Emancipation, émergence et diversification du Tiers monde

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Emancipation, émergence et diversification du Tiers monde
Décolonisation et émergence du Tiers monde.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’essentiel de la planète est contrôlé par les puissances européennes. Cette
domination européenne va progressivement être remise en cause donnant naissance à ce qu’Alfred Sauvy a dénommé le
« Tiers monde », c’est-à-dire le monde dominé des pays peu développés (à rapprocher du Tiers Etat de l’Ancien Régime)
et qui n’appartient à aucun des deux blocs de la Guerre froide (3 e monde). Ce terme désigne ainsi les Etats qui se
caractérisent par un revenu moyen par habitant faible, de grands écarts de ressources entre une minorité de riches et une
majorité de pauvres, une forte dépendance vis-à-vis des échanges extérieurs, des taux de fécondité et d’analphabétisme
élevés et de fréquents problèmes de malnutrition et de sous-nutrition.
Comment le Tiers monde va-t-il s’émanciper de ce contrôle ? Quelles sont les conséquences politiques, économiques
et sociales de cette émancipation du Tiers monde ?
Bénéficiant des événements consécutifs à la Seconde Guerre mondiale, les colonies vont se lancer dans un processus
d’émancipation aboutissant à la disparition plus ou moins violent des empires coloniaux. Après qu’elles aient obtenu leur
indépendance, va se poser le devenir des anciennes colonies.
I. L’émancipation des peuples dominés.
Bien avant la Seconde Guerre mondiale, la colonisation avait déjà fait l’objet d’une importante contestation. A partir
de 1945, cependant, les facteurs de dislocation prennent une ampleur nouvelle permettant le développement des
mouvements nationalistes et provoquant des réactions diverses dans les métropoles.
A. Un contexte international favorable.
Les relations internationales sont dominées au lendemain de 1a guerre par les deux superpuissances, Etats-Unis et
URSS, hostiles à la domination coloniale. Les Etats-Unis, ancienne colonie britannique, ont énoncé, dans la charte de
l’Atlantique, en 1941, de grands principes idéalistes, comme le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » ou la
« condamnation du racisme », qui, dirigés au départ contre le nazisme, sont perçus par les peuples dominés comme une
reconnaissance de leurs revendications. Ainsi, en 1946, ils accordent l’indépendance aux Philippines. D’un autre côté, les
Américains souhaitent voir s’ouvrir de nouveaux marchés, liés jusque-là aux métropoles. Mais, les Etats-Unis, qui
redoutent de voir les pays nouvellement émancipés tomber dans le camp communiste, tentent de promouvoir une
décolonisation négociée. L’URSS, de son côte, fidèle à la ligne héritée de Lénine, fait de la lutte contre l’impérialisme un
élément majeur de sa propagande. A Yalta, Staline affirme que le « premier devoir est de donner l’indépendance aux
peuples des anciens empires coloniaux ». La décolonisation devient ensuite un enjeu de la guerre froide. L’URSS apporte
son soutien aux mouvements d’émancipation radicaux qui préconisent une rupture violente avec l’ordre ancien.
L’ONU, nouvelle organisation internationale qui a vu le jour à San Francisco en juin 1945, joue également un grand
rôle. Elle diffuse, dans sa charte, des principes qui prônent l’égalité entre les peuples, l’anachronisme et l’immoralité de
l’existence des empires coloniaux. Semblables prises de position encouragent et légitiment les aspirations formulées par
les mouvements d’émancipation, qui sortent de leur isolement. Les déclarations sur les droits de l’Homme (1948) et sur
les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes (1952) renforcent les mouvements anticolonialistes. Par la suite, l’ONU
relaie les revendications des pays du Tiers monde.
Le dernier élément est constitué par l’affaiblissement des métropoles coloniales. Pendant la guerre, les victoires
rapides des puissances de l’Axe ont entamé le prestige de ces métropoles et entraîné l’effondrement du mythe de leur
invulnérabilité. De plus, le Japon a encouragé les mouvements indépendantistes avant sa défaite. Pour faire face à l’effort
de guerre, les métropoles ont, en outre, largement engagé les « peuples de couleur » à leurs côtes, en échange de
promesses d’émancipation ou de changements des rapports entre la métropole et ses colonies (discours de Brazzaville du
30 janvier 44, promesse de la reine de Pays-Bas de donner à l’Indonésie « la liberté d’action en ce qui concerne les
affaires intérieures »). Elles ont besoin de recruter des combattants (2 millions d’indiens, 520 000 hommes de l’Afrique
noire française), de trouver des matières premières pour fabriquer du matériel militaire. Au lendemain du conflit, elles ne
parviennent que difficilement à restaurer leur autorité.
B. L’affirmation des mouvements d’indépendance.
Les mouvements d’indépendance sont souvent d’existence ancienne. Ainsi, la création du parti du Congres, en Inde,
remonte à 1885. En Indochine, la contestation contre l’ordre colonial se développe dès 1920. En 1927, le parti national
indonésien est fondé par Sukarno.
Ces mouvements tirent leur inspiration d’influences très diverses. Le parti du Congrès est le fait d’une élite cultivée,
pétrie de valeurs anglo-saxonnes, qui formule des revendications directement inspirées de la métropole. On rencontre le
même phénomène en Afrique anglophone, où des leaders charismatiques apparaissent très tôt, comme Kwame Nkrumah
au Ghana. L’autre grande source d’influence reste le communisme international, à l’œuvre notamment en Indochine. On
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retrouve ainsi des références au socialisme dans de nombreux mouvements au Maghreb ou en Afrique noire. Au Maghreb
et au Proche-Orient, les mouvements nationalistes (mouvement de l’Etoile nord-africaine de Messali Hadj créé en 1927,
Jeunes Algériens de Fehrat Abbas, Destour tunisien en 1919) se nourrissent du panarabisme, qui apparaît comme une
volonté de retour aux valeurs traditionnelles tout en incarnant un désir de modernité et de progrès social. La formulation
des revendications autonomistes est le fait des notables de l’Islam, tel l’émir Khaled en 1919, ou bien des oulémas, chefs
d’écoles islamiques. On retrouve des courants similaires en Afrique, où l’on parle de « négritude » ou d’« africanité ».
Existent aussi des mouvements qui font la synthèse entre différentes sources d’inspiration.
De ces différences découlent des stratégies très variées quant à l’objectif à atteindre. Certains dirigeants prônent la
négociation et cherchent à maintenir un lien privilégié avec l’ancienne métropole une fois l’indépendance obtenue,
comme dans le cas de l’Inde. La non-violence (désobéissance civile, boycott des produits britanniques, refus de l’impôt,
marches de protestation), prêchée par Gandhi, est à mettre en relation avec le contexte culturel indien. D’autres, au
contraire, prônent la rupture. Dans ce cas, les stratégies violentes ne sont pas exclues. Ainsi, Hô Chi Minh, au Viêtnam,
préconise une stratégie révolutionnaire de rupture.
Les mouvements d’indépendance vont se structurer autour de personnalités issues des nouvelles classes sociales nées
de la colonisation : Sékou Touré (Guinée) est venu à la lutte politique par le syndicalisme ouvrier, Ferhat Abbas (Algérie)
ou Houphouët-Boigny (Côte-d’Ivoire) sont issus de cette bourgeoisie qui se heurte aux statuts politiques inférieurs
imposés par les blancs. Plus que la Première Guerre mondiale, le second conflit mondial a profondément ébranlé l’ordre
colonial et donné une audience nouvelle aux mouvements d’émancipation. En Inde, le parti du Congrès lance dès 1942 le
mouvement Quit India. L’année suivante, Ferhat Abbas, à la tête du MLN (Mouvement de libération nationale), publie le
Manifeste du peuple algérien remis à Eisenhower. Les Tunisiens font leur unité autour d’Habib Bourguiba et du néoDestour (fondé en 1934). Au Maroc, le Parti de l’Indépendance (L’Istiqlal) est fondé en 1944. La fin de la guerre est
marquée par de nombreux incidents. Des émeutes éclatent en Algérie, dans la région de Sétif, le 8 mai 1945, jour même
de la capitulation de l’Allemagne. Elles sont violemment réprimées (103 victimes européennes contre 5 000 victimes
algériennes). Le 17 août 1945, Sukarno proclame d’indépendance de l’Indonésie et, le 2 septembre de la même année, Hô
Chi Minh proclame celle du Vietnam.
C. Les réactions des métropoles.
Les métropoles coloniales prennent conscience des changements intervenus et adoptent deux attitudes différentes :
l’acceptation ou le refus.
La Grande-Bretagne accepte assez facilement l’évolution du lien de sujétion politique, dans la mesure où ses intérêts
économiques sont préservés. Il s’agit d’une politique d’association (indirect rule). Dans un grand nombre de cas,
l’indépendance est octroyée sans heurt et la plupart des colonies émancipées continuent d’entretenir des liens privilégies
avec la Grande-Bretagne dans le cadre du Commonwealth (association d’Etats réunis librement par leur allégeance à la
Couronne britannique, créé en 1926 par la Balfour Formula et organisé juridiquement par le statut de Westminster en
1931).
Dans d’autres cas, les métropoles ont adopté une attitude de fermeté et refusent de reconnaître les aspirations des
peuples dominés. C’est par la force que les Pays-Bas ou la Belgique ont tente de sauvegarder leurs intérêts en Indonésie
ou au Congo. C’est une attitude de fermeté qui a été adoptée par la France en Indochine, où se posait la question de
l’endiguement du communisme, et en Algérie où l’existence d’une forte communauté européenne, les pieds-noirs,
souvent installés depuis plusieurs générations, a rendu l’affrontement inévitable. Cette attitude ferme est souvent la
conséquence d’une politique d’assimilation ne préparant pas la métropole à la rupture. Ainsi, un sondage réalisé auprès
des lycéens au lendemain de la Seconde Guerre mondiale révèle que 85% d’entre eux estiment que la France peut être
fière de son œuvre dans les colonies et que 84% pensent que la France a intérêt à maintenir ses liens avec son empire.
Malgré des réactions diverses de la part des métropoles, l’émancipation des colonies devient un mouvement
incontrôlable.
II. L’accès des colonies à l’indépendance.
Le processus d’accès à l’indépendance commence en 1945 en Asie, puis s’étend à l’Afrique, où les dernières colonies,
l’Angola et le Mozambique, possessions portugaises, acquièrent leur souveraineté en 1975. Cette évolution a été acquise
par la négociation ou a résulté de guerres particulièrement douloureuses.
A. Les premiers règlements.
Dès 1945, c’est sous la pression de la communauté internationale que se produisent les premières indépendances.
L’ONU joue un rôle de médiateur dans l’accession à l’indépendance des colonies des vaincus de la Seconde Guerre
mondiale. C’est le cas pour l’Ethiopie, en 1945, et la Libye, en 1951. L’ONU intervient aussi dans les crises qui secouent
le Proche-Orient. La Syrie et le Liban, mandats français, accèdent à l’indépendance dès août 1945. Le problème qui se
pose ensuite est celui de la présence britannique dans la région. La Transjordanie devient indépendante en 1946. L’Egypte
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aspire à recouvrer une souveraineté totale, alors que les mouvements sionistes de Palestine engagent une action de
guérilla qui débouche sur le projet de partage de la Palestine en deux entités. Israël voit ainsi le jour et proclame son
indépendance en mai 1948.
Après cette première vague d’indépendances, deux situations sont possibles : les indépendances négociées et les
indépendances arrachées.
B. Les indépendances négociées.
Même si toute décolonisation a toujours été marquée par des actes de violence, un certain nombre d’indépendances ont
été le résultat d’un processus de négociation.
En Asie, la Grande-Bretagne cède très rapidement aux revendications des populations de ses colonies. Dès 1940, elle
avait formulé des promesses d’accession au statut de dominion et au self-government (responsabilité de la politique
intérieure), et, en 1945, l’arrivée au pouvoir du gouvernement travailliste, dirige par Clément Attlee, crée un climat
favorable à l’ouverture de négociations. Ainsi, le principe de l’indépendance de l’Inde est rapidement accepté après
d’importantes campagnes de « désobéissance civile », mais sa réalisation est retardée par l’éclatement d’une guerre civile
qui se solde par la partition de l’Inde en deux Etats, le 15 août 47 : l’Union indienne d’une part, Etat laïque dirigé par
Nehru du parti du Congrès, le Pakistan, d’autre part, Etat musulman dirigé par Ali Jinnah de la Ligue musulmane. Le
tracé des frontières provoque, entre 1947 et 1950, la mort de plus de 1 million de personnes et le transfert de 12 millions
d’Indiens et de Pakistanais. Dans la même logique, les Britanniques accordent leur indépendance à Ceylan (Sri Lanka) et
à la Birmanie (1948). Ces nouveaux Etats, sauf la Birmanie, adhèrent tous au Commonwealth et conservent des relations
privilégiées avec l’ancienne métropole.
La décolonisation de l’Afrique noire se déroule aussi selon des modalités pacifiques. Dès 1945, Nkrumah, s’inspirant
de la méthode indienne, propose un modèle de décolonisation qui refuse tout recours à la violence. Il obtient
l’indépendance du Ghana (Gold Coast) dès 1957 et multiplie les initiatives, dans le cadre de conférences panafricaines, en
faveur de l’émancipation totale de son continent. C’est aussi une voie négociée que la France adopte en faveur de ses
colonies d’Afrique noire. Dès 1944, le général de Gaulle avait promis, dans son discours de Brazzaville, une évolution du
statut des colonies. En 1946, celles-ci obtiennent, dans le cadre de l’Union française, le statut de « territoires d’outremer » et donc le droit d’élire des représentants à l’Assemblée nationale (Senghor et Houphouët-Boigny). La loi-cadre
Deferre du 23 juin 1956 permet une évolution vers l’autonomie (assemblées territoriales élues au suffrage universel et un
exécutif dont le vice-président est le véritable représentant des populations indigènes). En 1958, un pas décisif est
franchi : les colonies, sauf la Guinée qui accède à l’indépendance, sont intégrées au sein de la nouvelle Communauté
française et obtiennent la possibilité d’accéder à l’indépendance par autodétermination, ce qu’elles font toutes à partir de
1960. En 1963, l’essentiel de l’Afrique est émancipé.
Certaines indépendances négociées sont précédées de troubles. La Malaisie et Singapour obtiennent leur indépendance
en 1957 après la victoire des Britanniques contre une guérilla communiste et intègrent le Commonwealth. En 1947, à
Madagascar, la répression des émeutes contre la présence française fait entre 80 000 et 100 000 morts mais l’île finit par
obtenir l’indépendance en 1960. Au Kenya, les Britanniques cèdent aux revendications des indépendantistes (1952) après
une décennie de violences (révolte des Mau Mau), alors que l’indépendance de la Rhodésie, en 1964, se fait au prix d’un
éclatement de la colonie entre Rhodésie, Zambie et Malawi. La violence explose également au Congo belge, où
l’accession à l’indépendance, en juin 1960, proclamée par Joseph Kasavubu, président de la République soutenu par les
Américains, et son Premier ministre soutenu par les Soviétiques, Patrice Lumumba, est à l’origine d’une guerre civile qui
se solde par l’assassinat de Patrice Lumumba et par la tentative de sécession du Katanga. Le calme ne reviendra qu’avec
l’arrivée au pouvoir et la dictature du général Mobutu en novembre 1965.
Dans certains cas, la lutte pour l’indépendance ne se limite pas à quelques émeutes mais prend la forme de véritables
guerres de libération nationale.
C. Les indépendances arrachées.
La décolonisation a aussi provoque des guerres douloureuses. Ce sont la France, avec deux guerres successives, et les
Pays-Bas qui ont connu les crises les plus graves.
L’Indonésie et l’Indochine, occupées toutes deux par les Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, font l’objet de
véritables guerres de reconquête une fois la paix revenue. En Indonésie, Sukarno, leader du parti national, proclame
l’indépendance des Etats-Unis d’Indonésie. Les Néerlandais cherchent cependant à reprendre pied dans leur ancienne
colonie à partir de 1947 (création d’une fédération d’Indonésie, partage de la gestion des îles de l’archipel entre
Néerlandais et Indonésiens, division des Indonésiens, interventions armées). Ils y renoncent finalement en décembre
1949, lors des Accords de La Haye, sous la pression de la résistance indonésienne, de l’ONU et des Etats-Unis, ces
derniers rassurés par l’écrasement des communistes indonésiens. Une situation similaire se retrouve en Indochine, où Hô
Chi Minh proclame l’indépendance de son pays, le 2 septembre 1945, tout en recherchant le maintien de liens avec la
France, ce que la France paraît accepter en reconnaissant le nouvel Etat comme associé au sein de l’Union française (6
mars 46). Cependant, la montée des tensions sur place pousse la France à choisir finalement une stratégie de force pour
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imposer le maintien de ses prérogatives. L’affrontement donne lieu à une véritable guerre qui dure de 1946 à 1954 et se
termine par la défaite des Français à Diên Biên Phu, le 7 mai 1954. Le Vietnam accède à l’indépendance, lors des accords
de Genève des 20 et 21 juillet 1954, mais est partagé en deux de part et d’autre du « rideau de bambou » (17e parallèle).
Le Vietnam du Nord, communiste, dirigé par Hô Chi Minh, s’oppose au Vietnam du Sud, dirigé par le nationaliste Ngô
Dinh Diêm, soutenu par les Américains, qui se sont substitués à la France dans la région. Par la même occasion, le
Cambodge et le Laos obtiennent l’indépendance.
Alors qu’au Maghreb, en dépit de vives tensions (attentats, emprisonnements de Bourguiba et du sultan Ben Youssef),
la Tunisie et le Maroc accèdent à l’indépendance dès mars 1956 (discours de Carthage de Pierre Mendès-France du 31
janvier 54 promettant l’autonomie interne), la décolonisation de l’Algérie s’est réalisée dans des conditions dramatiques.
Les aspirations à l’indépendance du peuple algérien se heurtent ici à la résistance de la nombreuse communauté
européenne (1 million de « pieds-noirs » sur 10 millions d’habitants) souvent installée depuis plusieurs générations. En
effet, l’Algérie est la seule colonie divisée en départements. Ces aspirations se radicalisent donc et l’insurrection, qui
couve depuis 1945, éclate en novembre 1954 (Toussaint rouge) sous la direction de l’ALN (Armée de Libération
Nationale), bras armé du FLN (Front de Libération Nationale, créé en 1954). La France s’engage alors dans une véritable
guerre (envoi des appelés du contingent, jusqu’à 400 000 soldats), où les méthodes utilisées des deux côtés (torture ou
répression aveugle de la France contre attentats et meurtres de l’ALN) ont soulevé l’indignation de la communauté
internationale. Le conflit, qui a suscité en 1958 une grave crise politique et la chute de la IVe République, se solde par les
accords d’Evian, le 18 mars 1962, par lesquels l’indépendance est reconnue à l’Algérie malgré l’opposition des militaires
(putsch des généraux en avril 61) puis de l’OAS (Organisation Armée Secrète ; attentat du Petit-Clamart 22 août 62). En
juillet 1962, un million de « pieds-noirs » et de harkis quittent le pays.
C’est enfin également par la force que les deux dernières colonies du continent africain, l’Angola et le Mozambique,
se libèrent de la tutelle portugaise en 1975 avec le soutien de l’URSS et de la Chine, suite à la révolution des œillets du 25
avril 74. Il faudrait aussi ajouter le cas particulier de l’Afrique australe anglophone où les populations blanches ont
longtemps lutté contre l’acquisition de l’égalité des droits pour les populations noires, après l’indépendance. En Rhodésie
du Sud, les colons blancs qui avaient proclamé l’indépendance à leur profit en 1965 capitulent en 1980 lorsque le pays
devient le Zimbabwe gouverné par la majorité noire. En République sud-africaine, l’apartheid ne disparaît qu’en 1991.
Enfin, ce n’est qu’en 1990 que la Namibie, sous mandat sud-africain, obtient son indépendance.
Alors que les métropoles ne tiennent plus à conserver des territoires coûteux à entretenir à un moment de croissance
économique et d’intégration européenne, les nouveaux Etats du Tiers monde vont devoir s’organiser pour se faire
entendre des grandes puissances.
III. Le Tiers-monde.
Le Tiers monde rassemble des pays, issus pour la plupart de la décolonisation, qui ont cherché à délivrer un message
politique nouveau. L’hétérogénéité de ce groupe, sur les plans politique autant qu’économique, a finalement contrarié les
tentatives d’organisation et empêché la réduction du fossé Nord-Sud.
A. L’émergence du Tiers-monde.
Dans un premier temps, le Tiers monde est constitué des Etats d’Asie (1947, 25 pays réunis à la conférence de New
Delhi), puis de ceux d’Afrique, au fur et à mesure que ceux-ci accèdent à l’indépendance. Ainsi, parmi les Etats
fondateurs de l’ONU, on rencontre le groupe des Etats arabo-musulmans (Ligue arabe créée en 1945), de l’Egypte à
l’Iran, qui, rejoignant les nouveaux Etats asiatiques, soutient avec succès la lutte des Indonésiens pour l’indépendance.
Elargie en 1950 à l’Ethiopie et au Libéria, il devient le groupe afro-asiatique qui se divise au moment de la guerre de
Corée sur un engagement ou non aux côtés des Etats-Unis. A partir des années 1960, ils sont rejoints par les Etats
d’Amérique latine, qui, bien qu’indépendants depuis le XIXe siècle, présentent des caractères communs avec eux. Tous
ces pays se refusent à constituer un nouveau bloc, mais n’en expriment pas moins des aspirations politiques nouvelles.
Nouvellement indépendants, ces Etats font leur entrée à l’Assemblée Générale des Nations unies, qui leur apparaît
comme une première tribune d’expression. Cependant, exclus du pouvoir de décision malgré l’augmentation du nombre
des membres au Conseil de Sécurité en 1966, ils recherchent des modes d’expression plus spécifiques. La conférence
réunie à Bandung, en Indonésie, en avril 1955, à l’initiative de grandes figures comme Sukarno ou Nehru, va réunir 29
nations indépendantes (50% de l’humanité mais 8% des richesses) dont les cinq initiateurs (Indonésie, Inde, Pakistan,
Birmanie, Ceylan). Trois grands thèmes dominent les travaux : le colonialisme, le neutralisme et le développement
économique et culturel. Si la condamnation du colonialisme et la nécessité d’assurer le développement font l’unanimité,
le non-alignement soulève de vives controverses. Les nations présentes se divisent en trois grandes tendances : prooccidentale (Turquie…), pro-communiste (Chine…) et neutraliste (Inde…). Aussi, l’accord final n’est-il qu’un
compromis sur des principes généraux cependant Bandung représente, aux yeux de l’opinion internationale, l’émergence
du Tiers monde.
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Dans les années 1950, les pays du Tiers monde remportent plusieurs victoires. Ils sont reconnus sur la scène
internationale, sont entraînés par des leaders charismatiques et soutenus par les intellectuels progressistes du monde
occidental. La décolonisation s’accélère et apparaît comme un mouvement irrésistible et légitime. Elle vient accroître le
nombre des Etats qui se réclament du Tiers monde. En Egypte, Nasser, qui a pris en main le destin de son pays, parvient
en 1956 à imposer la nationalisation du canal de Suez, face aux anciennes métropoles coloniales que sont la France et la
Grande-Bretagne. En 1960, les non-alignés vont voter à l’ONU la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux. Mais cette reconnaissance et cette force du Tiers monde ne vont pas durer.
B. L’impossible unité.
Envisagé dans la dynamique de Bandung, le mouvement des non-alignés naît officieusement, en 56, lors d’une
rencontre dans l’île de Brioni, en Yougoslavie, entre Nehru, Nasser et Tito puis officiellement, à la conférence de
Belgrade en 1961, vingt-cinq pays qui entendent jouer un rôle sur la scène internationale. Contre la guerre froide, ceux-ci
prônent la coexistence pacifique. Dans les faits, cependant, ces pays ne peuvent échapper à la logique bipolaire, renforcée
par la dépendance dans laquelle ils se trouvent souvent à l’égard des pays industrialisés. Le mouvement est traversé par
des antagonismes idéologiques qui s’accroissent dans les années 1960. En dépit des principes proclamés, les pays qui y
adhèrent n’échappent pas aux conflits comme celui qui éclate entre l’Inde et le Pakistan. Dans le climat de la détente, le
mouvement perd de son utilité malgré l’augmentation du nombre de ses membres (25 en 1961, 53 en 1970, 92 en 1979) et
se tourne vers la lutte contre le sous-développement (conférence d’Alger en 73). Pour réussir à se développer, les pays
indépendants optent pour des stratégies d’industrialisation inspirée du modèle socialiste mais rapidement deux solutions
s’offrent à eux : exporter des matières premières et des produits agricoles sans pouvoir peser sur les cours mondiaux ou
s’endetter (dette extérieur du Tiers monde passant de 12 à 78 milliards de dollars de 45 à 71) et dépendre de l’aide
internationale. Dans les deux cas, les Etats du Tiers monde dénoncent ce néo-colonialisme qui maintient la dépendance
économique.
Dans le même temps, les pays du Tiers monde se structurent dans le cadre d’organisations régionales. Si la Ligue
arabe, prônant le panarabisme, voit le jour dès 1945, de nouvelles instances apparaissent dans les années 1960. Ainsi,
l’OUA (Organisation de l’unité africaine), fondée en 1963 et rassemblant à l’origine près de trente Etats africains
nouvellement indépendants, proclame des principes proches de ceux de la charte des Nations unies, envisage dans un
avenir plus ou moins proche de réaliser l’unité africaine (devenue en 2001 l’Union africaine) mais son efficacité reste très
limitée. L’organisation la plus originale reste cependant l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), fondée
en 1960 à l’initiative du Venezuela, et dont les membres les plus importants sont les pays du golfe Persique, comme
l’Arabie Saoudite. Elle exprime la volonté de maîtriser la production et les cours du prix du pétrole, devenu la principale
ressource énergétique malgré les réticences des pays occidentaux face à ce type de politique (coup d’Etat de 1951 mené
par la CIA contre Mossadegh). En 1967, les pays asiatiques se regroupent au sein de l’ASEAN / ANASE (Association des
nations de l’Asie du Sud-Est).
Les divisions idéologiques s’exacerbent lors de la conférence de La Havane, à Cuba, qui entend réunir, en 1966, les
peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. Fidel Castro prône la révolution comme seule voie d’émancipation
(« créer deux, trois, de nombreux Vietnam » - Che Guevara), contre l’avis de puissances modérées. Le Tiers monde se
divise finalement en deux camps opposés, l’un pro-occidental, l’autre procommuniste, à la recherche l’un et l’autre d’une
aide. Par exemple, en Amérique latine, l’OEA (Organisation des Etats américains), créée en 1948, s’oppose à l’OLAS
(Organisation latino-américaine de solidarité), créée en 1966 à La Havane. Le rêve d’unité a vécu. Le Tiers monde se
déchire en outre dans une multitude de conflits qui secouent l’Asie ou l’Afrique à partir du milieu des années 1970 et vont
conduire à son éclatement.
C. L’éclatement du Tiers-monde.
La crise des années 1970, qui frappe de façon très inégale les pays du Tiers monde, porte un coup fatal aux espoirs
d’unification. Les pays exportateurs de pétrole bénéficient des deux chocs pétroliers et connaissent un fabuleux
enrichissement. Les pays de l’arc asiatique (NPI, nouveaux pays industrialisés), entraînés par le Japon, bénéficient des
délocalisations industrielles et connaissent également une forte croissance économique. A l’inverse, un grand nombre de
pays qui tirent l’essentiel de leurs ressources de l’exportation de matières premières, agricoles ou minérales, dont les prix
s’effondrent (dégradation des termes de l’échange), pénalisés par le surenchérissement du prix du pétrole, s’enfoncent
dans la pauvreté. Ils constituent les PMA (pays les moins avancés : PIB/hab. < 500 $, contribution de l’industrie au PNB
inférieure à 10%, taux d’alphabétisation inférieur à 20%).
La situation de crise est aggravée par les déséquilibres qui caractérisent les économies des pays en développement. Les
efforts faits pour lutter contre le sous-développement sont contrariés par l’explosion démographique qui affecte les pays
les plus pauvres. L’absence de capitaux ou la dépendance technologique sont à l’origine d’un fort endettement, alors que
la pénurie de cadres est un frein à la mise en œuvre de programmes de développement. Dans de nombreux cas, une fois
l’indépendance acquise, les régimes politiques émergents se transforment en dictatures. Les conflits (Biafra, Rwanda,
Cachemire…) liés à l’absence de cohésion nationale (oppositions religieuse, ethnique) ou à la remise en cause des
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frontières héritées de la période coloniale sont à l’origine d’un surarmement coûteux qui aggrave les difficultés
structurelles. Dans certains cas, enfin, une solution a consisté dans le rejet du modèle occidental. Le monde araboislamique est ainsi travaillé par l’essor de l’islamisme, qui, en Iran, parvient à accéder au pouvoir en 1979, avec l’imam
Khomeiny. Cette situation d’instabilité est aussi favorisée par les pays riches qui y voient un moyen de préserver leurs
intérêts.
La question de l’aide aux pays du Tiers monde a été posée dès 1964 avec la création de la CNUCED (Conférence des
Nations unies sur le commerce et le développement) et du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD),
en marge desquels se sont constituées des associations de pays en développement comme le groupe des 77. Les
conférences qui se sont tenues dans ce cadre n’ont donné aucun résultat probant. En septembre 73, à la conférence
d’Alger, les non-alignés dénoncent le pillage des ressources naturelles par les pays riches, réclament le droit d’exploiter
directement les matières premières et de se les voir payer à un prix permettant les transferts de technologies. En avril 74,
s’ouvre à l’ONU une session extraordinaire appelant à la mise en place d’un « nouvel ordre économique international »
(NOEI – souveraineté de chaque Etat sur ses ressources et activités, instauration de mesures d’exception en faveur des
pays pauvres : tarifs douaniers préférentiels, aide substantielle compensant les préjudices de la colonisation, 1% du PIB
des PID versé en APD). Des accords sont intervenus dans le cadre de rencontres multilatérales, comme la convention de
Lomé, conclue entre CEE et pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), ou bilatérales, entre une ancienne métropole et ses
ex-colonies. La France, par exemple, a maintenu des liens de coopération très étroits avec un grand nombre de pays
d’Afrique noire. Le dialogue Nord-Sud se heurte cependant aux problèmes structurels, notamment au surendettement. En
1995, la dette du Tiers monde était estimée à plus de 2 000 milliards de dollars, et une cinquantaine de pays étaient
considérés en état de surendettement prolongé. Au total, l’aide s’est avérée très insuffisante, et les disparités vont
croissant autant entre Nord et Sud qu’entre pays du Sud.
Profitant d’un contexte favorable, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale et au début de la Guerre froide, les
colonies européennes obtiennent leur indépendance, en fonction de l’attitude de la métropole, après une émancipation
négociée ou après une guerre de libération nationale. Une fois, l’indépendance obtenue, tout est à construire : les Etats
doivent se structurer à l’intérieur et s’organiser à l’extérieur.
La fin de la guerre froide a vidé d’une partie de son sens la notion de Tiers Monde. De plus, l’échec du mouvement
des non-alignés en raison des trop fortes divergences entre ses membres illustre parfaitement la grande diversité de
situations que l’on peut rencontrer dans le Tiers monde. Aussi, parlera-t-on maintenant des Suds plus que du Tiers
Monde.
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