avec des sessions de réunions sur une
semaine permettent de faire avancer la gestion et d’imposer si besoin la stratégie arrêtée
par l’assureur Master et le Souscripteur.
C’est ainsi, par exemple, que sur une période de 2,5 ans, 16 déplacements ont été
nécessaires dans le dossier qu’illustre ce REX.
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V - La place de l’analyse technique
1. Place de l’expertise technique
Dans l’univers juridique anglo-saxon, la place de l’expertise technique est subalterne par
rapport au juridique. Avant même d’avoir circonscrit le débat technique, les conseils locaux
procèdent à l’établissement d’une stratégie basée uniquement sur l’analyse juridique.
Si cette approche se comprend dans le domaine du droit des affaires tel que la fusionacquisition, pour les dossiers de risques industriels et de responsabilité civile, cette approche
est dangereuse.
C’est ici le rôle de l’équipe constituée par l’assureur Master et le Souscripteur que de
replacer le débat dans le cadre technique qui servira de base à l’analyse juridique ultérieure.
2. Expert techniques (ou « dirty expert ») et Expert witnesses
L’univers anglo-saxon distingue 2 catégories d’expert et ne connait pas de façon générale
l’expertise judiciaire.
Le cadre de l’intervention des experts techniques désignés par les parties à une procédure
diffère sensiblement en fonction de la mission qui leur est confiée. Il est distingué entre les
experts techniques qui conseillent les parties et ceux qui présenteront la position de ladite
partie au Tribunal.
Les premiers sont les experts techniques consultants (technical consultants), à l’image des
experts techniques qui sont désignés par les assureurs et les assurés pour les représenter
dans les procédures amiable ou judiciaire afin de les assister techniquement.
L’ensemble des échanges entre l’expert technique consultant et l’avocat en charge du
dossier sont couverts par le privilege et ne sont ainsi pas soumis à l’obligation de discovery.
Leur rôle se comprend mieux en le comparant à celui de la seconde catégorie d’expert, les
experts techniques témoins (expert witnesses).
Le rôle de ces seconds experts est fondamentalement différent de celui des experts
techniques consultants.
Tout d’abord, les expert witnesses ont des obligations à l’égard du Tribunal au travers des
Court Rules, alors que les experts techniques consultants n’ont pas de lien avec la juridiction.
Les experts witnesses sont ainsi soumis à des règles professionnelles et éthiques très strictes.
La force obligatoire de ces règles est si intense qu’elles ont la préséance sur les devoirs de
l’expert witness à l’égard de la partie qui l’a mandaté. C’est ainsi que l’expert witness est
indépendant par rapport à la partie qui le rémunère.
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Par ailleurs, l’ensemble des informations communiquées à l’expert witness, qu’elles soient
écrites ou orales, doivent être communiquées aux autres parties par l’effet de la discovery si
elles ne l’ont pas déjà été. C’est aussi le cas pour l’ensemble des notes, projets et rapports
établis par l’expert witness.
Mutatis mutandis, cela reviendrait, dans la pratique française, à ce que chaque partie ait, à
côté son expert technique, un expert judiciaire.
3. Le choix des Experts witnesses
Le choix des expert witnesses est central dans les procédures anglo-saxonnes puisque celui-ci
doit être un expert dans la matière spécifique sur laquelle il est amené à donner son avis. Il
est hors de question d’avoir recours à un généraliste ; seul un spécialiste reconnu doit être
missionné.
4. Le briefing des Experts witnesses et l’analyse technique
Se pose également une délicate question qui est celle du briefing de l’expert witness. En
effet, l’art de l’avocat et du technical consultant qui l’assiste résidera à exposer le dossier de
façon objective sans préjudicier aux intérêts de sa mandante, tout en orientant l’expert
witness dans une direction favorable aux intérêts de celle-ci sans jamais forcer son analyse
aux travers de questions fermées. Autant dire qu’il s’agit d’une tâche ardue … !
La pratique du contentieux anglo-saxon est ici déterminante tant la frontière entre une
question fermée (leading question) qui est interdite et une question ouverte est plus que
mince.
Ce cadre peut conduire à ce que si le briefing n’est pas correctement effectué, l’expert
witness s’engage sur une voie qui serait défavorable aux intérêts de la partie qui l’a
mandaté.
Il convient de noter que le briefing des expert witnesses de chaque partie se fait
individuellement et non collectivement ; chaque expert witness ne devant pas connaitre
jusqu’à la date du dépôt du rapport de l’ensemble des expert witnesses désignés l’identité
des autres expert witnesses qui assistent la partie qui l’a désigné. Ceci multipliant par
conséquent le nombre de séances de briefing.
A l’issue du briefing et de l’analyse des documents, chaque expert witness rédige un rapport
répondant aux questions posées par la partie qui l’a mandaté.
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Chaque expert witness intervenant strictement dans sa sphère de spécialité, les questions ne
sont pas les mêmes d’un expert witness à un autre.
Ce rapports sont le reflet exact de leurs avis techniques objectifs.
5. Le Conclave d’Expert witnesses
Pour les affaires importantes et complexes, le Juge impose aux différents expert witnesses
désignés par l’ensemble des parties de se réunir en Conclave sous l’égide d’un
« facilitateur » afin qu’ils parviennent à un Rapport commun précisant le cas échéant les
éventuelles divergences d’analyse.
Ce conclave peut se tenir sur plusieurs jours.
Le rapport du Conclave servira :
-
de base de discussions dans la Médiation judiciaire obligatoire précédant le Trial, et
-
de synthèse lors du Trial pour le Juge.
Lors du Trial, chaque expert witness témoignera sur la base de son rapport et sera ensuite
cross-examiné par les avocats des parties adverses.
6. Le briefing techniques des avocats
Le briefing technique réalisé par les technical consultants ne se limite pas à celui des expert
witnesses. Il s’étend, tout au long du dossier, à l’égard de l’équipe locale : solicitors et
Barristers.
7. L’analyse technique des documents de la Discovery
Concernant la masse documentaire issue de la Discovery, celle-ci doit être analysée non pas
seulement par l’armée de Paralegals des avocats locaux, mais également par les experts
techniques afin de contrôler la compréhension technique de ceux-ci et la transposition
juridique qui en est faite.
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VI - L’importance des coûts et de leur maîtrise
Les dossiers contentieux anglo-saxons sont générateurs de lourds frais de procédure. Ils
viennent mobiliser de façon très importante la garantie frais de défense des polices.
1. Nature des frais
Ces frais sont constitués localement par :
-
les frais et honoraires des solicitors ;
-
les frais et honoraires des Barristers ;
-
les frais et honoraires des expert witnesses ;
-
les frais et honoraires des experts techniques locaux.
2. L’importance d’une convention d’honoraires
La conclusion d’une convention d’honoraires dés le début du dossier avec les solicitors et
Barristers est indispensable pour maîtriser les coûts. Celle-ci devra préciser le nom des
intervenants et le taux horaire de chacun afin d’éviter la multiplication d’intervenants et la
dispersion de l’efficacité.
3. Le contrôle des frais de défense
Le contrôle des coûts générés localement est d’une importance majeure. Elle permet
d’éviter la dérive financière des frais de défense et de s’assurer que les frais présentés
comme des frais de défense relèvent effectivement de la garantie. Ce contrôle strict permet
souvent de réaliser de substantielles économies et l’investissement qu’il nécessite devient
très rentable.
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VII - Complexité du programme d’assurance
1. Mise à l’épreuve du programme d’assurance
Ces dossiers complexes et à fort potentiel financier sollicitent bien souvent la mobilisation
de plusieurs lignes du programme d’assurance.
Les contentieux ainsi générés sont l’occasion de mettre à l’épreuve le montage d’assurance,
l’enchainement des garanties entre les différentes lignes et la gestion de l’assureur ou des
coassureurs
La mise en œuvre du programme d’assurance passe par l’acquisition des garanties et la
complexité à laquelle l’assureur fait souvent face de transposer des catégories juridiques
d’un droit étranger en droit français des assurances. En d’autres termes, la problématique
du Risk Manager et de l’assureur est ici de déterminer si la réclamation « rentre dans les
cases » du contrat d’assurance. C’est une tache bien souvent compliquée.
2. Impact de la volatilité des taux de change
Tout au long de la vie du dossier, le Risk Manager et l’assureur devront suivre de près
l’érosion des lignes, laquelle peut être fortement impactée par la variation des taux de
change tout au long du dossier
En effet, le nœud de la difficulté réside dans la discordance dans le temps entre le montant
de garantie initialement agréé en local et exprimé en devise locale et la contre-valeur euro
plusieurs années après des montants effectivement garantis localement.
Pratiquement, la souscription d’un risque en Australie au 1er janvier 2009 pour un montant
de 10 millions de dollars australiens conduisait à garantir en euro une somme de près de
5,665 millions d’euro. Cette même exposition de 10 millions de dollars australiens au 1 er
janvier 2011 expose en fait potentiellement la police ainsi souscrite à une somme de plus de
7,42 millions d’euro en raison de l’augmentation du taux de change du dollars australien par
rapport à l’euro.
La différence de valeur entre les capitaux garantis au jour de la souscription et celle de la
mise en œuvre de la police n’est ainsi pas négligeable. Elle représente en effet une somme
de plus de 1,75 millions d’euro.
Cet exercice peut se répéter pour l’ensemble des devises. Si l’on prend l’exemple du dollar
américain, un montant de capitaux garantis de 10 millions de dollars américains souscrit au
1er janvier 2008 correspondait à près de 6,84 millions d’euro. Au 1 er janvier 2012, la même
police se trouvait potentiellement mise en jeu pour un montant de plus de 7,46 millions
d’euro par l’effet de la volatilité des taux de change. Il s’agit là d’une différence de près de
811.000 euros.
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3. Gestion du non-admis
Se pose également la difficulté de gestion des polices « non-admis » qui se rencontre pour
l’assureur Master lorsqu’il intervient en DIC/DIL et pour l’assureur Umbrella dans toutes les
hypothèses.
Il convient alors de préserver la confidentialité en local de la présence de l’assureur et
d’organiser avec prudence le flux descendant des indemnités d’assurance.
4. L’information des coassureurs et réassureurs
La gestion du programme d’assurance renvoie ensuite à la gestion des polices en
coassurance et l’implication des réassureurs qui suivent aujourd’hui au plus près leurs
dossiers.
La rédaction de notes de synthèse détaillée, régulièrement mises à jour et la tenue de
réunions d’information sont bien souvent nécessaires pour la compréhension et le suivi de
tels dossiers.
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VIII - La Médiation
Les procédures anglo-saxonnes sont marquées par l’organisation avant le Trial d’une
Médiation judiciaire obligatoire.
Celle-ci a pour but de permettre aux parties d’éviter le Trial lequel est particulièrement
chronophage et couteux. Il n’est en effet pas rare qu’un Trial dure plusieurs semaines, si ce
n’est plusieurs mois.
Le dossier qui fait l’objet de ce REX avait une durée de Trial estimée à 7 mois à raison de 4
journées complètes d’audience par semaine. Si ce Trial avait dû se tenir, il aurait mobilisé
une douzaine d’avocats à temps plein pendant toute cette période.
Cette pratique de la Médiation est ainsi bien différente des habitudes françaises où la
Médiation judiciaire est encore particlièrement marginale.
Afin de permettre aux parties de se rapprocher, le Magistrat instructeur va désigner un
professionnel reconnu (Magistrat, Barrister, …) afin que celui-ci cherche une solution
amiable au litige.
La personnalité du Médiateur est bien entendu déterminante et il s’agit en effet dans la plus
part des cas de « personnages » !
Concernant l’organisation de la Médiation, le Médiateur réunit généralement d’abord
l’ensemble des parties pour exposer les objectifs. Ensuite, chaque partie est isolée dans une
salle et le Médiateur fait la navette.
Il mettra en lumière auprès de chaque partie les faiblesses de ses prétentions et la force des
demandes qui sont formulées à son encontre.
Durant la Médiation, les parties échangent par le biais de Position Papers. Elles y
développent leurs moyens et leurs prétentions. Une argumentation factuelle et technique y
est souvent développée.
Ces documents sont confidentiels et ne peuvent être utlisés dans le cadre d’une procédure.
Ceci n’est pas différent du règime français de la Médiation.
La diffusion de ces Position Papers peut être limitée à certaines parties. Il n’y a ainsi pas de
principe du contradictoire dans cette procédure.
Cette restriction au principe du contradictoire est souvent salutaire car il est en effet parfois
utile de pouvoir limiter les échanges pour permettre la résolution de conflits bipartites qui
polluent le débat général.
Si les parties conviennent d’un accord, alors le Juge homologuera la convention.
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L’objectif de la Médiation est de tout faire pour éviter le Trial et faire ainsi l’économie des
frais gigantesques qu’il génère.
Afin d’être efficace, la Médiation doit être soigneusement préparée par l’équipe et les rôles
de chacun clairement définis.
Il s’agit en effet parfois d’une véritable pièce de théâtre où les jeux de rôle ont leur place,
toute mesure gardée.
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IX - Le Trial
Bien que le dossier qui a servi de support d’inspiration pour la rédaction de ce cahier
technique ait été transigé et ait ainsi échappé à l’épreuve du Trial, il convient malgré tout de
consacrer quelques développements sur cette spécificité des procédures anglo-saxonnes.
Alors qu’en France les procédures se terminent par une courte session de plaidoirie, les
procédures dans les pays anglo-saxons connaissent une phase d’instruction orale très
longue : le Trial.
Lors de cette phase orale de la procédure, les Barristers des parties :
-
présenteront leur dossier sous l’angle factuel et juridique ;
-
feront déposer leurs témoins sur les éléments factuels (witnesses of facts ou lay
witnesses) ;
-
cross-examineront chacun des witnesses of facts des autres parties;
-
feront déposer leurs témoins sur les éléments techniques (expert witnesses) ;
-
cross-examineront chacun des expert witnesses des autres parties;
-
feront une plaidoirie sur l’ensemble des éléments de faits, techniques et de droit.
Il s’agit d’une phase cruciale dans les procédures anglo-saxonnes dans la mesure où c’est
l’occasion du Trial que chaque élément de preuve est présenté à la Cour et débattu par les
parties.
Aussi, suivant le volume de documents produits dans le cadre de la Discovery, la complexité
technique du dossier et le nombre de témoins (witnesses of facts et expert witnesses), le
Trial peut s’étendre sur une période très longue, souvent plusieurs semaines, parfois
plusieurs mois.
CT REX sur un contentieux anglo-saxon
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X - Points clefs
 Spécificité d’un dossier complexe :
•
Importance de la qualité de l’expertise technique en l’absence d’expertise judiciaire
•
Inclusion de l’analyse technique dans la stratégie juridique alors que la pratique
anglo-saxonne a recours au technique dans un second temps
 Spécificité d’un dossier anglo-saxon :
•
Chronophage et donc couteux
•
Exigence de surveillance des coûts
•
Règles du legal privilege
 Spécificité d’une réclamation d’ampleur « bi-localisée » :
•
Tensions permanentes entre Maison mère et filiale, entre Assureur et Assuré, entre
les différents conseils, suspense
•
Multiplication des réunions physiques à tous les niveaux : Paris et Local
•
Décalage horaire et temps de déplacement
•
Capacité à décider vite, disponibilité permanente et proactivité
•
Attentes de l’assureur et du Souscripteur sur l’étendue des prestations des Conseils.
CT REX sur un contentieux anglo-saxon
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CT REX sur un contentieux anglo-saxon
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REX sur un contentieux anglo-saxon :
Gestion de sinistres
et
gigantisme des dossiers de class action
Juin 2013
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