Groupe ISP - annales 2014 – Inspecteur des Finances Publiques

Transcription

Groupe ISP - annales 2014 – Inspecteur des Finances Publiques
Groupe ISP - annales 2014 – Inspecteur des Finances Publiques
corrigé droit civil
J. BERREBI – F. TOURET
Rappelons que :
-
Aucun document ou code n’était autorisé ;
La durée de l’épreuve était de 3h ;
Le candidat devait traiter obligatoirement les sujets 1 (dissertation) et 2 (cas pratique).
CORRECTION DU SUJET N°1 : RESPONSABILITE DE L’ENFANT MINEUR NON EMANCIPE FONDEE SUR
L’ARTICLE 1382 DU CODE CIVIL ET RESPONSABILITE DES PERES ET MERES
[NB : A titre liminaire, il est nécessaire de rappeler que la composition juridique / dissertation, objet
de la présente épreuve, doit être réalisée dans un temps très court, soit 1h30. Il ne s’agit donc pas
d’une dissertation au sens classique, dès lors il ne semble pas nécessaire de rédiger un plan complet.
Néanmoins, dans un souci de complétude et de structuration, la présente correction propose un tel
plan idéalement réalisé par le candidat le jour du concours dans le temps imparti de l’épreuve].
« Qui fait l’enfant, doit en répondre ». C’est par cette formule que Loysel, éminent juriste du XVIème
siècle, fonde le lien entre la parenté et la responsabilité. Pour autant une telle responsabilité des
parents n’exclut nullement la responsabilité de l’enfant lui-même.
La responsabilité civile constitue un mécanisme de réparation, fondé sur l’équité puisqu’il
ambitionne la compensation d’un déséquilibre survenu en suite d’un fait générateur. En son sein,
trouve une place particulière la responsabilité des père et mère du fait de leur enfant mineur non
émancipé. Sont alors visés les parents de l’enfant qui vont garantir les tiers contre les dommages qui
leur ont été causés par leur enfant. A cet effet, l’article 1384 alinéa 4 du Code civil dispose que « le
père et la mère, en tant qu'ils exercent l'autorité parentale, sont solidairement responsables du
dommage causé par leurs enfants mineurs habitant avec eux ». Inchangé depuis 1804 et ce, malgré la
loi du 17 mai 2013, le texte s’insère alors dans un corpus de règles relatif à la responsabilité extracontractuelle et fait suite au dispositif de responsabilité pour faute des articles 1382 et 1383 du Code
civil. Or, ce sont ces deux textes qui fondent la responsabilité civile personnelle de l’enfant mineur
lui-même lorsqu’il est l’auteur direct du dommage.
Ces deux mécanismes de responsabilité coexistent depuis 1804 dans le Code civil. Traités
séparément, ils n’ont guère posé de difficultés jusqu’à la fin du XXème siècle. Mais, la jurisprudence
de la fin du XXème siècle jusqu’aux décisions les plus récentes ont fait évoluer la responsabilité des
parents fondée sur l’article 1384 alinéa 4 de sorte que ces deux régimes s’entremêlent et se
concurrencent. Comment le juge articule les actions en responsabilité fondées sur l’article 1382 et
sur l’article 1384 alinéa 4 du Code civil ?
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Aussi convient-il d’établir la distinction entre les responsabilités quant à l’exigence de faute (I) avant
d’envisager de résoudre les difficultés liées à la mise en œuvre de ces deux responsabilités (II).
I – La distinction entre les responsabilités quant à l’exigence de faute
La distinction entre les deux responsabilités tient tant à la faute de l’enfant (A) qu’à l’établissement
de la faute du responsable (B).
A – Une distinction quant à l’exigence de faute de l’enfant
Alors que la faute de l’enfant est exigée sur le fondement de l’article 1382, tel n’est pas le cas sur le
fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil.
Sur le fondement de l’article 1382, la responsabilité pour faute de l’enfant dépourvu de
discernement était exclue jusqu’en 1984. Depuis les arrêts Derguini et Lemaire, la faute du mineur
peut être retenue à son encontre même s’il n’est pas capable de discerner les conséquences de son
acte (Ass. Plén. 9 mai 1984, 2 arrêts). Celle-ci, fondée sur l’article 1382 du Code civil, vient
naturellement concurrencer la responsabilité des parents. Ainsi, lorsque l’enfant a commis un acte de
nature à engager sa responsabilité personnelle – ce qui est le plus souvent le cas –, la victime peut
assigner le mineur seul ou aussi rechercher la responsabilité des parents.
Longtemps, la responsabilité des parents est demeurée subordonnée à la démonstration d’un fait
fautif de l’enfant. En ce sens, cette responsabilité bien que du fait d’autrui, ici l’enfant, gardait une
dimension morale, au terme de laquelle la responsabilité découle de la faute. Elle trouvait écho dans
les autres mécanismes de responsabilité du fait d’autrui installés par l’article 1384 du Code civil. En
1984, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence définitif dans le célèbre arrêt
Füllenwarth rendu en Assemblée plénière (Ass. Plén., 9 mai 1984, Füllenwarth). Dans cet arrêt, la
Haute juridiction décide que « pour que soit présumée, sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du
Code civil, la responsabilité des père et mère d’un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait
commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ». Autrement dit, le
simple fait causal de l’enfant suffit à déclencher la responsabilité parentale. Malgré quelques
hésitations prétoriennes postérieures, le principe est constant en jurisprudence : cette évolution
prétorienne a définitivement été entérinée avec l’arrêt Levert (Civ. 2ème, 10 mai 2001). Dans cette
affaire, la Haute juridiction a admis que « la responsabilité de plein droit encourue par les père et
mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonnée à
l’existence d’une faute de l’enfant ». Encore, dans deux arrêts de 2002, rendus en Assemblée
plénière, les hauts conseillers ont décidé qu’il « suffit que le dommage invoqué par la victime ait été
causé directement par le fait, même non fautif, du mineur » (Ass. plén. 13 décembre 2002, 2 arrêts).
La distinction se prolonge lorsque l’on envisage la faute du responsable.
B – Une distinction quant à l’exigence de faute du responsable
Sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, la faute de l’enfant constitue aussi le fait générateur
de sa responsabilité, tandis que sur le fondement de l’article 1384 se pose la question de la faute du
responsable, c'est-à-dire des parents.
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Jusqu’à la moitié du XXème siècle, la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant prévue à
l’article 1384 alinéa 4 du Code civil était portée par un mécanisme de présomption de la faute des
parents. Précisément, en cas de dommage causé par l’enfant, les parents étaient présumés avoir
commis une négligence dans la surveillance et/ou l’éducation de l’enfant. Bien que présumée, la
responsabilité de l’article 1384 alinéa du Code civil demeurait une responsabilité pour faute des
parents (Civ. 2ème, 4 mars 1987). Alors que l’arrêt Blieck (Ass. plén. 29 mars 1991), fondé sur l’article
1384 alinéa 1er du Code civil, révélait déjà que la Cour de cassation entendait orienter la
responsabilité du fait d’autrui vers une généralisation de la responsabilité de plein droit, il a fallu
attendre l’important arrêt Bertrand de 1997 pour voir s’opérer ce changement de nature de la
responsabilité des parents. Dans cet arrêt, la Cour régulatrice décide que « seule la force majeure ou
la faute de la victime peut exonérer les père et mère de la responsabilité de plein droit encourue du
fait des dommages causés par leur enfant mineur » (Civ. 2ème, 19 février 1997, Bertrand). Ce faisant,
la responsabilité de l’article 1384 alinéa 4 a vu sa nature modifiée : son fondement n’est plus la faute,
mais le risque. Le fait de l’enfant, sinon l’enfant lui-même, sont donc analysés comme présentant un
risque, dont les parents doivent garantir les conséquences dommageables.
Parfaitement dissemblables quant à l’exigence de faute, les responsabilités de l’enfant et des parents
s’entremêlent et s’articulent de plus en plus difficilement dans la jurisprudence récente.
II – Les difficultés liées à la mise en œuvre des responsabilités
De telles difficultés naissent notamment des spécificités propres à chacun de ces régimes de
responsabilité (A), ce qui n’interdit pas leur cumul (B).
A – Des difficultés liées à la spécificité des régimes de responsabilité
La responsabilité civile personnelle de l’enfant demeure une responsabilité pour faute tandis que la
responsabilité des parents sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil est plus sévère,
puisqu’il s’agit d’une responsabilité de plein droit.
Ainsi, la responsabilité des parents du fait de leur enfant ne repose plus que sur deux conditions
principales : l’autorité parentale et la cohabitation encore que cette dernière soit appréciée le plus
souvent de manière abstraite. En vertu de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil, cette responsabilité de
plein droit a une nature solidaire par l’effet de la loi. Si cette solidarité naît de la rédaction même du
texte issu du Code civil dans sa rédaction constante depuis 1804, elle se trouve renforcée par le
principe de coparentalité posé par la loi du 4 mars 2002.
Avant l’arrêt Füllenwarth, les parents pouvaient échapper à leur responsabilité en démontrant
l’absence de fait fautif de la part de l’enfant. De même, lorsque la responsabilité des parents reposait
sur l’idée de faute présumée des parents, ces derniers étaient libérés de leur obligation de réparation
en rapportant la preuve qu’ils n’avaient commis aucune faute de surveillance ou d’éducation. Par
évidence, ce modèle conduisait à diminuer les chances d’indemnisation des victimes de dommages
causés par l’enfant. En décidant dans les deux arrêts de 2002, rendus en Assemblée plénière, qu’il
« suffit que le dommage invoqué par la victime ait été causé directement par le fait, même non fautif,
du mineur » (Ass. plén. 13 décembre 2002, 2 arrêts), les juges mettent l’accent sur le lien de causalité
entre le fait du mineur et les dommages subis par la victime. Autrement dit, la causalité demeure une
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garantie d’une certaine équité en la matière, afin que la sévérité du juge ne soit pas systématique. En
démontrant que le fait de l’enfant n’est pas directement à l’origine du dommage, les parents
peuvent trouver à échapper à leur responsabilité.
Une telle sévérité est mal vécue par les parents et plus généralement critiquées par la doctrine.
L’enfant peut limiter ou échapper à sa responsabilité par trois moyens : comme pour les parents, en
rapportant la faute de la victime ou en démontrant l’existence d’un cas de force majeure, mais aussi
et surtout en démontrant son absence de faute. Autrement dit, la responsabilité de l’auteur de l’acte
est moins sévère que la responsabilité de ceux qui en ont la « garde » (au sens de la responsabilité
civile et non au sens du droit de la famille et de l’autorité parentale, puisque le terme de garde a
disparu avec les lois du 4 mars 2002 et du 26 mai 2004).
Ces difficultés se prolongent dès lors que le cumul entre les responsabilités du mineur et du parent
est possible.
B – Des difficultés liées au cumul des responsabilités
La victime peut, selon son choix, soit assigner le mineur seul, soit uniquement ses parents, soit, enfin,
rechercher la responsabilité in solidum la responsabilité les parents et l’enfant. La question du cumul
pose en elle-même diverses difficultés, notamment quant à la responsabilité entre les parents, mais
aussi quant à la mise en œuvre de la solidarité entre parents et enfants.
Quant au cumul des responsabilités des parents, un arrêt récent marque une évolution remarquable
de l’appréciation par le juge de la condition de cohabitation et, par là-même, de la responsabilité des
parents du fait de leur enfant (Crim. 6 novembre 2012). L’espèce doit être éclairée : la question
posée aux hauts magistrats tendait à la détermination des conditions de la responsabilité d’un parent
sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4 du Code civil alors qu’il n’a à l’égard de l’enfant qu’un
droit de visite et d’hébergement. En cassant l’arrêt d’appel sur le fondement de l’article 1384 alinéa 4
du Code civil, la Haute juridiction décide dans un attendu particulièrement explicite que « en cas de
divorce, la responsabilité de plein droit prévue [par ce texte] incombe au seul parent chez lequel la
résidence habituelle de l’enfant a été fixée, quand bien même l’autre parent, bénéficiaire d’un droit
de visite et d’hébergement, exercerait conjointement l’autorité parentale ». Ainsi, la Cour de
cassation exclut la responsabilité de plein droit d’un parent d’un mineur sur le fondement de l’article
1384 du Code civil, pour défaut de cohabitation. De plus, la Cour de cassation ait pris le soin de
souligner la force de l’arrêt de 2012 en le répétant dans un arrêt de 2014 (Crim. 29 avril 2014).
L’exclusion de la responsabilité de plein droit du parent d’un mineur en raison d’un défaut de
cohabitation ne signifie pas absence de responsabilité. Demeure la possibilité de rechercher la
responsabilité du parent qui ne se voit réserver qu’un droit de visite et d’hébergement sur le
fondement de l’article 1382 du Code civil. Précisément, la Cour de cassation affirme que « la
responsabilité du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant n’a pas été fixée ne peut, sans
faute de sa part, être engagée ».
Quant au cumul de la responsabilité des parents et de l’enfant, l’insolvabilité de l’enfant demeure
néanmoins un obstacle à l’utilité de cette voie de responsabilité, bien que le régime assurantiel en la
matière puisse conjuguer cet inconvénient. Il est d’ailleurs remarquable que, lorsque la
responsabilité personnelle de l’enfant est établie, et dès lors que les parents ne sont pas les auteurs
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directs du dommage, les parents disposent à l’égard de leur enfant d’un recours intégral à son
encontre. Cependant, il s’expose comme la victime à l’insolvabilité de l’enfant.
En conclusion, bien qu’il s’agisse de mécanismes aussi anciens que le Code civil lui-même, sinon dans
une large mesure inspirés du droit romain, la responsabilité de l’enfant mineur non émancipé et la
responsabilité des parents du fait de leur enfant s’entremêlent, se concurrencent, parfois
s’articulent, mais aussi évoluent au risque de nombreuses interrogations constituant de nouveaux
défis pour le juge.
CORRECTION DU SUJET N°2 : CAS PRATIQUE « CECILE V »
Dans le cadre d’une succession, Adèle est confrontée à différentes difficultés relatives à des biens,
qu’il convient d’examiner successivement :
I - La maison de Deauville
II - L’appartement en région parisienne
III - Le local professionnel et le fonds libéral
I/ La maison de Deauville
La défunte avait hérité de son mari de l’usufruit de la maison. Toutefois, elle avait cédé, de son vivant
et à titre gratuit, l’usufruit de la maison à la fille d’un ami. Cette dernière a procédé à l’achèvement
de la construction de la buanderie et du garage.
Deux difficultés juridiques se posent ici :
1. La cession d’un usufruit est-elle possible ?
2. Quel est le sort des travaux réalisés par l’usufruitier ?
A/ Sur la cession de l’usufruit
L’usufruit est un droit réel, par essence temporaire, dans la majorité des cas viager, qui confère à son
titulaire l’usage et la jouissance de toutes sortes de biens appartenant à autrui mais à charge d’en
conserver la substance (art. 578 C. civ.).
En l’espèce, la défunte avait hérité l’usufruit de la propriété de Deauville de son défunt mari. En
revanche, il n’est pas précisé qui est le nu-propriétaire. De plus, il n’est pas précisé le mode
d’établissement de l’usufruit.
Aux termes, de l’article 579 du Code civil, l’on distingue deux sortes d’usufruit, d’une part, les
usufruits légaux et, d’autre part, les usufruits nés de la volonté de l’homme (usufruits contractuels et
usufruits testamentaires).
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L’usufruit étant un droit réel automne, il est cessible. En effet, il peut être vendu, donné, hypothéqué
(s’il porte sur un immeuble) ou saisi même par les créanciers de l’usufruitier, sauf s’il présente un
caractère alimentaire. L’article 595 du Code civil prévoit explicitement que l’usufruitier peut « même
vendre ou céder son droit à titre gratuit ». Cependant, seule la cession entre vifs est possible, ce qui
est le cas en l’espèce. La cession de l’usufruit doit être analysée comme un véritable transfert du
droit réel, et non pas seulement de son exercice. Le cessionnaire est un usufruitier pourvu de toutes
les prérogatives attachées à cette qualité.
L’acquéreur devient à son tour usufruitier, mais du même usufruit que celui du cédant. L’usufruit
cédé demeure indissolublement relié à la personne de l’usufruitier originaire. Aussi, la cession ne
modifie pas la durée de l’usufruit, qui continue à dépendre de la vie de l’usufruitier primitif, et non
de celle du cessionnaire (Civ. 3e, 26 janv. 1972).
En conséquence, la cession réalisée par la défunte mère à la fille d’un ami est parfaitement valable.
Toutefois, au jour du décès de la mère, l’usufruit cédé aura cessé et la propriété reconstituée. Ce qui
posera des difficultés, en l’espèce, au regard des travaux réalisés par l’usufruitier.
B/ Sur les travaux
L’extinction de l’usufruit emporte deux obligations, d’une part restituer le bien grevé et, d’autre part,
établir les comptes. Un compte doit être établi pour déterminer ce dont l’usufruitier et le nupropriétaire peuvent être créanciers ou débiteurs l’un de l’autre. Or, ici, l’usufruitier a réalisé les
travaux suivants : achèvement de la construction de la buanderie et du garage.
Le nu-propriétaire peut être redevable de diverses indemnités. Ainsi, au cas où l’usufruitier a
effectué des grosses réparations, le nu-propriétaire doit lui rembourser le montant de la plus-value
résultant de ces travaux à l’époque où l’usufruit s’éteint.
En revanche, l’article 599, alinéa 2, du Code civil dispose que « l’usufruitier ne peut, à la cessation de
l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que
la valeur de la chose en fût augmentée ». Aussi en l’espèce, il convient de déterminer s’il s’agit
d’améliorations.
Par améliorations, il faut entendre tous travaux et opérations qui, n’étant pas commandés par la
nécessité de la conservation ou de l’entretien de la chose, ont eu pour résultat de la compléter, de la
rendre plus productive, plus utile ou plus agréable.
La jurisprudence est allée plus loin et assimile aux améliorations visées par l’article 599 du Code civil
les constructions. Ainsi, plusieurs arrêts ont décidé que doivent être considérées comme
améliorations « soit les constructions nouvelles s’ajoutant au fonds et en augmentant la valeur, soit
les constructions ayant pour effet d’achever un bâtiment commencé ou bien d’agrandir un édifice
préexistant » (Req. 4 nov. 1885). Les constructions litigieuses ont eu pour objet d’achever un
bâtiment déjà commencé, la qualification de dépense d’amélioration doit donc être retenue. Ainsi,
au terme de l’usufruit, l’usufruitier ne pourra réclamer une indemnité au nu-propriétaire pour les
constructions réalisées.
Dès lors, à supposer qu’Adèle et Hugo soient les nus-propriétaires, ils n’auront pas à verser à la fille
de l’ami de la mère une indemnité pour les travaux réalisés.
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II/ L’appartement en région parisienne
L’héritière de la défunte habite au sein de l’appartement situé en région parisienne. Elle envisage
d’assumer seule les factures et les taxes liées à l’appartement. En dépit de l’opposition de son frère,
elle souhaite changer la décoration intérieure de l’appartement.
Deux difficultés juridiques sont soulevées ici :
1. La cohéritière peut-elle obtenir le remboursement des factures et taxes liées à
l’appartement ?
2. La cohéritière peut-elle passer outre l’opposition de son frère pour modifier la décoration
intérieure ?
A/ Le remboursement des factures et taxes
À la suite de l’ouverture d’une succession, dès lors que le défunt laisse plusieurs héritiers, s’applique
le régime de l’indivision jusqu’au partage. En l’espèce, à la suite du décès de la mère, il est précisé
que les héritiers souhaitent demeurer en indivision.
Sur les biens compris dans l’indivision chaque indivisaire à des droits, mais aucun n’a de droit
exclusif. Ainsi, « les actes d’administration et de disposition relatifs aux biens indivis requièrent le
consentement de tous les indivisaires » (art. 815-3 al. 1er C. civ.). Un indivisaire ne peut ainsi, sans
l’accord de tous les autres, occuper pour son seul usage un bien indivis ou y apporter des
transformations matérielles (Civ. 28 févr. 1894).
Toutefois, aux termes de l’article 815-9 alinéa 1er du Code civil, « Chaque indivisaire peut user et jouir
des biens indivis conformément à leur destination ». Cette jouissance devant être conforme aux
droits des autres indivisaires. En effet, les indivisaires ayant des droits de même nature, l’un des
indivisaires ne peut user de la chose commune qu’à condition de ne pas porter atteinte aux droits
égaux et réciproques des autres. Enfin, selon l’alinéa 2 dudit article, « l’indivisaire qui use ou jouit
privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d’une indemnité ». En
conséquence, la fille de l’épouse, usant et jouissant de l’appartement parisien, sera redevable d’une
indemnité à l’indivision. Dans le cadre de la jouissance du bien, elle souhaite s’acquitter des factures
et des taxes.
L’article 815-13 alinéa 1er du Code civil prévoit que certaines dépenses faites par un indivisaire ont
pour objet non une amélioration, mais, de manière plus limitée, une conservation du bien indivis. La
Cour de cassation exerce un contrôle sur le caractère nécessaire des impenses liées à la conservation
du bien indivis. Ainsi, un tel caractère a été écarté à des redevances de télésurveillance d’un
immeuble, mises à la charge de l’unique épouse qui bénéficiait de la jouissance privative de
l’immeuble indivis dans le cadre d’une indivision postcommunautaire. En revanche, dans la même
décision, l’assurance habitation qui tend à la conservation du bien indivis, incombe à l’indivision (Civ.
1re, 24 févr. 1998, no 96-16318 et Civ. 1re, 20 janv. 2004, no 01-17124). Le raisonnement similaire a
été fait en matière de taxe foncière (Civ. 1re, 20 mars 1989). En conséquence, à défaut de précision
entre les factures et les taxes, il est difficile d’apporter une réponse certaine. Il conviendra de
déterminer pour les factures et les taxes celles qui sont nécessaires à la conservation matérielle du
bien indivis.
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S’agissant des dépenses de conservation, il doit en être tenu compte à l’indivisaire.
En conclusion, si les factures et taxes représentent des dépenses de conservation, Adèle pourra en
obtenir le remboursement.
B/ La décoration intérieure
La gestion d’une indivision suppose la conclusion d’actes. Or la spécificité de l’indivision est
susceptible de rendre délicate toute prise de décision, pourtant indispensable à la gestion du bien
indivis. Ici, le frère s’oppose à la réalisation de travaux de décoration.
Le mode de fonctionnement de l’indivision et la conclusion d’actes parfois importants se révèlent
différents en fonction de la nature de l’acte à accomplir, qu’il s’agisse d’un acte conservatoire ou
d’un autre acte juridique.
Pour ce qui est des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, l’article 815-2 du Code
civil affirme que ces actes peuvent être pris par tout indivisaire agissant seul. Il doit s’agir, en premier
lieu, d’une mesure nécessaire, destinée à parer à un péril qui menace la conservation matérielle ou
juridique d’un bien indivis. En second lieu, cette mesure ne doit pas mettre en péril l’existence des
droits des indivisaires, ce qui signifie qu’elle ne doit pas toucher au fond du droit. En troisième lieu,
elle doit avoir une portée raisonnable et ne pas engager des intérêts considérables par rapport à la
valeur des biens indivis. Or, les travaux de décorations ne répondent pas à la première condition. En
conséquence, les travaux de décoration ne peuvent être qualifiés de mesures nécessaires à la
conservation des biens indivis et ne peuvent donc pas être pris par un seul universitaire.
Aux termes de l’article 815-3 du Code civil est instituée une règle de majorité des deux tiers des
droits indivis pour certaines catégories d’actes. Il en est ainsi pour les actes d’administration relatifs
aux biens indivis (art. 815-3,1° C. civ.), sous réserve toutefois, que ces actes ressortissent « à
l’exploitation normale des biens indivis » (art. 815-3 C. civ.). Les actes matériels les plus divers
peuvent être qualifiés d’actes d’administration. Il en est ainsi de la construction d’une terrasse
adjointe à un immeuble indivis et lui apportant une plus-value (CA Nancy, 19 mars 2001, n° 9900913). En l’espèce, les travaux de décoration sont donc qualifiés d’acte d’administration et
répondent à l’exploitation normale des biens indivis. Dès lors, est exigée une majorité des deux tiers
des droits indivis.
Or en l’espèce, l’on ne connaît pas la répartition des droits indivis. Si Adèle, ou avec un autre
indivisaire, détient les deux tiers des droits indivis, elle peut passer outre l’opposition de son frère. À
défaut, l’opposition de son frère peut la contraindre à ne pas réaliser les travaux. D’autant plus, que
dans l’hypothèse d’une succession ordinaire, les frères et sœurs étant des héritiers à égalité de
degré, ils succèdent à égale portion et par tête (art. 744 C. civ.). Par conséquent, l’on peut supposer
que le frère et la sœur détiennent chacun la moitié des droits indivis. Ainsi, l’opposition du frère
empêchera Adèle de réaliser les travaux.
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III/ Le local professionnel
Préalablement au décès de la mère, cette dernière avait fait réaliser des travaux pour un montant de
70 000 euros sur le local professionnel et le fonds libéral.
La société ayant réalisé les travaux peut-elle solliciter des héritiers le règlement de la facture ?
Après un décès, s’il y a plusieurs héritiers, les biens de la succession sont en indivision, c’est-à-dire
qu’ils appartiennent à l’ensemble des héritiers. En l’espèce, il est précisé que les héritiers ne
souhaitent pas mettre un terme à l’indivision.
L’article 815-17 du Code civil règle la situation des créanciers en distinguant les créanciers de
l’indivision et les créanciers personnels des indivisaires. Pour les créanciers de l’indivision, l’alinéa 1er
du précédent article pose une distinction entre deux catégories de personnes. Il y a, d’une part, les
créanciers antérieurs à la naissance de l’indivision et, d’autre part, les créanciers postérieurs à la
naissance de l’indivision. Or, en l’espèce il convient de déterminer de quelle catégorie relève le
créancier, puisqu’il réclame le paiement de la créance après le décès du de cujus.
La première catégorie comprend les « créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y
eût indivision ». Il s’agit là de tous les créanciers qui, avant la naissance de l’indivision, avaient déjà
un droit de gage général, au sens de l’article 2285 du Code civil, sur le patrimoine dont est
ultérieurement issue l’indivision. C’est le cas, dans l’indivision successorale, des créanciers du de
cujus. La seconde catégorie de créanciers comprend « ceux dont la créance résulte de la conservation
ou de la gestion des biens indivis ». C’est le cas, notamment, des gérants et administrateurs de biens
pour les frais qu’ils ont engagés en vue de la conservation ou de la gestion des biens indivis. En
l’espèce, la société de travaux relève de la première catégorie. En effet, ce dernier est un créancier
personnel du de cujus qui aurait pu agir sur les biens indivis avant l’indivision.
Ensuite, l’article 815-17, alinéa 1er du Code civil, se réfère, de manière générale, aux biens indivis.
Sont visés tous les biens compris dans la masse indivise. En matière successorale, cela comprend les
biens laissés par le de cujus au jour de son décès, comme en l’espèce, le local professionnel et le
fonds libéral ainsi que les créances. Sont en revanche exclus du gage des créanciers de l’indivision, les
biens ayant fait l’objet d’un partage, même partiel. Or il est précisé que les héritiers souhaitent
demeurer en indivision.
L’article 815-17, alinéa 1er du Code civil accorde aux créanciers de l’indivision deux prérogatives
distinctes. Il est possible au créancier de l’indivision de se payer par prélèvement sur l’actif avant le
partage, soit de poursuivre la saisie et la vente des biens indivis.
En conclusion, le créancier disposera d’une option : soit prélever sur l’actif avant partage le montant
de la créance ; soit de poursuivre la saisie et la vente des biens indivis.
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