Groupe ISP - annales 2014 – Inspecteur des Finances Publiques
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Groupe ISP - annales 2014 – Inspecteur des Finances Publiques corrigé droit civil J. BERREBI – F. TOURET Rappelons que : - Aucun document ou code n’était autorisé ; La durée de l’épreuve était de 3h ; Le candidat devait traiter obligatoirement les sujets 1 (dissertation) et 2 (cas pratique). CORRECTION DU SUJET N°1 : RESPONSABILITE DE L’ENFANT MINEUR NON EMANCIPE FONDEE SUR L’ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL ET RESPONSABILITE DES PERES ET MERES [NB : A titre liminaire, il est nécessaire de rappeler que la composition juridique / dissertation, objet de la présente épreuve, doit être réalisée dans un temps très court, soit 1h30. Il ne s’agit donc pas d’une dissertation au sens classique, dès lors il ne semble pas nécessaire de rédiger un plan complet. Néanmoins, dans un souci de complétude et de structuration, la présente correction propose un tel plan idéalement réalisé par le candidat le jour du concours dans le temps imparti de l’épreuve]. « Qui fait l’enfant, doit en répondre ». C’est par cette formule que Loysel, éminent juriste du XVIème siècle, fonde le lien entre la parenté et la responsabilité. Pour autant une telle responsabilité des parents n’exclut nullement la responsabilité de l’enfant lui-même. La responsabilité civile constitue un mécanisme de réparation, fondé sur l’équité puisqu’il ambitionne la compensation d’un déséquilibre survenu en suite d’un fait générateur. En son sein, trouve une place particulière la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur non émancipé. Sont alors visés les parents de l’enfant qui vont garantir les tiers contre les dommages qui leur ont été causés par leur enfant. A cet effet, l’article 1384 alinéa 4 du Code civil dispose que « le père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ». Inchangé depuis 1804 et ce, malgré la loi du 17 mai 2013, le texte s’insère alors dans un corpus de règles relatif à la responsabilité extracontractuelle et fait suite au dispositif de responsabilité pour faute des articles 1382 et 1383 du Code civil. Or, ce sont ces deux textes qui fondent la responsabilité civile personnelle de l’enfant mineur lui-même lorsqu’il est l’auteur direct du dommage. Ces deux mécanismes de responsabilité coexistent depuis 1804 dans le Code civil. Traités séparément, ils n’ont guère posé de difficultés jusqu’à la fin du XXème siècle. Mais, la jurisprudence de la fin du XXème siècle jusqu’aux décisions les plus récentes ont fait évoluer la responsabilité des parents fondée sur l’article 1384 alinéa 4 de sorte que ces deux régimes s’entremêlent et se concurrencent. Comment le juge articule les actions en responsabilité fondées sur l’article 1382 et sur l’article 1384 alinéa 4 du Code civil ? 1 Aussi convient-il d’établir la distinction entre les responsabilités quant à l’exigence de faute (I) avant d’envisager de résoudre les difficultés liées à la mise en œuvre de ces deux responsabilités (II). I – La distinction entre les responsabilités quant à l’exigence de faute La distinction entre les deux responsabilités tient tant à la faute de l’enfant (A) qu’à l’établissement de la faute du responsable (B). A – Une distinction quant à l’exigence de faute de l’enfant Alors que la faute de l’enfant est exigée sur le fondement de l’article 1382, tel n’est pas le cas sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil. Sur le fondement de l’article 1382, la responsabilité pour faute de l’enfant dépourvu de discernement était exclue jusqu’en 1984. Depuis les arrêts Derguini et Lemaire, la faute du mineur peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son acte (Ass. Plén. 9 mai 1984, 2 arrêts). Celle-ci, fondée sur l’article 1382 du Code civil, vient naturellement concurrencer la responsabilité des parents. Ainsi, lorsque l’enfant a commis un acte de nature à engager sa responsabilité personnelle – ce qui est le plus souvent le cas –, la victime peut assigner le mineur seul ou aussi rechercher la responsabilité des parents. Longtemps, la responsabilité des parents est demeurée subordonnée à la démonstration d’un fait fautif de l’enfant. En ce sens, cette responsabilité bien que du fait d’autrui, ici l’enfant, gardait une dimension morale, au terme de laquelle la responsabilité découle de la faute. Elle trouvait écho dans les autres mécanismes de responsabilité du fait d’autrui installés par l’article 1384 du Code civil. En 1984, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence définitif dans le célèbre arrêt Füllenwarth rendu en Assemblée plénière (Ass. Plén., 9 mai 1984, Füllenwarth). Dans cet arrêt, la Haute juridiction décide que « pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ». Autrement dit, le simple fait causal de l’enfant suffit à déclencher la responsabilité parentale. Malgré quelques hésitations prétoriennes postérieures, le principe est constant en jurisprudence : cette évolution prétorienne a définitivement été entérinée avec l’arrêt Levert (Civ. 2ème, 10 mai 2001). Dans cette affaire, la Haute juridiction a admis que « la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’enfant ». Encore, dans deux arrêts de 2002, rendus en Assemblée plénière, les hauts conseillers ont décidé qu’il « suffit que le dommage invoqué par la victime ait été causé directement par le fait, même non fautif, du mineur » (Ass. plén. 13 décembre 2002, 2 arrêts). La distinction se prolonge lorsque l’on envisage la faute du responsable. B – Une distinction quant à l’exigence de faute du responsable Sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, la faute de l’enfant constitue aussi le fait générateur de sa responsabilité, tandis que sur le fondement de l’article 1384 se pose la question de la faute du responsable, c'est-à-dire des parents. 2 Jusqu’à la moitié du XXème siècle, la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant prévue à l’article 1384 alinéa 4 du Code civil était portée par un mécanisme de présomption de la faute des parents. Précisément, en cas de dommage causé par l’enfant, les parents étaient présumés avoir commis une négligence dans la surveillance et/ou l’éducation de l’enfant. Bien que présumée, la responsabilité de l’article 1384 alinéa du Code civil demeurait une responsabilité pour faute des parents (Civ. 2ème, 4 mars 1987). Alors que l’arrêt Blieck (Ass. plén. 29 mars 1991), fondé sur l’article 1384 alinéa 1er du Code civil, révélait déjà que la Cour de cassation entendait orienter la responsabilité du fait d’autrui vers une généralisation de la responsabilité de plein droit, il a fallu attendre l’important arrêt Bertrand de 1997 pour voir s’opérer ce changement de nature de la responsabilité des parents. Dans cet arrêt, la Cour régulatrice décide que « seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par leur enfant mineur » (Civ. 2ème, 19 février 1997, Bertrand). Ce faisant, la responsabilité de l’article 1384 alinéa 4 a vu sa nature modifiée : son fondement n’est plus la faute, mais le risque. Le fait de l’enfant, sinon l’enfant lui-même, sont donc analysés comme présentant un risque, dont les parents doivent garantir les conséquences dommageables. Parfaitement dissemblables quant à l’exigence de faute, les responsabilités de l’enfant et des parents s’entremêlent et s’articulent de plus en plus difficilement dans la jurisprudence récente. II – Les difficultés liées à la mise en œuvre des responsabilités De telles difficultés naissent notamment des spécificités propres à chacun de ces régimes de responsabilité (A), ce qui n’interdit pas leur cumul (B). A – Des difficultés liées à la spécificité des régimes de responsabilité La responsabilité civile personnelle de l’enfant demeure une responsabilité pour faute tandis que la responsabilité des parents sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil est plus sévère, puisqu’il s’agit d’une responsabilité de plein droit. Ainsi, la responsabilité des parents du fait de leur enfant ne repose plus que sur deux conditions principales : l’autorité parentale et la cohabitation encore que cette dernière soit appréciée le plus souvent de manière abstraite. En vertu de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, cette responsabilité de plein droit a une nature solidaire par l’effet de la loi. Si cette solidarité naît de la rédaction même du texte issu du Code civil dans sa rédaction constante depuis 1804, elle se trouve renforcée par le principe de coparentalité posé par la loi du 4 mars 2002. Avant l’arrêt Füllenwarth, les parents pouvaient échapper à leur responsabilité en démontrant l’absence de fait fautif de la part de l’enfant. De même, lorsque la responsabilité des parents reposait sur l’idée de faute présumée des parents, ces derniers étaient libérés de leur obligation de réparation en rapportant la preuve qu’ils n’avaient commis aucune faute de surveillance ou d’éducation. Par évidence, ce modèle conduisait à diminuer les chances d’indemnisation des victimes de dommages causés par l’enfant. En décidant dans les deux arrêts de 2002, rendus en Assemblée plénière, qu’il « suffit que le dommage invoqué par la victime ait été causé directement par le fait, même non fautif, du mineur » (Ass. plén. 13 décembre 2002, 2 arrêts), les juges mettent l’accent sur le lien de causalité entre le fait du mineur et les dommages subis par la victime. Autrement dit, la causalité demeure une 3 garantie d’une certaine équité en la matière, afin que la sévérité du juge ne soit pas systématique. En démontrant que le fait de l’enfant n’est pas directement à l’origine du dommage, les parents peuvent trouver à échapper à leur responsabilité. Une telle sévérité est mal vécue par les parents et plus généralement critiquées par la doctrine. L’enfant peut limiter ou échapper à sa responsabilité par trois moyens : comme pour les parents, en rapportant la faute de la victime ou en démontrant l’existence d’un cas de force majeure, mais aussi et surtout en démontrant son absence de faute. Autrement dit, la responsabilité de l’auteur de l’acte est moins sévère que la responsabilité de ceux qui en ont la « garde » (au sens de la responsabilité civile et non au sens du droit de la famille et de l’autorité parentale, puisque le terme de garde a disparu avec les lois du 4 mars 2002 et du 26 mai 2004). Ces difficultés se prolongent dès lors que le cumul entre les responsabilités du mineur et du parent est possible. B – Des difficultés liées au cumul des responsabilités La victime peut, selon son choix, soit assigner le mineur seul, soit uniquement ses parents, soit, enfin, rechercher la responsabilité in solidum la responsabilité les parents et l’enfant. La question du cumul pose en elle-même diverses difficultés, notamment quant à la responsabilité entre les parents, mais aussi quant à la mise en œuvre de la solidarité entre parents et enfants. Quant au cumul des responsabilités des parents, un arrêt récent marque une évolution remarquable de l’appréciation par le juge de la condition de cohabitation et, par là-même, de la responsabilité des parents du fait de leur enfant (Crim. 6 novembre 2012). L’espèce doit être éclairée : la question posée aux hauts magistrats tendait à la détermination des conditions de la responsabilité d’un parent sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil alors qu’il n’a à l’égard de l’enfant qu’un droit de visite et d’hébergement. En cassant l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, la Haute juridiction décide dans un attendu particulièrement explicite que « en cas de divorce, la responsabilité de plein droit prévue [par ce texte] incombe au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant a été fixée, quand bien même l’autre parent, bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, exercerait conjointement l’autorité parentale ». Ainsi, la Cour de cassation exclut la responsabilité de plein droit d’un parent d’un mineur sur le fondement de l’article 1384 du Code civil, pour défaut de cohabitation. De plus, la Cour de cassation ait pris le soin de souligner la force de l’arrêt de 2012 en le répétant dans un arrêt de 2014 (Crim. 29 avril 2014). L’exclusion de la responsabilité de plein droit du parent d’un mineur en raison d’un défaut de cohabitation ne signifie pas absence de responsabilité. Demeure la possibilité de rechercher la responsabilité du parent qui ne se voit réserver qu’un droit de visite et d’hébergement sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Précisément, la Cour de cassation affirme que « la responsabilité du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée ne peut, sans faute de sa part, être engagée ». Quant au cumul de la responsabilité des parents et de l’enfant, l’insolvabilité de l’enfant demeure néanmoins un obstacle à l’utilité de cette voie de responsabilité, bien que le régime assurantiel en la matière puisse conjuguer cet inconvénient. Il est d’ailleurs remarquable que, lorsque la responsabilité personnelle de l’enfant est établie, et dès lors que les parents ne sont pas les auteurs 4 directs du dommage, les parents disposent à l’égard de leur enfant d’un recours intégral à son encontre. Cependant, il s’expose comme la victime à l’insolvabilité de l’enfant. En conclusion, bien qu’il s’agisse de mécanismes aussi anciens que le Code civil lui-même, sinon dans une large mesure inspirés du droit romain, la responsabilité de l’enfant mineur non émancipé et la responsabilité des parents du fait de leur enfant s’entremêlent, se concurrencent, parfois s’articulent, mais aussi évoluent au risque de nombreuses interrogations constituant de nouveaux défis pour le juge. CORRECTION DU SUJET N°2 : CAS PRATIQUE « CECILE V » Dans le cadre d’une succession, Adèle est confrontée à différentes difficultés relatives à des biens, qu’il convient d’examiner successivement : I - La maison de Deauville II - L’appartement en région parisienne III - Le local professionnel et le fonds libéral I/ La maison de Deauville La défunte avait hérité de son mari de l’usufruit de la maison. Toutefois, elle avait cédé, de son vivant et à titre gratuit, l’usufruit de la maison à la fille d’un ami. Cette dernière a procédé à l’achèvement de la construction de la buanderie et du garage. Deux difficultés juridiques se posent ici : 1. La cession d’un usufruit est-elle possible ? 2. Quel est le sort des travaux réalisés par l’usufruitier ? A/ Sur la cession de l’usufruit L’usufruit est un droit réel, par essence temporaire, dans la majorité des cas viager, qui confère à son titulaire l’usage et la jouissance de toutes sortes de biens appartenant à autrui mais à charge d’en conserver la substance (art. 578 C. civ.). En l’espèce, la défunte avait hérité l’usufruit de la propriété de Deauville de son défunt mari. En revanche, il n’est pas précisé qui est le nu-propriétaire. De plus, il n’est pas précisé le mode d’établissement de l’usufruit. Aux termes, de l’article 579 du Code civil, l’on distingue deux sortes d’usufruit, d’une part, les usufruits légaux et, d’autre part, les usufruits nés de la volonté de l’homme (usufruits contractuels et usufruits testamentaires). 5 L’usufruit étant un droit réel automne, il est cessible. En effet, il peut être vendu, donné, hypothéqué (s’il porte sur un immeuble) ou saisi même par les créanciers de l’usufruitier, sauf s’il présente un caractère alimentaire. L’article 595 du Code civil prévoit explicitement que l’usufruitier peut « même vendre ou céder son droit à titre gratuit ». Cependant, seule la cession entre vifs est possible, ce qui est le cas en l’espèce. La cession de l’usufruit doit être analysée comme un véritable transfert du droit réel, et non pas seulement de son exercice. Le cessionnaire est un usufruitier pourvu de toutes les prérogatives attachées à cette qualité. L’acquéreur devient à son tour usufruitier, mais du même usufruit que celui du cédant. L’usufruit cédé demeure indissolublement relié à la personne de l’usufruitier originaire. Aussi, la cession ne modifie pas la durée de l’usufruit, qui continue à dépendre de la vie de l’usufruitier primitif, et non de celle du cessionnaire (Civ. 3e, 26 janv. 1972). En conséquence, la cession réalisée par la défunte mère à la fille d’un ami est parfaitement valable. Toutefois, au jour du décès de la mère, l’usufruit cédé aura cessé et la propriété reconstituée. Ce qui posera des difficultés, en l’espèce, au regard des travaux réalisés par l’usufruitier. B/ Sur les travaux L’extinction de l’usufruit emporte deux obligations, d’une part restituer le bien grevé et, d’autre part, établir les comptes. Un compte doit être établi pour déterminer ce dont l’usufruitier et le nupropriétaire peuvent être créanciers ou débiteurs l’un de l’autre. Or, ici, l’usufruitier a réalisé les travaux suivants : achèvement de la construction de la buanderie et du garage. Le nu-propriétaire peut être redevable de diverses indemnités. Ainsi, au cas où l’usufruitier a effectué des grosses réparations, le nu-propriétaire doit lui rembourser le montant de la plus-value résultant de ces travaux à l’époque où l’usufruit s’éteint. En revanche, l’article 599, alinéa 2, du Code civil dispose que « l’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée ». Aussi en l’espèce, il convient de déterminer s’il s’agit d’améliorations. Par améliorations, il faut entendre tous travaux et opérations qui, n’étant pas commandés par la nécessité de la conservation ou de l’entretien de la chose, ont eu pour résultat de la compléter, de la rendre plus productive, plus utile ou plus agréable. La jurisprudence est allée plus loin et assimile aux améliorations visées par l’article 599 du Code civil les constructions. Ainsi, plusieurs arrêts ont décidé que doivent être considérées comme améliorations « soit les constructions nouvelles s’ajoutant au fonds et en augmentant la valeur, soit les constructions ayant pour effet d’achever un bâtiment commencé ou bien d’agrandir un édifice préexistant » (Req. 4 nov. 1885). Les constructions litigieuses ont eu pour objet d’achever un bâtiment déjà commencé, la qualification de dépense d’amélioration doit donc être retenue. Ainsi, au terme de l’usufruit, l’usufruitier ne pourra réclamer une indemnité au nu-propriétaire pour les constructions réalisées. Dès lors, à supposer qu’Adèle et Hugo soient les nus-propriétaires, ils n’auront pas à verser à la fille de l’ami de la mère une indemnité pour les travaux réalisés. 6 II/ L’appartement en région parisienne L’héritière de la défunte habite au sein de l’appartement situé en région parisienne. Elle envisage d’assumer seule les factures et les taxes liées à l’appartement. En dépit de l’opposition de son frère, elle souhaite changer la décoration intérieure de l’appartement. Deux difficultés juridiques sont soulevées ici : 1. La cohéritière peut-elle obtenir le remboursement des factures et taxes liées à l’appartement ? 2. La cohéritière peut-elle passer outre l’opposition de son frère pour modifier la décoration intérieure ? A/ Le remboursement des factures et taxes À la suite de l’ouverture d’une succession, dès lors que le défunt laisse plusieurs héritiers, s’applique le régime de l’indivision jusqu’au partage. En l’espèce, à la suite du décès de la mère, il est précisé que les héritiers souhaitent demeurer en indivision. Sur les biens compris dans l’indivision chaque indivisaire à des droits, mais aucun n’a de droit exclusif. Ainsi, « les actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le consentement de tous les indivisaires » (art. 815-3 al. 1er C. civ.). Un indivisaire ne peut ainsi, sans l’accord de tous les autres, occuper pour son seul usage un bien indivis ou y apporter des transformations matérielles (Civ. 28 févr. 1894). Toutefois, aux termes de l’article 815-9 alinéa 1er du Code civil, « Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination ». Cette jouissance devant être conforme aux droits des autres indivisaires. En effet, les indivisaires ayant des droits de même nature, l’un des indivisaires ne peut user de la chose commune qu’à condition de ne pas porter atteinte aux droits égaux et réciproques des autres. Enfin, selon l’alinéa 2 dudit article, « l’indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ». En conséquence, la fille de l’épouse, usant et jouissant de l’appartement parisien, sera redevable d’une indemnité à l’indivision. Dans le cadre de la jouissance du bien, elle souhaite s’acquitter des factures et des taxes. L’article 815-13 alinéa 1er du Code civil prévoit que certaines dépenses faites par un indivisaire ont pour objet non une amélioration, mais, de manière plus limitée, une conservation du bien indivis. La Cour de cassation exerce un contrôle sur le caractère nécessaire des impenses liées à la conservation du bien indivis. Ainsi, un tel caractère a été écarté à des redevances de télésurveillance d’un immeuble, mises à la charge de l’unique épouse qui bénéficiait de la jouissance privative de l’immeuble indivis dans le cadre d’une indivision postcommunautaire. En revanche, dans la même décision, l’assurance habitation qui tend à la conservation du bien indivis, incombe à l’indivision (Civ. 1re, 24 févr. 1998, no 96-16318 et Civ. 1re, 20 janv. 2004, no 01-17124). Le raisonnement similaire a été fait en matière de taxe foncière (Civ. 1re, 20 mars 1989). En conséquence, à défaut de précision entre les factures et les taxes, il est difficile d’apporter une réponse certaine. Il conviendra de déterminer pour les factures et les taxes celles qui sont nécessaires à la conservation matérielle du bien indivis. 7 S’agissant des dépenses de conservation, il doit en être tenu compte à l’indivisaire. En conclusion, si les factures et taxes représentent des dépenses de conservation, Adèle pourra en obtenir le remboursement. B/ La décoration intérieure La gestion d’une indivision suppose la conclusion d’actes. Or la spécificité de l’indivision est susceptible de rendre délicate toute prise de décision, pourtant indispensable à la gestion du bien indivis. Ici, le frère s’oppose à la réalisation de travaux de décoration. Le mode de fonctionnement de l’indivision et la conclusion d’actes parfois importants se révèlent différents en fonction de la nature de l’acte à accomplir, qu’il s’agisse d’un acte conservatoire ou d’un autre acte juridique. Pour ce qui est des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, l’article 815-2 du Code civil affirme que ces actes peuvent être pris par tout indivisaire agissant seul. Il doit s’agir, en premier lieu, d’une mesure nécessaire, destinée à parer à un péril qui menace la conservation matérielle ou juridique d’un bien indivis. En second lieu, cette mesure ne doit pas mettre en péril l’existence des droits des indivisaires, ce qui signifie qu’elle ne doit pas toucher au fond du droit. En troisième lieu, elle doit avoir une portée raisonnable et ne pas engager des intérêts considérables par rapport à la valeur des biens indivis. Or, les travaux de décorations ne répondent pas à la première condition. En conséquence, les travaux de décoration ne peuvent être qualifiés de mesures nécessaires à la conservation des biens indivis et ne peuvent donc pas être pris par un seul universitaire. Aux termes de l’article 815-3 du Code civil est instituée une règle de majorité des deux tiers des droits indivis pour certaines catégories d’actes. Il en est ainsi pour les actes d’administration relatifs aux biens indivis (art. 815-3,1° C. civ.), sous réserve toutefois, que ces actes ressortissent « à l’exploitation normale des biens indivis » (art. 815-3 C. civ.). Les actes matériels les plus divers peuvent être qualifiés d’actes d’administration. Il en est ainsi de la construction d’une terrasse adjointe à un immeuble indivis et lui apportant une plus-value (CA Nancy, 19 mars 2001, n° 9900913). En l’espèce, les travaux de décoration sont donc qualifiés d’acte d’administration et répondent à l’exploitation normale des biens indivis. Dès lors, est exigée une majorité des deux tiers des droits indivis. Or en l’espèce, l’on ne connaît pas la répartition des droits indivis. Si Adèle, ou avec un autre indivisaire, détient les deux tiers des droits indivis, elle peut passer outre l’opposition de son frère. À défaut, l’opposition de son frère peut la contraindre à ne pas réaliser les travaux. D’autant plus, que dans l’hypothèse d’une succession ordinaire, les frères et sœurs étant des héritiers à égalité de degré, ils succèdent à égale portion et par tête (art. 744 C. civ.). Par conséquent, l’on peut supposer que le frère et la sœur détiennent chacun la moitié des droits indivis. Ainsi, l’opposition du frère empêchera Adèle de réaliser les travaux. 8 III/ Le local professionnel Préalablement au décès de la mère, cette dernière avait fait réaliser des travaux pour un montant de 70 000 euros sur le local professionnel et le fonds libéral. La société ayant réalisé les travaux peut-elle solliciter des héritiers le règlement de la facture ? Après un décès, s’il y a plusieurs héritiers, les biens de la succession sont en indivision, c’est-à-dire qu’ils appartiennent à l’ensemble des héritiers. En l’espèce, il est précisé que les héritiers ne souhaitent pas mettre un terme à l’indivision. L’article 815-17 du Code civil règle la situation des créanciers en distinguant les créanciers de l’indivision et les créanciers personnels des indivisaires. Pour les créanciers de l’indivision, l’alinéa 1er du précédent article pose une distinction entre deux catégories de personnes. Il y a, d’une part, les créanciers antérieurs à la naissance de l’indivision et, d’autre part, les créanciers postérieurs à la naissance de l’indivision. Or, en l’espèce il convient de déterminer de quelle catégorie relève le créancier, puisqu’il réclame le paiement de la créance après le décès du de cujus. La première catégorie comprend les « créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût indivision ». Il s’agit là de tous les créanciers qui, avant la naissance de l’indivision, avaient déjà un droit de gage général, au sens de l’article 2285 du Code civil, sur le patrimoine dont est ultérieurement issue l’indivision. C’est le cas, dans l’indivision successorale, des créanciers du de cujus. La seconde catégorie de créanciers comprend « ceux dont la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis ». C’est le cas, notamment, des gérants et administrateurs de biens pour les frais qu’ils ont engagés en vue de la conservation ou de la gestion des biens indivis. En l’espèce, la société de travaux relève de la première catégorie. En effet, ce dernier est un créancier personnel du de cujus qui aurait pu agir sur les biens indivis avant l’indivision. Ensuite, l’article 815-17, alinéa 1er du Code civil, se réfère, de manière générale, aux biens indivis. Sont visés tous les biens compris dans la masse indivise. En matière successorale, cela comprend les biens laissés par le de cujus au jour de son décès, comme en l’espèce, le local professionnel et le fonds libéral ainsi que les créances. Sont en revanche exclus du gage des créanciers de l’indivision, les biens ayant fait l’objet d’un partage, même partiel. Or il est précisé que les héritiers souhaitent demeurer en indivision. L’article 815-17, alinéa 1er du Code civil accorde aux créanciers de l’indivision deux prérogatives distinctes. Il est possible au créancier de l’indivision de se payer par prélèvement sur l’actif avant le partage, soit de poursuivre la saisie et la vente des biens indivis. En conclusion, le créancier disposera d’une option : soit prélever sur l’actif avant partage le montant de la créance ; soit de poursuivre la saisie et la vente des biens indivis. 9