Niepoort @ El Gusto

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Niepoort @ El Gusto
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Joris Luyten · Juli 2014
Niepoort @ El Gusto
Dans le livre The most beautiful wine cellars in the world
quelque peu de trouver les chais de Niepoort à Porto dans la prestigieuse liste.
En effet, avec sa production d’à peine 1% de l’océan de porto, Niepoort est un
petit nain. Mais small peut aussi être très clairement beautiful. Les connaisseurs
savent d’ailleurs que la qualité de cet acteur de niche est inégalable. Cependant,
the proof of the pudding is in the eating. Pourquoi dès lors ne pas y aller tout simplement faire un petit tour.
EL GUSTO N°15 - été / automne 2014
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NIEPOORT
UN PAS DANS
LE PASSÉ
Cela ne semble pas très réaliste, mais un vol vers Porto dure
moins longtemps que le trajet embouteillé de tous les jours
entre Bruxelles et Anvers. Et en plus, ça coûte des clopinettes.
Donc, une visite aux chais de Niepoort a été pour moi une excuse toute trouvée pour un city trip inattendu. Quelques jours
plus tard, je me suis donc trouvé flânant sur le quai du Rio
Douro, sous un délicieux petit rayon de soleil.
Par l’imposant pont d’acier, le Ponte de Luis, je passe facilement à pied sur l’autre rive. Il semble que le fleuve coupe la
ville de Porto en deux, mais en fait lorsque vous êtes sur la rive
C’est ici qu’est accumulé le capital liquide de Porto. Des millions de litres de porto sont conservés dans de vastes hangars.
Orientés au nord, à l’abri du soleil et de la chaleur.
Les vignobles eux-mêmes se trouvent à plus de 100 kilomètres
d’ici, dans la vallée sinueuse du Douro. Au printemps, des ba-
teaux chargés de vin à ras bord descendent le fleuve jusqu’ici.
C’est le colonisateur anglais qui a commencé vers le milieu du
18e siècle l’exportation de vin portugais. Il est cependant très
vite apparu à Londres que la traversée sur l’océan transformait
le très précieux vin en vinaigre acide. C’est pourquoi le vin a été
immunisé contre les différences de température et supportait
sans peine la longue traversée.
Il s’avère que la plupart des portos ne portent pas des noms
autochtones. Sandeman, Taylors, Kopke, Burmester, Offley,
Croft… cela ne sonne pas très portugais. Cela vient de ce que
les maisons de vin de l’époque portaient les noms des négociants et non ceux des vignerons locaux.
Et donc aussi Niepoort. Nous sommes en 1842. Une famille
hollandaise des environs de Hilversum s’installe comme négociant en vins à Porto. Pendant quatre générations, leur business
sera le transport et la vente de porto, sans avoir eux-mêmes
jamais pressé le moindre grain de raisin. Leur descendant, Dirk
Niepoort, va en 1987 apporter un changement décisif en décidant de produire également lui-même du vin. D’ailleurs, détail amusant, Niepoort est dans tout Porto, la seule maison de
vins qui, avec Dirk, a toujours une lignée portant le nom des
fondateurs et gérant toujours les affaires. Ainsi, par exemple,
il y a hélas bien longtemps qu’on ne peut plus saluer aucun
monsieur Sandeman.
Sur le quai, la pression est énorme. Les touristes sont embarqués
comme du bétail sur des bateaux pour l’obligatoire promenade
sur le fleuve. Je suis moi-même à la recherche de la Rua de Serpa Pinto. Ayant lu que la cave n’était pas accessible au public,
j’avais quand même passé un petit coup de fil à Young Charly,
le distributeur belge de Niepoort. Ils m’ont arrangé une petite
visite exclusive et indiqué la localisation précise. Heureusement,
car il faut quand même chercher. À mi-chemin de la rue en
forte pente, je trouve une grande porte de garage verte, avec
une toute petite sonnette. Et pas le moindre nom.
Lorsque je pousse le bouton, j’entends résonner la sonnette
dans le lointain, et peu après, Paulo Silva m’ouvre la porte avec
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un large sourire. Avant que je ne m’en sois bien rendu compte,
la porte est refermée derrière moi et je suis apparemment entré
dans un autre monde.
La lumière est tamisée. Venant de l’éblouissante lumière du
soleil de l’extérieur, mes yeux doivent s’adapter aux chiches
petites lampes qui dispensent un éclairage parcimonieux. Les
murs et le haut plafond de bois sont pratiquement noirs. C’est
des toiles d’araignée du côté sombre, les voûtes…
C’est dans cet environnement irréel que se tiennent les dégustations. Paulo nous a apparemment déjà préparé nos petits
verres à dégustation…
Plus de 250.000 bouteilles sont conservées. Elles sont toutes
minutieusement entassées et pourvues d’un bouchon cacheté
à la cire. On utilise uniquement des bouteilles demjohn. Que
la formation de moisissure. Bien que cave ne soit pas le mot
exact puisque nous nous trouvons en fait toujours au rez-dechaussée.
La température peut monter ici jusqu’à 18°C en été, mais
cela n’affecte absolument pas le vin. Des centaines de petits
tonneaux, remplis de Tawny port, sont entreposés l’un près
de l’autre de manière un peu chaotique. Il semble que depuis
1863, lorsque le bâtiment a été érigé, on n’ait touché à rien.
Chaque tonneau est signé en langue cryptique. Une poussière
ancestrale a déposé une fine couche de velours. L’air est rempli
d’un arôme indéfinissable. Chaque goulée doit contenir un capital de vin évaporé. C’est peut-être un peu d’autosuggestion,
mais je me sens ici assez vite de très bonne humeur.
Le sol est en terre battue. Cela régularise l’absorption de l’humidité de manière très naturelle. Dans de grandes barriques,
faites depuis plus de cent ans en chêne polonais et portugais,
est stocké uniquement du vin de style Ruby. Les robinets, en
cuivre légèrement oxydé, sont encore d’origine. Dans les supports qui soutiennent les immenses tonneaux, on reconnaît encore la forme torturée de l’olivier.
Au centre se trouve un petit local de dégustation. Ici, le master blender opère son ultime assemblage. De petites bouteilles
avec des échantillons des tonneaux sont disposées en rang
lointain ancêtre de Dirk en a jadis acheté 5000 dans une verrerie en faillite. Les grosses bouteilles en boule ont un contenu
de 7 à 12 litres et sont idéales pour faire délicatement vieillir le
porto.
tout autour. La famille des Nogueira, est depuis 5 générations
étroitement liées à Niepoort et ils portent dans leurs gènes le
don exceptionnel d’assembler année après année de sublimes
portos. Le petit local tout simple et sans prétention rayonne de
savoir-faire.
Le temps est venu de descendre d’un étage. On arrive à la cave
par un étroit escalier de pierres. De derrière une balustrade,
je vois la private room. Le décor peut se décrire comme celui
d’une salle des chevaliers ou plutôt comme un ancien temple
de francs-maçons. Les tables de bois rugueux, les lampes avec
Légèrement euphorique, je me prends même à douter, ai-je
de 1900, un porto vintage de 1927 et un Garrafeiras de la miraculeuse année vinicole de 1931, elles sont toutes ici dans un
Finalement, j’atterris de nouveau dans la private room. Paulo
a déjà mis au frais quelques bouteilles particulières. Chez nous,
les portos sont souvent à tort servis à température ambiante,
alors qu’ils ne peuvent l’être au maximum que de 12 à 14°C.
Le Ruby est jeune, fruité et de couleur rubis. C’est de la pure
nature. Par contre un Tawny ambré est toujours une création
hautement personnelle du blender. Tout comme le vin s’accroche en pleurant dans le verre valsant, le goût demeure
concentré en bouche.
Lorsqu’un peu plus tard je me retrouve dans la rue et que la
porte verte s’est refermée derrière moi, c’est comme si j’avais
pris à rebours la machine à remonter le temps pour revenir à
aujourd’hui. Je regarde derrière moi. Rien ne permet de supposer que derrière ces murs se cache une telle salle au trésor.
goût du superbe Tawny. J’allume un petit cigare et je descends
calmement vers le quai. Qui pourrait deviner que je viens de
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Joris Luyten