Untitled - Presses des Mines
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Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre-Michel Riccio, Impact des réseaux numériques dans les organisations, Paris, Presses des MINES, collection Économie et gestion, 2013 Numéro 03 de la série éditoriale « Management des Technologies Organisationnelles » © Presses des MINES – TRANSVALOR 60, boulevard Saint-Michel – 75272 Paris cedex 06 – France [email protected] www.pressesdesmines.com © Images de couverture : Etablissement Public du Pont du Gard ISBN : 978-2-35671-049-9 ISSN : en cours Dépôt légal : 2013 Achevé d’imprimer en 2013 – Paris Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et d’exécution réservés pour tous les pays. Impact des réseaux numériques dans les organisations Management des Technologies Organisationnelles Collection Économie et Gestion Dans la même collection : LA REGULATION PAR LES INSTRUMENTS Michel Nakhla L'ERREUR HUMAINE James Reason L’ACTIVITÉ MARCHANDE SANS LE MARCHÉ ? Colloque de Cerisy Armand Hatchuel, Olivier Favereau, Franck Aggeri (sous la direction de) INTRODUCTION A LA CONCEPTION INNOVANTE Marine Agogué, Frédéric Arnoux, Ingi Brown, Sophie Hooge MANAGEMENT DES TECHNOLOGIES ORGANISATIONNELLES Journées d’études MTO’2009 Pierre-Michel Riccio, Daniel Bonnet NEW FOUNDATIONS OF MANAGEMENT RESEARCH Albert David, Armand Hatchuel, Romain Laufer L’ÉVALUATION DES CHERCHEURS Daniel Fixari, Jean-Claude Moisdon, Frédérique Pallez TECHNOLOGIE ET ORGANISATIONS Pierre-Michel Riccio LES NOUVELLES FONDATIONS DES SCIENCES DE GESTION Albert David, Armand Hatchuel, Romain Laufer TIC ET INNOVATION ORGANISATIONNELLE Journées d’études MTO’2011 Pierre-Michel Riccio, Daniel Bonnet GERER ET COMPRENDRE L’OPEN SOURCE Nordine Benkeltoum PROCEEDINGS OF THE FOURTH RESILIENCE SYMPOSIUM Erik Hollnagel, Eric Rigaud, Denis Besnard ENTRE COMMUNAUTÉS ET MOBILITÉ : UNE APPROCHE INTERDISCIPLINAIRE DES MÉDIAS Serge Agostinelli, Dominique Augey, Frédéric Laurie FRAGILES COMPÉTENCES Sophie Brétécher, Cathy Krohmer CONSTRUIRE LA BIODIVERSITÉ Processus de conception de « biens communs » Julie Labatut SÛRETÉ NUCLÉAIRE ET FACTEURS HUMAINS Grégory Rolina PROCEEDINGS OF THE THIRD RESILIENCE ENGINEERING SYMPOSIUM Erik Hollnagel, François Pieri, Eric Rigaud PROCEEDINGS OF THE SECOND RESILIENCE ENGINEERING SYMPOSIUM Erik Hollnagel, Eric Rigaud (editors) MODEM LE MAUDIT Économie de la distribution numérique des contenus Olivier Bomsel, Anne-Gaëlle Geffroy, Gilles Le Blanc ÉVALUATION DES COÛTS Claude Riveline LE LEADERSHIP DANS LES ORGANISATIONS James G. March, Thierry Weil DERNIER TANGO ARGENTIQUE Olivier Bomsel, Gilles Le Blanc LES NOUVEAUX CIRCUITS DU COMMERCE MONDIAL François Huwart, Bertrand Collomb INVITATION À LA LECTURE DE JAMES MARCH Thierry Weil Impact des réseaux numériques dans les organisations Management des Technologies Organisationnelles Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre-Michel Riccio Introduction Cet ouvrage constitue le troisième volume de la série éditoriale « Management des Technologies Organisationnelles ». Après un premier numéro consacré à l’investigation de travaux de recherche conduits sur le thème du management et des technologies organisationnelles ; Puis un deuxième numéro centré sur la question de l’innovation organisationnelle à travers les technologies numériques ; Nous proposons dans ce troisième numéro d’explorer l’impact des réseaux numériques dans les organisations. Les organisations sont ici entendues au sens large : entreprises, associations ou institutions. Comme les deux précédents, ce troisième numéro est basé sur les journées d’étude coorganisées par le Groupe Sup de Co Montpellier Business School, la Chambre Professionnelle du Conseil Languedoc-Roussillon et le centre de recherche LGI2P de l’Ecole Nationale Supérieure des Mines d’Alès. Ces journées présentent la particularité d’adopter une vision transdisciplinaire (informatique, management, communication) et transmétiers (chercheurs, consultants et entrepreneurs) sur un thème d’actualité. Tout en respectant, pour transformer des exposés en de véritables articles, les pratiques scientifiques habituelles, nous nous sommes attachés à conserver l’ouverture sur les différentes disciplines et métiers. Aussi, le lecteur trouvera dans cet ouvrage des articles qui viennent d’horizons assez variés, rédigés par des scientifiques de différentes sensibilités, mais aussi des consultants et des responsables en entreprises. Au moment où de nombreuses études incitent à une fertilisation croisée, mais où dans le même temps nous constatons un repli disciplinaire, ceci marque l’originalité de la série. Direction de la série : Pierre-Michel Riccio Comité éditorial : Serge Agostinelli, Yves Barlette, Daniel Bonnet, Aline Cayhuela, Marie-Françoise Combaz, Thibault de Swarte, Katherine Gundolf, Annabelle Jaouen, Anis Khedhaouria, Eric Lacombe, Frank Lasch, Jacky Montmain, Michel Plantié, Laurent Raybaud, Pierre-Michel Riccio, Guy SaintLéger, Lise Vieira. Cooordination de l’ouvrage : Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié, Pierre-Michel Riccio. Préface L’extraordinaire développement des réseaux numériques est en train de modifier les relations entre acteurs dans les entreprises et organisations. Les utilisateurs échangent données, informations et connaissances, ils tissent des liens à l’intérieur comme à l’extérieur, qui modifient de façon implicite ou explicite les équilibres : pouvoir, décisions, fonctionnement, etc. Des communautés et collectifs se forment, évoluent, disparaissent. L’objet de cet ouvrage construit à partir des travaux des 4e journées d’étude Management des Technologies Organisationnelles des 4 et 5 octobre 2012 à Nîmes est d’approfondir, dans une approche interdisciplinaire (sciences et technologies de l’information et de la communication, sciences de gestion, sciences humaines et sociales), la réflexion autour de plusieurs questions : Comment se mettent en place et évoluent les dynamiques de réseaux à l’intérieur et à l’extérieur des entreprises et des organisations ? Quel est le rôle des technologies numériques dans l’évolution des collectifs ? Quel peut être l’impact des technologies organisationnelles sur l’efficacité, l’efficience de ces collectifs ? Les travaux présentés portent plus particulièrement sur la mise en place de la stratégie, les pratiques et les usages des technologies numériques, la conduite opérationnelle des dispositifs. Les contributions sont centrées sur une approche conceptuelle illustrée, ou issues du terrain avec un effort de prise de recul. Yves Barlette, Daniel Bonnet, Michel Plantié et Pierre-Michel Riccio Coordonnateurs de l’ouvrage SOMMAIRE I – Cartes blanches Sophie RENAULT Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules ....................................................................................... 13 Daniel BONNET La face cachée des relations sociales au sein des réseaux numériques.............................................................. 27 Sophie ARVANITAKIS, Marie OUVRARD et Serge AGOSTINELLI Partage de compétences dans un réseau d’acteurs........................................................................................... 41 Michel LABOUR et Igor CREVITS Elicitation du sens décisionnel par la méthode triadique : cas du contrôle de trafic aérien ............................... 53 Thibault de SWARTE Les réseaux numériques, le marketing et la question de l’imaginaire............................................................. 67 Eric LACOMBE Distance et engagement des réseaux sociaux dans les réseaux sociaux numériques ......................................... 81 II – Communications Yann BERTACCHINI, Pierre MAUREL et Paul DEPREZ Réseaux et savoirs locaux dans une démarche d’intelligence territoriale......................................................... 95 Jacques FOLON La génération Y : un écran de fumée pour cacher la résistance au changement ? .......................................... 107 Karine TURCIN Réflexions autour des enjeux temporels de l’usage des TIC pour la concertation publique ............................ 117 Lucile DESMOULINS Le travail malmené par les réseaux numériques et les TIC : ce n’est pas du cinéma ! .................................. 127 Sophie RENAULT, Erwan BOUTIGNY et Pierre CHAPIGNAC Le Jam : la machine collaborative d’IBM .................................................................................................. 139 Célia LEMAIRE et Thierry NOBRE Le rôle de la construction d’un tableau de bord dans la trajectoire d’un collectif ........................................... 151 Mario BOU SABA et Sylvie GERBAIX Théorie de l’acteur-réseau, intelligence collective et coopératives agricoles........................................................ 163 Isabelle CHOQUET Pour un outil de réseautage en entreprises................................................................................................... 175 Marcienne MARTIN L’arasement de la hiérarchie sur Internet, une nouvelle donne sociétale ........................................................ 187 Yves BARLETTE Les dangers des réseaux sociaux : comment s’en prémunir ? ....................................................................... 197 10 Impact des réseaux numériques dans les organisations Guy SAINT-LEGER et Wei ZAHO Piloter la stabilisation d’un objet-frontière multi-niveaux............................................................................ 207 Damien BOHELAY Diverses pratiques de recrutement sur les réseaux sociaux numériques......................................................... 217 Aline CAYHUELA Les plate-formes collaboratives et le développement des compétences collectives............................................... 229 Evelyne LOMBARDO et Christine ANGELINI L’expérience sensorielle virtuelle et immersive : étude du dispositif Spheric ................................................... 241 Florence LABORD et Jean VANDERSPELDEN Un projet e-learning dans un contexte de coopétition................................................................................... 251 Antoine CHOLLET, Isabelle BOURDON et Florence RODHAIN Capitalisation de l’expérience de jeu par les joueurs de MMORPG ........................................................... 263 François DELTOUR, Loïc PLE et Caroline SARGIS-ROUSSEL Développement réciproque du capital social et des communautés de pratique en ligne.................................... 275 III – En direct du terrain Franck DEBOS et Faïka OUERGLI Importance de la promotion des valeurs de l’olympisme par les réseaux sociaux numériques ......................... 289 Anis REZGUI Impact des nouveaux médias au sein des organisations : vers une nouvelle organisation ? ............................. 299 I – CARTES BLANCHES Sophie RENAULT Daniel BONNET Sophie ARVANITAKIS, Marie OUVRARD et Serge AGOSTINELLI Michel LABOUR et IGOR CRÉVITS Thibault de SWARTE Eric LACOMBE Sophie RENAULT Sophie Renault est Maître de Conférences à l’Institut d’Administration des Entreprises au sein de l’Université d’Orléans. Ses recherches s’inscrivent dans le cadre du laboratoire Vallorem. Après avoir travaillé une dizaine d’années sur la thématique des parcs industriels fournisseurs dans l’industrie automobile, ses recherches s’ouvrent également sur le crowdsourcing. Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules L’article cherche à montrer comment, à travers l’extraordinaire développement des réseaux numériques, les organisations tentent de tirer bénéfice de la sagesse des foules. Après avoir défini les principaux contours du crowdsourcing, nous en présentons trois cas emblématiques : eYeka, le Jam d’IBM et le Global Service Jam. A la lumière de ces cas, nous exposons les principales forces mais aussi limites du recours au crowdsourcing tant du côté des organisations que de la « foule » de contributeurs. Mots clés : open innovation, crowdsourcing, Jam, IBM, Global Service Jam, eYeka. Crowdsourcing: the issues of the wisdom of crowds This article shows how organizations try to benefit from the wisdom of crowds by taking up the opportunities afforded by the development of digital networks. First, we explain what crowdsourcing is precisely. Then, we present three singular cases: eYeka, IBM’ Jams and Global Service Jam. Finally, we highlight the strengths and weaknesses of crowdsourcing both from the organizations’ and from the "crowd" of contributors’ point of view. Keywords: open innovation, crowdsourcing, Jam, IBM, Global Service Jam, eYeka Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules Sophie RENAULT VALLOREM, Université d’Orléans « Dans une foule, l’intelligence des hommes ne s’additionne pas, elle se divise » Pierre Desproges Les critiques émises envers l’intelligence des foules sont nombreuses : dans la Psychologie des Foules, Gustave Le Bon exprime notamment le fait qu’« observées dans la plupart de leurs actes, les foules font preuve le plus souvent d'une mentalité singulièrement inférieure » (Le Bon, 1895 : 9). L’auteur n’est pas avare de critiques puisqu’il indique également que « l’œuvre d'une foule est partout et toujours inférieure à celle d'un individu isolé » (Le Bon, 1895 : 120). Dans le même esprit et avec davantage de poésie, Brassens disait « le pluriel ne vaut rien à l’homme »… Cependant, c’est sur la sagesse de la foule (Surowieki, 2008) que se développent des modes de travail coopératif créateurs de valeur qualifiés de crowdsourcing. Dans une démarche d’innovation ouverte, le crowdsourcing consiste en l’externalisation vers la foule de tâches classiquement réalisées en interne ou par un prestataire identifié. Afin de pallier le manque de ressources internes, tant du point de vue des connaissances que des capacités d’innovation, afin de mieux cerner ou déceler un besoin à combler, de nombreuses organisations se tournent ainsi vers le crowdsourcing. Or, au fur et à mesure de son déploiement, plusieurs critiques émergent, la plus acerbe d’entre elles mettant à mal une forme de « néoféodalisme numérique » (Lechner, 2010). Il est aussi question non pas de « crowd » mais de « stupidsourcing » tant le recours à la foule peut être gage de succès mais aussi de désastre. La problématique de cet article s’inscrit donc dans la compréhension de la tension entre la lumière et/ou l’ombre que reflète le crowdsourcing. Notre question de recherche peut s’exprimer dans les termes suivants : quelles sont les principales forces mais également contraintes pour les parties prenantes du crowdsourcing ? Dans une première partie, nous définirons le concept de crowdsourcing et en mettrons en relief les principaux contours. Dans une deuxième partie, nous 14 Impact des réseaux numériques dans les organisations présenterons le design de la recherche ainsi que trois cas de crowdsourcing : la plate-forme de co-création eYeka ainsi que deux formules de Jam. Enfin, à la lumière de ces cas, nous exposerons les principales forces mais aussi limites du crowdsourcing. 1. CROWDSOURCING : QUAND L’ORGANISATION 2.0 S’APPUIE SUR LA FORCE DE LA FOULE 1.1. Définition du Crowdsourcing Dans ses travaux sur l’open innovation, Chesbrough (2003) met en relief le caractère caduc de l’innovation fermée. Afin d’innover de façon plus rapide et plus souple, l’auteur préconise de s’orienter vers un mode ouvert d’innovation. Il s’agit alors de combiner les pistes internes et externes d’innovation afin d’accélérer la mise sur le marché de nouveaux services ou produits. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le crowdsourcing. Le concept de crowdsourcing a été développé par Howe dans un article publié en juin 2006 dans le magazine Wired : « The Rise of Crowdsourcing ». Howe présente alors le crowdsourcing comme une forme d’externalisation vers la foule reposant en particulier sur le développement de réseaux et de communautés numériques. Selon Lebraty, le crowdsourcing signifie : « l’externalisation par une organisation, via un site web, d’une activité auprès d’un grand nombre d’individus dont l’identité est le plus souvent anonyme » (Lebraty, 2009 : 151). La foule n’est pas composée, comme Howe le rappelle, de l’ensemble des êtres humains présents sur la planète (Howe, 2008). Si on lui prête une certaine sagesse, c’est peut-être parce qu’elle ne revêt pas les caractéristiques d’une foule telle que nous l’entendons de manière classique. La foule est le fruit du déploiement de l’ère numérique. La foule en 2013, ce sont plus de deux milliards d’individus connectés sur la planète, dispersés autour d’innombrables communautés. Ces communautés, selon Howe, ne sont pas si éloignées de celles que l’on rencontre dans une vie « hors ligne », elles imposent en effet un certain nombre de normes sociales et de comportements. Il s’agit alors de capter, de séduire ces communautés afin qu’elles deviennent actrices de la création de valeur pour les organisations. 1.2. Typologie Lebraty (2009) identifie deux principaux axes de crowdsourcing. Le premier se réfère à un crowdsourcing lié à une prise de décision et à un esprit créatif, c’est sur ce type de crowdsourcing que nous concentrerons nos propos dans la suite de l’article. Il est question à ce propos de crowdsourcing d’activités inventives selon la typologie de Burger-Helmchen & Pénin (2011) ou bien encore de crowdsourcing d’activités créatives au sens de Schenk & Guittard (2011). Le second axe est inhérent à une diminution des coûts pour des activités Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules 15 routinières, non stratégiques et nécessitant de la main d’œuvre (Lebraty, 2009). On rejoint le concept de « crowdsourcing d’activités routinières » proposé par BurgerHelmchen & Pénin (2010 ; 2011) ou de « crowdsourcing de tâches simples » de Schenk & Guittard (2011). Quant à Howe (2008), il propose un découpage du crowdsourcing en quatre catégories distinctes : - Collective intelligence ou Crowd Wisdom Il s’agit de donner la possibilité aux individus d’exprimer leurs connaissances. L’objectif des organisations qui implémentent ce type de crowdsourcing est de capter l’intelligence de la foule. Innocentive a par exemple été développé par le groupe pharmaceutique Eli Lilly. Il s’agit d’une interface qui permet à des entreprises de soumettre un problème de R&D à une communauté de chercheurs. - Crowd Creation Ce type de crowdsourcing s’appuie sur le large potentiel créatif de la foule. Cette dernière peut alors être sollicitée par les entreprises dans l’objectif de définir un nouveau produit, proposer un slogan, développer un film publicitaire… Wilogo met en concurrence des graphistes amateurs et professionnels pour la création de logos pour les entreprises. Les entreprises déposent leurs demandes de logos sur le site et reçoivent dans les heures qui suivent les différents concepts de logos créés par les graphistes de la communauté. - Crowd Voting Cette catégorie de crowdsourcing utilise le jugement de la foule pour récolter des informations. Cela peut notamment être utilisé pour faire un tri parmi le flot de contributions émergeant de la foule. Si la foule peut « voter » de manière consciente, elle peut aussi exprimer sa préférence de manière inconsciente. Par exemple, la contribution est a priori consciente lorsqu’il s’agit d’évaluer un vendeur sur ebay, ou lorsque l’on note en ligne un prestataire de services. En revanche, la participation est a priori inconsciente dans le cas du moteur de recherche google, le PageRank, un algorithme d'analyse des liens concourant au système de classement des pages web. - Crowd Funding Il s’agit ici d’externaliser le financement de projets vers la foule. Via une plate-forme d’intermédiation, les internautes s’engagent dans le 16 Impact des réseaux numériques dans les organisations développement d’un projet qui les séduit, ce de manière désintéressée ou avec le désir de bénéficier de contreparties. Cumulé, l’investissement des internautes permet de financer des projets qui auraient potentiellement eu des difficultés à recevoir un financement traditionnel. My Major Company se présente comme une plate-forme d’intermédiation permettant le financement d’artistes. Les internautes-contributeurs sont appelés à acheter des « parts de contribution » dans un projet artistique (musique, cinéma, bande-dessiné etc.). A partir d’une méthodologie qualitative fondée sur des entretiens avec les parties prenantes mais également d’une démarche d’observation participante, cet article se concentre sur l’étude de trois cas de crowdsourcing exposés dans la section suivante. 2. METHODOLOGIE ET PRESENTATION DES CAS 2.1. Design de la recherche L’objectif de cet article est de souligner les principaux enjeux liés au crowdsourcing pour, d’une part, les organisations faisant appel à la foule et, d’autre part, la somme des contributeurs. En adoptant une démarche interprétativiste, nous avons fait le choix de recourir à une méthodologie qualitative fondée sur des études de cas. Le crowdsourcing étant un phénomène identifié récemment dans la littérature, cette approche trouvait pleinement sa justification. Nous avons choisi d’étudier trois cas de crowdsourcing d’activités inventives qui feront l’objet d’une présentation dans la section suivante. Ces cas nous ont semblé emblématiques du phénomène de déploiement du crowdsourcing créatif. Ils sont dès lors représentatifs au sens de Yin (Yin, 2003). En effet, ils nous permettent de rendre compte des principaux enjeux du recours aux démarches d’externalisation d’activités créatives vers la foule. Le crowdsourcing étant le fruit du déploiement du web 2.0, c’est fort naturellement que nous avons eu recours pour l’ensemble de ces cas à une approche netnographique. La netnographie ou ethnographie appliquée à Internet consiste en une méthode qualitative s’appuyant sur les TIC pour la collecte de données (Mercanti-Guérin, 2009). Ainsi, les plate-formes, blogs, pages Facebook (…) en lien avec les cas étudiés ont fait l’objet d’une analyse. Concernant les trois cas étudiés, nous avons eu l’opportunité de nous inscrire dans une démarche d’observation participante. Le sujet du crowdsourcing d’activités inventives relevant de pratiques assez nouvelles, notre immersion sur les différents terrains nous a permis d’en saisir le maximum de caractéristiques qui n’auraient été que difficilement perceptibles sans vivre la réalité des faits. Voici pour les trois cas concernés la démarche privilégiée. Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules 17 L’architecture de la recherche : - eYeka L’observation participante du cas eYeka se matérialise par notre inscription en tant que contributeur sur la plate-forme depuis décembre 2011. Nous avons ainsi été identifiés comme un membre à part entière de la communauté eYeka et recevons à ce titre l’ensemble des messages destinés aux contributeurs. Une analyse netnographique des échanges sur la plate-forme ainsi que sur les réseaux sociaux sur lesquels eYeka est présent a été réalisée. En particulier, les motivations des gagnants aux concours créatifs qui sont reportés sur le blog d’eYeka ont fait l’objet d’une analyse de contenu. Enfin, un entretien semi-directif a été mené auprès du correspondant recherche d’eYeka en juin 2012. - Jam IBM La recherche sur ce cas s’articule autour de deux phases. Dans une première phase, nous avons participé à une démarche d’observation participante du « Nekoé Jam » en avril 2010 (Renault et Boutigny, 2012). Cette démarche fut confortée par la réalisation de 99 enquêtes en ligne et 33 entretiens semi-directifs. Ainsi, dans le cadre de cet article, certaines des données exploitées ont fait l’objet d’une analyse supplémentaire au sens de Heaton (2004). Dans une deuxième phase, la première analyse a été renforcée par l’observation de deux autres Jams (le « Social Business Jam » en février 2011 et le « Security Jam » en mars 2012) ainsi que la réalisation de trois entretiens semi-directifs avec des membres d’IBM impliqués dans la mise en œuvre du Jam. - Global Service Jam Nous nous sommes engagés dans une démarche d’observation participante des éditions 2011 et 2012 du Global Service Jam. Concrètement, nous faisions partie d’une équipe de jammers en charge de développer un service. A l’issue de ces sessions de travail des entretiens rétrospectifs ont été menés avec les participants. En 2011, ce sont 29 entretiens qui ont été réalisés contre 18 en 2012. Une précédente recherche (Renault, 2012) a rendu compte des analyses issues du premier Global Service Jam. Les principaux enjeux du crowdsourcing appréhendés dans cet article sont donc le fruit du croisement simultané des enseignements de ces trois cas. Concernant la relation entre la théorie et les observations empiriques, nous avons privilégié un raisonnement abductif. Ainsi, nous nous sommes prêtés à une exploration hybride au sens de Charreire & Durieux (Cherreire et Durieux, 2003) dans la mesure où nous avons procédé à de multiples allers-retours entre l’observation 18 Impact des réseaux numériques dans les organisations des terrains de recherche et les connaissances théoriques. Après avoir dessiné les principaux contours méthodologiques de notre recherche, nous proposons dans la section suivante de présenter chacun des cas de manière plus détaillée. 2.2. Zoom sur trois cas de crowdsourcing d’activités inventives Notre recherche s’appuie tout d’abord sur l’étude de cas du leader mondial de la co-création en ligne : eYeka. - eYeka est une plate-forme collaborative permettant aux entreprises de mobiliser une communauté créative. Ce seraient ainsi plus de 20 000 individus répartis dans 94 pays que les organisations peuvent mobiliser par l’intermédiaire d’eYeka. Les marques sollicitent notamment la communauté pour participer à la création de campagnes publicitaires. Elles interrogent également les membres d'eYeka sur des questions stratégiques, en amont du cycle de vie du produit. Par exemple, « comment imaginez-vous la voiture du futur ? » ou encore « que sera la carte de paiement de demain ? ». eYeka propose ainsi en ligne des appels à contribution dont la communauté peut se saisir. Les contributeurs ont un laps de temps préalablement défini pour répondre à l’appel à projet. Enfin, l’organisation porteuse du projet sélectionne les meilleurs d’entre eux et leur attribue la récompense prévue. Ensuite, la recherche repose sur l’étude de deux cas de Jam. Le Jam trouve son origine dans les clubs de jazz au sein desquels sont pratiquées des séances d’improvisation entre les musiciens. Depuis le club de jazz, cette pratique a gagné de nombreux autres domaines d’activités : les sports de glisse, la danse ou bien encore le Hip Hop... Le Jam s’est également développé dans la sphère managériale comme un mode de brainstorming créatif. En témoignent ici le cas du Jam déployé par IBM depuis 2001 ou bien encore du Global Service Jam mis en œuvre par une agence de design allemande depuis 2011. - Le principe de la Jam musicale a été adapté sous forme d’une plate-forme de brainstorming virtuelle depuis 2001 par IBM. Il s’agit de sessions électroniques où des participants inscrits préalablement s'engagent dans une discussion en ligne pour une période de temps limitée. Les Jams permettent de mettre à profit la créativité de tous les participants qualifiés de jammers, où qu’ils se trouvent, sur des sujets divers. A l’origine, ce mode de crowdsourcing créatif a été déployé pour répondre à des problématiques internes à Big Blue. IBM a ainsi, grâce à la contribution de tous ses employés, redéfini ses valeurs en 2003. En 2006, l’Innovation Jam a permis de mettre en perspective dix sources d’innovation sur lesquelles l’entreprise a investi plus de 100 millions de dollars… C’est également en dehors d’IBM que la méthodologie s’est déployée. Ainsi, en 2010, le cluster Nekoé mettait en place un Jam dédié Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules 19 à l’innovation par les services ouvert à une communauté investie par cette thématique (Renault & Boutigny, 2012). - 3. C’est sur une approche inédite du Jam que le Global Service Jam (GSJ) a été initié. Tandis que les Jams d’IBM s’appuient principalement sur l’interaction via une plate-forme électronique, le GSJ se fonde également sur la rencontre physique de groupes d’individus restreints (Renault, 2012). Le GSJ se présente comme une opportunité pour chaque personne ou entreprise de créer et expérimenter un service innovant, dans un contexte de compétition amicale. Le concept intègre, en plus du côté novateur, une contrainte de temps nécessitant de travailler et de fédérer les forces en présence pour obtenir le résultat souhaité. En effet, les jammers n’ont que 48 heures pour développer leur projet avec un thème dévoilé le premier jour. Innovation, temps restreint et esprit d’équipe sont alors les maîtres mots de la formule. En 2011, c’était autour de la thématique du « super héros » que se sont mobilisés 1 263 jammers depuis 59 lieux du monde entier permettant de créer alors 203 concepts de services. En 2012, c’est sur le déploiement d’un service sur le thème du « trésor caché » que s’est investie une communauté de jammers encore plus conséquente. VICES ET VERTUS DU RECOURS A LA SAGESSE DES FOULES 3.1. Les bénéfices attendus du recours au crowdsourcing Côté organisations Les travaux de Lebraty (2009) mettent en relief trois principaux avantages liés au crowdsourcing. Le premier avantage est inhérent au coût faible et maîtrisé. De nombreux auteurs s’accordent ainsi sur le fait que le crowdsourcing est peu coûteux pour les organisations qui y ont recours (Lebraty, 2009 ; BurgerHelmchen et Pénin, 2011 ; Schenk et Guittard, 2011). Les deux cas de Jam présentés témoignent de cet aspect puisque les contributeurs s’inscrivent dans une démarche totalement bénévole. Concernant eYeka, seuls les gagnants empochent une somme préalablement définie – le principe du « concours créatif » permet, en effet, de ne récompenser que les projets sélectionnés. Le deuxième avantage est inhérent à la recherche de l’excellence. Ainsi, le recours à la foule constitue un incontournable gisement de connaissances (Surowiecki, 2008 ; Lebraty, 2009 ; Burger-Helmchen et Pénin, 2011). BurgerHelmchen et Pénin (2011) soulignent que le crowdsourcing implique un dépassement de soi des contributeurs : répondre à une problématique donnée est considéré comme un défi auquel une communauté de passionnés essaie d’apporter une réponse. Sur l’ensemble des cas étudiés nous avons ainsi pu 20 Impact des réseaux numériques dans les organisations observer à quel point les participants pouvaient s’investir dans les problématiques proposées. Le troisième avantage souligné par Lebraty relève du grand volume d’avis mobilisé. Ce sont par exemple 150 000 jammers qui participaient bénévolement à l’Innovation Jam d’IBM en 2006 ou plus modestement 571 participants pour le Nekoé Jam en 2010. Quant au Global Service Jam, il réunissait dans sa seconde édition en 2012 plus de 2 000 participants répartis dans 25 pays. Ainsi, c’est la diversité des profils de participants qui fait la force du crowdsourcing. La diversité est source de valeur selon Surowiecki (2008 : 64), elle « est une aide au sens où elle accroît les perspectives, et parce qu’elle annule, ou du moins affaiblit, certaines des caractéristiques destructives de la prise de décision en groupe » (Surowiecki, 2008 : 64). En permettant la rencontre d’individualités, d’idées, de connaissances (…) le crowdsourcing bénéficie des effets de la sérendipité. Il s’agit alors de provoquer un « hasard heureux » porteur de nouveaux projets. Enfin, dans un contexte de time-based competition, le crowdsourcing offre la possibilité d’accélérer les processus d’innovation et de lancer un nouveau produit ou service dans un espace-temps plus circonscrit. Le crowdsourcing s’appuyant le plus souvent sur des espaces électroniques, c’est aussi la flexibilité de l’outil électronique qui constitue un avantage (Felstiner, 2011). Côté « foule » Une recherche réalisée par eYeka en 2012 rend compte des gains ressentis par le collectif des participants aux démarches de crowdsourcing. C’est autour des 4 F : Fun, Fulfillment, Fame et Fortune que s’articule l’attrait de la foule pour les démarches de crowdsourcing (Pétavy et al, 2012). Les participants sont des passionnés qui cherchent à exercer leur passion dans un cadre stimulant, motivant, propice au partage et au déploiement de leur esprit créatif. L’amusement et le plaisir ressentis comptent parmi les moteurs puissants de la participation de la foule. Dans ce registre, les interviews que nous avons réalisées à l’issue des sessions de 2011 et 2012 du Global Service Jam témoignent de l’enthousiasme des participants à se plonger de manière récréative dans l’innovation par les services. La participation à une démarche de crowdsourcing est aussi une source d’accomplissement via le déploiement et le développement de ses compétences. Sur les expériences de Jam, experts ou amateurs ont l’opportunité d’échanger, de développer et de valoriser leurs savoirs et savoir-faire. Lorsque la démarche s’inscrit dans une perspective compétitive, comme c’est le cas pour eYeka, il s’agit pour les gagnants de l’opportunité de l’obtention d’une forme de reconnaissance, laquelle permettra peut-être de développer conséquemment leur réseau, leur réputation. En outre, le gain financier est une Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules 21 source de motivation non négligeable, gage de la reconnaissance de l’investissement dont les contributeurs font montre. Nombreux sont également ceux qui sont tout simplement curieux de la façon dont s’orchestre le crowdsourcing et souhaitent au travers leur participation s’imprégner de ce mode collaboratif. Cela a notamment été largement observé, lorsque nous avons interrogé les participants au Nekoé Jam. En effet, le Jam est encore méconnu dans le domaine du management et beaucoup souhaitent tout simplement savoir comment cela fonctionne. 3.2. Les limites du recours au crowdsourcing Côté organisations S’il ne manque pas d’éloges envers la foule, Surowiecki (2008) exprime également les principales difficultés liées à la gestion de la foule. Pour l’auteur, la foule pose notamment des problèmes de coordination et de coopération. Les problèmes de coordination « imposent au groupe de trouver comment coordonner leurs comportements les uns avec les autres, en sachant que chacun essaie de faire la même chose » (Surowiecki, 2008 : 25). Quant aux problèmes de coopération, ils rendent compte de la difficulté à travailler ensemble avec des intérêts particuliers distincts. Ces difficultés s’expriment dans les formes de Jam que nous avons observées. Faciliter la coordination et la coopération des jammers est en effet une opération délicate. Toutefois, en harmonie avec les observations de Surowiecki : « les groupes travaillent bien dans certaines conditions, et beaucoup moins bien dans d’autres. Les groupes requièrent généralement des lois pour préserver l’ordre et la cohérence et lorsque ces lois font défaut ou dysfonctionnent, des problèmes surgissent. » (Surowiecki, 2008 : 26). C’est la raison pour laquelle, dans l’ensemble des cas étudiés, des consignes régissent et encadrent le bon fonctionnement de la démarche créative. Surowiecki (2008) indique que les petits groupes présentent l’avantage d’être faciles à gérer, mais courent le risque de faire preuve de trop d’uniformité et d’être trop prompts au consensus. Trouver le consensus entre les membres d’un groupe de jammers dans le cadre du GSJ est une opération difficile qui implique le passage vers de nombreuses phases de vote et conduit au final à une forme d’uniformité et à l’émergence de schémas communs, lesquels au final peuvent entraver la créativité (Renault, 2012). Par ailleurs, parce que l’on sollicite la foule, les contributions peuvent être minimes mais elles peuvent tout au contraire être conséquentes. Comme l’indique Lebraty (Lebraty, 2009 : 159), on peut être en quête « du volume infini de la foule ». Se pose alors la question de la complexité d’abondance : il peut en effet se révéler difficile de sélectionner les idées les plus fécondes dans une masse d’information colossale (Schenk et Guittard, 2011). Le crowdsourcing permet d’exprimer de nouveaux besoins et usages, il faut toutefois savoir capter 22 Impact des réseaux numériques dans les organisations les signaux pertinents – forts ou faibles – émis parmi la somme immense d’informations recueillies. Cette difficulté est prégnante dans le cas du Jam d’IBM : comment détecter les signaux créateurs de valeur parmi des milliers de contributions ? La recherche de Lebraty (2009) souligne également une autre limite au crowdsourcing : la sécurité dans le sens où la description de l’activité ne doit pas conduire à exposer des vulnérabilités ou du moins à faire part de ses champs d’intérêt ou de recherche. Lorsqu’une entreprise ouvre un concours en ligne sur eYeka, c’est un signal fort qui peut être capté par ses principaux concurrents. Par ailleurs, Lebraty expose qu’un grand volume de connaissances tacites peut être nécessaire pour définir la tâche à accomplir, ce qui est éminemment rendu délicat via les interfaces électroniques. Enfin, la question de la qualité de la contribution de la foule est souvent posée par nos interlocuteurs dont certains soutiennent qu’elle ne saurait remplacer qualitativement la production d’experts. Selon Dujarier « après l’outsourcing, le crowdsourcing bat tous les records d’aubaine en termes de coûts de main d’œuvre. Bien entendu, cette concurrence est partiellement factice, dans la mesure où l’amateur n’est pas aussi compétent que le professionnel. Le savoir scientifique, la photo ou l’article d’actualité professionnelle peuvent continuer à être recherchés pour leur qualité, mais la frontière est troublée » (Dujarier, 2008 : 193). C’est sans doute ce pourquoi certaines plateformes de crowdsourcing mobilisent principalement des experts – tel est le cas d’Innocentive. Concernant les cas étudiés, si inéluctablement certaines productions sont faibles qualitativement, la force de la démarche provient de la conjugaison d’experts et d’amateurs autour de projets. Côté « foule » Les contributeurs aux démarches de crowdsourcing souffrent parfois d’une certaine asymétrie d’information mais également du fait que leur activité est peu rémunérée (Felstiner, 2011). Se pose conséquemment la question du risque moral et des éventuels comportements opportunistes quant à la question des droits de propriété intellectuelle (Burger-Helmchen et Pénin, 2010 ; Schenk et Guittard, 2011). Avec des propos pour le moins ironiques, Lechner (2010), s’appuyant sur une interview de Matteo Pasquinelli, met en avant le fait que l’internaute est souvent exploité à son insu. L’auteur évoque le crowdsourcing comme « une exploitation soft et sans douleur, parfois même consentie en échange de services gratuits ou de menues compensations financières » (Lechner, 2010 : 26). L’auteur signifie que « le secteur privé s’engraisse sur le don de la bête (autrement dit des internautes, blogueurs, indexeurs,[...]) exploitant sans vergogne la production collective de savoir et les « biens communs » sans rien ou quasi en retour » (Lechner, 2010 : 27). Les Jams sont à cet égard des formules de crowdsourcing où les individus s’investissent sans la moindre contrepartie Crowdsourcing : les enjeux de la sagesse des foules 23 financière. Dans le contexte d’eYeka les contributeurs sont investis dans un challenge créatif, où seules les meilleures productions sont récompensées financièrement. Dès lors, les freins inhérents à la participation à des démarches de crowdsourcing sont nombreux. Ainsi, selon Bellanger (2011), même si la formule est pleine de promesses, elle trouve cependant ses limites dans son modèle de R&D et d’innovation aux contours encore mal définis et où il existe autant de normes et de règles que de pratiques. Il est impossible de savoir lorsqu’un membre de la communauté soumet une idée sur la plate-forme eYeka si cette dernière, bien que non sélectionnée, ne sera pas une source d’inspiration future pour quiconque l’aura observée. Quant au Jam d’IBM, les jammers renoncent d’emblée aux droits de propriété intellectuelle des idées émises… CONCLUSION La sphère numérique permet aux organisations de tirer bénéfice de la sagesse de chacun des individus réunis autour de communautés électroniques. Pourtant, la foule peut échapper à la vigilance de ceux qui souhaitent bénéficier de sa puissance. La fameuse entreprise de textile GAP en a d’ailleurs fait les frais lorsqu’en 2010 la foule s’est insurgée contre son nouveau logo. Le 6 octobre 2010, Gap proposa alors son site Facebook aux internautes de soumettre leurs propositions via une opération de crowdsourcing : « Thanks for everyone’s input on the new logo! We’ve had the same logo for 20+ years, and this is just one of the things we’re changing. We know this logo created a lot of buzz and we’re thrilled to see passionate debates unfolding! So much so we’re asking you to share your designs. We love our version, but we’d like to see other ideas. Stay tuned for details in the next few days on this crowd sourcing project ». C’est alors que la grande majorité des soumissions convergèrent vers l’ancien carré bleu. Influencer ou manager la foule comptent ainsi parmi les défis majeurs auxquels sont confrontées les organisations. En pleine expansion, le crowdsourcing se déploie dans de nombreux domaines. Preuve en est fin 2011 avec les expériences de Darwin sur les émotions humaines qui se sont transformées en exercice de crowdsourcing en ligne (Hegarty, 2011). En 1868, Charles Darwin avait entrepris une étude pour prouver que les êtres humains, comme les animaux, ont un ensemble inné et universel d’expressions émotionnelles, autant de codes permettant de se comprendre les uns les autres. Afin de mener son étude, Darwin s’appuya sur une série de portraits réalisés par le Neurologue français Duchenne de Boulogne. Mais quel était le degré de précision des résultats de Darwin ? C'est ce que le Dr Pearn et son équipe de l’Université de Cambridge ont entrepris de découvrir avec un certain « anachronisme ». Ils ont créé un outil interactif en ligne qui permet au public de regarder chacun des 11 portraits et de donner leur propre interprétation de l'expression du visage photographié. Ce sont alors 24 Impact des réseaux numériques dans les organisations 18 392 personnes qui ont participé près de 150 ans plus tard à l’expérience de Darwin. Les différentes modalités de crowdsourcing sont ainsi en pleine explosion. Notre article avait pour objectif de mieux comprendre les principaux ressorts et enjeux du crowdsourcing. Tandis que certains appréhendent le crowdsourcing comme une menace, d’autres y voient une solution. En réalité, les choses doivent comme souvent être appréhendées de manière duale. Cette recherche constitue une proposition de synthèse des principaux enjeux du crowdsourcing pour les parties prenantes. Loin d’avoir épuisé la question, elle ouvre de nombreux autres questionnements : Quel rôle confier à une foule d’amateurs face aux experts ? Comment tirer le meilleur bénéfice de la puissance créatrice de la foule ? Si l’on considère la contribution de la foule comme un travail, la législation s’emparera-t-elle de la question de la rémunération de ces amateurs souvent bénévoles ?... BIBLIOGRAPHIE Bellanger Elsa, (2011), « Le "crowdsourcing" ou comment créer de la valeur grâce à l’expertise de la foule », Le Nouvel Economiste, 20 octobre 2011. Burger-Helmchen Thierry et Pénin Julien, (2010), « Crowdsourcing d’activités inventives : une analyse critique par les théories de l’entreprise », Conférence GECSO, Strasbourg, 27- 28 mai. 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La face cachée des relations sociales au sein des réseaux socio-numériques Cette communication s'inscrit dans le cadre d'une recherche expérimentale, ayant pour objet l'observation du fonctionnement des mécanismes transférentiels, au cours des échanges sur les réseaux socio-numériques (RSN) (la notion de transfert est ici entendue comme le déplacement sur les réseaux de représentation de tout ce qui a valeur de signifiant). Au stade actuel, la recherche établit la position du problème sur le terrain. Elle établit ce qui manque dans la littérature et qui pose un problème nécessitant un regard théorique, dont les hypothèses sont des solutions possibles. Elle contribue d’autre part à l'élaboration d'un protocole de recherche longitudinale. Les premiers résultats montrent que les réseaux socio-numériques ouvrent la voie du recentrage subjectif du sujet de manière opposée selon la nature de la relation de transfert. Le sujet trouve sa place au centre comme maître dans un univers. Toutefois, lorsqu'il se trouve pris au « piège du transfert », de qui est-il le maître ? Le sujet peut se trouver à être le jouet de l'Autre. Mots clés : Transformation, relation de transfert, relation d'objet, transmission psychique. The hidden side of the social relations within the socio-digital networks This communication lies within the scope of an experimental research, having for object the observation of the operation of the tranferential mechanisms, during exchanges on the sociodigital networks (the concept of transfer relates here to displacement on the networks of the representations and generally all that value of meaning.). With the current stage, research establishes the position of the problem on the ground. It establishes what misses in the literature and which poses a problem requiring a theorical glance, whose assumptions are possible solutions. It contributes in addition to the development of a protocol of longitudinal research. The first results show that the socio-digital networks open up the way of the subjective centering of the subject in an opposite way according to nature of the relation of transfer. The subject finds its niche in the center as Master in a universe. However, when it is taken with the “trap of the transfer”, of which is it the Master? The subject can be with being the toy of the other. Key words: Transformation, relation of transfer, object-relationship, psychic transmission La face cachée des relations sociales au sein des réseaux socio-numériques Daniel BONNET ISEOR, Université Jean Moulin Lyon 3 Cette communication explore la problématique de la face cachée de l'usage des réseaux socio-numériques. Elle vise à mieux comprendre le fonctionnement des mécanismes transférentiels au cours des échanges sur ces réseaux. La relation de transfert (encadré 01) existe toujours dans les infrastructures de la relation sociale, quelle que soit sa nature (professionnelle, pédagogique...). Elle détermine la relation à l'autre via une relation d'objet. Mais notre hypothèse est que le sujet se trouve généralement pris à son insu au « piège du transfert » sur les réseaux socio-numériques, consécutif de la condensation des flux de relations qui organisent la relation sociale au sein des communautés. Le transfert désigne le processus par lequel les désirs s’actualisent inconsciemment dans le cadre de la relation établie avec des objets et des personnes. Le transfert comporte le déplacement de l’affect afférent à une représentation (dont il se détache) sur d’autre(s) représentation(s) engendrées par la relation à cet objet ou à cette personne. Ce mécanisme réactualise une conduite émotionnelle d'origine infantile. C’est cette relation qui est analysée dans le cadre de la cure analytique au cours de laquelle le déplacement s’opère sur la personne du psychanalyste. La psychanalyse a montré que les relations sociales trouvent leur origine dans les structures psychiques qui se constituent au cours de la vie intra-utérine et infantile. La gestion de la relation de transfert implique de tenir une place et de gérer une juste distance pour ne pas se laisser prendre aux pièges du transfert. Encadré 01 : La relation de transfert Nous présentons préalablement les éléments de la revue de littérature, le terrain et le cadre théorique. Puis nous développons le sujet à partir des deux hypothèses autour desquelles se coordonne notre investigation, à savoir : l’hypothèse de la déliaison de la relation d'objet et consécutivement, l’hypothèse du « piège du transfert ». En conclusion, nous suggérons que la condensation des propriétés ambivalentes des relations entre les sujets, compte tenu des injonctions auxquelles ils se soumettent, organise le « piège du transfert ». 28 1. Impact des réseaux numériques dans les organisations REVUE DE LITTERATURE Les premiers travaux de recherche ont d’abord montré que les réseaux sociaux affaiblissaient la sociabilité, y compris dans les relations de proximité de l’entourage familial et amical (Kraut et al., 1998). Mais, cette recherche fût controversée, car d’autres travaux (Wellman et al., 2001) en soulignaient la complémentarité. Mais, des travaux récents soulèvent des questionnements sur le type d’investissements personnels que les personnes sont amenées à faire pour s’établir et se maintenir sur les réseaux sociaux-numériques (Tubaro, 2012). Les questionnements concernent plus particulièrement le dévoilement de soi et la construction identitaire (Coutant et Stenger, 2010). Les travaux de Coutant et Stenger (Ibid., 2010 : Graphique n° 1) montrent que les internautes, dont le profil est narcissique, sont plutôt connectés sur un public. A l'opposé, ils sont plutôt dans des relations collaboratives. Figure 01 : Topologie des interactions sur les RSN (Coutant et Stenger, 2010 : 13) Les travaux de Shanyang et al. (2008), réalisés à partir de l'étude de 63 comptes « Facebook », montrent une tendance au développement de comportements antinormatifs; les Internautes « montrent plutôt qu'ils ne disent », soulignent-ils. L'identité de groupe se construit dans l'exhibition. Ce qui est exposé incarne l’idéalisation de son image (Le Bourlot, 2011). Les recherches de Stern et Taylor (2007), sur un échantillon de 400 étudiants américains, montrent que ceux-ci s'emploient à vérifier régulièrement le statut de leur attachement et la fidélité de leurs amis. Ils exercent un contrôle pour que les informations négatives les concernant ne soient pas rendues publiques. Les travaux de Gangadharbatla (2007), concernant également des étudiants américains, montrent que ceux-ci négocient leurs relations de telle sorte qu'elles maintiennent un bon niveau d'estime de soi (self-esteem), d'appartenance et d'amour-propre. Les travaux de Le Bourlot (2011), qui a tissé lui-même des liens virtuels avec les internautes de son échantillon afin de partager avec eux l’expérience du virtuel, concernent plus largement la place du sujet dans l’ère technologique, et plus La face cachée des relations sociales au sein des réseaux socio-numériques 29 particulièrement sur les RSN. Il observe que « les liens entre la relation virtuelle et la relation de type narcissique sont notables, forme de relation facilitant un repli sur soi et allant ainsi dans le sens d’une non-rencontre avec l’autre-sujet, déliaison qui elle-même semble favorisée par certaines forces de notre société actuelle » (Le Bourlot, 2011 : 133). Il observe aussi que les sensations éprouvées ne font pas l’objet d’une métabolisation psychique, ce qui expliquerait le développement d’un langage fait de phrases courtes, rapides et séduisantes. 2. TERRAIN Le questionnement sur notre terrain de recherche nous conduit à tirer des conjectures. Le raisonnement logique est abductif. L’investigation s'appuie sur l'observation du comportement de jeunes adolescents (> 13 ans), d’adolescents et d'étudiants ayant une pratique quotidienne des réseaux socio-numériques, de « Facebook » notamment. Cette investigation, d’abord dans notre environnement relationnel, puis dans des lieux où il est possible de rencontrer des jeunes et des étudiants, a donné l’idée de la recherche. Notre attention a été retenue par le comportement addictif de quelques-uns. Les observations sont réalisées in situ, selon des périodes d’opportunités. Notre présence n’est pas anonyme, mais elle implique de ne procéder à aucune intrusion, ni implication. Par ailleurs, en respectant ce même principe, nous procédons à un investissement sur des sites de réseaux socionumériques (Facebook, Google+) à la lumière d’une revue de littérature psychanalytique. Il apparaît toutefois que la littérature ne traite pas le thème de la relation de transfert, bien qu’elle aborde le thème de la déliaison (Le Bourlot, 2011), et par conséquent ne dit rien sur le problème que pose le « piège du transfert ». Au fil de l’investigation, nous avons retenu d’articuler notre recherche autour de deux hypothèses : celle de la déliaison de la relation d'objet, et consécutivement celle du « piège du transfert ». Nous conservons le principe d’un mode de raisonnement logique de type abductif. 3. CADRE THEORIQUE Au stade actuel, la recherche a pour objectif de poser la problématique de recherche et les arguments de base du corps d’hypothèses qui constitue notre outil d'investigation, ainsi que stabiliser la configuration du dispositif d’observation et d’investigation. Il s’agit donc d’une recherche expérimentale. Le cadre théorique de base est celui de la théorie de l’attachement (Bowlby, 1970-2002 ; Winnicott, 1975), et plus particulièrement de la relation transférentielle (Freud, 2010a ; Lacan, 1966). Bowlby définit l'attachement comme un lien affectif entre un individu et une figure tiers, qui canalise une 30 Impact des réseaux numériques dans les organisations relation et un engagement. La poursuite de la recherche est envisagée en réalisant une approche empirique de la relation d'objet selon le modèle de Kernberg (1980) qui articule la représentation de soi et la représentation d'autrui. Sur le plan épistémologique, notre recherche s'inscrit dans le cadre constructivisme générique (Savall et Zardet, 2004) et de l'épistémologie freudienne. L'investigation à l'aune des travaux de Le Bourlot (2011) confirme que le lien entre la relation virtuelle et la relation narcissique est notable, entraînant le repli sur soi et une déliaison avec autrui. La relation virtuelle peut se figer dans une relation en miroir, souligne-t-il. Dans ce cas, nous avons analysé le processus de la déliaison à la relation d’objet. L'hypothèse de la déliaison suggère que la relation de transfert est de type négatif. Cet impact conduit à explorer le mécanisme du fonctionnement de la relation virtuelle à l'aune du « piège du transfert ». 4. L’HYPOTHESE D’UNE DELIAISON DE LA RELATION D’OBJET Les travaux de Coutant et Stenger (2010) et de Granjon (2011) invitent à une problématisation profonde de la notion d’amis pour éclairer les enjeux sousjacents, et comprendre comment les relations sur les réseaux sociaux sont vécues et interprétées par les personnes en relation. Coutant et Stenger (2010) posent la question de la réalité des réseaux sociaux : en quoi sont-ils pleinement sociaux, en regard de la spécificité de la dimension technique ? L’investigation est donc à envisager également du point de vue de l’injonction technologique (Jeanneret, 2007). Coutant et Stenger (2010) suggèrent aussi de retenir la dénomination de réseaux socio-numériques d’une part ; de réexaminer la réalité du lien social en regard des formes de sociabilité liées aux usages des techniques d’autre part. L’objet technique influence en effet la singularité des contenus et la narrativité. C’est le cas notamment sur les réseaux sociaux où les personnes construisent un langage spécifique. Pour Civin (2002), le développement des réseaux sociaux fournit d’immenses possibilités de projection des désirs. Les relations d’objet doivent y être considérées à l’aune de la notion « d’espace transitionnel », qui est chez Winnicott (1975) l’espace du développement psychologique ; la promesse transitionnelle s’actualise dans cet espace en fonction des conditions psychiques révélant l’efficience ou le déficit de l’équilibre psychologique des sujets (Civin, 2002 : 13). Sous certaines conditions, cette promesse peut être une source d’étayage des relations sociales. Elle est aussi celle du développement des perversités, et de la projection des frustrations. Mais, souligne Civin (2002 : 67), l’objet technique n’est pas par essence transitionnel. Il faut pour cela qu’il ait pris une certaine importance, et que cette importance confère une signification. Pour être efficient, l’objet technique doit trouver sa place dans un