Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
11 MARS 2015
P.14.1677.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° P.14.1677.F
B. E., .
prévenu,
demandeur en cassation,
ayant pour conseils Maîtres Patrick Thevissen, avocat au barreau d’Eupen, et
Melissa Sayeh, avocat au barreau de Bruxelles.
I.
LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
Le pourvoi, rédigé en allemand, est dirigé contre un arrêt rendu en cette
langue le 16 octobre 2014 par la cour d’appel de Liège, chambre
correctionnelle.
Par ordonnance du 7 novembre 2014, le premier président de la Cour a
décidé que la procédure sera faite en français à partir de l’audience.
Le demandeur invoque deux moyens dans un mémoire annexé au
présent arrêt, en copie certifiée conforme.
Le 2 mars 2015, l’avocat général Damien Vandermeersch a déposé des
conclusions au greffe.
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Le 10 mars 2015, le demandeur a déposé une note en réponse à ces
conclusions.
A l’audience du 11 mars 2015, le conseiller Gustave Steffens a fait
rapport et l’avocat général précité a conclu.
II.
LA DÉCISION DE LA COUR
Sur le premier moyen :
Quant aux deux premières branches réunies :
Soutenant que la signification d’un jugement n’est régulière que si elle
faite à l’intervention d’un huissier de justice, le demandeur reproche à l’arrêt
de considérer qu’en cas de signification transfrontalière, en l’espèce en
Allemagne, il revient au parquet, en application de l’article 5 de la Convention
du 29 mai 2000 relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les Etats
membres de l’Union européenne, de signifier directement par la poste, sans
intervention d’un huissier de justice, les actes de procédure en matière pénale à
des personnes qui se trouvent sur le territoire d’un autre Etat membre.
La signification d’un acte s’entend de la remise de son original ou de
sa copie, quelle que soit la forme de cette remise du moment qu’elle soit
prévue par la loi.
L’article 5 de la Convention précitée prévoit que chaque Etat membre
envoie directement par la voie postale aux personnes qui se trouvent sur le
territoire d'un autre Etat membre les pièces de procédure qui leur sont
destinées.
Pour que la signification d'un jugement par défaut soit régulière, il
suffit que l’autorité judiciaire adresse l’acte par lettre recommandée à la poste
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avec accusé de réception au domicile ou à la résidence du destinataire à
l'étranger, selon les modalités prévues par cette disposition.
Le moyen manque en droit.
Le demandeur sollicite que soit posée une question préjudicielle à la
Cour constitutionnelle concernant la différence de traitement entre la
signification en Belgique, requérant le recours à un huissier de justice, et celle
à l’étranger, n’exigeant pas une telle intervention.
L’arrêt applique l’article 5 de la Convention du 29 mai 2000 pour
considérer que la signification du jugement dans les formes prévues par cette
disposition est régulière.
La Cour constitutionnelle n’étant pas compétente pour contrôler
directement la compatibilité d’une norme communautaire à la Constitution, la
question n’entre pas dans les prévisions de l’article 26 de la loi spéciale du 6
janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle.
La question ne doit pas être posée.
Le demandeur invite également la Cour à poser quatre questions
préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
L’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
n’impose pas à une juridiction nationale de poser une question préjudicielle à la
Cour de justice de l’Union européenne lorsque l’interprétation de l’acte est
claire, si la question n’est pas pertinente au regard de l’affaire dont elle est
saisie, si la disposition communautaire en cause a déjà fait l'objet d'une
interprétation de la part de la Cour de justice ou encore lorsque l’application
correcte du droit de l’Union européenne s’impose avec une telle évidence
qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.
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La première question demande de savoir si les règles prévues par le
droit de l’Union en matière d’envoi et de remise de pièces de procédure
priment sur celles que prévoit le Code judiciaire en matière de signification.
Conformément à l’article 4 du Traité sur l’Union européenne, et selon
une jurisprudence constante depuis l’arrêt Simmenthal rendu par la Cour de
justice le 9 mars 1978, les dispositions du Traité et les actes des institutions
directement applicables ont primauté sur les règlementations nationales et ont
pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres, de
rendre inapplicable de plein droit, du fait même de leur entrée en vigueur, toute
disposition contraire de la législation nationale.
Eu égard à l’interprétation de la Cour de justice sur le point de droit
visé, Il n’y a pas lieu de poser cette question.
Contrairement à ce que soutient la deuxième question préjudicielle,
l’article 5 de la Convention du 29 mai 2000 ne délègue pas au législateur
national la détermination des modalités de la signification transnationale des
pièces de procédure mais les fixe lui-même en disposant que chaque Etat
membre envoie directement, par la voie postale, aux personnes qui se trouvent
sur le territoire d'un autre Etat membre, les pièces de procédure qui leur sont
destinées.
La question relative à l’éventuelle délégation aux Etats membres de
ces modalités est, au regard de l'article 267 du Traité, sans objet.
Il ne saurait être contesté qu’un jugement constitue une pièce de
procédure au sens de l’article 5 de la Convention, de sorte que la troisième
question ne doit pas être posée.
La quatrième question a pour objet le point de savoir si l’envoi de la
copie conforme d’un jugement répressif belge à un destinataire domicilié en
Allemagne est constitutif d’une signification, au sens attribué à cette notion par
le droit européen.
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Dans la liste des actes de procédure pouvant être transmis directement
par voie postale en vertu de l’article 52 de la Convention d’application de
l’Accord de Schengen du 14 juin 1985, figuraient les actes de signification
d’arrêt, de jugement et d’ordonnance. L'article 2.2 de la Convention du 29 mai
2000 dispose notamment que les dispositions de l'article 52 de la Convention
d'application Schengen sont abrogées. Pour les relations entre les Etats de
l’Union européenne qui ont ratifié la Convention du 29 mai 2000, l’article 5 de
cette Convention s’est donc substitué à l’article 52 précité.
L’interprétation de la disposition conventionnelle ne laissant place à
aucun doute raisonnable, il n’y a pas lieu de poser la quatrième question
préjudicielle.
Quant à la troisième branche :
Le moyen reproche à l’arrêt de méconnaître la portée de l’article 5 de
la Convention du 29 mai 2000 en n’opérant pas, en ce qui concerne les délais
pour former opposition, la distinction entre la signification faite à la personne
du condamné et celle qui est faite selon un autre mode.
Contrairement à ce que le demandeur soutient, la signification
réalisée, comme en l’espèce, par envoi recommandé à la poste n’est pas censée
être faite à personne au sens de l’article 33, alinéa 2, du Code judiciaire et ne
peut donc faire courir le délai ordinaire d’opposition.
Il en résulte que les distinctions opérées par l’article 187 du Code
d’instruction
criminelle
sont
d’application
en
cas
de
signification
transfrontalière réalisée conformément à l’article 5 précité.
Le délai extraordinaire d’opposition prévu par l’article 187, alinéa 2,
prend cours le jour où le prévenu a pris connaissance de la signification qui lui
a été faite en application de l’article 40 du Code judiciaire. Ce délai est
augmenté, pour les personnes visées par l’article 55, 2°, du même code, du
délai de quinze jours fixé par cet article.
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L’arrêt constate que le demandeur, domicilié en Allemagne et sans
résidence ni domicile élu en Belgique, a eu connaissance de la signification du
jugement le 3 mai 2013 et que l’exploit d’opposition a été signifié le 10 juin
2013.
Il en résulte que les juges d’appel ont régulièrement motivé et
légalement justifié leur décision de dire cette opposition irrecevable.
Le moyen ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Le moyen est pris de la violation des articles 6 et 13 de la Convention
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que
32 et 40 du Code judiciaire. Le demandeur soutient que la décision
d’irrecevabilité de son opposition pour cause de tardiveté le prive du droit à un
procès équitable et du droit d’accès à la justice. Il allègue à cet égard que la
signification par envoi postal recommandé, hors intervention d’huissier,
mentionnait à tort l’information selon laquelle le délai d’opposition courait à
partir de cette signification, dès lors que seul un huissier pouvait légalement
poser cet acte.
Reposant sur la prémisse inexacte que toute signification ne peut
s’opérer de façon régulière que par voie d’huissier, le moyen manque en droit.
Le contrôle d’office
Les formalités substantielles ou prescrites à peine de nullité ont été
observées et la décision est conforme à la loi.
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PAR CES MOTIFS,
LA COUR
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux frais.
Lesdits frais taxés à la somme de quatre-vingt-sept euros cinquante et un
centimes dus.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre, à Bruxelles, où
siégeaient Frédéric Close, président de section, Benoît Dejemeppe, Pierre
Cornelis, Gustave Steffens et Françoise Roggen, conseillers, et prononcé en
audience publique du onze mars deux mille quinze par Frédéric Close,
président de section, en présence de Damien Vandermeersch, avocat général,
avec l’assistance de Fabienne Gobert, greffier.
F. Gobert
F. Roggen
G. Steffens
P. Cornelis
B. Dejemeppe
F. Close