Marrakech, 29-30 mars 2012 LES REFERENCES AUX DROITS

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Marrakech, 29-30 mars 2012 LES REFERENCES AUX DROITS
Marrakech, 29-30 mars 2012
LES REFERENCES AUX DROITS HUMAINS DANS
LA CONSTITUTION ALGERIENNE
Présentation
par
Azzouz KERDOUN
Professeur à l’Université de Constantine
Directeur du laboratoire « Maghreb-Méditerranée »
Membre et ancien vice-président du comité des droits économiques,
sociaux et cultures des Nations Unies
1
La reconnaissance des droits de l’homme et le respect de la dignité humaine ont
toujours été au centre du combat des peuples pour leur indépendance et la conquête de leur
souveraineté. Durant des siècles, les révolutions qui se sont succédées tant en Europe
qu’ailleurs, sont arrivées à organiser les pouvoirs et à mettre en place des institutions
politiques, en les limitant en vue de l’organisation du statut de la personne humaine pour
permettre l’évolution du droit constitutionnel et son élargissement aux droits des individus
porteurs de droits fondamentaux. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est le
premier texte apparu juste après la révolution française de 1789 qui a ébauché une généalogie
des droits de l’homme, 1 en proclamant les droits de l’homme et du citoyen avant même
l’organisation constitutionnelle de l’Etat.
L’histoire de la constitution écrite émanant du pouvoir constituant du peuple souverain, trouve
son fondement dans l’égalité des individus. Elle se situe dans le droit constitutionnel comme
un acte déterminant dans lequel sont affirmés de plus en plus de grands thèmes à caractère
universel et porteurs d’une certaine idée de l’évolution des sociétés contemporaines. Il s’agit
des droits de l’homme, de la démocratie, de l’Etat de droit, de la participation citoyenne qui
constituent les nouveaux thèmes émergents dans le droit constitutionnel.
L’histoire de la constitution est liée à celle de la reconnaissance de la liberté et du statut de la
personne humaine, car le droit constitutionnel est investi aujourd’hui par de nouveaux champs
qui intègrent les questions non juridiques qui sont apparues dans la société. Ce sont celles qui
concernent directement les individus, les rapports de ces derniers avec leur environnement, et
en dernier lieu, l’idée que la société se fait de la personne humaine dont les droits
fondamentaux, plus que d’autres, tendent à devenir l’axe majeur autour duquel s’ordonne la
fabrication des règles juridiques.
La majorité des constitutions dans le monde ont tenté de valoriser et de rehausser l’individu
au rang de citoyen en lui reconnaissant des droits et un certain nombre de libertés
fondamentales. Ceci préfigure une transition, certes difficile, mais possible vers la démocratie.
Dans ce sillage et du fait de son combat libérateur du joug colonial, l’Algérie a érigé les droits
humains en principes intangibles et les a inscrit dans la constitution. La référence à ces droits
a été possible grâce à l’influence exercée par les conférences internationales proclamant les
droits humains et les organisations non gouvernementales qui activent dans ce domaine. Cette
question a été reprise et intégrée dans les discours des dirigeants et des pouvoirs politiques en
place. C’est ainsi qu’on a incorporé dans les programmes politiques le contenu des
déclarations internationales relatives à ce sujet dans beaucoup de pays en développement,
dont certains d’entre eux ont procédé à la révision de leur constitution pour introduire la
dimension des droits humains et une nouvelle approche des droits et libertés publiques.
L’Algérie en fait partie et constitue un exemple que nous présenterons.
1
Rials (S), La Déclaration de 1789 ouverture/le mystère des origines, in Revue de droits, n° 8, 1988
2
I / L’adoption des références internationales des droits humains dans la constitution
La référence aux droits humains dans la constitution algérienne s’est traduite par
l’adoption du principe d’universalité et une démarche d’engagement croissant pour ce qui est
de la ratification des instruments internationaux dans lesquels l’Etat est parti.
1/ La consécration du principe de l’universalité des droits humains et les libertés
fondamentales
Il apparaît que dans le cas de la première constitution de 1963, le constituant n’a pas
pris d’option tranchée pour une conception précise des libertés publiques. Mais il emboîte le
pas à la conception qui est à l’origine du libéralisme politique 2 puisque le texte de 1963
affirme l’adhésion de l’Algérie à la Déclaration universelle des droits de l’homme. 3 Cette
Déclaration est un document phare sur les droits humains, et la consécration des droits qu’elle
édicte représentent le socle des Etats libéraux. Elle énonce en effet les principaux droits et
attributs de la personne humaine et dispose que toute personne peut se prévaloir de tous les
droits sans distinction aucune. Il ressort de l’affirmation des droits et libertés assurées au
profit des citoyens algériens dans le titre relatif aux « droits fondamentaux » par la
constitution de 1963, que ceux-ci ne couvrent pas tous les droits et libertés proclamés par la
déclaration universelle des droits de l’homme. Mais, il n’empêche pas que la mention de cette
déclaration universelle dans les motifs d’un grand nombre de conventions conclues au sein
des Nations Unies pour la garantie de certaines catégories de droits, marquera la poursuite de
cette volonté d’universalité. Le principe d’universalité des droits de l’homme a été réitéré
avec force dans la Déclaration de Vienne sur les droits de l’homme adoptée par les Etats
membres des Nations Unies à l’issue de la Conférence mondiale pour les droits de l’homme
du 20 juin 1993.4
En effet, la conférence mondiale sur les droits de l’homme a réaffirmé « l’engagement
solennel pris par tous les Etats de s’acquitter de leurs obligations s’agissant de promouvoir le
respect universel, l’observation et la protection de l’ensemble des droits de l’homme et des
libertés fondamentales pour tous, conformément à la Charte des Nations Unies, aux autres
instruments relatifs aux droits de l’homme et au droit international. Le caractère universel de
ces droits et libertés est incontestable. »5 Cette volonté d’universalisme s’est traduite par la
2
F. Borella, La constitution algérienne. Un régime constitutionnel de gouvernement par le parti, in RASJEP, n° 1,
196
3
Article 11 de la constitution de 1963
4
La Déclaration de Vienne de 1993 adopté par la conférence mondiale des droits de l’homme dans son
paragraphe 1, réaffirme « l’engagement solennel pris par tous les Etats de s’acquitter de l’obligation de
promouvoir le respect universel, l’observation et la protection de l’ensemble des droits humains et des libertés
fondamentales pour tous conformément à la charte des Nations unies et aux instruments relatifs aux droits de
l’homme et au droit international. », ONU/A/Conf 157/23
5
er
Paragraphe 1 de la Déclaration de Vienne
3
multiplication des instruments conventionnels ou simplement déclaratoires, relatifs aux
différentes catégories de droits de l’homme.
Les constitutions algériennes qui ont suivi ont tenté, plus ou moins, de se référer à l’esprit
d’universalité et aux principes d’indivisibilité et d’interdépendance de tous les droits de
l’homme. C’est dire que l’ensemble des droits humains qu’il faut reconnaitre et garantir,
deviennent indivisibles et constituent une condition de la dignité et la conséquence de
l’irréductibilité de la personne humaine.6 Ces droits sont inhérents à tous les êtres humains et
doivent être traités sur un même pied d’égalité et avec la même importance sans être restreints
ou aliénés au nom de particularismes culturels ou religieux. Mais il est évident qu’une
hiérarchie des droits et libertés à garantir s’expose à la contestation. Elle repose sur un
jugement de valeur. Celui-ci revêt dans une certaine mesure un caractère subjectif, évolutif,
sinon contingent, qui va précisément à l’encontre de l’universalité. Force est de constater sur
cette base que tous les droits de l’homme n’ont pas été placés par les Etats sur le même pied,
en dépit de l’affirmation de leur indivisibilité de principe. Mais des instruments
internationaux7 énoncent les uns et les autres un certain nombre de droits qui doivent être
respectés en tous lieux et toutes circonstances, et ne sont par conséquent susceptibles
d’aucune dérogation : il s’agit en particulier du droit à la vie, du droit à ne pas être soumis à la
torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, du droit à ne pas être réduit
en esclavage ou de servitude. Cette convergence des dispositions conventionnelles citées cidessous est en tout cas significative ; elles indiquent ceux qui, parmi les droits en cause
constituent les attributs inaliénables de la personne humaine fondés comme tels sur des
valeurs que l’on retrouve en principe dans tous les patrimoines culturels et les systèmes
sociaux.
Les droits de l’homme constituent le fondement de l’existence et de la coexistence humaine.
Ils sont universels, indissociables et interdépendants. Les droits humains concernent aussi
bien les hommes que les femmes. Ils sont interdépendants et complémentaires. Cela implique
tout autant la garantie des droits civils et politiques que les droits économiques, sociaux et
culturels 8 que leur respect sans distinction aucune et cela, conformément au principe de
régulation d’un droit ou d’un semble de droits qui ne peut être effective que par la nécessité
de respecter d’autres droits et par le refus de toute restriction ou dérogation à ces droits.9
Ainsi reconnue, l’universalité exige des pouvoirs et des institutions publics le suivi et le
respect des conséquences juridiques des droits affirmés.
666
Meyer-Brish (P), « Le corps des droits de l’homme », Editions universitaires de Fribourg, 1992
Par exemple, les 4 conventions de Genève portant sur le droit humanitaire,, le Pacte international relatif aux
droits civils et politique (article 4 alinéa 2), la convention européenne (article 12 alinéa 2), la convention
américaine (article 27)
8
A. Kerdoun, « La place des droits économiques, sociaux et culturels dans le droit international des droits de
l’homme », Revue trimestrielle des droits de l’homme, n° 87, juillet 2011, pp 499-524
99
Suivant l’article 5alinéa 2 commun aux deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et
économiques, sociaux et culturels.
7
4
2/ La traduction des droits humains dans la constitution
L’article 10 de la constitution de 1963 énonce que parmi les objectifs fondamentaux de
la République algérienne il y a :
- l’homme sous toutes ses formes ;
- La défense de la liberté et le respect de la dignité de l’être humain…
Ces deux notions capitales retenues dans la loi fondamentales découlent directement des
référentiels affirmés dans les instruments internationaux qui consacrent la valeur humaine des
peuples au même titre que la justice et la liberté, que le régime républicain devrait garantir.
Quand à la dignité, elle constitue le fondement des droits humains, saisie progressivement par
le droit. C’est un droit humain qui est rattaché à l’humanité de la personne. Et la Déclaration
universelle des droits de l’homme a été considérée dans ce sens comme un droit en vertu de
son article premier qui dispose que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité
et en droit. » Il en est de même dans les deux préambules des deux Pactes internationaux des
droits civils et politiques et économiques, sociaux et culturels, qui affirment, chacun en ce qui
le concerne, que les droits qu’ils organisent et affirment « découlent de la dignité inhérente à
la personne humaine. »
Pour ce qui est des valeurs de solidarité, d’entraide et de tolérance entre les individus, les
groupes et les générations, elles peuvent être rattachées à d’autres droits, dont certains ont été
cités explicitement d’autres non, dans les constitutions mais dont ils constituent les
fondements comme les droits de l’homme de la troisième génération. 10 Chacune de ces
générations a consacré un certain nombre de droits qui sont des attributs de la personne
humaine et sont opposables à l’Etat (ce sont ceux de la 1ère génération). Il y a aussi des droits
qui sont des droits de créance pour l’Etat, exigibles de l’Etat pour pouvoir être réalisés (ce
sont ceux de la 2ème génération). Et enfin, les droits qui ne peuvent être réalisés que par la
conjonction de tous les individus, la communauté humaine et les Etats (ce sont ceux de la 3ème
génération).
En faisant référence à la dignité humaine de l’homme et aux valeurs de solidarité, le pouvoir
constituant a consacré les fondements des droits humains en restant fidèle à l’approche
universaliste, et en les garantissant dans l’article 32 de la constitution, puisqu’il est dit que,
« les libertés fondamentales et les droits de l’homme et du citoyen sont garantis. »
10
Sur les différentes générations des droits de l’homme, voir Karel Vasak, « Droit international des droits de
l’homme », UNESCO, et « les dimensions nouvelles des droits de l’homme « , Bruxelles, Bruylant, 1990
5
II. Les implications de l’adoption des références aux droits humains dans la loi
fondamentale
C’est au niveau des réformes à apporter au contenu juridique des droits humains qui
sont confirmés dans la constitution que les implications de l’adoption des références à ces
droits vont être constatées
1/ Le contenu juridique des droits humains
La constitution est considérée dans le préambule comme « la loi fondamentale qui
garantit les droits et libertés individuels et collectifs. » Le chapitre IV de cette loi est consacré
exclusivement aux droits et libertés, mais il commence d’abord par énoncé l’égalité de tous
les citoyens y compris la femme, compte tenu de la position de celle-ci dans le contexte de la
société algérienne et de la religion. Le texte exclu explicitement la discrimination pour cause
de sexe.11 Il est stipulé en outre que, « les institutions ont pour finalité d’assurer l’égalité en
droits et en devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui
entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de
tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle. » 12 Cela signifie l’affirmation
officielle de l’égalité de la femme dans toutes les activités de la société. Et dans le même
contexte on peut lire encore dans l’article 32 que, « les libertés fondamentales et les droits de
l’homme et du citoyen sont garantis. Ils constituent le patrimoine commun de tous les
algériens et algériennes… »
Les constitutions algériennes13 font donc référence aux droits humains à travers la dignité et
les droits et libertés publiques inhérents à la personne humaine tels qu’ils sont évoqués par les
instruments internationaux. Mais, l’Algérie connaitra un vent de réformes à la suite des
évènements d’octobre 1988 avec la révision de la constitution de 1976, remplacée par celle du
26 février 1989, qui mettra fin au monopole du parti unique du FLN, au dogme socialiste et
lèvera bien des obstacles à la jouissance des droits individuels et des libertés publiques.
Placée au dessus de tous, la constitution est «la loi fondamentale qui garantit les droits et
libertés individuels et collectifs.»14 Ces mêmes termes sont repris dans les dispositions de la
constitution de 1996 adoptée par référendum le 28 novembre de la même année. La nouvelle
constitution a gardé la texture de l’ancien texte, mais elle a refondu et enrichi certains articles.
Ainsi, sur les droits de l’homme et les libertés, on retrouve les mêmes dispositions à
11
Article 29
Article 31 de la constitution
13
L’Algérie indépendante à eu jusqu’à ce jour 8 constitutions : quatre grandes (celles de 1963, de 1976, de
1989 et de 1996) et quatre petites, représentées par le règlement intérieur de l’Assemblée nationale
constituante du 20 novembre 1962, d’une part, par l’ordonnance n° 65-182 du 10 juillet 1965 portant
constitution du gouvernement , d’autre part, et enfin par la proclamation du 14 janvier 1992 du Haut Conseil
de Sécurité et le texte de la plate-forme portant consensus national auquel il faut ajouter le proclamation de
Haut Conseil de Sécurité du 30 janvier 1994.
14
Voir Préambule de la constitution de 1989
12
6
l’exception du fameux article 40 qui a subi de profondes modifications, car si celui-ci a fait
date, en autorisant pour la première fois la création « d’associations à caractère politique »,
entraînant une révolution après plus d’un quart de siècle de parti unique et de monopole dans
tous les domaines, n’a cependant pas été suffisamment élaboré pour prescrire les obligations
et devoirs attachés à la création de tout parti politique. La constitution de 1996 a comblé ce
vide en précisant dans son article 42 le droit « de créer des partis politiques reconnus et
garantis » et non d’associations à caractère politique, tout en prescrivant les limites à la
création des partis.
Enoncés de cette manière, les droits de l’homme sont dotés d’une valeur constitutionnelle,
devant être respectés par l’application du principe de la hiérarchie des normes juridiques.
Elevés au rang de la constitution, ces droits devraient être protégés contre toutes les
restrictions qui peuvent les toucher et contre tous les abus dont ils peuvent être l’objet de la
part des autorités exécutives par l’adoption de décrets limitant leur domaine d’application ou
des conditions de leur exercice ou de la part des autorités législatives par l’édiction de lois
anticonstitutionnelles.
L’obligation de l’Etat à respecter et à promouvoir les droits de l’homme se résume aux
devoirs de reconnaissance, de mise en œuvre et de pédagogie de ces droits. La reconnaissance
se matérialise par l’adhésion aux instruments de protection. Mais pour que celle-ci ait un sens,
il importe qu’au-delà d’elle, les droits de l’homme soient une réalité vivante grâce à leur
introduction en droit interne. Dans le cas contraire, elle est lettre morte et son discours est
dénué de tout fondement. La mise en œuvre consiste, pour sa part, à la mise en place des
conditions favorables à l’exercice et à l’éclosion des droits de l’homme. Il s’agit donc d’initier
et de mettre en place un cadre juridique et institutionnel adéquat pour l’expression de ces
droits. Quant à la pédagogie des droits de l’homme, elle est une simple formation à apporter
aux populations qui ignorent leurs droits. Loin s’en faut, l’Etat doit apprendre les droits de
l’homme à ses citoyens au sens de leur donner une parfaite connaissance de la substance de
ces droits et de leur faire prendre conscience afin qu’ils en assurent la promotion et en
cultivent le respect.
S’agissant des droits et libertés fondamentaux, il convient d’abord de définir ce que l’on
entend par droits fondamentaux. C’est une notion juridique difficile à définir car il ne s’agit
pas d’une catégorisation des droits humains en droits fondamentaux et droits non
fondamentaux. Au contraire, le recours aux droits et libertés fondamentales ne s’explique que
par la recherche de l’importance de cette notion. On admettra cependant que ces droits
coïncident avec les droits de l’homme et désignent sur le plan substantiel les droits et libertés
attachés à l’individu. Sur le plan formel, se sont des droits et libertés qui s’imposent aux
pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel, parce qu’ils sont protégés par la constitution de
l’Etat et les traités internationaux auxquels celui-ci est parti. Le contenu de ces droits a
beaucoup évolué, et il est passé par plusieurs phases : de droits individuels comme celui
d’aller et revenir, celui de ne pas être arrêté sans juste cause, à des droits reconnus à des
groupes d’individus, comme la liberté de réunion, liberté syndicale et liberté d’association, en
passant par les droits de seconde génération, avec reconnaissance au citoyen de droits sociaux.
7
Tout cet ensemble législatif consacre des principes qui seront qualifiés par le conseil
constitutionnel français de « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. »
La consécration des droits fondamentaux est liée à la volonté de leur accorder une importance
supérieure et à traiter les divers droits humains comme des droits fondamentaux. Sur le plan
doctrinal, il y a deux visions des droits fondamentaux qui s’opposent : l’une positiviste et
l’autre jusnaturaliste.15 Toutes deux relèvent du débat doctrinal qui n’a pas d’incidence sur la
valeur des droits fondamentaux dont le respect s’impose même à la loi. Il revient au juge
notamment constitutionnel et supranational d’être le garant des droits fondamentaux contre les
abus de compétences des pouvoirs publics mais aussi contre les abus de droits des particuliers.
Les droits fondamentaux se caractérisent donc par leur essentialité et par leur rôle, fondé luimême sur l’importance qui leur est accordée. Une fois reconnue leur valeur juridique et leur
assise, « Les droits doivent être garantis pour que les personnes humaines puissent en jouir. »
2/ La garantie des droits humains et des libertés fondamentales
Les dispositions de la constitution algérienne garantissent les droits reconnus. De
nombreux articles du texte insistent sur la garantie des droits, et l’article 32 dispose que : « les
libertés fondamentales et les droits de l’homme et du citoyen sont garantis. »16 De même que
« la défense individuelle ou associative des droits fondamentaux de l’homme et des libertés
individuelles et collectives sont garantis. »17 « L’Etat garantit l’inviolabilité de la personne
humaine. »18 « La liberté du commerce et de l’industrie est garantie… »19 Et enfin, « la liberté
de création…, le secret de la correspondance…, l’inviolabilité du domicile… et la liberté
d’expression…sont garantis »20 Théoriquement toutes ces libertés sont constitutionnellement
garanties parce qu’elles figurent dans la loi fondamentale. Les prérogatives affirmées par la
constitution ne sont pas seulement des attributs abstraits de la personne mais deviennent des
droits positifs et admis dans l’ordre social, et comme tels, ils sont non seulement inviolables,
mais aussi imposables au pouvoir comme à autrui. Ils sont ensuite intangibles, car modifiables
seulement par une révision de la constitution. Dans le cas ou cette dernière contient
d’importantes lacunes, des textes complémentaires, de nature législative, sont alors
nécessaires, si bien que les droits relèvent des régimes juridiques différents (lois et
constitutions) plus ou moins modifiables et conduisent à une précarité variable très
démonstrative.
15
A ce propos, la conception positiviste défendue par l’Ecole d’Aix, soutien qu’un « droit fondamental est une
permission juridique consacrée par une norme de degré supérieur, constitution et /ou traité, et garantie par
l’existence d’un juge que les titulaires de ce droit peuvent saisir. (Dalloz 2001) La deuxième conception
d’inspiration jusnaturaliste, insiste quant à elle, sur la substance des droits fondamentaux. Elle voit dans leur
caractère fondamental, un propriété constitutive de ces droits. (E. Picard, AJDA, 1998)
16
Article 32 de la constitution
17
Article 33
18
Article 34
19
Article 37
20
Article 38
8
En 1989, une nouvelle constitution a été adoptée sur laquelle se fonde le nouveau système
politique algérien. Celle-ci renoue en fait et en droit avec les promesses contenue dans la
proclamation du 1er novembre 1954 qui a assigné, entre autre, à la lutte armée, l’objectif de
restaurer « le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race et de
confession » en retenant à la base de cette proclamation la conception classique des libertés
publiques liées au libéralisme qui transcende les contingences « en posant le postulat que la
liberté est dans l’homme » 21 et que « l’individu est présumé par essence indépendant et
libre. »22 La consécration de cette conception des libertés publiques a été l’ultime recours de
l’Etat pour se démettre de sa charge historique de construire le socialisme. La constitution de
1989 fût révisée et remplacée par celle de 1996 qui va reprendre les mêmes dispositions que
la précédente, mais en affinant le texte et en élaborant un peu plus l’article-clé qui s’insère
modestement dans les articles sur les libertés. Il s’agit de l’article 40 (constitution de 1989)
devenu article 42 (constitution de 1996) dans lequel on lit « le droit de créer des partis
politique est reconnu et garanti… » Cette disposition signifie la fin de l’Etat-Parti et
l’instauration du multipartisme. Mais ce droit de créer des partis politiques contient certaines
limites à respecter. Il ne peut être invoqué pour attenter aux libertés fondamentales, à l’unité
nationale, à la sécurité et à l’intégrité du territoire national, à l’indépendance du pays et à la
souveraineté du peuple ainsi qu’au caractère démocratique et républicain de l’Etat. Une telle
formulation impose le respect des libertés fondamentales, et les dispositions constitutionnelles
concernant les partis politiques doivent être lues ensembles avec la loi du 5 juillet 1989 qui
concrétise les principes retenus. La loi stipule en effet que les associations à caractère
politique regroupent autour d’un programme des citoyens en vue de participer à la vie
politique. 23 Le droit syndical est reconnu à tous les citoyens. 24 La constitution consacre
également les droits collectifs et les droits sociaux.
Enfin, il faut savoir que la tradition issue des constitutions socialistes est maintenue de faire
suivre le chapitre des droits et libertés par un chapitre qui définit les devoirs des citoyens. Le
nouveau texte ne retient plus le devoir « de respecter les acquis de la révolution socialiste… »
(Constitution de 1976), mais insiste plutôt sur le respect de l’individu et de la famille.
L’article 63 de la constitution de 1996, stipule en effet que « l’ensemble des libertés de
chacun s’exerce dans le respect des droits reconnus à autrui par la constitution,
particulièrement dans le respect du droit à l’honneur, à l’intimité et à la protection de la
famille, à celle de la jeunesse et de l’enfance. » Ces obligations inscrites n’apportent aucune
charge nouvelle pour l’homme vivant en société et ne sont qu’un simple rappel solennel.
Il faut noter également que la loi fondamentale accorde une protection importante aux droits
et libertés fondamentales en interdisant leur révision à l’instar de ce qui existe dans certaines
21
G. Burdeau, Le libéralisme, Ed . du Seuil, 1979
Demichel et Piquemal, Institutions et pouvoir en France, Ed. Sociale, 1975
23
Article 2 de la loi du 5 juillet 1989
24
Article 3 de la loi de 1989
22
9
constitutions étrangères.25 Dans la constitution de 1996, il est dit dans l’article 178 que « toute
révision constitutionnelle ne peut porter atteinte :
- au caractère républicain de l’Etat ;
- à l’ordre démocratique, basé sur le multipartisme ;
- à l’Islam, en tant que religion de l’Etat ;
- à l’Arabe, comme langue nationale et officielle ;
- aux libertés fondamentales, aux droits de l’homme et du citoyen ;
- à l’intégrité et à l’unité du territoire national. »
Le principe de constitutionnalité introduit dans la constitution, est tout aussi important à
respecter, en l’entourant de garanties juridiques et politiques adéquates. Ce principe signifie,
selon le professeur Eisenmann qui, au moment de rédiger sa thèse, écrivait, « tout comme le
principe de légalité signifie en dernière analyse que seule la loi peut déroger à la loi ‘le
principe de constitutionalité’ signifie que seule une loi constitutionnelle peut déroger à une loi
constitutionnelle. » 26 Faire respecter ainsi le principe de constitutionalité, c’est vérifié la
conformité des textes qui sont soumis à la constitution. Pour cela, le conseil constitutionnel
veille de plus en plus à faire respecter par le législateur les droits et libertés prescrits par la
constitution. Au demeurant, le conseil constitutionnel ne s’est pas contenté de censurer les
atteintes à ces droits mais il est allé plus loin dans un avis jusqu’à rappeler au législateur son
rôle dans la concrétisation de ces droits, en affirmant que « l’action du législateur,
particulièrement dans le domaine des droits et libertés individuelles et collectives, doit
garantir l’exercice effectif du droit ou de la liberté constitutionnellement reconnu. »27 Quant
aux autres droits et libertés, le conseil veille également à leur protection et n’hésite surtout pas
de prononcer l’inconstitutionnalité des lois prises par le législateur pour modifier les droits et
libertés des citoyens affirmés dans la constitution. Le conseil constitutionnel en tant que
juridiction est appelé à se prononcer sur la conformité des actes législatifs et réglementaires
par rapport à la constitution. Il exerce un contrôle de régularité, et non d’opportunité, dont
l’objet est de priver d’effet toute disposition déclarée inconstitutionnelle, ce qui équivaut sur
le plan pratique à son annulation. 28 Officiellement, le conseil ne dispose pas du pouvoir
normatif et ne peut substituer sa volonté à celle du législateur ou du pouvoir réglementaire
pour régir les matières relevant de leurs attributions.
Les différentes constitutions algériennes participent certes de types historiques différents
d’actes constitutifs de la nation, et dans le domaine des droits et libertés, des tentatives
notables ont été enregistrées pour inscrire ces droits et libertés dans une approche
universaliste des droits humains, avec la réaffirmation du caractère indivisible, interdépendant
25
La constitution espagnole par exemple, dans son article 53 prévoit une procédure renforcée quand il s’agit de
réviser les dispositions de la constitution relatives aux droits et libertés fondamentales. La constitution
portugaise, quant à elle, introduit des limites matérielles à la révision dans l’article 288
26
Ch. Eisenmann, « La justice constitutionnelle et la Haute cour constitutionnelle d’Autriche », thèse de
doctorat 1928.
27
Cf. Avis n° 01 du 6 mars 199 sur la conformité à la constitution de l’ordonnance portant loi organique
relative aux partis politiques, JORA n° 12, 6 mars 1997, p 32
28
Article 169 de la constitution
10
et indissociable de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales. A la
différence de la constitution de 1976 qui a emprunté beaucoup au socialisme, celles de 1989
et de 1996 reflètent clairement un retour vers les principes de la transition constitutionnelle
libérale, avec les droits et libertés publiques, la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des
normes juridiques liées au contrôle de la constitutionnalité des lois.
Au final, on pourrait se demander si la constitution actuelle a affirmé tous les droits
rattachés à l’universalité qualifiés génériquement de « fondamentaux » par le préambule de la
Charte des Nations Unies, notamment au niveau de l’exercice démocratique du pouvoir, de
l’alternance, de la consolidation de tous les pouvoirs constitués et de la limitation de ces
pouvoirs, car les droits de l’homme prennent une forte connotation politique, et en la matière
les incertitudes sont énormes. De même que les droits de l’homme dans leur évolution
éclairée jusqu’aux formulations actuelles s’imposent comme racine et condition irrévocable
de la démocratie et de l’Etat de droit. C’est donc en garantissant et en appliquant ces droits à
l’intérieur de chacun des Etats à qui incombe, au premier chef l’obligation de respecter, de
protéger et de réaliser les droits de l’homme que l’on pourra atteindre le but de l’organisation
de la société qui est la liberté. La révision constitutionnelle qui a permis d’introduire la
question de constitutionnalité, marque une volonté certaine de faire prévaloir le contrôle de
constitutionnalité en cas de non application ou de modification des droits inscrits et garantis
par la constitution. Ce faisant la hiérarchie des normes va de paire avec une hiérarchie des
garanties. C’est là un des objectifs qui devrait retenir l’attention des pouvoirs à l’égard des
engagements internes et internationaux de l’Etat qui ne feront que renforcer la crédibilité de
celui-ci dans la mise en œuvre des droits constitutionnels.
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