Rossini La petite Messe Solennelle 1
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Rossini La petite Messe Solennelle 1
1 Petite Messe Solennelle A soixante-quinze ans, plus de trente ans après avoir pris sa retraite officielle, Rossini se lance dans l'aventure d'une messe pour quatre solistes (soprano, alto, ténor, basse), choeur mixte, deux pianos et harmonium. Il l'écrit à Passy en 1863, à la demande du comte Pillet-Will, pour son épouse la comtesse Louise. les comprend, sans pour autant les prendre trop au sérieux. La Petite messe solennelle est le véritable testament musical de Rossini, puisqu'elle ne fut suivie que par quelques pièces parfois de circonstance. Il y a mis toute sa science, toute sa ferveur, toute son audace aussi : derrière la simplicité de ses formes, la modestie de son effectif (pas d’orchestre, seulement un piano), la clarté de sa facture, elle recèle une hardiesse et une subtilité très nouvelle chez lui. La perfection du compositeur d'opéra semble ici relever autant de la technique que de l'âme et de l'inspiration. Rossini jette un regard mélancolique vers le passé, mais tend la main résolument vers la modernité. Et si, au détour d'une harmonie, une larme coule, elle est bien vite séchée par une bouffée d'espoir. “Bon Dieu ; la voilà terminée, cette pauvre petite messe. Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire, ou bien de la sacrée musique ?“Est-ce bien de la musique sacrée que je viens de faire, ou bien de la sacré musique ?J'étais né pour l'opera buffa, tu le sais bien ! Peu de silence, un peu de coeur, tout est là. Sois donc béni et accorde-moi le Paradis". La "petite" messe est aussi une raillerie irrévérencieuse du sacré. Elle est considérée par l'auteur lui-même comme "le dernier péché mortel de [sa] vieillesse" en référence à la célèbre série de pièces de chambre qu'il composa en sa retraite de Passy et qui furent rassemblées, en plusieurs cahiers, sous le titre de Péchés de vieillesse. Anticipant sur la veine humoristique, voire irrévérencieuse d'un Eric Satie, Rossini, en ces temps, apprécie les titres iconoclastes : Chœur de chasseurs démocrates, Mon Prélude hygiénique du matin, Prélude prétentieux... Mais il ne faudrait pas s'y tromper : comme cela sera le cas pour Satie, les brèves pochades des Péchés de vieillesse sont autant d'audacieuses pointes poussées vers la "musique de l'avenir", cette musique qu'aspire à représenter le jeune Wagner (qui avouera, en 1860 : "Rossini me fit l'impression d'être le seul homme vraiment grand et estimable que j'aie jusqu'ici rencontré dans le monde artistique") et à laquelle Rossini ne croit qu'à moitié, tout autant que de savantes paraphrases des techniques du passé, dont, sur son déclin, le joyeux Pesarais veut prouver qu'il les maîtrise autant qu'il Comme pour se faire pardonner d'avoir négligé le Créateur dans une bonne partie de son œuvre féconde, il adresse à ce dernier une dédicace en forme de boutade : Le titre lui-même est une raillerie : “Petite” messe : il s'agit d'une oeuvre qui dure près d'une heure et demie, où s'enchevêtrent les genres avec une candeur et une grandeur qui ne peuvent qu'émouvoir... Les effectifs choisis donnent déjà une idée de ce penchant à la simplicité, en même temps que de la facétieuse modernité du Maître. Contrastant avec la relative ampleur de l'œuvre et l'emploi du texte intégral d'une messe solennelle (les cinq parties principales - Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei -, longuement développées, se voient accompagnées d'un Preludio religioso pour l'Offertoire et de l'antienne de l'élévation O salutaris hostià), petite, la Messe l'est par son effectif. Le compositeur lui-même préconise, sur la page de garde de son manuscrit : "Douze chanteurs de trois sexes, hommes, femmes et castrats seront suffisants pour son exécution ; à savoir huit pour le choeur, quatre pour les solos, total douze chérubins, Dieu pardonne-moi le rapprochement suivant. Douze aussi sont les Apôtres dans le célèbre coup de hachoir peint à fresque par Léonard dit la Cène, qui le croirait ! Seigneur, rassure-toi, j'affirme qu'il n'y aura pas de Judas à mon déjeuner et que les miens chanteront juste à mon déjeuner et que les miens chanteront juste et con amore tes Louanges !" Si le compositeur a intitulé la Petite Messe "solennelle", c'est qu'effectivement les rythmes de marche, les tempos majestueux y abondent. Mais ces marches sont baignées d'une lumière ensoleillée, une 2 Petite Messe Solennelle lumière de sous-bois printanier qui tantôt perce timidement à travers les feuillages, tantôt éclate brutalement de sa jeune ardeur, à la faveur d'une clairière. Ainsi, la Petite Messe solennelle campe-t-elle à la fois un musicien rompu à la grande tradition contrapuntique et un homme simple, pour qui la foi se chante sans façon, avec les tripes, avec la joie, une sorte de précurseur du gospel.. La partition est divisée en deux parties équilibrées, chacune de 35 minutes et sept numéros. La première rassemble le Kyrie et le Gloria, la seconde le Credo, un "prélude religieux" instrumental joué durant l'Offertoire, le Sanctus, le O Salutaris et l'Agnus Dei. A l'opposé du Stabat Mater, impétueux et passionné, la Petite Messe choisit la délicatesse, l'intimité. Les nuances fortes pour les morceaux obligés : le début du gloria (n°2) et celui identique, du Cum Sancto Spiritu (n°7) ; les parties extrêmes du Credo, elles aussi reliées thématiquement ; le solennel Preludio religioso (n°11) ; les acclamations "Sanctus" ou "Hosanna" du Sanctus (n°12) ; et les dernières mesures, le "Dona nobis pacem" proclamé sur un mi majeur triomphal. L'harmonium, pour sa part, grâce à une tenue des notes dont le piano est incapable, sert de guide-chant et, en outre, il confère à l'œuvre son caractère de dévotion désuette. Là encore, il faut voir émotion et facétie chez Rossini : cette distribution instrumentale évoque aussi bien les mélodies sucrées de salon (très à la mode alors, à Paris, et auxquelles il avait luimême sacrifié), les pièces liturgiques du XIXe français et la sonorité aigrelette de quelque orgue de village, tel que le compositeur put en entendre lors des offices de sa jeunesse (l'œuvre connut aussi une version orchestrale, que Rossini ne se résolut à réaliser qu'"afîn d'éviter que quelqu'un d'autre ne le fasse"). L’ambiguïté de l'œuvre fut encore accentuée par sa destination : dédiée à la comtesse Louise Pillet-Will, elle fut créée le 14 mars 1864 dans la chapelle privée de cette dame, au cours d'une soirée des plus mondaines. Albert Lavignac, alors âgé de dix-huit ans, tient l'harmonium. Les chanteurs sont Carlotta et Barbara Marchisio, Italo Gardoni et Luigi Agnesi. Entre les deux parties de la Messe (après le Gloria), les deux cent cinquante invités - parmi lesquels les compositeurs Ambroise Thomas, Auber et Meyerbeer, mais aussi le baron de Rothschild et le Nonce du Pape - s'en furent se sustenter au faramineux buffet, qui avait été conçu pour satisfaire la célèbre gourmandise du Maestro. Filippo Filippi, critique musical de la Perseveranza, écrit le 29 mars 1864 : "Cette fois, Rossini s'est surpassé lui-même, car personne ne saurait dire ce qui l'emporte, de la science et de l'inspiration. La fugue est digne de Bach pour l'érudition." Verdi fait part d'un enthousiasme moins prononcé dans une lettre du 3 avril 1864 au comte Arrivabene: "Rossini, ces derniers temps, a fait des progrès et a étudié ! Etudié quoi ? Pour ma part, je lui conseillerais de désapprendre la musique et d'écrire un autre Barbier." Après une répétition, puis la création privée, l'oeuvre est rangée dans un placard et n'en sortira plus du vivant de son auteur, comme si Rossini craignait de divulguer cette création qu'il avait conçue secrète et humble. Il l'orchestre pourtant au printemps 1867, surtout, semble-t-il, par peur que le premier venu ne le fasse après sa mort. C'est sous cette forme, à laquelle on préfère aujourd'hui la forme originale, que la Petite Messe solennelle a été donnée pour la première fois en public, six mois après la mort du compositeur et à l'occasion du soixante-dix-septième anniversaire de sa naissance. Ou presque, car Rossini, facétieux dès le commencement, avait choisi de naître le 29 février d'une année bissextile… On se rabattit donc sur le 28 février de 1869. La même année, les deux versions étaient éditées. Le succès fut bien entendu foudroyant. Et, pourtant, aujourd'hui encore, cette Messe (la quatrième de Rossini) surprend l'auditeur, par son mélange de légèreté et d'austérité, de dépouillement et de grâce, les clins d'œil au passé dont elle abonde et les intuitions sur l'avenir dont elle est traversée.