La nuit ne vienne plus jamaisi - Eglise protestante de Bruxelles
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La nuit ne vienne plus jamaisi - Eglise protestante de Bruxelles
La nuit ne vienne plus jamaisi je veux le croire, je l'espère Luc 6, 17-26 Généralement, les personnes habituées à fréquenter les Églises ou les monastères connaissent les béatitudes à travers l’évangile de Matthieu. Ce sont celles-ci qui sont chantées lors des offices ou qui se trouvent dans les recueils de cantiques. Elles font partie du patrimoine de la chrétienté. Elles sont extraites de ce qu’il est convenu d’appeler le Sermon sur la Montagne, parce qu’avant de prendre la parole devant ses disciples, Jésus est monté dans la montagne, s’y est assis puis a commencé son enseignement en commentant la Loi après avoir proclamé par neuf fois « heureux ». En présentant ainsi Jésus, Matthieu fait de lui un véritable rabbi, un maître. En plus, il le rattache directement à Moïse. Comme celui-ci qui a gravi l’Horeb, Jésus est monté dans la montagne. Il s’est assis en véritable enseignant qu’il est, et s’est mis à parler. Chacun de ses auditeurs aurait pu s’enchanter : Que la montagne est belle ii lorsqu’elle est porteuse de celui qui annonce le printemps du Royaume et qui transmet non pas seulement neuf ou dix paroles, mais toute la parole de Dieu puisqu’il l’incarne aux yeux de celles et ceux qui sont en dessous de lui et lui prête oreille. Chez Luc, rien de tel. Il précise que Jésus est redescendu de la montagne et est allé dans un endroit plat, la plaine de Galilée, vraisemblablement. Si la figure de Moïse peut encore lui être appliquée, ce n’est plus celle de celui qui a parlé avec Dieu en haut de la montagne, qui a vu Dieu et qui peut parler toutes les paroles de sa bouche avec autorité. Elle est davantage celle de Moïse au milieu du peuple et qui marche avec lui dans le désert, qui est avec les autres en proie aux mêmes interrogations. Alors, quand il parle, il parle toujours la parole qu’il a entendue là-haut, mais il la traduit dans l’ici d’ici-bas de tout à chacun. Celui-là sait que l’automne vient d’arriveriii, même s’il y a eu un vol d’hirondelles. Il dit ce qu’il a en lui : Je ne sais ce qui me possède Et me pousse à dire à voix haute Ni pour la pitié ni pour l’aide Ni comme on avouerait ses fautes Ce qui m’habite et qui m’obsèdeiv Cela, c’est la Vérité, la vérité sur notre monde – que voulez-vous, le poète a toujours raisonv. Et cette vérité n’est pas différente en son temps qu’en le nôtre. Alors, s’il parle dans la plaine, ce n’est pas pour passer le temps. Il se peut qu’il vous déplaise En peignant la réalité Mais s’il en prend trop à son aise Il n’a pas à s’en excuser Le monde ouvert à sa fenêtre Qu’il referme ou non l’auvent S’il continue de lui apparaître Comment peut-il faire autrement Il ne parle pas pour passer le tempsvi La nuit ne vienne plus jamais Page 1 Quant à celles et ceux qui l’écoutent, jadis comme aujourd’hui, ils ne le font pas pour passer le temps, ou alors c’est qu’ils le perdent, et mieux vaudrait ne pas être venu, ne pas l’avoir entendu, s’en rester chez soi et de s’en dire à soi-même Les choses vont comme elles vont De temps en temps la terre tremble Le malheur au malheur ressemble Il est profond profond profond Vous voudriez au ciel bleu croire Je le connais ce sentiment J’y crois aussi moi par moment Comme l’alouette au miroir J’y crois parfois je l’avoue À n’en pas croire mes oreillesvii Jésus a cela de commun avec le poète et le chanteur : ensemble ils peuvent s’écrier : Votre enfer est pourtant le mien Nous vivons sous le même règne Et lorsque vous saignez je saigne Et je meurs de vos mêmes liens Quelle heure est-il quel temps fait-il J’aurais tant aimé cependant Gagner pour vous perdant pour moi Avoir été peut-être utile C’est un rêve modeste et fou Il aurait mieux valu le taire Vous me mettrez en terre Comme une étoile au fond d’un trouviii Les trois, et tant d’autres ont été déposés au creux de la terre comme autant d’étoiles qui se seraient éteintes. Sauf qu’il y en a une – je veux le croire et je l’espère – qui s’est relevé le trou noir n’a pas su la garder gésir n’est plus passif, mais attente emplie d’espoir. Alors celui-là, en contradiction avec le monde qui pousse à la plainte Ah je désespérais de mes frères sauvages Je voyais je voyais l’avenir à genoux La Bête triomphante et la peine sur nous Et le feu des soldats porté sur nos rivagesix Celui-là peut dire dans la plaine et sans honte : Heureux les pauvres, les affamés et les pleurants. Heureux, parce que pour eux un jour viendra Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange Un jour de palme un jour de feuillage au front La nuit ne vienne plus jamais Page 2 Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche…x Un jour de palme ? Il est venu ! Un jour de feuillage au front et d’épaule nue ? Il est déjà venu ! Un jour sur la plus haute branche ? Il est déjà venu ! – je veux le croire et je l’espère – Heureux est un avenir, à condition de ne pas s’enfermer dans le malheur, mais de se lever quand faire se peut encore, et de marcher main tendue et poing levé pour un rêve et une évolution, pour une rêvolution comme le fit celui-ci pour Accomplir jusqu’au bout [sa] propre prophétie Là-bas où le destin de notre propre siècle saigne xi Il a saigné sur la croix, afin que plus jamais aucun sang volé ne coule en vain. Prenez ma chair… prenez mon sang a-t-il dit aussi, afin que chair et sang soient rendus à celles et ceux à qui ils ont été arrachés. Jésus dit cela et tellement plus, parce qu’il a vécu en lui-même ce malheur d’aimerxii. En même temps, il peut pleurer sur les riches, les repus et les riants de son temps et de tout temps. Hélas, hélas, hélas… triple plainte qui trouve son écho dans les coups frappés sur la tête des trois clous qui chercheront à le faire taire définitivement. Trois fois hélas qui dit tellement mieux sa complainte que les invocations de malheur qui ne sonnent en rien. Mais pourquoi ces hélas que Matthieu semble avoir oubliés ? Parce que ceux qui sont comblés aujourd’hui n’ont pas d’autre futur que leur présent. Que voulez-vous leur souhaiter encore ? Avoir plus, toujours plus ? Pour faire quoi de tout cela ? Jésus et le chanteur nous invitent à une autre perspective : Nous conjuguerons l’avenir … En partageant le vin et le rire Avec ceux-là Qui vivent plus haut que leurs songes Qui haïssent la solitude Qui chassent l’ombre et le mensonge Des habitudes Nous apprendrons à voir le monde Avec les hommes d’aujourd’hui Dont les rêves aux nôtres se fondent À l’infinixiii La nuit ne vienne plus jamais Page 3 Voilà, c’est dit, c’est chanté : l’ouverture sur l’infini… N’est-ce pas le projet de Dieu pour l’être humain en l’origine, quand son temps et le nôtre ne faisaient qu’un ? Alors, lorsque Jésus est dans la plaine pour dire la parole de Dieu, pour dire Dieu parmi nous, proclamer aux uns Heureux qu’il faut comprendre par en marche parce que ceux-ci ont tout à trouver, et aux autres hélas parce qu’ils n’ont plus rien à découvrir, il est comme le chanteur en scène qui a puisé dans les mots la musique de la vie, qui offre avec les mélodies des chansons pour aimer la vie à perdre la raison xiv. Et nous, si nous restons assis – hélas, hélas, hélas – nous n’irons pas sur ce chemin de confiance, et nous, si nous écoutons, fredonnons aussi peut-être, – je veux le croire et je l’espère – nous serons heureux et en marche pour… Rien moins que rien pourtant la viexv Bruneau Joussellin Bruxelles-Musée 19 juin 2016 i « Picasso Colombes », Jean Ferrat « Que la montagne est belle », Jean Ferrat iii idem iv « Les poètes », poème d’Aragon, musique de Jean Ferrat. v « Le poète a toujours raison », Jean Ferrat vi D’après « Je ne chante pas pour passer le temps », Jean Ferrat vii « J’entends j’entends », poème d’Aragon, musique de Jean Ferrat viii idem ix « Un jour un jour », poème d’Aragon, musique de Jean Ferrat x idem xi « Robert le diable », poème d’Aragon, musique de Jean Ferrat xii « Le malheur d’aimer », poème d’Aragon, musique de Jean Ferrat xiii « Comprendre », Jean Ferrat xiv « Aimer à perdre la raison », poème d’Aragon, musique de Jean Ferrat xv « Pourtant la vie », Jean Ferrat ii La nuit ne vienne plus jamais Page 4