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Les bien nantis ne roulent pas toujours en Porsche
et n’habitent pas tous un manoir victorien
perché sur un flanc de montagne.Ils vivent aux fins
fonds du pays et n’ont pas tous l’air prospère.
À vous, donc, de partir à leur recherche, mais
pensez à ratisser large,car parfois,un seul arbre
peut cacher la forêt…
La face cachée
des millionnaires
ALISON MACALPINE
Au cœur du Saguenay–Lac-Saint-Jean, 40 des meilleurs
clients d’Éric Mercier abattent chaque jour des arbres et des horaires de
fou : 20 heures par jour à scier, à transporter des troncs et à faire fonctionner
de la machinerie lourde. Un dur labeur quotidien pour ces hommes (il y a si peu
de femmes…) qui possèdent leur équipement et en prennent un soin jaloux.
Ce qui implique parfois de ramper en dessous d’immenses machines, peu
importe où et quand ces mastodontes décident de s’arrêter. Pendant de longues
semaines, ils dorment et vivent dans des baraquements. Comme des Ovila
d’aujourd’hui, la plupart des travailleurs retournent dans leur modeste maison
pendant leurs rares jours de congé. Heureusement, le salaire est fort appréciable, et chaque année, ils engrangent ainsi des centaines de milliers de dollars… qu’ils n’ont pas le temps de dépenser!
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Voilà un créneau de clientèle fortunée qui ne présente
pas les signes classiques : adresse dans un quartier chic,
voitures de luxe et cartes de membre de clubs privés. Et
ils ne portent certes pas le costume des professionnels et
des dirigeants d’entreprise, avocats, comptables, médecins et dentistes : des clientèles traditionnellement ciblées
par les conseillers en quête de clients aisés. Ils peuvent
occuper n’importe quel poste permettant à un épargnant
sérieux de mettre de l’argent de côté pendant plusieurs
décennies. Beaucoup d’entre eux n’ont jamais rencontré
de conseiller.
Le nombre de millionnaires augmente chaque année
au Canada à un rythme fulgurant : un bond de 9 % en
2002 par rapport à l’année précédente et un total
escompté de 900 000 millionnaires en 2010. Selon le
Rapport sur la richesse mondiale 2003 de Merril
Lynch/Cap Gemini Ernst & Young, il devient de plus en
plus évident que plusieurs de ces citoyens fortunés ne correspondent pas au profil habituel et attendu. Certains sont
des retraités tranquilles qui ont amassé un coussin millionnaire dans les quatre dernières décennies. D’autres ont des
entreprises dans le secteur des produits semi-industriels
comme les entrepreneurs forestiers d’Éric Mercier.
Aller les chercher dans leur quartier
Comment pouvez-vous tirer profit de cet exemple? Comment débusquer ces millionnaires dans leur quartier – ou
dans les bois? Louise Diotte, planificateur financier pour
le Groupe Investors à Ottawa, résume joliment l’affaire :
«En 25 ans de pratique, je n’ai jamais rencontré une personne qui portait un chandail arborant l’inscription “J’ai
de l’argent! Abordez-moi!”»
«Ils ne vivent pas dans le quartier de Glebe ou de
Rockcliffe Park», illustre quant à lui David McGruer,
planificateur financier pour Gestion de patrimoine
Dundee, en parlant des quartiers huppés d’Ottawa où il
travaille. «Ils ne conduisent pas de BMW, d’Audi ni de
Porsche. Leur richesse, ils l’ont accumulée parce qu’ils ont
travaillé et économisé assidûment. Leurs besoins en planification financière ressemblent à ceux de leurs voisins – à
une plus grande échelle. Beaucoup d’entre eux ont réalisé
leur profit avant de rencontrer un planificateur financier,
mais ils pourraient évidemment améliorer leur situation
avec un planificateur. De nos jours, ils sont plus enclins à
reconnaître ce fait.»
Éric Mercier, qui dirige Mercier Services financiers
à Québec, a mis le doigt sur son créneau par hasard. À
l’automne 1996, un ami conseiller ne s’y connaissant pas
assez en planification financière intégrée lui avait référé un
Éric Mercier s’est intéressé au métier de ses
clients et aux défis qu’ils doivent relever.
client forestier. «J’ai réalisé que ce nouveau client gagnait
bien sa vie. Il habitait dans une petite maison qui ne valait
même pas 100 000 $, et son compte en banque était très
bien garni, se souvient-il. Je me suis mis à m’intéresser à son
métier, à ce que ces gens faisaient, à la façon dont ils étaient
rémunérés, aux risques auxquels ils s’exposaient, à leurs
perspectives d’avenir et à leurs forces.»
Il a couru les foires commerciales pour observer les
machines de coupe de bois en action, et il s’est familiarisé avec les défis auxquels font face les forestiers – le
plus criant étant le désir de prendre leur retraite tôt, mais
qu’il n’y a pas de jeunes prêts à assumer la relève et le
coût de rachat des équipements, qui peut atteindre 1,5 à
2,5 millions de dollars.
Le premier client forestier de M. Mercier a apparemment apprécié ses efforts pour mieux comprendre son
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métier… et le mot s’est ensuite passé dans les cafétérias
et les dortoirs des divers camps forestiers. Aujourd’hui,
grâce à ces recommandations, Éric Mercier compte
presque un client sur six dans l’industrie forestière.
Ce planificateur financier rusé a aussi trouvé des
millionnaires dans le secteur de l’agriculture. Il gère les
affaires de plusieurs cultivateurs de pommes de terre, qui
ont récolté environ un million de dollars annuellement
au cours des dernières années et qui vendent leur produit partout dans le monde.
Les petites entreprises de la sorte rapportent beaucoup et les conseillers devraient les cibler, rappelle Keith
Sjögren, chef de la boîte Wealth Management au sein du
Taddingstone Consulting Group. Les entrepreneurs, ditil, constituent «le secteur en plus forte croissance dans le
cercle des millionnaires».
Bien sûr, poursuit M. Sjögren, les secteurs populaires
comme les biotechnologies, les nouvelles technologies et
les communications comportent leur lot de clients fortunés, mais, fait-il remarquer, les sphères moins glamour
de l’économie, comme la foresterie, l’agriculture, la
construction et le pétrole recèlent aussi des entrepreneurs prospères. «Si j’étais conseiller, je m’intéresserais
aux entreprises familiales. Ces gens génèrent une formidable richesse. Je voudrais savoir où se tiennent ces entrepreneurs. Vous devez entrer dans leur cercle afin qu’ils
vous voient comme un des leurs.»
Cette stratégie rejoint la façon de penser et de procéder d’Éric Mercier. «Plusieurs d’entre eux recherchent aussi un ami, explique-t-il, quelqu’un qui peut
les écouter et leur donner des pistes et des moyens
d’améliorer leur sort. Ils ont besoin d’une personne sur
qui ils peuvent compter, en qui ils peuvent placer toute
leur confiance.»
Nouer des relations
À l’autre bout du pays, à Edmonton, David Hunt, du
Multiplan Financial Group, a lancé une campagne de
séduction auprès des propriétaires d’entreprises de
construction. Il a découvert des plombiers, des électriciens et des entrepreneurs applicateurs de cloisons
sèches, tous dotés de diverses qualités d’entrepreneurs et
qui transforment souvent leur commerce en petite
entreprise lucrative.
Dix-huit mois auparavant, M. Hunt avait embauché
une maison de télémarketing pour mener un sondage
téléphonique visant à cibler les chefs d’entreprises de
construction et à mesurer leur intérêt à recevoir des services financiers spécifiques. À la fin de l’entretien, on leur
a dit qu’ils s’étaient qualifiés pour obtenir les services de
Multiplan et on leur a demandé s’ils désiraient être
contactés ultérieurement. «Un nombre étonnant ont
répondu positivement», dit M. Hunt. Cinq sont déjà
devenus clients – et l’un deviendra bientôt une importante source de revenus.
De même, M. Hunt a fait une percée dans le marché
pétrolier, puisqu’il compte maintenant quelques clients qui
exploitent des plates-formes de forage. «Voilà un marché
que nous viserons davantage à l’avenir», confie-t-il.
Tout comme Éric Mercier, M. Hunt accorde beaucoup d’importance aux références. En fait, il prend le
réseautage tellement au sérieux qu’il a fondé l’Alberta
Business Network, un groupe de professionnels qui se
rencontrent régulièrement dans le but de stimuler
l’échange de références d’affaires. Des comptables, des
avocats, des architectes, des courtiers en immobilier, des
consultants en gestion et des courtiers hypothécaires en
font partie. Les relations professionnelles, croit-il, sont la
clé qui ouvre sur le monde des millionnaires insoupçonnés du Canada.
Des millionnaires philanthropes
Le conseil de David Hunt coïncide parfaitement avec
l’étude sur les millionnaires canadiens effectuée par
Ipsos-Reid. Dévoilée en mars dernier, elle nous apprenait que près d’un millionnaire sur trois (31 %) possède
une entreprise, que plus de la moitié sont retraités
(57 %), et que 87 % d’entre eux ont l’intention de faire
des dons à des organismes de charité ou à des associations locales, alors que plus de la moitié (52 %) projettent
de donner de leur temps.
Cet engagement soutenu envers la communauté ne
surprend pas du tout Mme Diotte. Elle s’est fait de précieux contacts parmi les investisseurs nantis grâce à son
travail comme membre du conseil de l’Association
canadienne des professionnels en dons planifiés et au
sein de son programme Un héritage à partager MC. «La
plupart des gens dont l’identité ne se définit pas par le
nombre de billets dans le portefeuille aiment bien aider
leur communauté, résume-t-elle. Mais ne joignez pas une
organisation caritative pour rencontrer des gens nantis,
allez-y parce que vous croyez en leur cause.»
Louise Diotte confie qu’elle a attiré des clients fortunés en leur offrant des services de planification financière complets. Le Sondage sur les nantis, effectué par
Taddingstone en 2003, confirme l’importance de la planification financière : 75 % des personnes sondées
croient qu’il est nécessaire d’adopter une approche de
planification pour leurs affaires financières.
D’étudiante à cliente
Certains des investisseurs qui feront partie de votre clientèle aisée plus tard sont riches aujourd’hui, alors que
d’autres ont beaucoup de potentiel : ce sont de jeunes
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Canadiens qui ont adopté une stratégie d’épargne à long
terme et qui deviendront nantis en cours de route.
L’une des meilleures clientes de David McGruer,
Maureen, 55 ans, appartient à la première catégorie.
Professeure à la retraite, elle a accumulé plus d’un million
de dollars en actifs prêts à être investis. Une autre cliente,
Alice, 26 ans, constitue ce que M. McGruer décrit
comme une «millionnaire de demain».
Ces deux clientes, il les a rencontrées dans les cours du
soir qu’il offrait sur le placement. Les deux femmes ont
été suffisamment impressionnées pour prendre un rendez-vous de consultation avec lui.
«Je sentais qu’il était honnête. Il ne mettait pas de pression. Il a écouté. Il a examiné ma situation et mes antécédents et il m’a ensuite remis un plan financier, tout cela,
gratuitement, se rappelle Maureen. Nous nous sommes
rencontrés trois ou quatre fois avant que je me décide à
faire affaires avec lui.» Au début, certains de leurs rendezvous ont eu lieu au domicile de Maureen. «Ce fut très
apprécié, puisqu’à ce moment j’étais très stressée à mon
travail et mes papiers s’accumulaient un peu partout.»
Reluquant les fonds communs quand elle a commencé
à consulter David McGruer, Maureen a depuis appris à
avoir une perspective à long terme en matière de placement. Elle remercie son conseiller de l’avoir convaincue
de conserver ses placements dans les marchés au cours
des deux dernières années, alors que son instinct lui criait
de vendre. Et elle apprécie également l’assurance et la
sécurité qu’il lui a données en lui démontrant que, avec
son généreux régime de retraite de professeur et ses
économies substantielles, elle ne serait jamais capable
de dépenser tout son argent… Mais elle admet qu’encore
aujourd’hui, elle ne peut s’empêcher d’économiser.
S’il est difficile de se débarrasser des vieilles habitudes,
les nouvelles, elles, doivent être entretenues. Alice est
technicienne de laboratoire pour Santé Canada, et son
petit portefeuille n’attirerait pas l’attention de la plupart
des conseillers à la recherche de clients fortunés. Mais,
quand elle est allée consulter David McGruer en juillet
2002, il l’a immédiatement acceptée comme cliente.
«C’est le genre d’occasion qui m’enthousiasme le plus,
explique-t-il. Une personne qui s’empresse de me téléphoner pour me demander de discuter démontre une
telle volonté et un tel sérieux dès le début de sa vingtaine
qu’elle continuera de se distinguer au fil des ans et a des
chances de devenir une cliente très convoitée.»
Alice s’explique simplement : «J’avais 25 ans et je me
suis dit que je devais faire quelque chose avec mon
argent. C’était ma deuxième année de travail après mon
diplôme et j’avais accumulé quelques épargnes, mais je
n’utilisais que mon compte en banque et des CPG, qui
me rapportaient à peu près pas de revenus d’intérêts.
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Pour moi, c’était le meilleur moment d’épargner.»
David McGruer encourage ses clientes comme
Maureen et Alice à lui référer d’autres personnes et
il les remercie avec un petit cadeau et une invitation
à son souper annuel d’appréciation des clients. «Ce
souper a créé un club de mes disciples, confie-t-il.
C’est mon effort de marketing le plus lucratif.»
Pas un passe-temps
Keith Sjögren croit quant à lui que la recherche de
millionnaires insoupçonnés ne donne rien si elle est faite
à moitié. «Il y a seulement 330 000 millionnaires au
Canada, dit-il. Si vous supposez qu’il y a environ
50 000 conseillers, cela veut dire que le gâteau n’est pas
très grand… Les conseillers qui gagneront la faveur de
ces gens aisés seront ceux qui se mettront à leur service
et qui prendront la peine de connaître en profondeur
ce qui anime ces individus. »
Si le défi vous tente, le marché des millionnaires
canadiens insoupçonnés est aussi attirant que payant.
Alors la prochaine fois que vous croiserez un travailleur
de la construction sur la rue ou que vous entendrez une
scie mécanique dans la forêt, pensez-y bien, il s’agit
OC
peut-être d’un millionnaire!