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Entre Guantanamera et Guantanamo Perspectives cubaines nouvelles sur un fond mouvementé 25 h. de dialogues avec Juan-Ramon, Professeur et journaliste cubain (fév. 2015) Juan-Ramon nous disait en février dernier à la Havane que Cuba était invité pour la première fois à participer à la "Cumbre de las Americas ", la réunion des présidents des états du continent américain. Pour la première fois depuis 1959 un président cubain et un président américain allaient prendre place autour de la même table. Sa voix exprimait l’espoir. Elargir les frontières de notre compétence culturelle Franziska et moi étions là pour explorer la culture cubaine. Juan-Ramon est journaliste, membre du lectorat de la cour suprême de la Havane et professeur d’espagnol. Nous deux manions la langue de Cervantes assez bien pour entamer un débat interculturel avec JuanRamon sur tous les aspects de la société, de l'histoire et de l’actualité cubaine. Le séjour à la Havane fut suivi d’un périple à travers le pays et de villes comme Viñales, Soroa, Cienfuegos, Trinidad et Santa Clara en compagnie de Pepe, notre guide. La lecture de documents et livres de source cubaine pendant et après notre séjour a étayé notre expérience, ce qui nous vaut aujourd’hui de ressentir une relation particulière avec ce pays. Le prix de la liberté Les voies sont partiellement inutilisables. L'eau de robinet est suspecte. Se connecter à l’internet ou au réseau mobile est un véritable défi sur tout le territoire et les étagères des magasins sont souvent étonnamment vides. La péninsule d'Hicacos, mieux connue sous © Copyright – All rights reserved, intermedio, Yous & partner – November 2015 1 le nom de la ville de Varadero, est une exception. Là s’alignent une quantité d’hôtels de luxe le long de plages de rêve pour accueillir plus de trois millions de touristes chaque année. Cependant, c’est le Cuba des cubains qui nous a séduit, là où la dévastation coexiste avec la joie de vivre, où le christianisme et les religions africaines ont adopté les mêmes divinités et où seulement l'instant présent compte. Nous n'avions jamais senti le rapport étroit entre l'histoire et la culture d'un peuple aussi clairement qu’à Cuba. "Guantanamera" et Guantanamo appartiennent à la fois au passé et au présent cubain. Le texte de la chanson populaire "Guantanamera" est chantée sur des vers de José Marti et évoque la nostalgie de liberté des Cubains. Guantanamo leur rappelle que leur territoire n'est pas encore entièrement libre. José Marti, poète et héros national Statue de José Marti à Cienfuegos Bien plus que Fidel Castro et "Che" Guevara, c’est José Marti qui symbolise l'identité de Cuba. L'écrivain, poète, journaliste et homme politique Marti est le personnage-clé de la guerre d'indépendance. Après 10 ans de guérilla, les Cubains avaient perdu en 1878 une première guerre contre la force d'occupation espagnole. Pendant son exil aux USA, Marti fonde en 1892 le Parti de la Révolution Cubaine. Alors que Cubains et forces espagnoles reprennent les hostilités 3 ans plus tard, le leader est touché mortellement par 3 coups de feu. Aidé par les Etats-Unis, Cuba accède trois ans plus tard pour la 1ere fois de son histoire à l’indépendance, le 12 août 1898. Au-delà de son rôle crucial dans leur libération de quatre siècles de colonisation espagnole, Martí a procuré aux Cubains la conscience d'être une nation. Le poète avait publié quatre ans avant sa mort ses "versos Sencillos" (vers simples), une anthologie lyrique. Le poème "Guantanamera" devient mondialement connu en 1935 grâce à une improvisation de style Guajira à la radio. La Guajira est en effet un modèle d'improvisation musical. Le refrain "Guajira Guantanamera" est un jeu de mots et signifie aussi bien "la chanson Guajira de Guantanamo" que "paysanne de Guantanamo". La ville de Guantanamo se trouve tout à fait à l'est de Cuba dans la province du même nom, anciennement province Oriente, et est aujourd'hui avant tout tristement connue comme base militaire américaine et prison ignorant les droits humains. Curieusement, la dernière révolte contre l’occupant espagnol s'était propagée dans tout le pays à partir de localités de la même province, dont Guantanamo. La poignée de mains entre Obama et Raoul en avril dernier a probablement sonné le début d'une ère nouvelle dans les relations diplomatiques entre Cuba et les USA. Guantanamo reste cependant un dossier brûlant dans les négociations entre les deux pays. Le territoire est occupé en vertu d’un bail datant du début du 20ème siècle. Gageons que si les cubains réussissent à récupérer Guantanamo, „Guantanamera“ sera de nouveau à la fête. Les ingrédients de la salsa La musique cubaine porte en son âme les traces de l'histoire du pays. Paradoxalement, la Salsa fait partie intégrante de son identité quand bien même ce style de musique n’aie pas vu le jour à Cuba, mais à New York. Il est vrai que ses créateurs furent des artistes cubains en exil. Les ingrédients de la "Sauce", comme l’indique son nom en espagnol, sont des styles de musique divers. Après avoir conquis les USA et en particulier Porto Rico où elle se dansera sur un pas latéral et VIDEO: Buena Vista Social Club à la Havane (Fev. 2015) non pas d’avant en arrière comme à Cuba, la Salsa s'installe dans le pays natal de ses © Copyright – All rights reserved, intermedio, Yous & partner – November 2015 2 créateurs et donne naissance à des dérivés tel que la timba. Le "Buena Vista Social Club" est la marque sous laquelle de nombreux groupes de musique cubaine se présentent dans leurs tournées internationales. La musique de Cuba a joué un rôle prédominant en Amérique latine depuis le début du 20ème siècle jusqu’aux années 50. Déjà en 1908 rayonne le "Son" au-delà des frontières cubaines avant que successivement la Guaracha, le boléro, le Mambo et le Cha-Cha-Cha ne conquièrent les pistes de danse du monde entier. La politique, fatale à la musique Le transfert des impulsions de la musique cubaine aux USA trouve sa justification dans la révolution socialiste de 1956-1959. Comme aux autres présidents cubains depuis l’accès à l’indépendance, on reproche au dictateur Batista d'être une marionnette corrompue à la solde des USA. Sous le commandement de leurs fers de lance, Fidel et Raoul Castro, Ernesto Guevara et Camilo Cienfuegos, les insurgés font parler le feu une fois de plus en partant de la province Oriente. Batista se réfugie aux Etats-Unis. Fidel Castro saisit le pouvoir et établit un régime qui se veut juste et équitable pour tous les Cubains mais qui devra de nouveau faire face à une adversité inexorable. En janvier 1961, les USA interrompent les relations diplomatiques avec Cuba. A l'exception du Mexique, tous les pays du continent se joignent aux USA dans cette démarche. L'une des protagonistes les plus considérables de la musique cubaine se trouve en 1960 en tournée au Mexique. Celia Cruz est la chanteuse du groupe Sonara Mantacera. A l’issue de sa tournée elle ne revient pas à Cuba, mais s’envole directement vers New York où, surnommée "Queen of Salsa" (reine de la Salsa), elle atteint une immense popularité. Grâce à son talent et à un charisme incroyable, son interprétation de "Guantanamera" conquiert les coeurs aux USA. Pete Seeger reprend à son tour la chanson pour en faire un hymne chanté par les syndicats américains. Le groupe „The Sandpipers“ la fait connaitre à la nouvelle génération. Mais l’industrie de la musique est mal en point dans l’île. L'embargo économique promulgué par Celia Cruz, "Reine de la Salsa", 1925--2003 les USA à partir de 1962 rend l'exportation d’oeuvres cubaines impossible. Il est interdit aux sociétés étrangères de signer des contrats avec des artistes cubains. Ne pouvant pas les exercer, ils perdent de facto leurs droits d'auteur. Telle Celia Cruz, beaucoup d’entre eux quittent Cuba. Ainsi, la musique cubaine continue d’évoluer à l'étranger, en dehors de son pays d’origine. Il faut atteindre la Présidence du démocrate Jimmy Carter (1977-1981) pour que des échanges culturels entre Cuba et les USA soient rendus possibles. A côté de la timba comme dérivée de la salsa, ce sont des styles comme le reggaeton et le Cubaton qui sont populaires aujourd’hui. Le rap est également présent et sert comme dans d'autres pays de véhicule à la critique sociale et politique. Le groupe „Los Aldeanos" en est un interprète connu. Selon Juan-Ramon, les textes propagés par de tels groupes sont souvent agressifs et vulgaires. L’héritage culturel des anciens esclaves Que l’on se promène à la Havane ou bien voyage à travers Cuba, on rencontre partout des groupes de musique. Le teint de beaucoup de musiciens suggère l'immense influence que les rythmes africains ont pu avoir sur la musique et la danse à Cuba et dans d’autres pays d’Amérique latine. Le continent américain aurait utilisé 20 millions d’esclaves selon JuanRamon, dont 800'000 sur les plantations de canne à sucre cubaines. Ils venaient principalement du Nigéria, du Congo ou du Bénin d'aujourd'hui. Trainés de force dans les © Copyright – All rights reserved, intermedio, Yous & partner – November 2015 3 bateaux des négriers, ils n’emmenèrent à Cuba que l’effroi dans leurs yeux et leurs divinités dans le coeur. Aujourd'hui, leurs saints sont ceux de cubains de toutes les couleurs. Ellegua est Saint-Antoine, Chango est Santa Barbara, Oggún peut être saint Pierre, saint Paul ou saint Jean-Baptiste selon les régions et les situations. Comment l’évolution a-t-elle rendu possible le syncrétisme (fusion d’idéologies) entre le christianisme et la "Regla de Ocha", une religion Yoruba, pour aboutir à une „Santeria“ pratiquée par les Cubains de toute couleur ? Cette question est le thème de notre prochain article. © Copyright – All rights reserved, intermedio, Yous & partner – November 2015 4