L`Opus Dei: 80 ans au service
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L`Opus Dei: 80 ans au service
P.20-21-Entretien.192 25/03/08 16:25 Page 20 Entretien Mgr Antoine de Rochebrune L’Opus Dei : 80 ans au servic e Saint Josémaria a fondé l’Opus Dei le 2 octobre 1928 : 80 ans d’une œuvre de sanctification des laïcs dans le monde. Mgr Antoine de Rochebrune, vicaire de la prélature de l’Opus Dei pour la France, répond à nos questions. La Nef — Pourriez-vous nous rappeler dans quelles circonstances et dans quel but a été fondé l’Opus Dei en 1928 ? Mgr Antoine de Rochebrune – La fondation de l’Opus Dei relève du souffle impétueux de l’Esprit Saint, qui ne cesse de susciter dans l’Église des forces de renouvellement et de rayonnement. Un matin de 1928, un prêtre de 26 ans qui, depuis déjà de longues années, se sentait « travaillé » par le pressentiment d’un appel particulier, « vit » enfin ce que Dieu attendait de lui. C’était au cours d’une retraite spirituelle. Il comprit qu’il devait devenir l’instrument d’une grande convocation de chrétiens à la sainteté personnelle et à l’apostolat, au milieu du monde. Ce prêtre a pour nom saint Josémaria Escriva. Il a été canonisé par Jean-Paul II en 2002. Comment définiriez-vous le charisme propre ou la spécificité de l’Opus Dei dans l’Église ? Dans l’Église, nous sommes tous appelés à devenir saints dans la vie quotidienne, et à travailler avec toute la perfection possible, pour l’amour de Dieu. Pour rappeler à tous cet appel, Dieu a suscité l’Opus Dei. Son charisme propre, c’est cette recherche de la sainteté dans et à travers l’accom20 plissement des devoirs ordinaires du chrétien. Vous le voyez, l’énoncé en est assez simple, mais la réalisation demande une véritable mise en œuvre pastorale. La sainteté est un défi ; la prélature propose des moyens pour avancer dans cette voie. Peut-on dire qu’il y a une spiritualité de l’Opus Dei comme il y a une spiritualité franciscaine, carmélitaine,… ? Et à quelle spiritualité se rattachait saint Josémaria ? L’Opus Dei ne propose pas une spiritualité, au sens limité d’une méthode particulière de vie spirituelle. Il propose ce que je préfère appeler un esprit, un style de vie au quotidien, fondé sur la conscience d’être enfant de Dieu, et dont l’axe est la sanctification du travail. Cet esprit tend vers « l’unité de vie » : unité entre la vie de relation avec Dieu et la vie quotidienne. On peut dire que l’esprit de l’Opus Dei repose sur deux vérités centrales : le monde, en tant que créé par Dieu, est bon et peut être le lieu d’une authentique rencontre avec Dieu ; l’Incarnation du Christ témoigne de ce que le divin peut imprégner et régénérer tout l’humain. Quant à saint Josémaria, il avait des « lieux » de référence privilégiés : l’Évangile, où il voulait inscrire sa vie « comme LA NEF ■ N°192 ■ AVRIL 2008 un personnage de plus » ; les Pères de l’Église, chez qui il retrouvait cette conscience d’être tous appelés à la sainteté ; et enfin, à titre plus personnel, sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix, ses compatriotes, avec lesquels il devait sentir une certaine affinité de tempérament. Son attachement à la vie d’enfance spirituelle le rapproche à certains égards de sainte Thérèse de Lisieux. À propos de votre fondateur, y a-t-il des traits particuliers qui caractérisent sa sainteté ? Sans hésitation – même si cela vaut pour tous les saints – je pense à son amour de l’Eucharistie et à son amour de la Vierge Marie. Il disait que la Messe était « le centre et la racine » de toute vie intérieure. Il fut aussi un apôtre du Rosaire. Son petit livre Saint Rosaire, rédigé d’une traite à la fin de la Messe, en 1934, est un merveilleux guide pour découvrir ou redécouvrir les richesses de cette dévotion. Je pense aussi à sa foi en l’Église, trempée dans les épreuves de la fondation, des incompréhensions du début, et aussi dans les années de crise post-conciliaire qui ont coïncidé avec la fin de sa vie. Il me semble enfin que sa sainteté était, pour ainsi dire, extrêmement « aimable » : joyeuse, pleine d’humour et d’humanité. Et qu’il avait un immense amour de la liberté, ce qui ne manquait pas d’éveiller la suspicion dans certains milieux ecclésiastiques. Il était convaincu que la liberté personnelle, quand elle n’est pas confondue avec la licence, est véritablement une vie humaine fraternelle et ouverte à la grâce. Pourriez-vous nous expliquer les différents degrés d’engagement au sein de l’Opus Dei ? Comment se décident-ils et sont-ils toujours définitifs ? En quoi se différencient-ils des vœux religieux classiques ? Il n’y a qu’un seul et même engagement pour tous : chercher la sainteté et être apôtre, dans le monde. Bien sûr, il se fait de manière graduelle : on doit d’abord le renouveler chaque année ; puis, au bout P.20-21-Entretien.192 25/03/08 16:25 Page 21 d’un certain temps (au minimum six ans et demi), l’on peut s’engager dans l’Opus Dei de façon définitive. Pour le reste, on est autant de l’Opus Dei en étant marié, père ou mère de famille, que si l’on reçoit le don du célibat pour Dieu. La seule dif- ment religieux et la vocation des laïcs qui est, pour beaucoup, le mariage et la fondation d’une famille ? La vocation de tout baptisé, c’est la sainteté. Pour les laïcs, cette vocation se concrétise ordinairement par la fondation d’une famille, mais aussi par le travail, par le service de la « cité des hommes », la collaboration directe au bien commun. Il s’agit là, selon l’esprit de l’Opus Dei, de la « matière » de notre sanctification ; faire de chaque activité, de chaque rencontre ou circonstance, un chemin vers Dieu. Ce qui, aux yeux de certains, est un obstacle à la contemplation – le bruit de la rue, les aléas de la vie quotidienne, les soucis d’une famille et d’un travail – tout cela doit devenir pour nous un moyen : la matière, l’occasion, de notre dialogue intérieur avec Dieu, et l’expression de la charité théologale. « Contemplatifs au milieu du monde » : tel était l’objectif que proposait saint Josémaria. L’Opus Dei est régulièrement l’objet de critiques virulentes, il n’est que de citer l’exemple du Da Vinci Code : comment expliquez-vous l’acharnement des médias ou de certains auteurs à votre égard ? Si l’Opus Dei est attaqué parce qu’il offre le visage d’un catholicisme fidèle au pape, ferme dans la foi, alors nous l’acceptons joyeusement. Même si nous avons du mal à nous reconnaître dans le cliché des « catholiques ultras » ! Et puis, par définition, notre esprit ne nous donne pas une grande « visibilité » : à l’œil nu, un pêcheur philippin ou un pilote de ligne qui appartient à l’Opus Dei ne se distin- c e de l’Église férence entre les membres de l’Opus Dei, de ce point de vue, réside dans leur plus ou moins grande disponibilité pour assumer des tâches de formation au sein de l’Œuvre. C’est un engagement qui ne passe pas par des vœux : en réponse à un appel de Dieu, l’on s’engage « sur son honneur de chrétien » à chercher la sainteté selon l’esprit de l’Opus Dei. L’engagement est pris envers l’Opus Dei, et l’Opus Dei, par la voix de son représentant, s’engage en retour à fournir l’aide requise, à travers une formation et un soutien spirituel constants. À la différence d’une consécration religieuse, cet engagement n’altère en rien la condition séculière, laïque, de celui qui s’incorpore à l’Opus Dei. Sa radicalité provient seulement du fait qu’il embrasse toute l’existence : on ne s’engage pas pour telle ou telle tâche précise, mais pour la sainteté et l’apostolat. Il s’agit, si l’on veut, d’une « intensification » de l’engagement baptismal. Aussi peut-on parler d’une véritable vocation laïque au milieu du monde. Est-il vraiment possible de vivre une vie donnée à Dieu dans le monde et sur son lieu de travail ? N’y a-t-il pas risque de confusion entre l’engage- Mgr Josémaria Escriva de Balaguer (1902-1975) prêchant au Mexique : béatifié (1992) et canonisé (2002) par Jean-Paul II. gue guère du collègue qui travaille à côté de lui, même si l’un s’efforce de tout référer à Dieu et l’autre pas. Cette invisibilité, qui j’espère n’est pas stérilité ou pusillanimité, sera toujours notre « faiblesse » : elle nous expose à l’incompréhension, elle est difficile à justifier en termes mondains. Mais elle est notre force, car elle tient à l’essence même de notre vocation. Ces critiques visent notamment l’influence cachée que vous auriez à Rome. Certains ont ainsi évoqué la rapidité de la canonisation de saint Josémaria : que répondre à ces attaques ? Il nous faut exposer simplement la vérité. Au début du pontificat de JeanPaul II, l’Église a modifié les procédures de canonisation. Les moyens modernes permettent de faire des procès à la fois plus sérieux et plus rapides que par le passé, et de mieux répondre ainsi à l’objectif pastoral d’une canonisation. Saint Josémaria a bénéficié de ce changement de procédure, et bien d’autres saints depuis : on le voit pour Mère Teresa, et en ce moment pour le procès de canonisation de Jean-Paul II. Quant à une influence cachée à Rome, je vous renvoie au livre du journaliste américain John Allen sur l’Opus Dei. Il s’est livré à une comptabilité précise, d’où il ressort qu’en termes de personnel et de postes de responsabilité, l’Opus Dei est bien moins représenté au Vatican que des familles religieuses autrement moins nombreuses… Quel bilan peut-on tirer de ces 80 années et quelles sont vos perspectives d’avenir, quel sera le rôle de l’Opus Dei dans l’Église de demain ? Le vrai bilan, ce sont toutes les personnes qui sont au Ciel, et qui ont bénéficié sur terre de l’esprit de l’Opus Dei. Ces 80 premières années ne sont, de toute façon, qu’un tout petit début. Dans le monde, des gens de l’Opus Dei ont créé des universités, des hôpitaux, des écoles, des résidences d’étudiants, qui visent à la fois à rendre un service effectif à la société et à faire rayonner l’esprit chrétien. L’essentiel se passe pourtant ailleurs, dans le rayonnement personnel de chacun, dans sa famille ou son travail. Si l’Opus Dei contribue à ce que chaque chrétien, dans le monde, prenne davantage conscience de sa responsabilité apostolique, alors la face de la terre peut changer. Propos recueillis par Christophe Geffroy ■ Pour tout renseignement sur l’Opus Dei, cf. le site : www.opusdei.fr LA NEF ■ N°192 ■ AVRIL 2008 21