L`immersion de la Jeanne d`Arc, un projet fou

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L`immersion de la Jeanne d`Arc, un projet fou
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SOCIÉTÉ
Samedi 29 septembre 2012
Le Journal de l’Île
L'immersion de la Jeanne d'Arc, un projet fou ?
La Jeanne d'Arc, construit au début des années 1960, a effectué plusieurs haltes à la Réunion, suscitant à chaque fois un engouement intact de la population. Le bâtiment militaire se trouve aujourd'hui à
Brest, attendant d'être démantelé et désamianté.
En 2006, quand il parlait d'immerger le Georges Clémenceau en baie de Saint-Paul, Guy Marcoz avait comme unique objectif de prouver la faisabilité
juridique de l'opération. Six ans plus tard, le président de l'association Nautilus réitère et milite cette fois-ci avec force pour plonger la Jeanne d'Arc.
Même si François Hollande en personne paraît séduit, l'affaire n'est pas gagnée…
MER
Il y croit plus que jamais. Son
rêve, immerger la Jeanne d'Arc en
baie de Saint-Paul, à 800 mètres
des côtes, entre le cimetière
marin et le débarcadère, lui semble à portée de main. Certes rien
n'est acquis, mais au final, ce projet considéré comme farfelu suscite un certain intérêt.
Le persévérant Guy Marcoz est
sûr de lui. "On ne peut plus m'opposer d'obstacle", avance-t-il. Quand
en 2006, il voulait rapatrier le
Georges Clémenceau, seule la faisabilité juridique l'intéressait.
"Nous avons réussi à la démontrer".
Il estime aujourd'hui que
l'unique écueil a disparu. Et c'est
désormais l'ex-fleuron de la
Marine nationale, la Jeanne
d'Arc, qu'il convoite, avec ses 180
mètres de long, ses 24 mètres de
large pour un poids de 10 000
tonnes et une hauteur de 30
mètres (une fois la cheminée
découpée).
S'il
monte
au
créneau
aujourd'hui, ce n'est pas un
hasard. C'est maintenant ou
jamais. "Le 14 septembre dernier, le
ministère de la défense a lancé un
appel d'offres pour démanteler ce
bateau. L'entreprise sera choisie fin
2013 pour un début des travaux programmé début 2014". Autant dire
que le temps presse.
Ainsi depuis deux ans, le président de l'association Nautilus
inonde de courriers les autorités.
En janvier 2012, il s'est adressé à
François Hollande, candidat à
l'élection
présidentielle
à
l'époque. L'ancien ingénieur a su
vendre son "bébé" en évoquant
"un extraordinaire récif artificiel
dans la baie de Saint-Paul grâce à
l'immersion par moins 40 mètres de
la coque dépolluée de l'ancien
navire-école, porte-hélicoptères, lestée de pierres qui viendraient des 94
départements de la France hexago-
Des avis partagés
nale et des 126 pays et îles ou il fit
802 escales dans 204 ports au cours
de ses 45 années de service actif". Ce
qui lui a valu cette réponse : "J'ai
pris connaissance avec la plus
grande attention de votre projet, porteur pour les activités touristiques de
la Réunion et s'inscrivant dans une
démarche de développement durable
et je vous fais part de tous mes
encouragements". Une réponse
succinte mais qui stimule un Guy
Marcoz plus que jamais déterminé.
UN MILLION D'EUROS
POUR LE RAPATRIEMENT
En tant que chef de l'Etat,
François Hollande vient à nouveau d'être sollicité. Le ministre
de la défense, Jean-Yves le Drihan
est également informé. Au niveau
local, une rencontre a eu lieu
avec le tout nouveau sous-préfet
chargé de mission à la cohésion
sociale, Ronan Boillot, en attendant un rendez-vous avec le pré-
Ce dossier s'est déjà retrouvé au coeur des débats au sein d’Europe écologie. Il a été accueilli de manière
contrastée. Certains membres ne lui présagent aucun avenir. D'autres, comme Yvette Duchemann estiment qu'il doit être pris en compte. A première vue, la porte-parole y voit "la protection du patrimoine, la
création d'emplois, la transmission pédagogique et l'économie solidaire". La vigilance est de mise malgré tout.
"On ne connaît pas son impact sur le milieu marin. C'est ce qu'il faut étudier", avance-t-elle. "Et si des points
portent atteinte à la biodiversité, je suis certaine que M. Marcoz les rectifiera. J'attache en tout cas une grande
importance à ce que ce projet soit étudié". Il sera à l'ordre du jour d'un prochain conseil politique régional,
d'ici la fin de l'année.
Son collègue Jean Erpeldinger s'oppose à cette immersion. Il lui semble paradoxal de "vouloir couler des
tonnes d'acier vu le prix des matières premières". L'aspect symbolique a par ailleurs toute son importance.
"On dit aux enfants de jeter les boites de conserve dans une poubelle alors que dans ce cas-là, ce sont des milliers
que l'on jette. Ce n'est pas possible", tranche l'élu saint-paulois écologiste.
Quant à Lionel Bigot, scientifique au Laboratoire d'écologie marine (Ecomar), il rejette l'idée en bloc:
"Je ne suis pas d'accord pour des raisons de bon sens". A ses yeux, la configuration du site n'est absolument
pas favorable. Car la baie de Saint-Paul reste soumis à une forte influence cyclonique, comme nous
l'avons vu en 2007, lors du passage du cyclone Gamède. "La houle détruit tout, elle disloquera le bateau très
rapidement. Il n'est pas question que l'on retrouve la moitié de l'épave sur la plage. Ce n'est pas pour rien si les
services de l'Etat ont toujours été très prudents à ce sujet"
D.F.B
fet Jean-Luc Marx et la sous-préfète de Saint-Paul, Chantal
Ambroise. Au cours d'un
échange, Jean-Yves Langenier, en
tant que président du TCO, a jugé
pour sa part cette ambition "intéressante". Par ailleurs, tous les clubs
de plongées et de natation de la
Réunion soutiennent l'initiative
avec force. Tout comme l'union
des métiers et de l'industrie hôtelière (UMIH).
Guy Marcoz en appelle désormais à la députée-maire de SaintPaul, Huguette Bello, afin qu'elle
"demande officiellement un moratoire pour examiner ce projet et
démontrer l'intérêt qu'il représente
pour la Réunion". Son opinion plutôt négative à priori- est très
attendue car elle pourrait jouer
un rôle décisif en stoppant ainsi
l'appel d'offres. Des études de faisabilité et d'impact seraient alors
lancées.
L'avis de Didier Robert compte
aussi énormément. Car il reviendrait à la Région de supporter le
coût d'acheminement de la
coque, évalué à un million d'euros. La fédération française
d'études et de sports sous-marins
prendrait la relève en assurant
son "exploitation" et notamment
le volet sécurité. "La coque ne serait
pas accessible à tout le monde. Des
règles draconiennes seront mises en
place", précise le Saint-Paulois.
En attendant, ce dernier tente
de convaincre touts azimuts en
déployant sa panoplie d'arguments.
Economiques
tout
d'abord, avec à la clef des créations d'emplois directs et indirects. On imagine déjà les médias
du monde entier s'emparer du
sujet, générant un surplus d'activité économique. "Les Américains
l'ont fait, ils ont cinq fois plus de
retombées touristiques". Pour un
investissement de 19 millions de
dollars, 92 sont récoltés chaque
année… Atouts écologiques également : "Cette épave fera office de
DCP géant, cela pourrait créer un
nouvel écosystème". Et attirer les
requins bouledogue ? La question
mérite d'être posée actuellement.
"Les squales se rapprochaient car les
poissons de la ferme acquacole
étaient nourris deux fois par jour",
réplique Guy Marcoz, qui ne veut
pas s'attirer les foudres des surfeurs.
CRÉATION D'UN MUSÉE
MARITIME
Le volet pédagogique est également vanté. "Les bateaux pourront
naviguer au-dessus. Avec un fond de
verre, il sera alors possible d'observer
la vie sous-marine".
Des sorties sont à l'ordre du
jour: les enfants s'initieraient à la
plongée tout en se sensibilisant à
l'environnement.
L'approche historique figure
aussi sur la feuille de route. Car
Guy Marcoz a pour ambition de
créer le musée maritime de
l'océan Indien dans un remarquable bâtiment, l'ancien hôpital
colonial situé sous le viaduc de
Saint-Paul et propriété de
l'EPSMR. "Nous pourrions mettre en
place des expositions temporaires
avec des pièces des différents musées
du monde. La situation géographique de cet espace muséal, valorisé
par un environnement réhabilité et
fleuri, admirablement situé face au
cimetière marin et à la grotte des
premiers Français, constituerait un
superbe lieu de mémoire dédié à tous
ceux qui, un jour lontan, vinrent par
la mer pour fonder La Réunion, et à
ses enfants qui doivent contribuer à
son développement harmonieux".
Tout semble ainsi déjà bien
ficelé dans l'esprit de Guy
Marcoz, prêt à déplacer des montagnes pour que son rêve voit le
jour.
"Nous
devons
nous
mobiliser tous afin de conscientiser
les cerveaux musclés qui nous gouvernent pour sauver la Jeanne. Elle
mérite mieux qu'un honteux démantèlement", conclut-il
Damien Frasson-Botton
"Tous les gens que je rencontre jugent ce projet génial", raconte
Guy Marcoz.