Mélamine dans les produits alimentaires: de la crise à l`accréditation

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Mélamine dans les produits alimentaires: de la crise à l`accréditation
Mélamine dans les produits alimentaires:
de la crise à l’accréditation
Un lait au goût frelaté
Six enfants morts et près de trois cent mille malades suite à l’ingestion de préparations pour nourrissons contaminées par la mélamine en Chine. C’est le début du scandale qui s’amplifiera lorsque d’autres produits alimentaires,
tels que la poudre d’œuf, le carbonate d’ammonium (agent levant), le café instantané et même des aliments pour
animaux, de provenance de Chine seront aussi rapportés contaminés par la mélamine. Les niveaux de contamination peuvent aller jusqu’à 2563 mg/kg pour les préparations infantiles.
Ceci n’est pas une protéine
La mélamine est un produit de synthèse. Elle n’est pas naturellement présente dans l’environnement et dans les
tissus biologiques. Au départ, elle a été conçue comme fertilisant et source d’azote non protéique pour les animaux. Ces deux applications ont été ensuite délaissées à cause de son hydrolyse trop lente. Par contre, elle a remporté un vif succès dans le cadre d’applications industrielles comme par exemple la production de résines pour la
fabrication de mousse et de plastique mais aussi comme produit de nettoyage ou encore produit ignifuge.
Son utilisation frauduleuse dans les produits agro-alimentaires vient de sa teneur élevée en azote (66% en masse).
L’adjonction de mélamine permet soit d’augmenter artificiellement le taux de protéines et d’augmenter ainsi
le prix de vente du produit, soit de compenser une dilution du produit de base. En effet, les tests standards de
qualité, Kjeldahl et Dumas, ne permettent pas de distinguer la mélamine des protéines car ces analyses n’évaluent que l’azote total. La fraude alimentaire est aussi ancienne que le commerce des produits alimentaires et se
manifeste de manière récurrente dans toute notre histoire. Toutefois, la mondialisation économique apporte une
nouvelle dimension à ce problème, les produits alimentaires contaminés peuvent se retrouver partout dans le
monde très rapidement. Les pays européens n’importent certes pas de lait de Chine, par contre, ils importent une
multitude de produits transformés contenant du lait (par exemple des biscuits et des confiseries), sans oublier des
matières premières pour l’alimentation animale. L’Union Européenne a dû réagir rapidement pour s’assurer de la
salubrité des produits alimentaires vendus en Europe en légiférant une norme (2008/921/EC) et en organisant un
test inter-laboratoire pour faire un état des lieux des performances des laboratoires.
Le cocktail analytique
Dans le cadre de cette nouvelle législation, l’Institut Scientifique de
Santé Publique a mis au point une méthode pour la détermination
de la mélamine dans le lait, le lait en poudre, les produits laitiers,
les produits de confiserie et les farines d’origine végétale. L’attrait
de cette méthode réside dans sa simplicité de manipulation et la
possibilité de traiter un grand nombre d’échantillons rapidement.
L’extraction
Cette étape consiste à extraire la mélamine de sa matrice à
l’aide d’un solvant approprié. A cet effet, un mélange d’eau et
d’acétonitrile est utilisé pour remplir une double fonction ; : l’eau
est apte à dissoudre la mélamine et l’acétonitrile permet de
précipiter les protéines qui gênent l’analyse. A cela, une étape
de traitement physique par ultrasons a été ajoutée de manière à
accélérer la cinétique de transfert en augmentant la diffusion de
la mélamine vers le solvant. Cette étape est surtout importante
pour les matrices solides. Dans le souci d’uniformiser le protocole
d’analyse, toutes les matrices y sont soumises.
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La purification
A ce stade de l’analyse, l’extrait brut contient la mélamine mais aussi des interférences co-extraites qui peuvent
engendrer des problèmes de reproductibilité. Deux stratégies ont été appliquées pour résoudre ce problème. La
première consiste en une extraction liquide-liquide des résidus de graisse avec du dichlorométhane permettant
d’obtenir une phase aqueuse au-dessus de la phase organique. Cette situation présente un avantage pour la
deuxième stratégie qui consiste à diluer avec de l’eau l’extrait purifié jusqu’à un facteur 5. Cette technique permet
de diluer les interférences hydrophiles extraites des matrices telles que les sels et les sucres.
La mesure : séparation et détection
D’emblée la chromatographie liquide (LC) a été choisie de manière à éviter une étape fastidieuse de dérivatisation
liée à la chromatographie gazeuse. De plus le mode de chromatographie à interaction hydrophile (HILIC) est particulièrement intéressant pour la mélamine vu sa polarité. De ce fait, la partie séparative est fixée.
La disponibilité de standards isotopiques rend la technique de quantification par dilution isotopique impérieuse
avec sa panoplie d’avantages parmi lesquels : des taux de recouvrement faciles, une amélioration de l’exactitude
et surtout une compensation pour de nombreuses interférences physiques ou chimiques (effet de matrice). Toutefois, cette dernière technique exige un spectromètre de masse. L’appareillage disponible pouvant répondre aux
exigences de l’UE en sensibilité est un système ACQUITY UltraPerformance LC couplé à un spectromètre de masse
quadripolaire Quattro Premier.
L’intérêt particulier du couplage UPLC-MS/MS est d’obtenir une analyse quantitative en seulement 2 minutes.
(Figure 1)
Fig. 1 : Chromatogrammes d’une gaufre avec un ajout de 10 mg/kg (transitions MRM pour la quantification)
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L’examen final : la validation
Les performances de la méthode développée ont été évaluées avec succès lors de la validation. Les résultats sont
rapportés dans le tableau 1. Le choix de la matrice pour la validation s’est basé sur la composition des différents
produits alimentaires visés. La gaufre a été sélectionnée par ce qu’elle contient 3 ingrédients (poudre d’œuf, agent
levant et lait en poudre) qui font partie de la liste des produits contaminés par la mélamine.
Tableau 1 : Résultats de validation
Limite de quantification
La plus petite concentration avec un ratio « signal instrumental/bruit » de 6
Fixée à 0,5 mg/kg
Domaine de linéarité
0,5 mg/kg à 40 mg/kg
Effet de matrice
Non présent et solution d’étalonnage dans le solvant (eau)
Répétabilité, reproductibilité et incertitude de mesure
Niveaux de fortification
1 mg/kg
10 mg/kg
30 mg/kg
CVr %
3,2
2,3
0,9
Maximum Horwitz %
10,7
7,6
6,4
CVrw %
3,3
2,5
1,2
Maximum Horwitz %
16,1
11,3
9,6
Recouvrement apparent %
97
98
99
Incertitude de mesure %
9,6
10
3,8
Justesse
Résultats de la participation à deux tests inter-laboratoires : DLA (Dienstleistung
Lebensmittel Analytik) et IRMM (Institut des Mesures et Matériaux de Référence)
Matrice
Poudre de lait (DLA)
Valeur assignée (+- DS)
Poudre de lait (IRMM)
Mélange pour cuisson
(IRMM)
39,6 +- 4,2
10 +- 1,12
3,18 +- 0,43
Valeur rapportée
43,5
10,2
3,1
Z-score
1,07
0,50
0,00
Empreinte écologique de la méthode
Une méthode permettant de quantifier avec assurance grâce à la combinaison MS/MS et la dilution isotopique
réduit la probabilité d’erreur et donc le besoin de ré-analyse. De plus, la méthode consomme peu de solvant organique (tableau 2). Cette approche analytique est donc ainsi en adéquation avec le souci de mettre au point des
méthodes plus respectueuses de l’environnement tout en garantissant la sécurité des aliments.
Tableau 2 :
Consommation de solvants organiques par échantillon analysé
Acetonitrile (mL)
Dichloorméthane (mL)
5
0
Purification
0
10
LC
1,26
0
Standard
0
0
Extraction
Séverine Goscinny et Vincent Hanot, ISP
[email protected]
[email protected]
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