interview d`etienne piquet-gauthier

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interview d`etienne piquet-gauthier
INTERVIEW D’ETIENNE PIQUET-GAUTHIER
Délégué épiscopal de Lyon à la Pastorale du tourisme et des loisirs.
Propos recueillis pas Ludovic Viévard, le 8 juin 2010.
Quel est le paysage du tourisme
religieux à Lyon ?
Il y a différents acteurs à Lyon. La
Pastorale du tourisme, essentiellement
pour les visites de la cathédrale, de
Quelle est la mission de la Pastorale
l’amphithéâtre, et en partie de Saintdu tourisme et des loisirs ?
Martin d’Ainay, la
Ce
service
de
diocésain qui existe « Après le tourisme d’affaire, le Fondation
tourisme
lié
à
la
soie,
le
tourisme
Fourvière, pour la
depuis 1975 a pour
objectif d’ouvrir les viticole, etc., nos partenaires basilique, et des
conscience
de services
d’accueil
bâtiments religieux prennent
du
tourisme sur certains sites
au public et de l’importance
majeurs
comme
concrétiser
à religieux »
Saint-Nizier, Ainay, Saint-Irénée, Saintl’intention des visiteurs une présence
Just, qui sont indépendantes mais de
chrétienne témoignant de la vivacité de
qui nous sommes très proches.
ces lieux qui ne se réduisent pas
D’ailleurs, tous nous travaillons en
seulement
à
leur
dimension
bonne intelligence et nous avons en
« muséale ». C’était à la fois un enjeu
charge chacun les principaux lieux
pour les chrétiens — savoir accueillir
touristiques. Avec 1,5 millions de
les visiteurs et leur donner des clés de
visites par an, Fourvière est sans
lectures des lieux — et pour les
contexte le plus attractif, viennent
visiteurs —, afin qu’ils comprennent
ensuite la cathédrale Saint-Jean puis
que ce sont toujours des endroits
l’église Saint-Nizier, qui est l’une des
vivants, des lieux de foi, qu’il s’agisse
premières églises de Lyon par son
de sites archéologiques comme
importance ; c’était à l’origine celle des
l’amphithéâtre des trois Gaules,
commerçants, des banquiers, et elle
d’églises anciennes, ou d’églises
était dans l’axe de l’ancien Pont du
récentes. Cette volonté d’ouverture,
Change, premier et unique pont sur la
qui met fin à une période où les églises
Saône durant longtemps. Le site
étaient le plus souvent fermées,
d’Ainay est encore trop peu connu ;
nécessite une logistique importante
parce qu’il vient d’être rénové et parce
pour qui, comme l’Eglise catholique,
qu’il renferme des trésors, il devrait
n’a que peu de moyens. Nous nous
monter en puissance. Ensuite, ce sont
appuyons donc sur un réseau d’une
les églises du Beaujolais, ou l’ancienne
vingtaine de guides bénévoles qui
abbaye de Charlieu, dans la Loire, qui
accueillent environ 5000 visiteurs
attirent les touristes. D’autres lieux
chaque année.
d’intérêt existent bien sûr, mais ils sont
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peu visités, soit parce qu’ils sont moins
connus, soit parce qu’ils sont
excentrés. Saint-Irénée, par exemple,
est peu fréquentée, sauf par les
Orthodoxes. Hormis les églises et
l’amphithéâtre, il convient de faire
mention du cachot de saint Pothin à
l’Antiquaille. La légende veut que saint
Pothin ait été enfermé à cet endroit.
L’Espace Culturel du Christianisme à
Lyon (ECCLY) rénove actuellement le
cachot et le couvent des visitandines
pour y installer un parcours du
christianisme et une présentation du
fait religieux. Il sera ouvert aux visites
fin 2011. Cela créera un nouveau lieu
dans la ville, avec un circuit autour de
l’Antiquaille, qui sera en relation étroit
avec Fourvière, la maison de Pauline
Jaricot et Saint-Irénée. Au service de
la Pastorale du tourisme, il nous arrive
également de répondre à des
demandes précises, par exemple pour
ceux qui veulent suivre les pas du père
Chevrier, visiter le Prado…
Ne pensez-vous qu’il faudrait unifier
la porte d’entrée du tourisme
religieux à Lyon plutôt que d’avoir
plusieurs interlocuteurs selon les
sites ?
La Fondation de Fourvière est
indépendante par nature. Le voudraiton, pour des raisons juridiques, cela ne
serait pas possible. Et pour ma part, je
n’y suis pas favorable car cela ne
présente aucune valeur ajoutée pour le
visiteur extérieur. De surcroit, le
service apporté par la Fondation
Fourvière
est
remarquable.
Aujourd’hui, la « porte d’entrée du
patrimoine
religieux »
existe.
Beaucoup de demandes passent par
l’Office du tourisme qui nous les
renvoie systématiquement. Et nous
sommes à même de les gérer, y
compris en renvoyant vers les sites
eux-mêmes
lorsqu’ils
sont
bien
structurés. Nous sommes en matière
de tourisme, sans jeu de mots, le
« portail » de l’Eglise.
Il semble qu’après une époque de
ferveur catholique, où les fidèles
investissaient les lieux de cultes ou
de mémoire, il s’agit surtout
aujourd’hui de tourisme culturel lié
à ces lieux ?
Je nuancerais. Certes nous avons
beaucoup de scolaires qui visitent
dans
le
cadre
des
cours
d’enseignement du fait religieux et,
également, beaucoup de groupes du
deuxième et du troisième âges qui
s’intéressent à la culture, à l’histoire, à
l’architecture des lieux. Du côté des
étrangers, nous avons des Chinois,
dont très peu effectivement sont
catholiques, ainsi que des Américains,
mais aussi de nombreux touristes qui
viennent des pays traditionnellement
catholiques comme l’Espagne, l’Italie,
le Portugal, etc. Pour beaucoup d’entre
eux, il ne s’agit pas seulement de
visites patrimoniales. Ils sont croyants,
connaissent ces sites, leur histoire, et
viennent presque comme s’il s’agissait
d’un pèlerinage. Nous ne faisons pas
de différence, dans la mesure où nous
accueillons tout le monde, touristes
comme pèlerins. Même si le pèlerinage
n’est pas la motivation première, il
existe des contre-exemples qui
témoignent que l’idée de pèlerinage
n’est pas morte. Les 150 ans du curé
d’Ars, par exemple, ont attiré
beaucoup de monde à Dardilly où se
situe la maison natale du saint curé.
En 2010, Année sacerdotale mondiale,
la grande majorité des pèlerins qui se
rendaient à Ars passaient à Lyon.
Autre
cas
—
un
phénomène
exceptionnel — les fêtes mariales du 8
décembre :
c’est
également
un
exemple de pèlerinage bien vivant,
dans toute sa partie procession et
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intentions portées à Fourvière en tout
cas. Tous les ans, l’affluence des
processionnaires
double
et
les
intentions déposées à Saint-Jean sont
de plus en plus nombreuses. C’est un
signe de foi et d’espérance !
Pourtant la fête a été largement
laïcisée. De la Fête du 8 décembre à
la Fête des lumières, l’esprit a
changé…
Pour
nous,
Eglise
catholique,
l’attractivité de la fête est une bonne
chose : 4 millions de personnes sont
là, et nous les accueillons. Certes ils
ne viennent pas tous pour Marie, mais
ils voient tous le « Merci Marie » inscrit
sur Fourvière et les affiches dans le
métro et dans les commerces. Nous
prenons ce renouveau comme une
chance et comme une mission, car à
une époque l’Eglise avait un peu
délaissé l’événement, jusqu’à parfois
ne pas organiser de procession !
L’affluence massive du public nous
permet de revenir dans cette fête
populaire, ce qu’elle était à l’origine.
D’ailleurs, nous sommes en relation
avec les responsables de la ville de
Lyon pour coordonner les œuvres
projetées sur les monuments religieux.
Nous jouons notre rôle de ce que
j’appelle le « partenaire historique » de
la fête ! C’est devenu une fête laïque,
mais qui n’oublie pas ses origines
religieuses. C’est ce que nous
cherchons à cultiver à chaque édition.
Les relations avec la ville sont
fluides ?
Elles sont exemplaires et basées sur la
confiance réciproque. Pour la partie
visible, nous sommes inscrits sur le
programme officiel de la Fête des
lumières
et,
inversement,
nous
indiquons les événements organisés
par la ville. Une bonne entente entre
les deux institutions, c’est lié à l’histoire
de Lyon et puis, l’histoire démontre
que pour être maire de Lyon, il faut
avoir de bons rapports avec l’Eglise…
Avez-vous
d’autres
partenaires
institutionnels et sur quoi travaillezvous avec eux ?
Outre la ville, nous travaillons avec le
Grand Lyon avec qui nous avons eu
plusieurs échanges au sujet de la Fête
des merveilles. Cette ancienne fête
d’origine religieuse avait autrefois
cours sur l’eau, et nous aimerions
participer à son retour, ce qui ferait le
pendant, aux beaux jours, de la Fête
du 8 décembre. Nous aimerions
organiser quelque chose autour des
chants et des chorales embarquées
sur la Saône, pour rappeler la fête
originelle, et ouvrir les églises du bord
de rive.
Nous sommes également en relation
avec l’Office de tourisme (OT), le
Comité départemental du tourisme
(CDT), le Comité régional du tourisme
(CRT) et un certain nombre de tours
opérateurs.
Sans
oublier
les
professionnels du tourisme que sont
les hôteliers à qui nous adressons
chaque année le guide pratique du
diocèse et les différents supports
édités par le diocèse qui peuvent
intéresser leurs clients qui souhaitent
découvrir les richesses de la ville.
Nous créons, au moment de Noël, un
Chemin des crèches pour redécouvrir
le sens de cette tradition. Par ailleurs,
une innovation cette année est la
création d’un parcours du chemin de
Saint-Jacques qui passe par Lyon,
inauguré le 24 juillet prochain.
Enfin, il y a trois ans, nous avons édité
un Guide des Madones de Lyon. A
travers 7 circuits pédestres, les
promeneurs peuvent admirer les
statues de saints et de Marie, qui font
de Lyon une des villes les plus riches
en la matière. A cette occasion, un
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inventaire exhaustif des niches et
statues a été créé par le diocèse, qui
sert également à la ville de Lyon, à
l’association les Madones de Lyon et à
la Fondation du Patrimoine qui mènent
ensemble une action auprès des
propriétaires pour la conservation et la
rénovation des statues.
Ces
exemples
témoignent
des
collaborations fructueuses entre les
institutions et nous, ils montrent
également
le
potentiel
encore
inexploité du tourisme religieux. Cela
fait d’ailleurs partie de nos discussions
avec les instances en charge du
tourisme. Et les choses bougent. Après
le tourisme d’affaire, le tourisme lié à la
soie, le tourisme viticole, etc., nos
partenaires prennent conscience de
l’importance du tourisme religieux. Et
c’est très encourageant.
L’espace public a longtemps été un
lieu investi par l’Eglise à travers les
signes religieux, les processions,
les fêtes mariales, etc. L’Eglise a été
contrainte d’abandonner cet espace,
sous l’effet de la laïcisation, qu’en
est-il aujourd’hui ?
C’est vrai que l’espace public a
longtemps été désinvesti. Il est vrai
aussi que les chrétiens se sont, d’une
certaine manière et à une certaine
époque, un peu cachés. Mais je crois
que cette époque est derrière nous.
Les jeunes prêtres et les jeunes
chrétiens affichent avec fierté leur
appartenance à une foi. Les chrétiens
à Lyon se placent dans l’action et dans
le témoignage : d’où notre volonté
d’ouvrir les lieux de cultes et d’aller à la
rencontre des gens. L’espace public
est lui aussi réinvesti : la Fête-Dieu,
par exemple, a été de nouveau
organisée à l’initiative de la paroisse
de Saint-Georges. Il y a le chemin de
croix qui a également lieu dans la rue
le vendredi Saint, de Notre Dame
Saint-Louis à la Guillotière jusqu’à la
cathédrale. Enfin, cette année, une
partie de la célébration d’ordination
des prêtres se fera en extérieur sur la
place Saint-Jean.
Ce réinvestissement de l’espace public
tient selon moi au fait que les chrétiens
ont moins de réticence à se montrer,
au succès du 8 décembre qui a permis
de créer les Missionnaires du 8, où
1500 chrétiens bénévoles donnent de
leur temps pour accueillir les gens
dans la rue et dans les églises
ouvertes.
Les
chrétiens
sont
certainement
moins
nombreux
qu’avant, mais ils sont aussi moins
frileux. On n’est plus dans un
catholicisme de tradition culturelle,
mais dans un catholicisme d’adhésion
où les gens n’ont plus peur
d’évangéliser. Cela signifie quoi ?
Certainement pas une volonté de
reconquête, mais que nous avons
conscience
de
l’importance
de
témoigner de notre foi, d’expliquer, de
dialoguer, de répondre à une demande
spirituelle, et tout simplement d’être
présent et en capacité de rencontre
avec l’autre. Pour l’Eglise, cette
dimension est essentielle. Or notre
présence dans l’espace public nous
donne l’occasion de le faire et de
toucher des gens différents de ceux
qui vont à la messe dominicale. En
forme de clin d’œil, nous rencontrons
beaucoup
de
jeunes
femmes
musulmanes à l’occasion des festivités
du 8 décembre, parce que Marie est
une figure qui les touche.
Lyon, ville mariale, c’est toujours
une réalité ?
Oui. Les Lyonnais, en tout cas, y sont
très attachés. La Fête du 8 décembre
de
l’Immaculée-Conception
en
témoigne, puisque les gens se rendent
à la chapelle de la Vierge. Le 8
septembre avec le Vœu des échevins
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le montre aussi et le succès rencontré
par le Guide des Madones de Lyon et
les balades commentées, également.
Cela est anecdotique mais on
s’aperçoit que certaines niches qui
étaient vides à l’inventaire de 1995,
abritent aujourd’hui des statues qui
n’ont rien à voir avec les originales
mais qui ont été placées là par des
particuliers, des propriétaires, des
commerçants, etc. Cela montre que la
dévotion à Marie existe encore. Il y a
une idée qui pourrait prendre forme,
sans doute pas tout de suite, mais d’ici
à quelques années, c’est d’organiser
un congrès marial à Lyon, comme cela
se faisait autrefois. Car tout n’a pas
encore été dit sur Marie !
Quelles sont les étapes suivantes ?
C’est un scoop ! Nous sommes en
train de créer des applications de
réalité
augmentée
disponibles
gratuitement sur smartphones dans les
prochains mois. Le principe est simple.
Lorsqu’on se trouve face à la
cathédrale
Saint-Jean,
il
suffit
d’enclencher la fonction appareil photo
du téléphone pour que se surajoutent à
l’image des informations sur le
bâtiment que l’on voit et les possibilités
de téléchargement de guides audio en
français et en anglais. C’est pour
l’Eglise un vrai défi du 21ème siècle qui
n’a rien à voir avec du jeunisme mais
c’est un formidable outil porteur de
grandes potentialités touristiques et de
première annonce. Le format papier
continuera à être présent mais le
numérique est une vraie chance ; il
offre un accès plus vivant au savoir.
On pourra créer une promenade audioguidée, avec la possibilité d’insérer des
archives, des liens, etc. C’est un
moyen de plus pour apporter aux
visiteurs les clés pour comprendre les
monuments qu’ils ont sous les yeux.
Ambitieux, non ?
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