L`ancien premier ministre Michel Rocard est mort

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L`ancien premier ministre Michel Rocard est mort
L’ancien premier ministre Michel
Rocard est mort
Premier ministre de François Mitterrand de 1988 à 1991, Michel Rocard
est mort samedi après-midi. Il avait 85 ans.
Michel Rocard, mort le samedi 2 juillet à l’âge de 85 ans, avait rêvé d’un
destin présidentiel. Il n’y sera jamais parvenu. Mais il y a aujourd’hui,
au sein du Parti socialiste, dans les ministères, dans les think tank de
la gauche qui rêvent de la refonder, quantité de ses disciples, nourris
par cette « deuxième gauche » sociale-démocrate, réaliste et
redistributrice qu’il avait fini par incarner.
Derrière une apparente simplicité, Michel Rocard, né le 23 août 1930 à
Courbevoie, fut un homme politique paradoxal et compliqué. Longtemps l’homme
politique le plus populaire de France, il était spontané voire impulsif,
sincère voire naïf, maladroit mais volontiers calculateur ; apôtre d’un
« parler vrai » parfois dévastateur, mais capable de manier sans broncher la
langue « de madrier », selon l’expression d’un de ses anciens conseillers ;
orateur parfois obscur, mais, en dehors des tribunes, d’un abord simple et
direct. Obsédé par l’idée d’être écouté, reconnu, respecté.
Lire aussi :
Michel Rocard, l’homme de la « deuxième gauche »
Ce dernier trait de sa personnalité ne peut pas être dissocié des relations
difficiles, mélange d’admiration et de frustration, qu’il avait avec son
père. Yves Rocard était un scientifique de haut niveau. Quand, à 17 ans,
Michel décida de faire Sciences-Po, il cessa d’être pris au sérieux par son
père, et tenta toute sa vie, parfois inconsciemment, de reconquérir son
estime. Yves était conservateur. Le jeune Michel fut progressiste, mais
intégra l’influence paternelle, en étant très vite proche d’un socialisme
humaniste, plus que du marxisme.
« Georgs Servet », son pseudonyme de militant
Michel Rocard s’engage dans la mouvance de la SFIO (ancêtre du PS) dès 1949
et devient six ans plus tard secrétaire national de l’Association des
étudiants socialistes. Déjà la SFIO bat de l’aile, empêtrée dans les
compromissions de la IVe République et les mensonges de la guerre d’Algérie.
Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris – où il milite à l’UNEF et
combat un dénommé… Jean-Marie Le Pen –, Michel Rocard sort de l’Ecole
nationale d’administration dans la promotion « Dix-huit juin », en 1958. Il
intègre alors l’inspection des finances. La même année, il quitte la SFIO,
découragé, comme tant d’autres, par la politique de Guy Mollet.
C’est là qu’il participe à l’organisation d’un parti de gauche, le Parti
socialiste autonome (PSA), dont le titre de gloire principal est d’avoir
refusé d’accueillir dans ses rangs… François Mitterrand. Le petit parti
deviendra le PSU en 1960. L’histoire de Michel Rocard se confond alors avec
celle de toute une génération qui, transitant au PSU, à l’UNEF ou ailleurs,
lutte contre la guerre d’Algérie. Après la fin du conflit, Michel Rocard, qui
a pris un pseudonyme, Georges Servet, pour que ses activités militantes
soient compatibles avec son statut de haut fonctionnaire, commence, déjà, à
se ranger dans une gauche « moderniste ».
Dès 1966 lors d’un meeting à Grenoble, « Georges Servet » affirme à la
tribune, que « la visée à long terme du socialisme n’est pas nécessairement
la nationalisation ». La déclaration rompt avec la culture dominante dans la
gauche de l’époque. Pour la première fois, le « pseudo » de Michel Rocard
apparaît dans un titre du Monde…
Le début d’une longue incompréhension avec
Mitterrand
Michel Rocard et François Mitterrand, eux, ne se connaissent encore que de
réputation. Ils se rencontrent lors des négociations pour les législatives de
1967 (Rocard est lui-même candidat sans succès, dans les Yvelines). C’est le
début d’une longue incompréhension entre le terrien de province amoureux des
arbres et l’urbain qui trouvera longtemps l’évasion sur un bateau à voile, au
large de la Bretagne.
Michel Rocard prend la tête du PSU en juin 1967. Ce petit parti, débordant de
militants brillants, devait réveiller et rénover la gauche. Il sera, selon
son expression, un « laboratoire terrifiant » où l’on s’épuise dans des
débats stériles et sans fin. Après avoir mis le général de Gaulle en
ballottage en 1965, Mitterrand est l’homme qui monte à gauche. Mais Michel
Rocard ne veut toujours pas travailler avec lui. Arrive Mai 68. Il est au
premier rang des manifestations avec les dirigeants gauchistes, alors que
Mitterrand et ses amis courent derrière le mouvement, sans le rattraper. Pour
Michel Rocard, c’est une victoire fatale : après Mai, il s’enferre avec le
PSU dans un gauchisme débridé. Pourtant, 1969 marque aussi la véritable
découverte de son personnage par le grand public. Candidat du PSU à la
présidentielle provoquée par le départ anticipé du général de Gaulle, Michel
Rocard fait 3,66 % des voix. C’est peu, mais la SFIO dépasse à peine 5 %.
Le PSU continue pourtant son existence groupusculaire. Au congrès d’Epinay de
juin 1971, lorsque François Mitterrand lance le PS dans l’aventure de l’union
de la gauche, Rocard ne comprend pas l’importance de cette nouvelle
stratégie. Il perd son mandat de député et attend 1974 pour soutenir la
candidature de Mitterrand à la présidentielle et rejoindre le PS. Venu de
l’extrême gauche, il passe directement à la « droite » du PS en incarnant
désormais une « deuxième gauche », souvent d’origine chrétienne, plus
décentralisatrice, préférant la recherche du consensus à l’affrontement,
l’autonomie de la « société civile » au tout Etat.
En septembre 1975, Michel Rocard entre au secrétariat national du PS.
En 1977, il est élu maire de Conflans-Sainte-Honorine. Au congrès de Nantes,
la même année, il prononce un discours resté célèbre, sur les « deux
cultures » qui structurent la gauche. La rupture entre socialistes et
communistes fait perdre à la gauche les législatives de 1978. Michel Rocard,
lui, récupère son fauteuil de député des Yvelines. Mais au soir du second
tour, à la télévision, il exprime en quelques mots, la déception et
l’amertume de la gauche, et aussi sa foi dans l’avenir. La déclaration
respire la spontanéité. En fait, elle a été répétée à l’avance et Rocard, à
partir de là, conservera longtemps la faveur des médias et des sondages.
En 1979, au congrès de Metz, allié à Pierre Mauroy, il passe dans
l’opposition à François Mitterrand. Le premier secrétaire et ses alliés
prônent la « rupture avec le capitalisme », Michel Rocard n’y croit pas.
En 1980, il décide de s’appuyer sur sa popularité et de presser le mouvement.
Le 19 octobre, depuis sa mairie de Conflans, il annonce sa candidature, mais
seulement si Mitterrand n’est pas lui-même candidat. Sa déclaration est
malhabile, mal filmée. Lorsque, le 8 novembre, François Mitterrand se
déclare, Rocard, mortifié, ne peut que se retirer.
Premier ministre de l’« ouverture »
Avril 1985. Après la victoire de 1981 et un passage au ministère du Plan,
Michel Rocard est à l’agriculture. Le 3 avril, le scrutin proportionnel est
adopté pour les législatives de 1986. Dans la nuit du 3 au 4, il présente sa
démission. Il justifie sa décision par son opposition à ce mode de scrutin
qui va amener pour la première fois le Front National à l’Assemblée. Chacun
sait pourtant qu’il a l’échéance de 1988 en tête.
En mars 1988, François Mitterrand, annonce sa candidature à sa propre
succession, sonnant la fin de la « récréation Rocard ». Une fois réélu,
pourtant, il envoie à Matignon celui des socialistes qu’il juge le plus « en
situation », quoi qu’il en pense sur le fond. Michel Rocard est le premier
ministre de l’« ouverture ». Ses gouvernements intègrent des membres de la
société civile, voire quelques transfuges de l’opposition. Pendant la
campagne, François Mitterrand a affirmé qu’il n’est « pas sain » qu’un seul
parti ait la majorité. Les électeurs l’ont si bien suivi que Michel Rocard ne
dispose à l’Assemblée nationale que d’une majorité relative, qui le conduit à
un jeu de bascule permanent, pour s’appuyer soit sur le PC, soit sur une
partie des centristes.
Dans des conditions très inconfortables, le premier ministre, tétanisé par
son face à face avec François Mitterrand, mène pourtant à bien un certain
nombre de réformes, parfois tambour battant comme pour la création du Revenu
minimum d’insertion (RMI) qui entrera en vigueur dès le 1er décembre 1988. Il
ramène la paix civile en Nouvelle-Calédonie et institue la Contribution
sociale généralisée (CSG)… Au sein de son cabinet, le jeune Manuel Valls
entame son parcours politique qu’il placera désormais dans le sillage de
Rocard.
Le temps creuse le fossé entre le président et son premier ministre. La
première guerre du Golfe lui donne un sursis. Mais le 15 mai 1991, un
mercredi, Michel Rocard se retrouve congédié en quelques minutes.
La fin des espérances
Les échecs de ses successeurs, Edith Cresson puis Pierre Beregovoy le
laissent espérer que son destin politique n’est pas encore joué. En
avril 1993, il réclame un « big bang » du PS, dont il devient premier
secrétaire après le désastre des législatives. Le 29 mai 1994, il annonce que
« rien », cette fois, ne l’empêchera d’être candidat à la présidentielle de
1995, où on sait que François Mitterrand ne se représentera pas. Mais aux
européennes de juin, alors que le président de la République a laissé Bernard
Tapie conduire une liste radicale de gauche, le PS, dont les candidats sont
menés par le premier secrétaire, s’effondre à 14,5 % des suffrages.
Michel Rocard est débarqué, sans ménagement. C’est la fin de ses espérances.
Il abandonne à l’automne la mairie de Conflans, après presque de vingt ans de
mandat. Il ne sera jamais président de la République.
Son monde a changé. Il n’aime pas l’évolution des médias, le règne de la
dérision et le déclin du pouvoir politique. « La profession politique ne
bénéficie plus du respect qu’on avait pour elle du temps où elle passait pour
efficace, c’est-à-dire du temps du plein-emploi, avait-il confié au Monde (Le
Monde2 du 7 mars 2004). Aujourd’hui, on nous insulte, on nous veut pauvre et
on nous moque (…) Ce qui fait que ne viendront plus que les ratés de leur
profession. »
Il ne s’y résout pas cependant. La victoire de Ségolène Royal aux primaires
socialistes, en 2006, l’accable. Un mois avant le premier tour de l’élection
présidentielle, il tente en vain de la convaincre de se désister… en sa
faveur. Puis, quelques jours plus tard, se prononce dans Le Monde pour un
accord « Royal/Bayrou » afin de battre Nicolas Sarkozy. On a fait meilleur
camarade…
« Il faut s’habituer à être moins attendu »
Le 30 juin 2007, à 77 ans, victime d’une hémorragie cérébrale en Inde, il est
transporté dans un état grave à l’hôpital de Calcutta. Une fois rétabli, il
continue de fumer, boit vin blanc et rouge au déjeuner, dévore des dizaines
de livres. Michel Rocard n’ignore pas, cependant, qu’il lui faut peu à peu
décrocher. Il démissionne du Parlement européen en janvier 2009, sous les
ovations des députés. S’installe sur les Champs-Elysées, dans les locaux de
la Fondation Terra Nova, un think tank proche du PS. Et… continue à
travailler. Nicolas Sarkozy s’est vanté d’être le « DRH » du PS ? Il lui
confie dès le printemps 2009 une série de responsabilités : un rapport sur la
taxe carbone, la co-présidence avec Alain Juppé d’une commission chargée de
réfléchir à la mise en œuvre d’un grand emprunt national et le nomme
ambassadeur de France chargé des négociations relatives aux pôles Arctique et
Antarctique. Le voici sur la banquise, à 80 ans.
Michel Rocard ne cachait pas, cependant, que son voyage le plus difficile
restait son arrivée dans le grand âge. Lui qui vivait avec sa quatrième
épouse dans une maison remplie de chien et chats et avait encore réuni 300
personnes pour fêter son anniversaire, il constatait : « La vie active
s’arrête à 60 ans, on devient caduc à 65 et les gens pensent que l’on sucre
les fraises à 70. Il faut s’habituer à être moins attendu, à n’avoir plus
d’avenir, quoi ! » Intellectuellement, pourtant il en aurait remontré à
beaucoup.
Le 9 octobre 2015, François Hollande avait remis à un Rocard, frêle et
souriant, la grand-croix de la Légion d’Honneur. Ces derniers mois, avant que
la maladie ne l’affaiblisse trop, chaque fois qu’on allait lui rendre visite,
on le trouvait encore au travail, son bureau encombré de livres dont il
recommandait volontiers la lecture. Presqu’à chaque fois on l’a entendu faire
cette recommandation, en raccompagnant son visiteur à la porte : « N’oubliez
pas : chaque nouveau quart d’heure est tout bénéfice… »
Michel Rocard en 11 dates
23 août 1930 : Naissance à Courbevoie (Hauts-de-Seine)
1949 : Adhère à la SFIO
1958 : Adhère au Parti socialiste autonome (PSA), qui devient le Parti
socialiste unifié (PSU)
1969 : Candidat du PSU à l’élection présidentielle, où il recueille 3,61 %
des suffrages. La même année, il devient député des Yvelines.
1974 : Rejoint le Parti socialiste
1977 : Est élu maire de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines)
1983-1985 : Ministre de l’agriculture
1988-1991 : Premier ministre
1993-1994 : Premier secrétaire du Parti socialiste
1994-2009 : Député européen
2 juillet 2016 : Mort à l’âge de 85 ans
Jean-Louis Andreani
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Source :© L’ancien premier ministre Michel Rocard est mort