1 La Place Halle Delacroix Par Vincent LORIN

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1 La Place Halle Delacroix Par Vincent LORIN
La Place Halle Delacroix
Par Vincent LORIN « écologue rurbain en transition »
Préambule
A travers ce document, je présente un éventail d'informations qui seront à mon sens utiles et
réutilisables par les promoteurs et les acteurs du dispositif « Place à l'Art » sur la Place Halle Delacroix. Ce
travail est une ébauche qui signale des tendances présentes au mois de mars 2013 dans le quartier de
Noailles.
J'ai effectué ce travail de terrain seul, en une semaine, avec l'appui de Cendrine Chanut,
coordinatrice de la manifestation, au sein de l'Association « Les Têtes de l'Art ». Je suis conscient des
limites qu'engendre un temps d'enquête si court sur ce territoire, mais pense cependant que cette étude
permet d'identifier des axes de travail qui pourront être approfondis par la suite.
Au total, cette étude m'a conduit à rencontrer 6 commerçants de la place et 4 associations du
quartier, toutes impliquées et identifiées comme moteurs d'une dynamique sociale. Sur les 38 passants qui
ont participé à l'enquête, 16 étaient des femmes, 3 des adolescents, le reste étant des hommes qui
représentent la population la plus visible sur le quartier.
On peut déjà noter l'absence de représentation des enfants dans cette étude, alors qu'ils
représentent une des principales cibles de « Place à l'Art ». Cette omission volontaire est due au manque de
temps pour réaliser l'enquête.
Introduction
La place Halle Delacroix s'inscrit dans un quartier populaire, cosmopolite, comme l'on ne sait plus en
construire aujourd'hui. Territoire extrêmement dense, central, au bâti partiellement insalubre, il transpire une
histoire chargée d'échanges en tous genres, de diverses projections dans l'avenir, qui rendent la lecture de
son présent complexe. A l'instar des marseillais, les habitants de Noailles sont conscients que leur quartier
est touché par une « Inertia profundis » (terme utilisé en psychanalyse urbaine pour décrire une peur du
changement identifiée dans une ville patiente, qui l'empêche de mettre en pratique des transformations
qu'elle désire), en particulier concernant la place qu'il donne à sa jeunesse.
On peut cependant noter qu'après de nombreuses années de stagnation, des efforts sont à saluer,
en particulier quant à la salubrité générale du quartier, l'envolée végétale de certaines rues, ou encore la
création d'un collectif d'habitants en parallèle du CIQ.
1) Grandes lignes de l'histoire contemporaine de cette place du quartier Noailles
La place était un haut lieu du commerce à Marseille jusqu'au début des années 80. Sa halle aux
poissons, la criée et ses nombreux commerces étaient la « locomotive d'une riche vie sociale », selon un
commerçant présent depuis des décennies sur la place. Le quartier est toujours extrêmement marqué par
son emprise commerciale, mais spécifiquement sur la place Halle Delacroix, les commerçants interviewés
partagent l'envie d'y diversifier les activités pour retrouver l'ivresse d'antan.
- Il y a plus de 10 ans, la communauté asiatique organisait la fête du Dragon, mais cet évènement s'est
terminé de manière un peu abrupte. « Les mentalités sont un peu rudes lorsqu'il y a des rassemblements, et
du coup, ça nous a cassé les envies », un commerçant du quartier.
- « La place est encore marquée par son histoire. Les nombreux rideaux fermés permettent d'imaginer un
passé commercial plus animé », un membre du Collectif Noailles.
- « Le quartier rame à se faire gentrifier. Bon, c'est vrai, ils partent de loin », un habitué du quartier qui n'y vit
plus depuis 2 ans.
Cette place était un lieu identifié pour des actes violents et récurrents par certains participants. Malgré un
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apaisement largement partagé, cette image lui colle quelque peu à la peau. Nombreux sont ceux qui veulent
transformer cet imaginaire collectif en quelque chose de plus positif.
- La place était appelée « Le couloir de la Mort », ou encore « La Place des receleurs », par ses habitués.
L'installation d'un système de vidéo-surveillance a coïncidé, selon plusieurs témoignages, avec la baisse des
vols à l'arraché et actes de délinquance.
- « Avant, il valait mieux venir sans sac » affirme une mère de famille qui traverse le quartier régulièrement
sans y vivre.
- « Il n'y a pas d'embrouilles sur le quartier, car les activités sous-marines tiennent le quartier, beaucoup
mieux que la police », un habitant du quartier.
- « Ici, c'est toujours « y'a pas de problème ». Quand on vous dit ça, méfiez-vous ! », un commerçant du
quartier.
Marie Sengel, auteur d'une étude sur le quartier (voir le blog :http://quartiernoailles.over-blog.com) à
partir de nombreux entretiens, distingue quant à elle différents types de violences à Noailles, qui se mêlent
avec les préoccupations des habitants, en particulier au niveau du logement. Selon la directrice de
Destination Famille, c'est la première des préoccupations des habitants du quartier. Elle différencie trois
violences majeures relatives à l'habitat insalubre : une physique, favorisant l'apparition de maladie ; une
autre contre soi-même, lorsqu'on accepte un système de soumission dégradant en vivant dans ces
conditions ; une dernière de l'ordre de la différenciation entre les habitants.
2) Un espace public où les différentes approches tendent à converger
La place de la Halle Delacroix, peu utilisée comme espace public à proprement parler, est pour
l'instant occupée majoritairement par les commerces qui ont augmenté leur emprise territoriale. Cependant,
lors des entretiens, il semble qu'ils soient prêts à jouer le jeu d'un partage de l'espace, en particulier dans le
sens d'un développement d'activités pour les jeunes.
- « C'est un lieu de luttes, qui a été quelque peu pacifié. Il offre aujourd'hui plus de lumière », un habitant de
Noailles.
- A partir de 11h30, les véhicules ne peuvent plus rentrer sur la place, à l'exception des scooters qui la
traversent régulièrement. Il serait donc préférable de proposer des ateliers l'après-midi plutôt que le matin.
« Vu qu'on nous empêche de développer notre commerce en laissant l'accès aux véhicules, autant que la
place serve à quelque chose», une commerçante de la place.
- « Un des seuls endroits à Marseille sans voiture, c'est agréable. En plus, c'est un lieu de mixité », un
habitant de Noailles.
- « C'est une Place à l'Italienne, mignonne, inscrite au patrimoine de la ville. Cependant, on peut y voir des
climatisations ça et là, ainsi que des paraboles, les poubelles débordent un peu moins qu'avant mais c'est
pas encore ça, c'est dommage !», un habitant du quartier.
La place est un espace de rencontres, en particulier pour les hommes. Un des challenges, en y
attirant les enfants, est de permettre aux femmes d'investir la place. Le fait qu'il y ait moins de passage sur la
place Halle Delacroix que sur celle du Marché des Capucins semble les exposer davantage aux regards
parfois incommodants des hommes. Le constat est partagé par tout le monde, les enfants sont mal lotis à
Noailles en termes d'espaces dédiés.
- « Ici, il n'y a rien pour les enfants, alors que dans les quartiers Nord, je viens des Aygalades, nous avons
tout », une femme qui vient régulièrement faire ses courses à Noailles.
- « En tant que demoiselle, je mettrais juste un bémol sur le sifflement et les regards insistants des hommes
du quartier. Ca fait presque partie du décor du quartier », une étudiante vivant dans le quartier.
- « Si vous faites quelque chose pour les enfants, le quartier vous suivra. Les enfants sont respectés dans le
quartier », un habitué de la place.
- « Je viens quand il y a la fête », un passant qui traverse souvent le quartier.
- « Les espaces publics à Marseille n'offrent aucun espace pour s'asseoir, la place ne déroge pas à cette
règle », une jeune étudiante habitant le quartier depuis 9 mois.
Le partage de cet espace public pose une question pragmatique. Comment accorder toutes les
envies pour cette place, bien qu'elles semblent converger vers une même idée : rendre la place plus
attractive pour les familles et les touristes. Les indicateurs sont au vert pour enclencher différents projets sur
cette place, reste l'inconnu du temps de gestation d'une démarche commune et partagée.
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3) Une approche sensible de la Place et du quartier
Cette place donne le sentiment d'être un espace de respiration dans le quartier, tout en gardant
l'identité de ce dernier. En annexe, à travers le plan en négatif du quartier, on se rend bien compte de
l’exiguïté des espaces publics dans le quartier.
- « La place n'est pas vraiment différente du reste du quartier, elle est tout aussi homogènement
bordélique », un ancien habitant du quartier.
- « Nous sommes au cœur de Noailles, et en même temps, la place est un peu en dehors du flux. Il faut la
trouver », un passant qui n'habite pas le quartier.
Il y règne une ambiance propice à la rencontre, même éphémère. Contrairement au reste du
quartier, il y a de l'espace pour discuter, se rencontrer, sans gêner le flux constant de passants.
- « Les habitants tendent à s'intéresser de plus en plus à ce qui se passe dans le quartier. Ils sont prêt à
jouer le jeu », un membre du Collectif Noailles.
- « Cette place est tenue par différentes familles. Tout le monde se connaît », une commerçante de la place.
- « Je vis dans le quartier et y'a une vraie vie sociale, les gens se connaissent, c'est agréable de sortir de
l’anonymat des grandes villes », une étudiante vivant dans le quartier.
- « Il y a un peu de tout ici. Si tu connais pas Marseille, c'est un lieu de rencontre », un habitué des terrasses
de la place qui ne vit pas dans le quartier.
Au-delà de l'attrait de la Place, il semble que le quartier possède une aura qui transporte les gens
ailleurs. Les multiples singularités du quartier participent en effet à la sensation de voyage et de rencontre
des cultures. Ce phénomène serait propre au quartier selon certains.
- « J'aime faire mes courses ici, il y a une belle communication entre les cultures. Mais quand je sors du
quartier, j'ai l'impression que tout le monde redevient étranger à l'autre, que c'est chacun sa vie. Noailles
posséderait-il un pouvoir magique ? », une habituée du quartier qui n'y vit pas.
- « Je suis d'origine berbère. En venant ici, j'ai l'impression d'être là-bas. Ca me fait du bien », une habituée
du quartier qui n'y vit pas.
- Dans leur livre, « Le ventre de Marseille », Marie d'Hombres et Blandine Scherer notent qu' « à Noailles,
l'espace-temps est élastique, chaque boutique vous plonge dans des histoires ancestrales ou des lieux
exotiques ».
De nombreuses personnes rencontrées associent le cosmopolitisme avec le quartier Noailles, pour
ses valeurs de cohabitation, de mouvement ou de variété des usages qui s'y trouvent. Marie Sengel parle
plus de différenciation, avec un quartier aux cultures, aux différents comportements, attitudes, langages,
situations professionnelles ou matrimoniales qui participent à différents projets collectifs pour le quartier. Elle
ajoute que « la particularité de Noailles, à Marseille, n'est pas de proposer une réunion de « tous les
peuples ». Sa particularité est de varier et de brouiller les modèles au point de ne permettre à aucun, en
particulier, d'émerger et de faire autorité ». Elle décrit ainsi une rupture avec l'unité du modèle culturel,
religieux ou social.
Marie Sengel aborde également la question de l'acceptation des minorités : A Noailles, « cette
volonté de ne pas interdire, cette impuissance à exclure, ce silence opposé à une attitude ou à une présence
réprouvée ou condamnée s'appelle parfois le respect ». Il s'en dégage selon elle une sorte de statu quo où
« il s'agit moins de soutenir le dialogue que de partager l'espace public en échappant à la confrontation mais
aussi, par conséquent, à la rencontre ».
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Un portrait chinois de la place Halle Delacroix
Cet outil est utilisé en psychanalyse urbaine pour mettre en lumière l'imaginaire collectif autour des lieux.
Voilà un aperçu des réponses :
- Si la place était un fruit ? Une grenade, acidulée, avec pleins de pépins, elle peut exploser à tout moment /
Une mangue, colorée, sucrée, avec un énorme noyau à l'intérieur, dur / Un Oignon, il y a ce qu'on voit en
surface, et puis tout le reste / Du lait de coco en tetrabrique, énergétique et pas cher / Une citrouille ouverte
en deux, y'a de la place pour tout le monde, mais c'est pas très propre et y'a pleins de pépins / Du manioc,
c'est dur, il faut le râper et on n'a pas l'habitude de le cuisiner.
- Si la place était un animal ? Un phœnix, qui va renaître de ses cendres / Un kangourou, les enfants sont
cachés dans les poches / Un jeune chien un peu foufou, quand tu lui mets des règles, il les suit, même si
des fois il faut un peu insister / Un pigeon, par rapport aux mecs qui roucoulent et qui restent là, sans trop
bouger.
- Si la place était un film ? « Les tontons flingueurs », c'est drôle, mais des fois ça bastonne / « La perle
cachée », cette place est belle.
- Si la place était un son ? Un orgue, avec ses différentes tonalités, il jouerait plusieurs morceaux à la fois /
Un cri, par rapport à l'histoire de la place et son quotidien actuel, il y a toujours un brouhaha / Un cri de
défense du cosmopolitisme de Marseille.
Il est évident à travers l'étude de cette approche sensible de cette place que le potentiel de création
d'un espace public de qualité est bien là et personne ne semble le nier. Cependant, la « magie » d'un
quartier comme Noailles tient aussi par toutes ces propositions inattendues et parfois hors-cadre. L'enjeu
pour cette place, et pour le quartier en général, serait donc de se transformer assez pour attirer les enfants,
sans pour autant perdre son « cosmopolitisme cru » qui fait partie intégrante de son identité.
Bibliographie et sources :
- « De gré ou de force : Noailles à l'heure de la réhabilitation », Marie Sengel et Franck Pourcel, Ed. Les
P'tits Papiers, 2008.
- « Le ventre de Marseille », Marie d'Hombres, Blandine Scherer et Anna Puig Rosado, Ed. Gaussen, 2012.
- « Noailles, un isolat stratégique de l'hyper-centre Marseillais », Document interne de la SOLEAM, 2012.
- http://www.centrevillepourtous.asso.fr/index.php
- http://atelierfeuillants.wordpress.com/
Annexe :
1) Plan en négatif du quartier Noailles, La place Halle Delacroix est en jaune
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