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Mors ultra ratio
Un court-métrage de fiction
de
Stéphane KNEUBUHLER
Stéphane Kneubuhler – Conteur – Auteur – Comédien
13 rue Madame de Vannoz 54000 Nancy Tél : 03.83.44.53.53 / 06.88.60.03.48
[email protected] / www.colporteurdereves.com
Synopsis
Dans les années 1920, Madame Carmenta est une très vieille femme, qui a connu en
tant que médium et voyante un grand succès dans les salons parisiens.
Jusqu’au jour où un jeune médecin se mit en tête de ruiner sa réputation en l’accusant
de manipulation et de tricherie, s’appuyant sur sa certitude d’homme de sciences que
tout possède, en ce bas monde, une explication logique.
Aujourd’hui, la vieille Carmenta vit dans une chambre d’hôtel, où elle s’est retirée de
la vie médiatique.
Cette nuit, elle a invité son jeune contradicteur, pour une dernière confrontation…
Mort… 1
Intentions
On a pensé que la science pourrait un jour tout expliquer.
Certains ont même cru qu’elle apporterait des explications concrètes et rationnelles sur
l’au-delà, sur Dieu, sur le sens de la vie et qu’elle éclairerait d’un jour nouveau la
philosophie… On appelle ça le scientisme.
Mais c’est sans compter sur l’inassouvissable besoin de mystère qui anime les êtres
humains. Cette quête spirituelle et irrationnelle qui les poussent à croire aux ovnis, aux
fantômes, aux esprits, à une vie après la mort… qui nourrit les superstitions et cette
croyance qu’il y a ici bas des choses qu’on n’explique pas.
Quand un jeune scientifique rencontre une vieille voyante, il y a peu de chance qu’ils
se mettent d’accord…
Cette histoire, ce huis-clos étouffant, illustre cet éternel débat : est-il possible de tout
expliquer, de trouver la Vérité, ou sommes-nous condamnés à explorer sans fin un
monde plein de mystères ?
Cette histoire courte, 5 minutes environs, se passe dans un lieu unique (une chambre)
et ne fait intervenir que deux acteurs (le médecin et la vieille voyante).
Tout repose sur leur confrontation, et sur l’atmosphère étrange de la pièce, toute de
pénombre, d’ombres dansantes, de fumées d’encens dessinant dans l’air les signes du
destin.
La lumière et le cadrage devront donc rendre cette ambiance bizarre et fantastique.
Mort… 2
Scénario
Il fait nuit.
Une chambre, éclairée par les lueurs dansantes et chaudes de bougies et de
lampes à pétrole. Comme une pulsation étrange, rythmée par les ombres mouvantes
sur les murs. Deçà, delà, des bâtons d’encens brûlent en dégageant une fumée éthérée,
presque vivante, qui semble danser dans l’air. Une horloge massive marque les heures
du tic-tac sonore et lourd de son balancier de bronze.
Assise dans son lit, la vieille CARMENTA, impassible, attend.
La très vieille femme ressemble à une momie desséchée, à une statue de cire, qui
n’aurait gardée comme étincelle de vie que ce pétillement malin dans le regard, la
seule partie qui semble encore mobile dans ce visage rendu mystérieux et inquiétant
par la lumière changeante.
Un bruit de pas dans le couloir la tire soudain de sa torpeur, et un sourire
malicieux se dessine sur ses lèvres exsangues. Son attente vient de prendre fin.
Un jeune homme en costume sombre portant haut-de-forme, très élégant, pousse
la porte de la chambre. Il pointe une fière et fine moustache qui souligne un regard sûr
de lui, des yeux pénétrants qui semblent mettre l’assistance au défi de le contredire. Il
doit avoir dans les 25-30 ans.
C’est le DOCTEUR DUBREUIL.
Il referme la porte derrière lui, fait quelques pas pour avancer dans la lumière, et
quand il aperçoit la vieille Carmenta dans son lit, s’incline avec une déférence
moqueuse, en retirant son chapeau.
DR. DUBREUIL
On m’a dit en bas, à la réception, d’entrer directement, que vous
m’attendiez...
La vieille femme le regarde un instant en silence, puis un sourire énigmatique
déforme ses lèvres décolorées.
CARMENTA
Oui, Mr. Dubreuil, je vous attendais. Mais prenez place, je vous
prie.
Le jeune médecin s’empare de la chaise que la vieille femme lui a indiquée, et
s’assoit au pied du lit, sous le regard insondable d’une chouette empaillée.
Raide comme la justice, il dévisage en silence son interlocutrice. D’un revers de
main il chasse une poussière imaginaire sur le pli de son pantalon, avant de reprendre.
Mort… 3
DR. DUBREUIL
Je dois dire que j’ai été plutôt surpris par votre invitation.
CARMENTA
Vraiment, Mr Dubreuil ? Vous me flattez.
DR. DUBREUIL
Pourquoi m’avoir demandé de venir, Madame Carmenta, que
voulez-vous ?
La vieille femme ne peut s’empêcher de laisser échapper un gloussement rauque,
un rire désagréable et hoquetant, qui provoque un tic d’énervement sur le visage du
jeune homme.
CARMENTA
Oh ! très cher, que je vous adore ! Impatiente jeunesse, vous
n’aimez pas perdre votre temps, docteur, n’est-ce pas ? Je ne
vous ferai pas languir plus longtemps, rassurez vous, le temps est
compté désormais. Je voulais vous voir avant que la mort ne
m’en empêche, Mr. Dubreuil.
Le médecin observe la vieille Carmenta, et semble seulement se rendre compte
de l’âge très avancé de la vieille femme. Les rides du visage, les lèvres sèches, les
mains parcheminées et agitées d’un léger tressaillement, tout indique une longue, très
longue existence.
CARMENTA
Depuis le temps que nous nous affrontons, nous ne nous étions
jamais rencontrés, très cher, et je voulais vous voir avant que
cela ne soit plus possible.
Le médecin remue sur son siège, visiblement gêné et surpris par le tour que prend
la conversation.
DR. DUBREUIL
Ecoutez, Madame, je n’ai jamais fait qu’exprimer la vérité, rien
de plus.
CARMENTA
Vous m’avez traitée de menteuse, Mr. Dubreuil, vous m’avez
accusée de supercherie et d’escroquerie. La vérité ! Qu’est-ce
que vous savez de la vérité, docteur ? Votre jeunesse vous rend
aveugle, il y a bien d’autres vérités que celle de vos livres de
sciences !
Mort… 4
DR. DUBREUIL
Ecoutez, si je vous ai blessée, je vous prie de m’en excuser. Mais
l’occultisme que vous pratiquez n’est que boniment de vieille
fem...
CARMENTA (s’énervant subitement)
Boniment ! boniment ! vous me traitez de bonimenteuse, moi, la
célèbre Carmenta ! On ne m’a jamais insultée de la sorte,
Monsieur.
DR. DUBREUIL
Oui... La vérité n’est pas toujours agréable à entendre.
Un silence pesant est tombé sur la réplique du médecin. Lui contemple ses mains,
croisées sur ses genoux. Elle le regarde fixement, un feu bouillonnant couve dans ses
yeux brillants. Elle parvient cependant à se calmer, au prix de grands efforts, et
reprend d’un ton aussi froid que la lame d’un scalpel.
CARMENTA
Vous êtes un sceptique, docteur, et jugez le monde à l’aune de
votre bel esprit. Il n’y a pas d’autre vérité que la vôtre, pas
d’autre réalité que celle que votre cerveau peut concevoir. Ceux
qui ne pensent pas comme vous sont des imbéciles.
DR. DUBREUIL
Je ne pense pas qu’il soit utile de revenir sur ce point, vous êtes
fatiguée et je ne veux pas...
CARMENTA
Taisez-vous. Peu importe que vous ne croyez pas à la voyance, à
l’existence d’autres sphères, à la présence en ce bas monde
d’entités qui ne sont pas matérielles, d’énergies qui échappent à
l’entendement. Ecoutez simplement le témoignage d’une vieille
femme. C’est au médecin que je m’adresse, pas au sceptique.
Vous vous êtes employé à dénoncer mes séances de spiritisme
comme autant d’attrape-nigauds, vous vous êtes efforcé de
mettre à bas ma réputation de médium, vous moquant de la
moindre de mes apparitions, me tournant en ridicule dans la
presse. Je voudrais, avant que la mort ne survienne, tenter de
vous convaincre.
DR. DUBREUIL (comme s’il parlait à un enfant)
Voyons Madame Carmenta, les esprits n’existent pas.
Mort… 5
CARMENTA
Alors, laissez moi vous prouver le contraire, jeune homme !
Le médecin la regarde, hésitant, puis capitule en hochant la tête, avec un soupir
résigné.
DR. DUBREUIL
Bon, s’il le faut, si c’est ce que vous voulez.
CARMENTA
Aidez moi à me lever.
Un petit guéridon a été tiré au centre de la pièce. La vieille femme, en robe de
chambre, fait face au Dr. Dubreuil. Leurs mains sont posées à plat sur le velours rouge
de la petite table.
DR. DUBREUIL
Tout cela est ridicule !
CARMENTA
Soyez patient avec une vieille femme, je vous promets que ce ne
sera pas long.
Les ombres dansent sur leurs visages, pendant que Carmenta se concentre, et
entre en transe, et que le jeune homme la regarde avec commisération.
Puis la vieille commence à émettre un bruit étrange, une sorte de grognement
rauque qui semble venir de très loin. Le médecin, bien que persuadé qu’il s’agit d’une
mise en scène, ne peut retenir un petit saut de surprise.
CARMENTA (après quelques borborygmes, et d’une voix grave)
Baal Sabaoth El Astaroth Ftaghn Azatoth Baal Zebuth Nyarla
Elli R’lyeh
DR. DUBREUIL (d’un ton badin, pendant que la vieille femme
continue son incantation)
Je reconnais que c’est impressionnant... Les esprits faibles
doivent être... impressionnés... Et c’est quoi au juste ? Une
invocation à Satan...
CARMENTA (interrompant sa litanie)
Homme de peu de foi, on ne traite pas avec le Maître, mais avec
ses Saints.
Mort… 6
DR. DUBREUIL
Ses Saints ?
CARMENTA (s’enflammant)
Les Démons ! Mr. Dubreuil, les Démons !
La vieille femme, en transe, se lève en poussant un hurlement terrifiant,
renversant sa chaise, et pointant un doigt squelettique sur le jeune homme étonné qui
n’a pas bougé. Celui-ci la regarde hébété pendant quelques secondes, pendant qu’elle
marmonne, et une soudaine terreur apparaît dans son regard pourtant si fier. Il déglutit
péniblement, et montre des difficultés à respirer. Il dénoue sa cravate pour trouver un
peu d’air. Il a perdu toute sa superbe.
DR. DUBREUIL
Qu’est-ce que... Qu’arrive-t-il ?... Je ne...
Il tombe à la renverse, s’écroulant sur le sol en emportant la chaise dans sa chute.
Il se met alors à suffoquer, une peur indicible peinte sur ses traits défaits.
La vieille Carmenta, qui est restée stoïque pendant tout ce temps, s’approche
alors d’un pas lent du jeune homme agonisant.
CARMENTA
Mon pauvre ami, vous n’êtes qu’un jeune imbécile, un petit
prétentieux, imbu de sa personne ! Vous vous êtes toujours
considéré comme supérieur aux autres n’est-ce pas, Mr. Dubreuil
! Pas une fois, quand je vous ai parlé de la mort, il ne vous est
venu à l’idée que c’est de la vôtre dont je parlais, pas de la
mienne !
Le docteur Dubreuil pousse un dernier râle, un dernier soupir, et expire avec une
terreur infinie sur le visage. La vieille le regarde, presque maternelle, avec cet
énigmatique sourire sur les lèvres.
FIN.
Mort… 7

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