Argumentaire économique pour un régime public universel d

Transcription

Argumentaire économique pour un régime public universel d
Argumentaire économique
pour un régime public universel
d’assurancemédicaments
Journée d’étude de l’Union des consommateurs sur le contrôle du coût des
médicaments, UQAM, 21 octobre 2010.
Par Marc-André Gagnon*, PhD
Professeur, School of Public Policy and Administration (Carleton University)
Chercheur Pharmaceutical Policy Research Collaboration
Research Fellow with Edmond J. Safra Center for Ethics (Harvard University)
Researcher with the Centre for Intellectual Property Policy (McGill University)
[email protected]
*Recherches en cours financées par le Fonds de Recherche sur la Société et la Culture, Faculty of Public Affairs (Carleton University),
Edmond J. Safra Center for Ethics (Harvard University), Health Canada, Canadian Health Coalition, The Innovation Partnership et
Assemblée Nationale du Québec.
1. Un accès inéquitable
•Malgré que tous les Québécois bénéficient d’une assurance-médicaments,
publique ou privée, 4.4% des Québécois admettent ne pas avoir respecté au
moins une prescription du médecin dans les 12 derniers mois étant donné les
coûts financiers (Kennedy and Morgan 2009).
•La gratuité des médicaments améliore la qualité des traitements (adhérence et
observance): par exemple, pour les patients ayant subi un infarctus du myocarde,
la gratuité des médicaments allonge leur vie d’un an en moyenne. (Dhalla & al. 2009)
•Les primes d’assurance-médicaments des régimes privés sont parfois
déraisonnables:
Calculs à partir de documents internes de la SARTEC: une famille avec un
revenu de 20 000$/année peut se retrouver à payer un total de primes et de
contributions de 2503.90$/année seulement pour l’achat de ses
médicaments, soit 12.5% du revenu brut total. En comparaison, gratuité des
médicaments pour les assistés sociaux.
•Étant donné la diversité des régimes privés au Québec, et puisque les
contributions (primes, franchises et quote-parts) peuvent être très élevés, la
situation financière des individus détermine toujours leur niveau d’accès aux
médicaments.
2. Incapacité de contenir les coûts (CIHI 2010)
•Le Québec a dépensé $6.85 Md en médicaments prescrits en 2009.
•Les dépenses en médicaments prescrits représentaient 6% des dépenses
totales en santé en 1985, et représentent maintenant 18% des dépenses
totales en santé en 2009.
•Entre 1985 et 2009, les dépenses totales en santé ont augmenté en
moyenne de 5.8% par année, alors que les dépenses en médicaments
prescrits ont augmenté en moyenne de 10.8% par année.
•Les dépenses en médicaments prescrits constituent le poste ayant le plus
contribué à l’augmentation des dépenses en santé au Québec. À eux seuls,
ils sont responsables de 22.2% de l’ensemble de la hausse des dépenses de
santé depuis 1985.
•Les dépenses publiques représentent seulement 49% des dépenses en
médicaments prescrits, et 51% des dépenses proviennent des assureurs
privés ou des dépenses personnelles des patients. (43% et 57%
respectivement si on inclut les médicaments non-prescrits).
Prix de détail relatifs pour un même volume de produits
pharmaceutiques dans les pays de l'OCDE et le Québec,
2005
(US $, taux de change du marché, incluant génériques et médicaments d’origine)
Prix de détail = Prix du manufacturier + profit du grossiste + profit de la pharmacie + frais d’ordonnance + taxes
Source : OCDE 2008 - Eurostat OECD PPP Program, 2007, Rx Atlas 2008
200
180
160
140
120
100
80
60
40
20
0
Note: En Suisse, 94% des coûts des médicaments sont payés par des dépenses publiques alors que c’est seulement 43% au
Québec et 45% au Canada. En Suisse, le ratio de R&D pharmaceutique sur les ventes est de 113%, alors qu’il est d’environ 11.8%
au Québec et 7.5% pour l’ensemble du Canada. (PMPRB 2010) Les hauts prix en Suisse sont logiques : le gouvernement choisit
de dépenser plus pour attirer l’industrie pharmaceutique et bénéficie de retombées gigantesques. Avec un ratio R&D/ventes de
seulement 11.8%, et en ne couvrant pas ces dépenses publiquement, les hauts prix du Québec sont injustifiables.
Croissance annuelle réelle moyenne des coûts en
médicaments prescrits, de 2001 à 2007 (%)
8
7
6
5
4
3
2
1
0
*: Average based on available data from 2004 to 2007.
Sources : ICIS; Statistiques Canada; OECD Health Data 2009; OECD Main Economic Indicators; NHS Information Centre 2009
L’assurance privée est inefficace
• Frais d’administration élevés: 8% pour les assureurs privés, 2% pour la RAMQ.
• Incapacité de marchander des meilleurs prix: Lorsque l’Ontario a réduit le prix payé
par son régime public d’assurance-médicaments pour ses médicaments génériques, les
compagnies de génériques ont compensé en augmentant le prix des génériques pour
les régimes privés. Avant l’introduction de la loi ontarienne en 2006 pour réduire le
coût des génériques, en prenant pour exemple un médicament d’origine qui coûtait
100$, le régime public payait en moyenne 75.41$ pour le générique et un assureur
privé payait en moyenne 79.30$. Après l’introduction de la loi, le régime public payait
en moyenne 61$ et un assureur privé payait 87$ pour le même médicament générique.
(Silversides 2009)
•Pas de réal incitatif à réduire les coûts: La plupart des régimes privés offerts par les
employeurs sont gérés à l’externe par des compagnies d’assurance qui sont rémunérées
en pourcentage des dépenses. Les compagnies d’assurances n’ont aucun incitatif
financier à réduire les coûts et les dépenses, au contraire (Silversides 2009).
•Pas de discrimination des nouveaux médicaments sans bénéfice thérapeutique: Les
assureurs privés ne recourent pas à des programmes d’évaluation de médicaments afin
d’assurer que les médicaments remboursés sont efficaces par rapport à leur coût.
•Principal facteur d’augmentation des coûts des médicaments: Les primes des régimes
privés ont augmenté annuellement de 15% dans les années 2000, alors que les coûts
des médicaments augmentaient de 8%. (CHC 2008; CIHI 2010)
État de la situation:
La politique québécoise pour assurer l’accès aux
médicaments est un échec
•Accès aux médicaments reste déficient au Québec, et
plusieurs patients ne peuvent toujours pas respecter les
prescriptions pour une question de coûts.
•La répartition du fardeau financier pour défrayer les coûts
en médicaments reste inéquitable.
•La pérennité du système est impossible puisque le Québec
n’arrive pas à contenir les coûts.
Le discours politique ambiant soutient qu’un régime public universel
d’assurance-médicaments à partir du premier dollar dépensé serait
irresponsable en termes de finances publiques puisque les coûts seraient
beaucoup trop élevés. Toutefois, c’est la multiplicité des régimes
d’assurance-médicaments, publics et privés, qui empêche la réalisation
d’économies importantes sur les coûts.
Scénario 1 : Régime public universel d’assurance-médicaments avec
continuité des politiques industrielles en matière de coûts
Dépenses actuelles en médicaments prescrits
$ 25 141 M
Répartition des coûts/bénéfices en médicaments prescrits
Hausse des dépenses par hausse de consommation
Baisse des dépenses par baisse des frais d’ordonnance
Baisse des dépenses par évaluation des médicaments
Élimination des franchises mensuelles au Québec
Élimination du régime des ristournes pour les génériques
Total des économies en médicaments prescrits
+10% des dépenses actuelles
-2% des dépenses actuelles
-8% des dépenses actuelles
$ 144 M
$ 1 310 M
-
Total des dépenses en médicaments prescrits avec un régime public
universel d’assurance-médicaments
$ 1 454 M
$ 23 687M
Impacts supplémentaires autres que pour médicaments prescrits
Élimination des surcoûts administratifs des régimes privés
Élimination des subventions à caractère fiscal
-
$ 560 M
$ 933 M
Total des impacts supplémentaires
-
$ 1 493 M
Bilan total des économies réalisées
$ 2 947 M (11.7%)
Scénario 2 : Régime public universel d’assurance-médicaments avec mise à niveau
des politiques industrielles en matière de coût avec les autres pays de l’OCDE
Dépenses actuelles en médicaments prescrits
$ 25 141 M
Répartition des coûts/bénéfices en médicaments prescrits
Hausse des dépenses par hausse de consommation
Baisse des dépenses par baisse des frais d’ordonnance
Baisse des dépenses par évaluation des médicaments
Élimination des franchises mensuelles au Québec
Élimination du régime des ristournes pour les génériques
Élimination de la règle de 15 ans au Québec
Révision du mode de fixation des prix par CEPMB
Total des économies en médicaments prescrits
+10% des dépenses actuelles
-2% des dépenses actuelles
-8% des dépenses actuelles
$ 144 M
$ 1 310 M
$ 102 M
$ 1 430 M
$ 2 986 M
Total des dépenses en médicaments prescrits avec un régime public
universel d’assurance-médicaments
$ 22 155 M
Impacts supplémentaires autres que pour médicaments prescrits
Élimination des surcoûts administratifs des régimes privés
Élimination des subventions à caractère fiscal
Total des impacts supplémentaires
Bilan total des économies réalisées
-
$ 560 M
$ 933 M
$ 1 493 M
$ 4 479 M (17.8%)
Scénario 3 : Régime public universel d’assurance-médicaments avec abrogation
des politiques industrielles en matière de coût (Modèle kiwi)
Dépenses actuelles en médicaments prescrits
$ 25 141 M
Répartition des coûts/bénéfices en médicaments prescrits
Économies par achats compétitif
Hausse des dépenses par hausse de consommation
-
$10 200 M
+10% des dépenses
Baisse des dépenses par baisse des frais d’ordonnance
-2% des dépenses
Élimination des franchises mensuelles au Québec
-
$ 144 M
Élimination de la règle de 15 ans au Québec
-
$ 102 M
Total des économies en médicaments prescrits
-
$ 9 251 M
Total des dépenses en médicaments prescrits avec un régime public
universel d’assurance-médicaments
$ 15 890 M
Impacts supplémentaires autres que pour médicaments prescrits
Élimination des surcoûts administratifs des régimes privés
-
$ 560 M
Élimination des subventions à caractère fiscal
-
$ 933 M
Total des impacts supplémentaires
-
$ 1 493 M
Bilan total des économies réalisées
$ 10 744 M (42.7%)
Un régime universel public d’assurance-médicaments pour le
Québec, à partir du premier dollar dépensé
CONCLUSIONS
•Le Québec est la pire province au Canada pour contenir les coûts
des médicaments : les prix y sont plus chers et ils augmentent plus
rapidement. La cause n’est pas l’universalité de la couverture mais
plutôt l’absence de volonté politique pour éviter le gaspillage et
l’iniquité.
•Une couverture publique complète pour les dépenses en
médicaments de tous les Québécois est non seulement le meilleur
régime en termes d’équité et d’innocuité des traitements, c’est aussi
la meilleure solution pour réduire les coûts et la croissance des
coûts.
•Un tel régime permettrait de réaliser des économies encore plus
substantielles par l’abrogation des politiques d’innovation visant à
accroître artificiellement les coûts des médicaments.
Principaux Obstacles
• Passer du financement privé au public (augmenter les impôts):
•Les employés du secteur public (financés par nos impôts) constituent 23%
des travailleurs au Québec, et sont tous assurés par le privé.
•Québec impose les employés pour les contributions des employeurs à
l’assurance-médicaments, donc impact fiscal moindre que pour les autres
provinces.
•Si le Québec pouvait de plus aller chercher une contribution du fédéral de
l’ordre de 22% (comme pour l’assurance-maladie), il pourrait alors même
dégager des économies importantes sur son budget avec le modèle kiwi.
•Dans tous les cas, on ne fait que remplacer une retenue à la source par une
autre moindre, augmentant par le fait même le revenu disponible par
travailleurs jusqu’à 750$/année.
Aucune raison économique ne peut justifier la nonimplantation d’un régime public universel d’assurancemédicaments. Le principal obstacle n’est pas les coûts, bien
au contraire. Le principal obstacle est seulement le manque
de volonté politique.