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L’Encéphale (2009) 35, 448—453
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
ÉPIDÉMIOLOGIE
Impact des troubles de la personnalité dans un
échantillon de 212 toxicomanes sans domicile fixe
Impact of personality disorders in a sample of 212
homeless drug users
S. Combaluzier a,∗, B. Gouvernet a, A. Bernoussi b
a
b
Département de psychologie, université de Rouen, France
Département de psychologie, université Jules-Verne-Picardie, France
Reçu le 12 janvier 2006 ; accepté le 5 juin 2008
Disponible sur Internet le 1 octobre 2008
MOTS CLÉS
Situations de
précarité ;
Épidémiologie ;
Troubles de la
personnalité ;
Usage de drogue
KEYWORDS
Drug use;
Epidemiology;
Homelessness;
Personality disorders
Résumé L’objet de cet article est de mesurer les interactions entres les troubles liés à l’usage
de drogue, les troubles sociaux et les troubles de la personnalité (axe II du DSM IV). Sur le
plan méthodologique, la prévalence des troubles de la personnalité dans un échantillon de
212 hommes toxicomanes issus d’une population de 999 hommes en situation de précarité est
comparée à des données de la littérature concernant les usagers de drogue et la population
générale. Des mesures épidémiologiques (interaction additive, fraction étiologique) évaluent
l’effet combiné, d’une part, de l’usage de drogue et des troubles de personnalité sur la précarité
et, d’autre part, de l’association entre difficultés sociales et les troubles de l’axe II sur la fréquence de l’usage de drogue dans cet échantillon. La répartition des troubles de la personnalité
n’étant pas influencée par l’association des deux autres troubles, la conclusion conduit à penser
qu’ils doivent faire l’objet d’une attention particulière dans le traitement de l’usage de drogue.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Summary
Introduction. — The impact of the mental disorders (axis I and II, according to DSM IV) on psychosocial problems (axis IV) is now a well-known fact, notably when substance abuse disorders are
encountered on axis I. This leads to the conclusion that personality disorders increase the risk of
substance abuse, that substance abuse increases the risk of homelessness, that dual diagnosis
has a high impact on homelessness and underlines interactions between personality disorders
(PD), drug abuse (DA) and homelessness. The aim of this paper is also to study these interactions.
∗ Auteur correspondant. Laboratoire Psy.N.C.A (EA 4306), UFR de psychologie, sociologie et sciences de l’éducation, université de
Rouen, 1, rue Lavoisier, 76821 Mont-Saint-Aignan cedex, France.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Combaluzier).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2008.
doi:10.1016/j.encep.2008.06.009
Impact des troubles de la personnalité chez les toxicomanes sans domicile fixe
449
Method. — We will process the classical epidemiological measures, which have already produced interesting findings on other substance-linked disorders. We will study the multiplicative
interaction (IAB ) and the etiological fraction (EFi) linked to interaction, which evaluate the
effects of two factors on another. According to the authors, the IAB determines whether the cooccurrence of two risk factors in a group induces more cases than each factor acting together;
also if the IAB is greater than 1 it is possible to estimate the EFi, that proportionally measures
the number of cases of the third factor that can be attributed to the co-occurrence. We will also
study the interactions of homelessness and PD on DA, of the PD and DA on homelessness, and
of this association DA and homelessness on PD. The data we will use in the paper deal with the
prevalence of PD in general, drug users (n = 226), homeless (n = 999) and homeless drug abusers
(n = 212). The two last data are extracted from the same population and have been collected
through clinical interviews, and the diagnosis follows the DSM criteria. They are comparable to
Kokkevi et al.’s sample regarding the drug (heroin), the mean age (28 years for Kokkevi et al.,
27 years in our sample), and the geographic origin of the populations (Mediterranean basin).
Results. — The repartition of PD differs significantly (0.001) in the homeless population and the
homeless drug abusers (␹2 = 70.5, df = 20). Therefore, the intensity of this link is low (r␾ = 0.30),
which is a consequence of the high prevalence of PD in the homeless population (80% versus 10%
in general population). On the other hand, the reparation of PD in the homeless drug abusers
sample and Kokkevi et al.’s drug abusers is different at 0.001 (␹2 = 92.64, df = 20). The link is high
(r␾ = 0.45) and could be interpreted as a supplementary effect of PD’s linked to homelessness
and in the PD linked to DA, thus motivating further exploration of the interactions. The comorbidity DA/PD multiplies by 7 the risk of homelessness and explains 46% of the cases of homelessness
of our sample (n = 212). According to table 4, the association PD/homelessness multiplies by
13 the risk of DA and explains three-quarter of the cases of DA in the personality-disordered
homeless people. Moreover, PD appear as basic in the etiopathology of such a morbid constellation since the frequency of their observation is independent of the association homelessness/DA.
These findings rejoin the outcomes of similar studies on other addictions.
Discussion. — It could be objected that our sample of homeless men presents a high prevalence
(20%) of DA; therefore agreeing with epidemiological works on the homeless population. The
results could be discussed regarding other outcomes in drug abuser populations, in which a
higher prevalence of PD has been found. Hence, the main results concerning interactions would
not change and would have still led to the conclusion that PD are not influenced by the association homelessness/DA. This does not mean that neither homelessness nor DA have an impact
on PD. Indeed, some authors have shown that there are variations in drug users’ PD or in the
neuropsychological effects of drugs. According to this and to the theory of a central role of PD
in substance abuse, PD could influence drug use and be increased by the abuse. This hypothesis
should be tested in another study.
Conclusion. — Clinically, the association between DA and PD in homeless populations is a major
concern regarding the future of these persons. This paper leads to the conclusion that the association PD/homelessness is a risk factor for DA, as is the dual diagnosis PD/DA for homelessness.
In other words, in the case of PD, the DA increases the risk of homelessness, which is a risk
factor for DA. Lastly, these findings confirm the interest of therapeutic approaches focused on
PD.
© L’Encéphale, Paris, 2008.
Introduction
L’objet de cet article est d’étudier les interactions entre
abus de drogue, troubles de la personnalité (axe II du
DSM IV [1]) et exclusion sociale. En effet, la pratique clinique auprès des personnes sans domicile fixe (SDF) prouve
au quotidien combien il est difficile d’exercer son savoirfaire auprès des personnes usagères de drogue, tant la
toxicomanie que les troubles de personnalité qui lui sont
associés semblent avoir un effet délétère sur la situation sociale, tant cette précarité semble elle-même jouer
dans le maintien de la toxicomanie, tant l’ensemble du
tableau clinique est à comprendre comme le produit des
interactions entre ces trois facteurs. Au plan de la littérature, les effets de l’abus de substance sur l’exclusion sociale
[31], l’impact des troubles de la personnalité (axe II du DSM
IV) sur la toxicomanie [20,21,32,19], tout comme l’effet du
double diagnostic (trouble clinique [axe I], axe II) sur les
difficultés sociales [6,12,18,22,9] surtout lorsqu’un usage
de substance est diagnostiqué en axe I [13,2,14,4,3,25,16]
sont bien connus. L’objectif de cet article est de compléter ces connaissances en apportant des informations sur les
différents effets combinés (mesures d’associations) de ces
interactions entre abus de drogue, troubles de la personnalité et exclusion sociale.
450
Tableau 1
S. Combaluzier et al.
Présentation générale des résultats.
Prévalence
Antisociale
Borderline
Dépendante
Évitante
Histrionique
Narcissique
Obsessionnelle
Paranoïaque
Schizoïde
Schizotypique
NS
Nombre
Répartition observée
en CHRS chez des
sujets présentant un
trouble lié à l’héroïne
Répartition observée
en CHRS
(Combaluzier,
Pedinielli, 2003)
Répartition observée
dans une population
de toxicomane
(Kokkevi et al., 1998)
Estimations OMS pour
la population générale
(De Girolamo et Reich,
1993)
95 %
42 %
16 %
12 %
4%
4%
0%
2%
1%
9%
1%
5%
212
81,78 %
18,52 %
13,21 %
10,41 %
3,20 %
3,30 %
1,80 %
1,10 %
4,90 %
4,90 %
3,10 %
17,32 %
999
59,5 %
33,5 %
27,7 %
8,7 %
16,8 %
11,0 %
11,6 %
6,4 %
13,9 %
0,0 %
4,0 %
17,9 %
226
10 %
4%
4,00 %
1,50 %
1%
2%
0,04 %
4%
7%
5%
5%
Méthodologie
Pour ce faire, nous utiliserons des mesures épidémiologiques
classiques [17,28,5,23,27] qui ont déjà donné des résultats
intéressants pour d’autres formes de troubles liés à une
substance [8]. Nous étudierons donc l’interaction multiplicative (IAB ) et la fraction étiologique due à l’interaction qui
évaluent l’effet de la combinaison de deux facteurs sur un
problème donné. Selon les auteurs, l’IAB se définit comme la
mesure de l’influence de l’association entre deux troubles
sur un troisième. Elle permet de découvrir si la présence de
deux facteurs de risque dans un groupe induit un plus grand
nombre de cas que celui qui correspondrait à la somme des
cas induits par chacun des facteurs ; dans ce cas l’interaction
est supérieure à 1. Il est alors possible de calculer la fraction
étiologique due à l’interaction (FEi) qui mesure en proportion le nombre de cas d’un facteur attribuables à la présence
simultanée de deux autres. Nous étudierons donc successivement les interactions de l’exclusion sociale et des troubles
de la personnalité sur la toxicomanie, des troubles de la
personnalité et de la toxicomanie sur l’exclusion sociale
et de l’association toxicomanie et exclusion sociale sur les
troubles de la personnalité.
Ainsi, nous présenterons pour chaque configuration les
risques relatifs (RR) qui serviront de base aux calculs de
l’IAB (IAB = RR11 /(RR10 × RR01 )) et de la fraction étiologique
(FEi = (RR11 − RR10 + RR01 + 1)/RR11 ).
Les données qui serviront de bases à ces calculs devront
donc porter sur la prévalence des troubles de la person-
nalité en population générale (absence de toxicomanie
et d’exclusion sociale), dans une population d’usagers de
drogue, d’exclus et d’exclus usagers de drogue. Elles seront
issues de trois sources. Concernant, la prévalence des
troubles de la personnalité dans la population générale,
nous nous fonderons sur le travail que De Girolamo et Reich
[10] ont mené pour l’OMS ; concernant les troubles de l’axe
II chez les exclus, et les exclus toxicomanes, nous utiliserons des résultats issus de notre pratique clinique dans un
centre d’hébergement où 999 hommes, qui ont été rencontrés entre 1996 et 2000, ont fait l’objet lors d’un entretien
clinique d’un diagnostic en axe I et II [9] selon les critères
du DSM IV. Enfin, concernant la prévalence des troubles de
l’axe II dans les populations toxicomanes, nous nous baserons sur un travail de Kokkevi et al. [19] réalisé à partir de
l’étude de 226 sujets toxicomanes (principalement utilisateurs d’héroïne) pour lesquels le diagnostic de trouble de
la personnalité a été porté par entretiens semi-structurés
selon les critères du DSM.
Résultats
Présentation générale des résultats
Le Tableau 1 apporte une présentation générale des
résultats de cette étude. Les estimations des fréquences
d’exposition à un trouble de la personnalité et à un trouble
toxicomane selon la situation sociale (SDF) sont présentées
dans le Tableau 2.
Tableau 2 Estimation des fréquences d’exposition à un trouble de la personnalité et à un trouble lié à l’héroïne selon la
situation sociale.
Exclusion sociale
Pas d’exclusion sociale
Absence de trouble
de la personnalité et
d’usage de drogue (%)
Absence de trouble de la
personnalité et présence
d’usage de drogue (%)
Présence de trouble de la
personnalité et absence
d’usage de drogue (%)
Présence d’un trouble
de la personnalité et
d’usage de drogue (%)
27
90
5
40
73
10
95
60
Impact des troubles de la personnalité chez les toxicomanes sans domicile fixe
Tableau 3
451
Fréquence de l’exclusion sociale en fonction de l’exposition à un trouble de la personnalité et à une toxicomanie.
Données
Absence de trouble
de la personnalité et
d’usage de drogue
Présence d’un trouble de
la personnalité et absence
d’usage de drogue
Absence de trouble de la
personnalité et présence
d’usage de drogue
Présence d’un trouble
de la personnalité et
d’usage de drogue
Exclusion sociale
Risques relatifs
IAB
FEi
27 %
1
7,03
46 %
73 %
2.7
5%
.19
95 %
3.52
Mesures des interactions des troubles de la
personnalité et de la toxicomanie sur la précarité
L’impact de l’association d’un trouble de la personnalité
et d’un usage de drogue (Tableau 3) multiplie par 7,03 le
risque d’observer un cas d’exclusion sociale et contribue à
en expliquer 46 % des cas.
Mesures des interactions des troubles de la
personnalité et de la précarité sur la toxicomanie
L’impact de l’association trouble de la personnalité/exclusion sociale sur l’usage de drogue (Tableau 4) est
élevé puisqu’il en multiplie le risque de 12,77 et explique
74 % des cas d’abus de drogue.
Mesures des interactions de la précarité et de la
toxicomanie sur les troubles de la personnalité
Il apparaît qu’il n’y a aucun effet de l’association exclusion sociale/toxicomanie sur les troubles de la personnalité
(Tableau 5). Ce résultat est cohérent avec la définition
même des troubles de la personnalité, entendue comme
difficultés stables et durables. Il vient également confirmer,
auprès de ce public en grande précarité, les travaux qui font
des troubles de la personnalité l’angle le plus adapté pour
traiter les problèmes de toxicomanie [32].
Interprétation
Interprétations descriptives
Au plan des résultats généraux, on pourrait s’étonner
de la forte prévalence de toxicomanes (20 %) dans cet
échantillon. Toutefois, ces résultats concordent avec certains travaux épidémiologiques [13] relatifs à la prévalence
Tableau 4
des abus de substance (alcool et drogue) chez les SDF.
Au plan d’une comparaison entre les différentes études,
nous pouvons noter que la répartition des troubles de
la personnalité diffère de manière significative, à 0,001,
dans la population d’exclus et dans la population d’exclus
toxicomanes (␹2 = 70,5, ddl = 20). Le calcul du coefficient
point-tetrachorique [26] montre que cette liaison est relativement forte (r␾ = 0,30), et souligne l’effet supplémentaire
des troubles de la personnalité sur la toxicomanie même
dans une population d’exclus où ils sont déjà fortement présents (81 % contre 10 % en population générale). De même,
nous voyons que la population de toxicomanes SDF présente
une répartition des troubles de la personnalité différente
significativement à 0,001 (␹2 = 92,64, ddl = 20) de la population de toxicomanes étudiée par Kokkevi et al. (19). Il y
a donc un lien entre trouble de la personnalité, troubles
liés à l’utilisation de l’héroïne et exclusion sociale. Le calcul du coefficient point-tétrachorique (r␾ = .45) montre que
cette liaison est forte. Le fait que ces deux groupes soient
comparables conforte l’existence d’un effet de l’usage de
drogue sur l’exclusion sociale [7,16,24,29,30], ce qui nous
invite à explorer plus en avant les effets des différentes
interactions.
Interprétations des mesures d’interaction
Les résultats du Tableau 3 mettent en avant que l’association
toxicomanie/trouble de la personnalité multiplie par 7 le
risque d’exclusion sociale et explique directement 46 % des
cas d’exclusion sociale des cas de double diagnostic.
Les résultats du Tableau 4 nous montrent que
l’association trouble de la personnalité/exclusion sociale
multiplie par presque 13 le risque de toxicomanie et
explique près des trois quarts des cas de toxicomanie chez
les exclus présentant un trouble de la personnalité.
Les troubles de la personnalité apparaissent d’autant
plus centraux que leur fréquence d’observation ne dépend
pas de l’association exclusion sociale/toxicomanie. Nous
Fréquence de la toxicomanie en fonction de l’exposition à un trouble de la personnalité et à une exclusion sociale.
Usage de drogue
Risques relatifs
IAB
FEi
Absence de trouble
de la personnalité et
d’exclusion sociale
Présence de trouble de la
personnalité et absence
d’exclusion sociale
Absence de trouble de la
personnalité et présence
d’exclusion sociale
Présence d’un trouble
de la personnalité et
d’exclusion sociale
40 %
1
12.77
74.21 %
60 %
1.5
5%
0.13
95 %
2.38
452
Tableau 5
S. Combaluzier et al.
Fréquence des troubles de la personnalité en fonction de l’exposition à une exclusion sociale et à une toxicomanie.
Trouble de la personnalité
Risques relatifs
IAB
Tableau 6
Présence d’exclusion
sociale et absence
d’usage de drogue
Absence d’exclusion
sociale et présence
d’usage de drogue
Présence d’exclusion
sociale et d’usage de
drogue
40 %
1
0.59
73 %
1.89
60 %
1.5
95 %
2.38
Impact des troubles de la personnalité sur la toxicomanie.
Population toxicomane
Tableau 7
Absence d’exclusion
sociale et d’usage
de drogue
Prévalence des troubles de personnalité
Absence de troubles de la personnalité
FEi
59 %
41 %
31 %
Impact de la toxicomanie sur les troubles de la personnalité.
Troubles de la personnalité
Population toxicomane
Population générale
FEi
59 %
10 %
83 %
retombons également sur des résultats similaires obtenus
sur d’autres formes d’addictions [8].
Discussion
Au plan du choix de l’étude évaluant les troubles de l’axe
II chez les usagers de drogues, il pourrait être objecté
que nous nous fondons sur une seule étude alors que de
nombreux travaux existent sur ce point qui donnent pour
certains des résultats sensiblement différents de l’étude
de Kokkevi et al. qui, dans les résultats qu’elle produit,
présente en fait des résultats antagonistes avec le modèle
théorique qui fait de la personnalité un facteur de risque
pour l’abus de substance [32]. Cette étude a été choisie
car elle porte sur des sujets comparables à ceux de notre
propre étude tant sur le plan du produit utilisé (principalement l’héroïne), de l’âge (28 ans chez Kokkevi et al., 27 ans
dans notre étude), que de la zone géographique d’où sont
originaires les sujets (bassin méditerranéen, dans les deux
cas), mais présente en effet des résultats qui contredisent
la stabilité des troubles de la personnalité tels qu’ils sont
définis par l’APA et leur influence sur l’usage de drogue.
Avec une prévalence de 60 % de troubles de la personnalité
chez les toxicomanes, il apparaît ainsi que les troubles de
l’axe II expliquent environ 31 % des cas de cooccurrences
(Tableau 6) et qu’en revanche l’usage de drogue explique
83 % des cas de diagnostics en axe II chez les usagers de
drogue (Tableau 7).
Nous pourrions prendre les résultats d’autres études,
nous retomberions également sur la même conclusion. Ainsi,
en utilisant les résultats de Kosten et al. [20,21] qui donnent
une prévalence de 68 % de trouble de la personnalité chez
les toxicomanes, les troubles de la personnalité expliqueraient 53 % des cas de toxicomanies et la toxicomanie 85 %
des troubles de la personnalité.
Deux hypothèses sont alors possibles pour expliciter ce
point :
• soit les troubles de la personnalité ne sont pas les modalités stables et durables du fonctionnement psychologique
que définit le DSM IV et peuvent varier chez les toxicomanes [11] ;
• soit certains signes de toxicomanies sont interprétés
comme des signes de troubles de la personnalité. Le
fait que les troubles de la personnalité soient influencés chez le toxicomane par la toxicomanie ne viendrait
pas à remettre en cause les modèles dominant [32] qui
font du trouble de la personnalité la pierre d’angle de la
toxicomanie.
Conformément aux hypothèses d’un effet neuropsychologique résiduel de la consommation de certaines drogues
[15], les troubles de la personnalité observés chez le
toxicomane pourraient en grande partie être induits par
la toxicomanie et contribuer à augmenter la sévérité de
l’addiction. Cette hypothèse demanderait cependant à être
testée plus en avant.
Conclusion
Au plan clinique, l’association entre toxicomanie, exclusion
sociale et trouble de la personnalité est une question
importante qui renvoie au devenir de ces personnes
lorsqu’elles tentent de « sortir de la drogue » tout en étant
« à la rue », ou lorsqu’elles tentent de « sortir de la rue »
lorsqu’elles sont toujours « dans la produit ». Ce travail met
en évidence que les associations troubles de la personnalité
et exclusion sociale augmentent le risque d’observer des cas
de toxicomanie de façon plus importante, que l’association
toxicomanie et trouble de la personnalité augmente le
risque d’exclusion sociale. En termes de prévention, chez
un sujet en grande difficulté sociale abuseur de drogue qui
présente des troubles de la personnalité, il semblerait intéressant d’intervenir sur l’exclusion sociale afin de limiter
son effet sur la toxicomanie. Enfin, au plan thérapeutique,
Impact des troubles de la personnalité chez les toxicomanes sans domicile fixe
ces résultats confirment l’intérêt des approches centrées
sur les troubles de la personnalité, puisqu’il apparaît que
la prévalence des troubles de la personnalité n’est pas
influencée par l’association des deux autres facteurs.
Cependant, avant d’aller plus loin, notre modèle, qui ne
prend pas en compte la question de l’intensité des troubles,
demande à être complété par un travail ultérieur afin
d’étudier les interactions entre ces facteurs d’un point de
vue quantitatif et non plus qualitatif.
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