L`ENFANT et L` IMAGE : télévision, internet, jeux vidéo

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L`ENFANT et L` IMAGE : télévision, internet, jeux vidéo
Mardi 28 Février 2006
L’ENFANT et L’ IMAGE : télévision,
internet, jeux vidéo
Réguler le flux des images, jugé comme quantitativement trop important et
qualitativement nuisible par son caractère souvent violent ou pornographique, telle est l’une
des préoccupations sociales et politiques majeure à l’heure actuelle. Mais pour définir quels
moyens devraient être utilement développés pour permettre aux jeunes - et aux moins jeunes de vivre en bonne intelligence avec ces images qui constituent leur environnement quotidien,
il convient au préalable de comprendre quelles relations que nous entretenons avec elles, et de
quelle manière nous nous les approprions (ou pas).
Il faut se rendre compte que la révolution qui est en train de s'opérer dans notre
relation aux images ne se mesure pas seulement en termes quantitatifs. Il y a plus d'images
autour de nous, c'est vrai. Mais ce qui est bien plus important à prendre en compte, c'est que la
relation que les jeunes ont avec les images change fondamentalement par rapport aux
générations précédentes. Nous ne sommes plus seulement devant l’image, mais dans un
rapport d’interaction avec elle. L’image n’est pas, comme nous avons longtemps eu tendance
à le penser, une représentation purement visuelle, mais un ensemble à la fois visuel, affectif,
sensoriel et moteur. Cependant pour bien aborder la question des images, cela ne suffit pas.
Nous devons, face à elles, apprendre à faire deux deuils majeurs : celui de l’image comme
reflet - parce qu’aucune image n’est un pur reflet du monde et que toutes sont des
constructions ; et celui de l’image comme signification - croire que nous aimons les images
parce qu’elles voudraient dire quelque chose manque la vérité de notre rapport aux images en
laissant de côté la dynamique du désir qui s’y joue.
Pendant longtemps, les effets des images, notamment celles de télévision, ont été
pensés en terme d’identification. L’enfant qui voyait un personnage accomplir certains actes
au cinéma ou à la télévision risquait de s’identifier à lui. En fait, on s’est aperçu que ce
modèle de transmission était naïf. Le destin des images que nous voyons peut emprunter deux
voies dans notre psychisme : ces images peuvent être assimilées/digérées et venir enrichir
notre monde intérieur (c’est le travail d’assimilation des images ou introjection), ou bien elles
peuvent se constituer en obstacle pour la pensée (c’est le phénomène de l’inclusion
psychique). Dans cette seconde situation, lorsque l’esprit se trouve paralysé par une image,
c’est toujours que celle-ci est entrée en résonance avec une expérience traumatisante de notre
vie. Les effets des images sur nous dépendent donc de nombreux facteurs. Tout d'abord, le
spectateur est confronté à un contenu qu'il va appréhender avec son histoire personnelle, ses
fantasmes, ses attentes, mais aussi ses traumatismes passés éventuels. Ensuite, ce spectateur
va également tenir compte des réactions que son groupe de rattachement manifeste - ou
pourrait manifester - à ce qu'il regarde : il souhaite en général y être intégré (phénomène très
prégnant chez les adolescents), mais peut aussi désirer s'en démarquer.
La recherche menée sur trois ans par Serge Tisseroni dans des collèges de la région
parisienne sur l’impact émotionnel des images violentes chez les jeunes a montré que ces
images, de manière générale, constituent un stress, mais pas forcément un traumatisme. Pour
éviter la constitution de celui-ci, les enfants utilisent en effet trois moyens complémentaires :
mettre des mots sur ce qu’ils ont vu, élaborer des scénarios intérieurs à partir de ce qu’ils ont
vu, et laisser libre cours à des manifestations non verbales comme les mimiques et les gestes.
Ces trois moyens leur permettent d’assimiler les effets des images sur eux. Si ces moyens se
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trouvent mis en échec, quelle qu’en soit la raison, alors
l’image violente peut faire traumatisme et faire le lit de la
violence des groupes. Car alors l’enfant ou l’adolescent,
sidéré, malmené, angoissé, sera particulièrement tenté
d’adopter les repères proposés par son groupe
d’appartenance voire par le leader de ce groupe. Ces
moyens d’assimilation des images, que les jeunes ont spontanément tendance à mettre en
place, doivent donc être encouragés, soutenus, et développés dans le cadre d’une véritable
politique d’éducation aux images. Car réglementer les images violentes est peut-être
nécessaire, mais ce n’est en aucun cas suffisant. D’abord parce que la multiplicité actuelle des
supports d’images rend le contrôle total illusoire. Ensuite parce que régler le problème par la
censure des images violentes supposerait de savoir parfaitement définir ce qu’est une image
violente. En troisième lieu parce qu’une image traumatisante pour une personne peut se
révéler tout à fait banale et anodine pour une autre. Enfin parce que l’être humain, parfois, et
quel que soit son âge, recherche des spectacles violents parce qu’il en ressent le besoin...
Une éducation aux images ne doit pas poursuivre le but d’apprendre aux enfants à
distinguer les bonnes images des mauvaises, la subjectivité étant trop importante - et
précieuse ! - dans ce domaine. Mais elle doit permettre à chacun de vivre en bonne entente
avec l’ensemble des images auxquelles il risque à tout moment d’être confronté.
Docteur Marie-Noëlle Clément, Psychiatre
i
Tisseron S., Enfants sous influence : les écrans rendent-ils les jeunes violents, Ed. Armand Colin,
2000.
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