le_monde/pages 15/03/05
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30/LE MONDE/MARDI 15 MARS 2005 CULTURE chanson La jeune femme, auteur-compositeurinterprète, se produit à Paris à guichets fermés b Sélection CD Daft Punk, léger et distrayant banu cennetoglu/emi france/virgin Camille, l’énergie en liberté Camille dessine en direct, à l’eye liner, un fil, des yeux (la larme) au doigt (la bague). AU THÉÂTRE des Blancs-Manteaux, Camille est comme la chèvre de Monsieur Seguin, une Blanchette ivre de liberté, une fois ouvertes les portes de la cage aux chansons. La sauvageonne ne s’embarrasse d’aucune forme : elle a une voix formidable. Alors, elle batifole, elle mange les herbes vierges, elle gambade, elle galope du grave à l’aigu, bat des mains, danse des claquettes, mais pieds nus. Camille, 27 ans, vient de publier un album, Le Fil, son deuxième, largement au-dessus de la mêlée. Auparavant, elle a chanté avec le groupe électro Nouvelle Vague ou sur la bande originale du documentaire de Jacques Malaterre Homo Sapiens, composée par un iconoclaste des sons, Louis Dandrel. Elle a fait les chœurs chez Jean-Louis Murat (sur l’album Lilith et le DVD Parfum d’acacia au jardin), chez Gérard Manset (sur Langage oublié), de quoi affirmer des filiations. Mais comme elle assimile ses aînés Pygmalion à des geôliers, avec toute l’affection qu’elle leur porte, elle leur colle une chanson au second degré, très gainsbourienne (autre guide pour jolies femmes), Baby Carni Bird : « La route était barrée, quand il m’a renversée un soir au nord de Nice… » Le fil, qu’elle se dessine en direct à l’eye liner, des yeux (la larme) au doigt (la bague), c’est, du point de vue sonore, un bourdon, une note tenue dans l’intégralité du disque. Et présente dans le minuscule cabaret (ex-Pizza du Marais, lieu des débuts de Jacques Higelin, Renaud ou Bernard Lavilliers) où, avec beaucoup de mémoire, Camille a décidé de créer sa nouvelle prestation scénique. Elle y transpose le précieux travail sur les rythmes (les battements de mains) et les voix réalisé pour l’album, entourée de Sly (Martin Gamet) et de MaJiker (Matthew Ker, aux machines, à l’accordéon). Le Saïan Supa Crew, auquel appartient Sly, s’est illustré dans le rap français en renouant avec le hiphop des origines où les sons des instruments étaient reproduits par la voix humaine (« human beat box »), une technique reprise dans le Bronx après 1970, mais pratiquée depuis la nuit des temps chez les Zoulous comme chez les Lapons, en Amazonie comme en Asie centrale. Björk en a fait un album entier, Medulla, paru en 2004, alors que Camille travaillait au sien. La comparaison s’arrête là. Quel loup pourrait donc croquer cette Camille en liberté ? Ellemême, avec son énergie débridée, qui fait voler en éclats par des exercices expérimentaux de cantatrice sans lois quelques-unes des chansons plutôt drôles de son premier album de chanson française, Le Sac des filles. La maligne Camille rentre à la maison (la chanson) encore insoumise, mais conquise : toujours flanquée de sa paire de batteurs de mains, de souffleurs de sons, elle succombe à la magie de la mélodie et des textes en crépuscule qu’elle a composés : Pâle Septembre, Quand je marche, Petit Vieux sont de très belles chansons servies par une présence effrontée, une énergie déterminée. Véronique Mortaigne Théâtre des Blancs-Manteaux, 15, rue des Blancs-Manteaux, Mo Hôtel-deVille. Du 16 au 19 mars à 21 h 30. Complet. Tél. : 01-48-87-15-84. A écouter : concert « Black Session », de Bernard Lenoir sur France Inter lundi 11 avril à 21 heures. Le Fil, 1 CD Virgin/EMI. musique électronique Comment survivre à la mort d’une vague qui vous a portés, à la retombée inévitable d’une tempête qui a gonflé vos voiles ? Daft Punk a été en tête et au cœur d’un phénomène amplifié par l’air du temps, le marketing, l’emballement médiatique et, surtout, l’intuition des membres de ce duo – Thomas Bangalter et Guy Manuel de Homem-Christo –, catalyseurs inspirés de l’explosion house et techno. Si l’attente est encore forte, comme l’a prouvé le petit ramdam qui a précédé, sur Internet (Le Monde du 17 février), la sortie de ce troisième album studio, le duo français ne possède plus d’aura messianique dans un monde qui a digéré la révolution électronique, redécouvert les guitares et fusionné l’ensemble dans une suite de clins d’œil postmodernistes. Le tranchant de Daft Punk était celui de précurseurs. En 1996, l’album Homework formulait, avec une énergie primitive et un sens époustouflant de la formule, les besoins d’extase physique, le potentiel créatif des punks de la génération home-studio. Assez malins pour transformer l’anonymat de la culture DJ en une puissante imagerie pop, les deux Parisiens, cachés derrière leurs masques de robot, multipliaient le rayonnement de leur coup d’essai grâce à une poignée de vidéos réalisées par des metteurs en scène en devenir (Spike Jonze, Michel Gondry…). Pour donner suite à ce coup de maître, dont l’impact a suscité mille vocations, le duo avait puisé en 2001 dans ses souvenirs d’avant la techno pour enrichir l’album Discovery de références pop, rock, disco, dans une profusion baroque qui ne manquait pas de panache, en dimitri makhtin/ boris berezovsky/ alexander kniazev Trio élégiaque op.9, de Rachmaninov. Trio no 2 op.67, de Chostakovitch Emblématiques de l’âme slave, Sergueï Rachmaninov et Dimitri Chostakovitch ont en commun de prêter facilement le flanc à des interprétations qui les font passer pour des compositeurs pompiers. Le premier, dans la veine lyrique, et le second, dans le trait satirique. Rien de tel sur ce disque enregistré par trois jeunes Russes qui laissent entendre par leur exemplaire homogénéité qu’ils ne se sont pas réunis juste pour graver ce programme. Chaque trio est restitué avec une qualité de dosage propre aux formations de chambre les plus chevronnées. Celui de Rachmaninov, dédié à la mémoire de Tchaïkovski, passe sans heurts de l’expression massive à sa contrepartie immatérielle. Celui de Chostakovitch, autre déploration animée par l’énergie du désespoir, alterne avec efficacité dépouillement fantomatique et déchaînement sarcastique. – P. Gi Dimitri Makhtin (violon). Boris Berezovsky (piano), Alexander Kniazev (violoncelle). 1 CD Warner Classics. candye kane White Trash Girl La championne du « be yourself » publie son septième album, White Trash Girl, en affirmant son appartenance à cette Amérique blanche des basfonds, de la petite escroquerie, des tickets-repas pour pauvres assistés ou non, du porno, des arnaques et des femmes battues. Candye Kane, c’est l’Eminem du boogie-woogie, l’exagération « loghorrotique » du rappeur white trash allant ici se nicher dans une poitrine démesurée, des chairs en excès pondéral parfaitement assumées. Ce blues musclé, ce jazz swingué chanté d’une voix de maîtresse fait le lit de l’impertinence, et d’un complexe musical parfait (avec Jeff Ross aux guitares, Riley Osbourne aux claviers, les cuivres des Texas Horn, la basse tournante de Preston Hubbard). Ces appels démoniaques à « travailler ce que l’on a », même si c’est peu, s’inscrivent dans le classicisme familial du blues rythmé. Entre une balade amoureuse (I Could Fall for You), un fait divers féministe (What Happened to The Girl), un clin d’œil appuyé à l’autosatisfaction (Masturbation Blues) et une reprise (What a Day for a Day Dream). Candye Kane glisse quoi qu’il arrive Stéphane Davet Human After All, de Daft Punk, 1 CD Labels/Virgin. Photo © Mick Hutson/Idols/Dalle APRF France. un « love & kisses » à ses bien chers frères, ses bien chères sœurs, qui sans boogie-woogie… – V. Mo. françoiz breut It’s Time Le jazz vocal se porte encore bien. Et après la saison des filles (Reeves, Kraal, Jones…) vient celle des garçons dans la manière crooner, relancée il y a une vingtaine d’années par l’excellent Harry Connick Jr. D’un côté se tient Jamie Cullum, sauvageon pop et britannique, de l’autre Peter Cincotti, Américain élégamment classique et un peu trop sérieux. Entre les deux, le Canadien Michael Bublé répartit idéalement son répertoire entre standards jazz et tubes pop, avec un timbre un peu plus varié que celui de ses camarades. It’s Time poursuit en un peu mieux, avec un peu plus de belles orchestrations (cuivres et cordes), un peu plus de swing, un peu plus d’interprétations à tomber (A Foggy Day in London Town, Can’t Buy me Love, The More I See You, I’ve Got You Under My Skin) ce que le premier album, Michael Bublé, avait posé en 2003. Simple et de bonne tenue, ce qui est le plus difficile à réaliser. – S. Si. Une saison volée La chanteuse Françoiz Breut est aussi illustratrice, et on trouve dans ce CD très étudié quatre minilivres avec les paroles de chansons, dessins afférents, un graphisme de conte de fées pour des sujets très sérieux (les dangers, les précipices de l’amour, les rêves d’un bien-être qui s’échappe avec le temps). Françoiz Breut retrouve Dominique A, avec qui elle avait fait ses débuts en chanson. Il lui donne deux chansons magnifiques : Km 83 (musique de Breut) et Contourne-moi. Elle embauche aussi d’autres compagnons : Herman Düne, Philippe Poirier, Jérôme Minière, Fabio Viscogliosi pour l’écriture et la composition, Joey Burns, bassiste de Calexico, un homme de synthétiseurs, Luc Rambo… Très marquée par l’école Dominique A, notamment dans le débit, le phrasé – qui peut lasser –, Françoiz Breut livre quinze titres soignés, pensés, travaillés dans le sens d’un rock évanescent et trouble (La Boîte de nuit, Please Be Angry). Pour affirmer ses dépendances et ses envolées, elle reprend Le Premier Bonheur du jour, créé par Françoise Hardy, mais avec une épaisseur toute bristolienne. – V. Mo. 1 CD Reprise/Warner Music. 1 CD Olympic Disk/Tôt ou Tard. 1 CD Ruf Records. michael bublé Femmouzes T, fabuleuses Toulousaines 0123 vous offre… ... 30 albums de SANSEVERINO LIVE AU THÉÂTRE SÉBASTOPOL Pour recevoir votre album envoyez vos coordonnées à : Opération « SANSEVERINO » dépit de ses dérives enfantines. On percevait pourtant, dans ce surplus d’images (de dessins animés) et de sons, que la surenchère ne pourrait aller plus loin. Aujourd’hui, le groupe semble désireux de retrouver son poids de forme. Enregistré rapidement, concentré en dix morceaux, d’une durée totale de 45 minutes, accompagné d’un minimum d’images et d’aucun entretien, Human After All semble espérer retrouver l’instantanéité des débuts. Comme à l’époque de Da Funk ou de Around The World, Daft Punk se concentre sur l’efficacité des boucles et de leur répétition obsessionnelle et les premiers titres démontrent que leur science du gimmick, de la trouvaille accrocheuse, demeure intacte. Human After All, The Prime Time of Your Life, Robot Rock (premier single tiré de l’album) ou le très kraftwerkien Steam Machine pourraient faire le bonheur de jingles ou de génériques. Mais le duo aspire-t-il à devenir les nouveaux Moby ? Si ce troisième album hérite de la concision de Homework, il retrouve aussi les touches rock et mélodiques que Daft Punk avait insufflées dans Discovery. Plus de guitare n’assure pourtant pas plus d’humanité. Le superbe Make Love réussit à équilibrer, à la manière suspendue d’Air, cybernétique et émotion. Mais les titres se contentent trop souvent d’une malice trop courte en bouche. Sans parler de francs ratages comme The Brainwasher, dont la techno-rock s’essaie sans succès à la frénésie de Prodigy, ou Television Rules the Nation, qui ne fera pas grand mal à la télé-réalité. Pas assez radical pour retrouver l’urgence, trop désincarné pour être touchant, Human After All reste un disque distrayant, léger, mais frustrant. Comme si l’intitulé, « Humain après tout », était plus un aveu de faiblesse qu’un atout esthétique. Sortie le 7 Mars 2005 Le Monde Publicité 80, boulevard Auguste-Blanqui - 75013 Paris Les informations recueillies à cette occasion sont exclusivement destinées au Monde et à ses partenaires. Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression des données vous concernant (art. 27 de la loi informatique et libertés). chanson Qu’elle est vaillante, notre Occitanie ! Après le très réjouissant Danse avec ta grandmère, du collectif Bombes 2 Bal, mené au chant par Aurélie Neuville et chaperonné par Claude Sicre des Fabulous Troubadors, voici Tripopular des Femmouzes T – de la même bande. La bande, justement, qui s’étend jusqu’à Cordes (Tarn) au groupe plus traditionnel La Talvera et à Marseille avec le raga bluffant des Massilia Sound System, a recherché ses cousins d’Amérique. Cette Occitanie colorée, dansante, qui n’a résisté à aucune modernité électronique, a suivi la trace des troubadours. Au XIIIe siècle, les poètes du pays d’Oc essaiment vers l’ouest de la péninsule Ibérique ; au XVIe, ils passent l’Atlantique. Résultat, on chante pareil, ou presque, à Toulouse, en Galice ou dans le Nordeste du Brésil. Autant d’éléments vérifiables dans la compilation Occitania qu’es aquo ? (Daqui/Harmonia Mundi). Le point commun à Bombes 2 Bal, aux Femmouzes T et aux autres phalanstères précités, c’est l’humour politique. Sicre et son comparse font valser les mœurs des puissants, éventuellement celles du centralisme parisien. Les Femmouzes T, autre duo, ne sont pas en reste ; Rita Macedo, née à Salvador de Bahia et Toulousaine d’adoption, joue de l’accordéon, car désormais Toulouse a adopté les chansons de bal nordestin (le fôrro) ; Françoise Chapuis joue des tambourins. Et elles chantent toutes les deux. Eventuellement avec des chœurs (Bombes 2 Bal, donc, la chorale des Motivé-e-s, la chorale des Morues…). Serge Faubert impose un tourbillonnant mixage aux machines. Rita Macedo a de la voix (grave), un joli accent, Françoise Chapuis du bagou. Elles défendent le droit des fumeurs (T’es dans ma tête et sous ma peau, déclaration d’amour à la cigarette et au tabac comme plante médicinale), les femmes (La Femme du soldat inconnu, On parle de parité), la liberté d’aimer (Homomachine) et celle de manger congelé (Chui normale). C’est drôle, sensé, idéolo- gique et citoyen. Et ça danse comme au village, version Manu Chao. Pour ce qui est du folklore, les filles font fort : il y a Colorina de Rosa, chant traditionnel de la vallée d’Ossau, perclus d’effets vocaux en boucle, il y a un poème en occitan de Beiris de Romans, avec viole de sept cordes, étonnamment proche des repentistas nordestins, par ailleurs représentés par un texte du XVIIIe siècle trouvé quelque part à Bahia, habillé de berimbau et d’échantillonnages. Véronique Mortaigne Tripopular, des Femmouzes T, 1 CD Shaoline Music/Mosaic Music. Mardi 15 mars - 20 h ANDRAS SCHIFF CHAMBER ORCHESTRA OF EUROPE JOSEPH HAYDN Jeudi 17 mars - 20 h THOMAS QUASTHOFF FREIBURGER BAROCKORCHESTER Airs de concert de MOZART