ADAMA YEO - Côte d`Ivoire - enseignant

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ADAMA YEO - Côte d`Ivoire - enseignant
ADAMA YEO - Côte d'Ivoire - enseignant chercheur à Bouaké
Extrait du ZigZag magazine
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ADAMA YEO - Côte d'Ivoire enseignant chercheur à
Bouaké
- Chroniques -
Date de mise en ligne : vendredi 18 mars 2011
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ADAMA YEO - Côte d'Ivoire - enseignant chercheur à Bouaké
Adama Yeo, ivoirien, enseignant chercheur à
l'université de Bouaké
Docteur Ph.D- droit public, enseignant chercheur à l'université de Bouaké ;
Chargé de l'animation socioculturelle de l'Université de Bouaké
Président de l'ONG PDHRE-CI (Mouvement des Peuples pour l'Apprentissage des droits Humains-Côte d'Ivoire) ;
Secrétaire général adjoint de la COSOPCI (Coalition de la Société Civile pour la Paix et de le développement
démocratique)
28 avril 2011
DES SENTIERS DE LA RÉCONCILIATION EN COTE D'IVOIRE
L'affrontement entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara a donné lieu à de nombreux massacres. La ville de Duékoué
semble avoir payé la plus lourde tribu de la crise post électorale. N'est-pas pourquoi d'aucuns affirment que cette
ville détient la clé de la réconciliation de la Côte d'Ivoire ?
La réconciliation attendue par tous les ivoiriens, doit être pensée à une échelle nationale. Au surplus, certains
sentiers semblent incontournables pour le retour au développement durable. Ce sont notamment :
1. LES RELIGIEUX
« Laurent GBAGBO est une incarnation de Jésus-Christ ». Telle est la « révélation » faite par certains pasteurs
reprise en écho par la Radio Télévision Ivoirienne.
Certains Évêques, dont la source d'inspiration reste à déterminer avaient dans une déclaration le 03 janvier 2010
relative à l'intervention armée prévue en Côte d'Ivoire par l'organisation sous régionale ouest africaine, s'étaient,
avant cette terrible révélation, engagés à soutenir le régime de Laurent GBAGBO. Faite en marge du forum des
confessions religieuses, cette déclaration avait suscité bien des inquiétudes. Non seulement elle tranchait avec
l'habitude qui nous avait été donné de voir ensemble les religieux porter les messages de paix, démentant ainsi
l'opinion selon laquelle le drame vécu par notre pays reposait sur un conflit religieux mais aussi et surtout elle
remettait en cause aux yeux de beaucoup d'ivoiriens le rôle de l'Eglise dans la recherche de la paix post électorale. «
Quand l'argent remplace Dieu comment pouvait-il en être autrement ? » s'interrogent toujours certains ivoiriens ?
En outre, l'Eglises catholique a fait preuve d'un silence coupable face à l'assassinat d'Imams et l'incendie de
plusieurs mosquées dans les quartiers d'Angré, de Yopougon pour ne citer que ceux-là.
Il faut réconcilier l'Eglise avec les ivoiriens, me semble-t-il. Dans cette perspective, la lettre de l'Archevêque d'Abidjan
Koutouan, lue dans les Eglises, à présent, marque un pas vers le pardon.
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Reste que l'Eglise pourrait et doit mieux faire dans cette période de chassé-croisé de la vérité et de la réconciliation.
2. LES ARTISTES
« La plus belle oeuvre, c'est celle qui unit » dit-on. C'est donc à juste titre que le dictionnaire Le nouveau Petit
Robert de la langue française, définit l'artiste comme une personne qui se voue à l'expression du beau, pratique les
beaux-arts, l'art. On le voit, l'artiste de par son oeuvre est censé participer pleinement à l'épanouissement social de
l'être humain.
Malheureusement parfois, cette fonction est dévoyée par certains artistes. Leurs oeuvres divisent plus qu'elles
n'unissent. Il en a été ainsi lors de la campagne électorale en Côte d'Ivoire. La corporation des artistes est scindée
en deux grandes parties : l'une soutenait l'ex-chef d'Etat, Monsieur Laurent GBAGBO et s'est fait appelée « les
artistes patriotes »et l'autre, du coté du Rhdp, et baptisée les « artistes Rhdp ».
Un artiste n'a pas de parti politique. Son camp, c'est le peuple. Les artistes ivoiriens dans la grande majorité se sont
écartés violemment des attentes de la société ivoirienne.
A l'heure de la réconciliation, il parait impérieux que l'art retrouve sa place d'instrument fédérateur.
3. LE FONCIER RURAL
Les interprétations divergentes de la loi de 1998 relative au domaine -foncier réduisent les chances de sa mise en
oeuvre. En effet, pour les populations autochtones, cette loi permet de se réapproprier les terres bradées ; pour les
allochtones, la loi de 98 est plutôt un moyen efficace de sécuriser les parcelles acquises ; pour les populations
non ivoiriennes enfin, la loi vise leur expropriation. La récurrence des conflits fonciers dans les zones du Sud-Ouest
témoignent de la difficile mise en oeuvre du texte. Il s'agit donc d'aider à la compréhension du texte voire de sa
relecture.
4. LA CHEFFERIE TRADITIONNELLE
Le chef est un rassembleur, une sorte de poubelle comme diraient certaines communautés. Réceptacle, il doit
accueillir les problèmes de tous ses sujets sans aucune exclusive en vue d'y apporter les solutions les plus sages.
Quand il devient un acteur clé du phénomène partisan, dans l'arène politique où l'éthique est souvent mise à rude
épreuve, il devient un facteur de désunion de sa communauté.
Et pourtant il n'est pas rare d'assister à des scènes publiques humiliantes pour des chefs traditionnels qui s'installent
autour de la soupe de la politique partisane. Pour la réconciliation, la chefferie traditionnelle devra redorer son
blason. Dans cette perspective, le régime du Président Alassane OUATTARA ne devrait-il pas contribuer à la
réorganisation du pouvoir traditionnel ? Face au recul des valeurs de notre société, ne devrait-on pas accorder une
attention soutenue à la reconstruction du pouvoir dans nos villages ? Les chefferies traditionnelles ne doivent-elles
pas bénéficier de soutien ?
5. LA SOCIÉTE CIVILE IVOIRIENNE
« Les droits de l'homme, ce sont les droits des autres », écrivait Vladmir Jankélévitch. Les autres, ce sont d'abord
ceux qui ont le plus besoin de nous, les plus vulnérables, les plus fragiles pour qui se mettent en place des réseaux
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de solidarité, que l'on appelle les ONG. En Côte d'Ivoire, elles ont été d'une grande utilité dans la sensibilisation et
l'éducation des populations sur la citoyenneté. Le taux historique de participation des populations à l'élection
présidentielle (plus de 80 %) n'est-il pas l'un des impacts de leur action sur le terrain ?
Cependant, l'arbre ne doit pas cacher la forêt. Plusieurs organisations piétinent les règles minimales de
fonctionnement des ONG notamment l'impartialité, la neutralité et l'indépendance remettant au gout du jour le
phénomène de GONGO (Governemental non -Governemental Organizations). C'est une pratique qui consiste pour
les gouvernements à mettre en place des ONG pour manipuler les forums auxquels ils ont accès. Ce qui n'exclut
pas la manipulation des populations. Conduisant au néologisme « droits-de-l'hommisme » d'Alain PELLET, ce
phénomène fragilise la contribution de la société civile à la démocratie. C'est pourquoi, il importe pour le Président
Alassane OUATTARA d'honorer son engagement de renforcer la société civile. Certaines ONG qui se sont illustrées
de la plus belle manière dans l'éducation des populations pourraient obtenir le statut d'organisation d'utilité publique
afin de mieux assurer leur fonction de vigilance et de dénonciation, indispensable à la réconciliation.
6. L'ÉCOLE IVOIRIENNE
Pourrait-on interdire la FESC*I ? Certainement non. La liberté de pensée et d'expression sont constitutionnelles (art
19). Mais ses agissements épris de violence et de haine suscitent des réflexions. A tout le moins, les membres de
cette organisation gagneraient à redéfinir ses objectifs afin de faire d'elle un instrument d'amélioration des conditions
d'études dans les établissements primaires, secondaires et supérieurs. Il faut que la discipline soit rétablie dans les
écoles. C'est à ce prix que la FESCI redeviendrait une véritable organisation estudiantine et non le monstre redouté
par les ivoiriens.
* Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire
7. LA JUSTICE IVOIRIENNE
L'intervention des tribunaux constitue une garantie certaine des droits de l'homme, car leur fonctionnement marque
la fin de la vendetta. Pour Anatole France, aujourd'hui, « la loi est morte, mais le juge est vivant ». Malgré la
multitude et la diversité de juridictions en Côte d'Ivoire, l'institution judiciaire ivoirienne n'a pas toujours donné,
d'elle-même, la belle image attendue. Pourtant, l'appareil judiciaire est incontournable dans le processus de
réconciliation nationale.
C'est pourquoi, le régime du Président Alassane OUATTARA, pour réussir la réconciliation devra s'attaquer aux
limites qui minent la justice ivoirienne. Ce sont notamment la non-indépendance des magistrats, les difficiles
conditions de travail de ceux-ci pour ne citer que celles-là.
8. LA FONCTION PUBLIQUE IVOIRIENNE
Minée par la corruption, la fonction publique devra être au dessus des clivages tribaux afin de rectifier l'histoire,
d'offrir une égalité de chances à tous. Dans tous les cas, des réformes s'imposent. Il faut remplacer tous les réseaux
religieux, idéologiques et financiers de recrutement des agents de l'Etat par les sujétions de l'Administration.
L'ivoirien a le droit d'attendre de la fonction publique une certaine performance.
CONCLUSION
Ce ne sont que des pistes de réflexion. Au vrai, la réconciliation dépend de chacun de nous et non d'un quelconque
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programme ou politique. Elle commence par les rapports de bon voisinage. Le régime du Président Alassane
OUATTARA ne devrait être qu'un catalyseur.
24 mars 2011
L'INTERCULTURE EN CôTE D'IVOIRE :
DE LA CONSTRUCTION A LA DÉCONSTRUCTION
INTRODUCTION
Quatre grandes catégories de définitions de la culture se sont dégagées depuis les première heures de
l'Anthropologie classique jusqu'à nos jours (1) . L'intention ici est loin de prétendre pénétrer ce labyrinthe de
définitions. Dans le cadre de cette réflexion, l'on s'en tiendra à l'une des définitions les plus récentes retenue par
l'UNESCO dans la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles lors de la Conférence mondiale tenue sur ce
thème à Mexico du 26 juillet au 6 août 1982 ; pour autant qu'elle prend en compte les constantes intégrantes
matérielle et immatérielle de toute culture : « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme
l'ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un
groupe social. Elle englobe en, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l'être
humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». En d'autres termes, tout ce qui touche à l'homme,
s'explique et se crée par la culture.
Le mot « interculturel » comprend « inter » et « culturel » qui signifient « entre » et « culture ». Jacques Demorgon à
raison a pu écrire que « Lorsque des personnes de cultures différentes interagissent, elles vont mettre en commun
pour communiquer, des éléments culturels qui leur sont propres tout comme certains qui leur sont communs, mais
vont également faire appel à des apports culturels extérieurs à eux. Ce qui permet de dépasser les différences,
sources d'obstacles à la communication, voire de les exploiter pour créer un nouvel espace culturel d'interaction »
(2).
En Afrique, où l'État a précédé la nation, où les cultures identitaires semblent étouffer la construction de la nation,
l'interculture se révèle comme un moyen de prévention des conflits et un prolégomène au développement durable. A
l'appui de cette thèse, prenons le cas de la Côte d'Ivoire : la relative avancée économique appelée « miracle ivoirien
», est passée par la création des conditions de l'interculturel (I). La crise qu'elle traverse depuis le coup d'État de
1999 confirme les inconséquences de la déconstruction de l'interculture (II).
I - LA CONSTRUCTION DE L'INTERCULTURE
L'interculturalité s'est beaucoup développée dans le domaine du management en proposant d'adapter le marketing
des produits à la culture du marché ciblé. En Côte d'Ivoire, l'Interculturalité s'est développée par la promotion du
dialogue inter-ivoirien d'une part et par l'adaptation de la politique agricole à la politique d'immigration, d'autre part.
A - La promotion du dialogue « inter-ivoirien »
L'on se rappelle l'adage baoulé suivant lequel « prendre beaucoup de précautions ne signifie pas avoir peur ».
Chargé de symbole, l'adage porte tout un programme dont la quintessence est le dialogue. Le Président feu Félix
Houphouët Boigny en avait fait un programme politique, une devise nationale. Le dialogue était vu et vécu dans les
instances du parti unique, le PDCI-RDA ; il était retenu pour prévenir les conflits ou les gérer. La plus part des
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pensées du père de la « Nation » que la RTI rappelait avec fierté avant chaque bulletin d'information radiophonique
ou télévisé avaient trait au dialogue culturel. Rappelons quelques unes :
« Le vrai bonheur, on ne l'apprécie que lorsqu'on l'a perdu. Faisons en sorte que nous n'ayons jamais à le perdre
mais au contraire à l'accroitre dans la paix ... » ;
« La paix n'est pas un mot, c'est un comportement » ;
En outre, le dialogue interculturel en temps que moyen de régulation sociale et de réconciliation de la société avec
elle-même, va être institué à l'occasion de certaines crises socio-politiques majeures. C'est l'exemple des journées
du dialogue qui devraient réconcilier les leaders politiques.
Avec beaucoup d'humour et de conviction, chaque grand groupe ethnique était appelé à mettre son génie créateur
au service de la nation en construction : on concédait par exemple au « dioula » l'activité commerciale, au groupe
bété, la musique et le sport etc. La chanson de l'artiste GADJI Celi Saint Joseph intitulée « Côte d'Ivoire 84 », qui
a connu un succès national lors des phases finales de la Coupe d'Afrique des Nations a fait largement écho de
cette forme d'organisation de la société ivoirienne.
Mais, la culture du dialogue interculturel du premier Président de la République de Cote d'Ivoire ne servait-elle pas
de coquille de Bernard-l'hermite à l'idéologie akan qui évoluait comme une toile d'araignée ? La réponse mérite d'être
nuancée. Pour certains, les vastes programmes nationaux d'aménagement du territoire qui ont abouti à l'installation
forcée des baoulés dans les zones Centre-Ouest et Sud-Ouest du pays occupées par les peuples Bakwe et Didas,
ont connu des résultats mitigés (3).
Dans tous les cas, ce rapprochement aura favorisé des alliances matrimoniales débouchant sur un métissage certain
de peuples akan et krou. Le métissage culturel sera renforcé avec l'immigration des ressortissants des pays de la
CEDEAO.
B - La politique agricole ou la promotion de l'interculture
Dans les années 1965-1970, la question de l'accès à la terre n'était pas un problème. La terre était abondante. Selon
le principe coutumier, on ne peut refuser à un individu les moyens lui, permettant d'assurer sa subsistance (4). Cela
favorisait un accès à la terre sans contrainte majeure, à titre gratuit, par « droit de culture » accordé par les
autochtones. De nombreux migrants vont s'installer dans les zones forestières : alors qu'ils représentaient 17.5 % en
1975, en 1998, ils constituent 26 % de la population ivoirienne (5).
Dès lors, les questions relatives à la coexistence pacifique entre allochtones, allogènes et non ivoiriens vont occuper
une bonne place dans les débats d'intérêt national.
Ici comme ailleurs, le Président Félix Houphouët Boigny, par sa capacité de persuasion, son capital de confiance, la
légitimité historique et charismatique dont il dispose auprès de tous, va forcer la cohésion sociale : l'on se rappelle la
rhétorique des années 1965-1970 suivant laquelle « la terre appartient à celui qui la met en valeur » ; de celle suivant
laquelle « la paix n'est pas un vain mot, c'est comportement ». Elles ont eu pour effet de favoriser la coexistence
pacifique entre les peuples, de promouvoir le vivre ensemble et le bien-vivre ensemble harmonieux dans un Etat
multiethnique (6). L'hospitalité était signalée parmi les principales vertus des peuples forestiers de la Cote d'Ivoire.
A partir des années 90, la technique du dialogue à l'ivoirienne, qui servait de véhicule à l'interculture est essoufflée. A
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l'épreuve du vaste mouvement de démocratisation, le consensus social est rompu. Commence alors le processus
inverse : celui de la déconstruction.
I - LA DÉCONSTRUCTION DE L'INTERCULTURE
La mort du Président Félix Houphouët Boigny en décembre 1993, les problèmes de sa succession et les conflits
électoraux ont conduit à la fragilisation du bel édifice de la cohésion sociale. Aujourd'hui, les paroles fortes de notre
hymne national, passent sous silence. Rappelons quelques unes d'elles :
« Salut, ô terre d'espérance
Pays de l'hospitalité...
Si nous avons dans la paix ramené la liberté, notre devoir sera d'être un modèle, de l'espérance promise à
l'humanité. En forgeant uni dans la foi nouvelle la patrie de la vraie fraternité »
Le ver est dans le fruit. Ces paroles de notre hymne national, dont l'idéal est de vivre une vraie fraternité et d'être une
terre d'hospitalité, sont de plus en plus démenties en Cote d'Ivoire. Les causes de ce recul du dialogue culturel ont
été abondamment étudiées. Rappelons quelques unes :
A - La « faim de la terre »
Dans les zones forestières de la Cote d' Ivoire, le nombre de jeunes autochtones sans terre est important. Cette
situation explique leur réticence à accorder suffisamment d'intérêt à l'effectivité de la loi de 98 portant code du foncier
rural. La ferme volonté de ces jeunes de retourner à la terre semble se heurter à la rareté des terres cultivables, à la
« faim de la terre ». Dans ces conditions, toute situation conflictuelle pourrait servir d'opportunité pour récupérer les
terres perdues. Le concept de « l'ivoirité » n'en donne -t-il pas l'illustration ?
B - La négligence fautive de l'autorité administrative
La négligence des autorités dans la gestion du foncier rural a été observée jusqu'en 1998 ; dans la lenteur de la
mise en oeuvre de la loi de 98 (il a fallu attendre un an après pour voir édicter le décret d'application) ; dans
l'inopérationnalité des comités villageois de gestion foncière.
CONCLUSION
Et maintenant ? Dans une situation de crise sans précédent, que faire ? Comment remettre l'ouvrage sur le chantier
? Ne devrions-nous pas apprendre à revivre ensemble ?
Dans l'affirmative, les pistes de réflexion qui suivent pourraient éclairer cette nouvelle initiative :
1. Éviter dans un État multiethnique, l'humiliation. Humilier l'autre, c'est le dégrader, lui ôter toute dignité. Humilier
l'autre, c'est le nier. De là nait un sentiment de frustration ;
2. Reconnaitre que les lois et la Constitution, en tant qu'oeuvres humaines influencées et orientées par les intérêts
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matériels ou idéologiques des groupes sociaux concernés, peuvent être déraisonnables. Dans ce sens, rapprocher
la loi de 98 des réalités villageoises. Solon n'avait-il pas établi la trilogie Constitution, peuple et époque au regard de
laquelle la Constitution doit s'adapter aux changements sociaux. Les constituants de Philadelphie et les
révolutionnaires français de 1791 n'avaient -ils pas définitivement réglé cette question en jugeant indispensable la
révision de la Constitution (7). Au demeurant, le choix du régime politique, dans toute la mesure du possible, doit
tenir compte de l'histoire politique et la psychologie de chaque peuple ; elle doit refléter et être en harmonie avec ces
éléments (8). Il en va ainsi pour toute règle de droit ;
3. Éduquer les populations aux valeurs de la démocratie et de la citoyenneté. Dans le chapitre VIII de son oeuvre La
Politique, le philosophe Aristote affirme avec force : « L'éducation : voilà le véritable problème du législateur ». Que
vaut l'oeuvre du législateur sans éducation des populations ?
Notes :
(1) Lanciné Sylla, Anthropologie de la paix- de la contribution de l'Afrique à la culture de la paix, Les éditons CERAP,
2007, p. 14
(2) Jacques Demorgon, « L'interculturel entre ajustement et engendrement. Pour une cosmopolitique : tribus,
royaumes, nations et monde » in Synergies Pays Germanophones n°2/2009, parution mai 2010 sur le thème :
L'intercuturel à la croisée des disciplines : théories et recherches interculturelles, état des lieux.
(3) Lazarre Koffi Koffi, Sur les traces de la diaspora baoulé, Notre voie, Quotidien ivoirien, n° 432 du 15 octobre
1999, pp. 8-9.
(4) Ghislain Pélibien COULIBALY, « Récurrence des conflits fonciers et efficacité » des instances de régulation dans
la S/P de Bonoua, Mémoire de DESS, CERAP, 2006, p. 10.
(5) Ghislain Pélibien COULIBALY, op. cit.
(6) Jean-pierre Chauveau, Question foncière et construction nationale en Cote d'ivoire- les enjeux silencieux d'un
coup d'Etat, Politique africaine, n° 78, 2000, pp. 94-125.
(7) Francisco Meledje Djedjro, Cours de Droit constitutionnel, Abidjan, ABC, 3-ème édition, 2003, p. 41.
(8) Th. Michalon, Quel État pour l'Afrique ?, Présence Africaine, n°105/106, 1978, pp. 13-56. ; Ph. Braud, Sociologie
politique, 8-ème édition, Paris, LGDJ, 2006.
11 février 2011
Comprendre l'imbroglio !
Suite au coup d'État manqué du 19 septembre 2002, la Côte d'Ivoire a plongé dans une crise sans précédent avec
des conséquences graves : rupture de la cohésion sociale, instabilité politique, prolifération des milices,
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paupérisation accélérée des populations, rupture du dialogue social ...
La voie pacifique va s'imposer aux belligérants de la crise qui oppose le gouvernement à une rébellion armée.
Plusieurs accords échouent à ramener la paix dans le pays. De Linas Marcousis à Prétoria en passant par Accra, les
négociations piétinent. Finalement, l'accord de Ouagadougou intitulé « Dialogue direct » passé entre le secrétaire
général des forces nouvelles et le président Laurent GBAGBO en 2007, va redonner confiance au peuple ivoirien. Un
processus de sortie de crise est élaboré avec un chronogramme consensuel.
La vie politique ivoirienne semblait emprunter le chemin de la démocratie mais surtout celui du dialogue et de la
paix, valeurs longtemps prônées par le président Félix Houphouët BOIGNY.
De sorte que les consultations électorales en Côte d'Ivoire qui n'ont pas fait l'objet d'études abondantes par les
juristes (1) devraient connaitre un regain d'intérêt. En tout état de cause, l'on se rappelle que les dispositions
constitutionnelles qui autorisaient en 1960 le multipartisme, n'ont jamais été effectives (2). Et la succession du
président Félix HOUPHOUËT BOIGNY par le président Henri Konan BEDIE ne s'est pas opérée non plus dans une
véritable compétition, l'opposition ayant boycotté les élections de 1995. En outre, les conditions de l'élection du
Président Laurent GBAGBO, en 2000, avaient été décriées suite au rejet par la Cour suprême de plusieurs
candidatures (3).
Cependant, en raison de la crise militaro-politique déclenchée le 19 septembre 2002, l'organisation d'une élection
présidentielle démocratique, transparente et ouverte à tous les candidats (4) a été consacrée par les accords
politiques de Ouagadougou comme la solution de retour à la paix.
Alassane Ouattara vote le 31 octobre 2010 Ph : site officiel AO
S'inscrivant dans l'esprit et la lettre, le conseil constitutionnel ivoirien, par sa décision n° 2009-EP/028/19-11/CC/SG
du 19 novembre 2009, a validé la candidature d'Alassane Dramane OUATTARA. Or, à l'élection présidentielle de
2000, celle-ci avait été invalidée par la Chambre constitutionnelle de la Cour Suprême par son arrêt n° E 0001-2000,
au motif que le certificat de nationalité ivoirienne du requérant présentait un doute sérieux. Ainsi, le Conseil
constitutionnel, à la lumière des Accords de Pretoria (ils ont précédé les accords de Ouagadougou), suivant les
termes duquel les signataires de Linas Marcoussis ou leurs représentants pouvaient être de façon exceptionnelle
candidats à l'élection présidentielle de 2010, tranchait quand bien même de façon temporaire la question de
l'éligibilité consacrée par l'article 35 de la constitution de 2000 (5). A partir de cet instant là, l'élection présidentielle
du 31 octobre 2010, augurait une ouverture certaine sur la démocratie.
Les fruits ont-ils tenu la promesse des fleurs ? La réponse à cette préoccupation reste mitigée. Le fait est que, seul
le premier tour de l'élection s'est inscrit dans l'élan de démocratie inspiré par les nombreux accords. Le second tour
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s'est soldé par un imbroglio au sein des locaux de la Commission électorale indépendante conduisant celle-ci à
proclamer les résultats provisoires au mépris du mode opératoire de cette institution.
Laurent Gbagbo Ph : site officiel LG
Le conseil constitutionnel, sur requête du candidat Laurent GBAGBO à l'élection présidentielle de 2010, par sa
décision n° CI-2010/EP-34/03-12/CC/SG du 3 décembre 2010, a annulé les résultats de neuf (9) départements après
le scrutin du second tour aux motifs qu'ils étaient entachés d'irrégularités. Or, le principe de l'annulation tel que posé
par l'article 64 nouveau alinéa 1 de la loi n° 2000-514 du 1-er août 2000 portant code électoral en son Titre 2 chapitre
1-er relatif à l'élection du Président de la République, concerne l'annulation de l'ensemble du vote sur toute l'étendue
du territoire national. Cette position est confortée par les dispositions de l'alinéa 2 du même article 64 nouveau qui
dispose qu'en cas d'annulation de l'élection « la date du nouveau scrutin est fixée par décret en conseil des ministres
sur proposition de la commission chargée des élections ... ». Dès lors, cette décision du Conseil constitutionnel
ivoirien a fait l'objet de contestations (6) qui ont favorisé les violences post électorales.
La communauté internationale, qui depuis les audiences foraines jusqu'au scrutin finance, appuie techniquement la
commission électorale indépendante et certifie toutes les étapes du processus à travers la mission de l'ONUCI
(Mission des nations -Unies en Cote d'Ivoire), n'a pas hésité à reconnaitre les résultats provisoires proclamer par la
CEI qui donnaient Alassane Ouattara vainqueur avec 54, 10 % contre 44, 90 % pour Laurent GBAGBO.
Le pays ainsi se retrouve avec deux présidents dont l'un Laurent Gbagbo installé au palais présidentiel après son
investiture par le conseil constitutionnel et l'autre Alassane Ouattara investi par la communauté internationale,
installé à l'Hôtel du Golf à Abidjan.
S'en suivent des violences post électorales occasionnant de nombreuses pertes en vie humaine. Malgré les
médiations de la CEDEAO, de l'Union Africaine et les appels des Etats Unis, de la France et de l'Union européenne
invitant Laurent Gbagbo à céder le pouvoir à Alassane Ouattatra, la diarchie demeure en Côte d'Ivoire depuis deux
mois.
Au dernier sommet de l'Union Africaine, une dernière tentative de juguler la crise a été initiée. Il s'agit, pour les 15
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experts désignés par l'institution africaine, d'évaluer le processus électoral afin d'établir la vérité. Elle serait, selon le
sommet des Chefs d'Etats africains qui ont mandaté ces experts, la toute dernière initiative pacifique pour mettre un
terme à la crise ivoirienne. D'où le caractère contraignant de toute décision qui devra sanctionner le travail des
experts débuté le 7 février 2011. En attendant, le pays reste en proie à une tension vive due à la rupture de la
cohésion sociale, et à la prolifération des milices.
Notes :
(1) Certains politologues tels Tessy Bakary-AKIN, ont mené des travaux sur les élections en Côte d'Ivoire. Mais leurs
travaux n'ont pas accordé assez d'importance au nouveau constitutionnalisme ivoirien. Lire Tessy Bakary-AKIN, La
démocratie par le haut en Côte d'Ivoire, Politique Afrique Noire, L'Harmattan, 1992, 320 p.
(2) Y. BRARD, M. VIOU, La démocratisation des institutions politiques de la Côte d'Ivoire, Revue juridique et
politique, indépendance et coopération, T. 36 (2), avril-mai-juin 1982, p. 735-862.
(3) Voir G. CONAC, Succès et échecs des transitions démocratiques in Liber amicorun Jean Waline, Gouverner,
administrer, juger, Paris, Dalloz, 2002, pp. 29-47 ; également, R. Degni-Segui, Evolution politique et constitutionnelle
en cours et en perspectives en Côte d'Ivoire, in G. Conac, dir, l'Afrique en transition vers le pluralisme politique, préc
; pp. 291-300.
(4) Le point II de l'Accord de paix de Ouagadougou signé le 4 mars 2007 entre le Président Laurent GBAGBO et M.
Guillaume SORO, secrétaire général des forces nouvelles dispose en effet que : « Soucieuses de parvenir, dans les
meilleurs délais, à une paix durable et à une normalisation politique et institutionnelle en Côte d'Ivoire, les Parties au
Dialogue Direct réaffirment leur engagement à préparer, à l'issue de l'opération d'identification, des élections
présidentielles ouvertes, démocratiques et transparentes, conformément aux accords de Linas-Marcoussis, d'Accra
et de Pretoria ». Son Excellence Monsieur Blaise COMPAORE, Président du Burkina Faso, en sa qualité de
Président en exercice de la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de la Communauté Economique des
Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), agissant sur mandat exprès de celle-ci.
(5) Selon l'article 35 de la Constitution de 2000, le candidat à l'élection présidentielle « doit être ivoirien d'origine, né
de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine ». Cette disposition a été jugée ségrégationniste et discriminatoire
». Lire KPODAR (A.), « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par l'accord de
Linas-Marcoussis du 23 janvier 2003 », Revue de la recherche juridique : Droit prospectif, n°XXX-110, 2005-4,
p.2517-2518 ; OURAGA (O.), Requiem pour un Code électoral, Abidjan, PUCI, 2000, p.57-62.
(6) F. WODIE, Le Conseil constitutionnel n'a pas dit le droit, Le Patriote, Quotidien ivoirien du 22 décembre 2010, p.
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