L`Opus Dei: 80 ans au service

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L`Opus Dei: 80 ans au service
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Entretien
Mgr Antoine de Rochebrune
L’Opus Dei : 80 ans
au servic e
Saint Josémaria a
fondé l’Opus Dei
le 2 octobre 1928 :
80 ans d’une œuvre de
sanctification des laïcs
dans le monde.
Mgr Antoine de
Rochebrune, vicaire
de la prélature de
l’Opus Dei pour la
France, répond à
nos questions.
La Nef — Pourriez-vous nous rappeler
dans quelles circonstances et dans quel
but a été fondé l’Opus Dei en 1928 ?
Mgr Antoine de Rochebrune – La fondation de l’Opus Dei relève du souffle
impétueux de l’Esprit Saint, qui ne cesse
de susciter dans l’Église des forces de
renouvellement et de rayonnement. Un
matin de 1928, un prêtre de 26 ans qui,
depuis déjà de longues années, se sentait
« travaillé » par le pressentiment d’un
appel particulier, « vit » enfin ce que Dieu
attendait de lui. C’était au cours d’une
retraite spirituelle. Il comprit qu’il devait
devenir l’instrument d’une grande convocation de chrétiens à la sainteté personnelle et à l’apostolat, au milieu du monde.
Ce prêtre a pour nom saint Josémaria
Escriva. Il a été canonisé par Jean-Paul II
en 2002.
Comment définiriez-vous le charisme
propre ou la spécificité de l’Opus Dei
dans l’Église ?
Dans l’Église, nous sommes tous appelés
à devenir saints dans la vie quotidienne, et
à travailler avec toute la perfection possible, pour l’amour de Dieu. Pour rappeler à
tous cet appel, Dieu a suscité l’Opus Dei.
Son charisme propre, c’est cette recherche de la sainteté dans et à travers l’accom20
plissement des devoirs ordinaires du chrétien. Vous le voyez, l’énoncé en est assez
simple, mais la réalisation demande une
véritable mise en œuvre pastorale. La
sainteté est un défi ; la prélature propose
des moyens pour avancer dans cette voie.
Peut-on dire qu’il y a une spiritualité
de l’Opus Dei comme il y a une spiritualité franciscaine, carmélitaine,… ?
Et à quelle spiritualité se rattachait
saint Josémaria ?
L’Opus Dei ne propose pas une spiritualité, au sens limité d’une méthode particulière de vie spirituelle. Il propose ce
que je préfère appeler un esprit, un style
de vie au quotidien, fondé sur la
conscience d’être enfant de Dieu, et dont
l’axe est la sanctification du travail. Cet
esprit tend vers « l’unité de vie » : unité
entre la vie de relation avec Dieu et la vie
quotidienne. On peut dire que l’esprit de
l’Opus Dei repose sur deux vérités centrales : le monde, en tant que créé par Dieu,
est bon et peut être le lieu d’une authentique rencontre avec Dieu ; l’Incarnation du
Christ témoigne de ce que le divin peut
imprégner et régénérer tout l’humain.
Quant à saint Josémaria, il avait des
« lieux » de référence privilégiés : l’Évangile, où il voulait inscrire sa vie « comme
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un personnage de plus » ; les Pères de
l’Église, chez qui il retrouvait cette
conscience d’être tous appelés à la sainteté ; et enfin, à titre plus personnel, sainte
Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix,
ses compatriotes, avec lesquels il devait
sentir une certaine affinité de tempérament. Son attachement à la vie d’enfance
spirituelle le rapproche à certains égards
de sainte Thérèse de Lisieux.
À propos de votre fondateur, y a-t-il
des traits particuliers qui caractérisent
sa sainteté ?
Sans hésitation – même si cela vaut
pour tous les saints – je pense à son amour
de l’Eucharistie et à son amour de la
Vierge Marie. Il disait que la Messe était
« le centre et la racine » de toute vie intérieure. Il fut aussi un apôtre du Rosaire.
Son petit livre Saint Rosaire, rédigé d’une
traite à la fin de la Messe, en 1934, est un
merveilleux guide pour découvrir ou redécouvrir les richesses de cette dévotion.
Je pense aussi à sa foi en l’Église, trempée dans les épreuves de la fondation, des
incompréhensions du début, et aussi dans
les années de crise post-conciliaire qui ont
coïncidé avec la fin de sa vie.
Il me semble enfin que sa sainteté était,
pour ainsi dire, extrêmement « aimable » :
joyeuse, pleine d’humour et d’humanité.
Et qu’il avait un immense amour de la
liberté, ce qui ne manquait pas d’éveiller
la suspicion dans certains milieux ecclésiastiques. Il était convaincu que la liberté
personnelle, quand elle n’est pas confondue avec la licence, est véritablement une
vie humaine fraternelle et ouverte à la
grâce.
Pourriez-vous nous expliquer les différents degrés d’engagement au sein de
l’Opus Dei ? Comment se décident-ils
et sont-ils toujours définitifs ? En quoi
se différencient-ils des vœux religieux
classiques ?
Il n’y a qu’un seul et même engagement
pour tous : chercher la sainteté et être apôtre, dans le monde. Bien sûr, il se fait de
manière graduelle : on doit d’abord le
renouveler chaque année ; puis, au bout
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d’un certain temps (au minimum six ans
et demi), l’on peut s’engager dans l’Opus
Dei de façon définitive. Pour le reste, on
est autant de l’Opus Dei en étant marié,
père ou mère de famille, que si l’on reçoit
le don du célibat pour Dieu. La seule dif-
ment religieux et la vocation des laïcs
qui est, pour beaucoup, le mariage et
la fondation d’une famille ?
La vocation de tout baptisé, c’est la
sainteté. Pour les laïcs, cette vocation se
concrétise ordinairement par la fondation
d’une famille, mais
aussi par le travail, par
le service de la « cité des
hommes », la collaboration directe au bien
commun. Il s’agit là,
selon l’esprit de l’Opus Dei, de la
« matière » de notre sanctification ; faire
de chaque activité, de chaque rencontre
ou circonstance, un chemin vers Dieu. Ce
qui, aux yeux de certains, est un obstacle
à la contemplation – le bruit de la rue, les
aléas de la vie quotidienne, les soucis
d’une famille et d’un travail – tout cela
doit devenir pour nous un moyen : la
matière, l’occasion, de notre dialogue
intérieur avec Dieu, et l’expression de la
charité théologale. « Contemplatifs au
milieu du monde » : tel était l’objectif que
proposait saint Josémaria.
L’Opus Dei est régulièrement l’objet
de critiques virulentes, il n’est que de
citer l’exemple du Da Vinci Code :
comment expliquez-vous l’acharnement des médias ou de certains
auteurs à votre égard ?
Si l’Opus Dei est attaqué parce qu’il
offre le visage d’un catholicisme fidèle au
pape, ferme dans la foi, alors nous l’acceptons joyeusement. Même si nous avons du
mal à nous reconnaître dans le cliché des
« catholiques ultras » ! Et puis, par définition, notre esprit ne nous donne pas une
grande « visibilité » : à l’œil nu, un
pêcheur philippin ou un pilote de ligne
qui appartient à l’Opus Dei ne se distin-
c e de l’Église
férence entre les membres de l’Opus Dei,
de ce point de vue, réside dans leur plus
ou moins grande disponibilité pour assumer des tâches de formation au sein de
l’Œuvre.
C’est un engagement qui ne passe pas
par des vœux : en réponse à un appel de
Dieu, l’on s’engage « sur son honneur de
chrétien » à chercher la sainteté selon l’esprit de l’Opus Dei. L’engagement est pris
envers l’Opus Dei, et l’Opus Dei, par la
voix de son représentant, s’engage en
retour à fournir l’aide requise, à travers
une formation et un soutien spirituel
constants. À la différence d’une consécration religieuse, cet engagement n’altère en
rien la condition séculière, laïque, de celui
qui s’incorpore à l’Opus Dei. Sa radicalité
provient seulement du fait qu’il embrasse
toute l’existence : on ne s’engage pas pour
telle ou telle tâche précise, mais pour la
sainteté et l’apostolat. Il s’agit, si l’on
veut, d’une « intensification » de l’engagement baptismal. Aussi peut-on parler
d’une véritable vocation laïque au milieu
du monde.
Est-il vraiment possible de vivre une
vie donnée à Dieu dans le monde et
sur son lieu de travail ? N’y a-t-il pas
risque de confusion entre l’engage-
Mgr Josémaria
Escriva de Balaguer
(1902-1975) prêchant
au Mexique : béatifié
(1992) et canonisé
(2002) par
Jean-Paul II.
gue guère du collègue qui travaille à côté
de lui, même si l’un s’efforce de tout référer à Dieu et l’autre pas. Cette invisibilité,
qui j’espère n’est pas stérilité ou pusillanimité, sera toujours notre « faiblesse » : elle
nous expose à l’incompréhension, elle est
difficile à justifier en termes mondains.
Mais elle est notre force, car elle tient à
l’essence même de notre vocation.
Ces critiques visent notamment l’influence cachée que vous auriez à
Rome. Certains ont ainsi évoqué la
rapidité de la canonisation de saint
Josémaria : que répondre à ces attaques ?
Il nous faut exposer simplement la
vérité. Au début du pontificat de JeanPaul II, l’Église a modifié les procédures
de canonisation. Les moyens modernes
permettent de faire des procès à la fois
plus sérieux et plus rapides que par le
passé, et de mieux répondre ainsi à l’objectif pastoral d’une canonisation. Saint
Josémaria a bénéficié de ce changement
de procédure, et bien d’autres saints
depuis : on le voit pour Mère Teresa, et en
ce moment pour le procès de canonisation
de Jean-Paul II.
Quant à une influence cachée à Rome,
je vous renvoie au livre du journaliste
américain John Allen sur l’Opus Dei. Il
s’est livré à une comptabilité précise, d’où
il ressort qu’en termes de personnel et de
postes de responsabilité, l’Opus Dei est
bien moins représenté au Vatican que des
familles religieuses autrement moins
nombreuses…
Quel bilan peut-on tirer de ces 80
années et quelles sont vos perspectives
d’avenir, quel sera le rôle de l’Opus
Dei dans l’Église de demain ?
Le vrai bilan, ce sont toutes les personnes qui sont au Ciel, et qui ont bénéficié
sur terre de l’esprit de l’Opus Dei. Ces 80
premières années ne sont, de toute façon,
qu’un tout petit début. Dans le monde,
des gens de l’Opus Dei ont créé des universités, des hôpitaux, des écoles, des résidences d’étudiants, qui visent à la fois à
rendre un service effectif à la société et à
faire rayonner l’esprit chrétien. L’essentiel
se passe pourtant ailleurs, dans le rayonnement personnel de chacun, dans sa
famille ou son travail. Si l’Opus Dei
contribue à ce que chaque chrétien, dans
le monde, prenne davantage conscience
de sa responsabilité apostolique, alors la
face de la terre peut changer.
Propos recueillis par Christophe Geffroy ■
Pour tout renseignement sur l’Opus Dei, cf. le site :
www.opusdei.fr
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