"Travail avec un groupe d`hommes sur leur vécu de père" 21
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"Travail avec un groupe d`hommes sur leur vécu de père" 21
Travail avec un groupe d’hommes sur leur vécu de père Edith Godin - 21 septembre 2012 C’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai écouté les échanges de ce matin ; c’était tellement prenant et proche de ce que nous allons partager maintenant que j’ai ajouté des notes à mes notes ! Nous allons continuer simplement avec une illustration : un travail avec des hommes et des pères que j’ai pu rencontrer soit en entretien, soit en « groupe de parole ». Après deux entretiens téléphoniques avec l’A.N.P.A.A. 59, je vous propose d’intituler cette intervention : « Partage de quelques expériences ».Ce sont des expériences fortes qui s’inscrivent dans d’autres expériences, faites depuis quelques années, dans le champ de ce qu’on appelle : le « soutien à la parentalité ». Je préférerais presque dire le « soutien à la fonction parentale de qualité paternelle ». Donc un partage de quelques expériences d’un travail d’invention de la parole du/de père. Invention pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de génération spontanée, on est dans du générationnel. L’inventeur, en droit, est celui qui trouve quelque chose. Si vous creusez dans votre jardin ou votre cave et que vous trouvez quelque chose, on va dire en droit que vous êtes un « inventeur ». Ce qui signifie que la parole inventée, n’est pas la parole qui arrive d’un seul coup, elle vient de quelque part : d’une source. Tout à l’heure vous avez utilisé le mot de trouvaille ou de retrouvaille, ce sont des mots justes car on trouve en cherchant ensemble, on se pose des réponses plus souvent que des questions ; il y a « invention » quand se trouve ou se retrouve quelque chose qui est de la parole de cet homme-là ou de ce père-là, qui l’identifie : elle est une parole personnelle, mais elle est dite aussi en référence à une parole commune de père. Ces expériences, je ne les ai pas vécues toute seule, mais dans un cadre associatif avec des comités de pilotage. C’est très important, pour ne pas être dans la toute puissance et le fini, d’être dans une cohérence d’équipe où s’associent les différences de chacun, c’est très important pour pouvoir avancer. J’ai une formation d’historienne et d’ethnologue, alors pourquoi avoir particulièrement ce travail avec des pères ? Cela aurait pu être tout aussi bien avec les mères… Mais l’ethnologue est une personne qui travaille avec ce qui dans la culture des personnes ou des sociétés lui est étrange, est l’étranger. Or un père pour une mère est étrange. Quand j’écoute le père de mes enfants, je me demande quelquefois ce qu’il est en train de leur raconter, et réciproquement certainement. Le père, on l’a dit, ce n’est pas le familier, ce n’est pas la mère, c’est quelqu’un d’inconnu qui emmène dans un espace-temps autre, quand il le peut ; travailler avec les pères, c’est donc réellement une expérience de l’altérité. Je pense que ce qui était recherché par l’association avec laquelle j’ai travaillé la fonction paternelle, c’était de faire des propositions ni sur-valorisantes, ni dévalorisantes, mais des propositions qui ont de la valeur, qui sont qualitatives. On ne peut pas imposer aux personnes de parler d’elles-mêmes, même avec les meilleures intentions du monde, on peut susciter mais pas imposer. Il y a tout ce respect de la liberté qui est important, et en même temps, il est nécessaire dans notre société aujourd’hui de proposer. Dans les rencontres que j’ai eues avec des pères, Il y a eu quatre temps, quatre types d’approche. J’ai eu une première mission, qui était d’observer dans les centres d’hébergement qui accueillent les mères et les enfants, ce qu’il en était du père. Souvent ce qui est du père était tu, parce que les mères qui étaient là avec leurs enfants avaient subi des violences, en tout cas existait un malaise ou un malêtre par rapport à lui, considéré comme le fautif et la personne à éviter. Donc on n’en parlait pas. Autant le secret est important, autant taire les choses ne mène à rien. Les enfants ne s’autorisaient pas à parler de leur père sauf par des manifestions, qui sont une sorte de parole, d’agressivité ou de remise en cause violente de l’autorité, dont celle de la mère. Mon premier travail a été d’étudier, comment redonner place à la parole du père dans des institutions à caractère maternel et maternant. C’était aussi l’époque où la question du père revenait fortement dans la société en raison de la délinquance dite juvénile et 2 autre, et où beaucoup de juristes, de psychologues ou de psychanalystes retravaillaient cette question-là. Mais ce qui me paraissait essentiel était de donner la parole à eux, les pères ! On peut toujours parler des autres ou parler pour les autres. Mais eux, les pères, que disent-ils de leur vécu et de leur histoire ? Je suis donc partie dans des lieux qui m’étaient jusque-là inconnus : les CHRS accueillant des hommes. Aujourd’hui, il y a davantage de CHRS accueillant des familles, mais à l’époque, c’était très séparé. Je me suis rendue compte que l’environnement n’avait rien à voir avec un CHRS maternel et familial, déjà parce qu’il n’y a pas d’enfants accueillis. Dans un CHRS d’hommes les messieurs qui sont là, ne sont pas là parce qu’ils sont pères, mais parce qu’ils ont été confrontés à des difficultés socio/professionnelles très grandes. Quand je me suis présentée dans les CHRS du Nord Pas-de-Calais, j’ai rencontré les directeurs et les équipes éducatives qui m’ont dit qu’il y avait de grandes souffrances pour les pères, des souffrances telles qu’on ne peut pas laisser les choses en l’état ! Parfois même, quand je demandais à rencontrer des pères alors résidents, ceux qui le voulaient bien, on ne savait pas toujours qui l’était ou pas car la case « avez-vous des enfants ?» n’était pas remplie. J’ai donc réalisé un premier travail d’écoute de la parole de ces hommes voulant bien parler d’eux. J’ai rencontré des pères me disant qu’untel ne viendrait pas parler avec moi parce que, même s’il avait des enfants, il n’avait plus aucun lien avec eux, « il ne pourra pas vous parler parce qu’il est vide ! ». Cette vacuité me touche, c’est un vide métaphysique. Il ne fallait pas rajouter de la souffrance à la souffrance. Dans cette première expérience, en allant chercher la parole de ces hommes, j’ai ressenti une demande impérative d’être écouté parce que « cela fait du bien ». Je leur disais que moi-même j’avais besoin de leurs paroles parce que, comme je ne savais pas ce qu’ils ressentaient, j’avais besoin d’apprendre ; j’avais besoin de leur parole, sinon je ne pouvais pas faire mon travail. Et de ce fait, ils voulaient bien m’aider ! J’étais en demande. Je crois qu’on ne sait pas assez à quel point il faut aller chercher les pères et leur dire qu’on a besoin d’eux. Cela ne va pas de soi, surtout dans notre société. Il faut aller à leur endroit, soient-ils au chômage, soient-ils clochards, où en soient-ils aujourd’hui. Je peux vous dire ce que j’ai entendu : tous, quels que soient les événements de leur vie, avaient dans leur mémoire quelque chose de ce qui est du père : Il faut donc aller les chercher à cet endroit et dire et redire que l’enfant a besoin d’eux. Parfois, ce n’est pas facile parce qu’on va leur parler de leur mission éducative et qu’ils vont répondre qu’ils n’en ont rien à faire. Mais s’il n’y a pas cette insistance, de la mère et de la société en général, à vouloir la parole du père, pourquoi voulez-vous qu’ils soient là ? Mais maintenant à eux aussi de prendre leur place. Je vais vous lire deux phrases d’un juge des enfants du tribunal de Bobigny, qui s’appelle Alain Bruel : il dit dans un rapport intitulé « Un avenir pour la paternité » : « l’accusation de démission des pères généralement portée n’est pas appropriée. Les attitudes masculines de retrait, relèvent souvent moins d’un choix délibéré que du sentiment de ne pas être reconnu, et d’une tendance à prendre ses distances en situation de difficulté narcissique. » Et il ajoute : « mais alors se pose la question essentielle, (et c’est là une question plus large encore que celle du père, une question familiale et sociale essentielle) : qui assume dans notre société aujourd’hui les responsabilités réelles de l’identification et de la sécurisation des rapports entre les forts et les faibles ? » Ce qui est du père, c’est cette responsabilité réelle de permettre l’identification et la sécurisation des rapports entre les faibles et les forts. Dans nos entretiens, les pères m’ont raconté leur vie, m’ont dit aussi leur référence à cette mémoire de ce qui est du père ; ils ont demandé pourquoi on travaille tant avec les mères et si peu avec eux les pères ? Mais comment ? La plupart d’entre eux, j’en étais très étonnée, m’ont dit qu’un père, c’est celui qui montre ce qu’il y a de beau dans le monde. Qu’est-ce alors que ce 3 beau dont ils parlent ? Ici dans le Nord Pas-de-Calais, quand les mineurs sortaient une gaillette de charbon, ou quand quelqu’un avait usiné une pièce, on disait que « c’était du bel ouvrage ». C’est ce beau-là qui est toujours présent à leur esprit, mais auquel, quand le malheur est là, ils ne peuvent plus participer. Mais, s’ils ne peuvent plus contribuer à l’ouvrage, ils peuvent quand même montrer ce qui s’édifie : (la nature fait, selon eux, du bel ouvrage !). C’est cette « démonstration » à l’enfant qui leur permet encore, disent-ils, de trouver les mots, de transmettre, de donner « ça » à l’enfant. Il y a la parole à continuer de donner, mais il y a d’autres modes d’expression aussi : ce que l’on fait, ce à quoi l’on participe avec d’autres, ce à quoi on peut être fier de s’identifier, est montrable ! Si chacun prend la peine de les écouter, c’est en cela que les pères, même s’ils ne s’expriment pas très bien, sont « utiles » à l’enfant ! Si j’ai insisté là-dessus, c’est parce que la seconde expérience, mise en place après les avoir écoutés, a été de créer, avec toute l’inspiration qu’ils nous avaient donnée, un atelier « être père », consacré à l’identité et à la qualité paternelle. Nous avons voulu « inventer » un espace-temps propre au père, ne réunissant au départ que des papas, et non pas un atelier parental (incluant des mères… souvent prolixe sur leur vécu !), tant il nous paraissait important de créer un espace propre à la parole du père. Huit des neuf pères, qui ont participé au premier atelier, n’avaient plus d’emploi. L’ethnologue Olivier Schwartz, évoquant la culture du monde ouvrier, rappelle que les pères, qui ont perdu leur emploi, se perdent aussi chez eux dans la parole de la mère ! Du temps des gueules noires, le père avait une place hautement symbolique à la table familiale… mais la crise industrielle a fait qu’ils se retrouvent souvent aujourd’hui dans un fauteuil dans le coin d’une pièce ! Pour cet atelier, nous avons pu trouver un lieu citoyen, pas un centre social : ce lieu où se retrouver entre hommes et entre pères, a permis une nouvelle identification et peut-être de retrouver une « corporation » pour chacun des pères participants. Je ne suis pas intervenue dans les premiers temps de l’atelier. C’est un animateur qui pendant tout un temps a animé l’atelier pour qu’ils ne soient qu’entre hommes, jusqu’au moment où ils ont souhaité que j’intègre leur groupe. A ce moment, ils avaient créé leur « fratrie » et refait corps… en échangeant dans la parole, mais aussi en créant des images photographiques évoquant la paternité. A la fin de ce premier atelier, cinq des huit participants ont retrouvé un travail. Pôle Emploi est même venu nous voir pour en parler. Ce n’est pas parce qu’ils ont trouvé du travail qu’ils ont été mieux en tant que pères, mais c’est parce qu’ils étaient mieux dans leur peau de père qu’ils se sont imposés à la société. Je me souviens qu’ils m’ont dit à la fin, lors de la rédaction de leur CV dans la partie « divers » : « ne rajouterait-on pas participant à un atelier être père ? » Dans leur entretien d’embauche, ils ont raconté leur histoire d’atelier… et cela a beaucoup compté ! Cela s’est prolongé par une troisième expérience : un atelier « être père, acteur de la santé familiale » : pas un atelier concernant directement leur santé à eux, mais un travail partagé sur : comment je suis un père responsable du faible, comment j’aide mon enfant à être en bonne santé ? » Ils y ont aussi créé un jeu de coopération, avec une règle. Et, cela s’est poursuivi par une formation de parents - relais d’autres parents auquel, après trois ans de recherche entre pères, ils ont souhaité inviter des mamans ! Dans chacune de ces approches, j’ai repéré quatre lignes force : 1- Aller chercher les pères à leur endroit, les susciter et non pas les forcer, avoir cette conviction que la parole du père vaut quelque chose. 2- Leur faire des propositions qualitatives qui s’inscrivent dans le réel de la personne qu’est ce père-là. 3- Préserver un lieu et un temps nécessaire à cette parole du père, où elle puisse se ré-entraîner. Associer la parole à une création commune qui permet de refaire le lien avec la génération 4 précédente comme avec la suivante. Un père c’est un chaînon dans une lignée ; si la lignée est rompue, le chaînon est tout seul et n’a pas à qui parler. Les pères commencent à parler de paternité, d’adoption, (ils se font adopter par leur enfant), à partir du moment où ils peuvent dire que leur père a été ceci ou cela (qu’ils l’aient connu ou non) : ils sont dans leur histoire si une réconciliation s’est faite entre le père qu’ils ont eu et l’enfant qu’ils demeurent. Par exemple, un père dit : « mon père était ci ou ça, mais un jour il nous a emmené à la pêche mon frère et moi. Alors, j’emmène mes enfants à la pêche ». Ainsi, ce père-là a pu faire mémoire de quelque chose qui ne s’inscrit plus dans une culpabilité négative, mais une culpabilité positive : on a fait ça pour moi, alors je vais le faire pour mon enfant (en plus cela me fait du bien). Nous parlions ce matin du don et du contre-don ; s’acquitter de sa dette pour le père, c’est donner à son enfant quelque chose ; la manière et la forme qu’il apporte à ce don-là, lui correspondent : il y a là son identité de père. a parlé au nom du groupe pour lui dire que s’il avait besoin d’un père, ils allaient tous l’être pour lui le temps nécessaire. Le jeune homme a été surpris, puis il leur a répondu qu’il était d’accord, mais que le fait qu’il lui soit fait cette proposition lui suffisait. En tout cas, cette « adoption par le groupe » a été un moment « paternel » extraordinaire ! Quand un groupe, la personne morale qu’il représente, permet cela… après tout peut se travailler ! A chaque fois que l’homme est rendu à ce qui lui permet d’être un humain à part entière, un être de parole et de culture, un sujet de droit, un citoyen respecté, il retrouve sa place et son autorité Je vais m’arrêter là, même s’il y a encore tant à dire. Intervention Cela me fait penser à un article dans les années quatre-vingt-dix quand les mines ont fermé : c’est que les hommes n’avaient plus à transmettre quoi que ce soit, la qualité de leur métier, le beau, c’est le président du GREID, Bernard Courouble, qui avait écrit cet article sur les hommes privés de transmission, d’où le vide. Et puis deuxième aspect, en faisant ma formation de thérapeute familial, on a mis en place des groupes de parents qui se posaient des questions sur les dépendances de leurs enfants, et en fait, il n’y avait que des mères. Le formateur m’a demandé si on avait invité les pères, j’ai alors pris conscience avec le groupe que quand quelqu’un demandait par téléphone à venir, c’était toujours une femme. On ne lui demandait pas si son mari allait venir, donc on n’avait que des groupes de femmes. On se disait que de toute façon, les hommes ne viendraient pas. A partir du moment où on a systématiquement posé la question à l’accueil téléphonique, si le mari pensait venir, dans ces groupes de parents, des pères sont venus. Donc peut-être que notre positionnement à nous influe sur le fait qu’ils viennent ou pas. 4-Dans tout travail social, la « personne groupe » est importante, c’est le tiers. Il y a les animateurs, les pères et le groupe, et il est très important d’être attentif et de respecter ce qui se passe dans et autour de cette personne morale qu’est le groupe. Dans le premier atelier, nous avons passé plus de la moitié du temps pour permettre aux participants de parler d’eux et de réécrire leur propre histoire. Cette réécriture de l’histoire personnelle, écoutée par les autres est tout à fait nécessaire Je ne sais pas si tout ce qu’ils ont dit était vrai et cela n’a pas d’importance ! C’était un conte des faits. Chacun a eu besoin d’exprimer sa vie en en devenant l’acteur ou le créateur. Ils ont pris beaucoup de temps à dire leur histoire de fils, mais ils n’arrivaient pas encore à parler d’eux : pères. Et voici qu’un soir où, sur les neuf, huit avaient déjà parlé leur histoire, un jeune maghrébin, papa d’une fillette, le seul donc qui n’avait pas encore pris la parole, nous a raconté que son père était mort quand il était bébé et qu’il lui manquait. Alors, un des pères présents Edith Godin Il a fallu créer ce groupe. Neuf pères sont venus, dont six avaient encore des relations avec la mère de leurs enfants, même s’ils étaient séparés. La première chose qu’ils ont dit, c’est qu’ils venaient 5 pour « se faire un cadeau ». Et la deuxième chose, c’est que « madame autorisait » qu’il vienne. Je vous assure que cette permission leur était importante. Ils étaient tranquilles quelque part, ils pouvaient y aller… papa était décédé. L’exemplaire du livre qu’il avait reçu avait été donné au fils. Mais le reste de la famille souhaitait en avoir un aussi en mémoire. Ce que je peux dire aussi, c’est que je continue de voir encore plusieurs de ces pères qui ont participé à l’un ou aux trois ateliers. Ils sont souvent venus m’accompagner dans des conférences, avec leurs photos, leur jeu, etc. Ils ont parlé en public et cela a fait parler des pères dans les assemblées. Et si, au départ, quand nous avons demandé des subventions pour ces ateliers-pères, aux municipalités par exemple, certains conseillers ont souri, mais ils ont quand même accordé quelques aides… et le projet a fait son chemin ! Intervention Les autres pères qui n’ont pas participé ont-ils eu un retour de ce groupe ? Etaient-ils intéressés ? Edith Godin Je me suis peut-être mal exprimée. Les pères que j’ai rencontrés au cours de la première étude ne sont pas forcément les pères qui sont venus faire l’atelier. C’est à partir de l’analyse de ce qui a été dit par une cinquantaine de pères dans des situations diverses que nous avons monté le projet d’atelier. Ensuite, on a proposé ce projet écrit et imagé à d’autres pères en leur demandant s’il y avait quelque chose, là, qui les intéressaient. Après discussion, certains ne l’étaient pas, et d’autres ont répondu positivement parce qu’au moins un élément les intéressait. En tout cas, faut-il toujours qu’il y ait un intérêt personnel et partagé. Intervention J’ai une réaction par rapport à la reconnaissance du père dans la société. Quand il y a séparation des parents, le droit de garde va plus souvent à la mère qu’au père. Ce que les enfants ne comprennent pas toujours : pourquoi plus chez l’un que chez l’autre ? Et je voulais juste ajouter que dans mon travail, les hommes que je rencontre me disent qu’ils comprennent que les femmes et les enfants viennent nous parler, mais pour eux, aller parler c’est pour les faibles. Parler de soi à quelqu’un d’autre, de ses états d’âme, c’est être faible. Intervention Mais est-ce que ceux qui n’étaient pas intéressés s’y sont quand même intéressés par la suite ? Edith Godin Pas en ce qui concerne les ateliers. Par contre, en ce qui concerne la première étude, j’avais prévenu les pères rencontrés (en CHRS ou en d’autres lieux) qu’il y aurait une retranscription de nos entretiens. Je me souviens d’un entretien avec un père atteint d’un cancer qui avait un fils paralysé suite à un accident de voiture. Il me disait que sa situation et sa maladie étaient telles qu’il n’avait plus d’endroit pour recevoir son fils. Il ne pouvait pas lui parler, lui dire qu’il pensait à lui. Des témoignages comme ça, il y en a plein. La somme des entretiens et leur analyse est sortie sous forme de livre… comme promis envoyé à tous ceux qui y avaient apporté leur contribution… Et, quelques années après, le directeur du CHRS où était ce père très malade m’a appelée, me demandant s’il me restait des livres car ce Intervention Je voudrais juste ajouter que votre approche est intéressante, on n’en parle pas assez souvent. Dans le monde du social, il y a encore un grand chemin à parcourir. Par exemple, une femme vient vers nous, elle est maman, on va s’intéresser à elle et à ses enfants. Un jeune père arrive, on va s’intéresser à son insertion. Je suis vigilant, au niveau de mon équipe, toujours réinterroger la personne dans ce qu’elle est et ce qu’elle fait et pas exclusivement dans l’interprétation dominante. On a un groupe de travail où on fait un travail avec les jeunes parents également. Lorsqu’on organise des activités particulières avec de jeunes parents, je vois la liste qui est prête c’est effectivement les mères et les enfants ; les pères ne sont pas là parce 6 que souvent on les a oubliés. Donc on a vraiment un grand chemin à parcourir. quelqu’un qui essaie de l’entraîner sur des terrains où il y a des règles du jeu (libertés et limites) qui sont favorables à la vie personnelle, sociale, professionnelle. Le père parle au nom d’une parole de vie, une parole qui civilise. Ils nous ont d’ailleurs étonnés en demandant à rencontrer aussi des maires, des juges, des élus, etc. Intervention J’ai bien compris le processus du groupe, mais je reste un peu sur ma faim concernant le contenu du groupe, sur ce qui s’est dit dans ce groupe. Je ne vois pas en quoi ni comment ils se sont réinvestis de la fonction paternelle, comment ils en parlent. Et ce qui est paradoxal pour moi c’est que vous montrez que les effets sont sur une meilleure insertion professionnelle. Comment ils habitent leur rôle de père avant, pendant et après ce groupe de parole ? Comment ils le définissent et comment ils l’inscrivent dans leur vie quotidienne ? Je terminerais en ajoutant qu’il y a une chose à laquelle on ne pense pas toujours à propos de la fonction paternelle : on dit que le père est le tiers nécessaire pour empêcher la fusion, qu’il est le représentant de la Loi, qu’il transmet, c’est vrai, mais il ne faut pas oublier la « fonction d’approbation paternelle » : il est, en effet, du père d’approuver le désir de l’enfant ! C’est très important que le père reconnaisse que le désir de l’enfant vaut. Ce désir étant reconnu, alors faut-il que le parent aide l’enfant à le réaliser avec le temps. Ce temps d’attente est un temps de frustration, mais qui permet à l’enfant de construire son projet. A. Bouregba dit « la fonction paternelle façonne les conduites afin qu’elles ne soient pas exclusivement occasionnées par l’impératif de la satisfaction d’un besoin, mais plutôt motivée par la quête de reconnaissance. L’être humain est le seul animal à désirer des objets dont il n’a pas besoin, objets qu’ils lui sont d’autant plus désirables que d’autres les désirent. Avoir ou n’avoir pas l’objet du désir de l’autre est à la base de notre quête de reconnaissance. » Pour un enfant, ne pas avoir, c’est ne pas être aimable ou aimé… alors le père vient dire : « ce n’est pas parce que tu n’as pas tout, tout de suite, que tu n’es pas quelqu’un d’intéressant, et donc on va travailler cet intérêt qui est tien» ! Edith Godin Je crois que le travail de réécriture de son histoire d’enfant et d’homme, face au père, mais face aussi à la femme et à la mère, est très important : pouvoir dire son ressenti, mettre des mots sur les maux… a permis qu’à un moment donné, les participants aux ateliers n’ont plus été seulement des petits garçons malheureux, dans la plainte ; ils ont pu devenir « plus adultes », « plus hommes » peut-être ! En tout cas, plus concernés par leur qualité de père. Cela s’est traduit par une réelle attention à l’enfant (le leur ou ceux dont ils se font pères), par des paroles et des actes qui ont été, par exemple : « A partir du moment où je me suis retrouvé en tant que père, je le suis pour mon enfant, mais je suis aussi père des autres enfants. J’habite une cité où il y a des jeunes qui font les imbéciles, je suis sorti et leur ai demandé pourquoi ils faisaient les imbéciles, alors qu’avant je ne l’aurais pas fait. » Je ne sais pas si cela répond à la question, mais je sais, que dans ces rencontres, il y a eu prise de conscience par les participants de leur responsabilité éducative à l’égard de l’enfant, même si c’est au prix de rentrer en conflit d’autorité avec lui. Si le père n’est pas la loi, il en est le représentant. C’est donc au nom de cette loi qui protège l’enfant, que le père est autorisé à parler, non pas comme quelqu’un de parfait, mais comme Intervention On peut prendre exactement les mêmes phrases et mettre mère à la place : ça marche. Edith Godin Chaque fois que l’on est dans la fonction parentale, oui, cela marche ! Simplement, est-il plus de la fonction de ce qui est du père d’assurer la 7 représentation de la loi, mais bien sûr la mère peut assurer cette fonction et représenter la loi. Ce qui est alors intéressant, c’est d’écouter les paroles qu’utilisent les pères et les mères pour assurer cette représentation. Peut-être ce ne sont pas les mêmes ! 8