Impact des antirétroviraux sur le délai de progression de la maladie

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Impact des antirétroviraux sur le délai de progression de la maladie
Impact des antirétroviraux sur le délai de progression de la maladie VIH
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°103 - septembre 2002
VIH - EVOLUTION
Impact des antirétroviraux sur le délai de
progression de la maladie VIH
Geneviève Chêne
Inserm 330, Université Victor Segalen (Bordeaux)
Time to AIDS
from 1992 to
1999 in HIV-1
infected
subjects with
known date of
infection
Tassie J.-M.,
Grabar S.,
Lancar R.,
Deloumeaux
J., Bentata M.,
Costagliola D.
and the clinical
_epidemiology
group from the
french hospital
database on
HIV
Journal of
AIDS, 2002,
30, 81-87
Menée à partir de la base de données du DMI-2, cette étude à la
modélisation soignée confirme la chroni-cisation de la maladie
sous multithérapie antirétrovirale. Le nombre de patients suivis
et traités restera donc important pendant encore de nombreuses
années, et leur prise en charge devra prendre en compte les
conséquences de leur vieillissement.
L'histoire naturelle de l'infection par le VIH est ponctuée par un
délai entre contamination et sida de 10 ans, en médiane. L'âge à
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la contamination, certains marqueurs génétiques et la capacité à
contrôler la réplication virale au point d'équilibre influencent la
longueur de ce délai. A quel point la diffusion des
antirétroviraux a-t-elle contribué à retarder l'évolution vers le
sida pour les sujets qui n'avaient pas encore progressé jusqu'à ce
stade ? Quelle estimation peut-on faire du délai entre
contamination et passage au sida lorsque les patients ont débuté
une trithérapie avant le stade sida ?
La progression de l'infection par le VIH est essentiellement
datée par trois moments-clefs : la contamination, le diagnostic
du premier événement classant au stade sida et le décès. La
connaissance des délais qui s'écoulent entre chacun de ces
événements est indispensable à l'échelon collectif comme à
l'échelon individuel. A l'échelon individuel, cette information
fonde les réponses des cliniciens aux questions des malades,
comme, par exemple : "Combien de temps va s'écouler avant
que j'aie le sida ?". A l'échelon collectif, cette information
permet d'estimer la taille de l'épidémie à partir des cas de sida
(seules données actuellement disponibles en France) et donc de
planifier les ressources nécessaires pour traiter la maladie et ses
complications.
La mesure correcte du délai d'incubation, entre contamination et
premier diagnostic de sida, est néanmoins un parcours
méthodologique semé d'embûches1 car elle nécessite
l'observation d'une cohorte de taille suffisante pour obtenir une
estimation précise et le respect de plusieurs conditions :
- la date d'origine (la date de contamination) doit être connue ;
- les patients doivent être suivis pendant un temps suffisamment
long ;
- les facteurs pouvant influencer les délais doivent être mesurés
et disponibles pour l'analyse ;
- les patients doivent être représentatifs (en termes de répartition
par âge, sexe, groupe de transmission, souche virale, etc.).
Au sein de la base de données du DMI-2, Tassie et coll. ont
identifié 4702 patients ayant une date de contamination
identifiable, soit parce que la date de dernière sérologie négative
et la date de première sérologie positive étaient connues (n =
2962), soit parce qu'une primo-infection était diagnostiquée (n =
609), soit parce que la période d'exposition était de courte durée
(n = 1131). Par ailleurs, ces patients n'avaient pas atteint le stade
sida en décembre 1991 et des données ultérieures de suivi étaient
disponibles. La majorité d'entre eux avaient été infectés avant fin
1991 (42%) ou entre 1992 et 1995 (35%). Ces patients ont été
classés selon leur dernière date de suivi : période I entre 1992 et
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le 30 juin 1995 (ère des monothérapies), période II entre le 1er
juillet 1995 et le 30 juin 1996 (ère des bithérapies), période III
entre le 1er juillet 1996 et le 30 juin 1999 (ère des trithérapies).
Pour les patients de la période I, le délai médian de passage au
sida était de 8 ans, pour la période II, il était de 9,8 ans et pour la
période III de 20 ans (intervalle de confiance à 95% allant de
17,1 à 23,3 ans). Le délai entre contamination et sida ne différait
pas entre les patients suivis pendant les périodes I et II alors qu'il
était significativement plus long chez les patients suivis jusqu'à
la période III, après ajustement sur l'âge à la contamination, le
groupe de transmission et la période d'infection.
La dernière période étant essentiellement marquée par la mise à
disposition des trithérapies antirétrovirales, les auteurs
considèrent que l'on peut attribuer à la diffusion de ces
traitements un doublement du délai d'incubation par rapport à
celui observé au cours de l'histoire naturelle de la maladie,
même si la majorité des patients étudiés ont été infectés avant
1995 et que ceux encore suivis récemment ont bien entendu la
durée de contamination la plus longue.
La force de ce travail est qu'il porte sur un grand nombre de
sujets grâce à la base de données du DMI-2, permettant donc une
précision suffisante des estimations. La modélisation est réalisée
avec beaucoup de précautions en prenant en compte le fait que
les patients ne sont réellement inclus et suivis que bien après la
date de contamination et en ajustant la comparaison entre les
périodes de diffusion des traitements sur les principaux facteurs
de confusion mesurés, comme l'âge et le groupe de transmission.
Par ailleurs, ce résultat est cohérent avec les résultats d'études
d'observation sur l'histoire naturelle de la maladie permettant
d'estimer à 10 ans, en médiane, le délai d'incubation1,2 et avec
les informations issues des essais cliniques et des cohortes
d'observation de durée plus courte de patients sous
antirétroviraux. Grâce à cette étude du DMI-2, on dispose en
plus d'une estimation précise du délai jusqu'au sida chez les
sujets traités par multithérapie antirétrovirale avant d'atteindre ce
stade de la maladie.
Cette étude montre l'allongement considérable du délai
d'incubation chez les patients traités par multithérapie
antirétrovirale. En conséquence, d'autres indicateurs de
changement d'état de sévérité que le premier diagnostic de sida
ne devraient-ils pas être considérés ? Ces indicateurs pourraient
être fondés sur une évaluation de la qualité de vie, tenant compte
des bénéfices et des inconvénients des traitements, des
incapacités et des handicaps, à condition de disposer d'échelles
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de mesure adaptées à cette maladie.
D'autre part, le sida n'est plus un stade d'évolution obligatoire.
Par exemple, dans l'enquête "mortalité 2000", qui vise à recenser
exhaustivement l'ensemble des cas de décès survenus chez des
patients français au cours de l'année 2000, 29% des décès
surviennent chez des patients qui n'ont pas eu de pathologie
classante au stade sida. Le décès doit-il être, au contraire, le seul
moment marquant l'histoire de la progression de cette maladie ?3
En pratique, l'allongement de cette période de façon
concomittante à l'allongement de la survie confirme bien la
chronicisation de la maladie sous multithérapie antirétrovirale.
Cela implique que le nombre de patients suivis et traités restera
important pendant encore de nombreuses années et que les
conséquences du vieillissement de ces patients doivent être
prises en compte dans leur prise en charge.
Quelles conséquences auront les traitements dits simplifiés, les
stratégies d'arrêt programmé ou le changement du niveau de
lymphocytes CD4+ pour la décision de débuter le traitement sur
la progression de la maladie ?
Le suivi des patients dans le cadre du DMI-2, de cohortes
comme SEROCO4 ou de collaborations internationales, comme
CASCADE3, sera très important pour apporter des informations
de qualité dans les pays du Nord. Gageons que l'ensemble des
informations déjà acquises pourra également aider tous ceux qui
contribuent à l'introduction des antirétroviraux dans les pays du
Sud.
1 - Alcabes P, _Munoz A, Vlahov D, Friedland GH
"Incubation period of Human Immunodeficiency virus"
Epidemiologic Reviews, 1993, 15, 303-18
2 - Rutherford GW, Lifson AR, Hessol NA et al.
"Course of HIV-I infection in a cohort of homosexual and bisexual men :
an 11 year follow up study"
BMJ, 1990, 301, 1183-8
3 - The CASCADE Collaboration
"Concerted action on seroconversion to AIDS and death in Europe.
Survival after introduction of HAART in people with known duration of
HIV-1 infection"
Lancet, 2000, 355, 1158-9
4 - Hubert JB, Burgard M, Dussaix E et al.
"Natural history of serum HIV-1 RNA levels in 330 patients with a known
date of infection"
AIDS, 2000, 14, 123-31
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