Amenzu n°18 : Avril 2005 : Ferhat à Amenzu
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Amenzu n°18 : Avril 2005 : Ferhat à Amenzu
Numéro 18 1 B u l l e t i n d e l ’ A s s o c i a t i o n C u l t u r e l l e B e r b è r e s d e B r e t a g n e d e s Editorial 1995 : C’était en mai que nous lancions le M. C. B (Mouvement Culturel Berbère) à l’occasion de la venue de Matoub Lounès à Rennes pour un concert à la Salle de la Cité. Pour nous, ce parrainage avait et a toujours une valeur plus que symbolique. 2005 : Nous fêtons cette année les 10 ans de notre association, devenue entre-temps ACBB; cet évènement coïncidant avec un autre que nous avons toujours marqué, le 25ème anniversaire du Printemps berbère, Tafsut Imazighen. Aussi avons-nous décidé de célébrer ces deux dates en invitant un autre militant de la cause berbère, qui n’a eu de cesse à travers différentes formes d’engagement de plaider et de porter haut cette cause, quelquefois même au péril de sa vie. En effet, c’est un plaisir pour nous d’inviter Ferhat Mehenni, défenseur inconditionnel de la liberté, de la démocratie dont la détermination n’a jamais connu de répit malgré les pressions, arrestations et condamnations. Pour faire connaissance davantage avec lui, nous lui avons posé quelques questions que nous vous invitons à lire. Nous espérons avoir les moyens de marquer aussi l’année d’autres évènements culturels. L’ACBB continuera à développer son action, au niveau qui est le sien, pour faire vivre le débat sur les questions qui intéressent aussi bien le devenir de notre culture, ici en Europe, que son évolution dans les pays d’Afrique du Nord, dans une démarche d’ouverture sur les autres cultures du monde. L’histoire récente et passée nous enseigne que les modèles communautaristes développent davantage d’enfermement sur soi et favorisent des dérives. La question centrale est de savoir comment concilier sa dimension identitaire propre dans une perspective citoyenne plus large. Nous serons très attentifs aux évolutions de la laïcité dans une approche moins étriquée, moins dogmatique ou sectaire mais pour autant tout aussi ferme sur les valeurs qui la fondent. Nous défendrons aussi la juste revendication de l’enseignement du berbère en France et militerons dans ce sens avec tous ceux qui mettent cette idée au centre de leurs préoccupations. L’espace de ce bulletin est toujours ouvert à tous ceux qui veulent contribuer à l’échange et au dialogue des cultures. L’équipe d’Amenzu. SOMMAIRE Editorial p. 1 Ferhat à Amenzu p. 2-3 Infos p. 4 A C B B ————————— MJC La Paillette Rue Pré de Bris 35 000 RENNES Tél. : 02 99 59 88 88 Fax. : 02 99 59 88 89 [email protected] Site : http://www.acb-bretagne.info ______________________________ Responsable du Bulletin Khaled DRIDER Ont collaboré à ce numéro : T. Ait-Abdelmalek, H. Ait Seddik, M. Ammi, F. Azzoug, A. Benoufella, K. Drider, E. Jouzel, B. Kaci Chaouch, C. Kadi, T. Khiar, N. Logeais, A. Nessah, N. Ould-Slimane Ferhat répond à Amenzu 2 : Qui est Ferhat ? Présente--toi aux lecteurs Amenzu d'Amenzu et aux bretons. Ferhat : Il m’est toujours difficile de me présenter. Par pudeur et par gêne morale. Il me semble que ce que l’on attend de moi dans de pareilles circonstances c’est de louer les qualités d’une marchandise que je refuse d’être. Je m’en remets toujours aux autres pour donner l’image qu’ils ont de moi. Par rapport au mien, leur regard me parait souvent plus fiable y compris lorsqu’il est méchant ou complaisant. Mais pour sacrifier à ce rituel d’ « Amenzu » disons que j’ai cinquante quatre ans dont plus de trente consentis au service de la cause identitaire et culturelle berbère à travers la chanson ou le militantisme sur le terrain. Leur facture est toutefois assez lourde : douze arrestations du temps du parti unique, la torture subie sous les ordres de l’actuel général Smaïn LAMARI en avril 80, un nez cassé par les matons de la prison de Tazoult-Lembèse le 2 janvier 1986, des tentatives d’assassinats au début des années 90 … Pourtant c’est l’assassinat de mon fils aîné Ameziane, le 19 juin 2004 à Paris dont je ressens le plus la cruauté puisque tout le monde suppose qu’il a été tué pour me faire payer mes positions politiques. Pour autant, pas plus que les premières épreuves n’avaient pu entamer ma détermination, pas plus qu’aujourd’hui ou demain le cours de l’Histoire ne sera infléchi par des assassins qui par leurs actes ignobles espèrent arrêter la marche du peuple kabyle vers sa liberté. J’ai à mon actif de chanteur six albums dont le dernier dédié à la Kabylie est paru fin 2002, à celui de militant plusieurs organisations et à celui d’écrivain un livre « Algérie : la question kabyle » paru en 2004 aux Editions MICHALON. Amenzu : Quel regard portes-tu sur la chanson kabyle actuelle ? Ferhat : Mon regard sur la chanson kabyle actuelle peut sembler exagéré ou intéressé. Il est vrai que notre chanson évolue en dents de scie mais cela ne doit pas remettre en cause les progrès qu’elle a accomplis et la beauté qui est la sienne. Personnellement c’est en elle que je puise mes réconforts, que j’accompagne mes états d’âme pour mieux repartir à la conquête de la vie. Ses mélodies, ses sonorités, ses rythmes m’ont toujours soutenu dans la joie, le chagrin ou la douleur. Je l’aime simplement et je suis sûr qu’elle a un bel avenir devant elle. Amenzu : Quels sont tes projets dans ce domaine ? Ferhat : J’ai quatre livres en préparation, un cd pour la fin de l’année 2005 et des conférences ici et là sur les domaines de mon intervention militante. Amenzu : Tu es aussi homme d'action. Pourquoi avoir crée le mouvement pour l'autonomie de la Kabylie ? Ferhat : Il serait prétentieux de ma part de m’approprier une œuvre collective que réalise le peuple kabyle à travers sa trajectoire particulière pour affirmer son existence et se donner un avenir de paix, de liberté et de fraternité. Nous n’avons créé le Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie, le MAK, qu’après avoir épuisé toutes les voies et moyens que nous offre le cadre algérien actuel avec son soubassement despotique oriental et sa couverture idéologi- que jacobine française. Tant qu’il s’agissait pour nous d’aller en prison pour nos revendications nous l’avions accepté, tant qu’il s’agissait de nous dénier le droit à notre langue et notre identité nous avions continué à croire en une issue positive dans l’ensemble algérien. Tant qu’il s’agissait de discriminations ethniques dont nous étions victimes et dont nous souffrons toujours, nous avions placé nos espoirs en des organisations telles que le FFS ou le RCD, voire le MCB. Depuis qu’en avril 2001 le pouvoir a tiré sur nos enfants dans l’indifférence nationale totale comme l’a superbement chanté OULAHLOU dans son magnifique dernier album, nous avons considéré que l’irréparable était désormais arrivé et qu’un régime qui a tiré une fois sur le peuple kabyle, tirera de nouveau sur lui dès que des conditions similaires à celles de 2001 se présenteront, ce dont, malheureusement, nous sommes persuadés car l’Histoire se répète souvent. Alors, pour mettre nos enfants à l’abri de la violence armée de l’Etat, nous sommes condamnés à donner à la Kabylie les instruments de sa souveraineté locale à travers un statut d’autonomie régionale. Cela lui permettra de poser ses problèmes dans le cadre de ses propres institutions étatiques en relation avec le pouvoir d’Alger, au lieu de la rue où, jusqu’ici, elle a exposé la vie de ses citoyens. Elle aura, ainsi, à gérer sa langue et à assurer son développement économique loin des blocages dont le régime algérien a toujours usé pour briser nos élans en ces domaines. Amenzu : Où en est la construction d'un mouvement autonomiste en Kabylie? Ferhat : En Kabylie, la revendication d’autonomie, si décriée au début par tous les intérêts établis, a fini par gagner le cœur et la raison. Ils sont rares les villages ou les quartiers dans lesquels nous ne comptons pas de sympathisants ou d’adhérents. Le MAK a réalisé un miracle. Il n’a pas encore abouti mais il est sur la voix du succès. Amenzu : Des tractations ou des discussions ont lieu entre le pouvoir algérien et les représentants des Ârchs. Qu’en penses-tu ? Ferhat : Pour nous, le dialogue est une vertu cardinale. Aucun conflit moderne ne peut se terminer sans que ceux qu’il met aux prises ne se mettent autour d’une même table. L’erreur de ces délégués « dialoguistes » me parait venir de leur propre trajectoire. Ils étaient les premiers à jeter l’anathème sur tous ceux, nombreux, qui dès le départ avaient prôné le dialogue avec le pouvoir pour sortir de la crise en Kabylie. C’étaient eux, également, qui criaient sur tous les toits que la plate-forme de revendications d’El-Kseur était « scellée et non négociable ». Tout ce temps de douleur et de deuil kabyle n’aurait-il finalement servi que pour des règlements de compte et des questions de leadership au sein des Ârchs ? Il y a de quoi être inquiet quant à l’issue de ces « négociations » et de quoi douter de l’accord intervenu entre les dialoguistes et le pouvoir. Ceci est d’autant plus révoltant que cet accord stipule bien que l’Etat algérien ne reconnaît et n’accepte les 15 points de la plate-forme d’ElKseur que « dans le cadre des lois de la République Algérienne Démocratique et Populaire ». (suite page 3 ) Ferhat à Amenzu (suite) 3 Autant dire que le régime n’accepte que ce qu’il voudrait bien accepter, c’est-à-dire rien. Je pense aussi que les Ârchs auraient dû arriver à un large consensus entre eux pour entamer ces négociations et exclure tout coup de force par lequel un clan confisquerait le combat de tout un peuple. Il aurait fallu au préalable que le dialogue et les négociations aient d’abord lieu entre les membres des Ârchs même avant de l’être avec le régime en place. Amenzu : Si la plate-forme d'El Kseur était entièrement acceptée par le gouvernement, y aurait-il encore lieu de demander l'autonomie? Ferhat : La plate-forme d’El-Kseur est le reflet d’un consensus des diverses forces politiques présentes à la réunion tenue, dans la localité dont elle porte le nom, à la veille de la grandiose marche kabyle du 14 juin 2001 à Alger. Elle a eu le mérite de poser certains jalons et de mobiliser la Kabylie pour ses droits. Elle a néanmoins des tracés peu lisibles entre des revendications régionales propres à la Kabylie et des revendications nationales, valables pour l’ensemble de l’Algérie qui n’en demandait pas tant. Bien au contraire. Bref, elle est généreuse. Son manque de réalisme et les idéologies en place ne permettaient pas encore à ses rédacteurs d’avoir pour solution l’autonomie régionale. Elle s’attaquait prioritairement aux effets engendrés par la violence. Elle n’avait pas le temps de réfléchir aux causes des troubles que connaît notre région depuis l’indépendance de l’Algérie. Donc, même si la plateforme d’El-Kseur est acceptée dans sa totalité, la Kabylie ne sera pas pacifiée politiquement parlant. Le problème numéro un de la Kabylie est qu’elle n’est pas qu’une région parmi tant d’autres mais qu’elle est aussi la première patrie du peuple kabyle. La Kabylie se bat, au fond, pour son existence et sa place dans la direction des affaires du pays à commencer par les siennes propres et non contre ce fumeux slogan fourretout, un pur produit de l’arabe algérien, qu’on dénomme « la hoggra ». Le projet d’autonomie régionale, lui, est réfléchi et englobe plus que les quinze points de la plate-forme en question. D’ailleurs à y regarder de près, ces quinze points ne peuvent eux-mêmes être satisfaits que dans le cadre d’une autonomie régionale puisque le reste des régions du pays n’en veulent toujours pas. Le MAK a de l’avenir. sur les opportunités d’investissements dans nos deux régions. Nos chanteurs, nos écrivains, nos sportifs et nos artisans peuvent dès maintenant se tendre la main par-dessus les frontières et les obstacles que dresse le pouvoir algérien à de telles initiatives. Amenzu : C'est la première fois que tu te produis en Bretagne, que connais-tu de cette région ? Ferhat : C’est en fait la deuxième fois que j’aurais le plaisir et l’honneur de me produire sur la scène de cette très belle région. J’ai déjà participé à « la fête du peuple breton » si ma mémoire est bonne, en octobre 1981 à Brest. J’avais chanté juste avant Joe Coocker. Ce samedi 9 avril, je serai à Rennes pour célébrer le printemps berbère et pour une communion entre la Bretagne et la Kabylie. Ce que je connais de la Bretagne est plutôt culturel. C’est avec bonheur que j’avais lu en prison « le cheval d’orgueil » de Jakez Helias et c’est au travers des chansons bretonnes de Stivel, de Tri Yann ou de Gilles Servat que j’ai eu à découvrir vraiment la Bretagne. Amenzu : Ton dernier mot ? Ferhat : Vive la Bretagne et vive la Kabylie Albums : • L’Algérie a 20 ans • Chants berbères de lutte et d’espoir • Tughac n’ddkir • Chants révolutionnaires de Kabylie Amenzu : La Kabylie autonome privilégiera-t-elle des relations économiques avec la France et, particulièrement, avec la Bretagne ? Ferhat : La Kabylie a une relation quasi charnelle avec la France. La France est son horizon pour très longtemps. Elle n’aime pas son centralisme jacobin mais elle a envie d’avoir ses élites et sa modernité. Elle entend ainsi privilégier ses relations économiques et culturelles avec la France et avec tous les peuples d’Europe et plus particulièrement avec ceux qui endurent de dénis similaires à ceux que vit le peuple kabyle comme le peuple breton. La Bretagne est sœur de la Kabylie par son identité et sa projection dans l’avenir. Mais avant d’en arriver au statut d’autonomie nous pouvons déjà réaliser des jumelages entre villes et communes Kabyles et celles de la Bretagne. Nos hommes d’affaires peuvent dès maintenant échanger des informations Algérie : La Question kabyle (Essai) - Éditions Michalon, Paris ISBN : 2-8418-6226-7, 2004 Infos Infos 4 Infos LIVRES—REVUES •Aouach de Isabelle Demeyere Partie au Maroc pour vacances, la jeune journaliste du Nord de la France rencontre le pays berbère (Haut Atlas) et vit quatre saisons en partageant les vies quotidiennes de ses habitants où l' on voit qu’à quelques kilomètres de Marrakech, le Maroc est bien différent de la carte postale Un bon livre "d' ethnologie", "d' histoire vraie" qui se lit comme un roman !! Edition Aube poche Chrétiens de Kabylie, 1873-1954 de Karima Direche-Slimani. • Une action missionnaire dans l’Algérie coloniale (Editions . Bouchène) • • Revue du National Geographic : Dans le numéro de janvier 2005, à lire deux articles sur les Berbères du Maroc • Cuisine : livre de Farida Ait Ferroukh et de Samia Messaoudi La cuisine kabyle est une cuisine rurale, qui trouve sa richesse dans la diversité car elle change d’une montagne à l’autre. Aujourd’hui, la tradition et l’authenticité perdurent, mais une certaine modernité se mêle aux recettes d’hier surtout dans les repas quotidiens. En avant-propos, Farida Ait Ferroukh, ethnologue, évoque l’art culinaire kabyle dans sa tradition la plus authentique, replaçant chaque produit de base ou recette dans son contexte sociologique pour retrouver la mémoire kabyle, ses symboles, ses rituels, le sens de ses fêtes… Edisud 2004 Pour son 30e numéro, la revue Awal a choisi de publier les Actes du colloque de Paris, des 31 janvier et 1er février 2003, intitulé "Jean Amrouche et le pluralisme culturel" et réunissant une quinzaine de chercheurs de différentes disciplines. Une rue Fadhma Ath Mansour Amrouche à Baillé, en Ille et Vilaine : La mairie de Baillé, a souhaité rendre hommage à notre compatriote et écrivaine, auteur de « Histoire de ma vie » Fadhma Amrouche Ath Mansour, mère de Jean et de Marguerite Amrouche, en donnant son nom à une petite rue de la ville. Rappelons que Fadhma Amrouche est enterrée à Baillé et que l’ACBB a organisé en son honneur une mémorable soirée avec la participation de l’association Pacibes et des habitants de Baillé. (voir détails article Ouest-France du 12 mars sur notre site : http://www.acb-bretagne.info) • CD : nouvel album du groupe berbère touareg Tinariwen «La naissance du groupe de Tinariwen en 1982 est intimement liée à la situation d’exil et d’errance du peuple touareg. Tinariwen est l’émanation même de cette diaspora. Ses musiciens sont tous originaires de l’Adrar des Ifoghas, réfugiés dans les années 1970 à Tamanrasset, dans le Sud algérien. Leurs poèmes chantent la nostalgie et incitent à l’éveil politique des consciences. Ils traitent aussi des problèmes de l’exil, de la répression et des revendications politiques. Le groupe s’est tout d’abord produit dans cette période d’exil, lors de soirées de la jeunesse ou de fêtes traditionnelles. » Hommages : À Izri Brahim qui nous a quittés en janvier dernier. Nous n’oublierons pas ses mélodies ainsi que son combat pour la culture berbère et pour la Kabylie qu’il portait haut dans son cœur. Nous penserons à lui toutes les fois que nous chanterons « Tizi Ouzou s’éveille ». (cf. : site: http://www.azawan.com) Et à Mohya : le ciseleur de mots et l’orfèvre de la lan- gue. Mohya, de son vrai nom MOHIA Abdellah, est écrivain, poète et traducteur de langue berbère (kabyle). Il a publié des poèmes, des nouvelles ainsi que de nombreuses traductions vers le kabyle de pièces de théâtres (plus d’une vingtaine. Nous vous conseillons de découvrir toute son oeuvre sur le site de Tamazgha.