Guerre judiciaire pour le magot de «France Soir» Depuis vingt ans

Transcription

Guerre judiciaire pour le magot de «France Soir» Depuis vingt ans
Guerre
judiciaire
pour
le
magot
de
«France
Soir»
Depuis
vingt
ans,
des
repreneurs
s’échinent
à
obtenir
13
millions
d’euros
issus
de
la
vente
du
siège
historique
du
journal.
Dernier
rebondissement
au
pénal.
Cet
argent
sent
mauvais.
La
preuve,
personne
n’en
veut.
Depuis
vingt
ans,
13
millions
d’euros
sommeillent
au
Liechtenstein.
Un
dessous‐de‐table
lié
à
la
vente
du
siège
de
France
Soir,
dont
le
journal
a
été
privé.
Cette
cagnotte
offshore
demeure
d’actualité.
Le
tribunal
de
commerce
vient
d’annuler
un
deal
destiné
à
étouffer
l’affaire.
Juin
1989
:
la
genèse.
Robert
Hersant,
propriétaire
du
Figaro
et
de
France
Soir,
englué
dans
la
faillite
de
la
Cinq,
décide
de
vendre
le
siège
historique
du
quotidien,
rue
Réaumur,
à
Paris.
Le
repreneur,
Copra,
négocie
l’achat
à
640
millions
de
francs.
Mais,
comme
souvent
en
matière
immobilière,
une
partie
de
la
transaction
se
fait
au
black.
Sous
prétexte
du
rachat
d’une
promesse
de
vente,
90
millions
atterrissent
sur
un
compte
en
Suisse.
Des
intermédiaires
se
sucrent.
Reste
un
reliquat
de
70
millions
de
francs
:
13
millions
d’euros.
Décembre
1994
:
la
transmutation.
La
cagnotte
file
de
Genève
à
Vaduz
(Liechtenstein),
sur
un
compte
bancaire
baptisé
Highland.
Puis
les
13
millions
sont
retirés
en
espèces.
Un
homme
d’affaires
franco‐suisse,
proche
de
Hersant,
offre
l’asile
de
son
vaste
coffre.
Avril
1996
:
la
disparition.
Décès
du
«Papivore»,
qui
emporte
avec
lui
ses
secrets.
La
juge
Eva
Joly
nage
dans
le
brouillard.
Un
ex‐dirigeant
du
Crédit
lyonnais
témoigne
devant
elle
:
«On
m’a
toujours
dit
qu’il
s’agissait
d’un
trésor
de
guerre
pour
le
RPR.»
En
première
ligne,
Yves
de
Chaisemartin,
bras
droit
de
feu
Hersant,
botte
en
touche
:
«J’ai
rencontré
l’intermédiaire
qui
a
trouvé
l’acheteur
;
ce
qu’ils
ont
magouillé
ensemble
n’est
pas
mon
problème.»
Avril
2001
:
la
réapparition.
Les
13
millions
sortent
du
coffre
pour
être
déposés
à
la
Neue
Bank
de
Vaduz,
au
nom
d’une
coquille
baptisée
Gladeland.
En
présence
de
Chaisemartin.
Après
moult
péripéties,
la
Suisse
et
le
Liechtenstein
répondent
enfin
à
l’entraide
judiciaire
réclamée
par
la
France.
La
traçabilité
des
fonds
est
désormais
bien
établie
:
«Il
est
évident
que,
dans
la
tête
de
Hersant,
il
fallait
constituer
un
trésor
de
guerre»,
résume
le
parquet.
Juin
2002
:
la
transaction.
Sitôt
mis
en
examen,
Chaisemartin
allume
un
contre‐
feu.
Au
nom
de
la
Socpresse
(groupe
Hersant),
il
signe
avec
Presse
Alliance
(holding
de
France
Soir)
une
discrète
«transaction».
Le
premier
renonce
à
réclamer
une
créance
résiduelle
de
62
millions
d’euros
;
en
échange,
le
second
renonce
à
exiger
la
restitution
de
la
cagnotte.
La
victime
du
détournement,
c’est
toujours
France
Soir,
entre‐temps
vendu
par
le
groupe
Hersant.
Octobre
2004
:
la
réclamation.
La
perspective
de
récupérer
la
cagnotte
a
fait
saliver
plus
d’un
repreneur.
Comme
le
Franco‐Egyptien
Raymond
Lakah.
Sitôt
racheté
France
Soir
à
l’italien
Poligrafici
pour
8
millions
d’euros,
il
lance
une
assignation
pour
récupérer
les
13
millions
‐
avec
les
pénalités
de
retard,
il
en
réclame
40.
Mais
Lakah
doit
rapidement
déposer
le
bilan.
Avril
2006
:
la
conservation.
Le
tribunal
de
commerce,
qui
récupère
la
destinée
de
la
cagnotte,
doit
départager
les
candidats
à
la
reprise
de
France
Soir.
L’homme
d’affaires
Arcadi
Gaydamak
propose
22
millions
pour
récupérer
le
tout
(y
compris
le
droit
de
réclamer
la
cagnotte)
;
le
promoteur
français
Jean‐Pierre
Brunois
offre,
lui,
700
000
euros
(mais
en
renonçant
à
la
cagnotte).
Brunois
emporte
le
morceau.
Les
liquidateurs
de
Presse
Alliance
(commissaires
à
l’exécution
du
plan
de
cession,
CEP)
sont
désormais
chargés
de
récupérer
la
cagnotte,
pour
apurer
le
passif.
Décembre
2008
:
la
re‐transaction.
Chaisemartin
est
renvoyé
en
correctionnelle.
La
chambre
de
l’instruction
vient
de
retoquer
son
appel.
Il
prétendait
que
la
«transaction»
passée
en
2002
entre
la
Socpresse
et
Presse
Alliance
interdisait
toute
plainte
à
son
encontre.
La
cour
souligne
surtout
la
double
casquette
de
Chaisemartin.
Après
tout,
il
a
signé
la
transaction
comme
dirigeant
de
Socpresse,
mais
elle
lui
sauve
la
mise
comme
ex‐dirigeant
de
Presse
Alliance…
Qu’à
cela
ne
tienne,
Yves
de
Chaisemartin
propose
un
nouveau
deal.
Avec
les
CEP,
cette
fois.
Il
est
O.K.
pour
verser
6,5
millions
d’euros,
s’ils
renoncent
à
lui
en
réclamer
13
ou
plus
(selon
les
pénalités
de
retard)
lors
du
procès
pénal.
Février
2009
:
la
non‐réclamation.
Stupéfaction
à
la
barre.
Au
dernier
jour
du
procès,
l’avocat
des
CEP,
parties
civiles,
renonce
à
réclamer
des
dommages
et
intérêts
contre
Chaisemartin.
Motif
:
il
leur
aurait
remboursé
une
demi‐cagnotte.
En
revanche,
il
réclame
7
millions
à
d’anciens
banquiers
du
Crédit
lyonnais.
Qui
n’ont
pourtant
en
rien
profité
de
la
tambouille
de
Vaduz.
Avril
:
la
condamnation.
Le
tribunal
correctionnel
rend
son
jugement.
Il
ne
suit
pas
la
«transaction»
des
CEP.
Et
balaye
les
«explications
contradictoires»
d’Yves
de
Chaisemartin.
Condamné
pour
abus
de
biens
sociaux,
il
écope
de
deux
ans
de
prison
avec
sursis
et
de
150
000
euros
d’amende.
Problème,
le
tribunal
ne
peut
pas
allouer
de
dommages
et
intérêts
à
Presse
Alliance
(propriétaire
de
France
Soir)
:
elle
ne
réclamait
rien…
Mai
:
la
contestation.
Retour
au
tribunal
de
commerce.
Raymond
Lakah
est
très
remonté.
Dans
le
cadre
de
la
liquidation
de
Presse
Alliance,
les
CEP
lui
réclament
de
combler
le
passif
(10
millions).
Grâce
à
la
cagnotte,
le
trou
avait
vocation
à
se
transformer
en
bonus
de
liquidation.
Lakah
exige
l’annulation
de
la
transaction
avec
Chaisemartin
(qui
n’a
toujours
pas
versé
les
6,5
millions
promis)
et
s’étonne
que
les
CEP
n’aient
rien
réclamé
aux
deux
notaires
‐
à
la
«déontologie
aléatoire»,
selon
le
jugement
pénal
les
condamnant
à
18
et
15
mois
de
prison
avec
sursis.
Lakah
reçoit
le
renfort
de
Me
Soinne,
collègue
des
deux
CEP,
Mes
Perin
et
Moyrand.
Lequel
dénonce
une
manœuvre
consulaire
ourdie
par
ses
confrères.
Bien
qu’en
liquidation
judiciaire,
Raymond
Lakah
était
toujours
le
président
de
Presse
Alliance.
Avant
de
transiger
avec
Yves
de
Chaisemartin,
les
deux
CEP
auraient
dû
demander
son
avis.
Subodorant
son
refus,
ils
avaient
contourné
l’obstacle
en
faisant
désigner
un
mandataire
ad
hoc
en
vue
de
donner
son
feu
vert
à
la
place
de
Raymond
Lakah.
C’est
Me
Soinne,
désigné
à
cet
effet,
mais
sans
jamais
en
avoir
été
prévenu…
Ce
dernier
le
dit
sans
fard
:
il
n’a
«même
pas
été
informé
de
sa
mission».
Et
dénonce
la
manipulation.
Septembre
:
l’explosion.
Le
tribunal
annule
la
transaction
entre
Chaisemartin
et
les
commissaires
à
l’exécution
du
plan
de
cession.
Sur
la
forme
‐
«non‐respect
du
contradictoire,
nullité
absolue»
‐
comme
sur
le
fond
‐
«elle
permet
aux
complices
d’un
abus
de
biens
sociaux,
condamnés
pour
ce
délit,
de
conserver
la
plus
grande
partie
des
sommes
détournées
au
Liechtenstein».
Pataquès
maximum.
Octobre
:
la
repénalisation.Lakah
saisit
en
parallèle
la
justice
pénale,
avec
une
citation
directe
pour
escroquerie
au
jugement,
visant
les
acteurs
de
la
transaction
(Chaisemartin,
les
notaires,
les
CEP).
Procès
en
vue
début
2010.
Sans
ce
petit
arrangement
entre
amis,
la
justice
pénale
aurait‐elle
été
si
clémente
?
La
justice
commerciale
aurait‐elle
pu
se
contenter
de
réclamer
des
sous
au
seul
Raymond
Lakah
?
Pour
son
avocat,
Me
Julien
Andrez,
«il
est
juridiquement
impensable
et
moralement
inadmissible
que
les
sommes
détournées
ne
soient
pas
restituées
et
que
les
auteurs
de
délits
en
conservent
une
partie».
Car,
désormais,
plus
personne
ne
réclame
les
fonds
planqués
à
Vaduz.
Comme
s’ils
n’existaient
plus.
Et
si
on
exauçait
finalement
ce
testament
non
écrit
de
Robert
Hersant
?
Consacrer
la
cagnotte
à
la
liberté
de
presse
dans
les
pays
de
l’Est.
Par
RENAUD
LECADRE