"Travail avec un groupe d`hommes sur leur vécu de père" 21

Transcription

"Travail avec un groupe d`hommes sur leur vécu de père" 21
Travail avec un groupe d’hommes sur
leur vécu de père
Edith Godin - 21 septembre 2012
C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai
écouté les échanges de ce matin ; c’était
tellement prenant et proche de ce que
nous allons partager maintenant que j’ai
ajouté des notes à mes notes !
Nous allons continuer simplement avec
une illustration : un travail avec des
hommes et des pères que j’ai pu
rencontrer soit en entretien, soit en
« groupe de parole ». Après deux
entretiens
téléphoniques
avec
l’A.N.P.A.A. 59, je vous propose d’intituler
cette intervention : « Partage de quelques
expériences ».Ce sont des expériences
fortes qui s’inscrivent dans d’autres
expériences, faites depuis quelques
années, dans le champ de ce qu’on
appelle : le « soutien à la parentalité ». Je
préférerais presque dire le « soutien à la
fonction parentale de qualité paternelle ».
Donc un partage de quelques expériences
d’un travail d’invention de la parole du/de
père. Invention pourquoi ? Parce qu’il n’y a
pas de génération spontanée, on est dans
du générationnel. L’inventeur, en droit, est
celui qui trouve quelque chose. Si vous
creusez dans votre jardin ou votre cave et
que vous trouvez quelque chose, on va
dire en droit que vous êtes un
« inventeur ». Ce qui signifie que la parole
inventée, n’est pas la parole qui arrive
d’un seul coup, elle vient de quelque part :
d’une source. Tout à l’heure vous avez
utilisé le mot de trouvaille ou de
retrouvaille, ce sont des mots justes car on
trouve en cherchant ensemble, on se pose
des réponses plus souvent que des
questions ; il y a « invention » quand se
trouve ou se retrouve quelque chose qui
est de la parole de cet homme-là ou de ce
père-là, qui l’identifie : elle est une parole
personnelle, mais elle est dite aussi en
référence à une parole commune de père.
Ces expériences, je ne les ai pas vécues
toute seule, mais dans un cadre associatif
avec des comités de pilotage. C’est très
important, pour ne pas être dans la toute
puissance et le fini, d’être dans une
cohérence d’équipe où s’associent les
différences de chacun, c’est très important
pour pouvoir avancer.
J’ai une formation d’historienne et
d’ethnologue,
alors
pourquoi
avoir
particulièrement ce travail avec des
pères ? Cela aurait pu être tout aussi bien
avec les mères… Mais l’ethnologue est
une personne qui travaille avec ce qui
dans la culture des personnes ou des
sociétés lui est étrange, est l’étranger. Or
un père pour une mère est étrange.
Quand j’écoute le père de mes enfants, je
me demande quelquefois ce qu’il est en
train de leur raconter, et réciproquement
certainement. Le père, on l’a dit, ce n’est
pas le familier, ce n’est pas la mère, c’est
quelqu’un d’inconnu qui emmène dans un
espace-temps autre, quand il le peut ;
travailler avec les pères, c’est donc
réellement une expérience de l’altérité.
Je pense que ce qui était recherché par
l’association avec laquelle j’ai travaillé la
fonction paternelle, c’était de faire des
propositions
ni
sur-valorisantes,
ni
dévalorisantes, mais des propositions qui
ont de la valeur, qui sont qualitatives. On
ne peut pas imposer aux personnes de
parler d’elles-mêmes, même avec les
meilleures intentions du monde, on peut
susciter mais pas imposer. Il y a tout ce
respect de la liberté qui est important, et
en même temps, il est nécessaire dans
notre société aujourd’hui de proposer.
Dans les rencontres que j’ai eues avec
des pères, Il y a eu quatre temps,
quatre types d’approche. J’ai eu une
première mission, qui était d’observer dans
les centres d’hébergement qui accueillent
les mères et les enfants, ce qu’il en était
du père. Souvent ce qui est du père était
tu, parce que les mères qui étaient là avec
leurs enfants avaient subi des violences,
en tout cas existait un malaise ou un malêtre par rapport à lui, considéré comme le
fautif et la personne à éviter. Donc on n’en
parlait pas. Autant le secret est important,
autant taire les choses ne mène à rien.
Les enfants ne s’autorisaient pas à parler
de leur père sauf par des manifestions, qui
sont une sorte de parole, d’agressivité ou
de remise en cause violente de l’autorité,
dont celle de la mère. Mon premier travail
a été d’étudier, comment redonner place
à la parole du père dans des institutions à
caractère maternel et maternant. C’était
aussi l’époque où la question du père
revenait fortement dans la société en
raison de la délinquance dite juvénile et
2
autre, et où beaucoup de juristes, de
psychologues ou de psychanalystes
retravaillaient cette question-là.
Mais ce qui me paraissait essentiel était
de donner la parole à eux, les pères !
On peut toujours parler des autres ou
parler pour les autres. Mais eux, les pères,
que disent-ils de leur vécu et de leur
histoire ?
Je suis donc partie dans des lieux qui
m’étaient jusque-là inconnus : les CHRS
accueillant des hommes. Aujourd’hui, il y a
davantage de CHRS accueillant des
familles, mais à l’époque, c’était très
séparé. Je me suis rendue compte que
l’environnement n’avait rien à voir avec un
CHRS maternel et familial, déjà parce qu’il
n’y a pas d’enfants accueillis. Dans un
CHRS d’hommes les messieurs qui sont là,
ne sont pas là parce qu’ils sont pères,
mais parce qu’ils ont été confrontés à des
difficultés
socio/professionnelles
très
grandes. Quand je me suis présentée
dans les CHRS du Nord Pas-de-Calais,
j’ai rencontré les directeurs et les équipes
éducatives qui m’ont dit qu’il y avait de
grandes souffrances pour les pères, des
souffrances telles qu’on ne peut pas
laisser les choses en l’état ! Parfois même,
quand je demandais à rencontrer des
pères alors résidents, ceux qui le voulaient
bien, on ne savait pas toujours qui l’était
ou pas car la case « avez-vous des
enfants ?» n’était pas remplie.
J’ai donc réalisé un premier travail
d’écoute de la parole de ces hommes
voulant bien parler d’eux. J’ai rencontré
des pères me disant qu’untel ne viendrait
pas parler avec moi parce que, même s’il
avait des enfants, il n’avait plus aucun lien
avec eux, « il ne pourra pas vous parler
parce qu’il est vide ! ». Cette vacuité me
touche, c’est un vide métaphysique. Il ne
fallait pas rajouter de la souffrance à la
souffrance.
Dans cette première expérience, en allant
chercher la parole de ces hommes, j’ai
ressenti une demande impérative d’être
écouté parce que « cela fait du bien ». Je
leur disais que moi-même j’avais besoin
de leurs paroles parce que, comme je ne
savais pas ce qu’ils ressentaient, j’avais
besoin d’apprendre ; j’avais besoin de leur
parole, sinon je ne pouvais pas faire mon
travail. Et de ce fait, ils voulaient bien
m’aider ! J’étais en demande. Je crois
qu’on ne sait pas assez à quel point il
faut aller chercher les pères et leur dire
qu’on a besoin d’eux. Cela ne va pas de
soi, surtout dans notre société. Il faut aller
à leur endroit, soient-ils au chômage,
soient-ils clochards, où en soient-ils
aujourd’hui. Je peux vous dire ce que j’ai
entendu : tous, quels que soient les
événements de leur vie, avaient dans leur
mémoire quelque chose de ce qui est du
père : Il faut donc aller les chercher à cet
endroit et dire et redire que l’enfant a
besoin d’eux. Parfois, ce n’est pas facile
parce qu’on va leur parler de leur mission
éducative et qu’ils vont répondre qu’ils
n’en ont rien à faire. Mais s’il n’y a pas
cette insistance, de la mère et de la
société en général, à vouloir la parole du
père, pourquoi voulez-vous qu’ils soient
là ? Mais maintenant à eux aussi de
prendre leur place. Je vais vous lire deux
phrases d’un juge des enfants du tribunal
de Bobigny, qui s’appelle Alain Bruel : il dit
dans un rapport intitulé « Un avenir pour la
paternité » : « l’accusation de démission
des pères généralement portée n’est
pas
appropriée.
Les
attitudes
masculines de retrait, relèvent souvent
moins d’un choix délibéré que du
sentiment de ne pas être reconnu, et
d’une
tendance
à
prendre
ses
distances en situation de difficulté
narcissique. » Et il ajoute : « mais alors
se pose la question essentielle, (et c’est là
une question plus large encore que celle
du père, une question familiale et sociale
essentielle) : qui assume dans notre
société aujourd’hui les responsabilités
réelles de l’identification et de la
sécurisation des rapports entre les forts et
les faibles ? » Ce qui est du père, c’est
cette responsabilité réelle de permettre
l’identification et la sécurisation des
rapports entre les faibles et les forts.
Dans nos entretiens, les pères m’ont
raconté leur vie, m’ont dit aussi leur
référence à cette mémoire de ce qui est
du père ; ils ont demandé pourquoi on
travaille tant avec les mères et si peu avec
eux les pères ? Mais comment ? La
plupart d’entre eux, j’en étais très
étonnée, m’ont dit qu’un père, c’est
celui qui montre ce qu’il y a de beau
dans le monde. Qu’est-ce alors que ce
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beau dont ils parlent ? Ici dans le Nord
Pas-de-Calais,
quand
les
mineurs
sortaient une gaillette de charbon, ou
quand quelqu’un avait usiné une pièce, on
disait que « c’était du bel ouvrage ». C’est
ce beau-là qui est toujours présent à leur
esprit, mais auquel, quand le malheur est
là, ils ne peuvent plus participer. Mais, s’ils
ne peuvent plus contribuer à l’ouvrage, ils
peuvent quand même montrer ce qui
s’édifie : (la nature fait, selon eux, du bel
ouvrage !). C’est cette « démonstration » à
l’enfant qui leur permet encore, disent-ils,
de trouver les mots, de transmettre, de
donner « ça » à l’enfant. Il y a la parole à
continuer de donner, mais il y a d’autres
modes d’expression aussi : ce que l’on fait,
ce à quoi l’on participe avec d’autres, ce à
quoi on peut être fier de s’identifier, est
montrable !
Si chacun prend la peine de les écouter,
c’est en cela que les pères, même s’ils ne
s’expriment pas très bien, sont « utiles » à
l’enfant !
Si j’ai insisté là-dessus, c’est parce que la
seconde expérience, mise en place
après les avoir écoutés, a été de créer,
avec toute l’inspiration qu’ils nous avaient
donnée, un atelier « être père »,
consacré à l’identité et à la qualité
paternelle.
Nous
avons
voulu
« inventer » un espace-temps propre au
père, ne réunissant au départ que des
papas, et non pas un atelier parental
(incluant des mères… souvent prolixe sur
leur vécu !), tant il nous paraissait
important de créer un espace propre à la
parole du père.
Huit des neuf pères, qui ont participé au
premier atelier, n’avaient plus d’emploi.
L’ethnologue Olivier Schwartz, évoquant la
culture du monde ouvrier, rappelle que les
pères, qui ont perdu leur emploi, se
perdent aussi chez eux dans la parole de
la mère ! Du temps des gueules noires,
le père avait une place hautement
symbolique à la table familiale… mais
la crise industrielle a fait qu’ils se
retrouvent souvent aujourd’hui dans un
fauteuil dans le coin d’une pièce ! Pour
cet atelier, nous avons pu trouver un lieu
citoyen, pas un centre social : ce lieu où
se retrouver entre hommes et entre pères,
a permis une nouvelle identification et
peut-être de retrouver une « corporation »
pour chacun des pères participants. Je ne
suis pas intervenue dans les premiers
temps de l’atelier. C’est un animateur qui
pendant tout un temps a animé l’atelier
pour qu’ils ne soient qu’entre hommes,
jusqu’au moment où ils ont souhaité que
j’intègre leur groupe. A ce moment, ils
avaient créé leur « fratrie » et refait
corps… en échangeant dans la parole,
mais aussi en créant des images
photographiques évoquant la paternité. A
la fin de ce premier atelier, cinq des huit
participants ont retrouvé un travail. Pôle
Emploi est même venu nous voir pour en
parler. Ce n’est pas parce qu’ils ont trouvé
du travail qu’ils ont été mieux en tant que
pères, mais c’est parce qu’ils étaient
mieux dans leur peau de père qu’ils se
sont imposés à la société. Je me souviens
qu’ils m’ont dit à la fin, lors de la rédaction
de leur CV dans la partie « divers » : « ne
rajouterait-on pas participant à un atelier
être père ? » Dans leur entretien
d’embauche, ils ont raconté leur histoire
d’atelier… et cela a beaucoup compté !
Cela s’est prolongé par une troisième
expérience : un atelier « être père,
acteur de la santé familiale » : pas un
atelier concernant directement leur santé à
eux, mais un travail partagé sur : comment
je suis un père responsable du faible,
comment j’aide mon enfant à être en
bonne santé ? » Ils y ont aussi créé un jeu
de coopération, avec une règle. Et, cela
s’est poursuivi par une formation de
parents - relais d’autres parents auquel,
après trois ans de recherche entre pères,
ils ont souhaité inviter des mamans !
Dans chacune de ces approches, j’ai
repéré quatre lignes force :
1- Aller chercher les pères à leur endroit,
les susciter et non pas les forcer, avoir
cette conviction que la parole du père vaut
quelque chose.
2- Leur faire des propositions qualitatives
qui s’inscrivent dans le réel de la personne
qu’est ce père-là.
3- Préserver un lieu et un temps
nécessaire à cette parole du père, où elle
puisse se ré-entraîner. Associer la parole
à une création commune qui permet de
refaire le lien avec la génération
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précédente comme avec la suivante. Un
père c’est un chaînon dans une lignée ; si
la lignée est rompue, le chaînon est tout
seul et n’a pas à qui parler. Les pères
commencent à parler de paternité,
d’adoption, (ils se font adopter par leur
enfant), à partir du moment où ils peuvent
dire que leur père a été ceci ou cela (qu’ils
l’aient connu ou non) : ils sont dans leur
histoire si une réconciliation s’est faite
entre le père qu’ils ont eu et l’enfant qu’ils
demeurent. Par exemple, un père dit :
« mon père était ci ou ça, mais un jour il
nous a emmené à la pêche mon frère et
moi. Alors, j’emmène mes enfants à la
pêche ». Ainsi, ce père-là a pu faire
mémoire de quelque chose qui ne s’inscrit
plus dans une culpabilité négative, mais
une culpabilité positive : on a fait ça pour
moi, alors je vais le faire pour mon enfant
(en plus cela me fait du bien).
Nous parlions ce matin du don et du
contre-don ; s’acquitter de sa dette pour le
père, c’est donner à son enfant quelque
chose ; la manière et la forme qu’il apporte
à ce don-là, lui correspondent : il y a là
son identité de père.
a parlé au nom du groupe pour lui dire que
s’il avait besoin d’un père, ils allaient tous
l’être pour lui le temps nécessaire. Le
jeune homme a été surpris, puis il leur a
répondu qu’il était d’accord, mais que le
fait qu’il lui soit fait cette proposition lui
suffisait.
En tout cas, cette « adoption par le
groupe » a été un moment « paternel »
extraordinaire ! Quand un groupe, la
personne morale qu’il représente, permet
cela… après tout peut se travailler ! A
chaque fois que l’homme est rendu à ce
qui lui permet d’être un humain à part
entière, un être de parole et de culture, un
sujet de droit, un citoyen respecté, il
retrouve sa place et son autorité
Je vais m’arrêter là, même s’il y a encore
tant à dire.
Intervention
Cela me fait penser à un article dans les
années quatre-vingt-dix quand les mines
ont fermé : c’est que les hommes
n’avaient plus à transmettre quoi que ce
soit, la qualité de leur métier, le beau, c’est
le
président
du
GREID,
Bernard
Courouble, qui avait écrit cet article sur les
hommes privés de transmission, d’où le
vide. Et puis deuxième aspect, en faisant
ma formation de thérapeute familial, on a
mis en place des groupes de parents qui
se posaient des questions sur les
dépendances de leurs enfants, et en fait, il
n’y avait que des mères. Le formateur m’a
demandé si on avait invité les pères, j’ai
alors pris conscience avec le groupe que
quand quelqu’un demandait par téléphone
à venir, c’était toujours une femme. On ne
lui demandait pas si son mari allait venir,
donc on n’avait que des groupes de
femmes. On se disait que de toute façon,
les hommes ne viendraient pas. A partir
du moment où on a systématiquement
posé la question à l’accueil téléphonique,
si le mari pensait venir, dans ces groupes
de parents, des pères sont venus. Donc
peut-être que notre positionnement à nous
influe sur le fait qu’ils viennent ou pas.
4-Dans tout travail social, la « personne
groupe » est importante, c’est le tiers. Il y
a les animateurs, les pères et le groupe, et
il est très important d’être attentif et de
respecter ce qui se passe dans et autour
de cette personne morale qu’est le groupe.
Dans le premier atelier, nous avons passé
plus de la moitié du temps pour permettre
aux participants de parler d’eux et de
réécrire leur propre histoire. Cette
réécriture
de
l’histoire
personnelle,
écoutée par les autres est tout à fait
nécessaire Je ne sais pas si tout ce qu’ils
ont dit était vrai et cela n’a pas
d’importance ! C’était un conte des faits.
Chacun a eu besoin d’exprimer sa vie en
en devenant l’acteur ou le créateur. Ils ont
pris beaucoup de temps à dire leur histoire
de fils, mais ils n’arrivaient pas encore à
parler d’eux : pères. Et voici qu’un soir où,
sur les neuf, huit avaient déjà parlé leur
histoire, un jeune maghrébin, papa d’une
fillette, le seul donc qui n’avait pas encore
pris la parole, nous a raconté que son
père était mort quand il était bébé et qu’il
lui manquait. Alors, un des pères présents
Edith Godin
Il a fallu créer ce groupe. Neuf pères sont
venus, dont six avaient encore des
relations avec la mère de leurs enfants,
même s’ils étaient séparés. La première
chose qu’ils ont dit, c’est qu’ils venaient
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pour « se faire un cadeau ». Et la
deuxième chose, c’est que « madame
autorisait » qu’il vienne. Je vous assure
que cette permission leur était importante.
Ils étaient tranquilles quelque part, ils
pouvaient y aller…
papa était décédé. L’exemplaire du livre
qu’il avait reçu avait été donné au fils.
Mais le reste de la famille souhaitait en
avoir un aussi en mémoire.
Ce que je peux dire aussi, c’est que je
continue de voir encore plusieurs de ces
pères qui ont participé à l’un ou aux trois
ateliers.
Ils
sont
souvent
venus
m’accompagner dans des conférences,
avec leurs photos, leur jeu, etc. Ils ont
parlé en public et cela a fait parler des
pères dans les assemblées.
Et si, au départ, quand nous avons
demandé des subventions pour ces
ateliers-pères, aux municipalités par
exemple, certains conseillers ont souri,
mais ils ont quand même accordé
quelques aides… et le projet a fait son
chemin !
Intervention
Les autres pères qui n’ont pas participé
ont-ils eu un retour de ce groupe ?
Etaient-ils intéressés ?
Edith Godin
Je me suis peut-être mal exprimée. Les
pères que j’ai rencontrés au cours de la
première étude ne sont pas forcément les
pères qui sont venus faire l’atelier. C’est à
partir de l’analyse de ce qui a été dit par
une cinquantaine de pères dans des
situations diverses que nous avons monté
le projet d’atelier. Ensuite, on a proposé ce
projet écrit et imagé à d’autres pères en
leur demandant s’il y avait quelque chose,
là, qui les intéressaient. Après discussion,
certains ne l’étaient pas, et d’autres ont
répondu positivement parce qu’au moins
un élément les intéressait. En tout cas,
faut-il toujours qu’il y ait un intérêt
personnel et partagé.
Intervention
J’ai une réaction par rapport à la
reconnaissance du père dans la société.
Quand il y a séparation des parents, le
droit de garde va plus souvent à la mère
qu’au père. Ce que les enfants ne
comprennent pas toujours : pourquoi plus
chez l’un que chez l’autre ? Et je voulais
juste ajouter que dans mon travail, les
hommes que je rencontre me disent qu’ils
comprennent que les femmes et les
enfants viennent nous parler, mais pour
eux, aller parler c’est pour les faibles.
Parler de soi à quelqu’un d’autre, de ses
états d’âme, c’est être faible.
Intervention
Mais est-ce que ceux qui n’étaient pas
intéressés s’y sont quand même
intéressés par la suite ?
Edith Godin
Pas en ce qui concerne les ateliers.
Par contre, en ce qui concerne la première
étude,
j’avais
prévenu
les
pères
rencontrés (en CHRS ou en d’autres lieux)
qu’il y aurait une retranscription de nos
entretiens. Je me souviens d’un entretien
avec un père atteint d’un cancer qui avait
un fils paralysé suite à un accident de
voiture. Il me disait que sa situation et sa
maladie étaient telles qu’il n’avait plus
d’endroit pour recevoir son fils. Il ne
pouvait pas lui parler, lui dire qu’il pensait
à lui. Des témoignages comme ça, il y en
a plein.
La somme des entretiens et leur analyse
est sortie sous forme de livre… comme
promis envoyé à tous ceux qui y avaient
apporté leur contribution… Et, quelques
années après, le directeur du CHRS où
était ce père très malade m’a appelée, me
demandant s’il me restait des livres car ce
Intervention
Je voudrais juste ajouter que votre
approche est intéressante, on n’en parle
pas assez souvent. Dans le monde du
social, il y a encore un grand chemin à
parcourir. Par exemple, une femme vient
vers nous, elle est maman, on va
s’intéresser à elle et à ses enfants. Un
jeune père arrive, on va s’intéresser à son
insertion. Je suis vigilant, au niveau de
mon équipe, toujours réinterroger la
personne dans ce qu’elle est et ce qu’elle
fait
et
pas
exclusivement
dans
l’interprétation dominante. On a un groupe
de travail où on fait un travail avec les
jeunes parents également. Lorsqu’on
organise des activités particulières avec
de jeunes parents, je vois la liste qui est
prête c’est effectivement les mères et les
enfants ; les pères ne sont pas là parce
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que souvent on les a oubliés. Donc on a
vraiment un grand chemin à parcourir.
quelqu’un qui essaie de l’entraîner sur des
terrains où il y a des règles du jeu (libertés
et limites) qui sont favorables à la vie
personnelle, sociale, professionnelle. Le
père parle au nom d’une parole de vie,
une parole qui civilise. Ils nous ont
d’ailleurs étonnés en demandant à
rencontrer aussi des maires, des juges,
des élus, etc.
Intervention
J’ai bien compris le processus du groupe,
mais je reste un peu sur ma faim
concernant le contenu du groupe, sur ce
qui s’est dit dans ce groupe. Je ne vois
pas en quoi ni comment ils se sont
réinvestis de la fonction paternelle,
comment ils en parlent. Et ce qui est
paradoxal pour moi c’est que vous
montrez que les effets sont sur une
meilleure
insertion
professionnelle.
Comment ils habitent leur rôle de père
avant, pendant et après ce groupe de
parole ? Comment ils le définissent et
comment ils l’inscrivent dans leur vie
quotidienne ?
Je terminerais en ajoutant qu’il y a une
chose à laquelle on ne pense pas toujours
à propos de la fonction paternelle : on dit
que le père est le tiers nécessaire pour
empêcher la fusion, qu’il est le
représentant de la Loi, qu’il transmet, c’est
vrai, mais il ne faut pas oublier la
« fonction d’approbation paternelle » : il
est, en effet, du père d’approuver le désir
de l’enfant ! C’est très important que le
père reconnaisse que le désir de l’enfant
vaut.
Ce désir étant reconnu, alors faut-il que le
parent aide l’enfant à le réaliser avec le
temps. Ce temps d’attente est un temps
de frustration, mais qui permet à l’enfant
de construire son projet. A. Bouregba dit
« la fonction paternelle façonne les
conduites afin qu’elles ne soient pas
exclusivement
occasionnées
par
l’impératif de la satisfaction d’un besoin,
mais plutôt motivée par la quête de
reconnaissance. L’être humain est le seul
animal à désirer des objets dont il n’a pas
besoin, objets qu’ils lui sont d’autant plus
désirables que d’autres les désirent. Avoir
ou n’avoir pas l’objet du désir de l’autre est
à la base de notre quête de
reconnaissance. » Pour un enfant, ne pas
avoir, c’est ne pas être aimable ou aimé…
alors le père vient dire : « ce n’est pas
parce que tu n’as pas tout, tout de suite,
que tu n’es pas quelqu’un d’intéressant, et
donc on va travailler cet intérêt qui est
tien» !
Edith Godin
Je crois que le travail de réécriture de son
histoire d’enfant et d’homme, face au père,
mais face aussi à la femme et à la mère,
est très important : pouvoir dire son
ressenti, mettre des mots sur les maux…
a permis qu’à un moment donné, les
participants aux ateliers n’ont plus été
seulement des petits garçons malheureux,
dans la plainte ; ils ont pu devenir « plus
adultes », « plus hommes » peut-être ! En
tout cas, plus concernés par leur qualité
de père. Cela s’est traduit par une réelle
attention à l’enfant (le leur ou ceux dont ils
se font pères), par des paroles et des
actes qui ont été, par exemple : « A partir
du moment où je me suis retrouvé en tant
que père, je le suis pour mon enfant, mais
je suis aussi père des autres enfants.
J’habite une cité où il y a des jeunes qui
font les imbéciles, je suis sorti et leur ai
demandé pourquoi ils faisaient les
imbéciles, alors qu’avant je ne l’aurais pas
fait. »
Je ne sais pas si cela répond à la question,
mais je sais, que dans ces rencontres, il y
a eu prise de conscience par les
participants
de
leur
responsabilité
éducative à l’égard de l’enfant, même si
c’est au prix de rentrer en conflit d’autorité
avec lui.
Si le père n’est pas la loi, il en est le
représentant. C’est donc au nom de cette
loi qui protège l’enfant, que le père est
autorisé à parler, non pas comme
quelqu’un de parfait, mais comme
Intervention
On peut prendre exactement les mêmes
phrases et mettre mère à la place : ça
marche.
Edith Godin
Chaque fois que l’on est dans la fonction
parentale, oui, cela marche !
Simplement, est-il plus de la fonction de
ce qui est du père d’assurer la
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représentation de la loi, mais bien sûr la
mère peut assurer cette fonction et
représenter la loi. Ce qui est alors
intéressant, c’est d’écouter les paroles
qu’utilisent les pères et les mères pour
assurer cette représentation. Peut-être ce
ne sont pas les mêmes !
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