Seul autour du monde à la voile
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Seul autour du monde à la voile
Joshua SLOCUM Seul autour du monde à la voile La Découvrance 2010 Chapitre 1 Dans cette belle province maritime qu’est la Nouvelle-Écosse, se trouve une chaîne de montagnes appelée montagne du Nord, qui surplombe la baie de Fundy d’un côté, et la fertile vallée d’Annapolis de l’autre. Sur son versant nord pousse le spruce, un épicéa dont le bois dur est bien adapté à la construction navale, et avec lequel des navires de toutes sortes sont construits. Les gens de cette côte, durs, robustes et forts, sont toujours prêts à se mesurer au commerce mondial, et l’on ne peut rien contre un capitaine marchand si, son certificat de naissance mentionne la Nouvelle-Écosse comme origine. Je suis né dans un endroit gelé, dans la partie la plus froide de la montagne du Nord, par un 20 février glacé, et, pourtant, je suis citoyen des États-Unis d’Amérique — un Yankee naturalisé, pour qui ose dire que les Nouveaux-Écossais ne sont pas de véritables Yankees. Des deux côtés de ma famille, mes ancêtres étaient marins ; et si on doit trouver un Slocum qui ne navigue pas, il montrera au moins certainement un penchant pour les maquettes de bateaux et les voyages. Mon père était le type d’homme qui, abandonné sur une île déserte, aurait réussi à rentrer chez lui, pourvu qu’il ait un couteau de poche et qu’il y ait un arbre. Il connaissait bien les bateaux, mais il était propriétaire d’une vielle ferme qui était son ancre. Il n’avait pas peur d’un coup de vent, et il était actif lors des réunions évangéliques ou des séances de réveil religieux comme il s’en tenait autrefois. En ce qui me concerne, j’ai toujours été sous le charme merveilleux de la mer. À l’âge de huit ans, j’avais déjà navigué dans 7 la baie avec d’autres garçons, au risque de me noyer. Plus tard, je remplis le rôle important de cuisinier sur une goélette de pêche, mais je ne restais pas longtemps dans la galère, car l’équipage se mutina à la vue de mon premier pudding et me flanqua dehors avant que je puisse briller en tant qu’artiste culinaire. L’étape suivante sur le chemin du bonheur m’amena dans le poste d’équipage d’un trois-mâts carré en partance pour l’étranger. C’est ainsi que je fis mes classes, hors des rangs, et que j’en vins aux commandes d’un bateau, sans passer par le poste arrière. Mon plus beau commandement a été celui du magnifique troismâts, Northern Line, dont je possédais des parts. Je pouvais en être fier, car à cette époque, dans les années 1880, c’était le plus beau voilier américain sur l’eau. Après, j’achetais et je naviguais sur Aquidneck, un petit trois-mâts qui, de toutes les œuvres de l’homme, me semblait se rapprocher le plus de la perfection de la beauté et qui, quand le vent soufflait, rivalisait de vitesse avec les vapeurs. Je l’avais commandé pendant près de vingt ans, lorsque je quittais son bord sur la côte du Brésil où il avait fait naufrage. Mon voyage de retour vers New York, avec ma famille, se fit sur le canot Liberdade, sans incident. Je voyageais toujours vers l’étranger. Je naviguais, pour commercer ou faire du transport de fret, principalement vers la Chine, l’Australie, le Japon, et parmi les îles des Épices. Ma vie n’était pas le genre qui donne envie de s’amarrer à terre, la terre, dont j’avais finalement presque oublié les habitudes et les manières. Alors quand les affaires se sont dégradées pour le transport maritime à la voile — ce qui finit par arriver — j’essayais de quitter la mer, mais qu’y avait-il à faire pour un vieux marin ? J’étais né dans la brise, et j’avais étudié la mer comme peut-être peu d’hommes l’avaient étudiée, négligeant tout le reste. Après la navigation, c’est la construction navale qui m’attirait le plus. Je rêvais de maîtriser ces deux métiers, et, en quelque sorte, avec le temps, j’ai accompli mon désir. Sur les ponts de navires costauds dans les pires coups de vent, j’avais fait des calculs concernant la taille et le type de 8 bateau le plus sûr pour affronter tous les temps et toutes les mers. Aussi, le voyage que je vais raconter maintenant est-il la conclusion naturelle, non seulement de mon amour pour l’aventure, mais aussi de mon expérience acquise tout au long de ma vie. Un jour de l’hiver 1892, à Boston, où le vieil océan m’a rejeté, si je puis dire, depuis un an ou deux, je me demande si je dois à nouveau solliciter un commandement, pour pouvoir me nourrir, ou aller travailler aux chantiers navals, quand je rencontre une vieille connaissance, un capitaine baleinier, qui me dit : « Venez à Fairhaven et je vous donnerai un navire. Mais, ajouta-t-il, il a besoin d’être réparé. » Les conditions du capitaine, après explication, me conviennent tout à fait. Elles comprennent toute l’assistance nécessaire pour remettre l’embarcation en état de naviguer. Je suis ravi d’accepter, car je me suis rendu compte que je ne peux pas obtenir de travail aux chantiers navals sans payer d’abord cinquante dollars à une association, et quant au commandement, il n’y a pas assez de navires en partance. Presque tous nos grands navires ont été démâtés pour en faire des barges à charbon, et ils sont ignominieusement tirés par le nez de port en port, alors que de nombreux capitaines valeureux doivent avoir recours à l’Abri du Marin, les foyers des gens de mer. Le jour suivant, je débarque à Fairhaven, en face de New Bedford, et je me rends compte que mon ami s’est en quelque sorte joué de moi. Pendant sept ans, il a lui-même été l’objet de la farce. Le navire est un très vieux sloop appelé Spray dont les voisins disent qu’il a été construit en l’An 1. Il a été affectueusement installé sur des bers, au milieu d’un champ, à quelques distances de l’eau, et recouvert d’une grosse toile. Les gens de Fairhaven, j’ai à peine besoin de le dire, sont économes et observateurs. Ils se demandaient depuis sept ans ce que le capitaine Eben Pierce allait bien pouvoir faire avec le vieux Spray. Lorsque j’arrive, les commérages se renforcent : enfin, quelqu’un est venu restaurer la vieille carcasse de Spray. 9 « — Vous le détruisez, n’est-ce pas ? — Non, je vais le reconstruire ». L’étonnement est grand. « Cela en vaut-il la peine ? » sera la question à laquelle je répondrai pendant plus d’un an que c’est à moi de faire en sorte que ça en vaille la peine. Je fais tomber à la hache un chêne costaud, qui poussait près de là, pour la quille. Le fermier Howard, pour une petite somme d’argent, le tire jusqu’à Spray, ainsi qu’assez de pièces de bois pour les couples de la coque du nouveau bateau. Je fabrique une étuve avec une marmite comme chaudière. Les madriers pour les membrures, taillés dans de jeunes arbres droits, sont dégrossis et passés à la vapeur jusqu’à ce qu’ils soient souples. Alors, je les forme sur des rondins où je les attache pour qu’ils sèchent. Chaque jour, le résultat de mon travail est tangible, et les voisins viennent me rendre visite. C’est un grand jour au chantier, lorsque la nouvelle étrave de Spray est installée, et fixée à la nouvelle quille. Des capitaines baleiniers sont venus de loin pour surveiller l’opération. D’une seule voix, ils la déclarent premier brin, d’excellente qualité, et selon eux, taillée pour fendre la glace. Le plus vieux capitaine me donne une chaleureuse poignée de main quand les guirlandes sont installées, et déclare qu’il ne voit aucune raison pour que Spray ne puisse pas déjà aller chasser la baleine franche au large du Groenland. Cette estimée pièce d’étrave a été taillée dans la souche d’un chêne blanc, du plus beau genre. Plus tard, elle brisera en deux une patate de corail aux îles Cocos, et n’en sera pas abîmée. Il n’existe pas de meilleur bois pour un navire que le chêne blanc. Les guirlandes, tout comme les membrures, sont de ce bois. Elles sont étuvées et mises en forme comme il faut. C’est presque le mois de mars quand je commence à travailler sérieusement ; et bien qu’il fasse froid, de nombreux contrôleurs sont derrière moi pour me donner des conseils. Quand un capitaine baleinier apparaît à l’horizon, je me repose un instant sur mon herminette, et discute un peu avec lui. Un pont relie Fairhaven à New Bedford, la patrie des capitaines baleiniers, et la promenade est agréable. Pour moi, ils n’accostent 10 pas assez au chantier. Ce sont leurs charmantes légendes de chasse à la baleine dans les mers arctiques qui m’inspirent, pour installer une double épaisseur de guirlandes sur Spray, afin qu’il puisse résister à la glace. Les saisons passent vite pendant que je travaille. Les membrures du sloop sont à peine mises en place que les pommiers fleurissent. Puis ce sont les pâquerettes et les cerises qui arrivent en suivant. Près de l’endroit où le vieux Spray a maintenant disparu reposent les cendres de John Cook, un père pèlerin révéré. Aussi, le nouveau Spray surgit-il d’une terre bénie. Depuis le pont de la nouvelle embarcation, je peux tendre la main et attraper les cerises qui pendent au-dessus de la petite tombe. Les bordés, que je vais bientôt poser, sont en pin de Géorgie, épais d’un pouce ¹ et demi. Leur mise en place est fastidieuse, mais le calfatage est facile. Les arrêtes extérieures des planches restent légèrement ouvertes pour le recevoir. Les arrêtes intérieures sont si proches, que je ne vois pas la lumière du jour entre elles. Tous les abouts sont fixés avec des boulons traversants et des écrous les serrent aux membrures, si bien qu’il n’y aura pas de plainte de leur côté, à l’avenir. J’utilise près de mille boulons et écrous pour la construction. Mon but est de fabriquer un bateau costaud et solide. Selon la règle de Lloyd’s, la Jane, qui serait complètement restaurée, voire même reconstruite différemment, doit rester la Jane. Spray change d’allure graduellement : l’ancien disparait au profit du nouveau qui prend corps, mais cela n’a pas d’importance. Je construis le pavois avec des jambettes de chêne blanc de quatorze pouces de haut et je les couvre avec du pin blanc de sept ou huit pouces. Je calfate avec de fines cales de cèdre les mortaises par les jambettes traversent un plat-bord de deux pouces. L’étanchéité restera parfaite. Je fais le pont avec des bordés de pin blanc d’un pouce et demi d’épaisseur sur trois de largeur, cloués aux barrots, de six pouces sur six, en pin jaune ou de Géorgie, espacés de trois pieds ². Les superstructures sont construites : l’une, de six pieds ¹ Un pouce = 25,4 mm. ² Un pied = 31 cm. 11 sur six sur l’ouverture de la descente principale pour la cuisine, et l’autre, un peu plus loin sur l’arrière, un rouf d’environ dix pieds sur douze pour la cabine. Les deux structures dépassent d’environ trois pieds au-dessus du pont pour donner suffisamment de hauteur sous barrot. Dans les espaces, le long des côtés de la cabine, sous le pont, j’arrange une couchette pour dormir et des étagères pour du petit rangement, sans oublier l’emplacement de l’armoire à pharmacie. Dans la cale centrale, c’est-à-dire l’espace qui sépare la cabine et la cuisine, sous le pont, il y a suffisamment de place pour des provisions d’eau, de bœuf salé, etc., pour plusieurs mois. La coque de mon bateau est désormais assemblée, aussi solide que le bois et le fer le réalisent, et l’aménagement intérieur est terminé, je commence donc à calfater. Certains craignent qu’à ce point j’échoue. Moi-même, je songe à prendre des conseils auprès d’un professionnel. Le tout premier coup de ciseau donné dans le coton, que je pense être correct, semble mauvais pour beaucoup d’autres. « Cela va cracher ! » crie un homme de Marion, qui passe avec un panier de clams sur son dos. « Ça va cracher ! » crie un autre de West Island, quand il me voit enfoncer le coton dans les coutures. Bruno remue simplement sa queue. Même Mr. Ben J, une autorité chez les baleiniers, dont l’esprit, cependant, passe pour chancelant, me demande avec assurance, si je ne pense pas que ça va cracher. « Dans combien de temps, ça va cracher ? » hurle mon vieil ami le capitaine, qui a souvent été pris en remorque par de robustes cachalots. « Dites-nous dans combien de temps ? » crie-t-il « que nous puissions être au port à temps. » Cependant, je pose un filet de filasse au-dessus du coton, comme j’avais l’intention de le faire depuis le début… Et Bruno remue encore sa queue. Le coton ne crachera jamais. Quand le calfatage est fini, je passe deux couches de peinture au cuivre sur les œuvres vives, deux autres de plomb blanc sur les œuvres mortes et le pavois. Le gouvernail est alors posé et peint, et Spray est lancé le jour suivant. Mouillé à sa vielle ancre dévorée par la rouille, on dirait un cygne posé sur l’eau. 12 13 Profil horizontal. Les dimensions de Spray, une fois achevé, sont de trente-six pieds neuf pouces de long, hors tout, quatorze pieds deux pouces de large, et quatre pieds deux pouces de creux dans la cale ; son poids est de neuf tonneaux de jauge nette et douze tonneaux soixante et onze de jauge brute. Je fixe alors le mât, un bel épicéa du New Hampshire, ainsi que tous les petits accessoires nécessaires à une courte croisière. Les voiles sont envoyées, et avec mon ami le capitaine Pierce, nous traversons la baie de Buzzard pour un essai : succès complet. La seule question que se posent mes amis, le long de la plage, est désormais : Est-ce que cela en valait la peine ? Mon nouveau bateau m’a coûté cinq cent cinquante-trois dollars soixante-deux pour le matériel, et treize mois de mon travail. En fait, je suis resté un peu plus longtemps à Fairhaven, car j’ai occupé une partie de mon temps à travailler occasionnellement à l’armement de baleiniers. 14 Evangelistas Is. PREMIERE TENTATIVE POUR FRANCHIR LE CAP HORN 189 Po r 6 ar t Ta m Lo n gR eac h hr Port Angosto B. ARS T ac h ach ed Re Cro ok ng lish Re E harles Is . C Direction du vent MI LK Co Itinéraire de Spray à travers le détroit de Magellan 206 Fury Is. YW l AY ne an ur ck b nC h Tor te sc u e B . 3M Is . C. Pillar ee 4 MARS 1896 C. Virgins Sandy Point F ro w ola Famine R ea ow a . rles C. Fr rd Cha .N ich sB Is . To r . Is . B . ree h a ch B T sh Re s cue i l g n E St te ch Broad Reach a rd R e a c h TIERRA DEL FUEGO n ur l kb n ne c Co C h a 207 Table des matières — Chapitre 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Profil horizontal de Spray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Détail de la barre de Spray . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 3 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 6 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 7 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 8 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 9 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 10 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 11 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 12 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 13 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 14 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 16 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 17 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 18 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 19 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 20 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Chapitre 21 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Annexe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Carte du voyage du Spray autour du monde . . . . . . . . . . . . . . . Itinéraire de Spray à travers le détroit de Magellan . . . . . . . . . 7 13 15 16 24 32 41 52 62 73 81 91 99 107 116 126 136 148 159 169 176 185 192 198 204 206