Le journaliste n°295-296 – 4ème trimestre 2009 / 1er trimestre 2010

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Le journaliste n°295-296 – 4ème trimestre 2009 / 1er trimestre 2010
SNJ 295
11/03/10
16:42
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Multimédia
Une des conclusions des États généraux
La presse en ligne enfin reconnue
L
a loi (dite « Hadopi ») du 12 juin 2009, dans son article
27, reconnaît comme « service de presse en ligne
tout service de communication au public en ligne édité
à titre professionnel par une personne physique ou
morale qui a la maîtrise éditoriale de son contenu,
consistant en la production et la mise à disposition du public
d’un contenu original, d’intérêt général, renouvelé régulièrement, composé d’informations présentant un lien avec
l’actualité et ayant fait l’objet d’un traitement à caractère
journalistique, qui ne constitue pas un outil de promotion ou un accessoire d’une activité industrielle ou commerciale ».
C’est un résultat direct des États généraux de la presse
écrite (EGPE) organisés par les pouvoirs publics fin 2008.
Le « statut d’éditeur en ligne » est une recommandation
du pôle « Internet » des Etats généraux. Le SNJ avait à
plusieurs reprises manifesté ses critiques sur l’organisation des Etats généraux, mais il avait choisi d’y rester jusqu’au bout, à la différence des autres organisations de
journalistes. Le statut de la presse en ligne est l’un des
points sur lesquels il peut se féliciter de cette attitude responsable.
D’autant que les conditions de reconnaissance de la
presse en ligne (décret du 29 octobre 2009) reprennent
pour l’essentiel ce que le SNJ avait demandé et obtenu
aux Etats généraux : mission d’information à titre professionnel, contenu original, traitement journalistique, emploi
de journalistes professionnels… C’était déjà sur ces bases
que, depuis dix ans, la Commission de la carte osait
braver le vide juridique en reconnaissant des consœurs
et confrères qui exerçaient pour des sites d’informations
qui n’étaient pas des entreprises de presse…
La Commission paritaire des publications et agences de
presse (CPPAP), qui était déjà chargée de reconnaître les
entreprises de presse « papier », voit cette compétence
élargie à la presse en ligne (décret du 19 novembre
2009). Et sa composition (éditeurs/Etat) est modifiée
pour intégrer un représentant de la presse en ligne. Lors
de sa première réunion dans cette nouvelle configuration, le 3 décembre, la CPPAP a reconnu notamment
bakchich.info, lemonde.fr, liberation.fr, mediapart.com,
metrofrance.com, route124.fr, rue89.com, slate.fr…
Pourquoi, aux Etats généraux, les éditeurs se sont-ils
retrouvés aux côtés du SNJ pour plaider en faveur de la
reconnaissance de la presse en ligne ? Une de leurs principales motivations est économique. Alors que le « modèle
économique » (business model) de l’info sur le web est
encore pour le moins incertain, voire introuvable, il s’agit
pour eux de bénéficier non seulement des aides de l’Etat
à la presse (conditionnées par l’agrément de la CPPAP)
mais aussi des aides spécifiques au développement de
la presse en ligne. En effet, paradoxalement, celles-ci
étaient réservées aux publications reconnues – déjà bien
dotées par les aides « classiques » – excluant de fait les
sites de presse en ligne n’éditant pas de version papier
(les « pure players »). Désormais, toujours en application
des propositions des Etats généraux (décret du
11 novembre 2009), un fonds d’aide au développement
des services de presse en ligne (« fonds SPEL ») est
ouvert à tous les éditeurs de presse en ligne, du moment
qu’ils ont passé le premier barrage de la reconnaissance
par la CPPAP. Nouveauté d’importance : ces aides de
l’Etat spécifique à la presse en ligne peuvent couvrir aussi
une partie des salaires des journalistes. Une « compensation » obtenue par les patrons à la condition d’emploi
d’au moins un journaliste professionnel.
60 millions d’aides sur trois ans
60 millions d’euros d’aides sont prévues, sur trois ans,
versées pour 80 % sous forme de subventions et 20 %
sous forme d’avances remboursables. Une commission
paritaire (encore une !), réunie en décembre 2009, a
attribué des subventions à Rue89 (249 000 euros),
Mediapart (200 000 euros), Slate (199 000 euros). Mais
les pures players regrettent toutefois « que la majorité
des fonds aille vers les sites de la presse traditionnelle »,
plus habituée à la chasse aux subventions. Bizarrerie : il
est très difficile de connaître les montants perçus par les
titres de la presse « papier », car ces journaux « répugnent à faire connaître le montant des aides qu’ils touchent de l’Etat » relève pudiquement… Le Monde ! En
démocratie, s’agissant d’argent public, le SNJ ne peut que
plaider pour une plus grande transparence en la matière,
pour laquelle milite notamment le SPIIL, le Syndicat de
la presse indépendante d’information en ligne – nouvelle
organisation patronale spécifique à la presse en ligne, les
« pure players ».
Les Etats généraux ont donc abouti à intégrer la presse
en ligne dans le périmètre de la presse reconnue. Cela a
évidemment exacerbé un autre clivage : avec le monde
du web amateur. Les termes de la polémique ont bien
été posés par Narvic, un des meilleurs blogueurs traitant
des médias : la manne publique est « placée sous conditions. Et ces conditions […] consistent bel et bien pour la
presse en ligne pure players à rentrer dans le rang du
bon vieux journalisme “à l’ancienne”. Ça conduit bien à
renier, ce qui faisait l’originalité de ces expérimentations
d’information en ligne, ce brouillage des frontières traditionnelles du métier de journaliste, cette hybridation
entre amateurs et professionnels si caractéristique du net.
C’est la restauration pure et simple d’un Mur de Berlin
de l’information sur Internet, la bunkérisation du journalisme professionnel. C’est, à mes yeux, une trahison pour
un plat de lentilles ».
Si le « plat de lentilles », c’est l’exigence que le journalisme reste un métier, la reconnaissance du statut – fruit
de plus d’un siècle de luttes – à tous les journalistes professionnels, quel que soit le support, le SNJ assume son
désaccord fondamental avec les apprentis sorciers du
« journalisme » dit « citoyen », pseudo « rebelles » qui
n’inventent rien, mais restaurent, bien dans l’air du temps
« libéral », une loi de la jungle d’un autre temps. ■
Eric MARQUIS
Presse en ligne : une future
grille de fonctions
La presse en ligne fait partie du paysage médiatique depuis une bonne
dizaine d’années. Jusqu’en 2009,
elle restait pourtant en marge dans
de nombreux domaines : aucune
reconnaissance juridique, aucun
syndicat pour la représenter, pas de
statut précis pour les journalistes,
des salaires fantaisistes…
Premiers effets des Etats généraux
de la presse écrite de 2008, un texte
de loi définit la presse en ligne et la
Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP)
commence à « reconnaître » des
sites (une quinzaine pour l’instant). Il
manquait l’essentiel pour établir un
lien entre les syndicats de journalistes et la presse en ligne, à savoir
un syndicat professionnel. C’est fait !
Le SNJ a rencontré le 11 février dernier Maurice Botbol (1), président du
Syndicat de la presse indépendante
d’information en ligne (SPIIL) et le
vice-président Laurent Mauriac (2).
Né en 2009 avec une demi-douzaine
de sites, le syndicat en compte
aujourd’hui une cinquantaine, dont
« deux en difficulté sérieuse », selon
Laurent Mauriac.
Dans un premier temps, notre seule
ambition était de mesurer les
attentes des uns et des autres. À
notre grande surprise, nous nous
sommes retrouvés rapidement sur
un même terrain de préoccupations,
celui d’une grille de salaires et d’une
liste de fonctions à établir le plus
rapidement possible, car ni le SNJ ni
les dirigeants des sites ne s’y reconnaissent vraiment. Et le SPIIL a pour
vocation annoncée d’affirmer que la
presse en ligne est elle aussi un
journalisme de qualité. Un de leurs
critères étant d’embaucher des journalistes professionnels.
Dans un premier temps, le SPIIL va
établir une liste des fonctions existantes. Nous travaillerons ensemble
dans les mois à venir sur cette base.
Bertrand COUDREAU
(1) Indigo publications, lettres d’informations confidentielles.
(2) Directeur général de Rue 89 (et
membre de la célèbre famille du même
nom).
Etats-Unis : Internet suiveur
Une étude publiée par le Pew
Research Center, aux Etats-Unis,
révèle que les quotidiens et les
autres médias traditionnels (magazines, radio, télévision) sont la
source principale d’information,
malgré la concurrence des sites
Internet, plutôt suiveurs, qui ne produisent que 4 % des « informations
nouvelles ».
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