LA PARTIALITE DES MEDIA : INFO OU INTOX

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LA PARTIALITE DES MEDIA : INFO OU INTOX
Conférence de Lia Malhouitre-Ferraton le 10 avril 2015
LA PARTIALITE DES MEDIA : INFO OU INTOX ?
Victor Hugo a dit « le principe de la liberté de la presse n’est pas moins sacré que
le principe du suffrage universel. Ce sont les deux côtés d’un même fait. Attenter
à l’un c’est attenter à l’autre ».
Et, en effet, le suffrage universel à lui seul n’est pas la démocratie. Pour que la
démocratie existe et pour que les citoyens puissent réellement s’exprimer en
connaissance de cause il faut une réelle pluralité des sources d’information, il faut que
s’instaure un réel débat sur tous les sujets importants pour la vie des citoyens. La
démocratie a besoin d’une presse vivante et pluraliste qui ne soit pas dépendante de
l’argent public et qui ne soit pas soumise à des industriels privés. Une presse,
indépendante, pluraliste, objective.
Certes aujourd’hui les citoyens sont en théorie privilégiés, puisqu’ils ont, grâce à
Internet, accès à beaucoup plus d’informations que celles diffusées par les grands
médias : télévision, radio, presse écrite. Mais cela ne permet pas – de loin pas – de
contrecarrer le flux d’informations diffusées par les médias dominants auprès de la
grande majorité des citoyens qui sont appelés à s’exprimer à travers le suffrage
universel.
Un des problèmes vient du fait que le citoyen ordinaire n’a pas le temps, ou ne
s’intéresse pas trop à la politique nationale ou étrangère, permettant ainsi aux médias
de « mâcher » l’info et de faire avaler aux citoyens des informations imposées qui sont
parfois bien éloignées de la réalité et de la vérité ! Au moins 50 % des gens ne
connaissent de l’actualité que le JT de 20 heures de TF1 ou de France 2.
Aujourd’hui en France la liberté de la presse est théorique non pas parce qu’il existe
une censure officielle mais plus simplement parce que beaucoup de journalistes sont
totalement acquis à la pensée libérale dominante, la pensée unique. Et ceux qui ne le
sont pas s’autocensurent parce que c’est pour eux une question de survie
professionnelle.
Pourquoi beaucoup de journalistes, et surtout tous les grands éditorialistes, sont
acquis à la pensée unique ? Tout simplement parce qu’ils font partie des mêmes cercles
que les industriels, les banquiers et les politiques. Ils sont issus des mêmes classes
sociales, ont souvent fait les mêmes études, sciences politiques, HEC …, vont en
vacances aux mêmes endroits, descendent dans les mêmes hôtels, se retrouvent dans
des clubs select. Ils se rencontrent, ils se fréquentent, ils s’apprécient.
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Dans une démocratie le quatrième pouvoir est attribué aux médias. Mais depuis
longtemps les industriels et les banquiers ont fait en sorte de pouvoir utiliser ce
quatrième pouvoir à leur seul avantage. Très simplement : ils l’ont acheté.
La pensée unique c’est les riches contre les pauvres. Et les riches ont acheté les
médias pour contrôler le message qui est délivré aux pauvres.
La preuve : les grands médias (entendre par là les médias les plus influents, les plus
regardés, les plus lus, les plus écoutés) appartiennent à des financiers et à de grands
industriels. Sans faire de liste exhaustive, car cela prendrait trop de temps voici
quelques exemples :
Arnaud Lagardère, patron de la Holding Lagardère, possède Europe1, Le Journal du
dimanche, Paris Match et 20 chaînes de télévision. Et puisque les femmes votent …
M. Lagardère possède aussi Marie Claire, Cosmopolitan, Avantages, Elle, Votre
Beauté, Jardins, Cuisine et vins, etc.
Serge Dassault, patron du groupe Dassault, est le patron du Figaro, et donc du
Figaro Magazine et du Figaro Madame que vous trouvez dans toutes les salles
d’attente des médecins qui ont un peu de standing.
Martin Boygues, qu’on ne présente plus depuis qu’il est ressuscité, est l’heureux
propriétaire de TF1
Le journal Le Monde, considéré encore aujourd’hui par certains comme le journal de
référence, appartiens à Xavier Niel, Pierre Bergé et Matthieu Pigasse,
respectivement un dirigeant d’un important groupe de télécommunications, un homme
d’affaires et un banquier.
Libération, encore récemment propriété de Rothschild appartient maintenant à Bruno
Ledoux, homme d’affaires qui est également l’actionnaire de référence du Nouvel
Economiste, et Patrick Drahi, un homme d’affaires très riche (57ème fortune mondiale)
qui est aussi propriétaire de L’Express.
Les Echos, journal économique de référence pour les patrons, notamment des PME,
appartient au groupe LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy) qui possède également
radio Classique.
Le Point appartient à M. Pinault (patron du Printemps et de la Redoute notamment).
Le Nouvel Observateur appartient à Claude Perdriel, industriel et patron de presse
puisqu’en plus du Nouvel Obs il possède Sciences et Avenir, Challenges et Rue89.
Ajoutez à cela que, indépendamment de leurs propriétaires, qui les financent la plupart
du temps à perte, les médias ont besoin de la publicité pour vivre et que la publicité
ne vient ni de l’Abbé Pierre ni des Restos du cœur, et vous aurez compris pourquoi les
médias les plus suivis ne peuvent diffuser ni une information objective ni une
information exhaustive.
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Que reste-t-il ? Réponse : l’Etat. L’Etat est propriétaire des chaînes de télévision
publique, de Radio France et de l’Agence France Presse. Mais l’Etat, c’est-à-dire les
pouvoirs publics, c’est-à-dire les gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche,
sont eux aussi acquis à la pensée unique. Ce qui présente au moins l’avantage – pour
les journalistes – de pouvoir travailler indifféremment dans le public ou dans le
privé !
Un exemple : Jean-Pierre Elkabbach a été président de France télévision, Directeur
général d’Europe 1, PDG de Public Sénat, puis nommé à la tête de Lagardère News, une
structure rassemblant les médias d'information du groupe Lagardère.
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Donc, nous avons dit que dans une vraie démocratie il faut une presse
indépendante, pluraliste et objective.
L’indépendance de la presse
L’indépendance de la presse se juge en fonction des sujets qu’elle ne traite pas et
en fonction de la façon dont elle parle des sujets qu’elle traite.
Le choix du sujet : Le choix des informations et des reportages sont faits en fonction de
ce que l’on veut faire savoir et de ce dont on ne veut pas parler. C’est particulièrement
vrai à la télévision, qui a tendance à donner au téléspectateur ce qu’elle pense qu’il en
attend. Pour faire de l’audimat – et donc faire grimper les recettes publicitaires – il faut
se mettre au niveau du téléspectateur moyen.
Par exemple en consacrant du temps à monter en épingle les propos qu’un joueur de
foot a proférés dans un moment de colère. Pendant ce temps là on ne parle pas d’autre
chose. En attendant la pause publicitaire, suivie d’un « débat » sur les élections
cantonales. Débat au cours duquel s’affrontent les représentants des partis politiques
avec leur langue de bois. Heureusement une nouvelle pause publicitaire viendra sauver
le téléspectateur d’un mortel ennui. Et hop, voilà à nouveau Zlatan à l’écran, cette fois
pour s’excuser laborieusement et dire à quel point il aime la France … Ca au moins
c’est une nouvelle.
Le choix du sujet : trois exemples de sujets qu’on ne choisit pas
Jusqu’à quel point Sarkozy est impliqué dans le financement de sa campagne par
Kadhafi ? Médiapart a publié en avril 2012 un document prouvant que le régime libyen
avait débloqué 50 millions d’euro en faveur de la campagne présidentielle de Nicolas
Sarkozy. Sarkozy a dit qu’il s’agissait d’un faux. Trois experts, saisis par la justice, ont
confirmé l’authenticité du document. Leur conclusion n’a été reprise ni par l’AFP ni par
les chaînes d’information télé et radio. Par contre, Sarkozy va-t-il faire abroger la loi
Taubira sur le mariage pour tous ? Là, une avalanche de dépêches, d’analyses, d’éditos,
à n’en plus finir, alors que rien ne permet d’affirmer que Sarkozy reviendra au pouvoir
et que de toute façon il serait extrêmement dangereux pour un parti politique de
revenir sur un tel acquis de société.
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Deuxième exemple : les médias français sont les grands spécialistes du reportage qui
montre aux Français comment c’est mieux dans certains autres pays, pour bien
montrer à nos concitoyens qu’ils ont tort de s’opposer aux merveilleuses reformes
nécessaires pour profiter à fond de la mondialisation. On a eu la période des reportages
sur le Royaume-Uni de Tony Blair, puis celui des reportages, articles, analyses, sur
l’Allemagne d’Angela Merkel. Il y a quand même un pays dont les médias français n’ont
pas parlé, c’est l’Islande.
Que s’est-il passé en Islande après que les banques ont conduit le
pays à la banqueroute en 2008 ?
En Islande :
– Le peuple a exigé la démission en bloc de tout le gouvernement
– On a nationalisé les banques
– On a organisé un référendum pour que le peuple puisse se prononcer sur
les décisions économiques fondamentales. Et notamment sur le
remboursement de la dette due à la Grande-Bretagne et aux Pays-Bas.
Le peuple a voté non à 93%
– On a emprisonné les responsables de la crise
– La constitution a été réécrite par les citoyens
Et tout cela, pacifiquement.
A-t-on parlé de l’Islande dans les médias français ?
En a-t-on parlé dans les débats politiques radiophoniques ?
A-t-on vu des images de ces faits à la TV ?
Bien sûr que non !
Troisième exemple : en novembre 2013 le président de l’Equateur est venu en visite
officielle à Paris. Economiste de formation, parlant parfaitement le français, M.
Rafael Correa a donné une conférence à la Sorbonne pendant laquelle il a expliqué
comment son pays avait allégé le poids de sa dette extérieure, ignoré les
recommandations du FMI et refusé les politiques d’austérité. Et M. Correa a mis en
garde l’Europe contre les politiques d’austérité. On aurait pu penser que cet événement
bénéficierait d’un traitement médiatique à la mesure de l’intérêt qu’il présentait au
moment où l’Europe se débattait dans l’étau de l’austérité. Silence radio ! A part le
Monde diplomatique, personne n’en a parlé.
Voilà pour les sujets qu’on ne choisit pas.
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Les sujets que l’on choisi
Les médias traitent des sujets qui s’imposent dans l’actualité ou d’autres qu’ils
choisissent :
Comment en parlent-ils ?
Les gens pensent en « mots ». C’est pourquoi contrôler le langage signifie contrôler
les pensées. C’est un aspect important mais caché des média.
L’euphémisme est une figure de rhétorique qui consiste à atténuer une idée
déplaisante ; les médias en sont pleins.
On ne nous enseigne pas à nous méfier des médias. Au contraire, on nous enseigne que
seuls les « experts » ont la vérité absolue. Ce qui est souvent faux.
Les « experts » : ceux d’entre vous qui regardent la télévision se sont probablement
rendu compte de ce qu’il existe, pour tous les sujets, des « experts » incontournables.
Toujours les mêmes, qui vont de plateau en plateau. Les mêmes d’ailleurs sont sollicités
par la presse écrite. Certains sont spécialisés (les économistes Christian de Boissieu,
Elie Cohen, les sociologues Alain Touraine, Pierre Rosanvallon) d’autres sont
multicartes (Alain Minc, Jacques Attali, par exemple). Ce sont les « experts » agréés.
Agréés par qui ? Par les patrons des médias évidemment. Ces « experts » font partie
des mêmes cercles et des mêmes clubs que les patrons des médias, les industriels, les
banquiers et les éditorialistes dominants. Ils sont présentés en général uniquement
avec leur titre universitaire (professeur d’économie à Paris VIII, professeur de
sociologie au CNAM, etc.) et on néglige de préciser qu’ils font partie de conseils
d’administration de sociétés et de banques.
Un expert peut-il défendre à la télévision « en toute indépendance » la dérégulation
financière quand il est professeur d’économie ET administrateur d’un fonds
d’investissement ?
En réalité, ceux qu’on appelle en France des experts indépendants, ce sont des
personnes dont on est sûr qu’elles pratiquent le politiquement correct.
Ce qu’on appelle le « politiquement correct » est tout simplement un moyen
d’empêcher les gens de distinguer entre l’erreur et la vérité. Le politiquement
correct fait croire que sur un sujet donné une seule idée, une seule opinion est
recevable. Alain Minc débattant avec Jacques Attali c’est « à l’intérieur du cercle de la
raison », c’est Minc qui l’a dit. Alain Touraine cosignataire d’un rapport avec Alain Minc
a précisé qu’ils avaient travaillé dans « le cercle du réel et du possible ».
Sorti de ce consensus il n’y aurait qu’aventure, démagogie, populisme. On veut
nous faire croire que tout ce qui s’écarte de cette opinion là est une sorte de
« crime contre l’humanité ». L’exemple le plus frappant qui me vient à l’esprit est
celui de l’unanimité des média français en faveur du oui à la constitution européenne.
On a assisté à ce moment là à quelque chose de stupéfiant dans un pays démocratique.
Nous y reviendrons.
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L’effet le plus puissant des médias est aussi le plus difficile à déceler : c’est
l’idéologie par la bande, notamment à travers les clichés.
Les banlieues sont forcément tristes et peuplées de jeunes désœuvrés, de dealers et
d’immigrés clandestins.
Les syndicats bloquent les réformes et les évolutions pour défendre les acquis des
« nantis» - à savoir ceux qui ont un travail en CDI payé au SMIC
Les usagers sont pris en otage …
Par ailleurs les paysans qui polluent, manifestent et incendient c’est le monde paysan
en colère.
Les jeunes des banlieues qui manifestent et mettent le feu aux voitures qu’ils ne
peuvent pas s’acheter c’est la racaille.
L’information économique
L’information économique mérite une mention spéciale. Puisque la droite et la plupart
de la gauche ont adopté la même idéologie, les journalistes dominants ont abandonné
toute idée de contre pouvoir et se sont empressés d’accompagner les choix de la classe
dirigeante en faisant œuvre de pédagogie collective. Résultat : en matière
économique, l’information dispensée par les médias dominants s’inspire des
méthodes de l’Eglise catholique. Ce qu’ils diffusent c’est le dogme de la pensée
unique.
Alors que, puisque les gouvernements successifs conduisent tous la même politique, la
seule possible disent-ils, les médias devraient fournir aux citoyens les clés pour
comprendre les enjeux économiques et sociaux, il n’en est rien. Les journalistes des
médias dominants suivent scrupuleusement le programme faisant corps avec la classe
dirigeante.
Le pluralisme de la presse
Deux exemples qui illustrent que le pluralisme dans les médias en France n’est
qu’apparent. Sur les questions qui pourraient remettre en cause le dogme libéral
il n’y a pas de pluralisme des médias.
Premier exemple : Le plan Juppé de 1995 :
Là je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître … mais
vous allez voir que ce n’est pas vraiment de l’histoire ancienne, car ceux qui sévissaient
il y a 20 ans dans les médias y sévissent encore aujourd’hui.
Il s’agissait encore une fois de la « seule politique possible », c’est-à-dire faire payer les
salariés. Les médias, comme toujours, ont assuré la mise en musique. Il s’agissait disaient-ils - de défendre la protection sociale tout en évitant la défiance des marchés.
Les sacrosaints marchés !
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Aussitôt Roland Cayrol, Bernard-Henri Levy, Jean Daniel, Jacques Julliard, Pierre
Rosanvallon, Alain Duhamel, Guillaume Durand, Alain Touraine, Gerard Carreyrou, Guy
Sorman … tous approuvèrent un plan à la fois courageux, cohérent, ambitieux, novateur
et pragmatique.
Manque de bol … les salariés n’étaient pas d’accord. Et la grève SNCF et RATP s’installa.
Incroyable et inacceptable. Les média commencèrent à tenir un discours de haine. F.H.
Giesbert affirma dans Le Figaro « Les cheminots et les agents de la RATP rançonnent
la France pour la pressurer davantage. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de
corporatisme, c’est-à-dire de racket social ». Claude Imbert, dans Le Point, lui emboîta
le pas, je le cite : « d’un côté la France qui travaille, veut travailler et se bat, et de
l’autre la France aux semelles de plomb, campée sur ses avantages acquis ». Gerard
Carreyrou, de TF1, qui pouvait d’autant mieux parler de ces grévistes qui abusaient de
la bonté humaine qu’il gagnait lui-même à l’époque 425.000 euro par an, a parlé « d’un
mouvement où les fantasmes et l’irrationnel brouillent souvent la réalité ».
Et nos « grands » éditorialistes y sont allés chacun de sa définition de ce mouvement
populaire que décidemment ils ne comprenaient pas : « un coup de lune » « une
grande fièvre collective », « une fantasmagorie », « un carnaval ». Ces millions de
manifestants étaient d’évidence à leurs yeux « les contours d’une France décalée,
archaïque, tournée vers des solutions à l’italienne plutôt que vers des solutions à
l’allemande ». Je viens de citer Jacques Julliard dans le Nouvel Observateur,
hebdomadaire qui se voulait « de gauche » face aux réformes d’un gouvernement de
droite.
Pendant toute cette période avait lieu chaque semaine sur Europe 1 un débat
« Droite/Gauche » entre Jacques Julliard et Claude Imbert, suivi d’un « Face à face »
Alain Duhamel/Serge July, tous les quatre parfaitement d’accord sur le plan Juppé.
Les marchés s’inquiétaient, on parlait de menaces sur la stabilité du franc – rappelezvous, le franc fort, sacré lui aussi, comme les marchés … les médias se sont mis à
l’œuvre et tous les jours, tous les soirs, ils ont parlé d’embouteillages monstres,
d’usagers à bout, d’entreprises au bord de l’asphyxie, des embauches qu’on ne va pas
faire …
France Soir, détenu à l’époque par Robert Hersant, alla jusqu’à évoquer la misère des
SDF qui allaient mourir de froid à cause de la fermeture des stations de métro. Et pour
faire bonne mesure France Soir s’inquiétait aussi pour les RMIstes, qui, si le
mouvement venait à s’étendre à la Poste allaient être privés de leurs prestations …
Mais rien n’y fit, et pour finir les cheminots et les agents de la RATP triomphèrent, au
grand dam des grands éditorialistes.
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Deuxième exemple de ce manque de pluralisme : La Constitution européenne
Le referendum sur le traité constitutionnel européen a été l’événement politique
majeur des vingt dernières années. Pour une fois les citoyens se sont informés, ont
débattu, ont compris. Les citoyens se sont informés. Où ? Pas en écoutant la télévision,
ou la radio ou en lisant les journaux.
Pendant toute la campagne TOUS les médias importants étaient pour le oui.
Une fois que le referendum a été décidé ils se sont tous bousculés pour regretter qu’on
n’ait pas choisi la voie parlementaire. Claude Imbert dans Le Point (de droite) donnait
en exemple un garçon qui rentrait fatigué le soir de son usine, au lieu de le laisser boire
tranquillement sa bière on lui infligeait la lecture d’un texte extrêmement complexe (et
j’ajoute qu’on obligeait par la même occasion M. Imbert à le lire aussi). Mais à quoi sert
le Parlement ? se demandait M. Imbert.
Jacques Julliard, dans le nouvel Observateur (réputé de gauche) estimait que « le
désir référendaire correspond plus au fantasme rousseauiste du contrat inaugural qu’à
un véritable besoin démocratique ». Les grandes voix des médias ne comprenaient pas
comment le peuple des Lumières, guidé par tant d’hommes et de femmes politiques,
éclairé par les brillants propos de brillants esprits tels qu’Alain Minc, Jacques Attali,
Alain Duhamel, Serge July, Alexandre Adler, Jean-Marie Colombani, Laurent Joffrin,
Christine Ockrent, Jean-Pierre Elkebbach etc. etc. pouvait imaginer de voter non. Je me
souviens de cette campagne, interrogeant à la télévision Fabius, qui était favorable au
« non », Serge July bavait de haine. S’il l’avait mordu, Fabius serait mort de la rage.
Dans les nombreux débats organisés à la télévision et à la radio la majorité des
représentants du oui était écrasante. Pendant ce temps là le « non » progressait par le
bouche à oreille, par des petites réunions dans des petites salles, par des rencontres
sur les marchés et surtout sur Internet.
Tous les grands chroniqueurs, sans exception, ont fait campagne pour le « oui ».
Tous les quotidiens – à l’exception de L’Humanité – et tous les hebdomadaires – à
l’exception du Canard enchaîné. Même Charlie Hebdo, qui était alors dirigé par
Philippe Val.
J’ignore si cela a aidé Philippe Val à faire carrière.
Je sais par contre que, n’y tenant plus, Jean-Pierre Elkabbach, le 8 février 2005 à déclaré
sur Europe 1 qu’il était pour le oui. « Je ne devrais pas le dire, mais je suis pour le oui.
Mais je suis objectif... ». Quelques semaines après Lagardère le nommait directeur
d’Europe1 et administrateur de Lagardère Active Broadcast.
« Si l’on est bien informé on doit choisir de voter oui » avait dit Pierre Bérégovoy avant
le referendum sur Maastricht, en 1992. En 2005 mieux informé encore, par les mêmes,
le peuple a voté non à 55%. Ce changement, intervenu malgré le chœur des médias, est
imputable à Internet et – rendons à César … - à ATTAC.
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L’objectivité de la presse
L’objectivité de la presse n’existe pas, vous l’avez compris. L’exemple de mauvaise
foi le plus récent ce sont les titres et les commentaires sur les dernières élections
grecques, avec la victoire de Syriza, le parti de gauche d’Alexis Tsipras.
L’élection de Syriza a été accueillie par un véritable tir groupé des institutions
européennes complaisamment et je dirais même voluptueusement repris et amplifié
par les médias qui se sont positionnés en adversaires résolus à faire échouer
l’expérience Syriza.
Le Monde, notre journal qui se veut « objectif » et de référence, a été le véritable portedrapeau des médias souhaitant l’échec de Syriza au point de l’anticiper dans ses titres
cinq colonnes à la une – quitte à mitiger ses jugements dans le texte des articles.
« La Grèce de Tsipras se plie aux exigences de Bruxelles » titrait Le Monde du 24
février 2015 « La plupart des réformes qu’Athènes s’engage à faire […] sont celles
qui avaient été dénoncées par Syriza », disait l’article entonnant la ritournelle de
la capitulation de Syriza. L’article décrit le programme des réformes proposées par
Tsipras dans une lettre à Bruxelles et, à démonstration de sa thèse de la capitulation,
Le Monde précise que « Le gros de la liste concerne la lutte contre l’évasion et la fraude
fiscales, censée répondre aux principaux problèmes de l’administration grecque
(corruption, fiscalité défaillante). Ces réformes sont réclamées par la troïka depuis
2010, mais aucun gouvernement, ni les socialistes du Pasok ni les conservateurs de
Nouvelle démocratie (ND), n’ont eu le courage politique jusqu’ici de les mettre sur les
rails. ».
En dehors du fait que comme le dit Le Monde lui-même Tsipras propose des réformes
apparemment bienvenues, qu’aucun gouvernement grec avant lui n’avait eu le courage
d’entreprendre, il se trouve que la phrase Ces réformes sont réclamées par la troïka
depuis 2010 est inexacte. On comprend bien l’esprit de cette formulation : il s’agit de
minimiser l’apport du nouveau gouvernement en matière de lutte contre la fraude
fiscale. Pourtant, si on se souvient des exhortations particulièrement répétitives de la
presse dominante et de Bruxelles pour que les Grecs « paient », « se réforment »,
« cessent de dépenser », « licencient leurs fonctionnaires », on peine à se remémorer
celles invitant à lutter contre l’évasion fiscale des grandes fortunes grecques.
Dans le même article, Le Monde considère inacceptable une augmentation du
smic grec. Inacceptable ? Inacceptable pour qui ? Inacceptable pourquoi ?
« L’Eurogroupe n’est pas du tout prêt à financer une augmentation du smic grec ». Or ce
n’est évidemment pas « l’Eurogroupe » qui serait amené à financer cette augmentation,
neutre pour les finances publiques de la Grèce comme de ses partenaires de la zone
euro, mais les entreprises grecques. Politiquement invendable ! conclut Le Monde, qui
d’évidence se fout comme d’une guigne du fait que la majorité des Grecs ont trouvé
cette idée politiquement très vendable le 25 janvier dernier.
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Le Monde a l’insigne honneur d’abriter dans ses colonnes un parfait exemplaire de
« chien de garde » en la personne d’Arnaud Leparmentier qui sévit aussi sur Radio
France. Ses commentaires sur la Grèce et les Grecs, après la victoire de Syriza, ont été
un chef d’œuvre de mauvaise foi, amalgamant les Grecs avec les hommes politiques qui
les ont amenés dans le mur et insistant lourdement sur les dettes qu’il faut rembourses.
Bien sûr sans préciser que les prêts à la Grèce ont surtout servi à sauver les banques
allemandes et françaises qui avaient acheté de la dette grecque. D’ailleurs, pour bien
souligner à quel point ces gens sont peu recommandables, M. Leparmentier a
lourdement insisté sur le fait que M. Tsipras et ses ministres ne portent pas de
cravate. Et là on sent vraiment pointer la panique de M. Leparmentier : si des
types sans cravates viennent à bout de l’austérité, là vraiment tout fout le camp !
J’ai pris l’exemple du Monde « journal objectif de référence » comme une sorte de
raccourci. Tous les grands médias ont été et sont toujours sur la même longueur d’onde
face à la Grèce de Syriza.
***
Conclusion
Après avoir dit tout le mal que je pense de la plupart des médias je tiens à préciser qu’il
ne faut pas sous-estimer le rôle du public en tant que coproducteur du sens et des
idéologies.
Pour que la propagande « prenne » il lui faut un terreau propice. Souvent, les discours
des médias sont convaincants parce qu’ils viennent renforcer des opinions
préexistantes. Et c’est d’autant plus facile que la plupart des gens n’ont pas été
formés au sens critique. Et donc ne se posent pas les questions qui sauvent : Qui
parle ? D’où il parle ? ; De quoi il parle ? ; Pourquoi il en parle ? ; Comment il en
parle ? ; Quels sont ses éventuels conflits d’intérêt ?
Pour répondre à ces questions de façon pertinente il faudrait que le téléspectateur,
l’auditeur ou le lecteur fassent deux efforts : celui de chercher d’autres sources
d’information pour les comparer – mais il n’en a pas le temps ni l’envie – et celui de
réfléchir. Mais cela pourrait rendre les cerveaux moins disponibles pour la publicité et
tout est fait pour les en dissuader.
***
Voilà, je crois avoir démontré que, grâce à la complicité des média, le politiquement
correct permet à un petit nombre de personnes d’imposer leur pouvoir à la
majorité.
Y a-t-il une issue possible favorable à la démocratie ? Internet pourrait être la réponse,
à condition que les enfants soient formés au développement de l’esprit critique par
l’école. Mais en disant cela je suis bien consciente de ce que l’école ne peut pas tout,
alors qu’au fil des événements les missions de l’école se multiplient.
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Bibliographie
« Les chiens de garde » Paul Nizan éditeur Agone
« Sur la télévision » Pierre Bourdieu éditions Raisons d’Agir
« Les nouveaux chiens de garde » Serge Halimi éditions Raisons d’Agir
« Economistes à gages » Serge Halimi Renaud Lambert Frédéric Lordon éditions Les Liens qui Libèrent
« Capitalisme et pulsion de mort » Gilles Dostaler et Bernard Maris éditions Pluriel
« A-t-on encore besoin des journalistes ?» Eric Scherer éditeur PUF (Presses Universitaires de France)
« Justice et médias » Yves Poirmeur éditeur LGDJ (Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence)
« Sur la concentration des médias » Ignacio Ramonet éditeur LIRIS
« Médias en campagne » Henri Maler Antoine Schwartz éditeur Syllepse
« La fabrication de l’information » Florence Aubenas Miguel Benasayag éditeur La Découverte
« La tyrannie de la communication » Ignacio Ramonet éditeur Gallimard
« L’autre mondialisation » Dominique Wolton éditeur Flammarion
« Des économistes au-dessus de tout soupçon » Bernard Maris éditeur Albin Michel
A voir :
Le film « Les nouveaux chiens de garde » de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat