DotA 2 - WordPress.com

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DotA 2 - WordPress.com
« DotA 2 », séquelle de « DotA », un mod de « Warcraft 3 » fait partie depuis son lancement en
2011 des acteurs majeurs de la scène E-Sportive mondiale. Célèbre pour avoir notamment
présenté plusieurs années d’affilé le plus gros Prize-pool de l’histoire de l’E-Sport avec son
tournoi « The International », « DotA 2 » bénéficie néanmoins d’une couverture moins forte
auprès du grand public que son concurrent direct « League Of Legends ».
La scène se compose alors avant tout de joueurs et d’amateurs d’esport initiés.
Contrairement à la scène coréene où les joueurs pro sont traités comme des sportifs
olympiques, et la scène américaine dynamique constamment au top de l’innovation, la scène
d’europe de l’ouest et notamment francaise peine à s’étendre, et l’audience de « DotA 2 » y
reste derrière celle de ses concurrents.
L’E-Sport ayant majoritairement grandi sur le web, il utilise naturellement pour son
développement les média digitaux. Au-dessus de l’habituelle communauté de bloggeurs
omniprésente, ses plus fervents représentants sont sans surprise les streameurs, acteurs et
témoins de son activité.
Qu’ils diffusent leurs propres sessions de jeu, où commentent les tournois professionnels, ils
sont le lien entre une communauté de joueurs en constante expansion et une scène
professionnelle instable en plein adolescence.
Nul doutes alors qu’ils sont les mieux placés pour parler de la scène, de son évolution, et de son
publique.
Sur une scène francaise peu développée, « DotA2 » rassemble malgré tout une forte
communauté de joueurs, aussi bien en terme de nombre que d’implication, mais peine à capter
de l’audience, et représente donc un intérêt restreint pour les médias, sponsors, et
organisateurs de tournois.
« Luciqno » est l’un des premiers à avoir voulu donner de la visibilité à « DotA 2 » auprès de la
communauté française. Il dirige et anime depuis plus de 4 ans la « Frogged TV », une web-TV
24h/24 entièrement dédiée à « Dota 2 », où il stream son propre jeu, ou diffuse et commente
des tournois professionnels.
Jadis hébergée par Millenium, la Frogged TV fait maintenant partie du groupe de streaming
« Gaming Live », par Jeux-Vidéo.com.
1) Comment en est-tu arrivé à streamer / Caster ?
Alors moi, ça fait un bout de temps que je m’intéresse à l’e-sport en soit, ça a commencé avec
les compétitions sur « Command & Conquer » que mon frère suivait, ça date un peu, il jouait
beaucoup aux jeux vidéo et j’ai donc commencé à jouer avec lui.
C’était clairement mon domaine, j’ai fait beaucoup de sport quand j’étais plus jeune, du coup
j’adorais tout ce qui étais lié à la compétition. J’ai essayé comme énormément de monde d’être
joueur professionnel, mais ce n’est pas donné à tout le monde : ça demande beaucoup de talent
et surtout de motivation, et de prérequis que je n’avais pas.
Du coup, en arrivant sur un jeu qui s’appelle « Warcraft 3 », j’ai commencé à beaucoup y jouer.
J’avais à peine 13 ans, et j’ai testé la compétition locale, à cette époque c’était des petits
tournois dans des cybercafés, j’arrivais avec mon petit papier signé par mes parents
m’autorisant à jouer, et j’ai vraiment adoré et je me suis tout de suite dit « il faut que tu fasse un
truc là-dedans ».
De « warcraft 3 » je suis arrivé à « DotA », j’ai commencé à jouer puis j’ai été recruté en tant que
Newseur dans la structure « Team aAa », je produisais entre 4 et 5 news par semaine, c’était le
seul site actif sur « DotA » à cette époque.
J’étais trop content, j’avais plein de retours, j’avais l’impression de faire bouger mon monde.
La structure a fini par recruter une équipe DotA, et comme je connaissais bien les joueurs ils
m’ont demandé de devenir leur manager.
C’est là que je suis rentré dans le monde de l’Esport. J’ai ensuite été manager d’autres équipes,
V1rus (ndlr : équipe professionnelle française, ayant notamment participé à l’équivalent de la
coupe du monde sur DotA 2 en 2012) etc.
A la sortie de « DotA2 » on s’est dit « il faut que DotA 2 explose, et on va faire tout ce qui est en
notre pouvoir pour que ça marche, donc on va commencer à cast les games professionnelles »,
ce qui n’existait pas à l’époque, « et si en plus on a les moyens de vivre de notre passion c’est
encore mieux ». Voilà comment est né le projet de Cast sur « DotA 2 ».
2) Est-ce qu’à un moment tu a ressenti un changement entre streamer « pour le fun », et
streamer de manière plus « professionnelle » ?
C’est un peu bizarre mais oui tu le ressens forcément. Toi tu ne le vis pas forcément de cette
manière, mais les personnes qui te regardent, elles, le vivent de manière différente.
Tu ne peux pas juste continuer à caster des tournois dans ta chambre, ils attendent plus de toi,
de la présence, du professionnalisme, du contenu, toujours plus… C’est Internet, il en faut
toujours plus, c’est la corne d’abondance : tout, à tout le monde, tout de suite. Donc il faut être
hyper réactif, toujours là, toujours présent, toujours souriant, bref « Toujours, toujours,
toujours ».
Et en plus, quand tu gagnes de l’argent à faire ça, on attends encore plus de toi.
Au final, pour les viewer ça représente toujours quelque chose, pour moi ça n’a pas changé
grand choses parce que de toutes façon c’est ma passion, et j’ai toujours été à fond dedans.
Après, le fait d’être rémunéré améliore quand même ton activité, j’ai pu m’acheter de meilleurs
micro, des PC, des écrans, une villa à Monaco et des Porsches, ça change quand même un peu la
vie. Mais de manière générale pas tant que cela.
3) Quelles contraintes ton activité représente-elle pour toi ?
C’est surtout de l’organisation, et c’est très spécifique à la scène DotA. Les tournois sont
organisés n’importe comment, et à l’heure actuelle dans l’e-sport rien n’est organisé, tout est à
faire. Du coup, tout le monde veut organiser son tournoi mais tout le monde ne sait pas
forcément le faire.
Quand je veux cast un tournoi, il faut donc que je m’organise au niveau des horaires, et comme
en plus je gère une Web-TV H24 il y a beaucoup de travail sur le planning : « qui est disponible
quand, qui je vais mettre ici et pourquoi ». C’est beaucoup d’organisation, et surtout de la
motivation.
C’est le plus important si quelqu’un souhaite se lancer dans l’E-sport : il faut vraiment être
motivé. Mais pas une motivation type « j’vais devenir riche », si tu as juste une motivation
pécuniaire ou « j’vais être connu et signer des seins », abandonne tout de suite, ça n’arrivera
pas. Il faut être sûr d’aimer ça, de vouloir participer à ce monde-là et se mettre à fond dedans.
Au final le plus important pour moi c’est juste la motivation, le reste c’est de l’organisation.
4) Est-ce que le streaming a changé tes habitudes de jeux, purement en tant que joueur ?
Clairement. A l’époque DotA2, c’était un plaisir d’y jouer en solo, j’adorai passer mon temps à
jouer, et maintenant… C’est triste à dire mais je ne joue quasiment plus en solo, j’ai plus le
temps pour ça. A côté de ça, vu que par soucis de « professionnalisation » j’ai lancé tout un suivi
de mes parties en solo, je ne peux plus jouer solo lorsque je ne stream pas.
Au final, le streaming a eu aussi pour conséquence de limiter énormément les jeux auxquels je
joue. Par exemple, je ne peux absolument pas me permettre de jouer à « League of Legends »,
c’est entre guillemets l’ennemi, le gros concurrent. Donc oui, je ne peux plus jouer à tout.
5) Est-ce que tu as une activité professionnelle en dehors du streaming ?
Actuellement je suis en formation chef de projet numérique, je suis occupé, mais ce n’est pas
une activité qui me rapporte de l’argent. Tous mes revenus, enfin ce que l’on peut appeler
revenus, proviennent du Streaming. Enfin, tout part dans les Porsches et ma villa de toutes
manières *rire*.
6) L’appellation Sport Electronique te semble elle être légitime, et pourquoi ?
Oui. Parce qu’il n’y a pas d’autres noms, en fait.
C’est légitime par ce que tu ne peux pas l’appeler autrement. C’est un nom intéressant.
Il y a des sports qui demandent bien moins d’activité physique que le jeu vidéo et qui sont
malgré tout considérés comme des sports.
7) Le fait de devenir Streamer / caster a-elle changé ta vision de l’E-sport par rapport à celle que
tu avais en tant que joueur ?
Par rapport à ma vision de joueur / spectateur oui, carrément.
On ne se rend pas toujours compte du travail qu’il y a derrière. Je me souviens avoir regardé des
tournois et me dire « qu’est-ce que c’est que cette organisation de merde ». Et évidemment
quand tu passes de l’autre côté de la ligne ca chance des choses, tu dois aussi défendre ton
activité.
Je me dis « après tout, il y a plein d’autres personnes qui fond des choses pour l’E-sport, des
hommes de l’ombre, qu’on ne voit pas forcément. »
Le jour ou ca a changé, c’est quand je suis rentré chez aAa en tant que manager. Je me suis
rendu compte que pour n’importe quel déplacement d’équipe, c’était déjà un travail de 2/3
heures ne serais-ce que pour une personne. Et je me suis rendu compte que ce n’étais pas si
simple que ca d’organiser et de fédérer autour d’une équipe.
Donc ça a beaucoup changé mon avis sur ce qu’est l’e-sport et sur comment c’est organisé à
l’heure actuelle.
8) Qu’est-ce que tu penses de l’évolution du monde de l’E-sport depuis ces dernières années ?
C’est intéressant, mais très inquiétant.
‘’Pour quelle raison ? ‘’
Notamment parce que, notamment sur « DotA 2 », on part sur un système qui se développe
extrêmement vite et c’est génial, il y a un nombre de cash prize faramineux, il y a une
professionnalisation concrète qui arrive sur les joueurs… Mais ce qui est très inquiétant c’est
qu’il n’existe aucune législation à ce niveau, aucune loi qui protège les joueurs, qui protège les
viewers. Il y a un vide juridique énorme.
Ça va être très dur à combler : c’est un problème global et il faudrait une véritable fédération de
l’E-sport qui recenserait tous les jeux… Ca me parait impossible à l’heure actuelle, et je ne pense
pas qu’il faille fonctionner comme les sports traditionnels parce que ce n’est pas un sport
traditionnel.
Mais j’ai l’impression que c’est en train de partir en bordel et j’ai peur que certaines sociétés
très puissantes, un peu comme Twitch qui vient de racheter Evil Geniuses et Alliance, prennent
le pouvoir et parviennent à contrôler toute une scène E-Sport en décidant de ce qui est bien ou
mal.
Je trouve ça un peu inquiétant mais c’est aussi la preuve que ça grandit. Et l’E-sport mérite
beaucoup plus de reconnaissance.
Au final oui c’est inquiétant, mais c’est « bien » que cela soit inquiétant.
9) En ayant côtoyé beaucoup de joueurs « pro », qu’est-ce que tu penses du terme « Athlète
électronique » ?
Ça ne me choque pas.
Au final ca dépends de la définition qu’on a d’athlète. C’est peut-être un peu tout much parce
que le mot « Athlète » reste lié à l’activité physique, mais ça reste un compétiteur.
Au final, est-ce que c’est si important que ça de débattre pour savoir si on doit l’appeler
« athlète » ou « compétiteur » ? Moi ça ne me choque pas.
Je comprends que des types complètement fermés d’esprit puissent se dire que c’est
dérangeant.
Mais pour moi un athlète e-sportif est un athlète, parce que c’est une personne qui s’entraine
de manière régulière, qui a une rigueur, qui est motivé… Pour avoir organisé des stages
d’entrainement complet pour des équipes françaises, on avait un planning complet avec une
certaine nourriture prévue, on devait s’entrainer de telle heure à telle heure et c’était hyper
physique.
Tu finissais la semaine épuisé parce que tu t’entrainais comme un dingue, et même si ce n’était
pas tant lié au corps que cela, au niveau mental c’était plus que compliqué.
Donc athlète je trouve ça très bien, et je ne suis pas sûr qu’on ait besoin de les appeler
autrement.
10) Vois-tu l’expansion de l’e-sport au grand public comme un fait positif ?
Je trouve ça très bien. Je ne vois pas pourquoi on pourrait diffuser les finales mondiales
d’échec, ou les finales mondiales du poney sur roller, et pas celles de DotA 2.
C’est très bien que ça s’ouvre au grand public, surtout quand on connait le nombre de
personnes qui jouent en réalité aux jeux vidéo.
Par exemple, mes parents étaient de la vieille école, on a jamais eu de consoles, on a eu un PC
pour l’informatique uniquement, et je sais que maintenant, mon père est un joueur, il me
regarde de temps en temps, et ma mère est très fière de ce que je fais. Ce sont des personnes
intelligentes qui sont conscientes que le monde évolue. Donc c’est très bien, et il faudrait que
cela s’ouvre encore plus au grand public, c’est ça le plus compliqué.
11) Quel impact social l’activité de streamer à elle eu dans ta vie ? Aurait tu été traité
différemment si tu étais impliqué dans le milieu sportif ?
Non, je ne pense pas.
Le plus gros impact social que cela a eu, c’est que j’ai perdu beaucoup de potes. Tu passes ton
temps devant un ordi, les potes IRL qui font du droit et caetera, tu les perds de vue. Par contre,
ça m’a permis de rencontrer énormément de monde.
Mes parents n’ont pas tout de suite accepté ce que je faisais, ça a été très dur à faire avaler, des
heures et des heures d’engueulades et de prises de têtes sur mon activité, sur le temps que je
passais sur mon ordi et pourquoi je hurlais tout seul dans ma chambre. Donc oui ça a été des
engueulades et ça a été un peu compliqué. Mais ils l’ont accepté.
Je pense que si j’avais été dans le milieu sportif ou autre, ça aurait été beaucoup moins difficile
pour moi de faire quelque chose.
Là on sort tout juste des périodes de fêtes, on a bien mangé et bu du vin avec la famille et les
cousins qu’on voit une fois l’an, et oui eux ils sont choqués, ils trouvent mon activité hyper
étonnante et ne comprennent pas réellement ce que je fais.
Après ça m’aurait potentiellement aidé à m’intégrer dans plein de soirées, je me souviens
notamment des potes de ma sœur qui me disaient « t’es un blaireau à passer ta journée devant
l’ordi ». Evidemment ils n’étaient pas tous comme ça. Mais forcément, ce n’est pas évident de
se dire que oui, on passe nos journées devant l’ordi et qu’en plus il y a des types qui
comprennent rien et viennent t’insulter.
Mais à côté de tout cela, je ne me serai pas aussi bien intégré : j’aurais été moins passionné
donc je n’aurais pas été autant sociable ou autre …
Clairement, j’aurais été mieux, mais en même temps à quoi bon ?
À quoi bon être accepté dans une société si tu ne fais pas ce dont tu as envie ?
12) Quelle différence vois –tu entre la scène française, et la scène E-sportive des autres pays ?
C’est une question très complexe.
La scène française, comme pour beaucoup de choses, fonctionne de manière très bizarre,
principalement à cause des structures qui la composent. Je pense notamment à Millenium, qui
est un des acteurs majeurs de la scène française qui fonctionne sur une Web-TV, et c’est l’un des
gros problèmes.
En fait, c’est très très compliqué de devenir joueur pro en France, peu importe tes résultats.
L’un des meilleurs joueurs E-sport au monde, Stephano (joueur francais de Starcraft 2), a mis
énormément de temps à devenir pro, et il a eu la chance d’arriver au bon moment : celui où il y
avait de l’argent. Je connais d’excellents joueurs, de véritables monstres, qui ont eu un mal fou à
gagner leur vie avec leur passion.
L’E-sport est donc complètement différent en France parce qu’il est géré par d’énormes
structures que sont Millénium, Team aAa etc…, qui n’existent pas dans les autres pays.
Je ne connais pas de structures étrangères qui pourraient être équivalentes. Chez nous, c’est les
mêmes sites qui font les news, qui font les streamings, les structures, les équipes… En termes
d’indépendance, on a vu mieux. Sans parler de la séparation des pouvoirs.
En France ça fonctionne bien certes, mais on est les seuls. On est les seuls à avoir autant de sites
d’infos pour le nombre de joueurs, on est les seuls à avoir des TV H24 avec des animateurs en
permanence. Pourtant la scène française est loin d’être la plus grande, à côté des scènes
américaines ou coréennes : c’est un abus total, c’est l’orgie. Je te parlais de Porsches et de Villas,
les types ils ont tous un avion à leur nom.
La scène E-sportive française est très particulière, mais en même temps c’est un microcosme. J’y
suis rentré, et je connais tout le monde.
En vérité, elle est vraiment bizarre cette scène française. Je l’apprécie énormément, mais il n’y a
qu’en France que ça marche ainsi.
13) Comment vois-tu ton métier évoluer dans les prochaines années ? Tu penses à une
reconversion ?
Je pense effectivement à une reconversion future au long terme. Moi, je suis très très fort sur
DotA, je suis un caster spécialisé sur un seul jeu, mais mon jeu ne durera pas éternellement et je
serai incapable de faire ça sur un autre jeu..
Alors oui la scène est jeune, mais à part « Counter-Strike » il y a très peu de jeux qui se sont
pérennisé. Il y a un moment où on va pouvoir faire plein de choses sur un jeu, mais au bout d’un
moment il va falloir switch.
C’est le problème de travailler dans l’e-sport : on travaille constamment au moyen terme, le
long terme n’existe pas. Tu peux me demander ce que je fais en août, je te répondrai que du 3
au 8 je cast « The International 5 », mais à part ça j’en ai aucune idée. Je ne sais pas dans quelle
partie de la France je serai, si ça se trouve je serai au States ou n’importe où.
Je n’ai clairement aucun moyen de savoir.

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