La marche des insectes

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La marche des insectes
Chapitre 1
La marche des insectes
"Ce qui se conçoit bien, s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément "
"Boileau"
1.1 Introduction
Nous introduisons dans ce chapitre des définitions et notions relatives à la marche.
Nous présentons certains résultats d'études biologiques qui ont pour but de comprendre les
principes utilisés par les insectes pour marcher dans différents environnements. Ainsi sont
présentées les règles que semblent suivre les insectes pour coordonner les pattes, maintenir
l’équilibre, et s'adapter au terrain. Différents termes tels que le mouvement, le maintien, la
stabilité, la posture, sont utilisés pour définir et caractériser la marche d’un insecte ou d’un
robot hexapode. Nous précisons ces définitions et introduisons la terminologie que nous
emploierons dans la suite de notre travail.
1.2 Définitions générales
1.2.1. Les insectes
Les insectes appartiennent au groupe des arthropodes et sont dotés de trois paires de
pattes. Les insectes sont de taille variable : les plus petits mesurent moins de 0,25 cm. Les
plus grands atteignent la taille de petits mammifères. Par exemple, certains phasmes mesurent
30 cm de long ; une espèce de scarabée, le dynaste, dépasse 16 cm et certains papillons
peuvent atteindre 30 cm d’envergure.
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Chapitre 1 : La marche des insectes
Le corps des insectes, de même que celui des autres arthropodes, est formé par un
certain nombre d’éléments appelés segments (ou métamères) disposés à la suite les uns des
autres. Chez tous les insectes, le thorax est formé de trois segments distincts. Chaque segment
porte une paire de pattes. La forme des pattes varie en fonction de l’utilisation qui en est faite.
Elles peuvent en effet servir à la marche, comme chez le hanneton, au saut, comme chez la
sauterelle, à la nage, ce qui est le cas du dytique, ou encore au fouissage dans le sol
(courtilière ou taupe-grillon). Elles peuvent également servir à des activités beaucoup plus
spécialisées, comme chez l’abeille, pour la récolte et le transport du pollen.
Dans tous les cas, la patte est constituée par cinq pièces appelées segments. Ces
segments, articulés entre eux, ont reçu les noms de hanche (ou coxa), trochanter, fémur,
tibia et tarse (la tarse et les griffes ou parfois les coussinets ne faisant qu’un). La hanche
assure l’articulation de la patte sur le thorax. Chez les insectes de type marcheur les hanches
sont de taille importante décuplant ainsi la force des pattes. On notera encore que chez
certaines espèces le tibia et le tarse peuvent être soudés donnant naissance au tibiotarse ou que
les pattes vont même jusqu’à être atrophiées.
L’insecte"phasme", dont le nom provient du grec phasma signifiant "apparition" ou
"fantôme", est caractérisé par sa capacité à se confondre avec son milieu (mimétisme par
homotypie). Communément appelés "bâton du diable" cet insecte vit principalement dans les
régions chaudes et humides, équatoriales et tropicales.
Les différentes parties du phasme
Antennes
Thorax
Hanche
Trochanter
Fémur
Tibia
Fémur
Patte
avant
Tibia
Tarse
Hanche
Tarse
Patte
Médiane
Double griffe
Double
griffe
Patte
arrière
Les différentes parties d’une patte
d’un insecte
Abdomen
Fig. 1. 1 Anatomie externe de l’insecte Phasme [Mic 04].
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Chapitre 1 : La marche des insectes
Les différentes articulations d’une patte sont mises en évidence sur la figure 1.2 suivante :
Fig. 1. 2 Différentes articulation d’une patte[Sim 04].
Après avoir présenté quelques notions sur les insectes et leurs anatomies, nous
définissons dans la suite la marche qui est un de leurs modes de locomotion.
1.2.2. Le mouvement
D’après J. Massion [Mas 97], le mouvement est une source de déséquilibre qui change
la géométrie du corps, et modifie la position de son centre de gravité. Le corps est composé de
segments comme, la tête, le tronc, les membres, ces derniers étant eux mêmes composés de
plusieurs segments reliant les articulations. Pour stabiliser le centre de gravité lors du
déplacement d’un segment, il faut que d’autres segments participent au mouvement.
Le mouvement d’un segment perturbe ainsi la position des autres segments. On
distingue deux origines du mouvement : Un mouvement passif ou imposé qui est produit par
une force externe (poussée, charge additionnelle) et un mouvement actif qui est associé à une
commande exercée par le système nerveux.
Parmi les mouvements actifs on discerne les mouvements volontaires, les mouvements
réflexes et les mouvements automatiques :
Les mouvements volontaires sont des mouvements qui apparaissent sans stimulus
extérieur apparent, sur la base d’une consigne interne.
Les mouvements réflexes caractérisent une réaction motrice reproductible, déclenchée
par un ou plusieurs stimuli sensoriels bien identifiés. Ils sont exécutés par l'intermédiaire de
circuits nerveux prédéterminés génétiquement. Les mouvements réflexes sont des
mouvements actifs, qui peuvent être « préréglés » sous l’effet de la commande nerveuse
centrale lors du mouvement volontaire.
Les mouvements automatiques : le terme de mouvement automatique comme celui de
réflexe, n’est pas toujours bien défini. Le mouvement automatique est un mouvement dont le
déroulement est stéréotypé et reproductible, et qui est généré par un réseau nerveux de façon
innée ou suite à un apprentissage.
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Chapitre 1 : La marche des insectes
1.2.3. Le maintien
Le maintien de la position d'un segment traduit la stabilisation de ce segment à une
valeur de référence qui est souvent définie comme une position relative par rapport à un autre
segment corporel.
1.2.4. La stabilité
En négligeant tout phénomène d'adhésion ou d'accrochage entre les pieds et le sol, la
stabilité dépend de la position relative du centre de gravité par rapport aux points de contact
avec le sol qui définissent le polygone de sustentation. La stabilité est obtenue si la verticale
passant par le centre de gravité du corps traverse le polygone de sustentation. Nous pouvons
distinguer trois types de stabilité [Hug 99].
•
•
•
La stabilité quasi-statique : dans ce cas la verticale passant par le centre de gravité
passe à l'intérieur du polygone de sustentation.
La stabilité quasi-dynamique : elle est caractérisée par des phases où la verticale
passant par le centre de gravité se trouve à la limite du polygone de sustentation.
La stabilité dynamique : elle est caractérisée par des phases où il n’y a plus que deux
contacts avec le sol, on ne peut plus former de polygone de sustentation.
1.2.5. La posture
La posture est définie par la position des différents segments à un moment donné dans
l’environnement. La posture assure essentiellement deux fonctions [Mas 97]:
•
Une fonction antigravitaire : elle consiste à s'opposer à la force de pesanteur par la
disposition des segments.
•
Une fonction d'interface avec le monde extérieur pour la perception et l'action.
J.Porta, propose un modèle de la posture des robots marcheurs tels que des hexapodes
[Cel 98a]. Ce modèle s’appuie sur la notion de polygone de configuration :
Le polygone de configuration est le polygone dont les sommets correspondent aux
extrémités qui ont pour rôle de supporter le corps (les pieds, ou tarses chez les insectes). Ce
n’est pas nécessairement un polygone plan car le sol peut être irrégulier. Le polygone de
configuration diffère du polygone de sustentation qui relie les pieds supportant effectivement
la structure. La posture est l’ensemble des positions des pieds par rapport au corps. Une
posture est donc définie par la forme du polygone de configuration et la position de celui-ci
par rapport au corps. Un même polygone de configuration peut-être déplacé relativement au
corps définissant ainsi une nouvelle posture. Deux postures sont compatibles si elles
admettent le même polygone de configuration.
Le contrôle de la posture consiste alors à déplacer le corps par rapport aux points de
contact au sol de façon à améliorer la stabilité et la mobilité du robot marcheur [Cel 98a].
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Chapitre 1 : La marche des insectes
La posture joue un rôle primordial dans l’organisation des mouvements; Les
ajustements posturaux présentent trois finalités :
•
La minimisation des perturbations de la posture et de l’équilibre liées au mouvement.
•
•
La préparation posturale au mouvement.
L’assistance au mouvement en terme de force ou de vitesse. Le concept de capacité
posturo-cinétique traduit la capacité qu'offre le système postural d'assister le
mouvement en terme de vitesse ou de force [Mas 97].
L'équilibre postural implique d’efficaces stratégies de coordination sensori-motrice
selon les nombreux degrés de liberté pour stabiliser le centre de la masse pendant les
perturbations inattendues ou volontaires de la stabilité.
1.2.6. La marche
La marche est l’un des principaux moyens utilisés pour assurer le déplacement de
l’ensemble du corps vers un point précis de l’espace, la marche doit répondre simultanément à
plusieurs exigences.
•
Elle doit, en premier lieu propulser le corps selon un axe principal, c'est à dire vers
l'avant ou vers l'arrière. Cette propulsion doit pouvoir être modulée en vitesse, de
manière à répondre aux exigences liées à la motivation et à l'environnement.
•
Le déplacement du corps au cours de la marche doit pouvoir être orienté vers un but (il
faut pouvoir incurver la trajectoire à droite ou à gauche pour se diriger vers ce but).
•
Enfin, au cours de la marche, d'autres fonctions motrices doivent être assumées
simultanément comme le maintien de l'équilibre, et le maintien de l'orientation de
certains segments comme la tête le tronc ou les mouvements des membres.
Le cycle de marche (d’une jambe ou d’une patte) définit l’ensemble des événements
articulaires et musculaires qui se produisent entre deux appuis successifs au sol. Ce cycle
comprend deux phases, la phase de balancement et la phase d’appui. Lors d’un
déplacement vers l’avant la phase de balancement ou "proaction" (‘return stroke’) est la
phase pendant laquelle le membre se déplace dans l’air vers l'avant du corps et la phase
d’appui ou "retraction" (‘power stroke’) correspond à la phase pendant laquelle le membre
est en contact avec le sol puis se déplace vers l'arrière du corps, cette phase se décompose en
deux temps (un temps de contact avec le sol et le temps de poussée, c'est-à-dire la propulsion
du corps vers l’avant).
Les points de transition d’une phase à l’autre s’appellent PAE et PPE.
•
PAE (Position Antérieur Extrême) : est la position limite vers l’avant, à partir de
laquelle la patte commence la phase de rétraction.
•
PPE (Position Postérieur Extrême) : est la position limite vers l’arrière, où la patte
commence la phase de proaction.
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Appui (rétraction)
A0
Balancement
(proaction)
B0
Fig. 1. 3 Cycle locomoteur. A0 (PAE) : valeur initiale de l’appui. B0 (PPE) : valeur initiale
de balancement
Le temps total de la proaction et de la rétraction, calculé a partir du début de proaction,
Bässler 1983, repris par M.J. Randall [Ran 99] s'appelle durée du cycle ou durée d’un pas.
Un retard peut être définit entre n’importe qu'elles pattes. Ce retard est le temps qui sépare le
début de proaction d’une patte du début de proaction de la patte pour laquelle le retard est
défini [Ran 99]. La phase entre deux pattes est le retard entre deux pattes, divisé par la durée
du pas de la première patte. L’amplitude d’un pas d’une patte est la distance entre PAE et PPE
mesurée parallèlement à l’axe longitudinale du corps.
1.2.7. La Locomotion
La locomotion désigne l’activité de déplacement de l’ensemble du corps vers un point
précis de l’espace. Chez les insectes on distingue plusieurs types de locomotion : la marche, le
saut, le vol et éventuellement la nage. On confond généralement l’activité locomotrice, avec
celle de la marche lorsqu’il n’y a pas ambiguïté sur le mode de locomotion utilisé. La
locomotion sur un substrat solide doit prendre en compte la gravité. L’insecte doit soutenir
son corps par un nombre variable de points d’appui et utiliser ces appuis pour exercer une
force sur le substrat, qui est à l’origine du déplacement (contrôle de posture). Donc il y a trois
paramètres fondamentaux dans la locomotion sur une surface rigide :
•
•
•
la gravité
la poussée réalisée par l’insecte.
le frottement qui détermine si l’insecte glisse ou possède un point d’appui.
1.2.8. Evitement des obstacles et orientation
Face à un obstacle, il y a trois comportements possibles : le premier est de monter sur
l'obstacle, le deuxième est de faire marche arrière et le troisième est de le contourner. Pour
changer d’orientation cinq mécanismes sont utilisés par les insectes [Ran 99] :
•
Le premier mécanisme est de faire varier la fréquence des pas situées à droite et à
gauche, tandis que le maintien de la coordination est assuré.
•
Dans le deuxième mécanisme les pattes situées d’un côté de l'insecte avancent tandis
que simultanément les pattes situées de l’autre côté reculent. Ce mouvement provoque
une rotation sur place.
22
Chapitre 1 : La marche des insectes
•
Troisième mécanisme : certains insectes utilisent une des pattes du milieu pour
pousser sur le substrat dans des directions différentes (spécialement les cafards qui
peuvent changer ainsi rapidement d’orientation pendant une fuite) [Cam 88], [Bee91].
•
Quatrième mécanisme : les pattes situées des deux côtes de l'insecte sont découplées,
les pattes situées à l'extérieur de la courbe marchant avec un fréquence plus élevée.
•
Cinquième mécanisme : alors que la coordination entre les pattes situées de part et
d’autre de l’insecte est maintenue, l’amplitude des pas des pattes qui se trouvent à
l'extérieur de la courbe est augmentée tandis que l’amplitude des pas des pattes se
trouvant à l'intérieur de la courbe est diminuée provoquant ainsi une marche incurvée
[Cru 90], [Cru 90] [Cym 98].
Les mécanismes un et quatre sont observés chez les insectes phasmes D. Graham, [Gra
85]. D'après U. Bâssler [Bâs 85], la rotation ce fait généralement par le changement
d'amplitude des pas, plutôt que par le changement de fréquence des pas, et d'après J.P. Jander
[Jan 85], le comportement de rotation dépend des efforts exercés sur les pattes.
1.2.9. Marche arrière
D. Graham [Gra 85] a étudié la marche en arrière de l'insecte phasme, et il a remarqué
que la marche en arrière peut être provoquée lorsque l'antenne heurte un obstacle ; pendant la
marche arrière la synchronisation des pattes postérieures et antérieures est inversée et la
marche n'est pas aussi bien coordonnée. De telles marches peuvent être relativement durables
et régulières. Pendant la phase de « poussée », la patte se déplace de l'arrière vers l'avant et
vice versa pour la phase de balancement, bien que les pas ne soient pas aussi réguliers que
pour la marche vers l'avant. Il est clair d'après les expériences exécutées sur la marche en
arrière des insectes, que la commande neuronale de la marche vers l'avant ou vers l'arrière de
l'insecte phasme n'est pas entièrement symétrique.
1.2.10. Changement de vitesse
La vitesse de la locomotion est directement liée à la force produite par la rétraction
[Gra 85] et la vitesse moyenne de la rétraction d'une patte est égale à la vitesse vers l'avant de
la locomotion. D'après H. Cruse [Cru 90] et D. Graham [Gra 85], la vitesse est assez constante
pendant toute la proaction.
1.2.11. Navigation
La navigation de l'insecte est basée sur un procédé d'intégration de chemin, par lequel
les informations sur l'environnement et sur la distance de déplacement sont combinées pour
calculer la position. L'intégration de chemin a été postulée pour être le mécanisme principal
qui permet aux insectes de retrouver leur chemin vers le nid [Lab 02]. Pour employer ce
mécanisme de navigation, les deux informations de distance et des information directionnelles
doivent être disponibles [Lab 02]. Pour mesurer et intégrer les composants angulaires et
linéaires des mouvements l'insecte se base sur la position du soleil et la lumière polarisée du
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Chapitre 1 : La marche des insectes
ciel [Lam 00]. Par exemple, les abeilles se basent sur le flux optique reçu pendant le vol [Lab
02]. L'intégration de chemin exige une mémoire, qui permet à l'insecte de mémoriser pendant
la navigation une évaluation courante de la direction et de la distance par rapport au nid. Une
telle mémoire est normalement de courte durée, dû au processus de mise à jour, mais elle peut
persister pendant plusieurs heures si l'insecte est confiné [Lam 00] .
Les fourmis emploient des marqueurs chimiques pour créer des chemins, mais
l’apprentissage de routes familières constitue également une stratégie efficace : la fourmi
'Gigantiops destructor' fourrage en solitaire et emploie de telles routes lors des sorties hors du
nid [Mac 04]. Le développement des yeux chez cette espèce lui permet d'utiliser des repères
visuels dans le milieu naturel pour le guidage le long des routes familières La forme d’une
route familière est influencée par la position des objets dans l’environnement et par la réponse
de l’insecte à ces objets [Mac 04].
1.3 Les mécanismes de la marche des insectes
1.3.1. Les différentes marches des insectes
Nous présentons en figure 1.4, quelques chronogrammes des marches observées par
Wilson chez les insectes, repris par C. Ferrell [Fer 93], et M.J. Randall [Ran 99]. Dans la
marche tripode il y a toujours trois pattes en contact avec le sol, cette marche est utilisée dans
le cas où l’insecte veut marcher vite et avec peu de charge. Dans la marche tétrapode, il y a
toujours quatre pattes en contact avec le sol et cette marche est utilisée dans le cas où l’insecte
veut marcher lentement avec une charge importante.
Marche longue
Marche
Tétrapode
Marche
Tripode
D3
D2
D1
G3
G2
G1
D3
D2
D1
G3
G2
G1
D3
D2
D1
G3
G2
G1
Proaction
G3
D1
G2
D2
G1
D3
Rétraction
Fig. 1. 4 Quelques marches observées sur les insectes par Wilson 1966, repris par M.J.
Randall [Ran 99] .
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Chapitre 1 : La marche des insectes
Wilson 1966, repris par M.J. Randall [Ran 99] a établi plusieurs règles qui permettent
de caractériser les marches généralement observées chez les insectes sur une surface plane :
•
Les proactions se propagent de l’arrière vers l’avant. Aucune patte ne commence une
phase de proaction avant que les pattes voisines soient en phase d’appui de la
« rétraction ».
•
Les pattes opposées par rapport à l’axe longitudinal (pattes controlatérales) bougent en
phase alternée (il n’y a pas de proactions simultanées)
•
La durée de la proaction peut être considérée comme constante.
•
Pour augmenter la vitesse de déplacement la durée de la rétraction diminue, et donc la
fréquence de pas augmente.
•
L’intervalle de temps qui sépare un pas de la patte postérieure et un pas de la patte du
milieu est égal à l’intervalle de temps qui sépare un pas de la patte du milieu et un pas
de la patte antérieure. Tandis que l’intervalle entre un pas de la patte antérieur et un
pas de la patte postérieure varie en inverse par rapport à la fréquence.
Cruse a montré que les variations de la valeur de la position antérieur extrême (PAE)
et la position postérieure extrême (PPE) change en fonction du chemin et du plan sur le quel
l'insecte marche. Les valeurs de PPE et PAE peuvent changer d'un pas à l'autre [Gra 85]. La
valeur typique de PAE et PPE en fonction du terrain pour différentes sujets sont portés dans le
tableau 1.1 [Ran 99] :
Patte
antérieure
Patte
moyenne
patte de
derrière
PAE
PPE
PAE
PPE
PAE
PPE
Marche le long d’un
chemin rectiligne
horizontal
Marche dans
un plan
horizontal
Marche avec
recherche
d’appui
Marches le long
d’un chemin
rectiligne vertical
11(±3)
-7(±4)
-17(±2)
-35(±4)
-40(±3)
-58(±4)
17(±4)
2(±8)
-16(±4)
-34(±4)
-39(±3)
-58(±4)
14(±3)
-5(±3)
-11(±4)
-31(±4)
-34(±4)
-52(±5)
18(±9)
-7(±5)
-11(±6)
-33(±12)
-34(±12)
-56(±15)
Tableau. 1. 1 Mesures de PAE et PPE en mm, effectuée sur une population minimale de 63
sujets de la même espèce [Cru 76a],[Cru 76b]. Les valeurs de PAE et de PPE sont variables
en fonction du type de patte et de l'environnement.
1.3.2. Modèles de coordination
Plusieurs chercheurs biologistes ont remarqué que le contrôle de la marche de l’insecte
phasme n’est pas centralisé, mais se décompose en plusieurs sous systèmes indépendants et
connectés entre eux (pour chaque patte il y a un réseau de neurones), [Cru 76a], [Cru 76b],
[Cam 88], [Bee 91], [Dea 91], [Ran 99].
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Chapitre 1 : La marche des insectes
Ainsi K. Pearson en 1976, repris par C. Ferrell [Fer 93], et ses collaborateurs ont
étudié les systèmes neuronaux qui commandent la marche des insectes, et ils ont développé
des modèles pour expliquer la commande individuelle d'une patte ainsi que la coordination
entre les pattes. Les marches trouvées sont conformes au modèle descriptif de Wilson. Nous
présentons sur la figure 1.5 le modèle de la commande individuelle d'une patte et la figure 1.6
représente différentes marches associées aux changements de fréquence entre les oscillateurs
locaux des pattes.
Signal de retardement du
balancement
Signal chargé d’ajuster la
force de la poussée
3
Excitation
régulière
Poussée
1
2
Balancement
Inhibition
Excitation
Moto neurones
extenseurs
Moto neurones
fléchisseurs
Fig. 1. 5 Modèle du contrôle d'une patte proposé par Pearson, repris par C. Ferrell [Fer 93].
1 : inhibition de la rétraction, 2 : excitation de la proaction, 3 : point de déclanchement. Un
oscillateur fournit le rythme de progression qui déclenche une commande de balancement
près de la crête de son cycle et inhibe la commande de poussée. Une entrée d'excitation
régulière maintient le circuit de poussée actif toutes les fois qu'elle n'est pas empêchée par la
commande d'oscillation.
Différence de phase = (retard / période) x 360°
Avant
Milieu
Arrière
Marche longue
Différence de phase = 60°
Marche Tétrapode
Différence de phase = 120°
Marche tripode
Différence de phase = 180°
Fig. 1. 6 Les différentes marches associées aux changements de fréquence des oscillateurs
locaux des pattes, proposées par Pearson, repris par C. Ferrell [Fer 93].
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Chapitre 1 : La marche des insectes
Pour expliquer les différentes marches obtenues, Pearson décrit trois mécanismes de
coordination entres les pattes :
1- Accouplement central direct des générateurs de rythme dans chaque patte par le
système nerveux.
2- Accouplement indirect des générateurs de rythme : les mouvements de n'importe
quelle patte modifient l’influence des capteurs sensoriels sur les générateurs de rythme des
autres pattes.
3- Influences directes des capteurs sensoriels d'une patte sur les générateurs de rythme
des autres pattes.
Pearson propose alors un modèle d’inhibition des mouvements des pattes (proaction
ou rétraction), si ce mouvement provoque une collision entre les pattes ou l’instabilité du
robot. Cette inhibition se fait d’une façon mutuelle entre les pattes adjacentes comme
représenté par la figure 1.7 suivante [Ran 99] :
G3
D3
G2
D2
D1
G1
Centre d'excitation
Fig. 1. 7 Modèle d’inhibition mutuelle des pattes adjacentes de Pearson et repris par M.J.
Randall [Ran 99].
H. Cruse et d'autres chercheurs [Cru 76a, 79, 80b, 81, 90a], [Ran 99], [Fer 93] ont
étudié la locomotion. H. Cruse a étudié la locomotion de plusieurs insectes et a développé
deux modèles de la locomotion de la marche du phasme. Le premier est un modèle de
commande d'une patte individuelle (Figure 1.8) mettant en évidence plusieurs boucles de
contre réaction imbriquées (de vitesse, de charge, de position) ; le deuxième est un modèle de
coordination entre les pattes. Les résultats obtenus sont conformes aux observations de
Wilson.
PAE
+
PEP
-
+
+
-
Muscles
-
charge
vitesse
Position
Fig. 1. 8 Circuit de contrôle d'une patte proposé par Cruse, repris par C. Ferrell [Fer 93].
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Chapitre 1 : La marche des insectes
D’après H. Cruse la coordination des mouvements des pattes [Cru 80a], résulte des
interactions locales de leurs systèmes de commande, l'interaction implique que les positions
extrêmes de la patte dépendent des positions du point distal (c’est-à-dire le point de contact
avec le sol) et des états d'autres pattes qui sont les "voisins" proches. Ainsi, une patte peut
seulement être influencée par la patte antérieure ou postérieure ipsilaterale (i.e. du même côté)
si ces pattes existent et par la patte controlatérale symétrique (i.e. opposé par rapport à l’axe
longitudinal) ; le mouvement de chaque patte peut ainsi être influencé par deux ou trois pattes.
Le diagramme de la figure 1.9, précise les influences mutuelles entre pattes.
2,3,5
D1
G1
1,2,5
1,2,5
3,4
5,6
2,5
G2
1,2,5
3,4
5,6
G3
3,4
5,6
D2
3,4
5,6
1,2,5
2,3
D3
Fig. 1. 9 Diagramme de coordination entre les pattes, proposé par H. Cruse et repris par C.
Ferrell [Fer 93].
H. Cruse a proposé six règles qui régissent les effets d’inhibition ou d’excitation d’une
patte sur une autre :
1- La proaction d’une patte inhibe la proaction
2- Le début de rétraction d’une patte excite le début de la proaction
3- La position caudale d’une patte, excite le début de la proaction
4- La position d’une patte influence la position atteinte en fin de la proaction
5a- La résistance rencontrée augmente l’effort développé (« coactivation »)
5b- Une augmentation de charge prolonge la rétraction
6- Action réflexe provoquée lorsque deux pieds (tarses pour les insectes) rentrent en contact.
1.4 Tableau récapitulatif
Nous avons dressé un tableau récapitulatif des travaux menés sur la marche des insectes
(tableau.1.2) et considérés dans ce chapitre.
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Chapitre 1 : La marche des insectes
Chercheurs
Wilson
[ Wil 66]
Delcomyn et al.
[Del 71], [Del 96]
K. Pearson
[Pea 76]
H. Cruse
[Cru 76], [Cru 98]
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
D. Graham
[Gra 77], [Gra 85]
U. Bâssler
[Bâs 83], [Bâs 98]
J.A. Dean
[Dea 85], [Dea 92]
•
•
•
•
•
•
R.D. Beer
[Bee 91], [Bee 93]
•
•
•
C. Ferrell
[Fer 93]
M.J. Randall
[Ran 99]
•
V. Hug
[Hug 99]
•
•
•
Travaux effectués sur la marche des insectes
Proposition d'un modèle de la marche de l'insecte, et de règles générales sur
la coordination entre les pattes de l'insecte.
Etude des mouvements des segments d'une patte d'insecte (ex. cafard)
Mise en évidence de l'importance des informations sensorielles pendant une
marche rapide (par rapport à une marche lente).
Etude de la locomotion chez les cafards
Proposition de modèles de contrôleurs neuronaux : un contrôleur individuel
pour commander chaque patte et un contrôleur pour la coordination entre les
pattes.
La commande est basée sur les règles développées par Wilson
Etude de la locomotion par exemple de l'insecte phasme.
Proposition de deux modèles de commande de la marche (un pour le contrôle
individuel, l'autre pour la coordination entre les pattes).
Description de six mécanismes de coordination des pattes de l'insecte
phasme.
Etude de la variation de PPE et PAE sur des supports différentes (plan
horizontal, plan vertical, ligne verticale, ligne horizontale).
Application des différents mécanismes sur des robots hexapodes où les pattes
ont la forme des pattes de l'insecte phasme.
La commande est basée sur les règles développées par Wilson
Etude de la marche des insectes et diverses observations comme par exemple
: lorsque l'insecte perd une ou deux pattes il y a adaptation des autres pattes a
la nouvelle configuration; la position de la patte influence la transition entre
phases de proaction et de rétraction chez l'insecte phasme.
Etude des mouvements des segments d'une patte d'insecte. Il conclut que le
Carausius (cafard) est idéal pour étudié la marche.
Simulation de quatre des mécanismes parmi les six, développés par H.Cruse.
avec un modèle cinématique d'une patte.
Mise en évidence que ces mécanismes expliquent les marches chez l'insecte
phasme.
Mis en évidence que les informations sensorielles peuvent influencer le
mouvement et la position de la patte pendant la marche.
Application de trois mécanismes parmi les six (H. Cruse), sur un robot
hexapode où chaque patte a deux degrés de liberté pour reproduire des
marches observées chez l'insecte phasme.
Etude de la marche d'un robot hexapode.
Etude de la marche et de la structure de l'insecte cafard, développement d'un
simulateur de la marche de l'insecte avec des contrôleur neuronaux.
Reprise des travaux sur les insectes et en particulier ceux de H.Cruse et
application aux robots hexapodes.
Reprise des travaux sur les insectes pour construire un robot hexapode
Etude des composantes de la marche (posture, proaction, rétraction,..) et
étude des paramètres de commande pour assurer un mouvement correct
d'une patte (PPE, PEA, la vitesse de rétraction ..) et la coordination entre
pattes (retard entre deux pattes...)
Travail sur la commande de la marche des robots quadripodes et hexapodes,
définitions générales sur différents types de stabilité : stabilité statique, quasistatique, dynamique.
Tableau. 1. 2 Différents travaux sur la marche des insectes.
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Chapitre 1 : La marche des insectes
1.5 Conclusion
Nous avons présenté dans ce chapitre des résultats importants obtenus par des études
effectuées sur la marche des insectes. Nous avons donné différentes définitions relatives à la
locomotion, le mouvement, la posture, la stabilité, la marche, et la navigation.
Nous remarquons que la marche d’un insecte peut-être très compliquée, car elle met en
jeu des fonctions de locomotion, de contrôle de la posture, de maintien de l’équilibre et
dépend de facteurs tels que la charge transportée ou la nature du terrain.
Afin de construire un système de commande de la marche d’un robot hexapode, des
questions se posent:
1. Quelle doit être la complexité du modèle mécanique de chaque patte ?
2. Est-il possible de séparer les différentes fonctions (maintien de l’équilibre, contrôle de la
posture, commande du cycle locomoteur, navigation ) et comment ?
3. Pour chaque fonction quelle architecture de commande retenir ?
4. Quels types de couplage doivent être établis entre ces fonctions ?
A partir des résultats connus sur les insectes, des équipes de recherches ont investigué
plusieurs voies pour répondre aux questions précédentes. Chaque équipe a basé ses travaux
sur un modèle spécifique de robot hexapode (en particulier modèle mécanique) mais tous ces
modèles tirent leur inspiration des principes de la marche des insectes.
Par exemple, dans la rapport de C. Ferrell [Fer 93], nous trouvons une étude sur
l'implémentation d'une locomotion robuste, flexible sur un robot hexapode, sur la base des
observations de la locomotion et des stratégies utilisées par les insectes pour la navigation sur
un terrain naturel.
Nous décrivons dans le chapitre suivant, différents modèles de robot hexapode et
certaines architectures de commande.
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