Marrakech, 29-30 mars 2012 LES REFERENCES AUX DROITS
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Marrakech, 29-30 mars 2012 LES REFERENCES AUX DROITS
Marrakech, 29-30 mars 2012 LES REFERENCES AUX DROITS HUMAINS DANS LA CONSTITUTION ALGERIENNE Présentation par Azzouz KERDOUN Professeur à l’Université de Constantine Directeur du laboratoire « Maghreb-Méditerranée » Membre et ancien vice-président du comité des droits économiques, sociaux et cultures des Nations Unies 1 La reconnaissance des droits de l’homme et le respect de la dignité humaine ont toujours été au centre du combat des peuples pour leur indépendance et la conquête de leur souveraineté. Durant des siècles, les révolutions qui se sont succédées tant en Europe qu’ailleurs, sont arrivées à organiser les pouvoirs et à mettre en place des institutions politiques, en les limitant en vue de l’organisation du statut de la personne humaine pour permettre l’évolution du droit constitutionnel et son élargissement aux droits des individus porteurs de droits fondamentaux. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est le premier texte apparu juste après la révolution française de 1789 qui a ébauché une généalogie des droits de l’homme, 1 en proclamant les droits de l’homme et du citoyen avant même l’organisation constitutionnelle de l’Etat. L’histoire de la constitution écrite émanant du pouvoir constituant du peuple souverain, trouve son fondement dans l’égalité des individus. Elle se situe dans le droit constitutionnel comme un acte déterminant dans lequel sont affirmés de plus en plus de grands thèmes à caractère universel et porteurs d’une certaine idée de l’évolution des sociétés contemporaines. Il s’agit des droits de l’homme, de la démocratie, de l’Etat de droit, de la participation citoyenne qui constituent les nouveaux thèmes émergents dans le droit constitutionnel. L’histoire de la constitution est liée à celle de la reconnaissance de la liberté et du statut de la personne humaine, car le droit constitutionnel est investi aujourd’hui par de nouveaux champs qui intègrent les questions non juridiques qui sont apparues dans la société. Ce sont celles qui concernent directement les individus, les rapports de ces derniers avec leur environnement, et en dernier lieu, l’idée que la société se fait de la personne humaine dont les droits fondamentaux, plus que d’autres, tendent à devenir l’axe majeur autour duquel s’ordonne la fabrication des règles juridiques. La majorité des constitutions dans le monde ont tenté de valoriser et de rehausser l’individu au rang de citoyen en lui reconnaissant des droits et un certain nombre de libertés fondamentales. Ceci préfigure une transition, certes difficile, mais possible vers la démocratie. Dans ce sillage et du fait de son combat libérateur du joug colonial, l’Algérie a érigé les droits humains en principes intangibles et les a inscrit dans la constitution. La référence à ces droits a été possible grâce à l’influence exercée par les conférences internationales proclamant les droits humains et les organisations non gouvernementales qui activent dans ce domaine. Cette question a été reprise et intégrée dans les discours des dirigeants et des pouvoirs politiques en place. C’est ainsi qu’on a incorporé dans les programmes politiques le contenu des déclarations internationales relatives à ce sujet dans beaucoup de pays en développement, dont certains d’entre eux ont procédé à la révision de leur constitution pour introduire la dimension des droits humains et une nouvelle approche des droits et libertés publiques. L’Algérie en fait partie et constitue un exemple que nous présenterons. 1 Rials (S), La Déclaration de 1789 ouverture/le mystère des origines, in Revue de droits, n° 8, 1988 2 I / L’adoption des références internationales des droits humains dans la constitution La référence aux droits humains dans la constitution algérienne s’est traduite par l’adoption du principe d’universalité et une démarche d’engagement croissant pour ce qui est de la ratification des instruments internationaux dans lesquels l’Etat est parti. 1/ La consécration du principe de l’universalité des droits humains et les libertés fondamentales Il apparaît que dans le cas de la première constitution de 1963, le constituant n’a pas pris d’option tranchée pour une conception précise des libertés publiques. Mais il emboîte le pas à la conception qui est à l’origine du libéralisme politique 2 puisque le texte de 1963 affirme l’adhésion de l’Algérie à la Déclaration universelle des droits de l’homme. 3 Cette Déclaration est un document phare sur les droits humains, et la consécration des droits qu’elle édicte représentent le socle des Etats libéraux. Elle énonce en effet les principaux droits et attributs de la personne humaine et dispose que toute personne peut se prévaloir de tous les droits sans distinction aucune. Il ressort de l’affirmation des droits et libertés assurées au profit des citoyens algériens dans le titre relatif aux « droits fondamentaux » par la constitution de 1963, que ceux-ci ne couvrent pas tous les droits et libertés proclamés par la déclaration universelle des droits de l’homme. Mais, il n’empêche pas que la mention de cette déclaration universelle dans les motifs d’un grand nombre de conventions conclues au sein des Nations Unies pour la garantie de certaines catégories de droits, marquera la poursuite de cette volonté d’universalité. Le principe d’universalité des droits de l’homme a été réitéré avec force dans la Déclaration de Vienne sur les droits de l’homme adoptée par les Etats membres des Nations Unies à l’issue de la Conférence mondiale pour les droits de l’homme du 20 juin 1993.4 En effet, la conférence mondiale sur les droits de l’homme a réaffirmé « l’engagement solennel pris par tous les Etats de s’acquitter de leurs obligations s’agissant de promouvoir le respect universel, l’observation et la protection de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, conformément à la Charte des Nations Unies, aux autres instruments relatifs aux droits de l’homme et au droit international. Le caractère universel de ces droits et libertés est incontestable. »5 Cette volonté d’universalisme s’est traduite par la 2 F. Borella, La constitution algérienne. Un régime constitutionnel de gouvernement par le parti, in RASJEP, n° 1, 196 3 Article 11 de la constitution de 1963 4 La Déclaration de Vienne de 1993 adopté par la conférence mondiale des droits de l’homme dans son paragraphe 1, réaffirme « l’engagement solennel pris par tous les Etats de s’acquitter de l’obligation de promouvoir le respect universel, l’observation et la protection de l’ensemble des droits humains et des libertés fondamentales pour tous conformément à la charte des Nations unies et aux instruments relatifs aux droits de l’homme et au droit international. », ONU/A/Conf 157/23 5 er Paragraphe 1 de la Déclaration de Vienne 3 multiplication des instruments conventionnels ou simplement déclaratoires, relatifs aux différentes catégories de droits de l’homme. Les constitutions algériennes qui ont suivi ont tenté, plus ou moins, de se référer à l’esprit d’universalité et aux principes d’indivisibilité et d’interdépendance de tous les droits de l’homme. C’est dire que l’ensemble des droits humains qu’il faut reconnaitre et garantir, deviennent indivisibles et constituent une condition de la dignité et la conséquence de l’irréductibilité de la personne humaine.6 Ces droits sont inhérents à tous les êtres humains et doivent être traités sur un même pied d’égalité et avec la même importance sans être restreints ou aliénés au nom de particularismes culturels ou religieux. Mais il est évident qu’une hiérarchie des droits et libertés à garantir s’expose à la contestation. Elle repose sur un jugement de valeur. Celui-ci revêt dans une certaine mesure un caractère subjectif, évolutif, sinon contingent, qui va précisément à l’encontre de l’universalité. Force est de constater sur cette base que tous les droits de l’homme n’ont pas été placés par les Etats sur le même pied, en dépit de l’affirmation de leur indivisibilité de principe. Mais des instruments internationaux7 énoncent les uns et les autres un certain nombre de droits qui doivent être respectés en tous lieux et toutes circonstances, et ne sont par conséquent susceptibles d’aucune dérogation : il s’agit en particulier du droit à la vie, du droit à ne pas être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, du droit à ne pas être réduit en esclavage ou de servitude. Cette convergence des dispositions conventionnelles citées cidessous est en tout cas significative ; elles indiquent ceux qui, parmi les droits en cause constituent les attributs inaliénables de la personne humaine fondés comme tels sur des valeurs que l’on retrouve en principe dans tous les patrimoines culturels et les systèmes sociaux. Les droits de l’homme constituent le fondement de l’existence et de la coexistence humaine. Ils sont universels, indissociables et interdépendants. Les droits humains concernent aussi bien les hommes que les femmes. Ils sont interdépendants et complémentaires. Cela implique tout autant la garantie des droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et culturels 8 que leur respect sans distinction aucune et cela, conformément au principe de régulation d’un droit ou d’un semble de droits qui ne peut être effective que par la nécessité de respecter d’autres droits et par le refus de toute restriction ou dérogation à ces droits.9 Ainsi reconnue, l’universalité exige des pouvoirs et des institutions publics le suivi et le respect des conséquences juridiques des droits affirmés. 666 Meyer-Brish (P), « Le corps des droits de l’homme », Editions universitaires de Fribourg, 1992 Par exemple, les 4 conventions de Genève portant sur le droit humanitaire,, le Pacte international relatif aux droits civils et politique (article 4 alinéa 2), la convention européenne (article 12 alinéa 2), la convention américaine (article 27) 8 A. Kerdoun, « La place des droits économiques, sociaux et culturels dans le droit international des droits de l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 87, juillet 2011, pp 499-524 99 Suivant l’article 5alinéa 2 commun aux deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et économiques, sociaux et culturels. 7 4 2/ La traduction des droits humains dans la constitution L’article 10 de la constitution de 1963 énonce que parmi les objectifs fondamentaux de la République algérienne il y a : - l’homme sous toutes ses formes ; - La défense de la liberté et le respect de la dignité de l’être humain… Ces deux notions capitales retenues dans la loi fondamentales découlent directement des référentiels affirmés dans les instruments internationaux qui consacrent la valeur humaine des peuples au même titre que la justice et la liberté, que le régime républicain devrait garantir. Quand à la dignité, elle constitue le fondement des droits humains, saisie progressivement par le droit. C’est un droit humain qui est rattaché à l’humanité de la personne. Et la Déclaration universelle des droits de l’homme a été considérée dans ce sens comme un droit en vertu de son article premier qui dispose que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. » Il en est de même dans les deux préambules des deux Pactes internationaux des droits civils et politiques et économiques, sociaux et culturels, qui affirment, chacun en ce qui le concerne, que les droits qu’ils organisent et affirment « découlent de la dignité inhérente à la personne humaine. » Pour ce qui est des valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les individus, les groupes et les générations, elles peuvent être rattachées à d’autres droits, dont certains ont été cités explicitement d’autres non, dans les constitutions mais dont ils constituent les fondements comme les droits de l’homme de la troisième génération. 10 Chacune de ces générations a consacré un certain nombre de droits qui sont des attributs de la personne humaine et sont opposables à l’Etat (ce sont ceux de la 1ère génération). Il y a aussi des droits qui sont des droits de créance pour l’Etat, exigibles de l’Etat pour pouvoir être réalisés (ce sont ceux de la 2ème génération). Et enfin, les droits qui ne peuvent être réalisés que par la conjonction de tous les individus, la communauté humaine et les Etats (ce sont ceux de la 3ème génération). En faisant référence à la dignité humaine de l’homme et aux valeurs de solidarité, le pouvoir constituant a consacré les fondements des droits humains en restant fidèle à l’approche universaliste, et en les garantissant dans l’article 32 de la constitution, puisqu’il est dit que, « les libertés fondamentales et les droits de l’homme et du citoyen sont garantis. » 10 Sur les différentes générations des droits de l’homme, voir Karel Vasak, « Droit international des droits de l’homme », UNESCO, et « les dimensions nouvelles des droits de l’homme « , Bruxelles, Bruylant, 1990 5 II. Les implications de l’adoption des références aux droits humains dans la loi fondamentale C’est au niveau des réformes à apporter au contenu juridique des droits humains qui sont confirmés dans la constitution que les implications de l’adoption des références à ces droits vont être constatées 1/ Le contenu juridique des droits humains La constitution est considérée dans le préambule comme « la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs. » Le chapitre IV de cette loi est consacré exclusivement aux droits et libertés, mais il commence d’abord par énoncé l’égalité de tous les citoyens y compris la femme, compte tenu de la position de celle-ci dans le contexte de la société algérienne et de la religion. Le texte exclu explicitement la discrimination pour cause de sexe.11 Il est stipulé en outre que, « les institutions ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et en devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle. » 12 Cela signifie l’affirmation officielle de l’égalité de la femme dans toutes les activités de la société. Et dans le même contexte on peut lire encore dans l’article 32 que, « les libertés fondamentales et les droits de l’homme et du citoyen sont garantis. Ils constituent le patrimoine commun de tous les algériens et algériennes… » Les constitutions algériennes13 font donc référence aux droits humains à travers la dignité et les droits et libertés publiques inhérents à la personne humaine tels qu’ils sont évoqués par les instruments internationaux. Mais, l’Algérie connaitra un vent de réformes à la suite des évènements d’octobre 1988 avec la révision de la constitution de 1976, remplacée par celle du 26 février 1989, qui mettra fin au monopole du parti unique du FLN, au dogme socialiste et lèvera bien des obstacles à la jouissance des droits individuels et des libertés publiques. Placée au dessus de tous, la constitution est «la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs.»14 Ces mêmes termes sont repris dans les dispositions de la constitution de 1996 adoptée par référendum le 28 novembre de la même année. La nouvelle constitution a gardé la texture de l’ancien texte, mais elle a refondu et enrichi certains articles. Ainsi, sur les droits de l’homme et les libertés, on retrouve les mêmes dispositions à 11 Article 29 Article 31 de la constitution 13 L’Algérie indépendante à eu jusqu’à ce jour 8 constitutions : quatre grandes (celles de 1963, de 1976, de 1989 et de 1996) et quatre petites, représentées par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale constituante du 20 novembre 1962, d’une part, par l’ordonnance n° 65-182 du 10 juillet 1965 portant constitution du gouvernement , d’autre part, et enfin par la proclamation du 14 janvier 1992 du Haut Conseil de Sécurité et le texte de la plate-forme portant consensus national auquel il faut ajouter le proclamation de Haut Conseil de Sécurité du 30 janvier 1994. 14 Voir Préambule de la constitution de 1989 12 6 l’exception du fameux article 40 qui a subi de profondes modifications, car si celui-ci a fait date, en autorisant pour la première fois la création « d’associations à caractère politique », entraînant une révolution après plus d’un quart de siècle de parti unique et de monopole dans tous les domaines, n’a cependant pas été suffisamment élaboré pour prescrire les obligations et devoirs attachés à la création de tout parti politique. La constitution de 1996 a comblé ce vide en précisant dans son article 42 le droit « de créer des partis politiques reconnus et garantis » et non d’associations à caractère politique, tout en prescrivant les limites à la création des partis. Enoncés de cette manière, les droits de l’homme sont dotés d’une valeur constitutionnelle, devant être respectés par l’application du principe de la hiérarchie des normes juridiques. Elevés au rang de la constitution, ces droits devraient être protégés contre toutes les restrictions qui peuvent les toucher et contre tous les abus dont ils peuvent être l’objet de la part des autorités exécutives par l’adoption de décrets limitant leur domaine d’application ou des conditions de leur exercice ou de la part des autorités législatives par l’édiction de lois anticonstitutionnelles. L’obligation de l’Etat à respecter et à promouvoir les droits de l’homme se résume aux devoirs de reconnaissance, de mise en œuvre et de pédagogie de ces droits. La reconnaissance se matérialise par l’adhésion aux instruments de protection. Mais pour que celle-ci ait un sens, il importe qu’au-delà d’elle, les droits de l’homme soient une réalité vivante grâce à leur introduction en droit interne. Dans le cas contraire, elle est lettre morte et son discours est dénué de tout fondement. La mise en œuvre consiste, pour sa part, à la mise en place des conditions favorables à l’exercice et à l’éclosion des droits de l’homme. Il s’agit donc d’initier et de mettre en place un cadre juridique et institutionnel adéquat pour l’expression de ces droits. Quant à la pédagogie des droits de l’homme, elle est une simple formation à apporter aux populations qui ignorent leurs droits. Loin s’en faut, l’Etat doit apprendre les droits de l’homme à ses citoyens au sens de leur donner une parfaite connaissance de la substance de ces droits et de leur faire prendre conscience afin qu’ils en assurent la promotion et en cultivent le respect. S’agissant des droits et libertés fondamentaux, il convient d’abord de définir ce que l’on entend par droits fondamentaux. C’est une notion juridique difficile à définir car il ne s’agit pas d’une catégorisation des droits humains en droits fondamentaux et droits non fondamentaux. Au contraire, le recours aux droits et libertés fondamentales ne s’explique que par la recherche de l’importance de cette notion. On admettra cependant que ces droits coïncident avec les droits de l’homme et désignent sur le plan substantiel les droits et libertés attachés à l’individu. Sur le plan formel, se sont des droits et libertés qui s’imposent aux pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel, parce qu’ils sont protégés par la constitution de l’Etat et les traités internationaux auxquels celui-ci est parti. Le contenu de ces droits a beaucoup évolué, et il est passé par plusieurs phases : de droits individuels comme celui d’aller et revenir, celui de ne pas être arrêté sans juste cause, à des droits reconnus à des groupes d’individus, comme la liberté de réunion, liberté syndicale et liberté d’association, en passant par les droits de seconde génération, avec reconnaissance au citoyen de droits sociaux. 7 Tout cet ensemble législatif consacre des principes qui seront qualifiés par le conseil constitutionnel français de « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. » La consécration des droits fondamentaux est liée à la volonté de leur accorder une importance supérieure et à traiter les divers droits humains comme des droits fondamentaux. Sur le plan doctrinal, il y a deux visions des droits fondamentaux qui s’opposent : l’une positiviste et l’autre jusnaturaliste.15 Toutes deux relèvent du débat doctrinal qui n’a pas d’incidence sur la valeur des droits fondamentaux dont le respect s’impose même à la loi. Il revient au juge notamment constitutionnel et supranational d’être le garant des droits fondamentaux contre les abus de compétences des pouvoirs publics mais aussi contre les abus de droits des particuliers. Les droits fondamentaux se caractérisent donc par leur essentialité et par leur rôle, fondé luimême sur l’importance qui leur est accordée. Une fois reconnue leur valeur juridique et leur assise, « Les droits doivent être garantis pour que les personnes humaines puissent en jouir. » 2/ La garantie des droits humains et des libertés fondamentales Les dispositions de la constitution algérienne garantissent les droits reconnus. De nombreux articles du texte insistent sur la garantie des droits, et l’article 32 dispose que : « les libertés fondamentales et les droits de l’homme et du citoyen sont garantis. »16 De même que « la défense individuelle ou associative des droits fondamentaux de l’homme et des libertés individuelles et collectives sont garantis. »17 « L’Etat garantit l’inviolabilité de la personne humaine. »18 « La liberté du commerce et de l’industrie est garantie… »19 Et enfin, « la liberté de création…, le secret de la correspondance…, l’inviolabilité du domicile… et la liberté d’expression…sont garantis »20 Théoriquement toutes ces libertés sont constitutionnellement garanties parce qu’elles figurent dans la loi fondamentale. Les prérogatives affirmées par la constitution ne sont pas seulement des attributs abstraits de la personne mais deviennent des droits positifs et admis dans l’ordre social, et comme tels, ils sont non seulement inviolables, mais aussi imposables au pouvoir comme à autrui. Ils sont ensuite intangibles, car modifiables seulement par une révision de la constitution. Dans le cas ou cette dernière contient d’importantes lacunes, des textes complémentaires, de nature législative, sont alors nécessaires, si bien que les droits relèvent des régimes juridiques différents (lois et constitutions) plus ou moins modifiables et conduisent à une précarité variable très démonstrative. 15 A ce propos, la conception positiviste défendue par l’Ecole d’Aix, soutien qu’un « droit fondamental est une permission juridique consacrée par une norme de degré supérieur, constitution et /ou traité, et garantie par l’existence d’un juge que les titulaires de ce droit peuvent saisir. (Dalloz 2001) La deuxième conception d’inspiration jusnaturaliste, insiste quant à elle, sur la substance des droits fondamentaux. Elle voit dans leur caractère fondamental, un propriété constitutive de ces droits. (E. Picard, AJDA, 1998) 16 Article 32 de la constitution 17 Article 33 18 Article 34 19 Article 37 20 Article 38 8 En 1989, une nouvelle constitution a été adoptée sur laquelle se fonde le nouveau système politique algérien. Celle-ci renoue en fait et en droit avec les promesses contenue dans la proclamation du 1er novembre 1954 qui a assigné, entre autre, à la lutte armée, l’objectif de restaurer « le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race et de confession » en retenant à la base de cette proclamation la conception classique des libertés publiques liées au libéralisme qui transcende les contingences « en posant le postulat que la liberté est dans l’homme » 21 et que « l’individu est présumé par essence indépendant et libre. »22 La consécration de cette conception des libertés publiques a été l’ultime recours de l’Etat pour se démettre de sa charge historique de construire le socialisme. La constitution de 1989 fût révisée et remplacée par celle de 1996 qui va reprendre les mêmes dispositions que la précédente, mais en affinant le texte et en élaborant un peu plus l’article-clé qui s’insère modestement dans les articles sur les libertés. Il s’agit de l’article 40 (constitution de 1989) devenu article 42 (constitution de 1996) dans lequel on lit « le droit de créer des partis politique est reconnu et garanti… » Cette disposition signifie la fin de l’Etat-Parti et l’instauration du multipartisme. Mais ce droit de créer des partis politiques contient certaines limites à respecter. Il ne peut être invoqué pour attenter aux libertés fondamentales, à l’unité nationale, à la sécurité et à l’intégrité du territoire national, à l’indépendance du pays et à la souveraineté du peuple ainsi qu’au caractère démocratique et républicain de l’Etat. Une telle formulation impose le respect des libertés fondamentales, et les dispositions constitutionnelles concernant les partis politiques doivent être lues ensembles avec la loi du 5 juillet 1989 qui concrétise les principes retenus. La loi stipule en effet que les associations à caractère politique regroupent autour d’un programme des citoyens en vue de participer à la vie politique. 23 Le droit syndical est reconnu à tous les citoyens. 24 La constitution consacre également les droits collectifs et les droits sociaux. Enfin, il faut savoir que la tradition issue des constitutions socialistes est maintenue de faire suivre le chapitre des droits et libertés par un chapitre qui définit les devoirs des citoyens. Le nouveau texte ne retient plus le devoir « de respecter les acquis de la révolution socialiste… » (Constitution de 1976), mais insiste plutôt sur le respect de l’individu et de la famille. L’article 63 de la constitution de 1996, stipule en effet que « l’ensemble des libertés de chacun s’exerce dans le respect des droits reconnus à autrui par la constitution, particulièrement dans le respect du droit à l’honneur, à l’intimité et à la protection de la famille, à celle de la jeunesse et de l’enfance. » Ces obligations inscrites n’apportent aucune charge nouvelle pour l’homme vivant en société et ne sont qu’un simple rappel solennel. Il faut noter également que la loi fondamentale accorde une protection importante aux droits et libertés fondamentales en interdisant leur révision à l’instar de ce qui existe dans certaines 21 G. Burdeau, Le libéralisme, Ed . du Seuil, 1979 Demichel et Piquemal, Institutions et pouvoir en France, Ed. Sociale, 1975 23 Article 2 de la loi du 5 juillet 1989 24 Article 3 de la loi de 1989 22 9 constitutions étrangères.25 Dans la constitution de 1996, il est dit dans l’article 178 que « toute révision constitutionnelle ne peut porter atteinte : - au caractère républicain de l’Etat ; - à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme ; - à l’Islam, en tant que religion de l’Etat ; - à l’Arabe, comme langue nationale et officielle ; - aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen ; - à l’intégrité et à l’unité du territoire national. » Le principe de constitutionnalité introduit dans la constitution, est tout aussi important à respecter, en l’entourant de garanties juridiques et politiques adéquates. Ce principe signifie, selon le professeur Eisenmann qui, au moment de rédiger sa thèse, écrivait, « tout comme le principe de légalité signifie en dernière analyse que seule la loi peut déroger à la loi ‘le principe de constitutionalité’ signifie que seule une loi constitutionnelle peut déroger à une loi constitutionnelle. » 26 Faire respecter ainsi le principe de constitutionalité, c’est vérifié la conformité des textes qui sont soumis à la constitution. Pour cela, le conseil constitutionnel veille de plus en plus à faire respecter par le législateur les droits et libertés prescrits par la constitution. Au demeurant, le conseil constitutionnel ne s’est pas contenté de censurer les atteintes à ces droits mais il est allé plus loin dans un avis jusqu’à rappeler au législateur son rôle dans la concrétisation de ces droits, en affirmant que « l’action du législateur, particulièrement dans le domaine des droits et libertés individuelles et collectives, doit garantir l’exercice effectif du droit ou de la liberté constitutionnellement reconnu. »27 Quant aux autres droits et libertés, le conseil veille également à leur protection et n’hésite surtout pas de prononcer l’inconstitutionnalité des lois prises par le législateur pour modifier les droits et libertés des citoyens affirmés dans la constitution. Le conseil constitutionnel en tant que juridiction est appelé à se prononcer sur la conformité des actes législatifs et réglementaires par rapport à la constitution. Il exerce un contrôle de régularité, et non d’opportunité, dont l’objet est de priver d’effet toute disposition déclarée inconstitutionnelle, ce qui équivaut sur le plan pratique à son annulation. 28 Officiellement, le conseil ne dispose pas du pouvoir normatif et ne peut substituer sa volonté à celle du législateur ou du pouvoir réglementaire pour régir les matières relevant de leurs attributions. Les différentes constitutions algériennes participent certes de types historiques différents d’actes constitutifs de la nation, et dans le domaine des droits et libertés, des tentatives notables ont été enregistrées pour inscrire ces droits et libertés dans une approche universaliste des droits humains, avec la réaffirmation du caractère indivisible, interdépendant 25 La constitution espagnole par exemple, dans son article 53 prévoit une procédure renforcée quand il s’agit de réviser les dispositions de la constitution relatives aux droits et libertés fondamentales. La constitution portugaise, quant à elle, introduit des limites matérielles à la révision dans l’article 288 26 Ch. Eisenmann, « La justice constitutionnelle et la Haute cour constitutionnelle d’Autriche », thèse de doctorat 1928. 27 Cf. Avis n° 01 du 6 mars 199 sur la conformité à la constitution de l’ordonnance portant loi organique relative aux partis politiques, JORA n° 12, 6 mars 1997, p 32 28 Article 169 de la constitution 10 et indissociable de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales. A la différence de la constitution de 1976 qui a emprunté beaucoup au socialisme, celles de 1989 et de 1996 reflètent clairement un retour vers les principes de la transition constitutionnelle libérale, avec les droits et libertés publiques, la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes juridiques liées au contrôle de la constitutionnalité des lois. Au final, on pourrait se demander si la constitution actuelle a affirmé tous les droits rattachés à l’universalité qualifiés génériquement de « fondamentaux » par le préambule de la Charte des Nations Unies, notamment au niveau de l’exercice démocratique du pouvoir, de l’alternance, de la consolidation de tous les pouvoirs constitués et de la limitation de ces pouvoirs, car les droits de l’homme prennent une forte connotation politique, et en la matière les incertitudes sont énormes. De même que les droits de l’homme dans leur évolution éclairée jusqu’aux formulations actuelles s’imposent comme racine et condition irrévocable de la démocratie et de l’Etat de droit. C’est donc en garantissant et en appliquant ces droits à l’intérieur de chacun des Etats à qui incombe, au premier chef l’obligation de respecter, de protéger et de réaliser les droits de l’homme que l’on pourra atteindre le but de l’organisation de la société qui est la liberté. La révision constitutionnelle qui a permis d’introduire la question de constitutionnalité, marque une volonté certaine de faire prévaloir le contrôle de constitutionnalité en cas de non application ou de modification des droits inscrits et garantis par la constitution. Ce faisant la hiérarchie des normes va de paire avec une hiérarchie des garanties. C’est là un des objectifs qui devrait retenir l’attention des pouvoirs à l’égard des engagements internes et internationaux de l’Etat qui ne feront que renforcer la crédibilité de celui-ci dans la mise en œuvre des droits constitutionnels. 11 Références bibliographiques - - Nations Unies, Droits de l’homme. Recueil d’instruments internationaux, vol I et II, New York, 2002 E. Decaux, Droit international public, Pars, Dalloz, 2010 C. Bontemps, «Principes généraux et droits fondamentaux dans l’Union européenne », thèse droit, Paris XII, 2001 B. Chantebout, Droit constitutionnel, Paris, A. Colin, 2003, 5ème édition D. 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