"Les manifestations contre le régime de Ceausescu" dans Le Monde

Transcription

"Les manifestations contre le régime de Ceausescu" dans Le Monde
"Les manifestations contre le régime de Ceausescu" dans Le Monde (22
décembre 1989)
Légende: Le 22 décembre 1989, le quotidien français Le Monde expose l'inefficacité de l'état d'urgence,
décrété la veille par le président Nicolae Ceausescu, pour contenir l'expansion du mouvement révolutionnaire
en Roumanie.
Source: Le Monde. 22.12.89. Paris. "Les manifestations contre le régime Ceausescu ", auteur:Baryl,
Waltraud.
Copyright: (c) Le Monde
URL:
http://www.cvce.eu/obj/les_manifestations_contre_le_regime_de_ceausescu_dans_l
e_monde_22_decembre_1989-fr-a5eab1e4-d9a4-499f-b1cb-597f230ce1f3.html
Date de dernière mise à jour: 14/10/2015
1/3
Les manifestations contre le régime Ceausescu
L'agitation en Roumanie s'est étendue à la capitale
Les manifestations contre le régime se multiplient en Roumanie et se sont étendues à la capitale.
L'agence soviétique Tass a elle-même signalé que les forces de sécurité avaient dû intervenir pour
disperser un rassemblement antigouvernemental, jeudi matin 21 décembre, à Bucarest, où M.
Ceausescu prononçait un discours. A Timisoara, où l'état d'urgence a été décrété, des manifestants se
dirigeaient au même moment vers le centre de la ville, en scandant des slogans hostiles au numéro un
roumain.
L'état d'urgence a été décrété, mercredi 20 décembre, par le président Nicolae Ceausescu dans le
département de Timis, dont la capitale Timisoara a été le théâtre d'une violente émeute le week-end dernier.
L'armée et la milice ont été mises en état d'alerte. Tout rassemblement public de plus de cinq personnes est
interdit et le couvre-feu a été instauré la nuit dans toute la province. Cette mesure exceptionnelle semble
confirmer que la révolte a gagné d'autres villes roumaines, comme l'affirmaient certains témoignages
recueillis à l'Ouest dans la journée de mercredi.
Dans une allocution d'une demi-heure à la télévision, le «conducator», de retour d'Iran, a justifié la
répression sanglante des émeutes de Timisoara par l'armée, qui «a défendu l'ordre, les institutions et les
biens de la ville» contre des «hooligans» et des «groupes fascistes et antinationaux» qui ont attaqué les
unités militaires. Selon le numéro un roumain, les manifestations de Timisoara étaient des «actes terroristes
organisés en commun avec des cercles impérialistes, irrédentistes, chauvins, et même avec des services
d'espionnage étrangers».
En indiquant que les manifestations avaient pour but de «provoquer le désordre» et de «déstabiliser le
pays», M. Ceausescu faisait clairement allusion à la Hongrie. Il s'est adressé à ses compatriotes quelques
heures après être rentré à Bucarest, a admis que les événements de Timisoara «sont très graves», mais s'est
abstenu de mentionner que la répression des manifestations a fait de nombreuses victimes.
Selon divers témoignages, de nouvelles et sanglantes manifestations ont éclaté mercredi à Timisoara, où les
manifestants ont pu se procurer des armes. Le correspondant de l'agence hongroise MTI à Bucarest a
rapporté, dans une conversation téléphonique avec Radio-Budapest, que plusieurs dizaines de milliers de
personnes sont descendues dans les rues pour protester contre l'interdiction d'enterrer les corps des victimes
du massacre de dimanche dernier. Selon une infirmière de l'hôpital centrale de Timisoara contactée à partir
de Vienne par téléphone, les corps des victimes sont «emballés dans des sacs en plastique et emmenés par
des membres de la police secrète Securitate pour être brûlés ou enterrés dans une fosse commune».
Selon d'autres, témoignages difficilement vérifiables, les ouvriers de plusieurs usines, dont les deux plus
grandes, Autoturismo et Solvent, dans la zone industrielle de Timisoara, se sont mis en grève. Des colonnes
de grévistes se sont dirigées vers le centre-ville en chantant «Nous sommes prêts à mourir» et en déchirant
des portraits du président Ceausescu. A Brasov, les ouvriers des usines Steagul Rosu (l'Étendard rouge), qui
ont déclenché en novembre 1987 des émeutes ouvrières brutalement réprimées, se sont également mis en
grève. Des grèves de solidarité ont eu lieu à Bucarest, notamment dans les ateliers ferroviaires Grivita. Selon
des sources diplomatiques et autres sur place, la situation est calme à Bucarest, mais il y a des patrouilles
armées aux principaux carrefours.
Des Roumains travaillant en RDA, qui ont contacté leurs proches en Roumanie, rapportent, de leur côté, que
des manifestations ont eu lieu dans plusieurs autres villes de Roumanie, notamment à Cluj, capitale de la
Transylvanie, à Oradea, Brasov, Sibiu, Bistriza, Curtici, Buzau, Iasi, capitale de la Moldavie roumaine, et
Constanta, au bord de la mer Noire, rapporte l'agence est-allemande ADN. A Arad, ville frontalière avec la
Hongrie, où des manifestations ont également eu lieu le week-end dernier, un appel à la grève générale a été
lancé, selon d'autres informations.
A Budapest, un drapeau noir flotte depuis mercredi au Parlement en signe de deuil pour les victimes de la
2/3
répression à Timisoara, habitée par une forte minorité hongroise et allemande. M. Imre Pozsgay, ministre
d'État hongrois, a qualifié les événements de Timisoara d'«insurrection populaire contre le régime de M.
Nicolae Ceausescu, et non seulement d'un soulèvement de la minorité hongroise de Transylvanie». Il a
ajouté que dans un autre pays de l'Est ce soulèvement «serait annonciateur de la chute du régime en
l'espace de quelques jours». «Mais en Roumanie, avec des forces de l'ordre équipées comme une armée et
comptant de 70 000 à 80 000 personnes, c'est toute une couche de la population qui est intéressée à se
maintenir à tout prix», a dit M. Poszgay, qui a estimé que le nombre de plus de mille victimes ne pouvait pas
être exclu.
Selon plusieurs sources concordantes, le pasteur protestant Laszlo Toekes, dont la déportation par la police
secrète roumaine a déclenché l'émeute samedi dernier, est vivant et se trouve dans le village de Minieu, en
Transylvanie du Nord.
La répression sanglante de l'émeute de Timisoara a fait l'objet, mercredi, d'une condamnation quasi unanime
aux négociations des trente-cinq membres de la CSCE sur les mesures de confiance et de sécurité en Europe
réunis à Vienne. La délégation roumaine a empêché une minute de silence en l'honneur des victimes des
émeutes de Timisoara en s'exprimant contre cette proposition faite par l'Autriche. Selon le chef de la
délégation autrichienne, M. Martin Vukovich, la majorité des pays a condamné vigoureusement la
Roumanie. La Bulgarie, la Pologne et la Hongrie ont vivement attaqué la Roumanie. Par contre, l'URSS s'est
prononcée dans des termes plus prudents. Au nom des Douze, le chef adjoint de la délégation française, M.
Paul Poudade, a exprimé «l'indignation devant les événements dramatiques qui se sont produits en
Roumanie». Le chef de la délégation américaine, M. John Maresca, a qualifié les événements en Roumanie
«de pire violation des principes de l'Acte final d'Helsinki depuis 1975».
L'Autriche a annoncé, mercredi, le rappel en consultation de son ambassadeur à Bucarest. Les relations avec
Bucarest font actuellement l'objet d'un examen au ministère des affaires étrangères à Vienne, et le chancelier
Franz Vranitzky n'a pas exclu un gel des rapports diplomatiques entre les deux pays. L'Autriche a, en outre,
entamé les démarches nécessaires, par l'intermédiaire de son ambassadeur auprès des Nations unies, pour
demander une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU sur la situation en Roumanie. Elle a également pris
l'initiative en vue de la réunion d'une conférence des pays membres de la CSCE, conformément au
mécanisme prévu dans le document final de la dernière conférence-bilan d'Helsinki.
3/3