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Résumé du projet pour soutien au fil de l’eau Traitement du contexte et troubles des aspects pragmatiques du langage dans la schizophrénie Maud Champagne-Lavau, Madelyne Klein, Béatrice Priego-Valverde En collaboration avec Christophe Lançon, Catherine Faget : Service de Psychiatrie, CHU de la Conception, Marseille Et Laurent Boyer : Département de Santé Publique (EA 3279), Aix-Marseille Université L’objectif général de la présente recherche est d’étudier les mécanismes cognitifs impliqués dans les troubles du langage dans la schizophrénie en explorant de manière plus spécifique le traitement de l’humour. La schizophrénie en tant que pathologie de la communication entraîne des déficits affectant les aspects pragmatiques du langage tels que la compréhension des demandes indirectes, de l’ironie, de l’humour et de toute autre construction linguistique pour laquelle on dit quelque chose en voulant signifier quelque chose de plus, ou de différent dans un contexte donné (cf. Champagne-Lavau et al., 2006 ; Mitchell & Crow, 2005 pour une revue). Ces énoncés représentent une part importante et peu explorée des situations de communication que nous rencontrons dans la vie quotidienne. La particularité de ces énoncés est que leur sens ne dépend pas seulement du sens de chacun des mots qui les composent, mais aussi des intentions du locuteur qui les énonce, le sens de la phrase pouvant différer du sens du locuteur (Grice, 1957, 1969). Autrement dit, pour être compris, ces énoncés requièrent l’attribution d’états mentaux (e.g. intention, croyances, connaissances) au locuteur. Cette capacité à attribuer des états mentaux à autrui encore appelée théorie de l’esprit (TdE)1 peut être déficitaire dans la schizophrénie, entraînant des difficultés de compréhension de l’humour. Ainsi, le lien entre les faibles performances des individus atteints de schizophrénie (SZ) en perception de l’humour et en TdE (Corcoran et al., 1997 ; Marjoram et al., 2005 ; Polimeni et al., 2010 ; Tschacher et al., 2015), a été plusieurs fois mis en évidence à l’aide de dessins humoristiques, dans lesquels la chute est une légende accompagnant une image (Corcoran, Cahill & Frith, 1997), d’images seules (Polimeni et al., 2006 ; 2010 ; Marjoram et al., 2005 ; Tschacher et al., 2015), de vidéos (Boziskas et al., 2007 ; Tsoi et al., 2008), ou d’histoires drôles uniquement verbales (Ivanova et al., 2014). Les troubles de traitement du contexte sont une caractéristique importante de la schizophrénie, suggérés comme étant à l’origine des troubles de la cognition sociale dont la TdE (Hardy-Bayle et al., 2003; Green et al., 2005; Schenkel et al., 2005; Green et al., 2007). Ils sont particulièrement évidents dans le comportement langagier des patients, leurs difficultés étant les plus visibles dans les aspects pragmatiques du langage. Ainsi ChampagneLavau et al. (2012) ont mis en évidence que les individus (SZ), bien que sensibles à des différences d’incongruité entre énoncé et contexte situationnel, n’intègrent pas ces informations pour attribuer une intention ironique correcte au locuteur. Des travaux utilisant le Stroop émotionnel rapportent, par ailleurs, un biais attentionnel des individus SZ pour des informations contextuelles caractérisées par une émotion négative (plutôt que positifs ou neutres) (Wiffen et al., 2013), ou des informations contextuelles non pertinentes dans des situations données (cf. Mitchell & Rossell, 2014 pour une revue). 1 La théorie de l’esprit est la capacité à former une représentation des états mentaux (e.g. intention, désir, croyance, connaissance) des autres et à utiliser cette représentation pour comprendre, prédire et juger leurs comportements et leurs énoncés (Premack and Woodruff, 1978; Baron-Cohen et al., 1985). 1 Le traitement de l’humour est particulièrement intéressant pour étudier l’hypothèse selon laquelle un trouble du traitement des informations contextuelles serait à l’origine des difficultés des individus SZ à comprendre l’humour. En effet, le modèle théorique du traitement de l’humour, appelé « théorie de l’incongruité » (Suls, 1972) suggère que comprendre l’humour revient à résoudre une incongruité entre les attentes de l’auditeur et le message du locuteur. Il s’agirait dans une première étape, de détecter l’élément de surprise ou l’incongruité dans un contexte donné, puis dans une seconde étape de résoudre cette incongruité en réinterprétant l’énoncé du locuteur (e.g. la chute d’une histoire drôle) en fonction du contexte. Ainsi, l’humour véhiculé par la chute d’une histoire drôle proviendrait d’une violation des attentes créées par le début de l’histoire (le contexte), provoquant la surprise, puis d’une révision de la représentation de l’histoire. L’objectif de cette étude est donc de déterminer si les difficultés des individus SZ à comprendre l’humour sont liées à un problème de décodage ou d’intégration des informations contextuelles. Il s’agira aussi de déterminer quel type d’information contextuelle est privilégié par les individus SZ, autrement dit, si ces derniers privilégient des informations non pertinentes et s’ils présentent un biais attentionnel pour des informations à caractères négatifs, les conduisant à une mauvaise interprétation de l’humour. Matériel et méthode Pour répondre à ces objectifs, la compréhension de l’humour sera étudiée chez un groupe de 20 participants SZ et un groupe de 20 participants contrôles sains appariés en âge et en niveau d’éducation, tous de langue maternelle française. Les participants SZ présentant un diagnostic de schizophrénie selon les critères du DSM-V participeront à cette étude. La sévérité des symptômes sera évaluée par un médecin en utilisant la PANSS (Positive and Negative Symptom Scale ; Kay et al., 1987). Les participants SZ seront dans une phase stable de la maladie définie par une absence de rechute au cours des deux derniers mois et une absence de changement dans le traitement antipsychotique au cours du dernier mois. Une tâche verbale et une tâche visuelle comprenant chacune 20 stimuli seront utilisées. Ces 2 tâches ont déjà été validées. Contrairement aux précédentes études réalisées dans la schizophrénie dans lesquelles la tâche du participant était de dire si le stimulus est drôle ou pas, dans les 2 tâches de la présente étude il sera demandé aux participants, sur le modèle de Brownell et al. (1983), de choisir parmi 4 possibilités la chute appropriée pour que l’histoire ou le dessin soit drôle (cf . exemple ci-dessous). Il sera aussi demandé aux participants d’expliquer pourquoi leur choix rend l’histoire drôle. Afin d’analyser le type d’information contextuelle privilégié par les participants SZ, le choix de réponse comportera une chute correcte, une chute incongrue, une chute neutre et une chute dite négative. Les histoires ayant chacune les différentes chutes ont été jugées (dans une étape précédente de validation chez des participants sains) sur leur humour, leur cohérence entre l’histoire et la chute, l’effet de surprise de la chute par rapport au contexte, et la présence d’une information négative concernant le personnage de l’histoire. Voici le détail pour chaque choix : 1) Chute Correcte : cohérente, surprenante, drôle, pas d’information négative 2) Chute Incongrue : incohérente, surprenante, non drôle, pas d’information négative 3) Chute Neutre : cohérente, non surprenante, non drôle, pas d’information négative 4) Chute négative : cohérente, non surprenante, non drôle, information négative 2 Exemple de stimulus verbal Un missionnaire travaillait avec une tribu de cannibales. Un jour, alors qu’il marchait dans la rue, membre du clan le regardait intensément. « Pourquoi me regardez-vous ainsi? » demanda le missionnaire. 1. 2. 3. 4. Le cannibale répondit : « Je suis l’inspecteur alimentaire. » Le cannibale cassa un œuf sur la tête du missionnaire. Le cannibale répondit : « Je n’ai jamais vu un missionnaire auparavant. » Le cannibale répondit : « Je vais vous dévorer. » La procédure utilisée dans cette tâche, à savoir faire un choix parmi plusieurs propositions pour compléter une histoire et la rendre cohérente, ne devrait pas poser de problème aux participants SZ. En effet, d’autres auteurs ont déjà utilisé ce type de procédure avec succès avec des participants SZ (Sarfati et al., 1999; Brunet et al., 2000). Afin de contrôler les profils neuropsychologiques et cliniques des participants SZ, les participants subiront aussi une évaluation neuropsychologique standard (flexibilité, inhibition, attention, mémoire, fluence) et une évaluation clinique (PANSS, échelle de dépression de Beck). L’ensemble de la passation durera environ 2h30. Hypothèses : - Les individus SZ devraient choisir significativement moins souvent que les participants contrôles les réponses correctes, témoignant de leurs troubles de compréhension de l’humour. Ce résultat pourrait être plus prononcé pour les stimuli visuels pour lesquels la compréhension de l’humour semble entraîner une plus grande variabilité dans les choix de réponse (Jacques Coulombe, 2013). - En fonction du modèle de Suls (1972), si l’étape de détection de l’élément surprenant dans le contexte est altérée, les participants SZ devraient montrer une préférence pour les choix non surprenants (réponse neutre ou négative). - Si les participants SZ présentent effectivement un biais attentionnel pour les éléments émotionnels négatifs, ils devraient choisir la chute dite négative (contenant un élément caractérisé par une émotion négative). - Si la seconde étape de traitement du modèle de Suls (1972) (étape d’intégration) pose davantage de problèmes aux participants SZ, ils devraient sélectionner majoritairement les réponses incongrues, témoignant de la recherche d’un élément de surprise, mais ne permettant pas de donner un sens à l’intégralité de l’histoire. Impact pour le BLRI Cette étude répond tout à fait aux objectifs de l’axe 3 Pathologie du langage visant à comprendre les causes des troubles du langage dans différentes pathologie dont la schizophrénie. En effet, les résultats de cette étude devraient contribuer à la mise en évidence de mécanismes impliqués dans la compréhension et la production des aspects pragmatiques du langage tels que le décodage ou l’intégration des informations contextuelles susceptibles d’être déficitaires dans la schizophrénie. La mise en évidence de tels mécanismes a un impact important pour les remédiations cognitives actuellement développées en santé mentale afin d’améliorer les interactions sociales dans la schizophrénie notamment (Lecardeur et al., 2009). 3 Cette étude a aussi un impact pour l’axe 2 Le langage en tant qu’action interactive dans la mesure où les résultats issus de la pathologie permettent de comprendre comment des informations contextuelles de différentes natures contribuent à l’accès au sens du locuteur lorsque celui-ci est différent du sens de la phrase énoncée. Ces résultats contribuent aussi à comprendre comment la théorie de l’esprit et le traitement de ces informations contextuelles interagissent dans la construction du savoir partagé entre interlocuteurs. Soutien demandé et estimation du budget Salaire pour un ingénieur d’étude ayant une expertise dans la passation de tests et d’échelle cliniques avec des patients atteints de schizophrénie (5 mois temps plein) : 2560 coût chargé x 5 = 12 800 euros Tâche de l’ingénieur d’étude : - Recrutement des patients SZ (déplacements Aix-Marseille pour consultation des dossiers cliniques à l’hôpital La Conception (Marseille) afin de vérifier les critères d’inclusion et d’exclusion, confirmation du diagnostic avec le médecin référent, appel des patients correspondant aux critères) - Recrutement des participants contrôles sains appariés aux patients SZ (diffusion d’annonce dans la communauté (supermarchés, associations, cafés), prises de rendezvous) - Passation des évaluations (tests neuropsychologiques, évaluation clinique, tâche d’humour) : ½ journée par participant x 20 participants SZ (incluant le déplacement Aix-Marseille) + 2h30 x 20 participants - Codage des tests : 2h00 x 40 participants - Transcriptions et analyses des explications : 2h00 x 40 participants - Traitement des données : analyses statistiques, rédaction des résultats - Rédaction d’un article Compensation donnée aux participants : 20 euros x 40 participants = 800 euros Total : 13 600 euros Références Baron-Cohen, S., Leslie, A. 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