16.01.03 Chemin d - Eglise protestante de Bruxelles

Transcription

16.01.03 Chemin d - Eglise protestante de Bruxelles
Chemin d’épiphanie - epifaneia
Matthieu 2, 1~12
Aujourd’hui, c’est la fête de l’Épiphanie,
du grec epi qui désigne le dessus, sur,
et de fainw qui signifie faire briller, faire apparaître, rendre visible ou encore faire connaître.
D’où epifaneia : l’action de montrer ou de se montrer, l’apparition par une manifestation.
L’Épiphanie, ou lorsque Dieu fait briller une étoile au-dessus de la terre, lorsqu’il rend visible
sa propre venue dans le monde, la révélation de Jésus comme… ou sa manifestation
comme… là est la bonne question, celle qu’Hérode aurait dû poser plus précisément à ces
hommes venus d’Orient qui sont dits « mages », du grec magoi : des magiciens, des sorciers,
les interprètes des rêves, des gens pas tout à fait ordinaires. Aujourd’hui, ils sont qualifiés de
savants, d’astrologues ou d’astronomes, parce qu’ils ont scruté le ciel et ont suivi une étoile.
Des savants voire des mathématiciens parce qu’ils auraient calculé la route de l’étoile. Mais
surtout, des regardants et des partants, des parlants aussi qui vont questionner le roi
Hérode, des parlants et des repartants, des arrivants et des se réjouissant, se prosternant et
des offrants, avant d’être de nouveau des partants, mais par un autre chemin.
Étaient-ils rois ?
Étaient-ils trois ?
L’évangile ne dit rien de plus d’eux que « ecce magi »…
La tradition s’est vite saisie d’eux. Elle les a faits rois, elle les a faits trois.
Elle leur a donné des noms qui changent suivant les langues. Sont restés dans nos mémoires
occidentales : Gaspar, Melchior et Balthazar. L’un venant d’orient, un autre d’occident et un
dernier du midi. Le premier, de Perse ; le deuxième, de Gaule ; et le troisième d’Afrique.
« De bon matin,
j’ai rencontré le train
de trois grands rois
qui partaient en voyage… »
Qui n’a pas entendu cette chanson populaire ?
Qui n’a pas, au moins une fois, fredonné cet air devenu folklorique ?
Aujourd’hui, on se pose davantage la question de savoir quelle étoile ils ont suivie plutôt que
de qui ils étaient, ou de qui ils ont été les visiteurs ? Était-ce la comète de Haley, ou une
autre étoile apparaissant cycliquement ou occasionnellement ? Ce faisant, consciemment ou
non, c’est déjà ôter du sens à cette histoire, la démythologiser pour n’en retenir que le
factuel, le réel – d’aucuns diraient le naturel –, alors qu’elle n’a précisément du sens que dans
le sur-naturel – l’épiphanie – qui brille par-dessus et donne à voir ce que l’œil ordinaire
n’aurait pas pu saisir. Alors, suivons la trace de l’étoile et avançons dans le mythe.
Trois hommes marchent vers puis sur la terre de Palestine. Ils avancent, guidés par leur
savoir-lire ce que certains théologiens ne peuvent déchiffrer, tant ils ont le nez dans leurs
écritures plutôt que de lever les yeux aux ciels. Pourtant, la prière ne dit-elle pas : Notre
Père qui es aux cieux ?
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Mais les cieux, que sont-ils pour ce genre de théologiens sinon un lieu dont il ont clos
l’horizon par leurs certitudes intangibles ? Pour eux, c’est un non-lieu humain, puisque c’est
le lieu divin.
Les mages, eux, ont scruté les cieux, et ils ont découvert l’anomalie qui va les émouvoir au
point de les mouvoir hors de leurs frontières. Dans leur univers céleste, chaque étoile est
l’image d’une divinité ou d’une personnalité importante sur la terre, chaque lumière céleste
est en lien avec une lumière terrestre. Il y a forcément un lien entre les ciels et la terre –
c’est un symbole. Pour eux, c’est un lien humain, puisque c’est un lien divin.
Voici que ces hommes venus d’ailleurs – par ailleurs venus – en remontrent aux théologiens
patentés. Même de cultures différentes, ils forcent les professionnels de la chose religieuse à
se replonger dans l’Écriture sacrée. Ou, pour parler un langage d’église : eux, ordinairement
considérés comme au mieux des farfelus et au pire des hérétiques qu’il ne faut pas écouter
voire qu’il faut combattre à défaut de pouvoir les brûler, parlent un langage qui ouvre à la
vérité. C’est un fait, ces mages ne sont pas très orthodoxes, et la question qu’ils posent n’est
pour le moins pas très catholique (ni protestante !). Cependant, leur manière hétérodoxe de
lire les évènements qui les environnent sait les mener au plus proche de la vérité. Dès lors,
avant d’énoncer des vérités soi-disant éternelles, avant de poser comme évidentes des
vérités théologiques, nous devrions, les chrétiens, nous mettre à l’écoute des questions du
monde, de tout le monde, refuser tout a priori, oser pour une foi lever le nez de nos
habitudes et de nos certitudes pour découvrir ailleurs les manifestations de l’Évangile.
En quelques verbes, ce serait redevenir ce que nous ne devrions jamais cesser d’être,
comme les mages :
des regardants au ciel et des marchants sur la terre des vivants,
des écoutants hors de notre ordinaire et des parlants de l’extra ordinaire,
des arrivants ailleurs et des adorants là où la foi nous amène,
des nous réjouissant de découvrir le plus improbable,
et des repartants par un chemin autre puisqu’autre est toujours notre route.
En un mot : être des pèlerins !
Il existe plusieurs récits relatant le voyage d’un quatrième roi mage venant d’une contrée
très lointaine, le plus souvent du septentrion, ce nord qui manquait pour couvrir toute la
surface de la Terre. De nombreuses péripéties l’ont empêché de se joindre aux trois autres,
et il n’arrive en la ville de la paix que trente-trois ans plus tard, sans trésor à offrir au roi des
rois, car il a distribué ses perles au fur et à mesure de ses aventures à des hommes, des
femmes ou des enfants en grand besoin. Les mains vides, il rencontre l’enfant-roi devenu
adulte, soit dans la chambre haute où il goûte à la saveur incomparable de la foi à travers le
partage d’un peu de pain et de vin (meilleure que le rahat-loukoum à l’amande qu’il espérait)
qui sont en substance tellement plus que du simple pain et du simple vin. Voilà qu’en un
échange, pour lui le voyageur égaré sur la terre, la foi a pris chair en sa chair et coule dans
ses veines en sang non pas versé, mais absorbé.
Soit la rencontre se vit en la veille de shabbat, dans cet homme dépenaillé qui va être
crucifié… Quoi, lui, un roi ! Cette exclamation n’est pas sienne. Il voit et il sait, et il implore :
je n’ai rien à t’offrir qui vienne de moi. « Laisse, répond le roi aux pieds nus, ce que tu as
offert à l’un ou l’autre de ses plus petits, c’est à moi que tu l’as donné. Toutes tes perles
distribuées ne l’ont pas été en vain. Avec moi, tu seras dans le jardin de Dieu. » Il sera bien là
en l’aube pascale, dans le jardin de mort devenu celui de la vie, quand le ciel de Dieu et
l’outre terre des hommes ne font plus qu’un.
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Marche de la foi en ces hommes venus des quatre horizons, venus de l’extrême ailleurs.
Trois à la naissance et un à la renaissance.
Trois à la surrection et un à la résurrection.
Témoins premiers et ultime, ils nous disent l’universalité de la foi qui n’est pas réservée à un
petit troupeau, mais que tous peuvent y trouver leur place.
Alors, en ce jour de l’Épiphanie, je me prends à rêver que le mythe prenne sens dans notre
aujourd’hui, comme il a pu le faire au XIIIe siècle, à la cour d’Alphonse X Le Sage, roi de
Castille et de Léon quand auprès de lui se retrouvaient les artistes chrétiens, juifs et
musulmans, allant pour les fêtes chez les uns ou chez les autres, jouant, chantant ensemble…
il était des fois… non, une foi, chacun la sienne, et tous ensemble dans la paix et l’harmonie.
C’était un âge d’or, un âge de myrrhe, un âge d’encens, un âge de perle… un âge qui a été et
qui peut être encore si chacun, lorsque nous sommes reine ou roi par la fève reçue, par la
ferveur de la foi trouvée nous redécouvrons la grâce d’être avec Melchior, Gaspar, Balthasar
et le quatrième des pèlerins de la foi venus de tous les horizons, marchant sur la terre, les
pieds nus, derrière l’étoile, à la rencontre de Dieu qui est là, juste là, l’ailleurs au milieu de
nous, en épiphanie.
« Il y a longtemps, des humains – d’autres – sont partis en traversées océanes
pour retrouver le jardin perdu des origines qu’ils pensaient paradis.
Ils ont trouvés des terres à eux nouvelles
qu’ils ont abreuvées de sang et exploitées...
Il est un autre jardin à trouver...
souviens-toi de l’avenir...
dont la voie mystérieuse ne mène pas plus loin
que là où chacun/e s’apprend enfant de Lumière.
Face au monde obombré, ce jardin resplendit...
Il est sur ce chemin d’épiphanie.
Bonne année 2016. »
bruneau joussellin,
bruxelles-musée
au jour de l’Épiphanie 2016
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