EYB 2014-247172 – Résumé Tribunal d`arbitrage Syndicat des

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EYB 2014-247172 – Résumé Tribunal d`arbitrage Syndicat des
EYB 2014-247172 – Résumé
Tribunal d'arbitrage
Syndicat des salariés d'emballages Mitchel-Lincoln (division Drummondville)
CSN c. Emballages Mitchel-Lincoln ltée (division Drummondville)
2014-9347 (approx. 14 page(s))
28 octobre 2014
Décideur(s)
Imbeau, Paul
Type d'action
GRIEF contestant la suspension d'une journée imposée au salarié. REJETÉ.
Indexation
TRAVAIL; CODE DU TRAVAIL; ARBITRAGE DE GRIEFS; camionneur et
délégué syndical; politique patronale de livraison « juste à temps » chez les
clients; intention du salarié de prendre sa pause même si cela retarde la livraison
du client; bien-fondé de la suspension
Résumé
L'employeur fabrique du carton et des boîtes d'emballage pour certains clients. Il
a adopté une politique de livraison «juste à temps» qui fait en sorte que les
heures de livraison doivent être respectées. Le salarié est camionneur au service
de l'employeur depuis 2003 et il est délégué syndical pour ses confrères. Le 12
février 2014, vers 10 h 30, son contremaître lui a demandé s'il serait à l'heure
chez son prochain client prévu à midi. Il a alors répondu qu'il lui restait 30
minutes de pause à prendre et qu'il serait en retard. Le contremaître lui a alors
demandé s'il envisageait de pénaliser le client pour terminer sa pause et le
salarié lui a répondu par l'affirmative. Selon un mémo patronal, les camionneurs
doivent prendre les 20 premières minutes de repos et 30 minutes de repas dans
les 8 premières heures de travail. Toutefois, afin d'honorer les rendez-vous de
livraisons chez les clients, ils peuvent demander une autorisation à un
contremaître afin de reporter ces pauses. Considérant que le salarié avait choisi
de prendre sa pause tout en sachant qu'il serait alors en retard chez le client,
l'employeur lui a imposé une suspension d'une journée. Le salarié conteste cette
mesure par grief.
À titre de délégué syndical, le salarié a signé le 22 mars 2013 une entente
patronale-syndicale prévoyant que les camionneurs profitaient d'une pause de 50
minutes durant les 8 premières heures de travail, soit 20 minutes de repos et 30
minutes pour le repas. L'entente ne prévoit pas que la pause ne doit pas nuire
aux livraisons. De multiples rencontres ont toutefois rappelé aux salariés le
mémo selon lequel dans les cas où ils ne peuvent pas prendre leur pause
pendant les premières 8 heures, l'employeur les autorise à la retarder afin de
privilégier l'objectif de bien servir le client. La preuve a démontré que de
nombreux efforts ont été déployés par les parties afin de régler cette question
des pauses et d'assurer la livraison à temps chez les clients. Le salarié était
présent lorsque l'employeur a remis le mémo à tous les salariés. La preuve
démontre que l'employeur donne la priorité au service aux clients et que lorsque
la pause ne peut être prise à temps, il accepte de monnayer cette pause au taux
du travail supplémentaire.
Dans le contexte d'une entreprise qui livre sur rendez-vous, il est regrettable
qu'un salarié d'expérience, délégué syndical de surcroît, déclare qu'il a l'intention
de prendre sa pause même si cela signifie que le client sera livré en retard.
Pareil comportement peut induire les collègues en erreur quant au comportement
à adopter en pareille situation. Il s'agit d'une faute grave pour laquelle la
suspension d'une journée était fondée. Le grief est rejeté.
EYB 2014-247172 – Texte intégral
TRIBUNAL D'ARBITRAGE
2014-9347
DATE : 28 octobre 2014
DATE D'AUDITION : 16 octobre 2014
EN PRÉSENCE DE :
PAUL IMBEAU, ARBITRE
Syndicat des salariés d'emballages Mitchel-Lincoln (division
Drummondville) CSN
Syndicat
c.
Emballages Mitchel-Lincoln ltée (division Drummondville)
Employeur
SENTENCE ARBITRALE
LE GRIEF:
1 Le grief soumis à cet arbitrage a été fait le 7 mars 2014 et se lit comme suit:
Description du grief:
Je conteste l'avis disciplinaire d'une journée de suspension reçu le 24
février 2014, ainsi que la lettre.
Description de la réclamation:
Je réclame le retrait de cet avis disciplinaire de mon dossier, ainsi que
les montants et avantages auxquels j'aurais eu droit. (S-3)
2 Quant à cet avis disciplinaire du 24 février 2014, celui-ci se lit comme suit:
Objet: Mesure disciplinaire - Suspension d'un jour.
Monsieur Morin,
Le 12 février vers 10h15, vous êtes arrivé à l'usine après une livraison.
Vous avez pris une autre livraison qui vous demandait d'être à midi
chez Johnson et Johnson. Vers 10h30, votre contre-maître, en
l'occurence Sébastien Dionne, vous a téléphoné dans le but de
s'assurer que vous seriez à l'heure chez le client. À cette heure-là vous
étiez encore garé dans le stationnement de l'usine. Vous lui avez dit
qu'il vous restait encore 30 minutes de pause à prendre. Il vous a alors
demandé si vous alliez pénaliser le client à cause que vous deviez
prendre une pause. Vous avez répondu: «Oui». Il vous a donc
demandé de vous présenter au bureau de l'expédition et d'apporter
avec vous les «bills» de livraison.
Votre voyage a été donné à Bruno St-Pierre, un de vos confrères de
travail qui heureusement était sur les lieux et disponible pour faire un
autre voyage. À ce moment-là, vous avez été rencontré par Denis StJules et Sébastien Dionne. Vous étiez représenté par Mario Pellerin,
président du syndicat, étant donné que vous êtes le délégué syndical
des camionneurs. Lors de cette rencontre, vous avez à nouveau
affirmé que vous pénaliseriez un client pour prendre votre pause.
En octobre 2013, vous avez reçu un mémo concernant les procédures
de travail. Dans celui-ci, il est clairement indiqué que:
"Les premières 20 minutes de repos et 30 minutes de repas doivent
obligatoirement être prises dans les 8 premières heures de travail. Il
est de votre responsabilité de prendre vos pauses et de ne pas vous
mettre en situation problématique les gardant pour la fin des 8
premières heures travaillées.
Si vous ne pouvez respecter cette consigne dans le but d'honorer
vos rendez-vous de livraisons chez les clients, vous devez au
préalable obtenir l'autorisation de votre contremaître. Il s'agit
toutefois d'une mesure de nature exceptionnelle."
Monsieur Morin, vous avez accepté une livraison chez un client et vous
avez choisi de prendre une pause en sachant très bien que vous étiez
pour être en retard chez le client. De plus, lors de notre rencontre vous
avez clairement dit que vous prendriez une pause même si cela aurait
pour effet de pénaliser le client. Il s'agit d'un comportement tout à fait
inacceptable.
Compte tenu de ce qui précède, vous serez suspendu sans solde pour
une durée d'un jour. Cette journée de suspension sera appliquée le 26
février 2014. Vous reprendrez donc le travail le 27 février 2014.
Vous devrez prendre les mesures nécessaires afin de corriger la
situation de façon immédiate et permanente sans quoi nous devrons
vous imposer des mesures disciplinaires plus sévères. Monsieur
Morin, nous espérons que vous comprendrez la gravité et l'urgence de
la situation et nous comptons sur votre collaboration car votre
contribution est nécessaire au succès de l'entreprise. (S-2)
LES FAITS:
3 Les parties ayant reconnu que dans cette affaire les délais et procédures ont
été respectés et que l'arbitre est dûment mandaté, l'employeur fait entendre tout
d'abord le plaignant M. Pascal Morin, lequel expose principalement ce qui suit:
TÉMOIGNAGE DE M. PASCAL MORIN:
4 Camionneur depuis 2003, il relève de la première équipe, laquelle débute à
4h45 le matin. Il est également délégué syndical des camionneurs de cette
entreprise.
5 Les documents descriptifs des voyages à exécuter sont habituellement
déposés sur la table du bureau à l'étage. Les camionneurs y choisissent chacun
leur voyage en fonction de leur ancienneté
6 Au retour de leur voyage, les camionneurs reviennent au bureau y faire un
nouveau choix.
7 Les camionneurs ont droit à une pause repos et à une pause repas d'un total
de 50 minutes, des pauses qu'ils doivent prendre avant la fin de leurs 8
premières heures de travail, le tout tel qu'il est décrit dans le mémo E-1 du 23
octobre 2013.
8 Ce mémo, il l'a reçu de M. Denis St-Jules, directeur de l'expédition, lors d'une
rencontre tenue le matin. À titre de délégué syndical, il a également assisté ce
jour-là à la présentation de ce mémo aux camionneurs de la deuxième équipe
9 Le 12 février 2014, il a été rencontré par MM Denis St-Jules et Sébastien
Dionne, lui-même étant accompagné de M. Mario Pellerin, président du syndicat.
10 À un certain moment au cours de cette rencontre, lui-même et M. Pellerin se
sont retirés. De retour à la rencontre, il reconnaît n'avoir prononcé qu'une seule
phrase, soit «Je m'excuse, je n'aurais pas dû agir comme cela»
11 Il s'était entendu avec M. Pellerin sur l'excuse qu'il aurait à formuler pour avoir
dit «oui» au téléphone à M. Dionne qui lui demandait «s'il serait prêt à brimer un
client pour prendre une pause».
12 Une lettre d'entente confirmait qu'il avait à prendre 50 minutes de pause
durant ses 8 heures de travail, et il lui restait encore 30 minutes à prendre à ce
moment-là.
13 Il était alors serré dans le temps parce qu'à son arrivée à l'usine, la répartitrice
lui avait confié un voyage à Montréal pour lequel un rendez-vous de livraison
avait été pris avant le diner.
14 La répartitrice lui ayant par la suite ajouté un autre voyage à St-Hubert, il l'a
prévenue que cet autre voyage était une boite à surprise, car ce voyage pourrait
lui demander de quelques minutes à près d'une heure selon qu'un espace sera
disponible ou non au quai de déchargement.
15 Vu l'heure, et le fait qu'il avait encore 30 minutes de pause à prendre, il est
parti avec la commande de ce voyage destiné à un client bien connu de
Montréal. Il se dirigeait vers le stationnement des remorques vides lorsqu'il a
reçu le téléphone de M. Dionne lui demandant s'il serait prêt à brimer un client
pour prendre sa pause, ce à quoi il a répondu «oui».
16 M. Dionne lui a alors dit de revenir au bureau et de lui remettre les bons de
livraison que la répartitrice lui avait donnés. C'est ce qu'il a fait. Il a ensuite
demandé à M. Pellerin de venir au bureau.
17 Une rencontre a alors eu lieu avec MM. Dionne, St-Jules et Pellerin. M. StJules a tout d'abord expliqué que ce jour-là était une journée chargée, qu'il y
avait beaucoup d'ouvrage. De plus, il était fâché de ce que malgré cette situation,
il avait dit qu'il prendrait une pause.
18 À la rencontre, on lui a demandé s'il était vrai que malgré les circonstances il
avait bien dit qu'il prendrait une pause, ce qu'il a reconnu avoir fait.
19 À ce moment-là, M. Pellerin est intervenu en disant «on arrête ça là», et ils se
sont tous deux retirés. Par la suite, il s'est excusé d'avoir répondu «oui» à la
question qui lui avait été posée.
20 Il considère qu'à ce moment-là, il avait déjà un premier client à servir et une
pause à prendre. Le client additionnel lui a donc été ajouté alors qu'il était déjà
presque hors délai. Il a eu à choisir entre brimer un client ou appliquer la lettre
d'entente intervenue avec l'employeur sur les pauses. Il a préféré appliquer la
lettre d'entente et ne pas servir le client.
TÉMOIGNAGE DE M. DENIS ST-JULES:
21 Directeur de l'expédition et des bâtiments depuis 2 ans, il est responsable des
24 caristes qui font le chargement et le déchargement 24 heures sur 24, ainsi
que des camionneurs qui font le transport des marchandises. Il est responsable
également des commis à la répartition et des superviseurs de l'expédition.
22 L'entreprise fabrique du carton et elle en transforme une certaine proportion
en boites d'emballage pour certains clients.
23 La livraison «juste à temps» étant à la mode, le matériel doit être prêt au bon
moment. Des rendez-vous étant pris avec les clients pour les livraisons, les
heures de livraison doivent être respectées.
24 Le client principal dont il est ici question est un client important de Montréal
qui consomme de 2 à 4 remorques de produits par jour, et cela 50 semaines par
année. D'autre part, comme ce client oeuvre dans le domaine de l'alimentation et
du pharmaceutique, ses exigences sont d'autant plus élevées.
25 Au moment des incidents, il revenait au bureau lorsque la répartitrice lui a dit
avoir donné un voyage au plaignant et que celui-ci lui a répondu avoir une pause
à prendre. Cela l'a préoccupé parce qu'il était environ 10h25 et que cela risquait
de mettre en péril cette livraison qui devait se faire avant midi. Il a demandé à M.
Dionne de téléphoner au plaignant afin de vérifier s'il avait bien l'intention de
prendre cette pause avant de servir ce client, ce que ce dernier a confirmé.
26 Devant la situation, M. Dionne a téléphoné à nouveau au plaignant et il lui a
demandé de rapporter au bureau les bons de livraison. Il a ensuite demandé à
M. Pellerin de venir au bureau, lui mentionnant qu'il y avait un problème.
27 Lorsque M. Pellerin est arrivé au bureau, il lui a rappelé les faits et il lui a
souligné comment cela mettait en péril cette livraison.
28 Au cours de la rencontre qu'il a ensuite eue avec le plaignant, M. Dionne et M.
Pellerin, il a rappelé le travail fait au cours de la dernière année afin de mettre au
point le mémo sur les mesures à prendre pour éviter de mettre en péril les
livraisons faîtes à temps chez les clients. Plusieurs rencontres ont en effet eu lieu
à ce sujet au cours de la dernière année.
29 Ces rencontres portaient toujours sur la même consigne qui est à l'effet que
les camionneurs doivent prendre leurs pauses durant les 8 premières heures de
travail, mais que cela ne doit pas affecter les rendez-vous pris avec les clients.
Dans le cas où un camionneur n'arrive pas à prendre sa pause au cours des 8
premières heures de travail, alors l'employeur l'autorise à prendre cette pause
après les 8 heures, la priorité, le focus étant toujours de bien servir le client.
30 Non seulement M. Morin était présent à la présentation de ce mémo à la
première équipe des camionneurs, une présentation qui a été faite durant son
quart de travail, mais il a également assisté à la présentation qui a été faite à la
deuxième équipe.
31 Les pauses dont il est ici question s'ajoutent aux pauses “pipi” qui peuvent
survenir durant les attentes chez le client.
32 C'est afin de bien vérifier s'il était vraiment prêt à pénaliser ce client en
prenant sa pause, qu'il a demandé à M. Morin de confirmer sa réponse devant
ces personnes. C'est à ce moment-là qu'il a répondu "our.
33 M. Pellerin a alors demandé à se retirer avec M. Morin. Environ 10 minutes
plus tard, MM. Morin et Pellerin sont revenus et M. Morin a dit «Je m'excuse, j'ai
mal agi». Il lui a alors annoncé qu'il lui reviendrait plus tard pour la suite des
choses.
34 Par la suite, il a consulté le service des ressources humaines à ce sujet. Vu
l'importance de l'effort que tous avaient consenti pour régler cette question de la
prise des pauses et d'assurer des livraisons à temps chez les clients, il a tout
d'abord proposé une suspension sans solde de 3 jours, une suspension qu'il a
par la suite accepté de réduire à 1 jour, après cette consultation.
35 À son arrivée dans l'entreprise, les pauses n'étaient pas indiquées sur les
feuilles de route des camionneurs. Elles étaient ajoutées aux heures travaillées
et étaient monnayées en temps supplémentaire parce qu'elles n'avaient pas été
prises.
36 Le 22 mars 2013, une entente (S-4) est intervenue entre l'employeur et le
syndicat pour définir la règle à suivre dorénavant en matière de pauses de repos
et de repas, la convention collective étant muette à ce sujet en ce qui regarde les
camionneurs.
37 Il reconnaît que cette entente ne mentionne pas que les pauses ne doivent
pas nuire aux livraisons. Il reconnaît également que le présent grief est le
premier à être fait à ce sujet.
TÉMOIGNAGE DE M. PASCAL MORIN:
38 À ce point de la preuve, le syndicat cite à son tour le plaignant, M. Pascal
Morin, lequel explique tout d'abord que c'est à titre de délégué de son syndicat
que le 22 mars 2013 il a signé l'entente S-4.
39 Le jour de l'incident à l'origine de ce grief, il revenait d'une première livraison
lorsque la répartitrice lui a dit avoir besoin de lui pour faire une livraison chez ce
client important de Montréal. L'ayant prévenue qu'à son retour à l'usine il avait
une rencontre de prévue avec le président du syndicat, celle-ci lui a alors
demandé si possible de retarder cette rencontre, ce qu'il a accepté de faire.
40 Lorsque toutefois il s'est présenté au bureau pour recevoir le voyage en
question, la répartitrice lui a dit qu'un voyage destiné à St-Hubert venait de
s'ajouter. Il lui a alors dit que cela sera serré de faire à la fois ce deuxième
voyage et de prendre sa pause, vu qu'il n'était déjà qu'à peine dans les temps
pour faire la première livraison.
41 Il considère qu'avec ce deuxième voyage, il aurait été de toute façon en retard
même sans prendre sa pause. II devenait donc à risque de problème, une
situation que le mémo E-1 lui demandait d'éviter.
42 Le retard qu'entraînait l'ajout de la livraison à faire à St-Hubert, il n'en a pas
parlé à M. Dionne, ni à M. St-Jules. La discussion avec eux n'a porté que sur la
pause qu'il a voulu prendre.
43 Une livraison chez ce client important de Montréal demande environ une
heure. Il serait donc parti avec les deux voyages. C'est en cours de route qu'il
aurait tout d'abord livré le voyage de St-Hubert, car celui-ci avait été chargé à
l'arrière de la remorque.
44 Vers 10h25, lorsqu'il est allé chercher les bons de livraison, il n'était pas
encore prêt à partir, car il devait encore aller porter sa remorque dans l'espace
de stationnement des remorques vides, puis aller chercher et inspecter la
remorque à livrer, ce qui requiert environ une demi heure.
45 Une livraison à St-Huberrt demande environ une heure, alors que le temps
requis pour quitter le point de livraison prévu à St-Hubert et se rendre chez le
client en question de Montréal demande environ 30 minutes.
46 Quant à un incident où il a déjà été question pour lui d'une dernière chance, il
explique qu'à l'époque il avait reçu une suspension disciplinaire, une suspension
qui a toutefois été par la suite retirée. À titre de représentant syndical, il avait
parlé à des employés et cela avait causé des tensions au travail. On lui a alors
expliqué que les règles de l'art prévoient de demander la permission à
l'employeur avant de s'adresser aux employés.
47 L'entente S-4 était devenue nécessaire parce que certains jours les pauses
n'étaient pas prises et devaient donc être ajoutées en temps supplémentaire à la
fin de la journée. L'objectif de l'entente est que les 50 minutes soient prises et
qu'elles soient inscrites sur la feuille, ainsi que le moment où celles-ci ont été
prises.
48 Lorsque dans le memo E-1 il est prévu de demander au préalable
«l'autorisation de votre contremaître», pour le syndicat, il ne s'agit-là que d'une
situation exceptionnelle, soit une situation qui ne devrait pas normalement
arriver, la priorité étant que les pauses soient prises.
TÉMOIGNAGE DE M. DENIS ST-JULES (SUITE):
49 Ce jour-là, le voyage destiné à ce client de Montréal a été livré à temps par le
camionneur suivant à se présenter au bureau après M. Morin.
50 Lorsque vers 11h00 ce camionneur a reçu ce voyage, celui-ci incluait toujours
le chargement à être livré à St-Hubert. Ce camion s'est toutefois rendu
directement chez le client de Montréal où le chargement destiné à St-Hubert a
tout d'abord été retiré de la remorque afin de rendre possible la sortie du
chargement de Montréal. Par la suite, ce chargement de St-Hubert a été
réintroduit dans la remorque afin d'être à son tour livré à sa destination tel que
prévu.
51 Quant à savoir s'il reçoit des coups de téléphone en relation avec la directive
du memo qui prévoit que «Si vous ne pouvez respecter cette consigne dans le
but d'honorer vos rendez-vous de livraison chez les clients, vous devez au
préalable obtenir l'autorisation de votre contremaître.», chaque semaine
plusieurs le font sans problème et sont alors autorisés à prendre leurs pauses
après leurs livraisons.
52 Ces autorisations sont données par M. Dionne, car la répartitrice étant une
salariée syndiquée, elle ne peut donner cette autorisation.
53 Quant à savoir s'il a eu une discussion avec M. Morin au cours de laquelle il
lui aurait parlé d'une dernière chance, il répond que s'il a été déçu de l'attitude de
M. Morin après qu'un tel memo ait été diffusé, il n'a pas lui-même eu ce genre de
discussion avec lui.
60 Lorsque M. Morin dit avoir agi ainsi parce qu'il ne voulait pas perdre sa pause,
il répond que personne n'a jamais perdu sa pause dans une telle situation, car
avec une autorisation il peut la prendre après. D'ailleurs cela peut arriver souvent
et il en a déjà parlé avec M. Pellerin.
TÉMOIGNAGE DE M. MARIO PELLERIN:
61 À titre de président du syndicat il est informé de ce que lors d'une rencontre
en comité de relations de travail (CRT) le syndicat a demandé à être informé des
cas de camionneurs qui demandent ainsi l'autorisation de déplacer leur pause
après les heures, car il est important pour le syndicat que les pauses soient
prises durant les 8 heures régulières de travail.
PLAIDOYER DE L'EMPLOYEUR:
62 L'employeur attire tout d'abord l'attention de l'arbitre sur le mémo du 22
octobre 2013, lequel vise à confirmer toute l'importance de maintenir dans cette
entreprise le “focus” sur le client.
63 Dans son témoignage M. St-Jules a exposé comment ce mémo est respecté
par les camionneurs et comment, lorsqu'ils ne croient pas pouvoir prendre leurs
pauses dans les 8 heures, ceux-ci demandent l'autorisation de les prendre par la
suite, soit une autorisation qui leur est alors accordée sans problème.
64 M. Pellerin confirme quant à lui que le syndicat souhaite que dans l'ensemble
ces autorisations demeurent des cas d'exception, c'est-à-dire qu'elles ne se
reproduisent pas de façon régulière.
65 Le plaignant lui-même a dit avoir voulu prendre sa pause à ce moment-là afin
de ne pas se placer dans une situation problématique. Celui-ci n'a toutefois pas
respecté le paragraphe suivant du mémo E-1 lequel aurait dû être appliqué dans
les circonstances.
66 À cet égard, l'employeur propose qu'on ne peut se limiter à n'appliquer que la
partie des directives qui nous convient.
67 Pour l'employeur, le mémo E-1 constitue une directive qui est claire et qui est
appliquée dans l'entreprise. Si le syndicat n'est pas d'accord avec elle, il n'a qu'à
faire un grief à ce sujet et de faire alors valoir ses droits.
68 L'employeur propose que le mémo E-1 du 23 octobre 2013 ne va pas à
l'encontre de l'entente S-4 du 22 mars 2013. Il propose également que la
convention collective n'a pas comme telle à déclarer que le service au client est
une priorité de cette entreprise.
69 Au fond, l'entente S-4 souligne le fait que les pauses doivent être prises dans
les 8 heures et qu'elles doivent être inscrites sur la feuille de route.
70 S'il n'y a pas d'heure précise de fixée pour la prise des pauses comme ce
peut être le cas en usine, c'est que les camionneurs sont sur la route et que ce
ne serait pas gérable que d'imposer une heure fixe pour les pauses.
71 La faute ici commise par le plaignant est celle d'avoir décidé de prendre sa
pause dès 10h15, alors qu'il estimait à ce moment-là qu'il n'arriverait pas à
compléter dans les 8 heures tout le travail confié. Il a bien accepté de repousser
la rencontre avec son syndicat, mais il n'a pas accepté de retarder sa pause.
72 À son contremaître Dionne qui lui demandait s'il serait prêt à brimer un client
pour prendre une pause, il a répondu «oui», sans autre question.
73 M. Dionne ayant prévenu M. St-Jules de la situation, celui-ci lui a dit au
téléphone de monter au bureau. Au cours de la rencontre et alors qu'il était
accompagné du président de son syndicat, le plaignant a à nouveau répondu
«oui», qu'il serait prêt à pénaliser un client pour prendre une pause.
74 Après s'être retiré quelques minutes de la rencontre en compagnie du
président de son syndicat, le plaignant s'est finalement excusé «d'avoir agi
comme cela».
75 L'employeur estime que les excuses proposées par le plaignant au cours de
cette enquête ne tiennent pas la route. À 10h15, il avait le temps de faire le
travail avant 12h45.
76 Il considère en conséquence que dans cette affaire, le comportement du
plaignant est inacceptable et doit être sanctionné.
77 Quant à la sanction, selon la jurisprudence celle-ci doit être maintenue si elle
n'est pas abusive, discriminatoire ou déraisonnable.
PLAIDOYER DU SYNDICAT:
78 Le syndicat propose que dans cette affaire, il faut considérer la situation dans
son ensemble et tenir compte notamment de ce que le plaignant avait débuté le
travail à 4h35 ce jour-là.
79 Celui-ci avait de plus la responsabilité d'un représentant du syndicat. C'est à
ce titre qu'il a d'ailleurs lui-même signé l'entente confirmant l'importance pour les
camionneurs de prendre leurs pauses dans le cadre de leur journée normale de
travail de 8 heures.
80 Le plaignant était donc bien informé de l'importance de prendre les pauses
durant ces 8 heures. Le mémo E-1 utilise d'ailleurs à ce sujet le mot
«obligatoirement». Celui-ci souligne de plus que c'est le camionneur lui-même
qui est responsable de ne pas garder ses pauses pour la fin de ses 8 heures de
travail.
81 Lorsque M. St-Jules mentionne que des camionneurs doivent souvent appeler
parce qu'ils sont dans le traffic ou pris sur la route, il importe de noter que ceux-ci
sont alors aux prises avec des imprévus, ce qui n'était pas ici le cas parce que la
situation était connue avant de partir. En effet, le plaignant savait déjà qu'il serait
en situation dangereuse, rien de plus.
82 La question est donc posée de savoir si l'employeur peut ainsi obliger un
camionneur à reporter une pause afin de pouvoir servir un client.
83 Dans cette affaire, le plaignant avait accepté de reporter un rendez-vous avec
son syndicat, ce qui démontre bien qu'il n'était pas de mauvaise volonté.
84 L'employeur disposant des services de 16 camionneurs, la question se pose
de savoir pourquoi le plaignant n'aurait pas pu prendre sa pause tel qu'il en avait
l'intention de le faire à ce moment-là.
85 S'il avait pris sa pause tel que prévu, aucune conséquence n'en serait
découlé. La seule chose qui lui est reprochée est donc la raison qu'il a donnée et
qui est celle de n'avoir pas voulu se mettre en danger d'agir en contravention
avec le mémo E-1.
86 Considérant enfin qu'ici il n'y a pas eu de gradation des sanctions, qu'il n'y a
pas eu d'insubordination, compte tenu également de l'attitude générale du
plaignant lequel a même offert des excuses, le syndicat demande que cette
sanction soit tout simplement annulée.
DÉCISION:
87 L'arbitre comprend de la preuve que cette entreprise opère dans un contexte
de livraison «juste à temps». Il est par ailleurs maintenant bien connu que dans
un tel contexte les livraisons doivent être faites sur rendez-vous, car souvent le
destinataire ne dispose même plus d'un espace d'entreposage temporaire
suffisant pour héberger les marchandises en cause, celles-ci passant désormais
directement des remorques de transport à la chaîne de production.
88 Tel que rappelé dans les plaidoiries, les camionneurs peuvent à tout moment
faire face à de nombreux imprévus comme des conditions défavorables de la
route et de la température, l'intensité de la circulation etc., des imprévus qui
pourront mettre en danger les rendez-vous de livraison qu'ils ont à respecter.
89 La lettre d'entente S-4 démontre bien quant à elle le souci qu'ont les deux
parties d'assurer au mieux dans les circonstances la possibilité pour les
camionneurs de bénéficier de pauses de repas et de repos, c'est-à-dire de
conditions d'alimentation et de récupération plus favorables, le monnayage des
pauses non prises dans les huit premières heures de travail ne demeurant qu'un
dédommagement à être versé lorsqu'exceptionnellement ces pauses ne peuvent
être prises dans les premières heures de travail.
90 De la preuve non contredite, il apparaît donc clair pour l'arbitre que dans ce
milieu de travail tes livraisons doivent se faire «juste à temps» et que lorsque de
façon exceptionnelle cela ne peut se faire, alors le camionneur doit retarder ses
pauses quitte à ce qu'elles lui soient monnayées au taux du temps
supplémentaire s'il ne peut les prendre durant ses huit premières heures de
travail ce jour-là.
91 En déclarant tout d'abord, puis en confirmant devant témoins comme il l'a fait
qu'il serait prêt à brimer un client pour prendre une pause, le plaignant a
malheureusement révélé une intention qui va sans équivoque à l'encontre de
l'entente S-4 et du memo E-1 alors en vigueur à ce sujet.
92 L'arbitre ne peut enfn que trouver regrettable qu'une aussi ferme intention ait
été exprimée non pas par un camionneur débutant et mal informé, mais par un
camionneur d'expérience sur lequel l'employeur doit certes pouvoir compter dans
un tel contexte de «juste à temps».
93 L'arbitre considère enfin comme non moins regrettable que cette déclaration
d'intention, le plaignant l'ait faite alors qu'il était à la fois représentant de son
syndicat et l'un des signataires de cette entente S-4, ce qui aurait pu induire en
erreur ses collègues de travail quant au comportement à adopter en semblables
circonstances.
94 POUR TOUS CES MOTIFS, l'arbitre estime que, compte tenu de la gravité
relative de l'infraction que le plaignant a commise, la peine d'une suspension
d'une journée sans solde n'est pas une peine abusive, discriminatoire ou
déraisonnable dans les circonstances, de sorte que le grief qui a été fait à cet
égard et qui a été soumis à ce tribunal doit par la présente être rejeté.
PAUL IMBEAU, ARBITRE
M. Martin Pelletier, pour du syndicat
Me André Lepage, pour de l'employeur