Bulletin concurrence et antitrust Les fouilles sans mandat

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Bulletin concurrence et antitrust Les fouilles sans mandat
decembre 2014
Bulletin concurrence et antitrust
Les fouilles sans mandat de
téléphones cellulaires
accessoires à l'arrestation sont
légales au Canada – sous
réserve de garanties strictes
Une majorité de quatre juges contre trois de la Cour suprême du
Canada a conclu que, dans certaines circonstances, les agents de
la paix peuvent effectuer une fouille sans mandat du contenu du
téléphone cellulaire d'un individu arrêté légalement par le
truchement de leur pouvoir de fouille accessoire. Cette décision
phare, R. c. Fearon, 1 a été rendue le 11 décembre 2014.
Bien qu'ils diffèrent dans leurs dispositifs, les juges majoritaires et
dissidents ont tous noté que des questions importantes relatives à
la vie privée se posent dans le contexte spécifique de la fouille de
téléphones cellulaires, ce qui rend ce type de recherches différent
des fouilles accessoires typiques effectuées lors d'une arrestation.
La position du Canada sur la fouille de téléphones cellulaires
accessoire à l'arrestation diffère donc de celle des États-Unis, où
dans le récent arrêt Riley v. California, 2 la Cour suprême des ÉtatsUnis a statué à l'unanimité que les policiers doivent obtenir un
mandat afin de fouiller le téléphone cellulaire d'une personne
arrêtée.
1
2014 CSC 77.
2
573 U.S. ___ (2014).
McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.  Brookfield Place, 181, Bay Street, bureau 4400, Toronto (Ontario) Canada M5J 2T3  t 416.865.7000  f 416.865.7048
Avocats  Agents de brevets et de marques de commerce  Lawyers  Patent & Trade-mark Agents
Vancouver  Calgary  Toronto  Ottawa  Montréal  Hong Kong  mcmillan.ca
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Faits
Deux voleurs (dont un armé d'un pistolet) ont volé des bijoux
d'une commerçante alors qu'elle remplissait son véhicule, et ont
pris la fuite par automobile. Peu de temps après, des agents de
police ont arrêté deux suspects, Fearon et Chapman, et ont localisé
le véhicule de fuite.
Lors de l'arrestation des suspects, les agents ont procédé à la
typique fouille par palpation et trouvé un téléphone cellulaire sur la
personne de Fearon non protégé par mot de passe, et ont consulté
son contenu. L'appareil contenait un projet de message texte
incriminant et une photo de l'arme de poing. Après avoir obtenu un
mandat, la police a fouillé le véhicule et a trouvé l'arme de poing
représentée sur la photo.
Le juge de première instance a conclu que l'art. 8 de la Charte
canadienne des droits et libertés, 3 qui consacre le droit à la
protection contre les fouilles, perquisitions et saisies abusives,
n'avait pas été violé par la fouille sans mandat du téléphone
cellulaire. Fearon a été reconnu coupable de vol à main armée
(entre autres), et a porté appel du jugement. La Cour d'appel de
l'Ontario a rejeté l'appel. 4
Décision de la Cour suprême
La majorité de la Cour, sous la plume du juge Cromwell, a rejeté
l'appel et conclu « que le fait de fouiller rapidement certains
éléments du téléphone cellulaire pouvait permettre de réaliser
d'importants objectifs d'application de la loi », mais que les
éléments de preuve de la police en ce qui a trait à l'étendue de la
fouille étaient insuffisants, la rendant ainsi abusive. Le juge a
expliqué que les tribunaux avaient retenu quatre approches
différentes à la question à savoir si le pouvoir de fouille accessoire
3
Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11.
4
R. v. Fearon, 2013 ONCA 106.
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à l'arrestation de la police permettait la fouille de téléphones
cellulaires :
1. les fouilles de téléphones cellulaires sont permises;
2. les fouilles « sommaires » de téléphones cellulaires sont
permises;
3. les fouilles de téléphones cellulaires en profondeur « par vidage
de données » ne sont pas permises; et
4. les fouilles de téléphones cellulaires ne sont pas permises, sauf
en situation d'urgence, auquel cas une fouille « sommaire » est
permise.
La majorité n'a opté pour aucune de ces approches. Le juge
Cromwell a préconisé l'établissement de « restrictions significatives
» aux fouilles de téléphones cellulaires accessoires à l'arrestation.
Pour de telles fouilles, la police doit limiter la portée de la fouille,
les fins de la recherche, prendre des notes détaillées de ce qu'ils
recherchaient sur le téléphone et en quoi une telle recherche était
nécessaire accessoirement à l'arrestation. En particulier, le juge
Cromwell a noté qu'en général, « seuls les courriels envoyés ou
rédigés récemment, les photos et messages textes récents, ainsi
que le registre des appels, pourront être examinés puisque dans la
plupart des cas, seuls les éléments de ce genre auront le lien
nécessaire aux objectifs pour lesquels une inspection rapide de
l'appareil est permise ».
Les juges majoritaires ont en outre affirmé que la fouille du
contenu en entier d'un téléphone cellulaire équivaut à la fouille
d'un ordinateur et déclenche des intérêts en matière de vie privés
considérables, établissant un parallèle avec la décision de la Cour
suprême dans l'arrêt R. c. Vu, 5 aux termes de laquelle elle avait
conclu qu'une autorisation expresse est nécessaire pour procéder à
la fouille d'un ordinateur ou d'un téléphone cellulaire trouvé lors de
5
2013 CSC 60.
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la perquisition de la résidence d'un individu réalisée en vertu d'un
mandat accordé pour la perquisition de celle-ci.
Or, conformément à l'avis de la majorité quant à la possibilité de
fixer des « restrictions significatives » quant à une fouille, le juge
Cromwell a souligné que la fouille ciblée d'un téléphone cellulaire
ne déclenchera pas toujours l'atteinte d'intérêts très importants en
matière de vie privée, par opposition à la saisie d'échantillons de
substances corporelles et les fouilles à nu, qui elles constituent «
des atteintes très graves à la vie privée », peu importe la manière
dont elles sont effectuées.
Il est également intéressant de noter que, contrairement à ce que
la Cour d'appel avait conclu, le juge Cromwell a déterminé que le
fait qu'un téléphone cellulaire soit protégé ou non par mot de
passe ne devrait pas changer les attentes d'un individu en matière
de respect de la vie privée. Le fait qu'une personne ne protège pas
son téléphone cellulaire par mot de passe ne constitue pas une
renonciation à ses droits en matière de vie privée. Cependant, la
décision de la majorité ne précise pas comment la police pourrait,
en pratique, effectuer une fouille accessoire d'un téléphone
cellulaire au moment de l'arrestation lorsque celui-ci est protégé
par mot de passe.
La majorité de la Cour suprême a résumé comme suit les
conditions aux termes desquelles une fouille sans mandat d'un
téléphone cellulaire accessoire à une arrestation ne sera pas
inconstitutionnellement abusive:
1. l'arrestation était légale;
2. la fouille était véritablement accessoire à l'arrestation,
conformément à des objectifs d'application de la loi valables,
c'est-à-dire :
(a) protéger la police, l'accusé ou le public;
(b) conserver les éléments de preuve; ou
(c) découvrir des éléments de preuve (seulement lorsque
l'enquête sera paralysée ou sérieusement entravée en l'absence
d'une telle fouille);
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3. son étendue et sa nature sont adaptées à son objectif; et
4. la police a pris des notes détaillées de son examen et la
manière dont l'appareil a été fouillé.
La majorité a finalement conclu que la recherche avait été menée
en violation de l'art. 8, mais seulement faute d'éléments de preuve
détaillant dans quelle mesure, comment et pourquoi l'appareil avait
été examiné. Néanmoins, la majorité a refusé d'exclure la preuve à
titre de réparation pour la violation des droits de Fearon,
raisonnant, entre autres, que l'atteinte à la vie privée de l'accusé
n'était pas particulièrement grave dans les circonstances.
La juge Karakatsanis, pour la dissidence, était d'avis que les
policiers étaient tenus d'obtenir un mandat avant de fouiller le
téléphone cellulaire. Plus précisément, la juge Karakatsanis a
soutenu que, sauf en situation d'urgence, un mandat serait
nécessaire pour fouiller le téléphone cellulaire ou autre appareil
numérique personnel d'un individu, même dans le cadre d'une
fouille accessoire à une arrestation. La dissidence ne s'opposait pas
à la fouille de téléphones cellulaires, mais argumentait qu'un
mandat est nécessaire pour s'assurer que les intérêts en matière
de protection de la vie privée des individus soient protégés de
façon appropriée. Elle a noté que « les policiers peuvent
habituellement obtenir assez rapidement un télémandat, et cette
démarche a peu d'incidence sur l'enquête » et que les policiers
étaient « autorisés à saisir l'appareil en attendant qu'une demande
de mandat soit tranchée ».
Incidences en matière de crime économique
La décision de la Cour suprême a été rendue dans le cadre d'un vol
à main armée, un crime violent qui peut être distingué des
infractions d'ordre économique comme la fraude, la corruption ou
les infractions criminelles en matière de concurrence. Comme le
juge Cromwell l'a observé, dans les circonstances particulières de
cette affaire, « les policiers savaient qu'une arme dangereuse était
en circulation ». Dans une telle situation, la fouille accessoire d'un
téléphone cellulaire apparaît beaucoup plus justifiée et raisonnable,
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compte tenu du danger imminent pour la sécurité du public. Le
juge Cromwell a observé que les objectifs d'application de la loi
permettant des fouilles de téléphones cellulaires seront « plus
impérieux » dans les cas de « crimes comportant, par exemple, de
la violence ou des menaces de violence, des crimes qui présentent
un risque pour la sécurité du public […], des infractions graves
contre des biens susceptibles de disparaître rapidement, ou le
trafic de drogue ».
Ces circonstances sont différentes de celles où, par exemple, le
téléphone cellulaire d'une personne arrêtée serait fouillé sur la
base de soupçons de participation à une fraude financière, sauf s'il
appert que des éléments de preuve pourraient être perdus en
l'absence d'une fouille accessoire à l'arrestation. Si la fouille
accessoire est menée aux fins de découvrir des éléments de
preuve, « une grande circonspection » est nécessaire : un examen
sans mandat de l'appareil lors d'une arrestation ne sera permis que
si « l'enquête sera paralysée ou sérieusement entravée ».
À notre avis, au moment de l'arrestation d'un individu soupçonné
d'avoir commis une infraction d'ordre économique, les fouilles de
téléphones cellulaires exigeront encore un mandat dans la plupart
des cas. Contrairement aux infractions comme le vol qualifié
impliquant des « biens susceptibles de disparaître rapidement »,
les infractions d'ordre économique ne comportent généralement
pas de risque imminent de perpétration d'une autre infraction ou
de violence. En d'autres termes, il y aura rarement présence d'un
élément d'urgence pouvant, pour d'autres types d'infractions,
permettre une certaine fouille limitée d'un téléphone cellulaire.
En ce qui concerne les infractions en matière de concurrence, il
convient de noter que, contrairement aux agents de la paix, les
agents du Bureau de la concurrence ne possèdent pas de pouvoir
de fouille accessoire et doivent toujours, sauf circonstances
exceptionnelles, obtenir un mandat pour fouiller le contenu d'un
téléphone cellulaire.
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Commentaires
La Cour suprême a tenté de trouver un équilibre entre l'application
efficace de la loi et la protection d'intérêts en matière de protection
de la vie privée importants touchés par les fouilles de téléphones
cellulaires. La majorité a statué en faveur d'un système selon
lequel les policiers peuvent effectuer des fouilles accessoires
d'appareils portables lors d'arrestations, mais sous réserve de
garanties plutôt strictes.
Bien que la majorité ait dans ce cas permis que soient opposés à
l'accusé les éléments de preuve recueillis lors de la fouille effectuée
sans mandat, la dissidence et la majorité ont convenu que la fouille
d'un téléphone cellulaire déclenche des intérêts importants en
matière de respect de la vie privée. Même dans l'avis de la
majorité, le type d'examen de téléphone cellulaire qui est permis
et les circonstances dans lesquelles un tel examen est permis sont
très limités. En dehors du contexte « une fouille accessoire à
l'arrestation », il peut être argumenté qu'une fouille de téléphone
cellulaire exigera un mandat qui a spécifiquement considéré les
intérêts en matière de respect de la vie privée que comportent ce
type de fouilles.
Malgré ces garanties, la décision de la Cour suprême signifie
qu'une confiance complète est accordée aux policiers en ce qui
concerne la portée et l'étendue des fouilles de téléphones
cellulaires accessoires à une arrestation. Comme les juges
dissidents ont observé, « il est très difficile ― sinon impossible ―
de procéder à une inspection ciblée ou sommaire utilement balisée
d'un téléphone cellulaire ou d'un autre appareil numérique
personnel ». Bien que les policiers doivent détailler leur fouille de
l'appareil, il n'y aura généralement aucun moyen de confirmer
qu'ils n'ont pas scruté le contenu de l'appareil plus amplement
qu'indiqué dans leur rapport.
Comme le juge Cromwell avait précédemment reconnu dans l'arrêt
Vu, des protocoles limitant la façon dont un ordinateur peut être
fouillé ne sont pas, en règle générale, nécessaires pour obtenir un
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mandat. La dissidence a observé que le même raisonnement
s'applique aux téléphones cellulaires, mais a ajouté que rien ne fait
obstacle à l'établissement de tels protocoles, en soulignant que,
dans l'exécution d'une fouille d'un téléphone cellulaire, avec ou
sans mandat, les autorités ne doivent pas étendre la fouille au-delà
de la portée des motifs l'autorisant. Les motifs permettant la fouille
d'un téléphone cellulaire dans un but précis ne peuvent fournir
carte blanche pour fureter sans retenue la vie numérique d'un
individu.
Dans le contexte d'infractions d'ordre économique, les autorités
auront intérêt à être proactives et proposer à la cour, lors de la
demande d'un mandat de perquisition concernant un téléphone
cellulaire, un protocole afin de protéger les puissants intérêts en
matière de respect de la vie privée relatifs à ces appareils
numériques, qui peuvent contenir des enregistrements viva voce
de communications privées et qui sont parfois en mesure de
déterminer les déplacements de l'individu qui était en possession
de l'appareil.
Comme l'ont observé les juges dissidents, la saisie d'un téléphone
cellulaire en attente de l'octroi d'un mandat peut servir à préserver
les éléments de preuve qui y sont contenus et des télémandats
peuvent être obtenus dans des délais relativement courts.
Toutefois, il convient de noter que des fonctions et applications
disponibles sur certains téléphones intelligents permettent à
l'utilisateur d'effacer à distance toutes les données contenues sur
ceux-ci. L'approche soutenue par la majorité sera sans doute en
mesure d'empêcher la destruction d'éléments de preuve par
l'utilisation de ces méthodes.
Enfin, notons que la Cour ne s'est pas prononcée sur la question à
savoir si un accusé pourrait être contraint de fournir le mot de
passe de son appareil verrouillé lors d'une fouille accessoire. Au
Québec, la Cour d'appel a jugé en 2010 qu'un mandat obligeant
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l'accusé à fournir le mot de passe de son ordinateur en vue de
l'incriminer violait la protection constitutionnelle contre l'autoincrimination, rendant ainsi la saisie subséquente de ses données
abusive au sens de l'art. 8 de la Charte. 6
par by Guy Pinsonnault, Pierre-Christian Collins Hoffman
and Joshua Chad
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6
R. c. Boudreau-Fontaine, 2010 QCCA 1108.
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