LA PERCHE DU NIL

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LA PERCHE DU NIL
LA PERCHE DU NIL
LATES NILOTICUS, alias la perche du Nil, vous connaissez ? Depuis une dizaine d’années, elle
trône en vedette sur les étals glacés de nos poissonniers. Des filets grands comme des cravates, pas
très chers, à chair ferme et parfumée, délicieuse dans sa panure dorée ou nappée de sauce
hollandaise. Remplaçant avantageusement le cabillaud devenu introuvable, mais là, c’est encore une
autre histoire.
La Perche du Nil fut introduite vers 1950 dans le lac Victoria. Un lac grand comme l’Irlande, ce
qui le classe au deuxième rang mondial des lacs d'eau douce . Situé au centre de l'Afrique, il mesure
en moyenne 320 km de diamètre. Le lac Victoria a une profondeur moyenne de 40 m , contrairement
aux lacs Malawi et Tanganyika, issus des fractures terrestres, ce dernier atteignant 1470 m de
profondeur !
La perche s’acclimata au delà de toute espérance.
Durant 30 ans, elle prospéra, pour devenir un vrai filon:
les pêcheries , leurs annexes et les infrastructures se
répandirent sur les rives du lac . Eh alors? Plutôt
réjouissant, un projet économique rentable, surtout en
Afrique.
Évidemment, les investisseurs n’avaient pas tous
la couleur locale et la production destinée à l’Europe et au Japon, restait inaccessible aux
autochtones. Lesquels , vivant de pêche côtière, virent leurs filets se vider inexorablement : victimes
du nouveau prédateur, les espèces indigènes se raréfiaient . ( les Tilapia, les Haplochromis dont
l’étude de la radiation adaptative régalait les férus d’ichtyologie).
Les plus fortunés achetèrent des bateaux à moteur, la perche étant un poisson pélagique (vivant
en pleine eau). Les petits pêcheurs allèrent travailler dans les unités de transformation du poisson
miracle, tout en consommant la fameuse perche attrapée par les copains motorisés. Ce poisson,
plutôt gras, ne supportait pas le mode de conservation traditionnel des Cichlidés, (le séchage à l’air)
qu’il venait de supplanter.
Les habitants durent utiliser la technique du fumage et se mirent à déboiser les abords du lac
pour fournir le bois nécessaire à l’opération. Le sol, sans ses forêts, fut lessivé par les pluies… Les
sédiments se déversaient dans le lac. On prit alors conscience de la disparition définitive des poissons
alguivores quand on vit les bords du lac s’asphyxier, confirmant définitivement le déséquilibre du
biotope .
Qu’à cela ne tienne! Des investisseurs proposèrent des croisières aux amateurs de pêche au
Gros. ( la Perche du Nil peut atteindre 3 mètres!)
Lassés du Marlin ou de l’Espadon dans les Keys ou aux Caraïbes, les riches touristes en mal
d’exotisme envahirent les Holiday Inn surgis un peu partout.
C’était il y a 10 ans. Des ethnologues déplorent la disparition d’une culture séculaire, des
biologistes constatent la destruction d’une faune endémique à plus de 65 %. Dans l’indifférence
générale. On préfère compter ses dollars… jusqu’à l’année dernière: La perche, à son tour, se raréfie.
Pas en quantité, en tonnage.
Les biologistes, appelés à l’aide, firent le constat suivant: ayant dévoré tous les poissons du lac,
la perche est devenue cannibale.
Devant le désastre économique en perspective, car il faut bien avouer que ces nouvelles activités
avaient donné du boulot aux pécheurs laissés sur le carreau , on en est actuellement à chercher une
solution pour la survie du super-poisson.
Quant à la morale de l’histoire, elle est tout aussi paradoxale… et assez réjouissante pour nous,
les fêlés du bocal accusés périodiquement de dévaster la planète sans discernement par des médias
en mal de copie !
Il s’avère que nous aurions conservé 20 % de la faune disparue à tout jamais du lac… dans nos
boites en verre. Et qu’il n’est pas impossible d’envisager d’en peupler un des multiples « petits » lacs
satellites… avec toutes les précautions nécessaires, cette fois, et pas à court terme, on s’en doute.
Quant aux 80% définitivement disparus, ce n’est qu’une anecdote …au regard des milliers
d’espèces, animales et végétales, détruites de façon toute aussi irrémédiable et systématique en
Amazonie ou aux Philippines, par exemple .
On peut se demander « Eh alors, qu’est-ce que j’y peux, moi ? » Pas grand chose, mais nous
tous ?