Je croyais être... - Laboratoire d`études socio
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Je croyais être... - Laboratoire d`études socio
Août 2001 Contes et comptes du prof Lauzon Je croyais être... par Léo-Paul Lauzon Moi qui croyais être le plus critique d'entre tous, je vous dirai que j'en ai pris pour ma pneumonie lorsqu'il m'a bien fallu admettre l'inadmissible. Me faire dépasser sur ma gauche par des communistes, des marxistes et même des socialistes, je le prends très bien, même avec enthousiasme. C'est juste bon pour mon image de modéré et de rassembleur, ce que je suis vraiment, demandez à ma mère. Mais me faire dépasser à plusieurs «bouttes» par une revue américaine, et d'affaires par dessus le marché, ça m'a complètement scié les pattes. Vous savez, comme moi, que les États-Unis ne sont pas l'étalon mesure de la social-démocratie, et que les revues d'affaires sont toujours, en tout cas ici au Canada, des guignols inconditionnels du patronat et de leur propagande. Quel ne fut pas mon désarroi de constater que la revue d'affaires la plus vendue aux States est très virulente à l'égard du néolibéralisme et de toutes ses composantes. Cette revue s'intitule Business Week, la bible des affaires aux USA. Ils viennent de complètement bousiller le peu de carrière qu'il me restait. Mon bel avenir est encore plus loin derrière moi. Pour tout vous dire, je suis dévasté, ravagé, et ces mots ne sont pas encore assez forts pour décrire mon état actuel. Découragé, je suis au désespoir, comme chantaient les BelCanto dans les années 60. Que vais-je devenir ? Pourtant, ma réhabilitation allait très bien. Vous allez voir que mes critiques sont de la petite bière, avec ou sans alcool, à côté de celles du Business Week. Ceux et celles d'entre vous qui m'ont toujours accusé de faire de la propagande gauchiste devront me demander pardon à genoux. N'ayez crainte, ma miséricorde légendaire fait que vous êtes déjà pardonnés après que vous aurez fait amende honorable. Chaque semaine, la revue américaine Business Week y va d'une charge en règle contre les iniquités du système capitaliste. Vous voulez des exemples? Et bien, en voici. Dans le numéro spécial du Business Week du 11 septembre 2000 intitulé «Too much corporate power» (Le patronat a trop de pouvoir), suite à une enquête menée par leurs journalistes, il est dit que 72 % des Américains croient que les compagnies ont trop de pouvoir sur plusieurs aspects de la vie des individus et que 75 % d'entre eux considèrent que les dirigeants d'entreprises sont trop payés. Puis, on peut y lire qu'une majorité d'Américains sont frustrés des prix élevés des médicaments, de l'essence, des soins de santé privés, etc., et se considèrent sous-payés. 74 % des Américains disent aussi que les grandes entreprises ont trop d'influence sur les politiciens. Dans ce même numéro, on reprend un commentaire d'Alan Greenspan, le directeur de la toute puissante Réserve fédérale américaine, soit le grand manitou de la politique monétaire aux States:«L'incapacité de l'économie capitaliste à mieux redistribuer la richesse peut provoquer une résurgence du protectionnisme, de la réglementation et de l'intervention de l'État». Voilà, cela vient du Business Week et non d'une revue maoïste. Et ces propos ont été tenus par Alan Greenspan et non par Fidel Castro. Le 6 novembre 2000, dans un autre numéro spécial intitulé «Global Capitalism» (on dit bien ce que c'est, le capitalisme global et non l'hypocrite nom de «mondialisation»), le Business Week signale que de 1990 à 1996, seulement 33 pays ont connu une croissance annuelle de plus de 3 % et 59 pays ont vu leur économie régresser. Dans 70 pays, le revenu par habitant est aujourd'hui inférieur à ce qu'il était il y a vingt ans. En 1960, les 20 pays les plus riches de la terre avaient 30 fois plus de revenus que les 20 % les plus pauvres. Aujourd'hui, l'écart de la richesse a augmenté à 74 fois. Selon John G. Ruggie, professeur d'économie à Columbia et assistantsecrétaire général à l'ONU, les programmes d'austérité du FMI sont insoutenables. Puis, les journalistes du Business Week disent qu'il faut bien admettre que les multinationales ont contribué à plusieurs abus au niveau des employés, de l'environnement et des droits humains. Enfin, la Banque Mondiale, qui ne couche pas avec les trotskystes, mentionne que le nombre d'individus vivant avec 1 $ et moins par jour a augmenté à 1,3 milliard de personnes au cours des 10 dernières années. C'est drôle, je n'ai jamais vu Claude Picher et Alain Dubuc de La Presse tenir un tel discours de même que Bernard Landry qui rêve de nous amener tout doucement dans ce paradis pour la minorité et cet enfer pour la majorité. Le 18 septembre 2000, Business Week a produit un excellent reportage pour savoir à qui profite vraiment les baisses d'impôts. Le texte s'intitulait «How compassio-nate is Bush's tax plan?». Il est dit dans cet article que 43 % des baisses d'impôts sur le revenu promis par le nouveau président des États-Unis, George Bush Jr., seront accaparés par le 1 % des plus riches et que même les principaux conseillers économiques de Bush ont reconnu qu'environ 50 % des baisses d'impôts vont bénéficier aux familles gagnant 100 000 $ US (environ 150 000 $ canadiens) par an. Plusieurs économistes américains, dont Jonathan H. Gruber du Massachusetts Institute of Technology (MIT) et Emmanuel S. Saez de Harvard University, qui ont réalisé une étude sur le sujet, remettent fortement en question la validité de la théorie de l'offre qui postule que les gens soient très sensibles aux taux d'impôts dans le travail et que des taux élevés soient un désincitatif au travail. On dit aussi que la diminution du taux marginal d'impôts ne profitera aucunement aux personnes à faible revenu. Bien évidement, le plan fiscal de Bush a reçu l'appui du patronat et des économistes conservateurs comme Milton Friedman, Robert Lucas et Garry Becker. Voilà qui met un bémol aux prétentions des économistes de banques d'ici comme Dominique Vachon de la Banque Nationale et Gilles Soucy du Mouvement Desjardins qui, en guise de dérision, continue à se présenter comme un mouvement coopératif. Dans mon prochain article, je vous ferai part de d'autres exemples, tirés du Business Week. C'est pas demain la veille que les revues Commerce, Affaires Plus et l'Actualité ainsi que le Journal Les Affaires vont adopter le même comportement critique. Les poules vont avoir un dentier avant que cela se produise. Ma seule consolation, c'est qu'au moins, au Québec, ma réputation peut encore se soutenir. Que deviendrais-je réellement si les médias d'ici se mettaient de la partie en dénonçant les injustices, comme le fait le Business Week ? Je tiens à mon titre chiâleur, et je vais me battre bec et ongles si quelqu'un ose volontairement jouer dans mes plates-bandes ! Vous êtes prêt pour d'autres exemples tirés du Business Week, cette revue d'affaires américaine qui, à chaque semaine, dénonce les iniquités du système capitaliste ? Je sais pas trop si je dois réellement vous en donner davantage que je l'ai fait lors de mon précédent article, car j'ai peur que vous pensiez que je suis un critique modéré ! Adieu mes qualificatifs de Léo le lion, Léo le critiqueux, Léo le défenseur de la veuve et de l'orphelin ! Même les politiciens ne penseraient même plus à m'appeler Léo le clown s'ils lisaient régulièrement le Business Week, tellement cette revue critique bien plus que moi, il faut l'admettre ! Je vous l'ai dit, ma réputation est en cause face à cet hebdomadaire américain. Mais comme j'ai bien plus la cause à cur que ma petite personne, je vais poursuivre ces exemples, qui démontrent, sans l'ombre d'un doute, toutes les injustices qui ont cours dans le pays de l'oncle Sam et dans d'autres aussi ! Dans des articles parus le 18 septembre et le 13 novembre 2000, on y traite du financement des partis politiques lors de la campagne électorale présidentielle 2000, tenue aux États-Unis. Voici quelques chiffres intéressants présentés dans l'étude du Business Week. Pour les 11 premiers mois de la campagne électorale seulement, les 1 000 plus grandes compagnies américaines ont versé 187 millions $ US aux deux grands partis politiques dont 124 millions $ aux républicains et 63 millions $ aux démocrates. On peut voir la nette préférence du patronat américain envers les républicains, soit du simple au double. Ces chiffres excluaient les contributions des individus et les dons effectués lors de grands rassemblements ou de soupers privés. De plus, ça ne comprend que les 1 000 plus grandes sociétés américaines. Aux républicains, les pharmaceutiques Bristol-Myers Squibb et Pfizer ont versé chacune 1,7 million $, AT&T 2,2 millions $, Microsoft 2,1 millions $ et Philip Morris 2,4 millions $. On a dit aussi que plusieurs ex-politiciens sont engagés par les compagnies à titre de lobbystes. On comprend mieux maintenant à qui nos politiciens sont vraiment redevables. Malgré cela, ils disent, les politiciens et le patronat, que le beau pays de l'oncle SAM est un modèle de liberté et de démocratie. Ces dons orgiaques aident à mousser la déréglementation de l'électricité et du gaz naturel, la privatisation des soins de santé et de l'éducation et à stimuler les pétrolières à faire passer leur «juste prix» de l'essence. Sans parler de la privatisation de l'eau, du transport en commun, des autoroutes et des pensions de vieillesse. Plusieurs articles ont été rédigés en l'an 2000 sur le cartel de l'essence. Dans l'un de ces textes, il est dit qu'en 1999 les deux plus grandes pétrolières au monde, soit Exxon Mobil et Royal Dutch Shell, ont diminué leur budget d'exploration de 30 % afin de réduire artificiellement l'offre et ainsi doper les prix de l'essence. Ça n'a évidemment rien à voir avec les pays de l'OPEP qui, selon le Business Week, ont augmenté en 1999, trois fois leur production globale afin de stabiliser les prix pendant que les multinationales réduisaient considérablement la leur. Voici textuellement les propos tenus par les journalistes du Business Week : «Wall Street pressure to hike profits has american oil companies keeping a lid on production». En gros, ça veut dire que le marché des capitaux et les actionnaires ont exercé de la pression sur les pétrolières pour qu'elles diminuent intentionnellement leur production afin de «booster» les profits et la valeur au marché des actions ordinaires. Voilà qui explique bien les hausses démentielles du prix de l'essence. Le cartel mondial de l'essence impose sa dictature partout et à tous. Nous sommes impuissants car les politiciens sont leurs complices. Puis, le 15 janvier (California's utilities don't protest too much) et le 12 février 2001 (Enron:Power broker), on a jeté un regard très critique sur la déréglementation de l'électricité en Californie en particulier et aux États-Unis en général. On signale que Pacific Gas & Electric et Edison International contrôlent 85 % de la distribution de l'électricité en Californie. Allô marché! Pour les neuf premiers mois de 2000, le profit net de Pacific fut de 753 millions$ US en hausse de 40 % sur l'année précédente. En un an seulement, les prix de détail de l'électricité ont augmenté de 400 % en Californie. Pacific et Edison ont réalisé des milliards en profits lors de la vente de centrales électriques à des compagnies affiliées. Les producteurs et les courtiers d'électricité sont actuellement sous enquête juridique pour avoir manipulé les prix et avoir réduit intentionnellement l'offre. La compagnie Enron, un courtier qui achète et revend de l'électricité, a augmenté son bénéfice d'exploitation de 300 % en 1999. En 1997, le bénéfice net d'Enron était de 450 millions$ US. Il a été de 1,3 milliard$ US en l'an 2000. Vraiment payant la déréglementation de l'électricité aux États-Unis, pas seulement pour les producteurs, mais aussi pour les transporteurs et même les courtiers en électricité. C'est-y assez fort ? Le président d'Enron, Kenneth Lay, est un proche conseiller de George Bush Jr. Les États du Nevada, de l'Oregon et de l'Arkansas sont en voie de réglementer de nouveau le domaine de l'électricité. Enron mousse également auprès de Bush la privatisation de l'eau. Dire qu'il y a des porte-queues au Québec qui préconisent la privatisation d'Hydro-Québec, l'un de nos plus grands succès collectifs. Tout de même bizarre qu'Hydro-Québec, une société d'État pourtant, nous procure ici de l'électricité aux plus bas prix au monde. Et dire que le gouvernement péquiste actuel est en train de déréglementer et de privatiser Hydro-Québec à petites doses avec ses petits barrages privés donnés par exemple aux frères Lemaire de Cascade pour que cela se transforme en poule aux gros oeufs d'or. Bernard Landry trouve que nous ne payons pas assez cher notre électricité. Connaissant son grand sens de l'équité; il va nous ramener à la longue aux prix californiens. Le 20 novembre 2000, un article signale que le financement public des stades et des amphithéâtres sportifs professionnels est un mauvais investissement. Le 9 octobre 2000 dans un article intitulé «From welfare to worsefare» (de l'aide sociale à l'esclavagisme), on y parle des 20 millions de travailleurs pauvres aux U.S.A., du coût de la vie élevé, du désastre des familles monoparentales dirigées par une femme, du medicare déficient (soins de santé) et des food stamps (timbres pour l'obtention de la nourriture distribués aux pauvres. Comme humiliation, on ne peut faire mieux). Le 11 septembre 2000, un article était intitulé «Private prisons don't work» (les prisons privées ne fonctionnent pas) et un autre se titrait «Mexican workers deserve better than this» (les travailleurs mexicains méritent mieux). Le 27 novembre 2000, dans un numéro spécial intitulé «Workers in bondage», on parle des travailleurs vendus comme esclaves et des enfants de 11 ans qui travaillent 20 heures par jour. Le 2 octobre 2000, on parle de Wal Mart et de ses «sweat shops» en Chine où des gens travaillent 15 heures par jour, 7 jours par semaine; des gardiens battant les employés en retard; des travailleurs payés 1¢ l'heure; des employés emprisonnés dans l'usine et des toutes jeunes filles de 16 ans qui appliquent à la main la colle toxique sur différents produits. Vous comprenez mieux maintenant pourquoi Wal Mart défie toute concurrence. Elle exploite ses travailleurs d'ici et utilise des esclaves dans les pays du tiersmonde. Enfin, le 25 septembre 2000, un papier intitulé «On the left : What makes Ralph Nader run» portait sur un long entretien avec le candidat de gauche aux dernières élections aux ÉtatsUnis. Plusieurs articles parus au cours de la dernière année dans le Business Week n'auraient pas été publiés ici dans plusieurs de nos quotidiens et de nos revues, sous prétexte d'être de la pure propagande gauchiste qui porte inutilement ombrage à nos gens d'affaires et qui accable les belles théories économiques et fiscales formulées par leurs marionnettes. Vous le voyez bien mes très chers lecteurs, on a tort de me crier des noms pas trop jolis qui font souvent pleurer ma mère. Aux États-Unis, de grands journaux comme le Washington Post et le New York Times produisent régulièrement des articles aussi critiques que le Business Week. Je ne vous parlerai pas du Monde, de Libération, de l'Humanité, du Canard enchaîné, de Charlie Hebdo, du Monde Diplomatique et du Courrier International en France, de peur que l'on se remette à dire du mal de moi. Je terminerai en paraphrasant l'écrivain et dramaturge français Sacha Guitry : «Si tous ceux qui disent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d'eux, ils en diraient davantage».